Title: L'Illustration, No. 1584, 5 Juillet 1873
Author: Various
Release date: July 14, 2014 [eBook #46282]
Most recently updated: October 24, 2024
Language: French
Credits: Produced by Rénald Lévesque
L'ILLUSTRATION
JOURNAL UNIVERSEL
31e Année.--VOL. LXII--N° 1584
DIRECTION, RÉDACTION, ADMINISTRATION 22, RUE DE VERNEUIL, PARIS. |
31e Année.VOL. LXII. N° 1584 SAMEDI 5 JUILLET 1873 |
SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL 60, RUE DE RICHELIEU, PARIS. |
Prix du numéro: 75 centimes La collection mensuelle, 3 fr.; le vol. semestriel, broché, 18 fr.; relié et doré sur tranches, 23 fr. |
Abonnements Paris et départements: 3 mois, 9 fr.; 6 mois, 18 fr.; un
an, 36 fr.; Étranger, le port en sus. |
SOMMAIRE
Texte: Histoire de la semaine.--Courrier de Paris.--Nos gravures.--Les Théâtres.--Variations numériques sur le Salon de 1873 (second article).--Un quatrième câble transatlantique.--La Cage d'or, nouvelle, par M. G. de Cherville (suite).--Conquêtes des Russes dans l'Asie centrale.--Bigarrures anecdotiques, littéraires et fantaisistes.--Bulletin bibliographique.--Salon de 1873; Source de poésie; le président Bonjean. |
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EXPOSITION UNIVERSELLE DE VIENNE.--Pavillon de l'empereur
de Russie.
La question de la mise à l'ordre du jour des projets constitutionnels élaborés par le précédent gouvernement vient de recevoir une solution. Sur la proposition de M. Leurent, l'Assemblée a décidé qu'elle ne se prononcerait sur ces projets que dans le mois qui suivrait sa rentrée. La discussion de cette grave question, qui avait causé depuis quelques jours une certaine agitation au sein de la Chambre et dans le public, est donc ajournée probablement jusqu'au mois de novembre prochain. Le centre gauche et une partie du centre droit en désiraient la solution immédiate; la droite, au contraire, en aurait voulu l'ajournement indéfini, et le gouvernement placé entre ces deux tendances opposées, engagé dans une certaine mesure par l'attitude prise par M. de Broglie lorsqu'il lut nommé rapporteur de la commission des Trente, se trouvait à cet égard dans une situation assez embarrassante et avait fini par se désintéresser de la question, déclarant laisser l'Assemblée juge.
M. Dufaure a pris le premier la parole pour demander la mise à l'ordre du jour immédiate; il a rappelé que c'était par ordre de l'Assemblée que les projets de loi avaient été rédigés, qu'un des membres «qui avaient le plus puissamment aidé à la constitution du nouveau gouvernement», M. Target, avait solennellement déclaré, le 24 mai, au nom du groupe qu'il représentait, qu'il acceptait la solution républicaine résultant des projets constitutionnels en question. M. Leurent, M. Gambetta, M. le vice-président du Conseil, et après lui M. Léon Say se sont ensuite succédé à la tribune, mais malgré les efforts de ce dernier, malgré l'éloquence acérée de M. Dufaure, l'ajournement a été prononcé.
L'Assemblée nationale a discuté cette semaine, en seconde délibération, une question qui intéresse au plus haut degré la prospérité de notre colonie algérienne: nous voulons parler des deux projets de loi ayant pour objet, l'un de constituer la propriété arabe individuelle et d'en assurer la transmissibilité, l'autre d'appliquer à la propriété indigène les règles de notre Code civil. Nous n'entreprendrons pas de résumer ici, même sommairement, les dispositions assez compliquées contenues dans les trente-deux articles composant ces projets de loi; rappelons seulement que d'après la législation, fort confuse du reste, qui régit la société arabe en matière de propriété foncière, les terres restent indivises, tantôt entre les membres d'une tribu, tantôt entre ceux d'une famille, et que les Arabes exercent sur le sol plutôt un droit collectif de jouissance qu'un droit individuel de propriété. Il résulte de cet état de choses de nombreux inconvénients que les lois nouvelles auront pour effet de faire disparaître, il faut l'espérer.
Lorsque ces lignes paraîtront, le shah de Perse sera sur le point de faire son entrée à Paris. Nous ne pouvons anticiper ici sur le récit des fêtes qui auront lieu pendant le séjour de Sa Majesté persane dans la capitale; disons seulement que ces fêtes seront splendides, contrairement à ce qu'avait pu faire craindre un malencontreux dissentiment, heureusement dissipé du reste. Le Conseil municipal, régulièrement consulté, a voté les sommes qui lui étaient demandées à cet effet; l'Assemblée a accordé à son tour un crédit de 350,000 fr. pour le même objet, et grâce à ces ressources extraordinaires, la réception du shah de Perse sera ce qu'elle doit être, digne de la France et de son hôte.
Nous avions raison de signaler la confusion des nouvelles relatives à l'expédition de Khiwa, et que certains journaux donnent au hasard, sans avoir une carte sous les yeux, ni la moindre notion sur la marche des colonnes. Le Daily-Telegraph, qui a imaginé il y a plus d'un mois une prise fantastique de Khiwa, trouve de nombreux imitateurs, et beaucoup de ses confrères tiennent à donner des nouvelles quotidiennes d'une expédition dont les chefs ne doivent cependant pas abuser des courriers.
Les feuilles officielles russes ne donnent pas encore de renseignements certains sur les combats livrés aux abords de l'Amour-Daria par les colonnes du Djizak, de Kasalinsk, du Caucase et d'Orenbourg; mais en revanche ils contiennent des détails fort intéressants sur les marches extraordinaires qu'elles ont exécutées au milieu d'incroyables difficultés.
Le détachement de Djizak, sous les ordres directs du gouverneur général de Kaufmann, après avoir gagné assez facilement les puits d'Aristan-bel-Koudouk, se rabattit à gauche pour gagner le plus vite possible les rives de l'Amour-Daria. Khala-ata, une oasis située sur la frontière entre les khanats de Bokhara et de Khiwa, fut donnée comme point de direction. Cette localité se trouve à 140 verstes (la verste est de 1,067 mètres) à l'est de la ville d'Qutchoutchak, située elle-même à 140 verstes sud-est de Khiwa.
La distance à parcourir d'Aristan-bel-Koudouk à Khala-ata est de 175 verstes à travers un steppe aride et sablonneux. La colonne du général Kaufmann, divisée en deux échelons, mit onze jours pour franchir ces 40 lieues, du 23 avril au 3 mai; les 26 et 30 avril furent consacrés, au repos. Sans le concours de l'émir de Bokhara, il est probable que le détachement du Turkestan aurait éprouvé le sort de celui de Krasnowodsk; le biscuit fabriqué à Samarkande n'était pas mangeable et l'émir y suppléa par un envoi des plus opportuns de 1,500 pouds (le poud pèse 16 kilos 38) de farine de gruau et de blé, avec défense à ses employés d'en accepter le payement. Un marchand russe, nommé Gronow, parvint, avec le concours des autorités de Bokhara, à transporter à Khala-ata 2,400 pouds de farine et 1,000 pouds de gruau..
La subsistance des hommes était ainsi largement assurée; mais on éprouva plus de difficultés pour se procurer de l'eau et des fourrages pour les animaux. Les machines à forer permirent toujours de se procurer une suffisante quantité d'eau; quant aux fourrages, ils manquèrent absolument sur plusieurs points, et l'on dut envoyer les chevaux et les chameaux brouter une herbe rare et maigre à plusieurs verstes du bivouac.
Fait digne de remarque et de nature à nous étonner, les chevaux ont mieux supporté les privations que les chameaux, dont beaucoup périrent en route, principalement dans la marche du 28 avril, entre les bivouacs de Tchourk-Koudouk et de Sultan-Bibi. L'état sanitaire de la colonne resta satisfaisant en dépit de la fatigue, des sables et des vents soufflant en tempête. Presque tous les jours on sonnait le réveil à 3 heures du matin; à 5 heures, la tête de colonne se mettait en route, et bien souvent l'arrière-garde, avec son convoi enfoncé dans un sol mouvant, arrivait à destination après minuit. Ceux qui ont fait la guerre et qui ont vu le thermomètre marquer 29 degrés Réaumur à l'ombre, savent ce que souffre une colonne obligée de marcher en plein soleil avec des animaux épuisés et des voitures engagées jusqu'au moyeu dans la vase ou dans le sable.
Le 6 mai, trois jours après son arrivée à Khala-ata, le général de Kaufmann fut rejoint par la colonne de Kasalinsk. On fit l'inauguration solennelle du fort Saint-Georges, dans lequel on installa de suite un dépôt d'artillerie et de génie, ainsi qu'une ambulance pour trente malades.
Les Russes aperçurent autour du fort une trentaine de cavaliers khiwiens qui s'empressèrent de disparaître. Néanmoins, il n'était pas aisé de gagner l'Amour-Daria, distant de moins de trente-cinq lieues. Les dix premières lieues, jusqu'au puits d'Adam-Krilgan, ne présentaient aucun obstacle sérieux; mais de la Outch-Outchak, sur l'Amour, on avait la presque certitude de ne pas trouver d'eau et d'avoir à traverser de véritables mers d'un sable profond.
A cinq lieues de Saint-Georges, une pointe d'avant-garde avec laquelle marchaient les lieutenants-colonels Ivanow, de l'artillerie, et Tichmenew, de l'état-major, fut attaquée par 150 cavaliers kirghiz. Grâce à son énergie et au secours des troupes de soutien, cette petite troupe de quinze hommes parvint à se dégager, non sans avoir eu neuf blessés, dont les deux officiers supérieurs. Cela se passait le 9 mai; des télégrammes postérieurs et dont nous avons donné connaissance dans le numéro du 28 juin, annoncent que le général Kaufmann a pu gagner l'Amour-Daria, et remporter le 23 mai une victoire décisive sur l'ennemi, qui voulait disputer le passage du fleuve. Des télégrammes plus récents annoncent que le mouvement sur Khauki a parfaitement réussi, et que Mohammed-Rachin a livré sa capitale aux Russes; mais aucun rapport officiel n'est encore arrivé; donc les détails dont on assaisonne les dépêches laconiques transmises par le fil électrique ne sont que des variations exécutées par des nouvellistes à imagination.
Voici maintenant des détails sur ia marche des colonnes d'Orenbourg et de Kinderli, dont il a été question dans notre dernier numéro. L'Invalide vient de publier un télégramme du général en chef de l'armée du Caucase, ainsi conçu: «Le colonel Lomakine annonce de son camp de Kitaj, à 65 verstes au nord de Khiwa, qu'avec d'immenses difficultés et par une chaleur épouvantable, son détachement a traversé la steppe d'Oust-Ourt, que l'on supposait infranchissable par une troupe de quelque importance, et opéré, le 26 mai, sa jonction avec la colonne d'Orenbourg aux environs de Kungrad, ville ruinée depuis quinze ans dans une des guerres civiles qui désolent sans cesse ces contrées.
«Le 27 mai, les deux colonnes réunies s'emparèrent de Khodjeili, après avoir battu 6,000 Khiwiens, moyennant une perte insignifiante de deux blessés. Avant le combat, beaucoup d'habitants notables s'étaient rendus au camp russe pour faire leur soumission. Les villes de Kunia-Urgentch, Porsu, Koktchèje et Kisil-Tahir ouvrirent leurs portes.
«Le 1er juin, un violent combat fut livré à l'ennemi, fort de 3,000 hommes avec trois canons, sous les murs de la forteresse de Mangijt. Nous avons perdu 15 hommes, tués ou blessés. La ville a été prise, incendiée et détruite (sic). L'état sanitaire de la colonne est excellent; nous n'avons que peu de malades.»
Enfin, un dernier télégramme du général de Kaufmann annonce qu'à la date du 4 juin, les colonnes du Caucase et d'Orenbourg, sous les ordres du lieutenant-général Werewdine, étaient arrivées à Novyi-Urgentch, à 15 verstes au nord-ouest de Kanki et à une vingtaine de verstes de Khiwa. La nouvelle que Mohammed-Rachin s'est rendu à merci ne saurait donc être révoquée en doute, et il ne nous reste plus qu'à attendre le rapport officiel sur ce fait d'armes important, qui commence à préoccuper sérieusement l'Angleterre. Le péril n'est pas immédiat; cependant le gouvernement britannique suit attentivement les progrès des Russes dans l'Asie centrale. Les relations parlent souvent de trois ou quatre officiers anglais détachés à Khiwa, et qui auraient aidé le khan de leurs conseils.
Si vous êtes un homme de goût, vous allez vous récrier, j'en suis sûr. Comment! encore le shah! Eh oui, encore. Tout a été dit pourtant sur notre visiteur. Depuis quinze jours, il n'y a pas autre chose. On ne parle que du personnage, de sa suite, de ses diamants, de son âge, de ses lunettes. Beaucoup ont célébré ses mots. Tant qu'il vous plaira, mais c'est à recommencer. Voilà bien notre pays. En dehors du sujet à la mode, taisez-vous. Je sais des délicats qui se sont sauvés pour échapper à cette scie. Y réussiront-ils? La chose est douteuse. Le shah ressemble au souci dont parle Horace, qui s'assied en croupe sur le cheval du cavalier et galope avec lui. Il va avec la vapeur, les wagons répandent le shah un peu partout. Nulle différence entre le shah et la coqueluche.
Ne nous plaignons pas trop, puisque le roi des rois contribue à réveiller Paris de sa torpeur et qu'il devient l'occasion de fêtes fécondes. Mais, d'ailleurs, ce Nassr-ed-Din n'est pas aussi barbare qu'on aurait été tenté de le croire. Je vous ai déjà dit qu'il aimait la France. Il fait mieux que d'avoir du goût pour elle; il recherche son patronage; il veut lui ressembler. Il a visité les capitales des autres grands pays d'Europe; eh bien il n'y a que Paris qu'il prenne pour modèle. A peine a-t-il eu mis le pied chez nous qu'il a demandé à ceux qui le recevaient de mettre à sa disposition des ingénieurs, des savants, des artistes et des ouvriers. Et comme un membre du corps diplomatique, un étranger soulignait devant lui l'expression de cette préférence, le shah lui répondit avec une finesse toute orientale:
--Je fais aujourd'hui pour la Perse ce que Pierre le Grand a fait autrefois pour la Russie.
Dès l'origine, on nous avait présenté le voyageur comme une manière de butor couronné et de grossier voluptueux. Il paraît qu'il faut en rabattre. Nassr-ed-Din est un lettré. Il aurait été formé avec une argile semblable à celle d'où a été tiré Saadi. On assure qu'il est ferré sur la chimie sur la physique, plus spécialement encore sur la géographie. Mais vous venez de le voir, il est homme d'esprit aussi.
--Voulez-vous qu'on vous présente aux membres de l'Académie française? lui a demandé le docteur Tholozan, son médecin ordinaire.
--Oui, s'ils consentent à me donner l'un de leurs cuisiniers.
Le mot est presque d'un Français. Chez nos voisins d'outre-mer Nassr-ed-Din en a prodigué du même genre. A Londres, il avait accepté pour cicérone la jeune et jolie princesse de Galles.
--Il est bien regrettable, dit-il, qu'il n'y ait pas deux exemplaires de mon Guide en Angleterre, car j'aurais pu en emporter un avec moi.
On dira peut-être: Ce sont des madrigaux soufflés. Soit, c'est du moins soufflé avec à propos.
Écoutez les Russes, le refrain change. Ce vieillard qui passe en grand apparat à travers l'Europe n'est plus un Dorat en aigrette, mais bien le plus désagréable des touristes. Le shah titube en marchant, mâchonne en parlant, louche en regardant, gloutonne en mangeant. Il porte des lunettes bleues, circonstance bien propre à gâter l'idée qu'on pourrait se faire d'un successeur de Cyrus. Se mouchant de dix minutes en dix minutes, il prend plaisir, comme le don Salluste de Victor Hugo, à faire tomber à tout moment son mouchoir à ses pieds pour le faire ramasser par son premier ministre, qui serait ainsi son valet de chambre en service extraordinaire. Autre trait à ne point passer sous silence. Il est d'une si belle lésine qu'il ne s'entend jamais à donner de pourboire aux lieux où il séjourne. A Moscou, il n'a laissé qu'un don insignifiant pour les pauvres, et encore s'imaginait-il que la somme s'était partagée entre tous les gens de cour qui l'entouraient. A propos des femmes, on ne sait trop que dire. Les prend-il pour des êtres pensants? On a quelque raison d'en douter. En arrivant à Saint-Pétersbourg, au sortir de son Orient, il se hâtait d'emballer les siennes et il lorgnait à peine les grandes dames dont la czarine est environnée.
«On pourrait le comparer à un chasseur du Caucase jetant un rapide coup d'œil aux sujets de sa meute,» dit un chroniqueur de là-bas. Il paraît même que le beau sexe des bords de la Newa a considéré les marques de ce royal dédain comme une insulte. A la vérité, en Angleterre, le voyageur a changé d'allures. Il a daigné aller au bal. Il s'est mêlé aux belles et aristocratiques ladies; il a passé en revue les jolies miss aux yeux bleu de mer qui sont un des enchantements de Londres. Bien mieux, il s'est montré galant envers la princesse de Galles à laquelle il a donné le bras pendant trois soirées consécutives. Ici, disons tout. On pense que la politique est de la partie. Plus d'une fois déjà, en ces derniers temps, la Grande-Bretagne et la Perse ont fait un échange de coups de canon et, en définitive, ça toujours été au shah à payer la poudre brûlée. Peut-être cet empressement auprès d'une souveraine de l'avenir n'est-il, au fond, qu'un calcul diplomatique d'un ennemi qui ne veut plus rien débourser. Mais passons là-dessus et ne cherchons pas à diminuer le mérite de l'altesse royale. Dans la société britannique on raconte que, valeureuse jusqu'à l'héroïsme, la future reine d'Angleterre aurait fait la gageure d'opérer la conversion du rude et inélégant oriental.--Nassr-ed-Din est-il réellement apprivoisé? Paris jugera.
Grand bruit au milieu de la commission du budget et dans le monde des arts. Il s'agit de la fameuse fresque de Raphaël que M. Thiers a achetée pour le compte de l'État deux ou trois jours avant de tomber du pouvoir. Qu'est-ce que cette fresque? Un très-beau morceau en cul-de-four, deux pages provenant de la Magliana, ancienne résidence papale des environs de Rome. En 1869, un ingénieur, M. Oudry, qui voyageait en Italie, acheta cette œuvre, il la fit venir en France; il l'installa à Paris, dans son hôtel, quai de Billy. Les amateurs furent bien vite prévenus. En dépit des événements politiques, on allait visiter la fresque. M. L. Vitet, si compétent en pareille matière, ne fut pas des derniers à faire ce pèlerinage. Il examina, il étudia, il se recueillit et finalement il écrivit dans la Revue des deux mondes un article dans lequel il disait que ces deux pages, si belles, étaient un Raphaël incontestable et incontesté. Incontesté pour lui, d'accord; non pour la critique qui veut tout voir de près. Il y eut des érudits pour remuer les vieux lires touchant ce palais des papes qu'on appelait jadis la Magliana. Il y eut des journalistes pour improviser une façon d'enquête.
En premier lieu, on apprit de Rome que deux Allemands, Platner et Grimer, qui se piquent d'être des connaisseurs, avaient fait faire en chromolithographie une reproduction de ladite fresque en l'accompagnant d'une dissertation. Ce travail date de 1847. Pleins de défiance comme tous ceux de leur race, les deux Germains avaient écrit en marge de leur reproduction: Raphaël invenit et non pas Raphaël pinxit. Raphaël a inventé et n'a pas peint.
Il paraît que trois historiens considérables de l'art italien considèrent la fresque de la Magliana comme étant un Raphaël peu authentique. C'est Passavant, le biographe du grand artiste; ce sont Crowe et Cavalcoselle, deux autres autorités. Mais il reste le témoignage de M. L. Vitet. Qui a tort là-dedans? Qui a raison?
Tout récemment, M. Oudry étant mort, on a porté la fresque rue Rossini, à l'Hôtel des Ventes, et elle a été mise aux enchères; M. Thiers l'a fait acheter pour la France au prix de 206 000 francs. Avec les frais, le double décime de guerre et la construction d'un musée propre à la mettre en évidence, la double page de Raphaël reviendrait, dit-on, à 250 000 francs. Est-ce trop pour un chef-d'œuvre?--Mais le débat roule précisément sur ce point délicat.--Chef-d'œuvre, le mot est bientôt dit. Est-ce un Raphaël d'abord?
Messieurs les honorables qui font partie de la commission du budget sont d'excellents comptables, très-ménagers des deniers publics. Ils rognent le plus qu'ils peuvent afin d'alléger ce pauvre peuple de France auquel les désastres de la guerre font suer en ce moment tant de monceaux d'or. Mais l'amour de l'économie doit-il être mené jusqu'à nous faire repousser un Raphaël, s'il est vrai que la fresque de la Magliana en soit un? Toute la question est là.--Suivant les dernières nouvelles venues de Versailles, on ne contesterait pas l'authenticité de l'œuvre.--On demandera les 250,000 francs. Reste à savoir si l'Assemblée nationale les votera, puisque c'est un legs de M. Thiers. En attendant, que d'encre il va couler à propos des deux pages!
Parlez-nous de l'art actuel pour être acheté d'emblée, sans, phrases! De nos jours un caprice, un rien auquel l'artiste n'attache pas la moindre importance fixe l'attention d'un amateur ou exalte l'imagination d'un critique. Vous savez le Cheval du trompette, de Géricault. Un brin d'herbe se détache sur le sabot du cheval. Gustave Planche ne tarissait pas là-dessus. Ah! ce brin d'herbe, c'est tout un poème! Que de choses dans ce brin d'herbe! Pour les connaisseurs vulgaires, pour le troupeau des acheteurs, c'est bien autre chose. Le détail le plus puéril devient le prétexte d'engouements à n'en plus finir.
S***, peintre de talent, a dû, ces jours-ci, l'achat d'un tableau, excellent du reste, à un accessoire des plus insignifiants. Depuis trois années, cette œuvre faisait tapisserie dans l'atelier, malgré de notables qualités de dessin et de couleur.
S***, l'autre jour, rencontre un de ses amis.
--J'ai enfin vendu mon grand tableau, dit-il d'un air tout joyeux.
--Tout le inonde savait bien que tu finirais par trouver un vrai connaisseur.
--Tu n'y es pas. Qui a pu, suivant toi, décider l'acheteur?
--Mon Dieu, tout.
--Non, une seule chose!
--Laquelle donc?
--Mon amateur a un enfant de dix ans. Ce moutard a vu le tableau: Adam et Ève dans l'Eden. Il a voulu avoir le papillon jaune et bleu que j'avais placé, en m'amusant, sur un buisson. «Le papillon! le papillon!» a-t-il dit. Or, comme le millionnaire raffole de son fils, la toile a été achetée sur l'heure, et voilà tout.
Puisque nous en sommes aux fantaisies d'amateur, laissez-moi placer ici ce qui est arrivé tout récemment à L*** L***, un portraitiste bien connu.
On le fait venir chez une des notabilités de la finance.
Mme T*** veut avoir son portrait.
--Je désire, monsieur, être représentée assise sur un banc, au milieu de mon parc, à Meudon.
--Soit, madame.
On convient alors du prix. Ce sera 6,000 francs.
--Six mille francs, c'est une somme, ajoute la dame; mais je ne regarde pas à l'argent. Seulement, reprend-elle, vous ferez ma petite Jenny, jouant à côté de moi. Ce sera par dessus le marché.
Si les Persans de Montesquieu vivaient encore ils manifesteraient pour sûr un grand étonnement de voir qu'il y eût en ce moment un seul malade dans Paris. Tous les murs de la ville sont tapissés d'affiches qui s'engagent à rendre la santé à quiconque ne l'a pas reçue en naissant ou à ceux qui l'ont perdue. Il suffit d'aller vider quelques verres d'eau aux stations thermales. Ah! l'eau chaude qui sort des Alpes, des Vosges ou des Pyrénées, l'eau sulfureuse qui vient de n'importe où, que de prodiges elles accomplissent,--sur les prospectus. Ne parlez plus de la Faculté de médecine ni de ses 20,000 docteurs à diplômes, l'eau suffit et au delà pour guérir. On cite même certains ruisselets ayant assez de vertu pour redresser les boiteux, pour aplanir les bossus, pour rendre l'ouïe aux sourds et la parole aux muets. Aux sources, ajoutez les bains de mer. Dès lors vous ne comprendrez plus comment l'homme moderne n'a pas la santé de Mathusalem et la beauté d'Alcibiade.
On va aux eaux d'Auvergne, à celles du Jura ou des Pyrénées; on va aux bains de mer. Au temps où nous voilà, le superflu ayant décidément pris le pas sur le nécessaire, il n'y a pas de Parisienne, un peu bien située, qui s'exempte de s'absenter trois mois pour se refaire des fêtes et des bals en allant se baigner ou boire une eau cataloguée. Le bain, c'est bien; le verre vidé, c'est pour le mieux; oui, mais le chapitre de la toilette est ce qu'il y a surtout à considérer. Une femme ne va plutôt pas se rajeunir si elle n'a point derrière elle vingt colis de robes, de chapeaux, d'écharpes et de colifichets. Tout mari moderne, digne de ce nom, doit consacrer à ce pèlerinage le tiers de ses revenus, ou bien il sera destitué de toute réputation de galant homme. Attrape!
Les philosophes seuls vont redemander la santé à l'air pur, au fond des terres, sous les arbres, suivant la recette indiquée par H. de Balzac: «Aux cœurs blessés l'ombre et le silence.» Mais le silence et la paix ne sont pas déjà si faciles à rencontrer. On rencontre un peu partout aujourd'hui un farceur et un Calino qui se chargent de vous rappeler les mœurs et le langage de la grande ville.
Il y a quinze jours, E*** A*** s'était enfoncé, loin des sentiers battus, en pleine basse-Bretagne. Il s'applaudissait de respirer enfin dans un village primitif.
Un matin, il est attiré par le bruit d'un colloque; c'était un commis-voyageur qui était en train de blaguer monsieur le maire.
Le commis-voyageur.--Méfiez-vous. L'agent-voyer m'a dit qu'il allait faire passer un rouleau sur votre route.
M. le maire.--Le rouleau, et pourquoi ça?
Le commis-voyageur.--Pardi! c'est pour aplatir la route, donc! Cette opération va l'allonger d'un bon tiers.
M. le maire.--Oh! mais c'est qu'elle est déjà bien assez longue comme ça. Il faut que j'en écrive au préfet.
Il paraît que la lettre a été écrite.
Philibert Auderrand.
NASSR-ED-DIN.--Shah de Perse.
AU DIRECTEUR
«Puisque vous pensez qu'un autographe du shah de Perse aura de l'intérêt pour le public, en mettant ce dessin à votre disposition, je crois nécessaire de vous donner quelques détails sur ce qui me valut l'honneur d'avoir mon portrait tracé par la main même du roi des rois, qui a bien voulu faire l'auguste faveur d'entrer en réciprocité artistique avec votre serviteur.
Un autographe du shah de Perse. Croquis original
communiqué par M. le commandant Duhousset.
«Le souverain de l'Iran, qui m'avait donné la haute direction du champ de manœuvres et de l'instruction de ses troupes, savait que pendant mes trois années de séjour dans son royaume, j'étais chargé par le ministre de l'instruction publique d'un travail qui occupait très-sérieusement le temps qui me restait en dehors de ma mission militaire. Je profitai de l'intérêt que le monarque persan parut accorder à la vue de la première partie de mes recherches, qui contenait déjà plus de deux cents types de ses sujets, pour lui demander l'autorisation de placer son portrait en tête de ce recueil.
«Je fus mandé dans ce but par Sa Majesté Nassr-ed-Din, qui n'était pas en représentation, et voulut bien m'accueillir dans son intimité.
«Le shah se prêta très-gracieusement à mon désir, me fit signe de m'asseoir comme lui, par terre, ce qui était déjà une faveur exceptionnelle, et prenant une plume en fer ainsi que du papier à lettre, déclara qu'il allait esquisser mon portrait pendant que je ferais le sien.
«On peut se figurer de quel œil étonné les trois fonctionnaires de distinction, dans une attitude respectueuse et témoins muets de cette scène, regardaient leur souverain livrer ses traits au Frangui dont il daignait lui-même retracer l'image.
«Ce croquis fut fait très-vite; je n'ai pas besoin de décrire l'enthousiasme et les éloges des spectateurs en voyant surtout le mot de Duhosé écrit en français. Les grands personnages présents apposèrent leurs cachets et affirmèrent la haute faveur dont je venais d'être l'objet. J'en exprimai respectueusement ma reconnaissance.
Le shah de Perse dessinant le portrait du commandant Duhousset.
«En même temps que je vous envoie ce portrait, fait par le shah, je vous adresse aussi celui que je fis de lui dans la circonstance que je viens de vous relater.
«Recevez, etc.
Duhousset,
«Lieutenant-colonel en retraite.»
Au moment où Sa Majesté le shah de Perse vient visiter la France, nous pensons bien faire de donner ici son portrait et une petite biographie de son auguste personne.
Nassr-ed-Din shah est né en 1830, et conséquemment âgé de quarante-trois ans; il est fils de Mohammed shah, auquel il succéda le 10 septembre 1848, et petit-fils du célèbre Abbas-Mirza, lequel mourut héritier présomptif de Feth-Ali shah, en 1834. Sa Majesté est donc le quatrième souverain de Perse issu de la dynastie des Cadjars, dont Aga-Mohammed-Khan fut le fondateur, couronné en 1796.
Jeune encore, le prince Nassr-ed-Din montra les plus heureuses dispositions; il aimait les études intellectuelles et ne cherchait une distraction à celles-ci que dans les exercices corporels; infatigable à la chasse, le prince devenu roi est encore aujourd'hui le meilleur chasseur de la Perse; il en est le plus intrépide cavalier, comme il en est également l'un des hommes les plus instruits et lettrés.
Comme prince héritier, il apprit les affaires de l'État par la pratique, car il fut pendant plusieurs années gouverneur général de la province de l'Azerbaidjan, et demeurait en cette qualité à Tauris, où il se faisait rendre compte des moindres détails de l'administration placée sous ses ordres.
Aimant les Européens et aimé d'eux, le roi actuel est le prince le moins fanatique qui ait régné sur la Perse. Ses sujets l'aiment à l'adoration, parce qu'ils savent qu'ils sont aimés de lui; d'un caractère extrêmement doux, il a toujours été juste envers tous; sa douceur va même jusqu'à une certaine timidité naturelle que Sa Majesté cherche à cacher en parlant toujours très-vite et d'une manière un peu brusque.
Nassr-ed-Din shah est shahynshah, c'est-à-dire roi des rois, khan des khans, chef des chefs, fils du soleil, cousin de la lune, etc., etc.; à ces titres tout à fait orientaux viennent s'en ajouter bien d'autres très-connus, étant répétés dans toutes les pièces officielles échangées avec les puissances étrangères.
C'est un homme très-éclairé et d'un esprit extrêmement fin; il comprend plusieurs langues, qu'il a apprises par lui-même, et entre autres le français; si Sa Majesté ne fait pas souvent usage de cette dernière, elle ne la possède pas moins dans la perfection. Sa Majesté reçoit plusieurs journaux européens, qu'elle lit avec intérêt, et si parfois un détail lui échappe, elle se fait donner des explications par les Européens qui l'entourent.
Le voyage que fait en Europe Sa Majesté le shah est un voyage exclusivement instructif, qu'elle aurait voulu faire depuis longtemps et qu'elle n'a retardé jusqu'à présent qu'à cause des difficultés intérieures sans nombre contre lesquelles elle avait à lutter continuellement; c'est la première fois qu'un souverain persan sort de ses États, et lorsqu'on songe que c'est pour aller visiter les pays infidèles, on comprendra facilement combien il a fallu à Sa Majesté de force et de volonté pour pouvoir quitter son pays. Mais il est vrai que la Perse est à une époque de réformes que l'on ne pouvait plus guère espérer d'elle, et cette régénération est due, non-seulement à Sa Majesté, mais aussi principalement à Son Altesse Mirza-Mohammed-Hussein-Khan, le grand-vizir actuel, qui est infatigable dans son zèle pour amener sa patrie sur un pied d'égalité avec les pays européens les plus avancés. Le grand vizir tenait à faire voir à son auguste maître la civilisation européenne de près, certain qu'est Son Altesse que lorsque Sa Majesté aura vu l'Europe, elle voudra que la Perse marche sur ses traces. Le roi connaît déjà l'Europe par les nombreuses relations qu'il en a lues et par ce qu'il en a entendu dire; aujourd'hui il va la visiter en détail. Avec un tel roi et un tel premier ministre, nul doute que la Perse va se secouer de la torpeur dans laquelle elle était tombée, et va marcher dans une voie de progrès qui lui procurera bientôt le bien-être matériel de la civilisation.
Son Altesse Mirza-Mohammed-Hussein-Khan, le grand-vizir (sadrazam), est un homme très-connu en Europe, du moins de réputation. Fils d'un membre de la haute cour de justice de Perse, dès sa plus tendre jeunesse Mohammed-Hussein-Khan s'adonna à des études sérieuses, qui devaient appeler sur lui un jour l'attention du chef de l'État. Il y a dix-neuf ans environ, Mirza-Mohammed-Hussein-Khan fut nommé consul de Perse à Bombay, poste très-difficile à cette époque, par suite des différends qui existaient entre la Perse et l'Angleterre. Bientôt la guerre éclata entre ces deux puissances, le consul persan rendit à son gouvernement des services immenses, surtout en faisant donner indirectement à l'armée anglaise des renseignements entièrement erronés sur la Perse et sur le chemin par lequel elle devait y pénétrer. Lorsque les hostilités eurent commencé, le jeune consul fut obligé de quitter son poste de Bombay; mais le gouvernement persan comprit que nul homme mieux que lui pouvait être chargé, dans ce moment critique, d'une mission délicate en Russie; il s'agissait en effet d'amener la Russie et la France à intervenir auprès de l'Angleterre, et d'assurer non-seulement l'intégrité du territoire persan, mais aussi de ne pas permettre la ruine de la Perse, en empêchant l'Angleterre de demander une forte contribution de guerre. Mirza-Hussein-Khan fut donc nommé consul de Perse à Tifflis, siège du gouvernement du Caucase, où la Russie traite toutes les affaires relatives à la Perse; le nouveau consul alla lui-même à Saint-Pétersbourg pour prendre son exéquature, et profita de la circonstance pour poser habilement les bases d'un traité secret qui assurait l'avenir de la Perse.
Un homme aussi capable, une fois les difficultés du moment passées, était appelé à une position plus élevée que celle de consul à Tifflis; en juillet 1839, il fut nommé ministre et plus tard ambassadeur à Constantinople, poste qu'il occupa pendant environ dix années, et où il sut s'acquérir la sympathie de tous ceux qui le connurent.
Rappelé à Téhéran, pour faire partie du cabinet, d'abord comme ministre de la justice, ensuite comme ministre de la guerre, il fut nommé sadrazam (alter ego du roi) il y a quinze mois environ.--Sa nomination au sadrazamat devint le signal d'un changement complet dans l'administration du pays; avec lui arrivèrent les réformes de tous genres et le voyage que le grand vizir a engagé le roi d'entreprendre en Europe, doit avoir pour résultat de rendre ces réformes plus sensibles encore.
Ce n'est pas chose facile que de régénérer un pays tel que la Perse, car là tout est à faire, et ce qui pis est, c'est qu'il s'agit avant tout d'extirper des abus invétérés depuis longtemps et contre lesquels le sadrazam est seul à lutter. S. A. Mirza Mohammed-Hussein Khan a donc eu, et a encore, continuellement à combattre un parti rétrograde que l'intérêt personnel ou le fanatisme retient dans les errements du passé, et il faut avoir toute l'énergie et le patriotisme qu'il a pour arriver aux résultats qu'il a déjà obtenus et qui deviendront plus sensibles encore après le retour d'Europe.
Avant de terminer ces quelques lignes, nous donnerons ici le nom des personnages qui forment la suite immédiate qui accompagne Sa Majesté le shah. Savoir:
1. S. A. Mirza Mohammed-Hussein Khan (sadrazam), grand vizir et ministre de la guerre.
2. S. A. le prince Ali-Guli Mirza, ministre de l'instruction publique.
3. S. A. le prince Sultan-Murad Mirza, gouverneur général de la province du Khorassan.
4. S. A. le prince Firuz Mirza.
5. S. A. le prince Iman-Guli Mirza.
6. S. E. Allah-Guli Khan Il Khani.
7. S. E. Yakia Khan, gouverneur général du Guilan et du Mazendéran (frère de S. A. le grand vizir), etc.
8. S. E. Ali-Riza Khan, grand échanson.
9. S. E. Hassan-Ali Khan, ministre des travaux publics.
10. S. E. Mohammed-Rahim Khan, grand maître des cérémonies.
11. Sa Grâce Mirza Abdul Wahah, grand prêtre.
12. Mirza Ali Khan, secrétaire particulier du shah.
13. Le docteur Tholozan, médecin du shah.
14. Rahemet-Allah Khan, chef de la garde royale.
15. Mustapha-Guli Khan, grand veneur.
16. Ibrahim Khan, écuyer.
17. Prince Sultan-Oweis Mirza, | 18. Ali-Guli Khan, | généraux aides 19. Albert Gasteiger Khan, | de camp du shah. 20. Ali-Hassan Khan, | 21. Mohammed-Ali Khan, | | traducteurs, 22. S. E. Mehemet-Hussein Khan, | interprètes et 23. S. E. Mirza-Ali Nakhi, | maîtres des | cérémonies.
Plus vingt-sept autres personnages, chambellans, officiers, secrétaires, chef des cuisines, grand cafetier, etc., etc.
Baron L. de N.
Le pavillon russe s'élève dans le parc à peu de distance du pavillon égyptien et du pavillon turc, comme dans le palais sont voisines les expositions de ces trois pays.
L'aspect du pavillon russe est tout à fait grandiose.
L'entrée en est précédée d'un porche à quatre arcades, dont la quatrième engagée dans la construction encadre la porte d'entrée. Le rez-de-chaussée, éclairé par des haies à plein cintre très-ornées et séparées entre elles par des demi-colonnes engagées, est couvert en terrasse. Du jardin, un escalier en bois décoré d'une rampe massive très-travaillée conduit à cette terrasse qu'ombragent de grands arbres et qu'entoure une balustrade en tout semblable à la rampe de l'escalier, qu'elle continue.
Ce rez-de-chaussée est surmonté d'un étage en retrait, composé de deux parties. C'est d'abord une tour, carrée à sa base, puis octogonale, se terminant par une flèche aiguë, à la pointe de laquelle, ailes déployées, se dresse l'aigle impériale à deux têtes. Cette tour s'appuie sur le vestibule du rez-de-chaussée. Puis, derrière la tour et adossé contre elle, vient un bâtiment carré percé sur trois faces de cinq baies accolées et coiffé d'un dôme à bulbe à quatre pans, sur le haut duquel court de bout en bout une arête finement découpée.
Tel est ce pavillon d'un très-grand aspect et bien digne de figurer dans ce coin du parc consacré à l'Orient, auquel il se rattache, et où l'on voit, entre les coupoles du pavillon turc et de la fontaine d'Achmet, pointer dans le ciel les minarets du pavillon égyptien.
L. C.
Notre collaborateur Francion a vivement insisté, dans sa revue du Salon, sur le manque d'unité qui caractérise l'école contemporaine; il a montré nos artistes marchant, chacun à sa guise, vers le but où les poussent leurs tendances et leurs goûts personnels, nos paysagistes, entre autres, n'obéissant qu'à leur inspiration individuelle et laissant de côté principes et théories pour étudier de plus près la nature et la rendre, comme ils la comprennent, sous les divers aspects où elle leur apparaît.
De là une grande variété d'œuvres riches de talent, riches avant tout de sincérité: on en pourra juger par la gravure que nous publions aujourd'hui, et où nous avons réuni un certain nombre de paysages, choisis parmi ceux qui figuraient au dernier Salon; la place nous manquerait pour les apprécier en détail les uns après les autres; nous nous bornerons donc à une énumération rapide, afin de rappeler seulement les sujets des tableaux et les noms des peintres à ceux de nos lecteurs qui les connaissent déjà, afin surtout de rendre notre gravure intéressante pour ceux qui n'ont pas visité l'exposition.
C'est d'abord, en commençant par le nº 748, placé le premier en haut, à gauche, une gracieuse étude de M. Huberti, intitulée Saules au bord de l'eau, puis à côté, le Souvenir de la forêt d'Eu, de M. Daliphard, bel effet de neige que la couleur faisait paraître plus saisissant encore, avec les teintes rougeâtres du soleil couchant entrevues à travers les interstices de la haute futaie; et plus loin, la fraîche Matinée d'automne, de M. Allongé, où les fonds de verdure paraissent encore si pleins et si puissants, tout enveloppés qu'ils sont de la brume matinale.
Avec M. de Groiseilliez, dont le Soir au bord de la mer (n° 680) commence la ligne suivante, le spectacle s'agrandit, l'horizon s'étend, plus profond et plus vaste; nous nous sentons en face de l'infini; les Bords de la Loire après les grandes eaux, par M. Defaux, nous ramènent à des aspects moins grandioses; mais cette nature d'où n'ont pas encore disparu les traces de l'inondation, ces terrains décolorés ont quelque chose de triste qui va à l'âme, et que vient heureusement effacer l'impression plus douce du Crépuscule de M. Japy; l'œil se repose agréablement sur ce coin de campagne où des arbres séculaires reflètent dans une mare leur ombre diffuse, tandis qu'au ciel apparaît la lune avec son croissant d'argent.
Descendons à la ligne suivante: voici l'une au-dessus de l'autre des vues de la froide Angleterre et de l'aimable Belgique, la Tamise près de London-Bridge (n° 727), par M. Héreau, avec un morceau de son quai si animé, et le Canal des Brasseurs, à Anvers, avec ses maisons proprettes, régulièrement alignées à droite et à gauche, et ses navires qui encombrent le port; puis, s'élevant au centre de la page, le Chêne de Voulliers, de M. Imer, qui fait songer à l'yeuse antique, chère aux poètes, reine altière des forêts; près du géant au tronc robuste, aux rameaux puissants, les Dernières feuilles, de M. Charles Busson, semblent appartenir à une autre nature, plus pauvre et plus maigre, tandis que la Musette, de Mlle Muraton, riche amas d'objets divers, entassés au hasard, achève de nous éloigner du mouvement et de la vie.
Il est vrai que l'exquise Rivière sous bois (n° 431), de M. César de Cork, nous y ramène bien vite, ainsi que. les Récifs de Kilvouarn, de M. Lansyer, qui aime à peindre les flots écumants de la baie de Douarnenez; l'impression redevient plus douce et plus intime, en quelque sorte, en face du Chèvrefeuille, de M. Hanobeau, aux plans d'ombre et de lumière si savamment ménagés; on aimerait à s'égarer dans ces allées profondes au bout desquelles s'entrevoient des trouées de lumière, on voudrait s'arrêter sur la lisière de ce bois touffu pour contempler de loin la Fenaison, de M. Dubourg, spectacle simple et gai des joies de la campagne.
Dans les Bords du Loir (n° 1050), de M. Mesgrigny, ce qui nous séduit, ce n'est plus l'ombre de la feuillée, ni le soleil éclatant de la prairie, c'est la grâce de la composition, la limpidité de l'eau, la transparence de l'air, la fraîcheur des petits cottages si joliment posés le long de la rivière, un je ne sais quoi d'heureux et d'ensoleillé qui charme et qui réjouit. L'Embarquement d'huîtres au parc de Cancale, de M. Delpy, nous distrait de nouveau de ces sites enchanteurs pour nous conduire, presque sans transition, au Rocher d'Yport, de M. Vernier, battu par le choc incessant de la vague: ciel d'orage, aux tons menaçants, calme apparent de la mer onduleuse, quel contraste avec la tranquillité sereine du Passeur, de M. Corot, qui pousse doucement son bateau vers l'autre, bord de la rivière! Comme ici tout est paisible et silencieux, comme ces arbres touffus tamisent finement la lumière, comme ces coteaux en pente encadrent bien l'eau courante qui baigne leurs pieds; comme on se sent pénétré, et pour ainsi dire, doucement enivré de campagne, à l'aspect de ce petit tableau, d'une harmonie si vraie et si profonde! C'est que M. Corot porte allègrement le poids de sa verte vieillesse: sa main n'a pas plus faibli que son amour de la nature, et nous ne pouvions mieux couronner cette courte revue du paysage contemporain qu'en prononçant le nom de son maître vénéré.
Khiwa, paraît-il, a succombé, et le khan est, dit-on, en fuite. Si les Russes sont entrés dans cette ville, ce n'aura été qu'après avoir surmonté les plus grandes difficultés, éprouvé les rigueurs d'un froid tel que les habitants disent n'en avoir pas ressenti de pareil depuis cent ans, et les atteintes d'une chaleur dévorante. Nous n'avons pas à nous occuper ici de la marche des colonnes russes, dont nous parlons ailleurs; nous voulons seulement donner quelques explications sur les divers croquis qui composent la page que nous publions dans ce numéro.
Le dessin central représente l'entrée des Russes à Samarkande, la seconde ville de la Boukharie. Cette place est bâtie sur le mont Kobak, près du Sogd ou Zer Afchan, à cinquante lieues de Boukhara. Elle est à moitié ruinée. Parmi ses monuments, le plus curieux, sans contredit, est le tombeau en jaspe de Tamerlan, qui avait fait de Samarkande la capitale des Tartares et l'une des plus belles et des plus riches villes d'Asie.
Les croquis qui entourent ce dessin sont des types d'officiers russes, tenue de l'armée du Caucase, de Cosaques, d'hommes et de femmes du Turkestan, Turcomans, Boukhariens, Khiwiens, peuples aussi avares qu'avides, qui vivent plus encore de pillage que du commerce qu'ils font par caravanes avec l'Afghanistan, la Perse, Astrakan et Orenbourg. Le croquis que l'on voit au bas de la page, à côté du camp des Khiwiens et qui porte pour légende: «Tant par tête,» rappelle une coutume barbare des guerriers des divers khanats du Turkestan. Ils coupent pendant et après le combat le plus de têtes qu'ils peuvent, et, après les avoir enveloppées, ils les rapportent à la ville, suspendues à la selle de leurs montures. Ils ont à cela un intérêt autre que celui du Peau-Rouge, qui suspend dans son wigwam les chevelures qu'il a scalpées sur le crâne de son ennemi. Pour celui-ci, c'est un trophée; pour l'autre c'est une marchandise, que le gouvernement du khanat paye, non en argent, mais en vêtements. Ces vêtements sont plus ou moins luxueux, suivant le prix, c'est-à-dire suivant le nombre des têtes. Il y a des vêtements de deux têtes, c'est misérable; mais de huit ou dix têtes, à la bonne heure! C'est affaire aux élégants.
Les deux croquis qui se trouvent en haut de la page, à droite et à gauche, et celui qui en occupe le bas, au milieu, représentent divers campements. Les deux premiers sont des campements russes, l'un sur la frontière de Chan-Diert-Kul, l'autre près du fort Emba. Les tentes du premier sont des tentes russes fort insuffisantes contre les rigueurs de la température; celles du second sont des espèces de huttes en boue, présentant un meilleur abri. Mais les unes et les autres ne sont pas à comparer à celles des Khiwiens, que les Russes ont, dit-on, fini par adopter. Ces tentes se composent d'un fort tissu tendu sur une charpente en bois. Suivant un voyageur hongrois qui, déguisé en derviche, a parcouru tout le Turkestan, ces tentes sont tout à fait confortables, fraîches en été, chaudes en hiver, et elles peuvent lutter victorieusement contre les rafales qui, de temps à autre, passent en hurlant à travers les steppes.
L. C.
AU DIRECTEUR
«Enfin, cher monsieur et ami, je puis donc vous écrire sans craindre que la maison ne nous tombe sur le dos, de Santa-Tecla, où nous sommes provisoirement installés.
«Comme cette ville assez importante n'est qu'à trois lieues de la capitale, du côté du port, et qu'elle a peu souffert, la plus grande partie des négociants et de la population aisée de San-Salvador s'y est réfugiée, d'aucuns se sont sauvés jusqu'à Sonsonate, San-Miguel, etc. Dieu sait où.
«Pressé par le temps, sans abri et fatigué par de longues nuits d'insomnies à surveiller, le révolver au poing, les ruines de notre magasin, je n'ai pu vous donner de détails sur les événements qui ont suivi la catastrophe, les dégâts occasionnés et enfin sur l'avenir de cette capitale écroulée mais non anéantie; je reprends donc:
«Au premier moment de terreur succéda un abattement profond, une prostration complète, l'œil se promenait hébété sur cette immense ruine, l'imagination engourdie se refusait à croire à la réalité d'un atroce cauchemar.
«Il fallut bien cependant se rendre à l'évidence, mais que faire? Rester au milieu de ces pans de mur menaçant de nous écraser à la première secousse, au premier souffle de veut, c'était s'exposer à un danger certain; se sauver de la ville c'était l'abandonner au pillage, et puis où aller? Argent, effets, provisions, étaient enfouis sous les décombres; nous ignorions d'abord le sort des villes voisines. Ce fut un terrible moment à passer, et les horreurs du tremblement de terre ne sont rien auprès du désespoir, de l'anxiété et des souffrances morales qui s'ensuivirent et nous accablèrent pendant plusieurs jours, que, dis-je? plusieurs siècles.
«Heureusement qu'il se trouva à la tête du gouvernement une volonté énergique qui fut à la hauteur de sa tâche.
«Sous sa fiévreuse impulsion, les blessés sont vite secourus, les prisonniers mis en lieu sûr, les rues sont occupées militairement, l'ordre est établi, les esprits se rassurent et les méfaits sont réprimés sans pitié ni merci.
Le jour, tout individu nanti d'objets dont il ne peut prouver la provenance est fusillé sur-le-champ; la nuit, la circulation est interdite, les sentinelles font feu sur les rôdeurs, et nous-mêmes, embusqués à l'une des encoignures du parc, nous montions la garde à tour de rôle, les yeux fixés sur le Bazar. Plusieurs jours se passèrent ainsi, logeant en plein vent, sous une chaleur torride, vivant de conserves en boites; il fallut prendre enfin une décision. Après avoir, au risque de nous faire ensevelir à chaque instant sous la toiture chancelante, déterré nos marchandises, nous les fîmes charger sur des charrettes et conduire à Santa-Tecla. Inutile de vous dire que le charroi en a été suffisamment coûteux. Je vous envoie par ce courrier quelques vues que l'on vient de prendre, elles vous donneront une idée suffisante du désastre qui nous a frappés, et quand on pense que le fléau s'est étendu sur un quadrilatère de dix-huit lieues, renversant ou endommageant plus de vingt bourgades indiennes (pueblos), c'est affreux!
«Une mission d'ingénieurs a été organisée pour étudier et déterminer le phénomène qui s'est produit, son origine, sa marche et ses effets; je vous communiquerai le résultat de leurs recherches, car il s'est produit de ces faits qui surpassent l'imagination et dont il est presque impossible de se rendre compte. C'est ainsi qu'une énorme cloche s'est retournée et est restée la bouche en haut; les bancs du parc ont été transportés à une distance considérable, et ce qui est. le plus inexplicable c'est qu'une maison s'est complètement retournée, la toiture fichée en terre et les poutres qui la soutenaient avaient suivi ce mouvement de conversion, de sorte qu'elle ressemblait à un grand quadrupède mort sur le dos, les pattes roidies en l'air.
«A côté de ces détails navrants, je suis bien heureux de pouvoir vous citer l'empressement fraternel des villes qui n'avaient pas souffert à venir au secours de leurs voisines dans la détresse; un navire de guerre anglais, le Reindeer, capitaine Kennedy, qui se trouvait à la Union, se dirigea sur la Libertad, où il débarqua toutes les provisions dont il pouvait disposer; la ville de San Miguel nous envoya aussi un convoi de vivres; tous ces dons en nature ou en argent permirent d'amoindrir les privations et d'en conjurer les terribles conséquences. Après avoir paré au plus pressé, le président a songé à l'avenir, et avec cette force de caractère particulière au continent américain, il a décrété, le 21 mars, que la ville serait reconstruite sur le même emplacement, et a fait mettre immédiatement le décret en exécution. Déjà le toit du palais et du théâtre sont remis en place, les lignes télégraphiques sont relevées, le service divin assuré, les soldats ont déjà un abri ainsi que leurs munitions, l'eau va circuler, en un mot les services publics vont reprendre leur cours ordinaire. Quant à la population, encore un peu sous l'empire des dernières impressions, elle est bien divisée à droite et à gauche.
«On a accordé toutes espèces d'immunités pour l'entrée et le transport des matériaux de construction; on fait venir des maisons de bois de Californie; seront-elles suffisantes, résisteront-elles aux pluies, à la chaleur? c'est ce que l'expérience va nous apprendre. Quant à nous, étrangers, qui jouissons ici de l'hospitalité la plus large et la plus libérale, nous ne pouvons que souhaiter succès aux efforts du brave maréchal Gonzalez.»
Théâtre-Français.--L'Été de la Saint-Martin. Comédie en un acte de MM. H. Meilhac et L. Halévy.
Était-ce bien là le titre qu'il fallait? Quant à moi, j'en aurais préféré un autre; par exemple, la Nièce d'Amérique, ou quelque chose d'approchant. Mais au fond, peu importe l'étiquette qu'on met sur le flacon; voyons ce qu'est la liqueur servie.
Un vieux bonhomme d'oncle a quitté Paris. Il s'est retiré dans la calme et verte Touraine, en compagnie d'une servante plus que mûre, passant son temps à maugréer contre un coquin de neveu auquel il jure de ne jamais pardonner ses méfaits. Au moment même où le vieillard lui avait arrangé un mariage, l'éventé ne s'est-il pas avisé de prendre une femme autre que celle qu'on lui destinait? Celle-là même est la fille d'un tapissier! Le seul fait d'une telle mésalliance met le vieillard dans une fureur qui ne sait pas finir. Sur ces entrefaites arrive tout à coup une étrangère. Pour le barbon, c'est la fille de sa propre gouvernante. Pour le public, qui ne tarde pas à voir clair dans l'agencement d'un quiproquo pas assez ménagé, c'est la fille du tapissier elle-même, c'est la jeune femme rejetée.
En très-peu d'instants la belle personne parvient à faire dans le cottage la pluie et le beau temps. On en fait la dame de compagnie du bonhomme. Elle le charme par son caquetage. Avant tout, elle s'entend à le captiver en lui faisant la lecture des romans d'Alexandre Dumas, notamment celle des Trois Mousquetaires, «D'Artagnan, resté seul avec Mme Bonassieux...» Jugez tout ce qu'il peut y avoir de séduction dans le jeu de l'inconnue, quand vous saurez qu'elle n'est autre que Mlle Croizette, cent fois plus gracieuse, mille fois plus jolie que nous l'a montrée M. Carolus Duran, dans son portrait équestre du dernier Salon.
Il ne faut donc pas longtemps pour que la nouvelle venue soit l'âme de la maison. Un matin, le bonhomme déclare net qu'il ne saurait plus vivre sans elle. A son insu, il est tombé sous le charme qu'elle porte en elle. De quelle façon l'aime-t-il? Croyez bien qu'il ne cherche même pas à se rendre compte de la nature du sentiment; il éprouve pour elle une tendresse invincible, et c'est tout. S'il avait à lui faire un reproche, ce serait de la voir plaider tour à tour en faveur de son neveu et de cette fille de tapissier qu'il n'a pas rougi d'épouser. En dehors de ce travers, il trouve que c'est une perfection. Mais quant à ceux qu'elle défend, quant à l'autre couple, il renouvelle son serment d'Annibal. Jamais, au grand jamais il ne pardonnera.
Voilà que, comme à point nommé, le neveu proscrit se fait annoncer.--Je ne le recevrai pas.--La belle personne demande grâce pour lui.--Eh bien, je ne le recevrai que si vous dites que vous le voulez.
--Je le veux, répond-elle.--Le neveu entre donc, et vous devinez déjà les trois ou quatre scènes qui vont pousser au dénouement.--Retournez, monsieur, avec votre tapissière. Je ne la verrai de ma vie.
--Le cher oncle apprend alors que cette maudite est sous ses yeux depuis quinze jours et qu'il ne jure que par elle. Vous comprenez qu'il finit par tout pardonner et que le rideau tombe sur la scène devant laquelle il s'était levé: La reprise de la lecture des Trois mousquetaires.
En passant, notons un mouvement, le plus scénique et le mieux traité de la pièce, celui où l'on annonce que l'étrangère, venue d'Amérique, va y retourner, appelée par un engagement antérieur. Ici le vieillard, qui la croit libre, s'emporte dans un accès de lyrisme juvénile. Qu'a-t-il donc? Qu'éprouve-t-il? C'est le soleil de la Saint-Martin. Il aime. «Rassurez-vous,» lui dit-on, ça réchauffe, mais ça ne brûle pas.»
Telle est la pièce. Est-ce une comédie? Je dirais plutôt que c'est un proverbe, et un proverbe qui n'est pas sans défauts. La trame de l'intrigue n'est qu'une toile d'araignée; le quiproquo, trop vite deviné, traîne en longueur. D'ailleurs le tout n'est pas sans quelque ressemblance avec une bluette de M. Scribe intitulée: Haine aux femmes; mais tel qu'il est, l'ouvrage fourmille de détails agréables. Tout y est de bon goût; l'esprit y abonde, la gaieté aussi. Ce qu'il faut dire par-dessus tout, c'est que c'est joué avec une rondeur et un bon ton merveilleux, surtout par Thiron et par Mlle Croizette, fort applaudis d'un bout à d'autre, et à bon droit.
Philibert Auderrand.
CHOIX DE PAYSAGES
(Pour la description des sujets, voy.
l'article, page 6.)
SECOND ARTICLE (1)
Et d'abord complétons les indications données par notre premier article sur l'élection des divers jurys du Salon de 1873.
Quatre cent soixante quinze artistes français, antérieurement récompensés avaient envoyé, une œuvre à tout le moins, au palais des Champs-Élysées, avant le 26 mars dernier. Ils se trouvaient, par suite, électeurs de fait. Or la moitié d'entre eux s'est abstenue de prendre part au scrutin.
Voici, du reste, pour chacune des quatre sections déterminées par le règlement, des chiffrer authentiques.
Il en est, on le voit, de même en art qu'en politique. Beaucoup se fâchent du résultat d'une élection, à qui il aurait suffi, pour en changer le caractère, d'exercer leur droit de vote.
Disons tout de suite que sur ces 475 électeurs, cinquante seulement auraient pu, ultérieurement, faire acte de présence à l'exposition dite des Refusés; soit 42 peintres, 5 sculpteurs, 2 architectes, et 1 graveur.
*
* *
Maintenant résumons les opérations des jurys ainsi élus; opérations sur lesquelles, s'il a été beaucoup épilogué, il n'a été jusqu'à présent fourni aucune donnée précise.
Il convient de constater que sur le total des artistes déposants, il s'en est trouvé deux cent quatre-vingt-neuf qui, de deux ouvrages présentés, ont eu l'un refusé, l'autre admis.--Étant tenu compte de ce détail, on trouve qu'il a été envoyé à l'examen des jurés:
1re Sect... 4150 tableaux par 2771 artistes 2e Sect... 556 sujets -- 409 - 3e Sect... 65 ouvrages -- 58 - 4e Sect... 255 cadres -- 186 - Soit.. 5026 envois par 3424 artistes
dont un sixième environ fait partie du sexe auquel nous devons Mlle Nélie Jacquemart.
Le rapport des admis aux refusés a donc été, pour les artistes, de 45,61 %, et, pour les œuvres, de 42,62 %.
Cela dit, revenons au Catalogue officiel.
Ses indiscrétions nous permettront d'établir d'abord, quant aux lieux de naissance des 1502 exposants qu'il comporte, l'état sommaire ci-dessous:
I. Paris 354; Province: 579; Etranger: 133 II. -- 95 -- 196 -- 21 III. -- 20 -- 19 -- 2 IV. -- 60 -- 71 -- 12 Totaux. 529 865 168
(1) Voyez notre numéro du 3 mai dernier.
(2) Ces nouveaux chiffres rectifient les quelques erreurs--sans importance du reste--qui se sont glissées dans notre premier article.--J. D.
Ainsi se trouve corroborée notre observation de l'an dernier:--Paris engendre, à lui tout seul, les deux cinquièmes des artistes français, y compris les originaires de l'Alsace-Lorraine dont nous n'avons pas encore eu le courage de démembrer la France artiste.
Autre remarque:--En ne considérant que les admis, la proportion du «sexe faible» au «sexe fort» s'abaisse à 11%.
*
* *
Le total des artistes hors concours,--c'est-à-dire n'ayant plus droit à aucune autre des récompenses décernées par le jury, que la médaille d'honneur,--est, au livret de 1878, réparti comme suit:
Section I. Exposants: 150; Œuvres 243 -- II -- 55 -- 89 -- III. -- 6 -- 6 -- IV. -- 17 -- 27 Ensemble: Exposants: 228 Œuvres 365
Soit:--Étrangers: 12; 21 œuvres.--Provinciaux: 131; 213 œuvres.--Parisiens: 85; 131 œuvres.
Notez qu'il n'y a, parmi les artistes hors concours, que deux femmes: elles sont de Paris toutes deux.
*
* *
Veut-on se rendre compte de l'importance numérique du Salon de 1873, par groupements de genres? Il suffira de jeter un coup d'œil sur la rapide nomenclature que voici;
PREMIÈRE ET DEUXIÈME SECTIONS.
Les portraits ont sévi avec plus d'intensité encore que l'an dernier. La peinture en comptait 285, et la sculpture 241. Soit en tout: cinq cent vingt-six, dont 266 masculins et 260 féminins.
Si bien que, dans cette course de vanité, l'homme a distancé la femme de six longueurs de tête!
Moins nombreux que les portraits pris isolément étaient les Paysages, Marines et Animaux pris en bloc:--ce groupement ne comprenait, en effet, que cinq cent dix ouvrages.
Les épisodes d'histoire, profane ou sacrée; la Mythologie, l'Allégorie et l'Archéologie ont fourni deux cent trente-six sujets.
Parmi lesquels l'œil le plus exercé n'eut pu découvrir un uniforme militaire quelconque que dans trente-quatre œuvres. Tant la minute présente est peu aux enthousiasmes guerriers!
Nous avons compté cent trente-deux Natures mortes, ainsi subdivisées:--fleurs, fruits, légumes; 90; gibier, poisson, volaille: 22; ustensiles, vases et bibelots: 20.
Ajoutons à celte catégorie quatorze Intérieurs sans figures.
La Littérature dramatique, le Roman, la Légende, et la Fable ont servi de texte ou de prétexte à une vingtaine d'interprétations artistiques.
Les Scènes de la Vie privée ou publique, et les Études antiques et modernes qui ne sauraient être rangées dans aucune des catégories ci-dessus, formaient un ensemble de quatre cent trente-deux ouvrages.
Reste les filles d'Ève représentées par la peinture dans le costume de leur mère avant la pomme. Nous les avons systématiquement écartées des classifications précédentes, où la plupart auraient pu trouver place,--comme leurs sœurs de la statuaire,--pour leur réserver une mention spéciale.
En somme, assises, couchées ou debout; endormies, souriantes ou grimaçantes; blanches, roses, grises ou vertes; en groupes ou isolées, c'est à peine s'il leur a suffi de quarante toiles, grande largeur, pour épuiser la série de leurs provocations ondoyantes et diverses!
TROISIÈME SECTION.
Quant à l'exposition d'architecture, on ne peut guère en subdiviser l'ensemble autrement que comme suit:
Églises et temples: 12 œuvres.--Monuments funèbres: 7.--Hôtel de Ville de Paris: 4, et mairies 2.--Palais et châteaux: 5. Établissements privés: 5.--Halles, caserne, hospice, bourse: 4.--Écoles: 2.--Théâtre: 1--Divers: 1.--Ensemble; 13 œuvres.
QUATRIÈME SECTION.
Les cent quatre-vingt-neuf cadres formant la section de gravure et lithographie échappent, par le nombre et la diversité des épreuves collées sous un même verre, à tout groupement particulier.
Contentons-nous donc de les ajouter en bloc à tous les chiffres précédents, pour parfaire le total des 2142 numéros inscrits au Catalogue.
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Nous en avons fini avec les principales combinaisons numériques auxquelles se prêtaient les artistes exposants et les œuvres exposées. Voyons maintenant quels ont été les résultats matériels du Salon de 1873.
Ouvert le 5 mai dernier, il a été fermé provisoirement, pour travaux intérieurs, les mardi, mercredi et jeudi, 3, 4 et 5 juin, puis clos définitivement le 25 du même mois. Soit quarante-neuf jours d'exposition effective; dont six jeudis et sept dimanches, c'est-à-dire treize jours d'entrée gratuite. Reste trente-six jours pendant lesquels il a été perçu un franc par visiteur.
De ce chef, le produit total a été de 154 796 fr.
Soit une moyenne de 4300 visiteurs par jour.
D'un autre côté, la vente du Catalogue, à raison de un franc l'exemplaire, a fourni une somme de 43,344 fr.
Soit une moyenne de 884 fr. 57 c. par jour. A ces chiffres enfin, il convient d'ajouter le prix de location du buffet, 6,000 fr.
Et l'on obtient un total de recette de 204,140 fr.
Mais, de ce total, il faut retrancher, suivant les usages établis, le montant des entrées perçues, pendant les cinq jours d'exposition horticole, au seul profit de cette dernière entreprise, soit.................. .... 24,266 fr.
Reste 179,874 fr.
En estimant, avec quelque raison, ce semble, les frais d'organisation et les dépenses du Catalogue à une somme de. 145,000 fr. on arrive à conclure que cette affaire se solde, pour l'administration, par un boni approximatif de................................. 34,874 fr.
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Le nombre total des visiteurs ayant passé aux tourniquets, pendant les treize jours d'entrée gratuite, s'est élevé à.................. 280,259
Soit une moyenne de 21,558 par jour gratuit.
Non compris les porteurs de cartes de faveur, bien entendu, dont le nombre, n'étant soumis d'ailleurs à aucun moyen de contrôle, ne peut figurer ici que pour................. mémoire.
Si l'on ajoute, au chiffre ci-dessus, le public payant, ci 154,796 on trouve que le total général des visiteurs du Salon de 1873 a atteint un minimum de 435,055.
Ce qui permet d'évaluer la vente du Catalogue à UN EXEMPLAIRE par CHAQUE DIZAINE de visiteurs.
Jules Dementhe.
Le 15 juin dernier, le Great-Eastern quittait le port de Valentia, point extrême de l'Irlande, ayant à sa suite une escadrille de puissants steamers qui, s'ils n'eussent fait partie du cortège du roi des mers, auraient excité l'admiration des spectateurs. Douze jours après, le navire géant moins entouré, car son escorte semblait avoir été éparpillée par la tempête dont elle portait encore les traces, jetait l'ancre en vue de l'île de Terre-Neuve au bruit des applaudissements de l'équipage.
Nuit et jour, pendant toute la durée de la traversée, on avait entendu un bruit de poulies et de chaînes sortir de l'arrière du steamer, dominer la voix de ses machines et même le grondement des orages.
Dès que le profil de la plus orientale des terres américaines se détache vers l'Occident, ce bruit cesse comme par enchantement, les roues et l'hélice même s'arrêtent comme soudainement paralysées; elles ne font plus que quelques tours nécessaires aux manœuvres. Un puissant jet de vapeur sort de toutes les chaudières; alors on descend lentement, majestueusement du haut du pont immense une de ces prodigieuses bouées en fer qui ressemblent à des phares. Bientôt elle est fixée au fond de l'Océan qui n'a que quelques centaines de mètres de profondeur, à l'aide d'une ancre formidable reliée par une chaîne que les Cyclopes du vieux Vulcain n'auraient pu forger dans les cavernes de Polyphème.
En s'éloignant des mers européennes, le navire géant laissait sur les vagues un sillage d'une longueur peu ordinaire; il était, en effet, continué par une immense chaînette pendant gracieusement à l'arriére et s'approchant par degrés insensibles de l'Océan, où elle ne disparaissait qu'à un grand nombre d'encâblures de distance. Tantôt le point où ce fil se soudait avec les vagues s'approchait du Great-Eastern, qui fuyait vers l'Occident avec une vitesse moindre que son allure ordinaire, mais encore supérieure à celle du commun des navires. Tantôt cette boucle inclinée semblait au contraire s'écarter et se tendre comme si elle avait rencontrée quelque résistance imprévue dans le fond des Océans, comme si les dieux inconnus de l'abîme cherchaient à s'y accrocher, pour arrêter le mouvement du vapeur immense.
Mais ces oscillations semblaient prévues, car le Great-Eastern modifiait son allure. On eut dit un cavalier qui, tout en courant, rend de la bride et donne de l'éperon à son cheval quand il se ralentit, ou qui tempère son ardeur en serrant fortement sur les rênes. Sans point d'arrêt, sans lacune, le navire glissait vers le couchant et le câble sortant de ses cales se précipitait dans la mer avec une vitesse de trois à quatre mètres par seconde.
Lorsque la bouée fut fixée dans le fond de la mer et que le câble y fut attaché, l'Europe et l'Amérique étaient virtuellement réunies par un quatrième câble. Car il suffisait pour terminer l'opération de réunir le câble des mers profondes à celui du rivage. C'était l'œuvre d'un des navires de l'escadrille. Le Great-Eastern avait terminé sa tâche.
Jamais expédition télégraphique n'eut lieu avec une régularité aussi merveilleuse. Trois tempêtes n'eurent pas la force de l'interrompre ni même de la ralentir. Car les hésitations apparentes du navire ne tenaient qu'aux dépressions souvent brusques, et aux redressements quelquefois abruptes du fond de la nier.
La pose du nouveau câble, opération considérée il y a six ans à peine comme excessivement scabreuse, il y a dix ans comme presque impassible, il y a vingt ans comme chimérique, s'exécute aujourd'hui comme la plus vulgaire des opérations en usage dans nos grandes manufactures. On ne fait point passer plus facilement à la filière les sept fils de cuivre qui forment l'âme du câble, qu'on dépose le câble lui-même au fond des gouffres océaniques, dans lesquels disparaîtrait le mont Blanc lui-même, comme l'araignée vagabonde laisse son fil sur les vertes prairies d'Angleterre.
Un ouragan du sud-ouest agitait inutilement la gigantesque chaînette au moment décisif qui allait clore cette nouvelle campagne. Le Great-Eastern fixait la bouée-débarcadère en vue de Terre-Neuve, et l'Océan vaincu d'une façon définitive, à force de soin, d'argent, de science et de patience, agitait inutilement sa houle impuissante.
D'autres rêves d'aujourd'hui deviendront la réalité de demain, à condition qu'on emploie pour amener le succès les procédés qui ont assuré à l'industrie moderne une si brillante victoire, si brillante en effet qu'elle ne surprend personne, excepté ceux qui sont capables d'apprécier les difficultés d'une entreprise demandant soixante millions de matériel.
La flottille qui a quitté Valentia presque incognito, représentait une valeur supérieure à celle de la plus riche flotte de galions que l'Amérique ait jamais envoyée à Cadix. Le shah de Perse, quand bien même il vendrait tous les diamants qui constellent ses écrins, ne pourrait recueillir assez de livres sterlings pour s'en rendre acquéreur. On n'échangerait pas le Great-Eastern, vainqueur des Océans, pour la mer de lumière.
W. de Fonvielle.
(Suite)
Encore toute troublée, Sacha se dirigeait vers un fauteuil, lorsqu'elle aperçut sur une table un objet qui jetait des feux scintillants; elle y porta la main et reconnut dans cet objet la bague qu'elle avait remarquée au doigt du proscrit.
Elle la prit, la considéra curieusement, s'assit et demeura si longtemps absorbée dans sa rêverie que le jour commençait à poindre quand elle songea qu'il était temps de gagner son lit.
Pendant que sa maison était le théâtre de cet étrange incident, Nicolas Makovlof dans son drowski suivait la route de Kalouga. Il arrivait trois jours après au domaine de son seigneur, laissait sa voiture dans le village, et sa valise sous le bras il courait au château, et glissait un papier de dix roubles dans la main du bailli, expédient, infaillible pour obtenir du maître qu'il voulut bien recevoir son ancien mougik.
En effet l'audience ne se fit pas attendre: vingt minutes ne s'étaient pas écoulées que le serf était introduit dans le petit salon, où il trouvait le vieux Laptioukine couché sur un divan, à moitié enseveli sous une montagne de coussins et enveloppé de schals de Perse qui le couvraient de la tête aux pieds.
Ce spectacle lui permettait d'apprécier à leur valeur les vanités des gloires d'ici-bas. Une tête chenue, une face parcheminée, tannée, couturée, ridée comme une pomme qui sort du four, voilà tout ce qui restait du brillant gentilhomme dont avaient rêvé les belles de vingt lieues aux alentours. L'œil seul avait conservé quelque chose de sa vivacité et de son éclat juvéniles, il flamboyait sous ses sourcils buissonneux lorsque l'ancien bottier s'inclina profondément devant son seigneur.
--Eh! c'est Nicolas, s'écria le comte en donnant une expression joyeuse à sa voix chevrotante et cassée, c'est Nicolas, fils de Pierre, je remercie Michel Archange qui t'a conduit sur le domaine, Nicolas! Ta présence m'a tout ragaillardi, elle me ramène d'une vingtaine d'années en arrière, au beau temps où tu fabriquais pour moi de si adorables chaussures.
La direction que prenaient les souvenirs du comte ne plaisait guère à Nicolas; aussi se permit-il de l'interrompre avec le geste et l'accent de la modestie aux abois.
--Père, s'écria-t-il, il y a longtemps que je l'appelais de tous mes vœux, ce jour où il m'est enfin donné de poser mes lèvres sur la main du maître de ma race.
--Bon Nicolas! Ta reconnaissance me touche jusqu'aux larmes. Voyons, tu dois être fatigué de la route; as-tu été te rafraîchir à l'office? Mais j'y pense, l'hydromel n'est pas la boisson des riches marchands de la ville sainte; il se vide chez eux plus de vin de France que dans nos pauvres demeures. Je vais en faire monter une, pour fêter ta bienvenue, et je trinquerai avec toi. Hélas! du bout des lèvres, car la goutte, moins volage que tu ne l'as été, n'a point quitté mes pauvres jambes depuis que tu as abandonné à d'autres le soin de les chausser.
Le mari d'Alexandra flottait entre la crainte et l'espérance. Tracassé par les importunes réminiscences du vieillard, tranquillisé par la cordiale bonhomie avec laquelle il les traduisait, il accepta avec gratitude l'honneur insigne que daignait lui faire son seigneur, et vida coup sur coup plusieurs verres de champagne qui ne contribuèrent pas peu à lui rendre son aplomb.
--Sais-tu, reprit le comte, qu'il est beau à toi de ne pas m'avoir oublié dans ta prospérité et d'avoir entrepris ce long voyage pour visiter ton vieux maître dans sa retraite, car ce n'est que pour cela que tu es venu, n'est-ce pas?
--Oh! certainement, seigneur, balbutia Nicolas; pour vous revoir d'abord et ensuite...
--Ensuite pour autre chose, dit le comte, en achevant la phrase que le serf avait laissée en suspens. Eh bien! puisque nous avons bu à ton retour au domaine, passons maintenant aux articles secondaires.
--Comme le seigneur ne l'ignore pas, répondit Nicolas après avoir toussé pour éclaircir sa voix un peu rebelle, j'ai vaillamment travaillé et mon saint patron ayant béni mes efforts, je suis parvenu à réunir quelques roubles. Mais il n'a pas été donné à l'homme d'être satisfait ici-bas. Celui qui trouve un kopeck à ses pieds fait une verste pour ramasser un brin de paille. Ainsi de moi; je voudrais agrandir le cercle de mes affaires en trafiquant avec l'étranger; mais, pour y parvenir, il faudrait voyager et...
--Eh bien? s'écria le comte Laptioukine de l'air le plus naturel du inonde, ton idée est excellente; et pourquoi ne voyagerais-tu pas?
Un soupir d'allégement souleva la poitrine du marchand.
--C'est que... c'est que... murmura-t-il, le seigneur aura probablement oublié que je suis resté serf et que je lui paye l'obrosk en cette qualité.
--Pas du tout. Mais qui peut s'opposer à ce que de serf que tu es je fasse de toi un homme libre, lequel aurait le droit d'ouvrir son aile à tous les vents et de promener sa fantaisie aux quatre coins du monde?.
Nicolas poussa une exclamation de joie, se jeta aux pieds de son maître, lui prit la main et la baisa avec transport.
--Oh! disait le pauvre marchand, que Dieu vous récompense dans ce monde et dans l'autre, gracieux seigneur! Je vais lui demander tous les jours qu'il vous réserve la meilleure place de son paradis. Pardonnez-moi si je ne vous exprime pas mieux ce que je ressens, mais je succombe à mon émotion.
--Peste! s'écria le comte avec un accent légèrement railleur, il paraît que le goût des voyages vous tenait furieusement au cœur, maître Nicolas! Eh bien, voyons, que comptez-vous m'offrir en échange de votre liberté?
Lorsqu'il avait quitté Moskow, le serf était décidé à sacrifier s'il le fallait sa fortune pour donner satisfaction à sa bien-aimée Alexandra; mais il n'entendait pas moins disputer écu par écu le prix de son rachat, comme l'exigeaient ses antécédents de commerçant.
--Maître, dit-il, avant de quitter Moskow, j'ai mis vingt mille roubles dans ce sac; c'est peut-être la moitié de ce que je possède; mais je ne saurais regretter d'avoir partagé mon bien avec le généreux seigneur qui de son esclave aura fait un homme.
Le comte Laptioukine haussa les épaules et plissa les lèvres d'un aie dédaigneux.
--Mais, se hâta de reprendre Nicolas, si le seigneur pense qu'il est juste que la totalité lui appartienne, je lui abandonnerai les quarante mille roubles, en ne gardant pour moi que la protection du bienheureux saint Nicolas qui ne me délaissera pas dans mon indigence.
--Tu m'as bien mal compris, Nicolas, reprit le comte; si j'avais envie de roubles, je ne t'en aurais pas demandé vingt mille. Mais tu le vois, mon garçon, je suis arrivé à cette période de l'existence où le plus ou moins grand nombre de roubles que l'on possède commence à devenir furieusement indifférent. J'ai rêvé que tu ferais mieux pour moi, que je te devrais une dernière joie qui adoucirait quelque peu les regrets du passé, qui paraissent, si amers lorsqu'on touche à la fin.
Nicolas était pâle et haletant.
G. de Cherville.
(La suite prochainement.)
Le palais du Gouvernement avant le tremblement de terre.
Maison du Ministre américain
Le Consulat français.
Le Collège militaire.
Le bazar du Progrès.
La Maison haute.
Nous voulons profiter de l'excellente carte du Turkestan publiée dans un précédent numéro (3) de l'Illustration, pour donner un historique succinct des conquêtes des Russes dans ces contrées encore peu connues.
(3) Voy. l'Illustration du 21 mai.
Le Turkestan est le berceau de la race turque, qui se subdivise en un grand nombre de branches. Celle qui domine dans l'Asie centrale est la branche des Usbeks, à laquelle appartiennent tous 1er khans, les hauts fonctionnaires et les habitants riches des villes; les nomades se composent de bandes kirghiz et turcomanes; les esclaves sont en général d'origine perse. On divise encore les habitants de l'Asie centrale en deux grandes races, les Iraniens et les Touraniens. Les Persans, sédentaires et industrieux, sont Iraniens; les Turkestans, nomades et pillards, sont Touraniens. Il est facile de voir que ces groupements ne donnent pas une idée très-nette de la composition de ces peuples qui, en résumé, forment une mosaïque de races sous la domination des Usbeks.
La première expédition des Russes contre le Turkestan remonte au XVIe siècle, et fut dirigée, en 1585, par Netchaï, hetman des cosaques de l'Oural. Les Russes furent défaits par les Khiuriens et obligés de battre en retraite.
Le projet fut repris en 1715 par Pierre le Grand, qui lança contre Khiwa le prince Tchakesse Bekeurtch, qu'il avait converti au christianisme, fait élevé avec beaucoup de soin et nommé officier dans la garde impériale. La colonne partit du fort d'Alexandrowsk, situé près de la presqu'île de Margichlak, et fut entièrement détruite à une trentaine de lieues de Khiwa par les hordes turcomanes, kirghiz et usbeks.
Après ces insuccès, la Russie ajourna ses projets de conquête et se contenta d'occuper quelques points de la rive orientale de la Caspienne, et de soumettre à sa domination les tribus kirghiz établies entre le Wolga et l'Oural.
Dans les derniers mois de 1839, le général Perowski partit d'Orembourg avec 10,000 hommes pour conquérir Khiwa et les contrées comprises entre la Caspienne et l'Aral. La colonne russe ne put aller à plus de cinquante lieues au delà du fort d'Embinsk; assaillie par des tourmentes de neige, elle dut rebrousser chemin après avoir éprouvé des pertes énormes.
De même que les Français en Algérie, les Russes ne manquaient pas de prétextes pour reprendre les hostilités à la première occasion. Leurs caravanes de marchands étaient souvent pillées et les rives de l'Oural insultées par les hordes nomades aussi insoumises et indisciplinées que celles de nos frontières du Maroc. L'ordre d'avancer fut donné, en 1846, par l'empereur Nicolas, mais cette fois, au lieu de s'engager aveuglément dans les déserts situés à l'ouest de la mer d'Aral, les généraux russes d'Orenbourg se dirigèrent plus à l'Est de façon à gagner cette mer intérieure et le Syr-Daria. On procéda méthodiquement et des forts solides, protégèrent les lignes de communication; trois bâtiments à voiles, deux vapeurs en fer furent expédiés à grands frais dans la mer d'Aral. En 1853, les Russes, solidement établis sur le bas Syr-Daria, entre les forts d'Aralsk et le fort n° 2, résolurent de frapper un grand coup contre le khanat de Khokand. Une colonne commandée par le même général Perowski s'avança de cent lieues en remontant le Syr-Daria et se rendit maîtresse de la forteresse d'Ak-Mesdjed, à laquelle ils donnèrent le nom de leur général en chef, Perowski, en y laissant une garnison de 1000 hommes.
Au mois de décembre de la même année 1853, les Kokandiens, au nombre de 15000 hommes, avec 70 canons, essayèrent de reprendre la forteresse et furent repoussés avec des pertes sérieuses. Les soulèvements des Kirghiz, qui gênaient les communications entre l'Oural et le Syr-Daria, arrêtèrent pendant plusieurs années les progrès des Russes au Sud; cependant ceux-ci purent s'étendre à plusieurs centaines de lieues vers l'Est, sur les confins de la Tartarie chinoise. A la même époque, la guerre de Crimée obligea l'empereur Nicolas à suspendre les expéditions projetées dans l'Asie centrale.
L'émir de Bokhara, Mozaffar, personnage ambitieux et remuant, profita de l'affaiblissement de la Russie pour étendre sa domination sur le khanat de Khokand: sa position de chef de la religion dans le Turkestan lui permit d'atteindre son but.
Son triomphe, dont les journaux anglais et russes entretinrent longuement le public, fut de courte durée, car, en 1864, le général Tchernaïeff, successeur de Perowski, fut chargé de châtier les khans de Khokand et de Bokhara. A la tête d'une petite armée composée de six bataillons de ligne, quatorze régiments cosaques, trente canons et d'une batterie de fuséens, il s'empara successivement des importantes villes de Turkestan, de Tchemkent et, en mai 1855, il faisait son entrée dans Taschkent, grande et riche cité de 100,000 âmes. Un ukase de l'empereur Alexandre décréta territoires russes la province de Turkestan, qui devint désormais le gouvernement général du Turkestan en dépit des réclamations de l'Angleterre et contrairement à un manifeste du prince Gortschakoff. La nouvelle frontière moscovite allait jusqu'à Tachinas et suivait la ligne tracée sur la carte de l'Illustration, sauf le district de Kuldja et quelques autres districts à l'est de Samarkande, qui ne furent annexés qu'en 1870 et 1871.
L'émir Mozaffar, excité par le parti musulman, protesta contre l'ukase impérial et signifia aux Russes d'avoir à évacuer la riche province de Taschkent. Il eut même l'audace de faire emprisonner une mission de trois officiers dont le chef était le colonel Struwe. Pour toute réponse, le général Tchernaïeff sortit de Taschkent, le 30 janvier 1866, avec une colonne de 2,000 hommes, avec seize canons, et marcha droit sur Samarkande.
Ce mouvement mal préparé à travers une steppe dépourvue d'eau et de fourrages devait fatalement échouer. Arrivée à Djizak, la colonne russe se vit obligée de battre en retraite. Tchernaïeff disgracié dut remettre le commandement au général Romanowski dans des circonstances difficiles. Mozaffar, exalté par la retraite de l'ennemi, s'avançait sur Taschkent avec 5,000 soldats réguliers, 35,000 kirghiz et vingt-et-un canons.
Romanowski, qui n'avait que 2,800 hommes et vingt canons, marcha résolument à la rencontre des Bokares et leur livra bataille, le 20 mai 1866, dans la plaine d'Irdjar, à une dizaine de lieues au sud de Taschkent. Grâce à leur discipline, à leur artillerie rayée et à une bravoure remarquable, les Russes remportèrent une victoire complète. Mozaffar s'enfuit à tire d'aile jusqu'à Samarkande, tandis que son heureux adversaire, sans perdre un instant, s'emparait du fort de Naou et se présentait le 29 mai devant Khodjent, grande et belle ville de 60,000 âmes, située à l'intersection de cinq routes, le point le plus central des relations commerciales entre la Perse, l'Afghanistan, la Russie, l'Inde et la Chine. Le 5 juin, la ville était emportée d'assaut malgré la résistance désespérée des Khokandiens.
Le général Romanowski organisa avec un soin minutieux sa base d'opérations sur le Syr-Daria et marcha au sud aussitôt après les chaleurs. Le 5 octobre il assiégeait la forteresse d'Oratupa, qui succombait le 14. Déjà il avait atteint Djizak, à trois marches de Samarkande, lorsqu'il fut informé que l'émir s'était enfin décidé à remettre le colonel Struwe en liberté et implorait la paix aux conditions fixées par le vainqueur. Ce n'était qu'une feinte pour gagner du temps; Mozaffar avait bien relâché les prisonniers, tout en continuant ses préparatifs de guerre. Néanmoins, les Russes ne poussèrent pas plus loin, car, mis sur leurs gardes par l'échec du général Tchernaïeff, ils sentaient qu'il fallait ne s'engager qu'avec une extrême prudence dans un pays riche, peuplé et en proie au fanatisme musulman. Aussi, pendant toute l'année 1867, les hostilités se réduisirent-elles à quelques combats heureux aux environs de Yani-Kourgane, qui condamnèrent l'émir à s'enfermer dans Samarkande. Le gouvernement russe profita de l'abattement et de l'inaction de Mozaffar pour semer la discorde dans son camp et soulever contre lui ses principaux lieutenants, toujours enclins, comme tous les Asiatiques, à se rendre indépendants de leur suzerain.
Un ukase du 11 juillet 1867 décréta la division du Turkestan russe en deux gouvernements distincts placés sous la haute direction d'un gouverneur général. Ce poste important échut à l'aide-de-camp général Kaufmann, qui l'occupe encore aujourd'hui et dont la résidence est définitivement fixée à Taschkent, au milieu d'une contrée superbe, jouissant d'un climat tempéré et d'une extraordinaire fertilité.
Il nous reste à parler des événements accomplis de 1868 à 1873, et qui sont de beaucoup les plus intéressants.
A. Wachter.
(Suite.)
** Le juste-milieu consent à tout, hormis à s'en aller.
** C'est une charge que leur ordre public.
** Nouvelle prière à l'usage des propriétaires: Que Dieu soit loué ainsi que toutes nos boutiques...!
** En 1793, on avait honte de passer pour orléaniste: aujourd'hui encore, on s'avoue franchement républicain ou légitimiste. Mais les gens du juste-milieu ne sont partisans que de la tranquillité publique; tous reculent devant l'épithète d'orléaniste. Preuve de moralité!
** Une requête a été présentée pour que les de Broglie (dont le nom, d'origine piémontaise, est Broglio) prissent désormais le nom d'Imbroglio.
** Il y a trop de perruques dans la Chambre haute, il nous faut maintenant des pairs verts.
** Le gouvernement aliène les forêts de l'État;--nous savons bien de quel bois il se chauffe.
** Les plus incrédules croient toujours à la faim du monde.
** En démasquant partout C... le directeur,
Tu crois donc, pauvre sot, lui faire ôter sa place?
Au temps où nous vivons, c'est le mettre en faveur:
Dis-en beaucoup de bien, si tu veux qu'on le chasse!
** On désarme à force.--Qui donc? La garde nationale.
** Le juste-milieu a donné l'ordre de faire arrêter toute la France comme suspecte.
** Le baume que le juste-milieu promettait de verser sur la plaie des ouvriers lyonnais était du baume d'acier.
** M. Persil commence toutes ses lettres par ces mots: «Je saisis avec empressement...»
** Les républicains n'en veulent plus, les bonapartistes en veulent un autre, les royalistes n'en voudraient jamais...
Resté seul contre trois, que voudriez-vous qu'il fit?--Qu'il mourut.
** La France a beau rouler dans l'abîme; il y a toujours quelqu'un qui dit: fouette cocher.
** Pourquoi diable aussi n'avez-vous pas récusé les plus mauvais jurés?--Eh! mon ami, il aurait fallu les récuser tous.
** Le juste-milieu ayant résolu de faire quelque chose de nouveau, ne fit pas de bêtises.
** J'entends tous les jours dire; «la Francs fera ci, la France fera ça»; moi, je suis persuadé que la France ne peut rien faire de son chef.
** Je pose le trône; j'additionne la liste civile; je fais une soustraction de gloire, une multiplication de misère et une division nationale.
SALON DE 1873.--Sculpture.--Source de poésie, par M.
Guillaume.
Comme on l'écrivait ici la semaine dernière, M. Guillaume est un de ces artistes d'élite à qui la perfection de l'exécution ne ferait jamais oublier la nécessité de la pensée. Pour lui, nymphes et déesses doivent être plus que des créatures aux belles formes; la muse qu'il exposait au Salon sous le titre de Source de poésie en est une preuve nouvelle.
Majestueusement assise, la tête couronnée du laurier sacré, l'œil tourné vers les cimes célestes, elle s'appuie d'une main sur la lyre antique, primitivement faite d'une écaille de tortue, tandis que de l'autre elle tient l'urne sainte d'où découle l'eau castalide, boisson pure des poètes. Une foule de petits génies viennent s'y abreuver; leurs ailes font songer involontairement au mot de Platon: Le poète est chose légère et ailée.
Jamais l'immortelle inspiration du grand et du beau n'a été mieux représentée que par cette muse au regard calme et profond, au visage noble et fier, à l'attitude pleine de dignité. Femme par un je ne sais quoi de doux et d'attachant, elle est déesse par la sérénité de son profil olympien; la passion, avec ses désordres et ses entraînements, n'a jamais pu l'atteindre; elle la domine de toute la hauteur de son rocher, inaccessible aux profanes; seuls, les initiés peuvent s'élever jusqu'à elle, et on sent qu'en s'abreuvant de son onde pure, ils perdront le goût et le souvenir des choses périssables pour ne plus songer qu'aux jouissances éternelles de l'art.
SALON DE 1873.--Buste du président Bonjean, par M.
Sollier,
Le nom de M. le président Bonjean, connu et estimé de tous pendant sa vie, est devenu aujourd'hui celui d'un martyr. Personne n'a oublié sa courageuse attitude pendant le siège de Paris et tors des événements qui suivirent; averti du danger qu'il courait en restant dans la capitale abandonnée aux mains d'une révolution sans but, il refusa de fuir, ne pouvant croire que son honorabilité et sa qualité de magistrat étaient des titres suffisants pour le désigner à la vengeance des soldats de la Commune. Arrêté comme otage avec Monseigneur Darboy, enfermé à Mazas et lâchement assassiné au moment de l'entrée des troupes de Versailles dans Paris, il ne cessa d'étonner ses compagnons et ses gardiens eux-mêmes par sa fermeté et sa résignation.
Homme de bien, savant magistrat, citoyen dévoué, sa mort a excité dans la France entière un frémissement d'horreur, et sa mémoire a laissé d'universels regrets. En reproduisant ici son buste, qui figurait à l'Exposition, nous ne faisons que rendre un légitime hommage à ce martyr, victime innocente des brutales férocités de la guerre civile.
M. Sollier l'a représenté avec le manteau d'hermine; sans doute le buste y gagne du caractère, au point de vue officiel; mais il faut bien reconnaître que les épaules, ainsi couvertes, acquièrent une largeur quelque peu exagérée qui gâte les proportions de l'œuvre et en compromet jusqu'à un certain point l'harmonie: la tête paraît trop petite. Nous ne doutons pas que l'artiste n'atténue ce léger défaut, lors de l'exécution en marbre.
Si tu n'as pas d'esclave, tu n'es l'esclave de personne.