Title: Vie de Henri Brulard, tome 2
Author: Stendhal
Editor: Henry Debraye
Release date: December 21, 2016 [eBook #53779]
Language: French
Credits: Produced by Laura Natal Rodriguez and Marc D'Hooghe at
Free Literature (back online soon in an extended version,
also linking to free sources for education worldwide ...
MOOC's, educational materials,...) Images generously made
available by Gallica (Bibliothèque nationale de France.)
Je vois aujourd'hui qu'une qualité commune à tous mes amis était le naturel ou l'absence de l'hypocrisie. Mme Vignon et ma tante Séraphie m'avaient donné, pour cette première des conditions de succès dans la société actuelle, une horreur qui m'a bien nui et qui va jusqu'au dégoût physique. La société prolongée avec un hypocrite me donne un commencement de mal de cœur (comme, il y a un mois, l'italien du chevalier Naytall oblige la comtesse Sandre à desserrer sou corset).
Ce n'était pas par le naturel que brillait le pauvre Grand-Dufay, garçon d'infiniment d'esprit; aussi ne fut-il jamais que mon ami littéraire, c'est-à-dire[p. 2] rempli de jalousie chez lui, et chez moi de défiance, et tous deux nous estimant beaucoup.
Il remporta le premier prix de grammaire générale la même année, ce me semble, que je remportais le premier prix de belles-lettres. Mais quelle lut cette année? Fut-ce 1796 ou 1795[2]? J'aurais grand besoin des archives de la Préfecture; nos noms étaient imprimés en pancarte in-folio et affichés. La sage loi de M. de Tracy environnait les examens de beaucoup de pompe. Ne s'agissait-il pas de l'espoir de la patrie? C'était un enseignement pour le membre de l'administration départementale, produit moral du despotisme de Mme Du Barry, autant que pour l'élève.
Qu'y avait-il à faire, en 1706, de tous les hommes qui avaient plus de vingt ans? Sauver la Patrie du mal qu'ils étaient disposés à lui faire, et attendre tant bien que mal leur death[3].
Cela est aussi vrai que triste à dire. Quel allègement pour le vaisseau de l'Etat, en 1836, si tout ce qui a plus de cinquante ans passait tout d'un coup ad patres! Excepté, bien entendu, le Roi, ma Femme et Moi.
Dans une des nombreuses illuminations qui avaient lieu tous les mois, de 1789 à 1791, un bourgeois mit ce transparent:
VIVE
LE ROI
MA FEMME ET MOI[4]
Grand-Dufay, l'aîné de quatre ou cinq frères, était un petit, être maigre et peu fourni de chairs, avec une grosse tête, une figure fortement marquée; de petite vérole et cependant fort rouge[5], des yeux brillants, mais faux et ayant un peu la vivacité inquiétante du sanglier. Il était cauteleux et jamais imprudent dans ses propos, toujours occupé à louer mais avec les termes le plus mesurés possible. On aurait dit un membre de l'Institut. Du reste, de l'esprit le plus vif et saisissant admirablement les choses, mais dès cet âge si tendre dévoré d'ambition. Il était le fils aîné et l'enfant gâté (terme du pays) d'une mère du même caractère, et ce n était pas sans raison: la famille était pauvre.
Quel admirable P........ (c'est-à-dire avocat général vendu au pouvoir et sachant colorer les injustices les plus infâmes) Dufay n'eût-il pas fait[6]?
Mais il ne vécut pas et, à sa mort, à Paris, vers 1803, j'aurai à m'accuser d'un des plus mauvais sentiments de ma vie, d'un de ceux qui m'ont fait le plus hésiter à continuer ces Mémoires. Je l'avais oublié depuis 1803 ou 1804, époque de cette mort. Il est singulier de combien de choses je me souviens depuis que j'écris ces Confessions. Elles m'arrivent tout-à-coup, et il me semble que je les juge avec impartialité. A chaque instant je vois le mieux que je n'ai pas fait.
Mais qui diable aura la patience de les lire, ces choses?
Mes amis, quand je sors dans la rue avec un habit neuf et bien fait, donneraient un écu pour qu'on me jetât un verre d'eau sale. La phrase est mal faite, mais la chose est vraie (j'excepte, bien entendu, l'excellent comte de Barral; c'est le caractère de La Fontaine).
Où se trouvera le lecteur qui, après quatre ou cinq volumes de je et de moi, ne désirera pas qu'on me jette, non plus un verre d'eau sale, mais une bouteille d'encre? Cependant, ô mon lecteur, tout le mal n'est que dans ces sept[7] lettres: B, R, U, L, A, R, D, qui forment mon nom, et qui intéressent mon amour-propre. Supposez que j'eusse écrit BERNARD, ce livre ne serait plus, comme le Vicaire de Wakefield (mon émule en innocence), qu'un roman écrit à la première personne.
Il faudra tout au moins que la personne à laquelle j'ai légué cette œuvre posthume en fasse abréger tous les détails par quelque rédacteur à la douzaine, le M. Amédée Pichot ou le M. Courchamp de ce temps-là. On a dit que l'on ne va jamais si loin en opéra d'inchiostro[8] que quand on ne sait où l'on va: s'il en était toujours ainsi, les présents Mémoires, qui peignent un cœur d'homme, comme disent MM. Victor Hugo, d'Arlincourt, Soulié, Raymond, etc., etc., devraient être une bien belle chose. Les je et les moi me bourrelaient hier soir (14 janvier 1836) pendant que j'écoutais le Moïse de Rossini. La bonne musique me fait songer avec plus[p. 5] d'intensité et de clarté à ce qui m'occupe. Mais il faut pour cela que le temps du jugement soit passé; il y a si longtemps que j'ai jugé le Moïse (en 1823) que j'ai oublié le prononcé du jugement, et je n'y pense plus; je ne suis plus que l'Esclave de l'Anneau, comme disent les Nuits arabes[9].
Les souvenirs se multiplient sous ma plume. Voilà que je m'aperçois que j'ai oublié un de mes amis les plus intimes, Louis Crozet, maintenant ingénieur en chef, et très digne ingénieur en chef, à Grenoble, mais enseveli comme le Baron enterré vis-à-vis de sa femme[10] et par elle noyé dans l'égoïsme étroit d'une petite et jalouse bourgeoisie d'un bourg de la montagne de notre pays (La Mure, Corps ou le Bourg d'Oisans).
Louis Crozet était fait pour être à Paris un des hommes les plus brillants; il eût battu dans un salon Koreff, Pariset, Lagarde, et moi après eux, s'il est permis de se nommer. Il eût été, la plume à la main, un esprit dans le genre de Duclos, l'auteur de l'Essai sur les Mœurs (mais ce livre sera peut-être mort en 1880), l'homme qui, au dire de d'Alembert, avait le plus d'esprit dans un temps donné.
C'est, je crois, au latin (comme nous disions), chez M. Durand, que je me liai avec Crozet, alors l'enfant le plus laid et le plus disgracieux de l'Ecole centrale; il doit être né vers 1784[11].
Il avait une figure ronde et blafarde, fort marquée de petite vérole, et de petits yeux bleus fort vifs,[p. 6] mais avec des bords attaqués, éraillés par cette cruelle maladie. Tout cela était complété par un petit air pédant et de mauvaise humeur: marchant mal et comme avec des jambes torses, toute sa vie l'antipode de l'élégance et par malheur cherchant l'élégance, et avec cela
Un esprit tout divin. (La Fontaine.)
Sensible rarement, mais, quand il l'était, aimant la Patrie avec passion et, je pense, capable d'héroïsme s'il l'eût fallu. Il eût été un héros dans une assemblée délibérant sur Hampden, et pour moi c'est tout dire. (Voir la Vie de Hampden, par lord King ou Dacre, son arrière-petit-fils[12].)
Enfin, c'est, sans comparaison, celui des Dauphinois auquel j'ai connu le plus d'esprit et de sagacité, et il avait cette audace mêlée de timidité nécessaire pour briller dans un salon de Paris; comme le général Foy, il s'animait en parlant.
Il me fut bien utile par cette dernière qualité (la sagacité) qui naturellement me manquait tout-à-fait et que, ce me semble, il est parvenu à m'inoculer en partie. Je dis en partie, car il faut toujours que je m'y force. Et si je découvre quelque chose, je suis sujet à m'exagérer ma découverte et à ne plus voir qu'elle.
J'excuse ce défaut de mon esprit en l'appelant: effet nécessaire et sine qua non d'une sensibilité extrême.
Quand une idée se saisit trop de moi au milieu de la rue, je tombe. Exemple: rue de la Rochelle, près la rue des Filles-Saint-Thomas, unique chûte pendant cinq ou six ans, causée, vers 1820, par ce problème: M. Debelleyme doit-il ou ne doit-il pas, dans l'intérêt de son ambition, se faire nommer député? C'était le temps où M. Debelleyme, préfet de police (le seul magistrat populaire du temps des Bourbons de la branche aînée), cherchait maladroitement à se faire député[13].
Quand les idées m'arrivent an milieu de la rue, je suis toujours sur le point de donner contre un passant, de tomber ou de me faire écraser par les voitures. Vers la rue d'Amboise, un jour, à Paris (un trait entre cent), je regardais le Dr Edwards sans le reconnaître. C'est-à-dire, il y avait deux actions; l'une disait bien: Voilà le Dr Edwards; mais la seconde, occupée de la pensée, n'ajoutait pas: Il faut lui dire bonjour, et lui parler. Le docteur fut très étonné, mais pas fâché; il ne prit pas cela pour la comédie du génie (comme l'eussent fait MM. Prunelle, ancien maire de Lyon, l'homme le plus laid de France, Jules-César Boissat, l'homme le plus fat, Félix Faure, et bien d'autres de mes connaissances et amis).
J'ai eu le bonheur de retrouver souvent Louis Crozet, à Paris, ou 1800; à Paris, de 1803 à 1806;[p. 8] à Plancy, de 1810 à 1814? où je j'allais voir et où je mis mes chevaux en pension pendant je ne sais quelle mission de l'Empereur. Enfin, nous couchâmes dans la même chambre (hôtel de Hambourg, rue de l'Université) le soir de la prise de Paris en 1814. De chagrin il eut une indigestion dans la nuit; moi, qui perdais tout, je considérais davantage la chose comme un spectacle. Et d'ailleurs, j'avais de l'humeur de la stupide correspondance du duc de Bassano avec moi, quand j'étais dans la 7e division militaire avec ce vieillard rimbambito[14], M. le comte de Saint-Vallier.
J'avais encore de l'humeur, je l'avoue à la honte de mon esprit, de la conduite de l'Empereur avec la députation du Corps législatif, où se trouvait cet imbécile sensible et éloquent nommé Laisné (de Bordeaux), depuis vicomte et pair de France, mort en 1835, en même temps que cet homme sans cœur, absolument pur de toute sensibilité, nommé Rœderer.
Avec Crozet, pour ne pas perdre notre temps en bavardage admiratif de La Fontaine, Corneille, ou Shakespeare, nous écrivions ce que nous appelions des Caractères (je voudrais bien en voir quelqu'un aujourd'hui).
C'étaient six ou huit pages in-folio rendant compte (sous un nom supposé) du caractère de quelqu'un de notre connaissance à tous deux à un jury composé d'Helvétius, Tracy et Machiavel, ou[p. 9] Helvétius, Montesquieu et Shakespeare. Telles étaient nos admirations d'alors.
Nous lûmes ensemble Adam Smith et J.-B. Say, et nous abandonnâmes cette science comme y trouvant des points obscurs ou même contradictoires. Nous étions de la première force en mathématiques, et après ses trois ans d'Ecole polytechnique Crozet était si fort eu chimie qu'on lui offrit une place analogue à celle de M. Thénard (aujourd'hui pair de France mais, à nos yeux d'alors, homme sans génie: nous n'adorions que Lagrange et Monge: Laplace même n'était presque, pour nous, qu'un esprit de lumière destiné à faire comprendre, mais non à inventer). Crozet et moi nous lûmes Montaigne, je ne sais combien de fois Shakespeare de Letourneur (quoique nous sussions fort bien l'anglais).
Nous avions[15] des séances de travail de cinq ou six heures après avoir pris du café à l'hôtel de Hambourg, rue de l'Université, avec vue sur le Musée des Monuments français, charmante création, bien voisine de la perfection, anéantie par ces plats B[ourb]ons.
Il y a orgueil peut-être dans la qualification d'excellent mathématicien à moi attribuée ci-dessus. Je n'ai jamais su le calcul différentiel intégral, mais dons un temps je passais ma vie à songer avec plaisir à l'art de mettre en équation, à ce que j'appellerais, si je l'osais, la métaphysique des mathématiques. J'ai remporté le premier prix[p. 10] (et sans nulle faveur; au contraire, ma hauteur avait indisposé) sur huit jeunes gens qui, un mois après, à la fin de 1799, ont tous été reçus élèves de l'Ecole polytechnique.
J'ai bien eu avec Louis Crozet six à huit cents séances de travail improbus, de cinq à six heures chacune. Ce travail, sérieux et les sourcils froncés, nous l'appelions piocher, d'un mot en usage à l'Ecole polytechnique. Ces séances ont été ma véritable éducation littéraire, c'était avec un extrême plaisir que nous allions ainsi à la découverte de la vérité, au grand scandale de Jean-Louis Basset (maintenant M. le baron de Richebourg, auditeur, ancien sous-préfet, ancien amant d'une Montmorency, riche et fat, sans nul esprit, mais sans méchanceté). Cet être, haut de quatre pieds trois pouces et au désespoir de s'appeler Basset, logeait avec Crozet à l'hôtel de Hambourg. Je ne lui connais pas d'autre mérite que d'avoir reçu un coup de baïonnette dans la poitrine. Les revers de son habit, un jour que du parterre nous prîmes d'assaut la scène du Théâtre Français en l'honneur de Mlle Duchesnois (mais, bon Dieu! j'empiète), actrice excellente dans deux ou trois rôles, morte en 1835[16].
Nous ne nous passions rien, Crozet et moi, en travaillant ensemble; nous avions toujours peur de nous laisser égarer par la vanité, ne trouvant aucun de nos amis capable de raisonner avec nous sur ces matières.
Ces amis étaient les deux Basset, Louis de Barral (mon ami intime, ami intime aussi de Louis Crozet), Plana (professeur à Turin, membre de toutes les Académies et de tous les ordres de ce pays). Crozet et Plana, tous deux mes amis, étaient, pour les mathématiques, d'un an en arrière sur moi; ils apprenaient l'arithmétique tandis que j'étais à la trigonométrie et aux éléments d'algèbre.
[1] Le chapitre XXX est le chapitre XXV du manuscrit (fol. 432 à 450).—Ecrit à Rome, les 13, 14 et 15 janvier 1836.
[2] Fut-ce 1796 ou 1795?—Le jeune Beyle obtint à la distribution des prix du 30 fructidor an V (16 septembre 1797), une mention honorable pour le dessin (classe des grandes têtes) et une mention honorable pour les mathématiques (arithmétique et géométrie, non compris la trigonométrie). Il remporta le premier prix de belles-lettres à la distribution des prix du 30 fructidor an VI (16 septembre 1798), et reçut à cette occasion Les Œuvres d'Homère, traduites par Bitaubé. Le même jour, il obtenait un accessit de dessin (ronde bosse).—Le prix de grammaire générale fut attribué cette année-là non à Grand-Dufay, mais à Perrier. C'est à la distribution des prix du 17 brumaire an VII (7 novembre 1798) que Grand-Dufay obtint le prix de grammaire générale.
A la même distribution des prix du 17 brumaire an VII, Henri Beyle obtint le premier prix de mathématiques (1re division), en même temps que Marcellin Charvet, Jean-Jacques Bret, Casimir Mathieu, Félix Faure, Jacques Miège, Frédéric Giély, Louis Crozet et Charles Cheminade. Le palmarès ajoute (p. 17): «La précision que le citoyen Beyle a mise dans ses réponses et la facilité avec laquelle il a opéré ses calculs lui ont mérité l'ouvrage ci-après, sans tirer au sort: L'introduction à l'analyse infinitésimale (édition latine), donné par un citoyen.» (Arch. départ, de l'Isère, L 378 et 380, et Arch. mun. de Grenoble, LL 219 et 223).
[3] ... leur death.—Leur mort.
[4] ... un bourgeois mit ce transparent.—Je me le rappelle très bien; mais dans quelle rue? (Note au crayon de R. Colomb.)
[5] ... une grosse tête, une figure fortement marquée de petite vérole et cependant fort rouge ...—Variante: «Une grosse tête, un teint animé, des traits marqués de petite vérole.»
[6] ... et sachant colorer les injustices les plus infâmes) Dufay n'eût-il pas fait?—Variante: «Et sachant donner couleur aux plus grandes iniquités, coquineries, Dufay aurait fait.»
[7] ... tout le mal n'est que dans ces sept lettres ...—Ms.: «Cinq.»—Equivoque avec le nom de l'auteur, qui effectivement est composé de cinq lettres.
[8] ... opéra d'inchiostro ...—Ouvrage littéraire. Mot-à-mot: travail d'encre.
[9] ... les Nuits arabes.—La célèbre traduction des Mille et une Nuits, par Galland, parut entre 1704 et 1717.
[10] ... le Baron enterré vis-à-vis de sa femme ...—Vers de l'Homme du Jour:
Ci-gît, sans avoir rendu l'âme,
Le Baron enterré vis-à-vis de sa femme.
(Note de Stendhal.)
[11] ... Crozet ... né vers 1784.—Louis Crozet est effectivement né à Grenoble en 1784.
[12] ... la Vie de Hampden, par lord King ou Dacre ...—La vie de Hampden a été l'objet d'un ouvrage de lord Nugent, sous ce titre: Some Memorials of John Hampden, his party and his time.
[13] ... cherchait maladroitement à se faire député.—On lit en tête du fol. 442: «J'écris, sans y voir, le 14 janvier, à cinq heures douze minutes.»
[14] ... ce vieillard rimbambito ...—Terme italien signifiant: tombé en enfance.
[15] Nous avions des séances de travail ...—Variante: «Faisions.»
[16] ... Mlle Duchesnois ...—Mademoiselle Duchesnois, née en 1777, est morte, en effet, en 1835.
Mon grand-père n'aimait point M. Dubois-Fontanelle; il était tout-à-fait homme de vanité cultivée et implacable, homme du grand monde à l'égard d'une infinité de personnes dont il parlait en bons termes, mais qu'il n'aimait point.
Je pense qu'il avait peur d'être méprisé, tout considéré, comme littérateur par ce pauvre M. Dubois, qui avait fait une tragédie, laquelle avait eu 'honneur d'envoyer son libraire aux galères. Il s'agit d'Ericie, ou la Vestale.[2] C'était évidemment Ericie. ou la Religieuse, ou la Mélanie de cet intrigant de Laharpe, dont le froid génie avait, je pense, volé ce sujet au pauvre M. Dubois-Fontanelle, toujours si pauvre qu'il avait pris une écriture horriblement fine pour moins user de papier.
Le pauvre M. Dubois alla à Paris assez jeune avec l'amour du beau. Une pauvreté constante le força à chercher l'utile, il ne put jamais s'élever au rang des Jean Sucres de la première ligne, tels que Laharpe, Marmontel, etc. Le besoin le força à accepter la rédaction des articles politiques du Journal des Deux-Ponts, et, bien pis, là il épousa une grosse et grande Allemande, ex-maîtresse du roi de Bavière Maximilien-Joseph, alors prince Max et colonel français.
Sa fille aînée, fille du roi, fut mariée à un M. Renauldon, personnage vaniteux, fait exprès pour être bon maire d'une grande ville de province. En effet, il fut bon maire de Grenoble de 1800 à 1814, je crois[3], et de plus outrageusement codifié par mon cousin Pelot, le roi des sots, lequel en fut déshonoré et obligé de sortir du pays avec une place dans les Droits réunis que lui donna le bienfaisant Français (de Nantes), financier puissant sous l'Empereur et qui donna une place à Parny. Je l'ai beaucoup connu comme littérateur sous le nom de M. Jérôme[4], vers 1826. Tous ces gens d'esprit, malheureux dans l'ambition, prennent les lettres pour leur pis-aller. Par leur science d'intrigue et leurs amis politiques ils obtiennent des semblants de succès et, dans le fait, accrochent des ridicules. Tel j'ai vu M. Rœderer, M. Français (de Nantes) et même M. le comte Daru[5], quand par son poème de l'Astronomie (publié après sa mort)[p. 15] il se fit associé libre de l'Académie des Sciences. Ces trois hommes de beaucoup d'esprit, de finesse et certainement au premier rang des conseiller d'Etat et des préfets, n'avaient, jamais vu cette petite figure de géométrie inventée par moi[6], simple auditeur, il y a un mois.
Si, en arrivant à Paris, le pauvre M. Dubois, qui se nomma Fontanelle[7], avait trouvé une pension de cent louis à condition d'écrire (comme Beethoven vers 1805, à Vienne), il eût cultivé le Beau, c'est-à-dire imité non la nature, mais Voltaire.
Au lieu de cela, il fut obligé de traduire les Métamorphoses d'Ovide[8] et, bien pis, des livres anglais. Cet excellent homme me donna l'idée d'apprendre l'anglais et me prêta le premier volume de Gibbon[9], et je vis à cette occasion qu'il prononçait: Té istory of té fall. Il avait appris l'anglais sans maître, à cause de la pauvreté, et à coups de dictionnaire.
Je n'ai appris l'anglais que bien des années après, quand j'inventai d'apprendre par cœur les quatre premières pages du Vicaire de Wakefield (Ouaikefilde). Ce fut, ce me semble, vers 1805. Quelqu'un a eu la même idée à Rome[10], je crois, et je ne l'ai su qu'en 1815, quand j'accrochai quelques Edinburg Reviews en Allemagne.
M. Dubois-Fontanelle était presque perclus de goutte, ses doigts n'avaient plus de forme, il était[p. 16] poli, obligeant, serviable, du reste son caractère avait été brisé par l'infortune constante.
Le Journal des Deux-Ponts ayant été conquis par les armées de la Révolution, M. Dubois ne devint point aristocrate pour cela, mais, chose singulière, resta toujours citoyen français. Ceci paraîtra simple vers 1880, mais n'était rien moins qu'un miracle en 1796.
Voyez mon père qui, à la Révolution, gagnait de prendre rang par ses talents, qui fut premier adjoint faisant fonctions de maire de Grenoble, chevalier de la Légion d'honneur, et qui abhorrait cette Révolution qui l'avait tiré de la crotte.
Le pauvre et estimable M. Fontanelle, abandonné par son journal, arriva à Grenoble avec sa grosse femme allemande qui, malgré son premier métier, avait des manières basses et peu d'argent. Il fut trop heureux d'être professeur, logé, et alla même occuper un appartement à l'angle sud-ouest de la cour du Collège, avant qu'il ne fût terminé[11].
En B était sa belle édition de Voltaire in-8°, de Kehl, le seul de ses livres que cet excellent homme ne prêtât pas. Ses livres avaient des notes de son écriture, heureusement presque impossible à lire sans loupe. Il m'avait prêté Emile et fut fort inquiet parce que, à cette folle déclamation de J.-J. Rousseau: «La mort de Socrate est d'un homme, celle de Jésus-Christ est d'un Dieu», il avait joint un papillon(bout de papier collé) fort raisonnable et[p. 17] fort peu éloquent, et qui finissait par la maxime contraire.
Ce papillon lui eût beaucoup nui, même aux yeux de mon grand-père. Qu'eût-ce été si mon père l'eût vu? Vers ce temps, mon père n'acheta pas le Dictionnaire de Bayle, à la vente de notre cousin Drier (homme de plaisir), pour ne pas compromettre ma religion, et il me le dit.
M. Fontanelle était trop brisé par le malheur et par le caractère de sa diablesse de femme pour être enthousiaste, il n'avait pas la moindre étincelle du feu de M. l'abbé Ducros; aussi n'eut-il guère d'influence sur mon caractère.
Il me semble que je suivis le cours avec ce petit jésuite[12] de Paul-Emile Teisseire. le gros Marquis (bon et fat jeune homme riche de Rives ou de Moirans), Benoît, bon enfant qui se croyait sincèrement un Platon parce que le médecin Clapier lui avait enseigné l'amour (de l'évêque de Clogher).
Cela ne nous faisait pas horreur parce que nos parents en auraient eu horreur, mais cela nous étonnait. Je vois aujourd'hui que ce que nous ambitionnions était la victoire sur cet animal terrible: une femme aimable, juge du mérite des hommes, et non pas le plaisir. Nous trouvions le plaisir partout. Le sombre Benoît ne fit aucun prosélyte.
Bientôt le gros Marquis, un peu mon parent, ce[p. 18] me semble, ne comprit plus rien au cours et nous laissa. Il me semble que nous avions aussi un Penet, un ou deux Gauthier, minus habens sans conséquence[13].
Il y eut à ce cours, comme à tous les autres, un examen au milieu de l'année. J'y eus un avantage marqué sur ce petit jésuite[14] de Paul-Emile, qui apprenait tout par cœur et qui, pour cette raison, me faisait grand peur; car je n'ai aucune mémoire.
Voilà un des grands défauts de ma tête: je rumine sans cesse sur ce qui m'intéresse; à force de le regarder dans des positions d'âme différentes, je finis par y voir du nouveau, et je le fais changer d'aspect.
Je tire les tuyaux de lunette dans tous les sens, ou je les fais rentrer, suivant l'image employée par M. de Tracy (voir la Logique).
Ce petit jésuite de Paul-Emile, avec son ton doucereux et faux, me faisait grande peur pour cet examen. Heureusement, un M. Tortelebeau[15], de Vienne, membre de l'Administration départementale, me poussa des questions. Je fus obligé d'inventer des réponses et je l'emportai sur Paul-Emile, qui seulement savait par cœur le sommaire des leçons du cours.
Dans ma composition écrite, il y eut même une espèce d'idée à propos de J.-J. Rousseau et des louanges qu'il méritait[16].
Tout ce que j'apprenais aux l[eçons] de M. Dubois-Fontanelle était, à mes yeux, comme une science extérieure ou fausse.
Je me croyais du Génie,—où diable avais-je pris cette idée?—du génie pour le métier de Molière et de Rousseau.
Je méprisais sincèrement et souverainement le talent de Voltaire: je le trouvais puéril. J'estimais sincèrement Pierre Corneille, l'Arioste, Shakespeare, Cervantes et, en paroles, Molière. Ma peine était de les mettre d'accord.
Mon idée sur le beau littéraire, au fond, est la même qu'en 1796. mais chaque six mois elle se perfectionne, ou, si l'on veut, elle change un peu.
C'est le travail unique de toute ma vie.
Tout le reste n'a été que gagne-pain, gagne-pain joint à un peu de vanité de le gagner aussi bien qu'un autre; j'en excepte l'Intendance à Brunswick après le départ de Martial. Il y avait l'attrait de la nouveauté et le blâme exprimé par M. Daru à l'intendant de Magdebourg, M. Chaalons, ce me semble.
Mon beau idéal littéraire a plutôt l'apport à jouir des œuvres des autres et à les estimer, à ruminer sur leur mérite, qu'à écrire moi-même.
Vers 1794, j'attendais niaisement le moment du génie, à peu près comme la voix de Dieu parlant du buisson ardent à Moïse. Cette nigauderie m'a fait perdre bien du temps, mais peut-être m'a[p. 20] empêché de me contenter du demi-plat, comme font tant d'écrivains de mérite (par exemple, M. Loïs Weymar).
Quand je me mets à écrire, je ne songe plus à mon beau idéal littéraire, je suis assiégé par des idées que j'ai besoin de noter. Je suppose que M. Villemain est assiégé par des formes de phrases; et ce qu'on appelle un poète, un Delille, un Racine, par des formes de vers.
Corneille était agité par des formes de réplique:
Hé bien! prends-en ta part et me laisse la mienne ...
d'Emile à Cinna.
Comme donc mon idée de perfection a changé tous les six mois, il m'est impossible de noter ce qu'elle était vers 1795 ou 1796, quand j'écrivais un drame dont j'ai oublié le nom. Le personnage principal s'appelait Picklar peut-être et était peut-être pris à Florian.
La seule chose que je voie clairement, c'est que, depuis quarante-six[17] ans, mon idéal est de vivre à Paris, dans un quatrième étage, écrivant un drame ou un livre.
Les bassesses infinies et l'esprit de conduite nécessaire pour faire jouer un drame m'ont empêché d'en faire, bien malgré moi; il n'y a pas huit jours que j'en avais des remords abominables. J'en ai esquissé plus de vingt, toujours trop de détails, et trop profonds, trop peu intelligibles pour le public[p. 21] bête comme M. Ternaux, dont la révolution de 1789 a peuplé le parterre et les loges.
Quand, par son immortel pamphlet Qu'est-ce que le Tiers? Nous sommes à genoux, levons-nous, M. l'abbé Sieyès porta le premier coup à l'aristocratie politique, il fonda sans le savoir l'aristocratie littéraire. (Cette idée m'est venue en novembre 1835), faisant une préface à de Brosses[18] qui a choqué Colomb.)
[1] Le chapitre XXXI est le chapitre XXVI du manuscrit (fol. 451 à 468).—Ecrit à Rome, les 16 et 19 janvier 1836. On lit en haut du fol. 451: «16 janv. 1836. Le 15, excès de lecture, battements de cœur, ou plutôt cœur resserré.»
[2] ... Ericie, ou la Vestale.—Ericie, ou la Vestale, présentée au Théâtre Français en 1767, fut considérée par la Censure comme attaquant les couvents. On en référa à l'archevêque de Paris, qui soumit le cas à la Sorbonne. De là, grand bruit sur le nom de Dubois-Fontanelle; tout le monde veut lire son drame, soit dans des copies manuscrites, soit dans des éditions clandestines. Trois colporteurs accusés, à Lyon, d'avoir vendu des exemplaires d'Ericie, furent condamnés aux galères (1768).—La Mélanie de Laharpe est de 1770.
[3] ... Renauldon, ... maire de Grenoble de 1800 à 1814 ...—Renauldon fut maire de Grenoble du 28 fructidor an VIII (15 septembre 1800) jusqu'au 21 avril 1815.
[4] ... M. Jérôme ...—Sous ce nom, Français de Nantes a publié deux ouvrages: Le manuscrit de feu M. Jérôme (1825) et Recueil de fadaises, par M. Jérôme (1826).
[5] ... M. le comte Daru ...—Daru publia, en outre, divers ouvrages historiques et littéraires qui lui ouvrirent les portes de l'Académie française. Il fit paraître notamment une traduction en vers des Epîtres d'Horace (1798) et une Histoire de la République de Venise (1819).
[6] ... cette petite figure de géométrie inventée par moi ...—Suit la figure géométrique annoncée. C'est un carrefour de six routes au milieu duquel se trouve l'homme, en «A, moment de la naissance». A droite, en «R, route de l'argent: Rotschild» et en «P, route des bons préfets et conseillers d'Etat: MM. Daru, Rœderer, Français, Beugnot»; au milieu, une seule route est dénommée, la «route de la considération publique»; à gauche s'ouvrent en «L, route de l'art de se faire lire: Le Tasse, J.-J. Rousseau, Mozart», et en «F, route de la folie». Quatre d'entre elles (Argent, Bons Préfets et Conseillers d'Etat, Considération publique et Folie) sont dénommées: «B, routes prises à sept ans, souvent à notre insu. Il est souverainement absurde de vouloir, à cinquante ans, laisser la route R et la route P pour la route L. Frédéric II ne s'est guère fait lire, et dès vingt ans il songeait à la route L.»(Voir notre reproduction du fol. 454 du manuscrit.)
[7] ... Fontanelle.—Dubois-Fontanelle était nommé M. de Fontanelle dans le monde littéraire de son temps. (Voir, par exemple, les Mémoires secrets de Bachaumont.)
[8] ... il fut obligé de traduire les Métamorphoses d'Ovide ...—Dubois-Fontanelle donna sept éditions de sa traduction des Métamorphoses entre 1762 et 1806.
[9] ... le premier volume de Gibbon ...—L'ouvrage de Gibbon, dont la première édition, en six volumes, parut entre 1776 et 1788, porte le titre suivant: The history of the décline and the Fall of the roman Empire.
[10] Quelqu'un a eu la même idée à Rome ...—Ms.: «Erom.»
[11] ... à l'angle sud-ouest de la cour du Collège ...—Suit un plan sommaire indiquant l'appartement de Dubois-Fontanelle. Le point B, où se trouvait l'édition de Voltaire, est situé dans son cabinet. Un autre plan, au verso du fol. 459, indique l'appartement de Dubois-Fontanelle et plusieurs salles du collège, notamment celle du cours de belles-lettres.
[12] ... avec ce petit jésuite ...—Ms.: «Tejé.»
[13] ... minus habens sans conséquence.—Au verso du fol. 461, on lit: «En une heure et demie, de 450 à 461, onze pages.»
[14] ... ce petit jésuite ...—Ms.: «Tejé.»
[15] ... M. Tortelebeau ...—Père de feu Mme la comtesse Français de Nantes. (Note au crayon de R. Colomb.)
[16] ... des louanges qu'il méritait.—Suit un blanc de plusieurs lignes.
[17] ... depuis quarante-six ans ...—Ms.: «4 X 10 + 6.»
[18] ... une préface à de Brosses ...—Cette préface a paru en 1836 dans la Revue de Paris, sous ce titre: La comédie est impossible en 1836. Elle se trouve dans l'édition Michel Lévy de 1855, à la fin des Chroniques italiennes.
J'avais donc un certain beau littéraire dans la tête en 1790 ou 1797, quand je suivais le cours de M. Dubois-Fontanelle; ce beau était fort différent du sien. Le trait le plus marquant de cette différence était mon adoration pour la vérité tragique et simple de Shakespeare, contrastant avec la puérilité emphatique de Voltaire.
Je me souviens, entre autres, que M. Dubois nous récitait avec enthousiasme de certains vers de Voltaire ou de lui, où il y avait: dans la plaie ... retournant le couteau. Ce mot couteau me choquait à fond, profondément, parce qu'il appliquait mal ma règle, mon amour pour la simplicité. Je vois ce pourquoi aujourd'hui; j'ai senti vivement toute[p. 24] ma vie, mais je ne vois le pourquoi que longtemps après.
Hier seulement, 18 janvier 1836, fête de la catedra de Saint-Pierre, en sortant de Saint-Pierre à quatre heures, et, me retournant pour regarder le dôme, pour la première fois de ma vie je l'ai regardé comme on regarde un autre édifice: j'y ai vu le balcon de fer du tambour, je me suis dit: je vois ce qui est pour la première fois; jusqu'ici je l'ai regardé comme on regarde la femme qu'on aime. Tout m'en plaisait (je parle du tambour et de la coupole), comment aurais-je pu y trouver des défauts?
Voilà que par un autre chemin, un autre côté, je reviens à avoir la vue de ce défaut que j'ai noté plus haut dans ce mien véridique récit, le manque de sagacité.
Mon Dieu! comme je m'égare! J'avais donc une doctrine intérieure quand je suivais le cours de M. Dubois, je n'apprenais tout ce qu'il me disait que comme une fausseté utile. Quand il blâmait Shakespeare surtout, je rougissais intérieurement.
Mais j'apprenais d'autant mieux cette doctrine littéraire que je n'en étais pas enthousiaste.
Un de mes malheurs a été de ne pas plaire aux gens dont j'étais enthousiaste (exemple Mme Pasta et M. de Tracy); apparemment, je les aimais à ma manière et non à la leur.
De même, je manque souvent l'exposition d'une doctrine que j'adore: on me contredit, les larmes me viennent aux yeux, et je ne puis plus parler. Je dirais, si je l'usais: Ah! vous me percez le cœur! Je me souviens de deux exemples bien frappants pour moi:
1° Louange du Corrège à propos de Prud'hon, parlant à Mareste dans le Palais-Royal, et allant à un pique-nique avec MM. Duvergier de Hauranne, l'aimable Dittmer et le vilain Cavé.
Le second, parlant de Mozart à MM. Ampère et Adrien de Jussieu, en revenant de Naples vers 1832 (un mois après le tremblement de terre qui a écorné Foligno).
Littérairement parlant, le cours de M. Dubois[2] (imprimé depuis en quatre volumes par sou petit-fils, Ch. Renauldon) me fut utile comme me donnant une vue complète du champ littéraire et empêchant mon imagination d'en exagérer les parties inconnues, comme Sophocle, Ossian. etc.
Ce cours fut très utile à ma vanité en confirmant les autres définitivement dans l'opinion qui me plaçait dans les sept à huit garçons d'esprit de l'Ecole. Il me semble toutefois que Grand-Dufay était placé avant moi; j'ai oublié le nom des autres.
L'âge d'or de M. Fontanelle le temps dont il parlait avec attendrissement, c'était son arrivée à Paris vers 1750. Tout était plein alors du nom de[p. 26] Voltaire et des ouvrages qu'il envoyait sans cesse de Ferney. (Etait-il déjà à Ferney?)
Tout cela manquait son effet sur moi, qui abhorrais la puérilité de Voltaire dans l'histoire et sa basse envie contre Corneille; il me semble que dès cette époque j'avais remarqué le ton prêtre du Commentaire de Voltaire dans la belle édition de Corneille avec estampes, qui occupait un des hauts rayons de la bibliothèque fermée de glaces de mon père à Claix, bibliothèque dont je volais la clef et où j'avais découvert, ce me semble, la Nouvelle-Héloïse quelques années avant, et certainement depuis Grandisson[3], que je lisais en fondant en larmes de tendresse dans un galetas du second étage de la maison de Claix, où je me croyais en sûreté.
M. Jay, ce grand hâbleur, si nul comme peintre, avait un talent marqué[4] pour allumer l'émulation la plus violente dans nos cœurs et, à mes yeux maintenant, c'est là le premier talent d'un professeur. Combien je pensais différemment vers 1796! J'avais le culte du génie et du talent.
Un fantasque faisant tout par à coup, comme en agit d'ordinaire un homme de génie, n'eût pas eu quatre cents ou trois cent cinquante élèves, comme M. Jay.
Enfin, la rue Neuve était encombrée quand nous sortions de son cours, ce qui redoublait les airs importants et emphatiques du professeur[5].
Je fus ravi, comme du plus difficile et du plus bel avancement possible, quand, vers le milieu d'une année, ce me semble. M. Jay me dit avec son air majestueux et paterne:
«Allons, monsieur B[eyle], prenez votre carton et allez, allez vous installer à la Bosse[6].»
Ce mot: monsieur, d'un usage si fréquent à Paris, était tout-à-fait insolite à Grenoble, en parlant à un enfant, et m'étonnait toujours, à moi adressé.
Je ne sais pas si je dus cet avancement à quelque mot de mon grand-père adressé à M. Jay ou à mon mérite à faire des hachures bien parallèles dans la classe des Académies, où depuis peu j'avais été admis. Le fait est qu'il surprit moi et les autres.
Admis parmi les douze ou quinze bosses, mes dessins aux crayons noirs et blancs, d'après les têtes de Niobé et de Démothène (ainsi nommées par nous), surprirent M. Jay, qui avait l'air scandalisé de me trouver autant de talent qu'aux autres. Le plus fort de cette classe était un M. Ennemond Hélie (depuis notaire en cour); c'était l'homme le pins froid, il avait été, disait-on, à l'armée. Ses ouvrages tendaient, au genre de Philippe de Champaigne, mais c'était un homme et non un enfant, comme nous autres, il y avait de l'injustice à le faire concourir avec nous.
Bientôt à la Bosse j'obtins un prix. Nous l'obtînmes à deux ou trois, on tira au sort et j'eus l'Essai[p. 28] sur la Poésie et la Peinture, de l'abbé Dubos, que je lus avec le plus vif plaisir. Ce livre répondait aux sentiments de mon cœur, sentiments inconnus à moi-même.
Moulezin, l'idéal du provincial timide, dépourvu de toute idée et fort soigneux, excellait à tirer des hachures bien parallèles avec un crayon de sanguine bien taillé. Un homme de talent, à la place de M. Jay, nous eût dit en nous montrant Moulezin: «Messieurs, voilà comment il ne faut pas faire.»Au lieu de cela, Moulezin était le rival d'Ennemond Hélie.
Le spirituel Dufay faisait des dessins fort originaux, disait M. Jay, il se distingua surtout quand M. Jay eut l'excellente idée de nous faire tous poser tour à tour pour l'étude des têtes. Nous avions aussi le gros Hélie, surnommé le bedot (le bête, le lourd), et les deux Monval, que leur faveur aux mathématiques avait suivi à l'école de dessin. Nous travaillions avec une ardeur et une rivalité incroyables deux ou trois heures de chaque après-midi.
Un jour qu'il y avait deux modèles, le grand Odru, du latin, m'empêchait de voir; je lui donnai un soufflet de toutes mes forces en O[7]. Un instant après, moi rassis à ma place en H, il tira ma chaise par derrière et me fit tomber sur le derrière. C'était un homme; il avait un pied de plus que moi, mais il me haïssait fort. J'avais dessiné, dans l'escalier[p. 29] du latin, de concert avec Gauthier et Crozet, ce me semble, une caricature énorme comme lui, sous laquelle j'avais écrit: Odruas Kambin. Il rougissait quand on l'appelait Odruas, et dirait kambin, au lieu de: quand bien.
A l'instant, il fut décidé que nous devions nous battre au pistolet. Nous descendîmes dans la cour; M. Jay voulant s'interposer, nous primes la fuite; M. Jay retourna à l'autre salle. Nous sortîmes, mais tout le collège nous suivit. Nous avions peut-être deux cents suivants.
J'avais prié Diday, qui s'était trouvé là, de me servir de témoin; j'étais fort troublé, mais plein d'ardeur. Je ne sais comment il se fit que nous nous dirigeâmes vers la porte de la Graille, fort incommodés par notre cortège. Il fallait avoir des pistolets, ce n'était pas facile. Je finis par obtenir un pistolet de huit pouces de long. Je voyais Odru marcher à vingt pas de moi, il m'accablait d'injures. On ne nous laissait pas approcher; d'un coup de poing, il m'aurait tué.
Je ne répondais pas à ses injures, mais je tremblais de colère. Je ne dis pas que j'eusse été exempt de peur si le duel eût été arrangé comme à l'ordinaire, quatre ou six personnes allant froidement ensemble, à six heures du matin, dans un fiacre, à une grande lieue d'une ville.
La garde de la porte de la Graille fut sur le point de prendre les armes.
Cette procession de polissons, ridicule et fort incommode pour nous, redoublait ses cris: Se battront-ils? ne se battront-ils pas? dès que nous nous arrêtions pour faire quelque chose. J'avais grand'peur d'être rossé par Odru, plus grand d'un pied que ses témoins et que les miens. Je me rappelle du seul Maurice Diday comme mon témoin (depuis plat ultra, maire de Domène, et écrivant dans les journaux des lettres ultra, sans orthographe). Odru était furieux.
Enfin, après une heure et demie de poursuite, comme la nuit approchait, les polissons nous laissèrent un peu de tranquillité entre les portes de Bonne et Très-Cloîtres. Nous descendîmes dans les fossés de la ville, tracés par Louis Royer, à un pied de profondeur, ou nous nous arrêtâmes sur le bord de ces fossés.
Là, on chargea les pistolets, on mesura un nombre de pas effroyable, peut-être vingt, et je me dis: Voici le moment d'avoir du courage. Je ne sais comment, Odru dut tirer le premier, je regardai fixement un petit morceau de rocher en forme de trapèze[8] qui se trouvait au-dessus de lui, le même que l'on voyait de la fenêtre de ma tante Elisabeth, à côté du toit de l'église Saint-Louis.
Je ne sais comment on ne fit pas feu. Probablement,[p. 31] les témoins n'avaient pas chargé les pistolets. Il me semble que je n'eus pas à viser. La paix fut déclarée, mais sans loucher de mains ni encore moins embrassade. Odru, fort en colère, m'aurait, rossé[9].
Dans la rue Très-Cloîtres, marchant avec mon témoin Diday[10], je lui dis:
«Pour ne pas avoir peur, tandis qu'Odru me visait, je regardais le petit rocher au-dessus de Seyssins[11].
—Tu ne dois jamais dire ça, une telle parole ne doit jamais sortir de ta bouche», me dit-il, en me grondant ferme.
Je fus fort étonné et, en y réfléchissant, fort scandalisé de cette réprimande.
Mais, dès le lendemain, je me trouvai un remords horrible d'avoir laissé arranger cette affaire. Cela blessait toutes mes rêveries espagnoles: comment oser admirer le Cid après ne s'être pas battu? Comment penser aux héros de l'Arioste? Comment admirer et critiquer les grands personnages do l'histoire romaine dont je relisais souvent les hauts faits dans le doucereux Rollin?
En écrivant ceci, j'éprouve la sensation de passer la main sur la cicatrice d'une blessure guérie.
Je n'ai pas pensé deux fois à ce duel depuis mon autre duel arrangé avec M. Raindre (chef d'escadron ou colonel d'artillerie légère, à Vienne, en 1809, pour Babet).
Je vois qu'il a été le grand remords de tout le commencement de ma jeunesse, et la vraie raison de mon outrecuidance (presque insolence) dans le duel de Milan, où Cardon fut témoin.
Dans l'affaire Odru, j'étais étonné, troublé, me laissant faire, distrait par la peur d'être rossé par le colossal Odru, je me préparais de temps en temps à avoir peur. Pendant les deux heures que dura la procession des deux cents gamins, je me disais: Quand les pas seront mesurés, c'est alors qu'il y aura du danger. Ce qui me faisait horreur, c'était d'être rapporté à la maison sur une échelle, comme j'avais vu rapporter le pauvre Lambert. Mais je n'eus pas un instant l'idée la plus éloignée que l'affaire serait arrangée.
Arrivé au grand moment, pendant qu'Odru me visait et, ce me semble, que son pistolet ratait plusieurs fois, j'étudiais les contours du petit rocher[12]. Le temps ne me sembla point long (comme il semblait long, à la Moskowa, au très brave et excellent officier Andrea Corner, mon ami).
En un mot, je ne jouai point la comédie, je fus parfaitement naturel, point vantard, mais très brave.
J'eus tort, il fallait blaguer; avec ma vraie résolution de me battre, je me serais fait une réputation dans notre ville, où l'on se battait beaucoup, non pas comme les Napolitains de 1836, parmi lesquels les duels produisent très peu de cadavres, ou point,[p. 33] mais en braves gens. Par contraste avec mon extrême jeunesse (ce devait être en 1796, donc treize[13] ans, ou peut-être 1795) et mes habitudes retirées et d'enfant noble si j'eusse eu l'esprit de parler un peu je me faisais une réputation admirable.
M. Châtel, une de nos connaissances et de nos voisins, Grande-rue, avait tué six hommes. De mon temps, c'est-à-dire de 1798 à 1805, deux de mes connaissances, le fils Bernard et Rover Gros-bec, ont été tués en duel, M. Rover à quarante-cinq pas, à la nuit tombante, dans les délaissés du Drac, prés l'endroit où fut établi, depuis, le pont de fil de fer[14].
Ce fat de Bernard[15] (fils d'un autre fat, depuis juge à la Cour de Cassation, ce me semble, et ultra), ce fat de Bernard reçut au moulin de Canel[16] un petit coup d'épée de l'aimable Meffrey (M. de Meffrey, receveur général, mari de la dame d'honneur complaisante de Mme la duchesse de Berry. et depuis heureux héritier du gros Vourey). Bernard tomba mort, M. de Meffrey s'enfuit à Lyon; la querelle était presque de caste, Mareste fut, ce me semble, témoin de Meffrey et m'a raconté la chose.
Quoi qu'il en soit, je gagnai un remords profond:
1° A cause de mon espagnolisme, défaut exilant encore en 1830, ce que Fiore a reconnu et qu'il appelle avec Thucydide: Vous tendez, vos filets trop haut.
2° Faute de blague. Dans les grands dangers, je suis naturel et simple. Cela fut de bon goût à Smolensk, aux yeux du duc de Frioul. M. Daru, qui ne m'aimait pas, écrivit la même chose à sa femme, de Vilna, je pense, après la retraite de Moscou. Mais, aux yeux du vulgaire, je n'ai pas joué le rôle brillant auquel je n'avais qu'à étendre la main pour atteindre.
Plus j'y réfléchis, plus il me semble que cette dispute est de 1795, bien antérieure à ma passion pour les mathématiques, à mon amitié pour Bigillion, à mon amitié tendre pour Mlle Victorine.
Je respectais infiniment Maurice Diday[17]:
1° parce que mon excellent grand-père, ami peut-être intime de sa mère, le louait beaucoup:
2° je l'avais vu plusieurs fois en uniforme de soldat d'artillerie et il était allé à son corps, plus loin que Montmélian:
3° enfin, et surtout, il avait l'honneur d'être amoureux de Mlle Létourneau, peut-être la plus jolie fille de Grenoble et fille de l'homme certainement le plus gai, le plus insouciant, le plus philosophe, le plus blâmé par mon père et mes parents. En effet, M. Létourneau leur ressemblait bien peu; il s'était ruinoté et avait épousé une demoiselle Borel, je crois, une sœur de la mère de Victorine Mounier, qui fut cause de mon abandon de l'état militaire et de ma fuite à Paris en 1803.
Mlle Létourneau était une beauté dans le genre lourd (comme les figures de Tiarini. Mort de Cléopatre et d'Antoine, au musée du Louvre). Diday l'épousa par la suite mais eut bientôt la douleur de la perdre, après six ans d'amour; on dit qu'il en fut hébété et se retira à la campagne, à Domène[18].
Après mon prix, au milieu de l'année, à la Bosse, qui scandalisa tous les courtisans plus avancés que moi à la cour de M. Jay, mais que personne n'osa dire immérité, mon rang changea au dessin, comme nous disions. Je me serais mis au feu pour obtenir aussi un prix à la fin de l'année; il me semble que je l'obtins, sinon je trouverais le souvenir[19] du chagrin de l'avoir manqué.
J'eus le premier prix de belles-lettres avec acclamation, j'eus un accessit ou un second prix aux mathématiques, et celui-là fut dur à enlever. M. Dupuy avait une répugnance marquée pour ma manie raisonnante.
Il appelait tous les jours au tableau et en les tutoyant MM. de Monval—ou les Monvaux, comme nous les appelions, parce qu'ils étaient nobles, lui-même prétendait à la noblesse[20],—Sinard, Saint-Ferréol, nobles, le bon Aribert, qu'il protégeait, l'aimable Mante, etc., etc., et moi le plus rarement qu'il pouvait, et quand j'y étais, il ne[p. 36] m'écoutait pas, ce qui m'humiliait et me déconcertait beaucoup car, les autres, il ne les perdait pas de l'œil. Malgré cela, mon amour, qui commençait à être sérieux, pour les mathématiques, faisait que quand je trouvais une difficulté je la lui exposais, moi étant au tableau, H[21], et M. Dupuy dans son immense fauteuil bleu de ciel en D; mon indiscrétion l'obligeait à répondre, et c'était là le diable. Il me demandait sans cesse de lui exposer mes doutes en particulier, prétendant que cela faisait perdre du temps à la classe.
Il chargeait le bon Sinard de me lever mes doutes. Sinard, beaucoup plus fort mais de bonne foi, passait une heure ou deux à nier ces doutes, puis à les comprendre, et finissait par avouer qu'il ne savait que répondre.
Il me semble que tous ces bravés gens-là, Mante excepté, faisaient des mathématiques une simple affaire de mémoire. M. Dupuy eut l'air fort attrapé de mon premier prix, si triomphant, au cours de belles-lettres. Mon examen qui eut lieu, comme tous les autres, en présence des membres du Département, des membres du jury, de tous les professeurs et de deux, ou trois cents élèves, fut amusant pour ces Messieurs. Je parlai bien, et les membres de l'administration départementale, étonnés de ne pas s'ennuyer, me firent compliment et, mon examen terminé, me dirent:
«Monsieur B[eyle], vous avez le prix; mais, pour[p. 37] notre plaisir, veuillez bien répondre encore à quelques questions.»
Ce triomphe précéda, je crois, l'examen de mathématiques et me donnait un rang et une assurance qui pour l'année suivante forçaient M. Dupuy à m'appeler souvent au tableau.
Si jamais je repasse par Grenoble, il faut que je fasse faire des recherches dans les archives de la Préfecture pour les années de 1794 à 1799 inclusivement. Le procès-verbal imprimé de la distribution des prix me donnerait la date de tous ces petits événements dont, après tant d'années, le souvenir me revient avec plaisir. J'étais à la montée de la vie, et avec quelle imagination de feu ne me figurais-je pas les plaisirs à venir?... Je suis à la descente[22].
Après ce mois d'août triomphant, mon père n'osa plus s'opposer d'une façon aussi ferme à ma passion pour la chasse. Il me laissa prendre de mauvaise grâce son fusil et même un fusil de calibre de munition, plus solide, qui avait été fait de commande pour feu M. Rey, notaire, son beau-frère.
Ma tante Rey[23] était une jolie femme que j'allais voir dans son joli appartement, dans la cour du Palais. Mon père ne voulait pas que je me liasse[24] avec Edouard Rey, son second fils, inique polisson lié avec la pire canaille. (C'est aujourd'hui le colonel[p. 38] d'artillerie Rey, insigne Dauphinois, plus fin et plus trompeur à lui tout seul que quatre procureurs grenoblois, du reste archi-cocu, bien peu aimable, mais qui doit être un bon colonel dans cette arme qui a tant de détails. Il me semble qu'en 1831 il était employé à Alger. Il a été amant de M. P.[25])
[1] Le chapitre XXXII est le chapitre XXVII du manuscrit (fol. 469 à 500).—Ecrit à Rome, les 19 et 20 janvier 1836.
[2] ... le cours de M. Dubois (imprimé depuis en quatre volumes ...—Dubois-Fontanelle, Cours de Belles-lettres. Paris, Dufour, 1813-1820, 4 volumes in-8°.
[3] ... Grandisson ...—Roman épistolaire de Richardson, publié en 1753.
[4] ... ce grand hâbleur, si nul comme peintre, avait un talent marqué ...—Variante: «Ce grand hâbleur, qui avait si peu de talent comme peintre, en avait un fort grand.... »
[5] ... les airs importants et emphatiques du professeur.—Variante: «Maître.»
[6] ... allez vous installer à la Bosse.—Au verso du fol. 466 est un plan de l'Ecole centrale.
[7] ... je lui donnai un soufflet de toutes mes forces en O.—Suit un croquis des places respectives des élèves autour des modèles.
[8] ... un petit morceau de rocher en forme de trapèze ...—Suit une silhouette du rocher.—A ce sujet, voir plus haut, t. I, chapitre XVI, p. 187-188.
[9] Odru, fort en colère, m'aurait rossé.—Plan du lieu du duel et de la position des adversaires.
[10] ... mon témoin Diday ...—Ms.: «Baudry.»
[11] ... le petit rocher au-dessus de Seyssins.—De nouveau une silhouette de ce rocher.
[12] ... j'étudiais les contours du petit rocher.—Pour la troisième fois, Stendhal figure la silhouette de ce rocher.
[13] ... en 1796, donc treize ans ...—Ms.: «10 + 3.»
[14] ... le pont de fil de fer.—Le pont suspendu, aujourd'hui situé à l'extrémité du cours Berriat.
[15] Ce fat de Bernard ...—A ce duel figuraient: MM. Didier, Madier de Montjeau, de Vourey et de Mareste. (Note au crayon de R. Colomb.)
[16] ... au moulin de Canel ...—Voisin du cours de Saint-André.
[17] ... Maurice Diday.—Ms.: «Baudry.» Stendhal avait d'abord écrit: Diday, puis a remplacé ce nom par celui de Baudry.
[18] ... et se retira à la campagne, à Domène.—Erreur. Il fut directeur des contributions indirectes et n'a quitté cette administration que pour prendre sa retraite, de 1830 à 1833, je crois. (Note au crayon de R. Colomb.)—Pierre-Maurice Diday épousa, le 20 octobre 1808, Marie-Caroline-Ernestine Létourneau.—Suit un croquis de la vallée du Graisivaudan, «vallée admirable»; Stendhal y a figuré Grenoble, Saint-Ismier, Domène et Fort-Barraux, et, à Saint-Ismier, les maisons de MM. Bigillion et Faure.
[19] ... je trouverais le souvenir ...—Variante: «Je me souviendrais.»
[20] ... lui-même prétendait à la noblesse ...—Dupuy portait le nom de Dupuy de Bordes.
[21] ... moi étant au tableau. H ...—Suit un croquis du jeune Beyle au tableau. (Voir notre planche.)
[22] Je suis à la descente.—Au-dessous, Stendhal a figuré la courbe de son existence. La période culminante va de 1810, «ma nomination d'auditeur, 3 août 1810», à 1821, «mon retour de Milan, en juin 1821».
[23] Ma tante Rey ...—Sophie-Eléonore Beyle, née le 6 janvier 1752, avait épousé M. Rey, notaire à Grenoble.
[24] ... que je me liasse ...—Variante: «Que je fisse amitié.»
[25]—A la fin du chapitre, au verso du fol. 500, Stendhal note: «En sept quarts d'heure, de 483 à 500, dix-sept pages.»
Je fais de grandes découvertes sur mon compte en écrivant ces Mémoires. La difficulté n'est plus de trouver et de dire la vérité, mais de trouver qui la lise. Peut-être le plaisir des découvertes et des jugements ou appréciations qui les suivent me déterminera-t-il à continuer; l'idée d'être lu s'évanouit de plus en plus. Me voici à la page 501, et je ne suis pas encore sorti de Grenoble!
Ce tableau des révolutions d'un cœur ferait un gros volume in-8°, avant d'arriver à Milan. Qui lirait de telles fadaises? Quel talent de peintre ne faudrait-il pas pour les bien peindre, et j'abhorre presque également la description de Walter Scott et l'emphase de Rousseau. Il me faudrait pour[p. 40] lecteur une Madame Roland, et encore peut-être le manque de description des charmants ombrages de notre vallée de d'Isère lui ferait jeter le livre. Que de choses à dire pour qui aurait la patience de décrire juste! Quels beaux groupes d'arbres, quelle végétation vigoureuse et luxuriante dans la plaine, quels jolis bois de châtaigniers sur les côteaux, et au-dessus quel grand caractère impriment à tout cela les neiges éternelles de Taillefer! Quelle basse sublime à cette jolie[2] mélodie!
Ce fut, je crois, cet automne-là que j'eus le délicieux plaisir de tuer un tourdre[3], dans le sentier de la vigne au-dessus de la grande pièce, précisément en face du sommet arrondi et blanc de la montagne de Taillefer[4]. Ce fut un des plus vifs bonheurs de ma vie[5]. Je venais de courir les vignes de Doyatières, j'entrais dans le sentier étroit entre deux haies hautes et touffues, de H en P, quand tout-à-coup un gros tourdre s'élança avec un petit cri de la vigne en T' tout au haut de l'arbre T, un cerisier, je crois, fort élancé et peu chargé de feuillage.
Je le vis, je tirai dans une position à peu près horizontale, car je n'étais pas encore descendu. Le tourdre tomba en donnant à la terre un coup que j'entends encore. Je descendis le sentier, ivre de joie.
Je rentrai, j'allai dire à un vieux domestique grognon et un peu [p. 41]chasseur:
«Barbier, votre élève est digne de vous!»
Cet homme eût été beaucoup plus sensible au don d'une pièce de douze sous, et d'ailleurs ne comprit pas un mot à ce que je lui disais.
Dès que je suis ému, je tombe dans l'espagnolisme communiqué par[6] ma tante Elisabeth, qui disait encore: Beau comme le Cid.
Je rêvais profondément en parcourant, un fusil à la main, les vignes et les hautaies des environs de Furonières. Comme mon père, soigneux de me contrarier, défendait la chasse, et tout au plus la tolérait à grand'peine par faiblesse, j'allais rarement et presque jamais à la chasse avec de vrais chasseurs, quelquefois à la chasse au renard dans les précipices du rocher de Comboire avec Joseph Brun, le tailleur de nos hautaies[7]. Là, placé pour attendre un renard, je me grondais de ma rêverie profonde, de laquelle il eût fallu[8] me réveiller si l'animal eût paru. Il parut un jour à quinze pas de moi, il venait à moi au petit trot, je tirai et ne vis rien; je le manquai fort bien. Les dangers des précipices à plomb sur le Drac étaient si terribles pour moi que je pensais fort, ce jour-là, au péril du retour[9]; on se glisse sur des rebords comme A et B avec la perspective du Drac mugissant au pied du rocher. Les paysans avec lesquels j'allais (Joseph Brun et son fils, Sébastien Charrière, etc.) avaient gardé leurs troupeaux de moutons dans[p. 42] ces pentes rapides dès l'âge de six ans et nus de pieds; au besoin ils ôtaient leurs souliers. Pour moi, il n'était pas question d'ôter les miens, et j'allai deux ou trois fois au plus dans ces rochers.
J'eus une peur complète le jour que je manquai le renard, bien plus grande que celle que j'eus, arrêté dans un chanvre, en Silésie (campagne de 1813), et voyant venir vers moi, tout seul, dix-huit ou vingt cosaques. Le jour de Comboire, je regardais à ma montre, qui était d'or, comme je fais dans les grandes circonstances pour avoir un souvenir net au moins de l'heure, et comme fit M. de La Valette au moment de sa condamnation à mort (par les Bourbons). Il était huit heures, on m'avait fait lever avant jour, ce qui me brouille toujours toute la matinée. J'étais rêvant au beau paysage, à l'amour, et probablement aussi aux dangers du retour, quand le renard vint à moi au petit trot. Sa grosse queue me le fit reconnaître pour un renard, car au premier moment je le pris pour un chien[10]. En S, le sentier pouvait avoir deux pieds, et en S' deux pouces, il fallait que le renard fît un saut pour passer de S' en H, sur mon coup de fusil il sauta sur des broussailles en B, à cinq ou six pieds au-dessous de nous.
Les sentiers possibles, praticables même pour un renard, sont en petit nombre dans ce précipice;[p. 43] trois ou quatre chasseurs les occupent, un autre lance les chiens, le renard monte, et fort probablement il arrive sur quelque chasseur.
Une chasse dont ces chasseurs parlaient sans cesse est celle des chamois, au Peuil de Claix[11], mais la défense de mon père était précise, jamais aucun d'eux n'osa m'y mener. Ce fut en 1795, je pense, que j'eus cette belle peur dans les rochers de Comboire.
Je tuai bientôt mon second tourdre (tourdre: grive), mais plus petit que le premier, à la nuit tombée, le distinguant à peine, sur un noyer dans le champ de M. de La Peyrouse, je crois, au-dessus de notre Pelissone (id est: de notre vigne Pelissone).
Je tuai le troisième et dernier sur un petit noyer bordant le chemin au nord de notre petit verger. Ce tourdre, fort petit, était presque verticalement sur moi et me tomba presque sur le nez. Il tomba sur le mur à pierres sèches, et avec lui de grosses gouttes de sang que je vois encore.
Ce sang était signe de victoire. Ce ne fut qu'à Brunswick, en 1808, que la pitié me dégoûta de la chasse; aujourd'hui, elle me semble un meurtre inhumain et dégoûtant, et je ne tuerais pas un cousin sans nécessité. La dernière caille que j'ai tuée à Cività-Vecchia ne m'a pas fait pitié pourtant. Les perdrix, cailles, lièvres, me semblent des poulets nés pour aller à la broche.
Si on les consultait avant de les faire naître dans des fours à l'Egyptienne, au bout des Champs-Elysées, probablement ils ne refuseraient pas.
Je me souviens de la sensation délicieuse, un matin, partant avant jour avec Barbier et trouvant une belle lune et un vent chaud. C'était le temps des vendanges, je ne l'ai jamais oublié. Ce jour-là, j'avais extorqué de mon père la permission de suivre Barbier, factotum pour la direction de l'agriculture du domaine, à une foire à Sassenage ou Les Balmes[12]. Sassenage est le berceau de ma famille. Ils y étaient juges ou b[eyles], et la branche aînée y était encore établie en 1795 avec quinze ou vingt mille francs de rente qui, sans une certaine loi du 13 germinal, ce me semble, me seraient tombés en entier. Mon patriotisme n'en fut point ébranlé; il est vrai qu'à cet âge, ne sachant pas ce que c'était que manquer et travailler désagréablement pour gagner le nécessaire, l'argent n'était pour moi que satisfaction de fantaisies; or, je n'avais pas de fantaisies, n'allant jamais en société et ne voyant aucune femme; l'argent n'était donc rien à mes yeux.
J'étais alors comme un grand fleuve qui va se précipiter dans une cascade, comme le Rhin au-dessus de Schaffouse, dont le cours est encore tranquille, mais qui va se précipiter dans une immense cascade. Ma cascade fut l'amour des mathématiques qui d'abord, comme moyen de quitter Grenoble, la personnification du genre bourgeois et de[p. 45] la nausée exactement parlant, et ensuite par amour pour elles-mêmes, absorbèrent tout.
La chasse, qui me portait à lire avec attendrissement la Maison rustique et à faire des extraits de l'Histoire des Animaux de Buffon, dont l'emphase me choquait, dès cet âge tendre, comme cousine germaine de l'hypocrisie des p[rêtres], de mon père, la chasse fut le dernier signe de vie de mon âme, avant les mathématiques.
J'allais bien le plus souvent que je pouvais chez Mlle Victorine Bigillion, mais elle fit, ce me semble, de grands séjours à la campagne ces années-là. Je voyais aussi beaucoup Bigillion, son frère aîné, La Bayette, Galle, Barral, Michoud, Colomb, Mante, mais le cœur était aux mathématiques.
Encore un récit, et puis je serai tout hérissé d'x et d'y.
C'est une conspiration contre l'arbre de la Fraternité.
Je ne sais pourquoi je conspirai. Cet arbre était un malheureux jeune chêne très élancé, haut de trente pieds au moins, qu'on avait transplanté, à son grand regret, au milieu de la place Grenette, fort en deçà de l'arbre de la Liberté, qui avait toute ma tendresse.
L'arbre de la Fraternité, peut-être rival de l'autre, avait été planté immédiatement contre la cabane des châtaignes, vis-à-vis les fenêtres de feu M. Le Roy[13].
Je ne sais à quelle occasion on avait attaché à l'arbre de la Fraternité un écriteau blanc sur lequel M. Jay avait peint en jaune, et avec son talent ordinaire, une couronne, un sceptre, des chaînes, tout cela au bas d'une inscription et en attitude de choses vaincues.
L'inscription avait plusieurs lignes[14] et je n'en ai aucune mémoire, quoique ce fût contre elle que je conspirai.
Ceci est bien une preuve de ce principe: un peu de passion augmente l'esprit, beaucoup l'éteint. Contre quoi conspirâmes-nous? Je l'ignore. Je ne me souviens encore vaguement que de cette maxime: il est de notre devoir de nuire à ce que nous haïssons autant qu'il est en nous. Et encore ceci est bien vague. Du reste, pas le moindre souvenir de ce que nous haïssions et des motifs de notre haine, seulement l'image du fait et voilà tout, mais celle-ci fut nette.
Moi seul j'eus l'idée de la chose[15], il fallut la communiquer aux autres, qui d'abord furent froids: le corps de garde est si près! disaient-ils; mais, enfin, ils furent aussi résolus que moi. Les conspirateurs furent Mante, Treillard, Colomb et moi, peut-être un ou deux de plus.
Pourquoi ne tirai-je pas le coup de pistolet? Je l'ignore. Il me semble que ce fut Treillard ou Mante[16].
Il fallut se procurer ce pistolet-là, il avait huit[p. 47] pouces de long. Nous le chargeâmes jusqu'à la gueule. L'arbre de la Fraternité pouvait avoir trente-six ou quarante pieds de haut, l'écriteau était attaché à dix ou douze pieds, il me semble qu'il y avait une barrière autour de l'arbre[17].
Le danger pouvait venir du corps de garde C, dont les soldats se promenaient dans l'espace non pavé, de P en P'.
Quelques passants provenant de la rue Montorge ou de la Grande-rue pouvaient nous arrêter. Les quatre ou cinq d'entre nous qui ne tirèrent pas observaient les soldats du corps de garde; peut-être fût-ce là mon poste, comme le plus dangereux, mais je n'en ai aucune souvenance. D'autres observaient la rue Montorge et la Grande-rue.
Vers les huit heures du soir, il faisait nuit noire,—et pas trop froid, nous étions en automne ou au printemps,—il y eut un moment de solitude sur la place, nous nous promenions nonchalamment, et donnâmes le mot à Mante ou à Treillard[18].
Le coup partit et fit un bruit effroyable, le silence était profond, et le pistolet chargé à crever. Au même instant, les soldats du poste furent sur nous. Je pense que nous n'étions pas les seuls à haïr l'inscription et qu'on pensait qu'elle pourrait être attaquée.
Les soldats nous touchaient presque, nous nous sauvâmes dans la porte G de la maison de mon grand-père, mais on nous vit fort bien: tout le[p. 48] monde était aux fenêtres, beaucoup rapprochaient les chandelles et illuminaient[19].
Cette porte G, sur la Grenette, communiquait par un passage étroit au second étage avec la porte G', sur la Grande-rue. Mais ce passage n'était ignoré de personne.
Pour nous sauver nous suivîmes donc la ligne FFF[20]. Quelques-uns de nous se sauvèrent aussi, ce me semble, par la grande porte des Jacobins, ce qui me porte à croire que nous étions plus nombreux que je ne l'ai dit. Prié était peut-être des nôtres.
Moi et un autre, Colomb peut-être[21], nous nous trouvâmes le plus vivement poursuivis. Ils sont entrés dans cette maison, entendions-nous crier tout près de nous.
Nous ne continuâmes pas de monter jusqu'au passage au-dessus du second étage; nous sonnâmes vivement au premier sur la place Grenette, à l'ancien appartement de mon grand-père, loué actuellement à Mlles Caudey, vieilles marchandes de modes fort dévotes. Heureusement elles ouvrirent, nous les trouvâmes fort effrayées du coup de pistolet et occupées à lire la Bible[22].
En deux mots nous leur disons: on nous poursuit, dites que nous avons passé ici la soirée. Nous nous asseyons, presque en même temps on sonne à arracher la sonnette; pour nous, nous sommes assis à écouter la Bible, je crois même que l'un de nous prend le livre.
Les commissaires entrent. Qui ils étaient, je n'en sais rien; je les regardais fort peu, apparemment.
«Ces citoyens ont-ils passé la soirée ici?
—Oui, messieurs; oui, citoyens,»dirent en se reprenant les pauvres dévotes effrayées. Je crois que leur frère, M. Caudey, vieux commis employé depuis quarante-cinq ans à l'hôpital, était avec elles.
Il fallait que ces commissaires ou citoyens zélés fussent bien peu clairvoyants ou bien disposés pour M. Gagnon, qui était vénéré de toute la ville, à partir de M. le baron des Adrets jusqu'à Poulet, le gargotier, car notre trouble devait nous faire faire une étrange figure au milieu de ces pauvres dévotes hors d'elles-mêmes par la peur. Peut-être cette peur, qui était aussi grande que la nôtre, nous sauva, toute l'assemblée devait avoir la même mine effarée.
Les commissaires répétèrent deux ou trois fois leur question: «Les citoyens ont-ils passé ici toute la soirée? Personne n'est-il entré depuis que vous avez entendu tirer le coup de pistolet?»
Le miraculeux, auquel nous songeâmes depuis, c'est que ces vieilles jansénistes aient voulu mentir. Je crois qu'elles se laissèrent aller à ce péché par vénération pour mon grand-père.
Les commissaires prirent nos noms et enfin déguerpirent.
Les compliments furent courts de nous à ces demoiselles. Nous prêtâmes l'oreille; quand nous[p. 50] n'entendîmes plus les commissaires, nous sortîmes, et continuâmes à monter vers le passage[23].
Mante et Treillard[24], plus agiles que nous et qui étaient entrés dans la porte G[25] avant nous, nous contèrent le lendemain que quand ils parvinrent à la porte G', sur la Grande-rue, ils la trouvèrent occupée par deux gardes. Ces Messieurs se mirent à parler de l'amabilité des demoiselles avec qui ils avaient passé la soirée, les gardes ne leur firent aucune question et ils filèrent.
Leur récit m'a fait tellement l'impression de la réalité que je ne saurais dire si ce ne fut pas Colomb et moi qui sortîmes[26] en parlant de l'amabilité de ces demoiselles.
Il me semblerait plus naturel que Colomb et moi entrâmes dans la maison, puis il s'en alla une demi-heure après.
Le piquant fut les discussions auxquelles mon père et ma tante Elisabeth se livraient sur les auteurs présumés de la révolte. Il me semble que je contai tout à ma sœur Pauline, qui était mon amie.
Le lendemain, à l'Ecole centrale, Monval (depuis colonel et méprisé), qui ne m'aimait pas, me dit:
«Hé bien! toi et les tiens vous avez tiré un coup de pistolet sur l'arbre de la Fraternité!»
Le délicieux fut d'aller contempler l'état de l'écriteau: il était criblé.
Les sceptres, couronnes et autres attributs vaincus étaient peints au midi, du côté qui regardait l'arbre de la Liberté. Les couronnes, etc., étaient peintes en jaune clair sur du papier tendu sur une toile ou sur une toile préparée pour la peinture à l'huile.
Je n'ai pas pensé à cette affaire depuis quinze ou vingt ans. J'avouerai que je la trouve fort belle. Je me répétais souvent, avec enthousiasme, dans ce temps-là, et j'ai encore répété, il n'y a pas quatre jours, ce vers d'Horace:
Albe vous a nommé, je ne vous connais plus!
Cette action était bien d'accord avec cette admiration.
Le singulier, c'est que je n'aie pas tiré moi-même le coup de pistolet; mais je ne pense pas que ç'ait été par prudence blâmable. Il me semble, mais je l'entrevis d'une façon douteuse et comme à travers un brouillard, que Treillard, qui arrivait de son village (Tullins, je pense[27]), voulut absolument tirer le coup de pistolet comme pour se donner le droit de bourgeoisie parmi nous[28].
En écrivant ceci, l'image de l'arbre de la Fraternité apparaît à mes yeux, ma mémoire fait des découvertes. Je crois voir que l'arbre de la Fraternité était environné d'un mur de deux pieds de haut garni de pierre de taille et soutenant une grille de fer de cinq ou six pieds de haut[29].
Jomard[30] était un gueux de prêtre, comme plus tard Ming, qui se fit guillotiner pour avoir empoisonné son beau-père, un M. Martin, de Vienne, ce me semble, ancien membre du Département, comme on disait. Je vis juger ce coquin-là, et ensuite guillotiner. J'étais sur le trottoir, devant la pharmacie de M. Plana.
Jomard avait laissé croître sa barbe, il avait les épaules drapées dans un drap rouge, comme parricide.
J'étais si près qu'après l'exécution je voyais les gouttes de sang se former le long du couteau avant de tomber. Cela me fit horreur, et pendant je ne sais combien de jours je ne pus manger de bouilli (bœuf).
[1] Le chapitre XXXIII est le chapitre XXVIII du manuscrit (fol. 501 à 526).—Ecrit à Rome, les 20, 22 et 24 janvier.—On lit en tête du fol. 501: «20 janvier 1836. Le 3 décembre, j'en étais à 93.»
[2] ... cette jolie mélodie!—Variante: «Belle.»
[3] ... tuer un tourdre ...—Ancien nom de la grive.
[4] ... la montagne de Taillefer.—Le Taillefer (2.861 m. d'altitude) ferme l'horizon vers le sud-est, à 23 kilomètres environ à vol d'oiseau de Furonières, près Claix.
[5] Ce fut un des plus vifs bonheurs de ma vie.—Suit un croquis de la scène: en haut d'une pente assez forte, mais courte, le jeune Beyle en H; au milieu de cette pente, en «T', vigne d'où se leva le tourdre en entendant le bruit de mon approche», et en T, le cerisier; au bas, la grande pièce s'étend horizontalement.
[6] ... l'espagnolisme communiqué par ...—Variante: «L'espagnolisme de.»
[7] ... Joseph Brun, le tailleur de nos hautaies.—En face, au verso du fol. 503, est une carte-esquisse du rocher de Comboire et de la vallée du Drac depuis le pont de Claix jusqu'au pont suspendu de Grenoble. Au bord du rocher de Comboire («précipices de deux ou trois cents pieds de haut»), en «H, moi; j'avais une vue superbe sur les côteaux d'Echirolles et de Jarrie, et mon regard enfilait la vallée». A propos du pont suspendu, Stendhal écrit: «Pont de fil de fer, dit de Seyssins, qui succéda au bac vers 1827, construit par mon ami Louis Crozet; le plat colonel Monval, méprisé de tout le monde (et loué à sa mort dans la Quotidienne), était actionnaire de ce pont, et ne voulait pas que Crozet, ingénieur en chef, fît l'épreuve complète. Par une lithographie les Périer (Casimir, Augustin, etc.) veulent ôter cette gloire à Crozet et la donner à un de leurs neveux. En tout les Périer trompeurs, finasseurs, de mauvaise foi, plats, bas.»
[8] ... de laquelle il eût fallu ...—Variante: «Il fallait.»
[9] ... je pensais fort, ce jour-là, au péril du retour ...—Suit un profil des précipices du rocher de Comboire, avec ressauts coupant la pente en A et en B.
[10] ... je le pris pour un chien.—Suit un croquis de la scène. En outre, au verso du fol. 508, Stendhal a figuré, en coupe, le profil de la pente du rocher de Comboire avec quatre sentiers horizontaux A, B, C, D. Ces sentiers naturels sont fréquents dans les Alpes calcaires du Dauphiné, où ils portent le nom de «sangles».
[11] ... au Peuil de Claix ...—Le Peuil de Claix est un plateau étroit et long, assez marécageux, situé à l'est et au nord-est de Claix, au pied des escarpements calcaires des montagnes du Vercors sur la vallée du Drac, à 1.000 mètres environ d'altitude. Depuis longtemps les chamois ont déserté ce lieu, aujourd'hui assez fréquenté.—Au verso du fol. 508, Stendhal a figuré deux profits des pentes, depuis Claix jusqu'à la crête des montagnes. Il a noté au bas de l'un: «Toutes ces pentes sont exagérées;»mais il dit de l'autre: «Ceci est plus correct.»
[12] ... Les Balmes.—Les Balmes, commune de Fontaine, entre Seyssins et Sassenage.
[13] ... vis-à-vis les fenêtres de feu M. Le Roy.—Suit un plan de la place Grenette. En «F était cet arbre, qui peut-être n'avait qu'un bouquet de feuilles au haut de la tige»; en «P était la pompe»; en «C, la porte de la maison de mon grand-père si souvent mentionnée, et dont le premier étage était occupé par les demoiselles Caudey, dévotes». (Voir notre plan de Grenoble en 1793.)
[14] L'inscription avait plusieurs lignes ...—Voici l'inscription, faite non par M. Jay, mais par un peintre vitrier: Mort à la Royauté. Constitution de l'an III. Il n'y avait pas autre chose. (Note au crayon de R. Colomb.)
[15] Moi seul j'eus l'idée de la chose ...—C'est chez R[omain] C[olomb] que le complot fut arrêté; l'idée première appartient-elle à R. C. ou à H. B.? C'est ce que je ne saurais dire. Mais l'un des deux eût fait la chose, quand même ils n'auraient eu aucun complice; il pouvait y en avoir une douzaine en tout: Casimir Prié, les trois Faure, Robin. (Note au crayon de R. Colomb.)
[16] ... ce fut Treillard ou Mante.—Ce dernier. (Note au crayon de R. Colomb.)
[17] ... il me semble qu'il y avait une barrière autour de l'arbre.—Oui. (Note au crayon de R. Colomb.) Suit un plan de la scène. La ligne PP' est l'espace compris entre l'arbre de la Liberté et celui de la Fraternité.
[18] ... et donnâmes le mot à Mante ou à Treillard.—Le pistolet, appartenant à H. B., fut chargé jusqu'au bout chez R. C., sur son lit, et en partie avec ses munitions. La charge se composait de deux coups ordinaires de poudre, de chevrotines et de gros plombs de lièvre, en fer coulé. H. B. et R. C. étaient avec Mante, qui lâcha le coup et vint immédiatement se réunir aux deux premiers, dans l'allée de la maison Gagnon, sur la place Grenette. L'un de ces trois grands coupables, H. B., se réfugia chez mesdemoiselles Caudey, marchande de modes, au premier étage, tandis que R. C. et Mante grimpaient dans les greniers pour se soustraire aux recherches que la police ne manquerait pas de faire. En montant l'escalier, Mante remit le pistolet à R. C., qui voyait tous les jours H. B. Arrivés dans une espèce de bûcher, R. C., enrhumé de la poitrine, se remplit la bouche de suc de réglisse, afin que sa toux n'attirât pas l'attention des explorateurs de la maison. Au milieu de cette situation assez critique, R. C. se rappela qu'il existait dans ces greniers un corridor, au moyen duquel on communiquait à un escalier de service donnant dans la Grande-rue. Ce souvenir sauva les deux amis qui, arrivés dans l'allée et voyant à la porte deux personnes qu'ils prirent pour des agents de police, se mirent à causer tranquillement, et comme des enfants, des jeux qui venaient de les occuper; de là, ils regagnèrent paisiblement leur logis, R. C. porteur du pistolet. (26 octobre 1838.) (Note au crayon de R. Colomb.)
[19] ... beaucoup rapprochaient les chandelles et illuminaient.—Erreur. Tout ceci eut lieu quatre minutes après le coup; alors nous étions tous trois dans la maison, comme il est dit ci-devant, page 518. (Note au crayon de R. Colomb.)
[20] ... nous suivîmes donc la ligne FFF.—Un plan de cette scène est figuré au verso du fol. 518, et un autre au verso du fol. 514. La ligne FFF va du point M (arbre de la Fraternité) au point M', porte de la maison Gagnon sur la Grande-rue, «sortie la nuit du coup de pistolet», en passant par l'entrée de la maison sur la place Grenette.
[21] Moi et un autre, Colomb peut-être ...—Mante, Beyle et Colomb. (Note au crayon de R. Colomb.)
[22] ... occupées à lire la Bible.—Il n'y a que H. B. qui entra chez les demoiselles Caudey; R. C. et Mante filèrent par le passage dans les greniers et atteignirent ainsi la Grande-rue (voir page 518). (Note au crayon de R. Colomb.)
[23] ... et continuâmes à monter vers le passage.-Erreur. (Note au crayon de R. Colomb.)
[24] Mante et Treillard ...—Treillard n'était pas avec nous trois; voir page 518. (Note au crayon de R. Colomb.)
[25] ... qui étaient entres dans la porte G ...—G est la porte de la maison Gagnon sur la place Grenette et G' la porte de la même maison sur la Grande-rue.
[26] ... ce ne fut pas Colomb et moi qui sortîmes ...—C'était C. et Mante, qui se quittèrent à quelques pas de la porte d'allée. C. rentra chez lui, peu rassuré sur les suites de l'affaire et assez embarrassé de sa contenance. Au souper, son père, qui se trouvait dans une maison de la place Grenette, au moment où le coup fut tiré, et se doutant qu'il était pour quelque chose dans cette affaire, lui adressa une verte réprimande. M. C. et toute sa famille ayant été longtemps emprisonnés, la coopération de son fils pouvait lui être fatale. (Note au crayon de R. Colomb.)
[27] ... qui arrivait de son village (Tullins, je pente) ...—Bompertuis, à une lieue de Voiron. (Note au crayon de R. Colomb.)
[28] ... pour se donner le droit de bourgeoisie parmi nous.—Ce fut Mante. (Note au crayon de R. Colomb.)
[29] ... une grille de fer de cinq ou six pieds de haut.—Non. (Note au crayon de R. Colomb.)
[30] Jomard ...—En surcharge, de la main de R. Colomb: «Zomard.»
Je crois que j'ai expédié tout ce dont je voulais parler avant d'entrer dans le dernier récit que j'aurai à faire des choses de Grenoble, je veux dire de ma cascade dans les mathématiques.
Mlle Kably était partie depuis longtemps et il ne m'en restait plus qu'un souvenir tendre; Mlle Victorine Bigillion était beaucoup à la campagne; mon seul plaisir en lecture était Shakespeare et les Mémoires de Saint-Simon, alors en sept volumes, que j'achetai plus tard en douze volumes, avec les Caractères de ...[2], passion qui a duré comme celle des épinards en physique et qui est aussi forte pour le moins à cinquante-trois[3] qu'à treize ans.
J'aimais d'autant plus les mathématiques que je[p. 54] méprisais davantage mes maîtres, MM. Dupuy et Chabert. Malgré l'emphase et le bon ton, l'air de noblesse et de douceur, qu'avait M. Dupuy en adressant la parole à quelqu'un, j'eus assez de pénétration pour deviner qu'il était infiniment plus ignare que M. Chabert. M. Chabert qui, dans la hiérarchie sociale des bourgeois de Grenoble, se voyait tellement au-dessous de M. Dupuy, quelquefois, le dimanche ou le jeudi matin, prenait un volume d'Euler ou de ...[4] et se battait ferme avec la difficulté. Il avait cependant toujours l'air d'un apothicaire qui sait de bonnes recettes, mais rien ne montrait comment ces recettes naissent les unes des autres, nulle logique, nulle philosophie dans cette tête; par je ne sais quel mécanisme d'éducation ou de vanité, peut-être par religion, le bon M. Chabert haïssait jusqu'au nom de ces choses.
Avec ma tête d'aujourd'hui, j'avais il y a deux minutes l'injustice de m'étonner comment je ne vis pas sur-le-champ le remède. Je n'avais aucun secours, par vanité mon grand-père répugnait aux mathématiques, qui étaient la seule borne de sa science presque universelle. Cet homme, ou plutôt monsieur Gagnon n'a jamais rien oublié de ce qu'il a lu, disait-on avec respect à Grenoble. Les mathématiques formaient la seule réponse de ses ennemis. Mon père abhorrait les mathématiques par religion, je crois, il ne leur pardonnait un peu que parce qu'elles apprennent à lever le plan des domaines. Je lui[p. 55] faisais sans cesse des copies du plan de ses biens à Claix, à Echirolles, à Fontagnier, au Chayla (vallée près ...[5]), où il venait de faire une bonne affaire.
Je méprisais Bezout, autant que MM. Dupuy et Chabert.
Il y avait bien cinq à six forts à l'Ecole centrale, qui furent reçus à l'Ecole polytechnique en 1797 ou 98, mais ils ne daignaient pas répondre à mes difficultés[6], peut-être exposées peu clairement, ou plutôt qui les embarrassaient.
J'achetai ou je reçus en prix les œuvres de l'abbé Marie, un volume in-8°. Je lus ce volume avec l'avidité d'un roman. J'y trouvai les vérités exposées en d'autres termes, ce qui me fit beaucoup de plaisir et récompensa ma peine, mais du reste rien de nouveau.
Je ne veux pas dire qu'il n'y ait pas réellement du nouveau, peut-être je ne le comprenais pas, je n'étais pas assez instruit pour le voir.
Pour méditer plus tranquillement, je m'étais établi dans le salon meublé de douze beaux fauteuils brodés par ma pauvre mère et que l'on n'ouvrait qu'une ou deux fois l'an, pour ôter la poussière. Cette pièce m'inspirait le recueillement, j'avais encore, dans ce temps-là, l'image des jolis soupers donnés par ma mère. On quittait ce salon étincelant de lumières pour passer, à dix heures sonnant, dans la belle salle-à-manger, où l'on trouvait un poisson[p. 56] énorme. C'était le luxe de mon père; il avait encore cet instinct dans l'état de dévotion et de spéculations d'agriculture où je l'ai vu abaissé.
C'est sur la table T[7] que j'avais écrit[8] le premier acte ou les cinq actes de mon drame, que j'appelais comédie, en attendant le moment du génie, à peu près comme si un ange eût dû m'apparaître.
Mon enthousiasme pour les mathématiques avait peut-être eu pour base principale mon horreur pour l'hypocrisie, l'hypocrisie, à mes yeux, c'était ma tante Séraphie, madame Vignon et leurs p[rêtres].
Suivant moi, l'hypocrisie était impossible en mathématiques et, dans ma simplicité juvénile, je pensais qu'il en était ainsi dans toutes les sciences où j'avais ouï dire qu'elles s'appliquaient. Que devins-je quand je m'aperçus que personne ne pouvait m'expliquer comment il se faisait que: moins par moins donne plus (-X-= +)? (C'est une des bases fondamentales de la science qu'on appelle algèbre.)
On faisait bien pis que ne pas m'expliquer cette difficulté (qui sans doute est explicable, car elle conduit à la vérité), on me l'expliquait par des raisons évidemment peu claires pour ceux qui me les présentaient[9].
M. Chabert, pressé par moi, s'embarrassait, répétait sa leçon, celle précisément contre laquelle[p. 57] je faisais des objections, et finissait par avoir l'air de me dire:
«Mais c'est l'usage, tout le monde admet cette explication. Euler et Lagrange, qui apparemment valaient autant que vous, l'ont bien admise. Nous savons que vous avez beaucoup d'esprit (cela voulait dire: Nous savons que vous avez remporté un premier prix de belles-lettres et bien parlé à M. Tortelebeau et aux autres membres du Département), vous voulez apparemment vous singulariser.»
Quant à M. Dupuy, il traitait mes timides objections (timides à cause de son ton d'emphase) avec un sourire de hauteur voisin de l'éloignement. Quoique beaucoup moins fort que M. Chabert, il était moins bourgeois, moins borné, et peut-être jugeait sainement de son savoir en mathématiques. Si aujourd'hui je voyais ces Messieurs huit jours, je saurais sur-le-champ à quoi m'en tenir. Mais il faut toujours en revenir à ce point.
Elevé sous une cloche de verre par des parents dont le désespoir rendait encore l'esprit plus étroit, sans aucun contact avec les hommes, j'avais des sensations vives à quinze ans, mais j'étais bien plus incapable qu'un autre enfant de juger les hommes et de deviner leurs diverses comédies. Ainsi, je n'ai pas grande confiance, au fond, dans tous les jugements dont j'ai rempli[10] les 536 pages précédentes. Il n'y a de sûrement vrai que les sensations, seulement pour parvenir à la vérité il faut mettre quatre[p. 58] dièses à mes impressions. Je les rends avec la froideur et les sens amortis par l'expérience d'un homme de quarante ans[11].
Je me rappelle distinctement que, quand je parlais de ma difficulté de moins par moins à un fort, il me riait au nez; tous étaient plus ou moins comme Paul-Emile Teisseire et apprenaient par cœur. Je leur voyais dire souvent au tableau[12], à la fin des démonstrations:
«Il est donc évident que», etc.
Rien n'est moins évident pour vous, pensais-je. Mais il s'agissait de choses évidentes pour moi, et desquelles, malgré la meilleure volonté, il était impossible de douter.
Les mathématiques ne considèrent qu'un petit coin des objets (leur quantité), mais sur ce point elles ont l'agrément de ne dire que des choses sûres, que la vérité, et presque toute la vérité.
Je me figurais à quatorze ans, en 1797, que les hautes mathématiques, celles que je n'ai jamais sues, comprenaient tous ou à peu près tous les côtés des objets, qu'ainsi, en avançant, je parviendrais à savoir des choses sûres, indubitables, et que je pourrais me prouver à volonté, sur toutes choses.
Je fus longtemps à me convaincre que mon objection sur: moins par moins donne plus, ne pourrait pas absolument entrer dans la tête de M. Chabert, que M. Dupuy n'y répondrait jamais que par un[p. 59] sourire de hauteur, et que les forts auxquels je faisais des questions se moqueraient toujours de moi.
J'en fus réduit à ce que je me dis encore aujourd'hui: il faut bien que moins par moins donne plus soit vrai, puisque évidemment, en employant à chaque instant cette règle dans le calcul, on arrive à des résultats vrais et indubitables.
Mon grand malheur était cette figure:
Supposons que RP soit la ligne qui sépare le positif du négatif, tout ce qui est au-dessus est positif, comme négatif tout ce qui est au-dessous; comment, en prenant le carré B autant de fois qu'il y a d'unités dans le carré A, puis-je parvenir à faire changer de côté au carré C?
Et, en suivant une comparaison gauche, que l'accent souverainement traînard et grenoblois de M. Chabert rendait encore plus gauche, supposons que les quantités négatives sont les dettes d'un homme, comment, en multipliant 10.000 francs de dette par 500 francs, cet homme aura-t-il et parviendra-t-il à avoir une fortune de cinq millions?
M. Dupuy et M. Chabert sont-ils des hypocrites comme les p[rêtres] qui viennent dire la [messe][p. 60] chez mon grand-père, et mes chères mathématiques ne sont-elles qu'une tromperie? Je ne savais comment arriver à la vérité. Ah! qu'alors un mot sur la logique ou l'art de trouver la vérité eût été avidement écouté par moi! Quel moment pour m'expliquer la Logique de M. de Tracy! Peut-être j'eusse été un autre homme, j'aurais eu une bien meilleure tête [13].
Je conclus, avec mes pauvres petites forces, que M. Dupuy pouvait bien être un trompeur, mais que M. Chabert était un bourgeois vaniteux qui ne pouvait comprendre qu'il existât des objections non vues par lui.
Mon père et mon grand-père avaient l'Encyclopédie in-folio de Diderot et d'Alembert; c'est, ou plutôt c'était, un ouvrage de sept à huit cents francs. Il faut une terrible influence pour engager un provincial à mettre un tel capital en livres, d'où je conclus, aujourd'hui, qu'il fallait qu'avant ma naissance mon père et mon grand-père eussent été tout-à-fait du parti philosophique[14].
Mon père ne me voyait feuilleter l'Encyclopédie qu'avec chagrin. J'avais la plus entière confiance en ce livre-là, à cause de l'éloignement de mon père et de la haine décidée qu'il inspirait aux p[rêtres] qui fréquentaient la maison. Le grand vicaire et chanoine Rey, grande figure de papier mâché, haut de cinq pieds dix pouces, faisait une singulière grimace en prononçant de travers les noms de Diderot[p. 61] et de d'Alembert. Cette grimace me donnait une jouissance intime et profonde, je suis encore fort susceptible de ce genre de plaisir[15]. Je le goûtai quelquefois en 1815, en voyant les nobles refuser le courage à Nicolas Bonaparte, car alors tel était le nom de ce grand homme, et cependant dès 1807 j'avais désiré passionnément qu'il ne conquît pas l'Angleterre; où se réfugier alors?
Je cherchai donc à consulter les articles mathématiques de d'Alembert dans l'Encyclopédie; leur ton de fatuité, l'absence de culte pour la vérité me choqua fort, et d'ailleurs j'y compris peu. De quelle ardeur j'adorais la vérité alors Avec quelle sincérité je la croyais la reine du monde, dans lequel j'allais entrer! Je ne lui voyais absolument d'autres ennemis que les p[rêtres].
Si moins par moins donne plus m'avait donné beaucoup de chagrin, on peut penser quel noir s'empara de mon âme quand je commençai la Statique de Louis Monge, le frère de l'illustre Monge, et qui allait venir faire les examens pour l'Ecole polytechnique.
Au commencement de la géométrie, on dit: On donne le nom de PARALLÈLES à deux lignes qui, prolongées à l'infini, ne se rencontreraient jamais. Et, dès le commencement de la Statique, cet insigne animal de Louis Monge a mis à peu près ceci: Deux lignes parallèles peuvent être considérées comme se rencontrant, si on les prolonge à l'infini.
Je crus lire un catéchisme[16], et encore un des plus maladroits. Ce fut en vain que je demandai des explications à M. Chabert.
«Mon petit, dit-il en prenant cet air paterne qui va si mal au renard dauphinois, l'air d'Edouard Mounier (pair de France en 1836), mon petit, vous saurez cela plus tard.»
Et le monstre, s'approchant de son tableau en toile cirée et traçant deux lignes parallèles et très voisines, me dit:
«Vous voyez bien qu'à l'infini on peut dire qu'elles se rencontrent.»
Je faillis tout quitter. Un cafard, adroit et bon jésuite[17], aurait pu me convertir à ce moment en commentant cette maxime:
«Vous voyez que tout est erreur, ou plutôt qu'il n'y a rien de faux, rien de vrai, tout est de convention, adoptez les conventions qui vous feront le mieux recevoir dans le monde. Or, la canaille est patriote et toujours salira ce côté de la question; faites-vous donc aristocrate, comme vos parents, et nous trouverons moyen de vous envoyer à Paris et de vous recommander à des dames influentes.»
[1] Le chapitre XXXIV est le chapitre XXIX du manuscrit (fol. 528 à 550; il n'y a pas de fol. 527).—Ecrit à Rome, du 24 au 26 janvier 1836.
[2] ... les Caractères de ...—Un mot illisible.
[3] ... à cinquante-trois qu'à treize ans.—Ms.: «25 x √4 + 3.»
[4] ... un volume d'Euler ou de ...—Le nom a été laissé en blanc.
[5] ... au Chayla (vallée près ...) ...—Le nom a été laissé en blanc.
[6] ... répondre à mes difficultés ...—Variante: «Questions.»
[7] C'est sur la table T ...—Suit un plan d'une partie de l'appartement Beyle, rue des Vieux-Jésuites. Dans le salon, en face de la fenêtre, en T, est la table où travaillait le jeune Henri; dans la «chambre toujours fermée de ma mère»était un «tableau en toile cirée».
[8] ... que j'avais écrit ...—Variante: «Composé.»
[9] ... pour ceux qui me les présentaient—On lit en face du fol. 535 (fol. 534 verso): «Testament,—Je donne et lègue ce volume et tous les volumes de la Vie de Henri Brulard à M. Abraham Constantin, chevalier de la Légion d'honneur, et après lui, s'il ne les imprime pas, à MM. Levavasseur, libraire, place Vendôme, Philarète Chasles, homme de lettres, Amyot, Pourret, libraires. Rome, le 20 janvier 1836. H. BEYLE.»
[10] ... tous les jugements dont j'ai rempli ...—Variante: «Que j'ai écrits dans ... »
[11] ... l'expérience d'un homme de quarante ans.—Les trois quarts du feuillet sont blancs.
[12] Je leur voyais dire souvent au tableau ...—Suit un croquis représentant un élève au tableau, et au pied de l'estrade «M. Dupuy dans son grand fauteuil».
[13] ... j'aurais eu une bien meilleure tête.—En face, au verso du fol. 542, est un plan de l'appartement Beyle, rue des Vieux-Jésuites; dans le salon, près de la fenêtre, la table du jeune Henri «piochant l'abbé Marie», accompagnée de cette inscription: «Bonheur solitaire. Là j'étais à l'abri des vexations de Séraphie. Misanthropie anticipée, à quatorze ans.»
[14] ... mon père et mon grand-père eussent été tout-à-fait du parti philosophique.—Cette conséquence peut être fausse. Au moment où l'Encyclopédie parut, tout le monde en raffola. L'abbé Rochas, mon petit-oncle, dont le revenu ne dépassait probablement pas douze ou quinze cents francs, eut son Encyclopédie, dont les images ont commencé à me donner le goût des gravures, tableaux, etc. Et il était fort bon prêtre, sincèrement attaché à Rome! (Note au crayon de R. Colomb.)
[15] ... je suis encore fort susceptible de ce genre de plaisir.—Qui diable pourrait s'intéresser aux simples mouvements d'un cœur, décrits sans rhétorique? Omar, avril 1836. (Note de Stendhal.)
[16] Je crus lire un catéchisme ...—Ms.: «Chismek.»
[17] ... adroit et bon jésuite ...—Ms.: «Tejé.»
Cela, dit avec entraînement, je devenais un coquin et j'aurais une grande fortune aujourd'hui.
Je me figurais le monde, à treize ans, uniquement d'après les Mémoires secrets de Duclos et les Mémoires de Saint-Simon en sept volumes. Le bonheur suprême était de vivre à Paris, faisant des livres, avec cent louis de rente. Marion me dit que mon père me laisserait bien plus[2].
Il me semble que je me dis: Vraies ou fausses, les mathématiques me sortiront de Grenoble, de cette fange qui me fait mal au cœur.
Mais je trouve ce raisonnement bien avancé pour mon âge. Je continuais à travailler, ç'aurait été un trop grand chagrin d'interrompre, mais j'étais profondément inquiet et attristé.
Enfin, le hasard voulut que je visse un grand homme et que je ne devinsse pas un coquin. Ici, pour la seconde fois le sujet surmonte le disant. Je tâcherai de n'être pas exagéré.
Dans mon adoration pour les mathématiques, j'entendais parler depuis quelque temps d'un jeune homme, fameux Jacobin, grand et intrépide chasseur, et qui savait les mathématiques bien mieux que MM. Dupuy et Chabert, mais qui n'en faisait pas métier. Seulement, comme il était fort peu riche, il avait donné des leçons à cet esprit faux, Anglès (depuis comte et préfet de police, enrichi par Louis XVIII à l'époque des emprunts).
Mais j'étais timide, comment oser l'aborder? Mais ensuite, ses leçons étant horriblement chères, douze sous par leçon, comment payer? (Ce prix me paraît trop ridicule; c'était peut-être vingt-quatre ou quarante sous.)
Je contai tout cela avec plénitude de cœur à ma bonne tante Elisabeth, qui peut-être alors avait quatre-vingts ans, mais son excellent cœur et sa meilleure tête, s'il est possible, n'avaient que trente ans. Généreusement elle me donna beaucoup d'écus de six francs. Mais ce n'était pas l'argent qui devait coûter à cette âme[3]: remplie de l'orgueil le plus juste et le plus délicat, il fallait que je prisse ces leçons en cachette de mon père; et à quels reproches légitimes ne s'exposait-elle pas?
Séraphie vivait-elle encore? Je ne répondrais[p. 65] pas du contraire. Cependant, j'étais bien enfant à la mort de ma tante Séraphie, car, en apprenant sa mort dans la cuisine, vis-à-vis de l'armoire de Marion[4], je me jetai à genoux pour remercier Dieu d'une si grande délivrance.
Cet événement, les écus donnés si noblement par ma tante Elisabeth pour me faire prendre en secret des leçons de cet affreux jacobin, m'a empêché à tout jamais d'être un coquin. Voir un homme sur le modèle des Grecs et des Romains, et vouloir mourir plutôt que de n'être pas comme lui, ne fut qu'un moment: punto (Non sia che un punto (Alfieri)[5].
Je ne sais comment moi, si timide, je me rapprochai de M. Gros. (La fresque est tombée en cet endroit, et je ne serais qu'un plat romancier, comme Don Rugiero Caetani, si j'entreprenais d'y suppléer. Allusion aux fresques du Campo-Santo de Pise et à leur état actuel.)
Sans savoir comment j'y suis arrivé, je me vois dans la petite chambre que Gros occupait à Saint-Laurent, le quartier le plus ancien et le plus pauvre de la ville. C'est une longue et étroite rue, serrée entre la montagne et la rivière. Je n'entrai pas seul dans cette petite chambre, mais quel était mon compagnon d'étude? Etait-ce Cheminade? Là-dessus, oubli le plus complet, toute l'attention de l'âme était apparemment pour Gros. (Ce grand[p. 66] homme est mort depuis si longtemps que je crois pouvoir lui ôter le Monsieur[6].)
C'était un jeune homme d'un blond foncé, fort actif, mais fort gras, il pouvait avoir vingt-cinq à vingt-six ans; ses cheveux étaient extrêmement bouclés et assez longs, il était vêtu d'une redingote[7] et nous dit:
«Citoyens[8], par où commençons-nous? Il faudrait savoir ce que vous savez déjà.
—Mais nous savons les équations du second degré.»
Et, en homme de sens, il se mit à nous montrer ces équations, c'est-à-dire la formation d'un carré de a + b, par exemple, qu'il nous fit élever à la seconde puissance: a2 + 2 ab + b2, la supposition que le premier membre de l'équation était un commencement de carré, le complément de ce carré, etc.
C'étaient les cieux ouverts pour nous, ou du moins pour moi. Je voyais enfin le pourquoi des choses, ce n'était plus une recette d'apothicaire tombée du ciel pour résoudre les équations.
J'avais un plaisir vif, analogue à celui de lire un roman entraînant. Il faut avouer que tout ce que Gros nous dit sur les équations du second degré était à peu près dans l'ignoble Bezout, mais là notre œil ne daignait pas le voir. Cela était si platement exposé que je ne me donnais la peine d'y faire attention.
A la troisième ou quatrième leçon, nous passâmes aux équations du troisième degré, et là Gros fut entièrement neuf. Il me semble qu'il nous transportait d'emblée à la frontière de la science et vis-à-vis la difficulté à vaincre, ou devant le voile qu'il s'agissait de soulever. Par exemple, il nous montrait l'une après l'autre les diverses manières de résoudre les équations du troisième degré, quels avaient été les premiers essais de Cardan[9], peut-être ensuite les progrès, et enfin la méthode présente[10].
Nous fûmes fort étonnés qu'il ne nous fît pas démontrer la même proposition l'un après l'autre. Dès qu'une chose était bien comprise, il passait à une autre.
Sans que Gros fût le moins du monde charlatan, il avait l'effet de cette qualité si utile dans un professeur, comme dans un général en chef, il occupait toute mon âme. Je l'adorais et le respectais tant que peut-être je lui déplus. J'ai rencontré si souvent cet effet désagréable et surprenant que c'est peut-être par une erreur de mémoire que je l'attribue à la première de mes passions d'admiration. J'ai déplu à M. de Tracy et à Madame Pasta pour les admirer avec trop d'enthousiasme[11].
Un jour de grande nouvelle, nous parlâmes politique toute la leçon et, à la fin, il ne voulut pas de notre argent. J'étais tellement accoutumé au genre sordide des professeurs dauphinois, MM. Chabert, Durand, etc., que ce trait fort simple redoubla[p. 68] mon admiration et mon enthousiasme. Il me semble, à cette occasion, que nous étions trois, peut-être Cheminade, Félix Faure et moi, et il me semble aussi que nous mettions, sur la petite table A, chacun une pièce de douze sous.
Je ne me souviens presque de rien pour les deux dernières années 1798 et 1799. La passion pour les mathématiques absorbait tellement mon temps que Félix Faure m'a dit que je portais alors mes cheveux trop longs, tant je plaignais la demi-heure qu'il faudrait perdre pour les faire couper[12].
Vers la fin de l'été 1799, mon cœur de citoyen était navré de nos défaites en Italie, Novi et les autres, qui causaient à mes parents une vive joie, mêlée cependant d'inquiétude. Mon grand-père, plus raisonnable, aurait voulu que les Russes et les Autrichiens n'arrivassent pas à Grenoble. Mais, à vrai dire, je ne puis presque parler de ces vœux de ma famille que par supposition, l'espoir de la quitter bientôt et l'amour vif et direct pour les mathématiques m'absorbaient au point de ne plus donner que bien peu d'attention aux discours de mes parents. Je ne me disais pas distinctement peut-être, mais je sentais ceci: Au point où j'en suis, que me font ces radotages!
Bientôt, une crainte égoïste vint se mêler à mon chagrin de citoyen. Je craignais qu'à cause de[p. 69] l'approche des Russes il n'y eût pas d'examen à Grenoble.
Bonaparte débarqua à Fréjus. Je m'accuse d'avoir eu ce désir sincère: ce jeune Bonaparte, que je me figurais un beau jeune homme comme un colonel d'opéra-comique, devrait se faire roi de France.
Ce mot ne réveillait en moi que des idées brillantes et généreuses. Cette plate erreur était le fruit de ma plus plate éducation. Mes parents étaient comme des domestiques à l'égard du Roi. Au seul nom de Roi et de Bourbon, les larmes leur venaient aux yeux.
Je ne sais pas si, ce plat sentiment, je l'eus en 1797, en me délectant au récit des batailles de Lodi, d'Arcole, etc., etc., qui désolaient mes parents qui longtemps cherchèrent à ne pas y croire, ou si je l'eus en 1799, à la nouvelle du débarquement de Fréjus. Je penche pour 1797.
Dans le fait, l'approche de l'ennemi fit que M. Louis Monge, examinateur de l'Ecole polytechnique, ne vint pas à Grenoble. Il faudra que nous allions à Paris, dîmes-nous tous. Mais, pensais-je, comment obtenir un tel voyage de mes parents? Aller dans la Babylone moderne, dans la ville de la corruption, à seize ans et demi! Je fus extrêmement agité, mais je n'ai aucun souvenir distinct.
Les examens du cours de mathématiques de[p. 70] M. Dupuy arrivèrent et ce fut un triomphe pour moi.
Je remportai le premier prix sur huit ou neuf jeunes gens, la plupart plus âgés et plus protégés que moi, et qui tous, deux mois plus tard, furent reçus élèves de l'Ecole polytechnique.
Je fus éloquent au tableau; c'est que je parlais d'une chose à laquelle je réfléchissais passionnément depuis quinze mois au moins, et que j'étudiais depuis trois ans (à vérifier), depuis l'ouverture du cours de M. Dupuy dans la salle du rez-de-chaussée de l'Ecole centrale. M. Dausse, homme obstiné et savant, voyant que je savais, me fit les questions les plus difficiles et les plus propres à m'embarrasser. C'était un homme d'un aspect terrible et jamais encourageant. (Il ressemblait à Domeniconi, un excellent acteur que j'admire à Valle en janvier 1836.)
M. Dausse, ingénieur en chef, ami de mon grand-père (qui était présent à mon examen et avec délices), ajouta au premier prix un volume in-4° d'Euler. Peut-être ce don fut-il fait en 1798, année à la fin de laquelle je remportai aussi le premier prix de mathématiques. (Le cours de M. Dupuy se composait de deux années, ou même de trois.)
Aussitôt après l'examen, le soir, ou plutôt le soir du jour que mon nom fut affiché avec tant de gloire («Mais à cause de la façon dont [p. 71]le citoyen «B[eyle] a répondu, de l'exactitude, de la facilité «brillante...»), c'est le dernier effort de la politique de M. Dupuy; sous prétexte de ne pas nuire à mes sept ou huit camarades, le plus fort avait été de leur faire obtenir le premier prix, sous prétexte de ne pas leur nuire pour l'admission à l'Ecole polytechnique; mais M. Dausse, entêté en diable, fit mettre dans le procès-verbal, et par conséquent imprimer, une phrase comme la précédente.
Je me vois passant dans le bois du Jardin-de-Ville, entre la statue d'Hercule et la grille, avec Bigillion et deux ou trois autres, enivrés de mon triomphe, car tout le monde le trouva juste et on voyait bien que M. Dupuy ne m'aimait pas; le bruit des leçons que j'étais allé prendre de ce jacobin de Gros, moi qui avais l'avantage de suivre son cours, de lui M. Dupuy, n'était pas pour me réconcilier avec lui.
Donc, passant par là, je disais à Bigillion, en philosophant comme notre habitude:
«En ce moment, on pardonnerait à tous ses ennemis.
—Au contraire, dit Bigillion, on s'approcherait d'eux pour les vaincre.»
La joie m'enivrait un peu, il est vrai, et je faisais des raisonnements pour la cacher; cependant, au fond, cette réponse marque la profonde bassesse de Bigillion, plus terre-à-terre que moi, et, en même temps, l'exaltation espagnole à laquelle[13] j'eus le malheur d'être sujet toute ma vie[14].
Je vois des circonstances: Bigillion, mes compagnons et moi, nous venions de lire l'affiche avec la phrase sur moi.
Sous la voûte du concert, le procès-verbal des examens, signé des membres de l'administration départementale, était affiché à la porte de la Salle des Concerts.
Après cet examen triomphant, j'allai à Claix. Ma santé avait un besoin impérieux de repos[15]. Mais j'avais une inquiétude nouvelle, à laquelle je rêvais dans le petit bois de Doyatières et dans les broussailles des îlots le long du Drac et de la pente à 45 degrés de Comboire[16] (je ne portais plus un fusil que pour la forme): mon père me donnerait-il de l'argent pour aller m'engouffrer dans la nouvelle Babylone, dans ce centre d'immoralité, à seize ans et demi?
Ici encore, l'excès de la passion, de l'émotion a détruit tout souvenir. Je ne sais nullement comment mon départ s'arrangea.
Il fut question d'un second examen par M. Dupuy, j'étais harassé, excédé de travail, réellement les forces étaient à bout. Repasser l'arithmétique, la géométrie, la trigonométrie, l'algèbre, les sections coniques, la statique, de façon à subir un nouvel examen, était une atroce corvée. Réellement, je n'en pouvais plus. Ce nouvel effort, auquel je m'attendais bien, mais en décembre, m'aurait fait[p. 73] prendre en horreur mes chères mathématiques. Heureusement, la paresse de M. Dupuy, occupé de ses vendanges de Noyarey, vint au secours de la mienne. Il me dit en me tutoyant, ce qui était le grand signe de faveur, qu'il connaissait parfaitement ce que je savais, qu'un nouvel examen était inutile, et il me donna d'un air digne et sacerdotal un superbe certificat certifiant une fausseté, à savoir qu'il m'avait fait subir un nouvel examen pour mon admission à l'Ecole polytechnique et que je m'en étais tiré supérieurement.
Mon oncle me donna deux ou quatre louis d'or que je refusai. Probablement, mon excellent grand-père et ma tante Elisabeth me firent des cadeaux, dont je n'ai aucune mémoire.
Mon départ fut arrangé avec un M. Rosset, connaissance de mon père, et qui retournait à Paris où il était établi.
Ce que je vais dire n'est pas beau. Au moment précis du départ, attendant la voiture, mon père reçut mes adieux au Jardin-de-Ville, sous les fenêtres des maisons faisant face à la rue Montorge.
Il pleuvait un peu. La seule impression que me firent ses larmes fut de le trouver bien laid. Si le lecteur me prend en horreur, qu'il daigne se souvenir des centaines de promenades forcées aux Granges avec ma tante Séraphie, des promenades où l'on me forçait, pour me faire plaisir. C'est cette hypocrisie[p. 74] qui m'irritait le plus et qui m'a fait prendre ce vice en exécration.
L'émotion m'a ôté absolument tout souvenir de mon voyage avec M. Rosset, de Grenoble à Lyon, et de Lyon à Nemours.
C'était dans les premiers jours de novembre 1799, car à Nemours, à vingt ou vingt-cinq lieues de Paris, nous apprîmes les événements du 18 brumaire (ou 9 novembre 1799), qui avaient eu lieu la veille.
Nous les apprîmes le soir, je n'y comprenais pas grand'chose, et j'étais enchanté que le jeune général Bonaparte se fît roi de France. Mon grand-père parlait souvent et avec enthousiasme de Philippe-Auguste et de Bouvines, tout roi de France était, à mes yeux, un Philippe-Auguste, un Louis XIV ou un voluptueux Louis XV, comme je l'avais vu dans les Mémoires secrets de Duclos.
La volupté ne gâtait rien à mon imagination. Mon idée fixe, en arrivant à Paris, l'idée à laquelle je revenais quatre ou cinq fois le jour, en sortant, à la tombée de la nuit, à ce moment de rêverie, était qu'une jolie femme, une femme de Paris, bien autrement belle que Mlle Kably ou ma pauvre Victorine, verserait en ma présence ou tomberait dans quelque grand danger duquel je la sauverais, et je devais partir de là pour être son amant. Ma raison était une raison de chasseur.
Je l'aimerais avec tant de transport que je devais la trouver!
Cette folie, jamais avouée à personne, a peut-être duré six ans. Je ne fus un peu guéri que par la sécheresse des dames de la cour de Brunswick, au milieu desquelles je débutai, en novembre 1806.
[1] Le chapitre XXXV est le chapitre XXX du manuscrit (fol. 550 à 579).—Ecrit à Rome, les 26, 27, 29 et 30 janvier 1836.
[2] ... mon père me laisserait bien plus.—Variante: «Davantage.»
[3] Mais ce n était pas l'argent qui devait coûter à cette âme ...—Variantes: «Ce n'était pas là ce qui devait lui sembler pénible,»et: «Ce n'était pas l'argent qui coûtait à cette âme.»
[4] ... dans la cuisine, vis-à-vis de l'armoire de Marion ...—Suit un plan de la cuisine.
[5] (Non sia che un punto (Alfieri).—La moitié de la page a été laissée en blanc.
[6] ... que je crois pouvoir lui ôter le Monsieur.—On lit, en face, au verso du fol. 555: «A placer: courses à la Grande-Chartreuse et Sarcenas.»
[7] ... il était vêtu d'une redingote ...—Gros était plus que négligé dans sa toilette; je l'ai vu lors de mon examen au cours d'histoire ancienne, dans l'été (1797 ou 1798), avec un pantalon large en nankin et sans bas. Autant que je puis m'en souvenir, il faisait payer chaque leçon trois francs, somme énorme, si on considère la valeur de l'argent, à Grenoble, à cette époque! (Note au crayon de R. Colomb.)
[8] «Citoyens, par où commençons-nous?—Suit un plan de la salle d'études, dans l'appartement de Gros, rue Saint-Laurent. En «C, petit mauvais tableau, en toile cirée». A côté du plan, en «C, coupe de ce mauvais tableau; R, rebord où il y avait de la mauvaise craie blanche qui s'écrasait sous le doigt en écrivant sur le tableau. Je n'ai jamais rien vu de si pitoyable.»
[9] ... Cardan ...—Jérôme Cardan, mathématicien italien (1501-1576), découvrit la formule, ou du moins la démonstration, de l'équation du troisième degré, qui a pris le nom de formule de Cardan.
[10] ... enfin la méthode présente.—La moitié du fol. 559 est en blanc.
[11] ... avec trop d'enthousiasme.—On lit en tête du fol. 561: «29 janvier 1836. Pluie et temps froid, promenade à San Pietro in Montorio, où j'eus l'idée de ceci vers 1832.»
[12] ... qu'il faudrait perdre pour les faire couper.—La moitié de ce fol. a été laissée en blanc. Les fol. 563 et 564 sont blancs.
[13] ... l'exaltation espagnole à laquelle ...—Ms.: «Auquel.»
[14] ... j'eus le malheur d'être sujet toute ma vie.—En face, au verso du fol. 571, est un plan du bois du Jardin-de-Ville. Le bois était entouré d'une grille, et au milieu se trouvait la statue d'Hercule.—Cette statue est placée aujourd'hui plus au nord, dans la partie du jardin dite Jardin Français.
[15] Ma santé avait un besoin impérieux de repos.—En face, au verso du fol. 572, on lit: «Rome, 28 janvier 1836. Testament: Je lègue et donne ce volume et les deux précédents de la Vie de Henri Brulard à M. Abraham Constantin, chevalier de la Légion d'honneur, peintre sur porcelaine, domicilié à Genève, et après lui, s'il n'imprime pas, à MM. Romain Colomb, rue Godot-de-Mauroy, n° 35, à Paris, Levavasseur, libraire, Paulin, libraire, l'un après l'autre, Philarète Chastes, homme de lettres. Le manuscrit appartiendra à celui de ces Messieurs qui trouvera de son intérêt de l'imprimer, en abrégé ou en totalité. Rome, le 28 janvier 1836. H. BEYLE.»
[16] ... la pente à 45 degrés de Comboire ...—Suit un croquis du rocher de Comboire.
M. Rosset me déposa dans un hôtel à l'angle des rues de Bourgogne et Saint-Dominique; on y entrait par la rue Saint-Dominique. On voulait me mettre près de l'Ecole polytechnique, où l'on croyait que j'allais entrer.
Je fus fort étonné du son des cloches qui sonnaient l'heure. Les environs de Paris m'avaient semblé horriblement laids; il n'y avait point de montagnes! Ce dégoût augmenta rapidement les jours suivants.
Je quittai l'hôtel et, par économie, pris une chambre sur le quinconce des Invalides. Je fus un peu recueilli et guidé par les mathématiciens qui, l'année[p. 78] précédente, étaient entrés à l'Ecole. Il fallut les aller voir.
Il fallut aller voir aussi mon cousin Daru.
C'était exactement la première visite que je faisais de ma vie.
M. Daru, homme du monde, âgé de quelque soixante-cinq ans, dut être bien scandalisé de ma gaucherie et cette gaucherie dut être bien dépourvue de grâce.
J'arrivais à Paris avec le projet arrêté d'être un séducteur de femmes, ce que j'appellerais aujourd'hui un Don Juan (d'après l'opéra de Mozart).
M. Daru avait été longtemps secrétaire général de M. de Saint-Priest, intendant du Languedoc, qui forme, ce me semble, sept départements aujourd'hui. On peut avoir vu dans les histoires que le fameux Basville[2], ce sombre tyran, avait été intendant ou plutôt roi du Languedoc de 1685 à 1710 peut-être. C'était un pays d'Etat, ce vestige de discussion publique et de liberté exigeait un secrétaire général habile sous un intendant espèce de grand seigneur, comme M. de Saint-Priest[3], qui fut peut-être intendant de 1775 à 1786.
M. Daru, sorti de Grenoble, fils d'un bourgeois prétendant à la noblesse, mais pauvre par orgueil, comme toute ma famille, était fils de ses œuvres, et sans voler avait peut-être réuni quatre ou cinq cent mille francs. Il avait traversé la Révolution avec adresse, et sans se laisser aveugler par l'amour[p. 79] ou la haine qu'il pouvait avoir pour les préjugés, la noblesse et le clergé. C'était un homme sans passion autre que l'utile de la vanité ou la vanité de l'utile, je l'ai vu trop d'en bas pour discerner lequel. Il avait acheté une maison rue de Lille, n° 505, au coin de la rue de Bellechasse, dont il n'occupait modestement que le petit appartement au-dessus de la porte cochère.
Le premier au fond de la cour était loué à Mme Rebuffel[4], femme d'un négociant du premier mérite, et homme à caractère et à âme chaude, tout le contraire de M. Daru. M. Rebuffel, neveu de M. Daru, lequel s'accommodait, par son caractère pliant et tout à tous, de son oncle.
M. Rebuffel venait, chaque jour, passer un quart d'heure avec sa femme et sa fille Adèle, et du reste vivait rue Saint-Denis, à sa maison de commission (commerce), avec Mlle Barberen, son associée et sa maîtresse, fille active, commune, de trente ou trente-cinq ans, qui m'avait fort la mine de faire des scènes et des cornes à son amant et de le désennuyer ferme.
Je fus accueilli avec affection et ouverture de cœur par l'excellent M. Rebuffel, tandis que M. Daru le père me reçut avec des phrases d'affection et de dévouement pour mon grand-père, qui me serraient le cœur et me rendaient muet.
M. Daru était un grand et assez beau vieillard avec un grand nez, chose assez rare en Dauphiné;[p. 80] il avait un œil un peu de travers et l'air assez faux. Il avait avec lui une petite vieille toute ratatinée, toute provinciale, qui était sa femme; il l'avait épousée jadis, à cause de sa fortune, qui était considérable, et du reste elle n'osait pas souffler devant lui.
Mme Daru était bonne au fond et fort polie, avec un petit air de dignité convenable à une sous-préfète de province. Du reste, je n'ai jamais rencontré d'être qui fût plus complètement privé du feu céleste. Rien au monde n'aurait pu émouvoir cette âme pour quelque chose de noble et de généreux. La prudence la plus égoïste, et dont on se glorifie, occupe chez ces sortes d'âmes la possibilité, la place de l'émotion colérique ou généreuse.
Cette disposition prudente, sage, mais peu aimable, formait le caractère de son fils aîné, M. le comte Daru, ministre secrétaire d'Etat de Napoléon, qui a tant influé sur ma vie, de Mlle Sophie, depuis Mme de Baure, sourde, de Mme Le Brun, maintenant Mme la marquise de Graves[5].
Son second fils, Martial Daru, n'avait ni tête, ni esprit, mais un bon cœur; il lui était impossible de faire du mal à quelqu'un.
Madame Cambon, fille aînée de M. et de Mme Daru, avait peut-être un caractère élevé, mais je ne fis que l'entrevoir: elle mourut quelques mois après mon arrivée à Paris.
Est-il besoin d'avertir que j'esquisse le caractère[p. 81] de ces personnages tel que je lai vu depuis? Le trait définitif, qui me semble le vrai, m'a fait oublier tous les traits antérieurs (terme de dessin).
Je ne conserve que des images de ma première entrée dans le salon de M. Daru.
Par exemple, je vois fort bien la petite robe d'indienne rouge que portait une aimable petite fille de cinq ans, la petite-fille de M. Daru et de laquelle il s'amusait, comme le vieux et ennuyé Louis XIV de Mme la duchesse de Bourgogne. Cette aimable petite fille, sans laquelle un silence morne eût régné souvent dans le petit salon de la rue de Lille, était Mlle Pulchérie Le Brun (maintenant Mme la marquise de Brossard, fort impérieuse, dit-on, avec la taille d'un tonneau[6], et qui commande à la baguette à son mari, M. le général de Brossard, qui commande lui-même le département de la Drôme).
M. de B..... est un panier percé qui se prétend de la plus haute noblesse, descendant de Louis le Gros, je crois, hâbleur, finasseur, peu délicat sur les moyens de restaurer ses finances toujours en désarroi. Total: caractère de noble pauvre, c'est un vilain caractère et qui s'allie d'ordinaire à beaucoup de malheurs. (J'appelle caractère d'un homme sa manière habituelle d'aller à la chasse du bonheur, en termes plus clairs, mais moins qualificatifs, l'ensemble de ses habitudes morales.)
Mais je m'égare. J'étais bien loin de voir les choses, même physiques, aussi nettement en décembre[p. 82] 1799. J'étais tout émotion, et cet excès d'émotion ne m'a laissé que quelques images fort nettes, mais sans explications des comment et des pourquoi.
Ce que je vois aujourd'hui fort nettement, et qu'en 1799 je sentais fort confusément, c'est qu'à mon arrivée à Paris, deux grands objets de désirs constants et passionnés tombèrent à rien, tout-à-coup. J'avais adoré Paris et les mathématiques. Paris sans montagnes m'inspira un dégoût si profond qu'il allait presque jusqu'à la nostalgie. Les mathématiques ne furent plus pour moi que comme l'échafaudage du feu de joie de la veille (chose vue à Turin, le lendemain de la Saint-Jean 1802).
J'étais tourmenté par ces changements dont je ne voyais, bien entendu, à seize ans et demi, ni le pourquoi ni le comment.
Dans le fait, je n'avais aimé Paris que par dégoût profond pour Grenoble.
Quant aux mathématiques, elles n'avaient été qu'un moyen. Je les haïssais même un peu en novembre 1799, car je les craignais. J'étais résolu à ne pas me faire examiner à Paris, comme firent les sept ou huit élèves qui avaient remporté le premier prix, après moi, à l'Ecole centrale, et qui tous furent reçus. Or, si mon père avait pris quelque soin, il m'eût forcé à cet examen, je serais entré à l'Ecole, et je ne pouvais plus vivre à Paris en faisant des comédies.
De toutes mes passions, c'était la seule qui me restât.
Je ne conçois pas, et cette idée me vient pour la première fois trente-sept ans après les événements, en écrivant ceci, je ne conçois pas comment mon père ne me força pas à me faire examiner. Probablement, il se fiait à l'extrême passion qu'il m'avait vue pour les mathématiques. Mon père, d'ailleurs, n'était ému que de ce qui était près de lui. J'avais cependant une peur du diable d'être forcé à entrer à l'Ecole, et j'attendais avec la dernière impatience l'annonce de l'ouverture des cours. En sciences exactes, il est impossible de prendre un cours à la troisième leçon.
Venons aux images qui me restent.
Je me vois prenant mon dîner, seul et délaissé, dans une chambre économique que j'avais louée sur le quinconce des Invalides, au bout, entre l'extrémité (de ce côté du quinconce) des rues de l'Université et Saint-Dominique, à deux pas de cet hôtel de la liste civile de l'Empereur où je devais, quelques années plus tard, jouer un rôle si différent.
Le profond désappointement de trouver Paris peu aimable m'avait embarrassé l'estomac. La boue de Paris, l'absence de montagnes, la vue de tant de gens occupés, passant rapidement dans de belles voitures à côté de moi, comme des personnes n'ayant rien à faire, me donnaient un chagrin profond.
Un médecin qui se fût donné la peine d'étudier mon état, assurément peu compliqué, m'eût donné de l'émétique et ordonné d'aller tous les trois jours à Versailles ou à Saint-Germain.
Je tombai dans les mains d'un insigne charlatan et encore plus ignorant, c'était un chirurgien d'armée, fort maigre, établi dans les environs des Invalides, quartier alors fort misérable, et dont l'office était de soigner les blennorrhagies des élèves de l'Ecole polytechnique. Il me donna des médecines noires que je prenais seul et abandonné dans ma chambre, qui n'avait qu'une fenêtre à sept ou huit pieds d'élévation, comme une prison. Là, je me vois tristement assis à côté d'un petit poële de fer, ma tisane posée par terre.
Mais mon plus grand mal, en cet état, était cette idée qui revenait sans cesse: Grand Dieu! quel mécompte! mais que dois-je donc désirer?
[1] Le chapitre XXXVI est le chapitre XXXI en manuscrit (fol. 580 à 596). Ecrit du 30 janvier au 2 février 1836.—Ce chapitre commence le livre II de la Vie de Henri Brulard. L'ouvrage n'ayant pas été terminé, je n'ai pas cru devoir conserver la division primitivement adoptée par Stendhal.
[2] ... le fameux Basville ...—Nicolas de Lamoignon, 2e fils du président Guillaume de Lamoignon, prit à la mort de son père (1677) le titre de marquis de Basville, sous lequel il est connu. Il fut intendant du Languedoc depuis le 13 août 1685 jusqu'au mois de mai 1718.
[3] ... M. de Saint-Priest ...—Marie-Joseph-Emmanuel de Guignard de Saint-Priest, né à Grenoble en 1732, obtint la survivance de l'intendance du Languedoc en 1764. Il fut remplacé, en 1786, par Ballainvilliers.
[4] ... Mme Rebuffel ...—Stendhal a écrit en surcharge: «Deruffel.»
[5] ... Mme la marquise de Graves.—Le nom est en blanc.
[6] ... avec la taille d'émotion un tonneau ...—Variante: «Grosse comme un tonneau.»
Il faut convenir que la chûte était grande, affreuse. Et c'était un jeune homme de seize ans et demi, une des âmes les moins raisonnables et les plus passionnées[2] que j'aie jamais rencontrées qui l'éprouvait!
Je n'avais confiance en personne.
J'avais entendu les p[rêtres] de Séraphie et de mon père se glorifier de la facilité avec laquelle ils menaient, c'est-à-dire ils trompaient, telle personne ou telle réunion de personnes.
La r[eligion] me semblait une machine noire et puissante, j'avais encore quelque croyance en l'en[fer], mais aucune en ses p[rêtres]. Les images de l'e[nfer] que j'avais vues dans la B[ible] in-8°[p. 86] reliée en parchemin vert, avec figures, et dans les éditions du Dante de ma pauvre mère me faisaient horreur; mais pour les p[rêtres], néant. J'étais loin de voir ce qu'elle est en réalité, une corporation puissante et à laquelle il est si avantageux d'être affilié, témoin mon contemporain et compatriote le jeune Genoude qui, sans bas, m'a souvent servi du café au café Genoude, au coin de la Grande-Rue et de la rue du Département[3], et qui depuis vingt ans est à Paris M. de Genoude.
Je n'avais pour appui que mon bon sens et ma croyance dans l'esprit d'Helvétius. Je dis croyance exprès: élevé sous une machine pneumatique, saisi d'ambition, à peine émancipé par mon envoi à l'Ecole centrale, Helvétius ne pouvait être pour moi que prédiction des choses que j'allais rencontrer. J'avais confiance dans cette vague prédiction parce que deux ou trois petites prédictions, aux yeux de ma si courte expérience, s'étaient vérifiées.
Je n'étais point ficelle, fin, méfiant, sachant me tirer avec un excès d'adresse et de méfiance d'un marché de douze sous, comme la plupart de mes camarades, en comptant les morceaux de cotterets qui devaient former les falourdes fournies par l'hôte, comme les Monval, mes camarades, que je venais de retrouver à Paris et à l'Ecole, où ils étaient depuis un an. J'étais, dans les rues de Paris, un rêveur passionné, regardant au ciel et toujours sur le point d'être écrasé par un cabriolet.
En un mot, je n'étais point habile aux choses de la vie, et par conséquent je ne pouvais être apprécié, comme dit ce matin je ne sais quel journal de 1836, en style de journal qui veut faire illusion sur la[4] pensée nulle ou puérile par l'insolite du style.
Voir cette vérité sur mon compte eût été être habile aux choses de la vie.
Les Monval me donnaient des avis fort sages, tendant à ne pas me laisser voler deux ou trois sous par jour, et leurs idées me faisaient horreur, ils devaient me trouver un imbécile sur le chemin des Petites-Maisons. Il est vrai que, par orgueil, j'exprimais peu mes idées[5]. Il me semble que ce furent les Monvaux, ou d'autres élèves arrivés un an auparavant à l'Ecole, qui me procurèrent ma chambre et mon médecin à bon marché.
Fut-ce Sinard? Etait-il mort de la poitrine à Grenoble un an avant, ou n'y mourut-il qu'un an ou deux ans après?
Au milieu de ces amis, ou plutôt de ces enfants remplis de bon sens et disputant trois sous par jour à l'hôte qui sur chacun de nous, pauvres diables, gagnait peut-être légitimement huit sous par jour et en volait trois, total: onze sous, j'étais plongé dans des extases involontaires, dans des rêveries interminables, dans des inventions infinies (comme dit le journal avec importance[6]).
J'avais ma liste des liens combattant les passions, par exemple: prêtre et amour, père et amour[p. 88] de la Patrie, ou Brutus, qui me semblait la clef du sublime en littérature. Cela était tout-à-fait inventé par moi. Je l'ai oublié depuis vingt-six ans peut-être, il faut que j'y revienne.
J'étais, constamment, profondément ému. Que dois-je donc aimer, si Paris ne me plaît pas? Je me répondais: «Une charmante femme versant à dix pas de moi; je la relèverai, et nous nous adorerons, elle connaîtra mon âme et verra combien je suis différent des Monvaux.»
Mais cette réponse, étant du plus grand sérieux, je me la faisais deux ou trois fois le jour, et surtout à la tombée de la nuit, qui souvent pour moi est encore un moment d'émotion tendre, je suis disposé à embrasser ma maîtresse les larmes aux yeux (quand j'en ai).
Mais j'étais un être constamment ému et ne songeant jamais que dans de rares moments de colère a empêcher notre hôtesse de me voler trois sous sur les falourdes.
Oserai-je le dire? Mais peut-être c'est faux, j'étais un poète. Non pas, il est vrai, comme cet aimable abbé Delille que je connus deux ou trois ans après par Cheminade (rue des Francs-Bourgeois, au Marais), mais comme le Tasse, comme un centième du Tasse, excusez l'orgueil. Je n'avais pas cet orgueil en 1799, je ne savais pas faire un vers. Il n'y a pas quatre ans que je me dis qu'en 1799 j'étais bien près d'être un poète. Il ne me manquait[p. 89] que l'audace d'écrire, qu'une cheminée par laquelle le génie pût s'échapper.
Après poète voici le génie, excusez du peu.
«Sa sensibilité est devenue trop vive: ce qui ne fait qu'effleurer les autres, le blesse jusqu'au sang.»Tel j'étais en 1799, tel je suis encore en 1836, mais j'ai appris à cacher tout cela sous l'ironie imperceptible au vulgaire, mais que Fiore a fort bien devinée.
«Les affections et les tendresses de sa vie sont écrasantes et disproportionnées, ses enthousiasmes excessifs l'égarent, ses sympathies sont trop vraies[7], ceux qu'il plaint souffrent moins que lui.»
Ceci est à la lettre pour moi. (A l'emphase et à l'importance près (self importance), ce journal a raison.)
Ce qui fait marquer ma différence avec les niais importants du journal, et qui portent leur tête comme un saint-sacrement, c'est que je n'ai jamais cru que la société me dût la moindre chose, Helvétius me sauva de cette énorme sottise. La société paie les services qu'elle voit.
L'erreur et le malheur du Tasse fut de se dire: «Comment! toute l'Italie, si riche, ne pourra pas faire une pension de deux cents sequins (2.300 francs) à son poète!»
J'ai lu cela dans une de ses lettres.
Le Tasse ne voyait pas, faute d'Helvétius, que les cent hommes qui, sur dix millions, comprennent le beau qui n'est pas imitation ou perfectionnement du beau déjà compris par le vulgaire, ont besoin de[p. 90] vingt ou trente ans pour persuader aux vingt mille âmes, les plus sensibles après les leurs, que ce nouveau beau est réellement beau.
J'observerai qu'il y a exception quand l'esprit de parti s'en mêle. M. de Lamartine a fait peut-être en sa vie deux cents beaux vers. Le parti ultra, vers 1818, étant accusé de bêtise (on les appelait M. de la Jobardière), sa vanité blessée vanta l'œuvre d'un noble avec la force de l'irruption d'un lac orageux qui renverse[8] sa digue[9].
Je n'ai donc jamais eu l'idée que les hommes fussent injustes envers moi. Je trouve souverainement ridicule le malheur de tous nos soi-disant poètes, qui se nourrissent de cette idée et qui blâment les contemporains de Cervantès et du Tasse.
Il me semble que mon père me donnait alors cent francs par mois, ou cent cinquante francs. C'était un trésor, je ne songeais nullement à manquer d'argent, par conséquent, je ne songeais nullement à l'argent.
Ce qui me manquait, c'était un cœur aimant, c'était une femme.
Les filles me faisaient horreur. Quoi de plus simple que de faire comme aujourd'hui, prendre une jolie fille pour un louis, rue des Moulins?
Les louis ne me manquaient pas. Sans doute mon grand-père et ma grand'tante Elisabeth m'en avaient donné, et je ne les avais certainement pas[p. 91] dépensés. Mais le sourire d'un cœur aimant! mais le regard de Mlle Victorine Bigillion!
Tous les contes gais, exagérant la corruption et l'avidité des filles, que me faisaient les mathématiciens faisant fonctions d'amis autour de moi, me faisaient mal au cœur.
Ils parlaient des pierreuses, des filles à deux sous, sur les pierres de taille, à deux cents pas de la porte de notre chétive maison[10].
Un cœur ami, voilà ce qui me manquait. M. Sorel[11] m'invitait à dîner quelquefois, M. Daru aussi, je suppose, mais je trouvais ces hommes si loin de mes extases sublimes, j'étais si timide par vanité, surtout avec les femmes, que je ne disais rien.
Une femme? une fille? dit Chérubin. A la beauté près, j'étais Chérubin, j'avais des cheveux noirs très frisés et des yeux dont le feu faisait peur.
L'homme que j'aime, ou: Mon amant est laid, mais personne ne lui reproche sa laideur, il a tant d'esprit! Voilà ce que disait, vers ce temps, Mlle Victorine Bigillion à Félix Faure, qui ne sut que longues années après de qui il s'agissait.
Il tourmentait un jour sa jolie voisine, Mlle Victorine Bigillion, sur son indifférence. Il me semble que Michel ou Frédéric Faure, ou lui Félix, voulait faire la cour à Mlle Victorine.
(Félix Faure, pair de France, Premier Président de la Cour royale de Grenoble, être plat et physique usé.)
Frédéric Faure, Dauphinois fin, exempt de toute générosité, de l'esprit, mort capitaine d'artillerie à Valence.
Michel, encore plus fin, encore plus Dauphinois, peut-être peu brave, capitaine de la garde impériale, connu par moi à Vienne en 1809, directeur du dépôt de mendicité à Saint-Robert, près Grenoble (dont j'ai fait M. Valenod dans le Rouge).
Bigillion, excellent cœur, honnête homme, fort économe, greffier en chef du Tribunal de première instance, s'est tué vers 1827, ennuyé, je crois, d'être cocu, mais sans colère contre sa femme.
Je ne veux pas me peindre comme un amant malheureux à mon arrivée à Paris, en novembre 1799, ni même comme un amant. J'étais trop occupé du monde et de ce que j'allais faire dans ce monde si inconnu pour moi.
Ce problème était ma maîtresse, de là mon idée que l'amour, avant un état et le début dans le monde, ne peut pas être dévoué et entier comme l'amour chez un être qui se figure savoir ce que c'est que le monde.
Cependant, souvent je rêvais avec transport à nos montagnes du Dauphiné; et Mlle Victorine passait plusieurs mois, chaque année, à la Grande-Chartreuse, où ses ancêtres avaient reçu saint Bruno en 1100. La Grande-Chartreuse était la seule montagne que je connusse. Il me semble que j'y étais déjà allé une ou deux fois avec Bigillion et Rémy.
J'avais un souvenir tendre de Mlle Victorine, mais je ne doutais pas un instant qu'une jeune fille de Paris ne lui fût cent fois supérieure. Toutefois, le premier aspect de Paris me déplaisait souverainement[12].
Ce déplaisir profond, ce désenchantement, réunis à un exécrable médecin, me rendirent, ce me semble, assez malade. Je ne pouvais plus manger.
M. Daru me fit-il soigner dans cette première maladie?
Tout-à-coup, je me vois dans une chambre, au troisième étage, donnant sur la rue du Bac; on entrait dans ce logement par le passage Sainte-Marie, aujourd'hui si embelli et si changé. Ma chambre était une mansarde et le dernier étage de l'escalier, indigne[13].
Il faut que je fusse bien malade, car M. Daru père m'amena le fameux docteur Portai, dont la figure m'effraya. Elle avait l'air de se résigner en voyant un cadavre. J'eus une garde, chose bien nouvelle pour moi.
J'ai appris depuis que je fus menacé d'une hydropisie de poitrine. J'eus, je pense, du délire, et je fus bien trois semaines ou un mois au lit.
Félix Faure venait me voir, ce me semble. Je crois qu'il m'a conté et, en y pensant, j'en suis sûr, que, dans le délire, je l'exhortais, lui qui faisait fort bien des armes, à retourner à Grenoble et appeler en duel ceux qui se moqueraient de nous parce que[p. 94] nous n'étions pas entrés à l'Ecole polytechnique. Si je reparle jamais à ce juge des prisonniers d'avril, lui faire des questions sur notre vie de 1799. Cette âme froide, timide et égoïste doit avoir des souvenirs exacts, d'ailleurs il doit être de deux ans plus âgé que moi et être né vers 1781[14].
Je vois deux ou trois images de la convalescence.
Ma garde-malade me faisait le pot-au-feu, près de ma cheminée, ce qui me semblait bas, et l'on me recommandait fort de ne pas prendre froid; comme j'étais souverainement ennuyé d'être au lit, je prenais garde aux recommandations. Les détails de vie physique de Paris me choquaient.
Sans aucun intervalle, après la maladie, je me vois logé dans une chambre au second étage de la maison de M. Daru, rue de Lille (ou de Bourbon, quand il y a des Bourbons en France), n° 505[15]. Cette chambre donnait sur quatre jardins, elle était assez vaste, un peu en mansarde; le ...[16] entre les deux fenêtres était incliné à quarante-cinq degrés.
Cette chambre me convenait fort. Je pris un cahier de papier pour écrire des comédies.
Ce fut à cette époque, je crois, que j'osai aller chez M. Cailhava pour acheter un exemplaire de son Art de la comédie, que je ne trouvais chez aucun libraire. Je déterrai ce vieux garçon dans une chambre du Louvre, je crois. Il me dit que son livre était mal écrit, ce que je niai bravement. Il dut me prendre pour un fou.
Je n'ai jamais trouvé qu'une idée dans ce diable de livre, et encore elle n'était pas de Cailhava, mais bien de Bacon. Mais n'est-ce rien qu'une idée, dans un livre? Il s'agit de la définition du rire.
Ma cohabitation passionnée avec les mathématiques m'a laissé un amour fou pour les bonnes définitions, sans lesquelles il n'y a que des à peu près[17].
[1] Le chapitre XXXVII est le chapitre XXXII du manuscrit (fol. 597 à 618). Ecrit à Rome, les 2 et 3 février 1836. Stendhal note, le 2 février, une «pluie infâme».
[2] ... une des âmes les moins raisonnables et les plus passionnées ...—Variante: «Susceptibles d'émotion.»
[3] ... la rue du Département ...—Place Saint-André. (Note au crayon de R. Colomb.)—Voir notre plan de Grenoble en 1793.
[4] ... qui veut faire illusion sur la pensée ...—Variante: «Qui veut remplacer la ...»
[5] ... j'exprimais peu mes idées.—Variante: «Je me communiquais peu. »
[6] ... (comme dit le journal avec importance).—Chatterton de M. de Vigny, p. 9 (Note de Stendhal.)
[7] ... ses sympathies sont trop vraies ...—Variante: «Vives.»
[8] ... l'irruption d'un lac orageux qui renverse ...-Variante: «D'un torrent qui emporte ...»
[9] ... sa digue.—Vrai. Le pouvoir déclare qu'il est étranger à l'intelligence, dont il a ombrage. (Note de Stendhal.)
[10] ... à deux cents pas de la porte de notre chétive maison.—En face du texte est un plan du quartier habité par Stendhal, entre la rue Saint-Dominique, l'esplanade des Invalides et la Seine. La maison qu'il habitait était située sur l'esplanade, entre les rues Saint-Dominique et de l'Université. Stendhal remarque dans une note: «Peut-être notre maison garnie était-elle entre la me Saint-Dominique et la rue de Grenelle.»
[11] M. Sorel ...—Le même que Stendhal a appelé Rosset et qui l'a accompagné dans son voyage de Grenoble à Paris.
[12] ... me déplaisait souverainement.—Un tiers du feuillet 613 environ a été laisse en blanc par Stendhal.
[13] Ma chambre était une mansarde ...—En face de son texte, Stendhal a encore dessiné un plan du quartier où se trouvait la maison garnie habitée par lui, sur l'esplanade des Invalides, entre la rue de Grenelle et la rue Saint-Dominique. Stendhal note à ce sujet: «Mon premier logement. Les habitants étaient des élèves de l'Ecole polytechnique.»—Dans le texte même, Stendhal a figuré un plan de sa chambre chez les Daru. En «A, lit où je faillis mourir»; en «F, fenêtre en mansarde sur la rue du Bac».—Ce plan est à nouveau reproduit un peu plus loin. Il est accompagné d'un détail de l'entrée du logement sur le «passage Sainte-Marie, tel qu'il était en 1799».
[14] ... il doit être de deux ans plus âgé que moi et être né vers 1781.—Félix Faure était né à Grenoble le 18 août 1780.
[15] ... la maison de M. Daru, rue de Lille ..., n° 505.—Ce n° 505 ne me paraît pas possible dans une rue composée, en grande partie, d'hôtels. (Note au crayon de R. Colomb.)
[16] ... le ... entre les deux fenêtres ...—Le mot est en blanc dans le manuscrit.
[17] ... il n'y a que des à peu près.—Travail: le 2 février 1836, pluie infâme; de midi à 3 heures, écrit 26 pages et parcouru 50 pages de Chatterton. Diri et Sandre, pas pu finir Chatterton.
Dieu! Que Diri est bête! Quel animal! prenant tout en mal.]
3 février 1836. Ce soir, le Barbier à Valle, avec une comédie de Scribe par Bettini. (Notes de Stendhal.)
Mais une fois l'art de la comédie sur ma table[2], j'agitai sérieusement cette grande question: devais-je me faire compositeur d'opéras, comme Grétry? ou faiseur de comédies?
A peine je connaissais les notes (M. Mention m'avait renvoyé comme indigne de jouer du violon), mais je me disais: les notes ne sont que l'art d'écrire les idées, l'essentiel est d'en avoir. Et je croyais en avoir. Ce qu'il y a de plaisant, c'est que je le crois encore aujourd'hui, et je suis souvent fâché de n'être pas parti de Paris pour être laquais de Paisiello à Naples.
Je n'ai aucun goût pour la musique purement instrumentale, la musique même de la Chapelle[p. 98] Sixtine et du chœur du chapitre de Saint-Pierre ne me fait aucun plaisir (rejugé ainsi le.. janvier 1836, jour de la Catedra de San-Pietro).
La seule mélodie vocale me semble le produit du génie. Un sot a beau se faire savant, il ne peut, suivant moi, trouver un beau chant, par exemple: Se amor si gode in pace (premier acte et peut-être première scène du Matrimonio segreto).
Quand un homme de génie se donne la peine d'étudier la mélodie, il arrive à la belle instrumentation du quartetto de Bianca e Faliero (de Rossini) ou du duo d'Armide, du même.
Dans les beaux temps de mon goût pour la musique, à Milan, de 1814 à 1821, quand le matin d'un opéra nouveau j'allais retirer mon libretto à la Scala, je ne pouvais m'empêcher en le lisant d'en faire toute la musique, de chanter les airs et les duos. Et oserai-je le dire? quelquefois, le soir, je trouvais ma mélodie plus noble et plus tendre que celle du maëstro.
Comme je n'avais et je n'ai absolument aucune science, aucune manière de fixer la mélodie sur un morceau de papier, pour pouvoir la corriger sans crainte d'oublier la cantilène primitive, cela était comme la première idée d'un livre qui me vient. Elle est cent fois plus intelligible qu'après l'avoir travaillée.
Mais enfin cette première idée, c'est ce qui ne se trouve jamais dans les livres des écrivains médiocres.[p. 99] Leurs phrases les plus fortes me semblent comme le trait de Priam, sine ictu.
Par exemple, j'ai fait, ce me semble, une charmante mélodie (et j'ai vu l'accompagnement) pour ces vers de La Fontaine (critiqués par M. Nodier comme peu pieux, mais vers 1820, sous les B[ourbon]s):
Un mort s'en allait tristement
S'emparer de son dernier gîte,
Un curé s'en allait gaiement
Enterrer ce mort au plus vite.
C'est peut-être la seule mélodie que j'aie faite sur des paroles françaises. J'ai horreur de l'obligation de prononcer gî-teu, vi-teu. Le Français me semble avoir le métalent le plus marqué pour la musique.
Comme l'Italien a le métalent le plus étonnant pour la danse.
Quelquefois, disant des bêtises exprès avec moi-même, pour me faire rire, pour fournir des plaisanteries au parti contraire (que souvent je sens parfaitement en moi), je me dis: Mais comment aurais-je du talent pour la musique à la Cimarosa, étant Français?
Je réponds: par ma mère, à laquelle je ressemble, je suis peut-être de sang italien. Le Gagnoni qui se sauve à Avignon après avoir assassiné un homme en Italie, s'y maria peut-être avec la fille d'un Italien attaché au vice-légat.
Mon grand-père et ma tante Elisabeth avaient évidemment une figure italienne, le nez aquilin, etc.
Et actuellement que cinq ans de séjour continu à R[ome] m'ont fait pénétrer davantage dans la connaissance de la structure physique des Romains, je vois que mon grand-père avait exactement la taille, la tête, le nez romains.
Bien plus, mon oncle Romain Gagnon avait une tête évidemment presque Romaine, au teint près[3], qu'il avait fort beau.
Je n'ai jamais vu un beau chant trouvé par un Français, les plus beaux ne s'élevant pas au-dessus du caractère grossier qui convient au chant populaire, c'est-à-dire qui doit plaire à tous; tel est:
Allons, enfants de la patrie...
de Rouget de Liste, capitaine, chant trouvé en une nuit, à Strasbourg.
Ce chant me semble extrêmement supérieur à tout ce qu'a jamais fait une tête française, mais, par son genre, nécessairement inférieur à:
Là, ci darem la mono,
Là, mi dirai di si...
de Mozart[4].
J'avouerai que je ne trouve parfaitement beaux que les chants de ces deux seuls auteurs: Cimarosa et Mozart, et l'on me pendrait plutôt que de me faire dire avec sincérité lequel je préfère à l'autre.
Quand mon mauvais sort m'a fait connaître deux salons ennuyeux, c'est toujours celui d'où je sors qui me semble le plus pesant.
Quand je viens d'entendre Mozart ou Cimarosa, c'est toujours le dernier entendu qui me semble peut-être un peu préférable à l'autre.
Paisiello me semble de la piquette assez agréable et que l'on peut même rechercher et boire avec plaisir, dans les moments où l'on trouve le vin trop fort.
J'en dirai autant de quelques airs de quelques compositeurs inférieurs à Paisiello, par exemple: Senza spose non mi lasciate, signor governatore (je ne me souviens pas des vers) des Cantatrici Villane, de Fioravanti.
Le mal de cette piquette, c'est qu'au bout d'un moment on la trouve plate. Il n'en faut boire qu'un verre[5].
Presque tous les auteurs sont vendus à la religion quand ils écrivent sur les races d'hommes. Le très petit nombre des gens de bonne foi confond les faits prouvés avec les suppositions. C'est quand une science commence qu'un homme qui n'en est pas, comme moi, peut hasarder d'en parler.
Je dis donc que c'est en vain qu'on demanderait à un chien de chasse l'esprit d'un barbet, ou à un barbet de faire connaître que six heures auparavant un lièvre a passé par ici.
Il peut y avoir des exceptions individuelles, mais[p. 102] la vérité générale c'est que le barbet et le chien de chasse ont chacun leur talent.
Il est probable qu'il en est de même des races d'hommes.
Ce qui est certain, observé par moi et par Constantin[6], c'est que nous avons vu toute une société romaine ( ...[7], vu en 1834, je crois) qui s'occupe exclusivement de musique et qui chante fort bien les finales de la Sémiramide de Rossini et la musique la plus difficile, valser toute une soirée sur de la musique de contredanse, à la vérité mal jouée quant à la mesure. Le Romain, et même l'Italien en général, a le métalent le plus marqué pour la danse.
J'ai mis la charrue devant les bœufs, exprès pour ne pas révolter les Français de 1880, quand j'oserai leur faire lire que rien n'était égal au métalent de leurs aïeux de 1830 pour juger de la musique chantée ou l'exécuter.
Les Français sont devenus savants en ce genre depuis 1820, mais toujours barbares au fond, je n'en veux pour preuve que le succès de Robert le Diable, de Meyerbeer.
Le Français est moins insensible à la musique allemande, Mozart excepté.
Ce que les Français goûtent dans Mozart, ce n'est pas la nouveauté terrible du chant par lequel Leporello invite la statue du commandeur à souper, c'est plutôt l'accompagnement. D'ailleurs, on a dit à cet[p. 103] être, vaniteux avant tout et par-dessus tout, que ce duo ou trio est sublime.
Un morceau de rocher chargé de fer, que l'on aperçoit à la surface du terrain, fait penser qu'en creusant un puits et des galeries profondes on parviendra à trouver une quantité de métal satisfaisante, peut-être aussi on ne trouvera rien.
Tel j'étais pour la musique en 1799. Le hasard a fait que j'ai cherché à noter les sons de mon âme par des pages imprimées. La paresse et le manque d'occasion d'apprendre le physique, le bête de la musique, à savoir jouer du piano et noter mes idées, ont beaucoup de part à cette détermination qui eût été tout autre, si j'eusse trouvé un oncle ou une maîtresse aimant la musique. Quant à la passion, elle est restée entière.
Je ferais dix lieues à pied par la crotte, la chose que je déteste le plus au monde, pour assister à une représentation de Don Juan bien joué. Si l'on prononce un mot italien de Don Juan, sur-le-champ le souvenir tendre de la musique me revient et s'empare de moi.
Je n'ai qu'une objection, mais peu intelligible: la musique me plaît-elle comme signe, comme souvenir du bonheur de la jeunesse, ou par elle-même?
Je suis pour ce dernier avis. Don Juan me charmait avant d'entendre Bonoldi s'écrier (à la Scala, à Milan) par sa petite fenêtre:
Falle passar avanti,
Di che ci fan onore?
Mais ce sujet est délicat, j'y reviendrai quand je m'engouffrerai dans les discussions sur les arts pendant mon séjour à Milan, si passionné et, je puis dire, au total, la fleur de ma vie de 1814 à 1821.
L'air: «Tra quattro muri», chanté par Mme Festa, me plaît-il comme signe, ou par son mérite intrinsèque?
«Per te ogni mese un pajo», des Pretendenti delusi, ne me ravit-il pas comme signe?
Oui, j'avoue le signe pour ces deux derniers, aussi ne les vanté-je jamais comme des chefs-d'œuvre. Mais je ne crois pas du tout au signe pour le Matrimonio segreto, entendu soixante ou cent fois à l'Odéon par Mme Barilli; était-ce en 1803 ou 1810[8]?
Certainement, aucun opera d'inchiostro, aucun ouvrage de littérature, ne me fait un plaisir aussi vif que Don Juan.
La feuille quatorzième de la nouvelle édition de de Brosses, lue dernièrement, en janvier 1836, en a toutefois beaucoup approché.
Une grande preuve de mon amour pour la musique, c'est que l'opéra-comique de Feydeau m'aigrit.
Maître de la loge de ma cousine de Longueville[9], je n'ai pu y subir qu'une demi-représentation. Je[p. 105] vais à ce théâtre tous les deux ou trois ans, vaincu par la curiosité, et j'en sors au second acte, comme le Vicomte. (Le Vicomte, indigné, sortait au second acte, aigri pour toute la soirée.)
L'opéra français m'a aigri encore plus puissamment jusqu'en 1830, et m'a encore complètement déplu en 1833, avec Moncrif et Mme Damoreau.
Je me suis étendu, puisqu'on est toujours mauvais juge des passions ou goûts qu'on a, surtout quand ces goûts sont de bonne compagnie. Il n'est pas de jeune homme affecté du faubourg Saint-Germain, comme M. de Blancmesnil, par exemple, qui ne se dise fou de la musique. Moi, j'abhorre tout ce qui est romance française. Le Panseron[10] me met en fureur, il me fait haïr ce que j'aime à la passion.
La bonne musique me fait rêver avec délices à ce qui occupe mon cœur dans le moment. De là, les moments délicieux que j'ai trouvés à la Scala, de 1814 à 1821.
[1] Le chapitre XXXVIII est le chapitre XXXIII du manuscrit (fol. 619 à 635). Ecrit a Rome, du 3 au 5 février 1836. Stendhal note le 3 février: «Pluie infâme et sirocco donnant mal à la tête»; le 4 février, «pluie continue; le Tibre monte au tiers de l'inscription sous le pont Saint-Ange»; le 5 février, «vu le Tibre».
[2] Mais une foie l'art de la comédie sur ma table ...—Suit un plan de la chambre de Stendhal. Sa table est près de l'une des deux fenêtres.
[3] ... au teint près ...—Ms.: «Presque.»
[4] ... Mozart.—Don Juan.
[5] Il n'en faut boire qu'un verre.—Une partie du fol. 626 a été laissée en blanc.
[6] ... observé par moi et par Constantin ...—Abraham Constantin, peintre sur porcelaine, ami de Stendhal, auquel est légué, dans les divers testaments de l'auteur, le manuscrit de la Vie de Henri Brulard.
[7] ... nous avons vu toute une société romaine ...—Trois noms abrégés et illisibles.
[8] ... entendu soixante ou cent fois à l'Odéon par Mme Barilli ...—Mme Barilli chantait à l'Odéon en 1810. (Note au crayon de R. Colomb.)
[9] ... ma cousine de Longueville ...—Ce nom a été rayé au crayon.
[10] ... comme M. de Blancmesnil ... Le Panseron ...—Les mots Blancmesnil et Panseron ont été rayés au crayon.
Ce n'était rien que de loger chez M. Daru, il fallait y dîner, ce qui m'ennuyait mortellement.
La cuisine de Paris me déplaisait presque autant que son manque de montagnes, et apparemment par la même raison. Je ne savais ce que c'était que manquer d'argent. Pour ces deux raisons, rien ne me déplaisait comme ces dîners dans l'appartement exigu de M. Daru.
Comme je l'ai dit, il était situé sur la porte cochère[2].
C'est dans ce salon et cette salle-à-manger que j'ai cruellement souffert, en recevant cette éducation des autres à laquelle mes parents m'avaient si judicieusement soustrait.
Le genre poli, cérémonieux, accomplissant scrupuleusement toutes les convenances, me manquant encore aujourd'hui, me glace et me réduit au silence. Pour peu que l'on y ajoute la nuance religieuse et la déclamation sur les grands principes de la morale, je suis mort.
Que l'on juge de l'effet de ce venin en janvier 1800, quand il était appliqué sur des organes tout neufs et dont l'extrême attention n'en laissait pas perdre une goutte.
J'arrivais dans le salon à cinq heures et demie; là, je frémissais en songeant à la nécessité de donner la main à Mlle Sophie ou à Mme Cambon, ou à Mme Le Brun, ou à Mme Daru elle-même, pour aller à table.
(Mme Cambon succomba peu à peu à une maladie qui, dès lors, la rendait bien jaune. Mme Le Brun est marquise en 1836; il en est de même de Mlle Sophie, devenue Mme de Baure. Nous avons perdu depuis longues années Mme Daru la mère et M. Daru le père. Mlle Pulchérie Le Brun est Mme la marquise de Brossard en 1836. MM. Pierre et Martial Daru sont morts, le premier vers 1829, le second deux ou trois ans plus tôt. Mme Le Brun = Mme la marquise de Graves, ancien ministre de la Guerre[3].)
A table, placé au point H[4], je ne mangeais pas un morceau qui me [plût][5]. La cuisine parisienne me déplaisait souverainement, et me déplaît encore après tant d'années. Mais ce désagrément n'était[p. 109] rien à mon âge, je l'éprouvais bien quand je pouvais aller chez un restaurateur.
C'était la contrainte morale qui me tuait.
Ce n'était pas le sentiment de l'injustice et de la haine contre ma tante Séraphie, comme à Grenoble.
Plût à Dieu que j'en eusse été quitte pour ce genre de malheur! C'était bien pis: c'était le sentiment continu des choses que je voulais faire et auxquelles je ne pouvais atteindre.
Qu'on juge de l'étendue de mon malheur! Moi qui me croyais à la fois un Saint-Preux et un Valmont (des Liaisons Dangereuses, imitation de Clarisse, qui est devenu le bréviaire des provinciaux), moi qui, me croyant une disposition infinie à aimer et à être aimé, croyais que l'occasion seule me manquait, je me trouvais inférieur et gauche en tout dans une société que je jugeais triste et maussade; qu'aurait-ce été dans un salon aimable!
C'était donc là ce Paris que j'avais tant désiré!
Je ne conçois pas aujourd'hui comment je ne devins pas fou du 10 novembre 1799 au 20 août [1800] à peu près, que je partis pour Genève.
Je ne sais pas si, outre le dîner, je n'étais pas encore obligé d'assister au déjeuner.
Mais comment faire concevoir ma folie? Je me figurais la société uniquement et absolument par les Mémoires secrets de Duclos, les trois ou sept[p. 110] volumes de Saint-Simon alors publiés, et les romans.
Je n'avais vu le monde, et encore par le cou d'une bouteille, que chez madame de Montmort, l'original de la madame de Merteuil des Liaisons dangereuses. Elle était vieille maintenant, riche et boiteuse. Cela, j'en suis sûr; quant au moral, elle s'opposait à ce que l'on ne me donnât qu'une moitié de noix confite; quand j'allais chez elle au Chevallon[6], elle m'en faisait toujours donner une tout entière. «Cela fait tant de peine aux enfants!» disait-elle. Voilà tout ce que j'ai vu de moral. Mme de Montmort avait loué ou acheté la maison des Drevon, jeunes gens de plaisir, intimes de mon oncle R. Gagnon, et qui s'étaient à peu près ruinés[7].
Le détail original de madame de Merteuil est peut-être déplacé ici, mais j'ai voulu faire voir par l'anecdote de la noix confite ce que je connaissais du monde.
Ce n'est pas tout, il y a bien pis. Je m'imputais à honte, et presque à crime, le silence qui régnait trop souvent à la cour d'un vieux bourgeois despote et ennuyé tel qu'était M. Daru le père.
C'était là mon principal chagrin. Un homme devait être, selon moi, amoureux passionné et, en même temps, portant la joie et le mouvement dans toutes les sociétés où il se trouvait.
Et encore cette joie universelle, cet art de plaire à[p. 111] tous, ne devaient pas être fondés sur l'art de flatter les goûts et les faiblesses de tous, je ne me doutais pas de tout ce côté de l'art de plaire qui m'eût probablement révolté; l'amabilité que je voulais était la joie pure de Shakespeare dans ses comédies, l'amabilité qui règne à la cour du duc exilé dans la forêt des Ardennes.
Cette amabilité pure et aérienne à la cour d'un vieux préfet libertin, et ennuyé, et dévot, je crois!!!
L'absurde ne peut pas aller plus loin, mais mon malheur, quoique fondé sur l'absurde, n'en était pas moins fort réel.
Ces silences, quand j'étais dans le salon de M. Daru, me désolaient.
Qu'étais-je dans ce salon? Je n'y ouvrais pas la bouche, à ce que m'a dit depuis Mme Lebrun, marquise de Graves[8]. Mme la comtesse d'Ornisse[9] m'a dit dernièrement que Mme Le Brun a de l'amitié pour moi; lui demander quelques éclaircissements sur la figure que je faisais dans le salon de M. Daru à cette première apparition, au commencement de 1800[10].
Je mourais de contrainte, de désappointement, de mécontentement de moi-même. Qui m'eût dit que les plus grandes joies de ma vie devaient me tomber dessus cinq mois après!
Tomber est le mot propre, cela me tomba du ciel, mais toutefois cela venait de mon âme, elle était aussi ma seule ressource pendant les quatre ou cinq[p. 112] mois que j'habitai la chambre chez M. Daru le père.
Toutes les douleurs du salon et de la salle-à-manger disparaissaient quand, seul dans ma chambre sur les jardins, je me disais: «Dois-je me faire compositeur de musique, ou bien faire des comédies, comme Molière?»Je sentais, bien vaguement il est vrai, que je ne connaissais assez ni le monde ni moi-même pour me décider[11].
J'étais distrait de ces hautes pensées par un autre problème beaucoup plus terrestre et bien autrement prenant. M. Daru, cet homme exact, ne comprenait pas pourquoi je n'entrais pas à l'Ecole polytechnique ou, si cette année était perdue, pourquoi je ne continuais pas mes études pour me présenter aux examens de la saison suivante, septembre 1800.
Ce vieillard sévère me faisait entendre avec beaucoup de politesse et de mesure qu'une explication entre nous à cet égard était nécessaire. C'étaient premièrement cette mesure et cette politesse si nouvelle pour moi, qui m'entendais appeler Monsieur par ce parent pour la première fois de ma vie, qui mettaient aux champs ma timidité et mon imagination folles[12].
J'explique cela maintenant. Je voyais fort bien la question au fond, mais ces préparations polies et insolites me faisaient soupçonner des abîmes inconnus et effroyables dont je ne pourrais me tirer. Je me sentais terrifié par les façons diplomatiques[p. 113] de l'habile ex-préfet, auxquelles j'étais bien loin alors de pouvoir donner leurs noms propres. Tout cela me rendait incapable de soutenir mon opinion de vive voix.
L'absence complète de collège faisait de moi un enfant de dix ans pour mes rapports avec le monde. Le seul aspect d'un personnage si imposant et qui faisait trembler tout le monde chez lui, à commencer par sa femme et son fils aîné, me parlant tête-à-tête et la porte fermée, me mettait dans l'impossibilité de dire deux mots de suite. Je vois aujourd'hui que cette figure de M. Daru père, avec un œil un peu de travers, était exactement pour moi
Lasciate ogni speranza, voi ch'entrate.
Ne pas la voir était le plus grand bonheur qu'elle pût me donner.
Le trouble extrême chez moi détruit la mémoire. Peut-être M. Daru le père m'avait-il dit quelque chose comme: «Mon cher cousin, il conviendrait de prendre un parti d'ici à huit jours.»
Dans l'excès de ma timidité, de mon angoisse et de mon désarroi, comme on dit à Grenoble, et comme je disais alors, il me semble que j'écrivis d'avance la conversation que je voulais avoir avec M. Daru.
Je ne me rappelle qu'un seul détail de cette terrible entrevue. Je dis, en termes moins clairs:
«Mes parents me laissent à peu près le maître du parti à prendre.
—Je ne m'en aperçois que trop», répondit M. Daru, avec une intonation riche de sentiment et qui me frappa fort chez un homme si plein de mesure et d'habitudes périphrasantes et diplomatiques.
Ce mot me frappa; tout le reste est oublié.
J'étais fort content de ma chambre sur les jardins, entre les rues de Lille et de l'Université, avec un peu de vue sur la rue de Bellechasse.
La maison avait appartenu à Condorcet, dont la jolie veuve vivait alors avec M. Fauriel (aujourd'hui de l'Institut, un vrai savant, aimant la science pour elle-même, chose si rare dans ce corps).
Condorcet, pour n'être pas harcelé par le monde, avait fait faire une échelle de meunier, en bois, au moyen de laquelle il grimpait au troisième (j'étais au second), dans une chambre au-dessus de la mienne. Combien cela m'eût frappé trois mois plus tôt! Condorcet, l'auteur de cette Logique des Progrès futurs que j'avais lue avec enthousiasme deux ou trois fois!
Hélas! mon cœur était changé. Dès que j'étais seul et tranquille, et débarrassé de ma timidité, ce sentiment profond revenait:
«Paris, n'est-ce que çà?»
Cela voulait dire: Ce que j'ai tant désiré comme le souverain bien, la chose à laquelle j'ai sacrifié ma vie depuis trois ans, m'ennuie. Ce n'était pas le sacrifice de trois ans qui me touchait; malgré la peur d'entrer à l'Ecole polytechnique l'année suivante,[p. 115] j'aimais les mathématiques, la question terrible que je n'avais pas assez d'esprit pour voir nettement était celle-ci: Où est donc le bonheur sur la terre? Et quelquefois j'arrivais jusqu'à celle-ci: Y a-t-il un bonheur sur la terre?
N'avoir pas de montagnes perdait absolument Paris à mes yeux.
Avoir dans les jardins des arbres taillés l'achevait.
Toutefois, ce qui me fait plaisir à distinguer aujourd'hui (en 1836), je n'étais pas injuste pour le beau vert de ces arbres.
Je sentais, bien plus que je ne me le disais nettement: leur forme est pitoyable, mais quelle verdure délicieuse et formant masse, avec de charmants labyrinthes où l'imagination se promène! Ce dernier détail est d'aujourd'hui. Je sentais alors, sans trop distinguer les causes. La sagacité, qui n'a jamais été mon fort, me manquait tout-à-fait, j'étais comme un cheval ombrageux qui ne voit pas ce qui est, mais des obstacles ou périls imaginaires. Le bon, c'est que mon cœur se montait, et je marchais fièrement aux plus grands périls. Je suis encore ainsi aujourd'hui.
Plus je me promenais dans Paris, plus il me déplaisait. La famille Daru avait de grandes bontés pour moi, Mme Cambon me faisait compliment sur ma redingote à l'artiste, couleur olive, avec revers en velours.
«Elle vous va fort bien», me disait-elle.
Mme Cambon voulut bien me conduire au Musée avec une partie de la famille et un M. Gorse ou Gosse, gros garçon commun, qui lui faisait un peu la cour. Elle, mourait de mélancolie pour avoir perdu, un an auparavant, une fille unique de seize ans.
On quitta le Musée, on m'offrit une place dans le fiacre; je revins à pied dans la boue et, amadoué par la bonté de Mme Cambon, j'ai la riche idée d'entrer chez elle. Je la trouve en tête à tête avec M. Gorse.
Je sentis cependant toute l'étendue ou une partie de l'étendue de ma sottise.
«Mais pourquoi n'êtes-vous pas monté en voiture?»me disait Mme Cambon étonnée.
Je disparus au bout d'une minute. M. Gorse en dut penser de belles sur mon compte. Je devais être un singulier problème dans la famille Daru; la réponse devait varier entre: C'est un fou, et: C'est un imbécile.
[1] Le chapitre XXXIX est le chapitre XXXIV du manuscrit (fol. 636 à 655).—Ecrit les 5, 7 et 29 février 1836, à Rome, puis à Cività-Vecchia. Stendhal indique lui-même au fol. 648 bis: «7 février 1836. recopié le 29 février 1836. Made de 648 à 811 du 24 février au 19 mars 1836.» Le fol. 811 est le dernier du manuscrit de la Vie de Henri Brulard.
[2] ... il était situé sur la porte cochère.—Suit un plan de la maison Daru, à l'angle de la rue de Lille et de la rue de Bellechasse. Sur la rue de Lille, en «A, porte cochère»menant à une tour carrée. A droite, en «B, perron, ou plutôt pas de perron, escalier tournant montant au premier. Tout le premier, A C D, appartement de M. Daru, le même espace, au second, appartement de MM. Pierre et Martial Daru, ses fils.»Au fond de la cour, en «E, perron conduisant à l'escalier par lequel je montais à ma chambre».—Au fol. 638, plan de l' «appartement de M. Daru, au premier»; Stendhal s'est figuré, dans le salon, au milieu de la famille Daru. Un plan analogue se trouve encore un peu plus loin.
[3] ... ancien ministre de la Guerre.—Stendhal explique cette longue parenthèse de la manière suivante: «Pour la clarté.»
[4] A table, placé au point H ...—Suit un plan de la table, avec les places respectives de M., de Mme Daru et de Stendhal.
[5] ... je ne mangeais pas un morceau qui me plût.—Mot oublié par l'auteur en passant du fol. 640 au fol. 641.
[6] ... j'allais chez elle au Chevallon ...—Hameau de Voreppe, sur la route de Lyon à Grenoble, non loin du Fontanil, où se trouvait la maison de campagne des Gagnon.
[7] ... qui s'étaient à peu près ruinés.—Suit un plan de la route du Fontanil au Chevallon, avec la situation respective de la «maison de Mme de Montmort»et la «chaumière, adorée par moi, de mon grand-père».
[8] ... Mme Lebrun, marquise de Graves.—Le nom a été laissé en blanc par Stendhal. Voir ci-dessus, t. II, p. 108.
[9] Mme la comtesse d'Ornisse ...—La lecture de ce nom est très incertaine.
[10] ... au commencement de 1800.—Folie de Dominique. Dates: 4 mars 1818. Commencement d'une grande phrase musicale. Piazza delle Galine. Cela n'a réellement fini que rue du Faubourg-Saint-Denis, mai 1824. Septembre 1826, San Remo. (Note de Stendhal.)—Dominique, c'est Stendhal lui-même.
[11] ... je ne connaissais assez ni le monde ni moi-même pour me décider.—Sacrifice fait: Comtesse Sandre (8-17 février 1836). Voilà le beau de ce caractère, c'est que le sacrifice était fait au bal Alibert, du mardi 16 février, quand D[on] F[ilippo] me parla. La brouille avec moi durait depuis le bal Anglais, 8 février 1836. Je ne connais ce caractère que depuis que je l'étudié la plume à la main à 25 X 2 + √9. Je suis tellement différent de ce que j'étais il y a vingt ans qu'il me semble faire des découvertes sur un autre.
Du 7 au 17, rien fait, ce me semble. Romanelli et Carnaval (Carnaval et d'abord grande lettre de quatorze pages serrées sur l'office Romanelli). (Note de Stendhal.)
[12] ... ma timidité et mon imagination folles.—On lit en haut du fol. 648 bis: «7 février 1836, recopié le 29 février 1836. Made de 648 à 811 du 24 février au 19 mars 1836.»—Les feuillets 648 et 648 bis sont en effet la copie, légèrement retouchée, d'un premier feuillet 648 que Stendhal n'a pas détruit et qui se trouve incorporé au manuscrit.
Madame Le Brun, aujourd'hui marquise de [Graves][2], m'a dit que tous les habitants de ce petit salon étaient étonnés de mon silence complet.
Je me taisais par instinct, je sentais que personne ne me comprendrait, quelles figures pour leur parler de ma tendre admiration pour Bradamante! Ce silence, amené par le hasard, était de la meilleure politique, c'était le seul moyen de conserver un peu de dignité personnelle.
Si jamais je revois cette femme d'esprit, il faut que je la presse de questions pour qu'elle me dise. ce que j'étais alors. En vérité, je l'ignore. Je ne puis que noter le degré de bonheur senti par cette machine. Comme j'ai toujours creusé les mêmes[p. 118] idées depuis, comment savoir où j'en étais alors? Le puits avait dix pieds de profondeur, chaque année j'ai ajouté cinq pieds; maintenant, à cent quatre-vingt-dix pieds, comment avoir l'image de ce qu'il était en février 1800, quand il n'avait que dix pieds?
On admirait mon cousin Marc (mon chef de bureau au Commerce), l'être prosaïque par excellence, parce que, rentrant le soir, vers dix heures, chez M. Daru, rue de Lille, n° 505, il remontait à pied pour aller manger certains petits pâtés au carrefour Gaillon.
Cette simplicité, cette naïveté de gourmandise, qui me feraient rire aujourd'hui dans un enfant de seize ans, me comblaient d'étonnement en 1800. Je ne sais pas même si, un soir, je ne ressortis pas, par cette abominable humidité de Paris, que j'exécrais, pour aller manger de ces petits pâtés. Cette démarche était un peu pour le plaisir et beaucoup pour la gloire. Le plaisir fut pire que le mal, et la gloire aussi, apparemment; si l'on s'en occupa, on dut y voir une plate imitation. J'étais bien loin de dire naïvement ce pourquoi de ma démarche, j'eusse été à mon tour original et naïf, et peut-être mon équipée de dix heures du soir eût donné un sourire à cette famille ennuyée.
Il faut que la maladie, qui fit grimper le docteur Portal dans mon troisième étage du passage Sainte-Marie, eût été sérieuse, car je perdis tous mes cheveux.[p. 119] Je ne manquai pas d'acheter une perruque et mon ami Edmond Cardon[3] ne manqua pas de la jeter sur la corniche d'une porte, un soir, dans le salon de sa mère.
Cardon était très mince, très grand, très bien élevé, fort riche, d'un ton parfait, une admirable poupée, fils de Mme Cardon, femme de chambre de la reine Marie-Antoinette.
Quel contraste entre Cardon et moi! et pourtant nous nous liâmes. Nous avons été amis du temps de la bataille de Marengo, il était alors aide-de-camp du ministre de la guerre Carnot; nous nous sommes écrit jusqu'en 1804 ou 1805. En 1815, cet être élégant, noble, charmant, se brûla la cervelle en voyant arrêter le maréchal Ney, son parent par alliance. Il n'était compromis en rien, ce fut exactement folie éphémère, causée par l'extrême vanité de courtisan de s'être vu un maréchal et un prince pour cousin. Depuis 1803 ou 1804, il se faisait appeler Cardon de Montigny, il me présenta à sa femme, élégante et riche, bégayant un peu, qui me sembla avoir peur de l'énergie féroce de ce montagnard allobroge. Le fils de cet être bon et aimable s'appelle M. de Montigny et est conseiller ou auditeur à la cour royale de Paris.
Ah! qu'un bon conseil m'eût fait de bien alors! Que ce même conseil m'eût fait de bien en 1821![p. 120] Mais du diable, jamais personne ne me l'a donné. Je l'ai vu vers 1826, mais il était à peu près trop tard, et d'ailleurs il contrariait trop mes habitudes. J'ai vu clairement depuis que c'est le sine qua non à Paris, mais aussi il y aurait eu moins de vérité et d'originalité dans mes pensées littéraires.
Quelle différence si M. Daru ou Mme Cambon m'avait dit, en janvier 1800:
«Mon cher cousin, si vous voulez avoir quelque consistance dans la société, il faut que vingt personnes aient intérêt à dire du bien de vous. Par conséquent, choisissez un salon, ne manquez pas d'y aller tous les mardis (si tel est le jour), faites-vous une affaire d'être aimable, ou du moins très poli, pour chacune des personnes qui vont dans ce salon. Vous serez quelque chose dans le monde, vous pourrez espérer de plaire à une femme aimable quand vous serez porté par deux ou trois salons. Au bout de dix années de constance, ces salons, si vous les choisissez dans notre rang de la société, vous porteront à tout. L'essentiel est la constance et être un des fidèles tous les mardis.»
Voilà ce qui m'a éternellement manqué. Voilà le sens de l'exclamation de M. Delécluze (des Débats, vers 1828): «Si vous aviez un peu plus d'éducation!»
Il fallait que cet honnête homme fût bien plein de cette vérité, car il était furieusement jaloux de quelques mots qui, à ma grande surprise, [p. 121]firent beaucoup d'effet; par exemple, chez lui: «Bossuet ... c'est de la blague sérieuse.»
En 1800, la famille Daru traversait la rue de Lille et montait au premier étage chez Mme Cardon, ancienne femme de chambre de Marie-Antoinette, laquelle était tout aise d'avoir la protection de deux commissaires des guerres aussi accrédités que MM. Daru, commissaire ordonnateur, et Martial Daru, simple commissaire. J'explique ainsi la liaison aujourd'hui et j'ai tort, faute d'expérience je ne pouvais juger de rien en 1800. Je prie donc le lecteur de ne pas s'arrêter à ces explications qui m'échappent en 1836; c'est du roman plus ou moins probable, ce n'est plus de l'histoire.
J'étais donc, ou plutôt il me semblait être très bien reçu dans le salon de Mme Cardon, en janvier 1800.
On y jouait des charades avec déguisements, on y plaisantait sans cesse. La pauvre Mme Cambon n'y venait pas toujours; cette folie offensait sa douleur, dont elle mourut quelques mois après.
M. Daru (depuis ministre) venait de publier la Cléopédie, je crois, un petit poème dans le genre jésuitique, c'est-à-dire dans le genre des poèmes latins faits par des jésuites vers 1700. Cela me sembla plat et coulant; il y a bien trente ans que je ne l'ai lu.
M. Daru qui au fond n'avait pas d'esprit (mais je devine cela, en grand secret, seulement en écrivant[p. 122] ceci), était trop fier d'être président à la fois de quatre Sociétés littéraires. Ce genre de niaiserie pullulait en 1800, et n'était pas si vide que cela nous semble aujourd'hui. La société renaissait après la Terreur de 93 et la demi-peur des années suivantes. Ce fut M. Daru le père qui m'apprit avec une douce joie cette gloire de son fils aîné.
Comme il revenait d'une de ces sociétés littéraires, Edmond, déguisé en fille, alla le raccrocher dans la rue à vingt pas de la maison. Cela n'était pas mal gai. Mme Cardon avait encore la gaieté de 1788, cela scandaliserait notre pruderie de 1836.
M. Daru, en arrivant, se vit suivi dans l'escalier par la fille qui détachait ses jupons.
«J'ai été très étonné, nous dit-il, de voir notre quartier infesté.»
Quelque temps après, il me conduisit à une des séances d'une des Sociétés qu'il présidait. Celle-ci se réunissait dans une rue qui a été démolie pour agrandir la place du Carrousel, vers la partie de la nouvelle galerie, au nord du Carrousel, qui avoisine l'axe de la rue Richelieu, à quarante pas plus au couchant.
Il était sept heures et demie du soir, les salles étaient peu illuminées. La poésie me fit horreur: quelle différence avec l'Arioste et Voltaire! Cela était bourgeois et plat (quelle bonne école j'avais déjà!), mais j'admirais fort et avec envie la gorge de Mme Constance Pipelet, qui lut une pièce de vers.[p. 123] Je le lui ai dit depuis; elle était alors femme d'un pauvre diable de chirurgien herniaire, et je lui ai parlé chez Mme la comtesse Beugnot, quand elle était princesse de Salm-Dyck, je crois. Je conterai son mariage, précédé par deux mois de séjour chez le prince de Salm, avec son amant, pour voir si le château ne lui déplairait point trop, et le prince nullement trompé, mais sachant tout et s'y soumettant; et il avait raison.
J'allai au Louvre chez Renault, l'auteur de l'Education d'Achille, plat tableau, gravé par l'excellent Berwick, et je fus élève de son Académie. Toutes les étrennes à donner pour cartables, droits de chaise, etc., m'étonnèrent fort, et j'ignorais parfaitement[4] tous ces usages parisiens et, à vrai dire, tous les usages possibles. Je dus paraître avare.
Je promenais partout mon effroyable désappointement.
Trouver plat et détestable ce Paris, que je m'étais figuré le souverain bien! Tout m'en déplaisait, jusqu'à la cuisine qui n'était pas celle de la maison paternelle, cette maison qui m'avait[5] semblé la réunion de tout ce qui était mal.
Pour m'achever, la peur d'être forcé de passer un examen pour l'Ecole me faisait haïr mes chères mathématiques.
Il me semble que le terrible M. Daru le père me disait: «Puisque, d'après les certificats dont vous[p. 124] êtes porteur, vous êtes tellement plus fort que vos sept camarades qui ont été reçus, vous pourriez, même aujourd'hui, si vous étiez reçu, les rattraper facilement dans les cours qu'ils suivent.»
M. Daru me parlait en homme accoutumé à avoir du crédit et obtenir des exceptions.
Une chose dut, heureusement pour moi, ralentir les instances de M. Daru pour reprendre l'étude des mathématiques. Mes parents m'annonçaient sans doute comme un prodige en tout genre; mon excellent grand-père m'adorait et d'ailleurs j'étais son ouvrage, au fond je n'avais eu de maître que lui, les mathématiques excepté. Il faisait avec moi mes thèmes de latin, il faisait presque seul mes vers latins sur une mouche qui trouve une mort noire dans du lait blanc.
Tel était l'esprit du Père jésuite auteur du poème dont je refaisais les vers. Sans les auteurs lus en cachette, j'étais fait pour avoir cet esprit-là et pour admirer la Cléopédie[6] du comte Daru et l'esprit de l'Académie française. Aurait-ce été[7] un mal? J'aurais eu des succès de 1815 à 1830, de la réputation, de l'argent, mais mes ouvrages seraient bien plus plats et bien mieux écrits qu'ils sont[8]. Je crois que l'affectation, qu'on appelle bien écrire en 1825-1836, sera bien ridicule vers 1860, dès que la France, délivrée des révolutions politiques tous les quinze ans, aura le temps de penser aux jouissances de l'esprit. Le gouvernement fort et violent[p. 125] de Napoléon (dont j'aimai tant la personne) n'a duré que quinze ans, 1800-1815. Le gouvernement à faire vomir de ces Bourbons imbéciles (voir la chanson de Béranger) a duré quinze ans aussi, de 1815 à 1830. Combien durera un troisième? Aura-t-il plus ...
Mais je m'égare; nos neveux devront pardonner ces écarts, nous tenons la plume d'une main et l'épée de l'autre (en écrivant ceci j'attends la nouvelle de l'exécution de Fieschi et du nouveau ministère de mars 1836, et je viens, pour mon métier, de signer trois lettres, adressées à des ministres dont je ne sais pas le nom).
Revenons à janvier ou février 1800. Réellement, j'avais l'expérience d'un enfant de neuf ans et probablement un orgueil du diable. J'avais été réellement l'élève le plus remarquable de l'Ecole centrale. De plus, ce qui valait bien mieux, j'avais des idées justes sur tout, j'avais énormément lu, j'adorais la lecture: un livre nouveau, à moi inconnu, me consolait de tout.
Mais la famille Daru, malgré les succès de l'auteur de la traduction d'Horace, n'était pas du tout littéraire, c'était une famille de courtisans de Louis XIV tels que les dépeint Saint-Simon. On n'aimait dans M. Daru fils aîné que le fait de son succès, toute discussion littéraire eût été un crime politique, comme tendant à mettre en doute la gloire de la maison.
Un des malheurs de mon caractère est d'oublier le succès et de me rappeler profondément mes sottises. J'écrivis vers février 1800 à ma famille: «Mme Cambon exerce l'empire de l'esprit, et Mme Rebuffel celui des sens.»
Quinze jours après, j'eus une honte profonde de mon style et de la chose.
C'était une fausseté, c'était bien pis encore, c'était une ingratitude. S'il y avait un lieu où je fusse moins gêné et plus naturel, c'était le salon de cette excellente et jolie Mme Rebuffel, qui habitait le premier étage de la maison, qui me donnait une chambre au second; ma chambre était, ce me semble, au-dessus du salon de Mme Rebuffel. Mon oncle Gagnon m'avait raconté comme quoi il l'avait émue à Lyon en admirant son joli pied et l'engageant à le placer sur une malle pour le mieux voir. Une fois, sans M. Bartelon, M. Rebuffel eût surpris mon oncle dans une position peu équivoque.
Mme Rebuffel, ma cousine, avait une fille, Adèle, qui annonçait beaucoup d'esprit; il me semble qu'elle n'a pas tenu parole. Après nous être un peu aimés (amours d'enfants), la haine et puis l'indifférence ont remplacé les enfantillages, et je l'ai entièrement perdue de vue depuis 1804. Le journal de 1835 m'a appris que son sot mari, M. le baron Auguste Petiet[9], le même qui m'a donné un coup de sabre[p. 127] au pied gauche, venait de la laisser veuve avec un fils à l'Ecole polytechnique.
Etait-ce en 1800 que Mme Rebuffel avait pour amant M. Chieze, gentilhomme assez empesé de Valence, en Dauphiné, ami de ma famille à Grenoble, ou ne fut-ce qu'en 1803? Etait-ce en 1800 ou 1803 que l'excellent Rebuffel, homme de cœur et d'esprit, homme à jamais respectable à mes yeux, me donnait à dîner dans la rue Saint-Denis, au roulage qu'il tenait avec une demoiselle Barberen, son associée et sa maîtresse?
Quelle différence pour moi si mon grand-père Gagnon avait eu l'idée de me recommander à M. Rebuffel au lieu de M. Daru! M. Rebuffel était neveu de M. Daru, quoique moins âgé seulement de sept à huit ans, et, à cause de sa dignité politique ou plutôt administrative, secrétaire général de tout le Languedoc (sept départements), M. Daru prétendait tyranniser M. Rebuffel, lequel, dans les dialogues qu'il me racontait, alliait divinement le respect à la fermeté. Je me souviens que je comparais le ton qu'il prenait à celui de J.-J. Rousseau dans sa Lettre à Christophe de Beaumont, archevêque de Paris.
M. Rebuffel eût tout fait de moi, j'aurais été plus sage si le hasard m'avait mis sous sa direction. Mais mon destin était de tout conquérir à la pointe de l'épée. Quel océan de sensations violentes j'ai eues [p. 128]en ma vie, et surtout à cette époque!
J'en eus beaucoup au sujet du petit événement que je vais conter, mais dans quel sens? Que désirais-je avec passion? Je ne m'en souviens plus.
M. Daru fils aîné (je l'appellerai le comte Daru, malgré l'anachronisme: il ne fut comte que vers 1809, je crois, mais j'ai l'habitude de l'appeler ainsi), le comte Daru donc, si l'on veut me permettre de l'appeler ainsi, était en 1809 secrétaire général du ministère de la Guerre. Il se tuait de travail, mais il faut avouer qu'il en parlait sans cesse et avait toujours de l'humeur en venant dîner. Quelquefois, il faisait attendre son père et toute la famille une heure ou deux. Il arrivait enfin avec la physionomie d'un bœuf, excédé de peine et des yeux rouges. Souvent il retournait le soir à son bureau; dans le fait, tout était à réorganiser et l'on préparait en secret la campagne de Marengo.
Je vais naître, comme dit Tristram Shandy; et le lecteur va sortir des enfantillages.
Un beau jour, M. Daru le père me prit à part et me fit frémir; il me dit: «Mon fils vous conduira travailler avec lui au bureau de la Guerre.»Probablement, au lieu de remercier, je restai dans le silence farouche de l'extrême timidité.
Le lendemain matin, je marchais à côté du comte Daru, que j'admirais mais qui me faisait frémir, et jamais je n'ai pu m'accoutumer à lui, ni, ce me semble, lui à moi. Je me vois marchant le long de la rue Hillerin-Bertin[10], fort étroite alors. Mais où[p. 129] était ce ministère de la Guerre, où nous allions ensemble[11]?
Je ne vois que ma place, à ma table, en H ou en H'; à celui de ces deux bureaux que je n'occupais pas était M. Mazoyer, auteur de la tragédie de Thésée, pâle imitation de Racine.
[1] Le chapitre XL est le chapitre XXXV du manuscrit (fol. 655 à 674). Ecrit à Cività-Vecchia, les 29 février et 1er mars 1836.
[2] Madame Le Brun, aujourd'hui marquise de Graves ...—Le nom a été laissé en blanc par Stendhal.
[3] ... mon ami Edmond Cardon ...—Sur Edmond Cardon, voir A. Chuquet, Stendhal-Beyle, p. 479-480.
[4] ... j'ignorais parfaitement ...—Variante: «Profondément.»
[5] ... qui m'avait semblé ...—Ms.: «M'était.»
[6] ... la Cléopédie ...—Ms.: «Ciropédie.»
[7] Aurait-ce été ...—Variante: «Etait-ce.»
[8] ... mieux écrits qu'ils sont.—Ms.: «De ce qu'ils sont.»
[9] ... M. le baron Auguste Petiet ...—Fils de l'ancien ministre de la guerre, qui fut adjoint à Berthier pour administrer la Lombardie, en 1800. Il semble que l'observation de Stendhal soit inexacte: Augustin, dit Auguste Petiet (né en 1784) était en 1836 général de brigade et ne mourut qu'en 1858.—Cf. A. Chuquet, Stendhal-Beyle, p. 48-49.
[10] ... la rue Hillerin-Bertin ...—Cette rue a perdu son nom. Elle est représentée aujourd'hui par la portion de la rue de Bellechasse située entre les rues de Grenelle et de Varenne.
[11] Mais où était ce ministère de la Guerre, où nous allions ensemble?—Suit un plan indiquant la place occupée par Stendhal dans un bureau du ministère de la guerre, en H ou en H', près d'une fenêtre donnant sur les tilleuls du jardin.
Au bout du jardin étaient de malheureux tilleuls taillés de près, derrière lesquels nous allions pisser. Ce furent les premiers amis que j'eus à Paris. Leur sort me fit pitié: être ainsi taillés! Je les comparais aux beaux tilleuls de Claix, qui avaient le bonheur de vivre au milieu des montagnes.
Mais aurais-je voulu retourner dans ces montagnes?
Oui, ce me semble, si j'avais dû n'y pas retrouver mon père, et y vivre avec mon grand-père, à la bonne heure, mais libre.
Voilà à quel point mon extrême passion pour Paris était tombée. Et il m'arrivait de dire que le véritable Paris était invisible à mes yeux.[p. 132] Les tilleuls du ministère de la guerre rougirent par le haut. M. Mazoyer, sans doute, me rappela le vers de Virgile:
Nunc erusbescit ver.
Ce n'est pas cela, mais je me le rappelle en écrivant pour la première fois depuis trente-six ans; Virgile me faisait horreur au fond, comme protégé par les prêtres[2] qui venaient dire la messe et me parler de latin chez mes parents. Jamais, malgré tous les efforts de ma raison, Virgile ne s'est relevé pour moi des effets de cette mauvaise compagnie.
Les tilleuls prirent des bourgeons. Enfin ils eurent des feuilles, je fus profondément attendri; j'avais donc des amis à Paris!
Chaque fois que j'allais pisser derrière ces tilleuls, au bout du jardin, mon âme était rafraîchie par la vue de ces amis. Je les aime encore après trente-six ans de séparation.
Chaque fois que j'allais pisser derrière ces tilleuls, au bout du jardin, mon âme était rafraîchie par la vue de ces amis. Je les aime encore après trente-six ans de séparation.
Mais ces bons amis existent-ils? On a tant bâti dans ce quartier! Peut-être le ministère où je pris la plume officielle pour la première fois est-il encore le ministère rue de l'Université, vis-à-vis la place dont j'ignore le nom?
Là, M. Daru m'établit à un bureau et me dit de copier une lettre. Je ne dirai rien de mon écriture en pieds de mouche, bien pire que la présente; mais il découvrit que j'écrivais cela par deux l: cella.
C'était donc là ce littérateur, ce brillant humaniste qui discutait le mérite de Racine et qui avait remporté tous les prix à Grenoble!!
J'admire aujourd'hui, mais aujourd'hui seulement, la bonté de toute cette famille Daru. Que faire d'un animal si orgueilleux et si ignorant?
Et le fait est pourtant que j'attaquais très bien Racine dans mes conversations avec M. Mazoyer. Nous étions là quatre commis, et les deux autres, ce me semble, m'écoutaient, quand j'escarmouchais avec M. Mazoyer.
J'avais une théorie intérieure que je voulais rédiger sous le titre de: Filosofia nova, titre moitié italien, moitié latin. J'avais une admiration vraie, sentie, passionnée pour Shakespeare, que pourtant je n'avais vu qu'à travers les phrases lourdes et emphatiques de M. Letourneur et de ses associés.
L'Arioste avait aussi beaucoup de pouvoir sur mon cœur (mais l'Arioste de M. de Tressan, père de l'aimable capitaine jouant de la clarinette, qui avait contribué à me faire apprendre à lire, extrême plat ultra et maréchal de camp vers 1820).
Je crois voir que ce qui me défendait du mauvais goût d'admirer la Cléopédie[3] du comte Daru et bientôt après l'abbé Delille, c'était cette doctrine intérieure fondée sur le vrai plaisir, plaisir profond, réfléchi, allant jusqu'au bonheur, que m'avaient donné Cervantès, Shakespeare, Corneille, Arioste, et une haine pour le puérile de Voltaire et de son[p. 134] école. Là-dessus, quand j'osais parler, j'étais tranchant jusqu'au fanatisme, car je ne faisais aucun doute[4] que tous les hommes bien portants et non gâtés par une mauvaise éducation littéraire ne pensassent comme moi. L'expérience m'a appris que la majorité laisse diriger la sensibilité aux arts, qu'elle peut avoir naturellement, par l'auteur à la mode; c'était Voltaire en 1788, Walter Scott en 1828. Et qui est-ce aujourd'hui 1836? Heureusement, personne.
Cet amour pour Shakespeare, l'Arioste, et la Nouvelle-Héloïse au second rang, qui étaient les maîtres de mon cœur littéraire à mon arrivée à Paris à la fin de 1799, me préserva du mauvais goût (Delille, moins la gentillesse) qui régnait dans les salons Daru et Cardon, et qui était d'autant plus dangereux pour moi, d'autant plus contagieux, que le comte Daru était un auteur produisant actuellement et que sous d'autres rapports tout le monde admirait et que j'admirais moi-même. Il venait d'être ordonnateur en chef, je crois, de cette armée d'Helvétie qui venait de sauver la France à Zurich sous Masséna. M. Daru le père nous répétait sans cesse que le général Masséna disait à tout le monde, en parlant de M. Daru: «Voilà un homme que je puis présenter à mes amis et à mes ennemis.»
Pourtant Masséna, de moi bien connu, était voleur comme une pie, ce qui veut dire par instinct, on parle encore de lui à Rome (ostensoir de la famille[p. 135] Doria, à Sainte-Agnès, place Navone, je crois), et M. Daru n'a jamais volé un centime.
Mais, grand Dieu, quel bavardage! Je ne puis arriver à parler de l'Arioste, dont les personnages, palefreniers et portefaix par la force, m'ennuient tellement aujourd'hui. De 1796 à 1804, l'Arioste ne me faisait pas sa sensation propre. Je prenais tout-à-fait au sérieux les passages tendres et romanesques. Ils frayèrent, à mon insu, le seul chemin par lequel l'émotion puisse arriver à mon âme. Je ne puis être touché jusqu'à l'attendrissement qu'après un passage comique.
De là mon amour presque exclusif pour l'opera buffa, de là l'abîme qui sépare mon âme de celle de M. le baron Poitou (voir à la fin du volume la préface de de Brosses qui a fâché Colomb) et de tout le vulgaire de 1830, qui ne voit le courage que sous la moustache.
Là seulement, dans l'opera buffa, je puis être attendri jusqu'aux larmes. La prétention de toucher qu'a l'opera séria à l'instant fait cesser pour moi la possibilité de l'être. Même dans la vie réelle, un pauvre qui demande l'aumône avec des cris piteux, bien loin de me faire pitié, me fait songer, avec toute la sévérité philosophique possible, à l'utilité d'une maison pénitentiaire.
Un pauvre qui ne m'adresse pas la parole, qui ne pousse pas des cris lamentables et tragiques, comme c'est l'usage à Rome, et mange une pomme en se[p. 136] traînant à terre, comme le cul-de-jatte d'il y a huit jours, me touche presque jusqu'aux larmes à l'instant.
De là mon complet éloignement pour la tragédie, mon éloignement jusqu'à l'ironie pour la tragédie en vers.
Il y a une exception pour cet homme simple et grand, Pierre Corneille, suivant moi immensément supérieur à Racine, ce courtisan rempli d'adresse et de bien-dire. Les règles d'Aristote, ou prétendues telles, étaient un obstacle ainsi que les vers pour ce poète original. Racine n'est original, aux yeux des Allemands, Anglais, etc., que parce qu'ils n'ont pas eu encore une cour spirituelle, comme celle de Louis XIV, obligeant tous les gens riches et nobles d'un pays à passer tous les jours huit heures ensemble dans les salons de Versailles.
La suite des temps portera les Anglais, Allemands, Américains et autres gens à argent ou revenu antilogique, à comprendre l'adresse courtisane de Racine, même l'ingénue la plus innocente, Junie ou Aricie, et confite en adresse d'honnête catin; Racine n'a jamais pu faire une Mlle de La Vallière, mais toujours une fille extrêmement adroite et peut-être physiquement vertueuse, mais certes pas moralement. Vers 1900, peut-être que les Allemands, Américains, Anglais, arriveront à comprendre tout l'esprit courtisanesque de Racine. Un siècle peut-être après, ils arriveront à sentir qu'il n'a jamais pu faire une La Vallière.
Mais comment ces gens faibles pourront-ils apercevoir une étoile tellement rapprochée du soleil? L'admiration de ces rustres polis et avares pour la civilisation qui donnait un vernis charmant même au maréchal de Boufflers (mort vers 1712[5]), qui était un sot, les empêchera de sentir le manque total de simplicité et de naturel chez Racine, et à comprendre ce vers de Camille:
Tout ce que je voyais me semblait Curiace.
Que j'écrive cela à cinquante-trois ans[6], rien de plus simple, mais que je le sentisse en 1800, que j'eusse une sorte d'horreur pour Voltaire et l'affectation gracieuse d'Alzire, avec mon mépris si voisin de la haine pour lui et à si bon droit, voilà ce qui m'étonne, moi, élève de M. Gagnon, qui s'estimait pour avoir été trois jours l'hôte de Voltaire à Ferney, moi élevé au pied du petit buste de ce grand homme, monté sur un pied d'ébène.
Est-ce moi ou le grand homme qui suis sur le pied d'ébène?
Enfin, j'admire ce que j'étais littérairement en février 18000. quand j'écrivais: cella[7].
M. le comte Daru, si immensément supérieur à moi et à tant d'autres comme homme de travail, comme avocat consultant, n'avait pas l'esprit qu'il fallait pour soupçonner la valeur de ce fou orgueilleux.
M. Mazoyer, le commis mon voisin, qui apparemment s'ennuyait moins de ma folie mélangée d'orgueil que de la stupidité des deux autres commis à 2.500 francs, fit quelque cas de moi, et j'y fus indifférent. Je regardais tout ce qui admirait cet adroit courtisan nommé Racine comme incapable de voir et de sentir le vrai beau qui, à mes yeux, était la naïveté d'Imogène s'écriant:
«Salut, pauvre maison, qui te gardes toi-même!»
Les injures adressées à Shakespeare par M. Mazoyer, et avec quel mépris, en 1800, m'attendrissaient jusqu'aux larmes en faveur de ce grand poète. Dans la suite, rien ne m'a fait adorer madame Dembowski[8] comme les critiques que faisaient d'elle les prosaïques de Milan. Je puis nommer cette femme charmante, qui pense à elle aujourd'hui? Ne suis-je pas le seul peut-être, après onze ans qu'elle a quitté la terre? J'applique ce même raisonnement à la comtesse Alexandrine Petit. Ne suis-je pas aujourd'hui son meilleur ami, après vingt-deux ans? Et quand ceci paraîtra (si jamais un libraire ne craint pas de perdre son temps et son papier!), quand ceci paraîtra après ma mort à moi, qui songera encore à Métilde et à Alexandrine? Et malgré leur modestie de femme et cette horreur d'occuper le public que je leur ai vue, si elles voient public ce livre du lieu où elles sont, n'en seront-elles pas bien aises?
For who to dumb forget fulness a prey[9] n'est pas bien aise, après tant d'années, de voir prononcer son nom par une bouche amie?
Mais où diable en étais-je?—A mon bureau, où j'écrivais cela, cella[10].
Pour peu que le lecteur ait l'âme commune, il s'imaginera que cette digression a pour but de cacher ma honte d'avoir écrit cella. Il se trompe, je suis un autre homme. Les erreurs de celui de 1800 sont des découvertes que je fais, la plupart, en écrivant ceci. Je ne me souviens, après tant d'années et d'événements, que du sourire de la femme que j'aimais. L'autre jour, j'avais oublié la couleur d'un des uniformes que j'ai portés. Or, avez-vous éprouvé, ô lecteur bénévole, ce que c'est qu'un uniforme dans une armée victorieuse, et unique objet de l'attention de la nation, comme l'armée de Napoléon?
Aujourd'hui, grâce au ciel, la Tribune a obscurci l'Armée.
Décidément, je ne puis me rappeler la rue où était situé ce bureau dans lequel je saisis pour la première fois la plume administrative. C'était au bout de la rue Hillerin-Bertin, alors bordée de murs de jardin. Je me vois marchant sérieusement à côté du comte Daru, allant à son bureau après le sombre et froid déjeuner de la maison n° 505, au coin de la rue de Bellechasse et de celle de Lille, comme disaient les bons écrivains de 1800.
Quelle différence pour moi, si M. Daru m'avait dit: «Quand vous avez une lettre à faire, réfléchissez bien à ce que vous voulez dire, et ensuite à la couleur de réprimande ou d'ordre que le ministre qui signera votre lettre voudrait y donner. Votre parti pris, écrivez hardiment.»
Au lieu de cela, je tâchais d'imiter la forme des lettres de M. Daru, il répétait trop souvent le mot en effet, et moi je farcissais mes lettres de en effet.
Qu'il y a loin de là aux grandes lettres que j'inventais à Vienne, en 1809, ayant une vérole[11] horrible, le soin d'un hôpital de 4.000 blessés (l'oiseau vole), une maîtresse que j'enfilais et une maîtresse que j'adorais! Tout ce changement s'est opéré par mes seules réflexions, M. Daru ne m'a jamais donné d'autre avis que sa colère quand il biffait mes lettres.
Le bon Martial Daru était toujours avec moi sur le ton plaisant. Il venait souvent au bureau de la Guerre; c'était la Cour pour un commissaire des guerres. Il avait la police de l'hôpital du Val-de-Grâce, ce me semble, en 1800, et sans doute M. le comte Daru, la meilleure tête de ce ministère en 1800 (ce n'est pas beaucoup dire), avait le secret de l'armée de réserve. Toutes les vanités du corps des commissaires des guerres étaient en ébullition pour la création du corps et, bien plus, pour la fixation de l'uniforme des Inspecteurs aux Revues.
Il me semble que je vis alors le général Olivier, avec sa jambe de bois, récemment nommé Inspecteur[p. 141] en chef aux Revues. Cette vanité, portée au comble par le chapeau brodé et l'habit rouge, était la base de la conversation dans les maisons Daru et Cardon. Edmond Cardon, poussé par une mère habile[12] et qui flattait ouvertement le comte Daru, avait la promesse d'une place d'adjoint aux commissaires des guerres.
Le bon Martial me fit bientôt entrevoir la possibilité pour moi de ce charmant uniforme.
Je crois découvrir en écrivant que Cardon le porta: habit bleu de roi, broderie d'or au collet et aux parements des manches.
A cette distance, pour les choses de vanité (passion secondaire chez moi), les choses imaginées et les choses vues se confondent.
L'excellent Martial étant donc venu me voir à mon bureau trouva que j'avais envoyé[13] une lettre dans le bureau avec le mot Renseignements.
«Diable! me dit-il en riant, vous faites déjà courir les lettres ainsi!»
C'était, ce me semble, un peu le privilège au moins d'un sous-chef de bureau, moi dernier des surnuméraires.
Sur ce mot Renseignements, le bureau de la Solde, par exemple, donnait les renseignements relatifs à la solde, le bureau de l'Habillement, ceux de l'habillement. Supposons l'affaire d'un officier d'habillement du 7me léger devant restituer sur sa solde 107 francs, montant de la serge qu'il a reçue indûment, il me[p. 142] fallait des renseignements des deux bureaux susnommés pour pouvoir faire la lettre que M. Daru, secrétaire général, devait signer.
Je suis persuadé que bien peu de mes lettres allaient jusqu'à M. Daru; M. Barthomeuf, homme commun, mais bon commis, commençait alors sa carrière comme son secrétaire particulier (c'est-à-dire commis payé par la Guerre), employé dans le bureau où écrivait M. Daru, et avait à souffrir ses étranges incartades et les excès de travail que cet homme terrible à soi et aux autres exigeait de tout ce qui l'approchait. J'eus bientôt pris la contagion de la terreur inspirée par M. Daru, et ce sentiment ne m'a jamais quitté à son égard. J'étais né excessivement sensible, et la dureté de ses paroles était sans bornes ni mesure.
De longtemps cependant je ne fus pas assez considérable pour être malmené par lui. Et maintenant que j'y réfléchis sensément, je vois que jamais je n'en ai été réellement maltraité. Je n'ai pas souffert la centième partie de ce qu'a enduré M. de Baure, ancien avocat général du Parlement de Pau. (Y avait-il un tel Parlement[14]? Je n'ai aucun livre à Cività-Vecchia pour le chercher, mais tant mieux, ce livre-ci, fait uniquement avec ma mémoire, ne sera pas fait avec d'autres livres.)
J'aperçois qu'entre M. Daru et moi il y a toujours eu comme un morceau d'affût emporté par le boulet ennemi qui fait matelas sur le corps de la pièce que[p. 143] vient frapper ce boulet (connue au Tésin, eu 1800).
Mon matelas a été Joinville (aujourd'hui le baron Joinville, intendant militaire de la 1re division, Paris[15]), ensuite M. de Baure. J'arrive à cette idée bien nouvelle pour moi: M. Daru m'aurait-il ménagé? Il est bien possible. Mais la terreur a toujours été telle que cette idée ne me vient qu'en mars 1836.
Tout le monde, à la Guerre, frémissait en abordant le bureau de M. Daru. Pour moi, j'avais peur rien qu'en en regardant la porte. Sans doute M. Daru père vit ce sentiment dans ma gêne, et, avec le caractère que je lui vois maintenant (caractère timide, à qui la terreur inspirée faisait rempart), ma peur dut lui faire ma cour.
Les êtres grossiers, comme me semblait M. Barthomeuf, devaient sentir moins les paroles étranges dont ce bœuf furibond affublait tout ce qui l'approchait dans les moments où le travail l'accablait.
Avec cette terreur il faisait marcher les sept à huit cents commis du bureau de la Guerre dont les chefs, quinze ou vingt importants, la plupart sans aucun talent, nommés chefs de bureau, étaient malmenés d'importance par M. Daru. Ces animaux, loin d'abréger et de simplifier les affaires, cherchaient souvent à les embrouiller, même pour M. Daru. Je conviens que cela est fait pour faire donner au diable un homme qui voit placées à gauche, sur son bureau, vingt ou trente lettres pressées à répondre. Et de[p. 144] ces lettres, demandant des ordres, j'en ai souvent vu un pied de haut sur le bureau de M. Daru; et encore est-il peu de gens qui seraient charmés de pouvoir vous dire: «Je n'ai pas reçu à temps les ordres de Votre Excellence ...»et avec la perspective d'un Napoléon se fâchant à Schœnbrünn et disant qu'il y a eu négligence, etc.
[1] Le chapitre XLI est le chapitre XXXVI du manuscrit (fol. 675 à 696). Ecrit à Cività-Vecchia les 1er, 3 et 4 mars 1836. Le 2 mars, «métier: quatre lettres au Ministère».
[2] ... protégé par les prêtres ...—Ms.: «Trepr.»
[3] ... la Cléopédie ...—Ms.: «Ciropédie.»
[4] ... je ne faisais aucun doute ...—Variante: «Je ne doutais pas.»
[5] ... maréchal de Boufflers (mort vers 1712) ...—Le maréchal de Boufflers est mort en 1711.
[6] Que j'écrive cela à cinquante-trois ans ...—Ms.: «5 X 10 + √9»
[7] ... quand j'écrivais: cella.—Un tiers du fol. 685 a été laissé en blanc par Stendhal.
[8] ... madame Dembowski ...—Métilde. Voir contexte et aussi le chapitre Ier.
[9] For who to dumb forget fulness a prey ...—Vers de Gray (Elégies, 1750, stance XXII), dont le sens est: Qui tombe en proie à l'oubli silencieux ...
[10] A mon bureau, où j'écrivais cela, cella.—Suit un plan du bureau du ministère de la guerre où travaillaient M. Mazoyer, Beyle et les deux autres commis. «J'étais au bureau H ou H', les deux commis communs en A et B.»
[11] ... ayant une vérole horrible ...—Ms.: «Rolevé.» —La maladie de Stendhal dut se déclarer dans le courant de 1808. Dans les papiers conservés à la bibliothèque municipale de Grenoble se trouve (R 5896, vol. XV, fol. 195) une ordonnance du docteur Richerand, datée du 14 décembre 1808, contenant de minutieuses prescriptions contre des manifestations syphilitiques chez son client. L'ordonnance se termine ainsi: «Ce traitement suivi avec exactitude durant six semaines détruira les excroissances et fera disparaître la fièvre lente qui revient chaque soir.
Paris, le 14 décembre 1808.
RICHERAND,
Professeur de l'Ecole spéciale de Médecine, etc.»
[12] Edmond Cardon, poussé par une mire habile ...—Sur Mme Cardon et son fils Edmond, voir A. Chuquet, Stendhal-Beyle, p. 40-42 et 479-480.
[13] ... que j'avais envoyé ...—Variante: «Expédié.»
[14] ... Parlement de Pau.—Le parlement de Pau, qui comprenait dans sa juridiction la Navarre et le Béarn, fut créé en 1620.
[15] ... le baron Joinville, intendant militaire de la 1re division ...—Sur Joinville, voir A. Chuquet, Stendhal-Beyle, p. 48-50.
Mes relations avec M. Daru, commencées ainsi en février ou janvier 1800, n'ont fini qu'à sa mort, en 1829. Il a été mon bienfaiteur, en ce sens qu'il m'a employé de préférence à bien d'autres, mais j'ai passé bien des jours de pluie, avec mal à la tête pour un poêle trop chauffé, à écrire de dix heures du matin à une heure après minuit, et cela sous les yeux d'un homme furieux et constamment en colère parce qu'il avait toujours peur. C'étaient les ricochets de son ami Picard: il avait une peur mortelle de Napoléon et j'avais une peur mortelle de lui.
On verra à Erfurt, 1809, le nec plus ultra de notre travail. M. Daru et moi, nous avons fait toute l'intendance générale de l'armée pendant trois ou huit[p. 146] jours. Il n'y avait pas même un copiste. Emerveillé de ce qu'il faisait, M. Daru ne se fâcha peut-être que deux ou trois fois par jour; ce fut une partie de plaisir. J'étais en colère contre moi d'être ému par ses paroles dures. Cela ne faisait ni chaud ni froid à mon avancement et, d'ailleurs, je n'ai jamais été fou pour l'avancement. Je le vois aujourd'hui, je cherchais le plus possible à être séparé de M. Daru, ne fût-ce que par une porte à demi fermée. Ses propos durs sur les présents et les absents m'étaient insupportables.
Quand j'écrivais cela par deux, au bureau de la Guerre, au bout de la rue Hillerin-Bertin, j'étais bien loin de connaître encore toute la dureté de M. Daru, ce volcan d'injures. J'étais tout étonné, j'avais à peine l'expérience d'un enfant de neuf ans, et toutefois je venais d'en avoir dix-sept[2] au 23 janvier 1800.
Ce qui me désolait, c'était la conversation incessante des commis, mes compagnons, qui m'empêchait de travailler et de penser! Pendant plus de six semaines, arrivé à quatre heures j'en étais hébété.
Félix Faure, mon camarade assez intime à Grenoble, n'avait nullement ma rêverie folle sur l'Amour et les Arts. C'est ce manque de folie qui a toujours coupé la pointe à notre amitié, qui n'a été[p. 147] que compagnonnage de vie. Il est aujourd'hui pair de France, Premier Président, et condamne sans trop de remords, je pense, à vingt ans de prison les fous d'avril, trop punis par six mois de prison, vu le parjure of the k[ing], et à mort ce second Bailly, le sage Morey, guillotiné le 19 mars 1836, coupable peut-être, mais sans preuve. Félix Faure résisterait à une injustice qu'on lui demanderait dans cinq minutes, mais si on donne vingt-quatre heures à sa vanité, la plus bourgeoise que je connaisse, si un roi lui demande la tête d'un innocent, il trouvera des raisons pour l'accorder. L'égoïsme et une absence complète de la plus petite étincelle de générosité, réunis à un caractère triste, à l'anglaise, et à la peur de devenir fou comme sa mère et sa sœur, forment le caractère de ce mien camarade. C'est le plus plat de tous mes amis et celui qui a fait la plus grande fortune.
Quelle différence de générosité avec Louis Crozet, Bigillion[3]! Mareste ferait les même choses, mais sans faire illusion, pour de l'avancement et à l'italienne. Edmond Cardon eût fait les même choses en en gémissant et les recouvrant de toute la grâce possible, d'Argout avec courage et en songeant au danger personnel et surmontant cette crainte. Louis Crozet (ingénieur en chef à Grenoble) aurait exposé sa vie avec héroïsme plutôt que de condamner à vingt ans de prison un fou généreux comme Kersanné (que je n'ai jamais vu), trop puni par[p. 148] six mois de prison. Colomb refuserait encore plus nettement que Louis Crozet, mais on pourrait le tromper.
Ainsi, le plus plat à peu près de tous mes amis est Félix Faure (pair de France), avec lequel j'ai vécu intimement en janvier 1800, de 1803 à 1805, et de 1810 à 1815 et 16.
Louis Crozet m'a dit que ses talents atteignent à peine à la médiocrité, mais sa tristesse continue lui donnait de la dignité lorsque je le connus aux Mathématiques, ce me semble, vers 1797. Son père, né très pauvre, avait fait une jolie fortune dans l'administration des Finances et avait un beau domaine à Saint-Ismier (à deux lieues de Grenoble, route de Barraux et Chambéry).
Mais je réfléchis qu'on va prendre pour de l'envie ma sévérité envers ce plat pair de France. Me croira-t-on quand j'ajouterai que je dédaignerais bien de changer de réputation avec lui? Dix mille francs et être exempt de poursuivre for my future writings serait mon bâton de maréchal, idéal, il est vrai.
Félix Faure me présenta, à ma demande, à Fabien, maître d'armes rue Montpensier, je crois, rue des Cabriolets, près le Théâtre-Français, derrière Corazza, près du passage vis-à-vis la fontaine et la maison où Molière est mort. Là, je faisais des armes non pas avec, mais dans la même salle que plusieurs Grenoblois.
Deux grands et sales coquins entre autres (je parle du fond, et non de l'apparence, et de coquinerie en affaires privées, non de l'Etat), MM. Casimir Périer, depuis ministre, et D....... membre de la Chambre des Députés en 1836. Ce dernier non seulement volait au jeu dix francs, à Grenoble, vers 1820, mais y a été pris sur le fait.
Casimir Périer était peut-être alors le plus beau des jeunes gens de Paris; il était sombre, sauvage, ses beaux yeux montraient de la folie.
Je dis folie dans le sens propre. Mme Savoye de Rollin, sa sœur, dévote célèbre et cependant pas méchante, avait été folle et pendant plusieurs mois avait tenu des propos dignes de l'Arétin, et en termes les plus clairs, sans aucun voile. Cela est drôle, où une dévote de fort bonne compagnie peut-elle prendre une douzaine de mots que je n'ose écrire ici? Ce qui explique un peu ce genre d'amabilité, c'est que M. Savoye de Rollin, homme d'infiniment d'esprit, libertin philosophe, etc., etc., ami de mon oncle, était devenu nul par abus un an ou deux avant son mariage avec la fille de Périer milord. C'est le nom que Grenoble donnait à un homme d'esprit, ami de ma famille, qui méprisait de tout son cœur la bonne compagnie et qui a laissé trois cent cinquante mille francs à chacun de ses dix ou douze enfants[4], tous plus ou moins emphatiques, bêtes et fous. Leur précepteur avait été le mien, ce profond et sec coquin, M. l'abbé Raillane.
M. Périer milord ne pensait jamais qu'à l'argent. Mon grand-père Gagnon, qui l'aimait, malgré son protestantisme en bonne compagnie qui irritait beaucoup M. Gagnon, me racontait que M. Périer, en arrivant dans un salon, ne pouvait se dispenser, au premier coup d'œil, de faire le compte fort exact de ce qu'avait coûté l'ameublement. Mon grand-père, comme tous les orthodoxes, prêtait des aveux humiliants à M. Périer milord, qui fuyait la bonne compagnie de Grenoble comme la peste (vers 1780).
Un soir, mon grand-père le trouva dans la rue:
«Montez avec moi chez Mme de Quinsonnas.
—Je vous avouerai une chose, mon cher Gagnon: lorsqu'on a été quelque temps de suite sans voir la bonne compagnie et qu'on a pris une certaine habitude de la mauvaise, on se trouve déplacé dans la bonne.»
Je suppose que la bonne compagnie des Présidentes au parlement de Grenoble, mesdames de Sassenage, de Quinsonnas, de Bailly, contenait encore un degré d'alliage ou d'affectation trop fort pour un homme d'un génie vif comme M. Périer milord. Je pense que je me serais fort ennuyé dans la société où Montesquieu brillait vers 1745, chez Mme Geoffrin ou chez Mme de Mirepoix. J'ai découvert dernièrement que l'esprit des vingt premières pages de La Bruyère (qui, en 1803, fit mon éducation littéraire, d'après les éloges de Saint-Simon[p. 151] dans les éditions en trois et en sept volumes) est une copie exacte de ce que Saint-Simon appelle avoir infiniment d'esprit. Or, en 1836, ces vingt premières pages sont puériles, vides, de très bon ton assurément, mais ne valent pas trop la peine d'être écrites. Le style en est admirable en ce qu'il ne gâte pas la pensée, qui a le malheur d'être sine ictu. Ces vingt pages ont eu de l'esprit peut-être jusqu'en 1789. L'esprit, si délicieux pour qui le sent, ne dure pas. Comme une belle pêche passe en quelques jours, l'esprit passe en deux cents ans, et bien plus vite s'il y a révolution dans les rapports que les classes d'une société ont entre elles, dans la distribution du pouvoir dans une société.
L'esprit doit être de cinq ou six degrés au-dessus des idées qui forment l'intelligence d'un public.
S'il est de huit degrés au-dessus, il fait mal à la tête à ce public (défaut de la conversation de Dominique, quand il est animé).
Pour achever d'éclairer ma pensée, je dirai que La Bruyère était à cinq degrés au-dessus de l'intelligence commune des ducs de Saint-Simon, de Charost, de Beauvilliers, de Chevreuse, de La Feuillade, de Villars, de Montfort, de Foix, de Lesdiguières (le vieux Canaple), d'Harcourt, de La Rocheguyon, de La Rochefoucauld, d'Humières, de Mmes de Maintenon, de Caylus, de Berry, etc., etc., etc.
La Bruyère a dû être au niveau des intelligences vers 1780, au temps du duc de Richelieu, Voltaire,[p. 152] M. de Vaudreuil, le duc de Nivernais (prétendu fils de Voltaire), quand ce plat Marmontel passait pour spirituel, du temps de Duclos, Collé, etc., etc.
En 1836, excepté pour les choses d'art littéraire ou plutôt de style, en en exceptant formellement les jugements sur Racine, Corneille, Bossuet, etc., La Bruyère reste au-dessous de l'intelligence d'une société qui se réunirait chez Mme Boni de Castellane et qui serait composée de MM. Mérimée, Molé, Koreff, moi, Dupin aîné, Thiers, Béranger, duc de Fitz-James, Sainte-Aulaire, Arago, Villemain.
Ma foi, l'esprit manque, chacun réserve toutes ses forces pour un métier qui lui donne un rang dans le monde. L'esprit, argent comptant, imprévu même pour le parler, l'esprit de Dominique fait peur aux convenances. Si je ne me trompe, l'esprit va se réfugier chez les dames de mœurs faciles, chez Mme Ancelot (qui n'a pas plus d'amants que Mme de Talaru, la première ou la seconde) mais chez laquelle on ose plus.
Quelle terrible digression en faveur des lecteurs de 1880! Mais comprendront-ils l'allusion en faveur? J'en doute, les crieurs publics auront alors un autre mot pour faire acheter les discours du roi. Qu'est-ce qu'une allusion expliquée? De l'esprit à la Charles Nodier, de l'esprit ennuyeux.
Je veux coller ici un exemple du style de 1835. C'est M. Gozlan qui [p. 153]parle, dans le Temps[5] ...
Le plus doux, le plus vraiment jeune de tous ces sombres Grenoblois qui faisaient des armes chez l'élégant Fabien, était sans doute M. César Pascal[6], fils d'un père également aimable et auquel Casimir Périer donna la croix étant ministre, et la recette générale d'Auxerre à son frère maternel, l'aimable Turquin, et une autre recette générale, celle de Valence, au neveu de Casimir, M. Camille Teisseire.
Mais, au milieu de sa demi-friponnerie comme négociant, M. Casimir Périer avait la qualité dauphinoise: il savait vouloir. Le souffle de Paris, affaiblissant, corrodant la faculté de vouloir, n'avait pas encore pénétré dans[7] nos montagnes en 1800. J'en suis témoin fidèle pour mes camarades. Napoléon, Fieschi avaient la faculté de vouloir qui manque à M. Villemain, à M. Casimir Delavigne, à M. de Pastoret (Amédée), élevés à Paris.
Chez l'élégant Fabien, je me convainquis de mon métalent pour les armes. Son prévôt, le sombre Renouvier, qui s'est tué, je pense, après avoir tué en duel d'un coup d'épée son dernier ami, me fit comprendre très honnêtement mon métalent. J'ai été bien heureux de me battre toujours au pistolet, je ne prévoyais pas ce bonheur en 1800, et, d'ennui de parer tierce et quarte toujours trop tard, je résolus, le cas échéant, de fondre à fond sur mon adversaire. Cela m'a gêné toutes les fois qu'à l'armée[p. 154] je me suis vu l'épée au côté. A Brunswick, par exemple, ma maladresse eût pu m'envoyer ad patres avec le grand chambellan de Munichhausen; heureusement, il ne fut pas brave ce jour-là, ou plutôt il ne voulut pas se compromettre. J'ai eu de même un métalent pour le violon, et au contraire un talent naturel et singulier pour tirer les perdrix et les lièvres et, à Brunswick, un corbeau d'un coup de pistolet, à quarante pas, la voiture allant au grand trot, ce qui m'a valu le respect des aides-de-camp du général Rivaut, cet homme si poli. (Rivaut de La Rafinière, haï du prince de Neuchâtel (Berthier), depuis commandant à Rouen, et ultra vers 1825.)
J'ai eu le bonheur aussi d'atteindre un bancozeitel, à Vienne, au Prater, dans le duel arrangé avec M. Raindre, colonel ou chef d'escadron d'artillerie légère. Ce brave à trois poils ne le fut guère!
Enfin, j'ai porté l'épée toute ma vie ne sachant pas la manier. J'ai toujours été gros et facile à essouffler. Mon projet a toujours été: «Y êtes-vous?» et droit le coup de seconde.
Dans le temps où je faisais des armes avec César Pascal, Félix Faure, Duchesne, Casimir Périer et deux ou trois autres Dauphinois, j'allai voir Périer milord (en Dauphiné, on supprime le Monsieur quand il y a un surnom). Je le trouvai dans un appartement de ses belles maisons des Feuillants (près la rue Castiglione d'aujourd'hui); il occupait un des appartements qu'il ne pouvait pas louer. C'était[p. 155] l'avare le plus gai et de la meilleure compagnie. Il sortit avec moi, il portait, un habit bleu qui avait sur la basque une tache rousse de huit pouces de diamètre.
Je ne comprenais pas comment cet homme d'une apparence si aimable (à peu près comme mon cousin Rebuffel) pouvait laisser mourir de faim ses fils Casimir et Scipion.
La maison Périer prenait à 5% les économies des servantes, des huissiers, des petits propriétaires, c'étaient des sommes de 500, 800, rarement 1.500 francs. Quand vinrent les assignats, et que pour un louis d'or on avait cent francs, elle remboursa tous ces pauvres diables; plusieurs se pendirent ou se noyèrent.
Ma famille trouva ce procédé infâme. Il ne me surprend pas de marchands, mais pourquoi, une fois arrivé aux millions, n'avoir pas trouvé un prétexte honnête de rembourser les servantes?
Ma famille était parfaite sur les choses d'argent, elle eut grand'peine à tolérer un de nos parents qui remboursa en assignats une somme de huit ou dix mille francs, prêtée à ses auteurs en billets de la banque de Law (1718, je pense, à 1793).
[1] Le chapitre XLII est le chapitre XXXVII du manuscrit (fol. 697 à 716). Ecrit à Cività-Vecchia, les 5, 6 et 7 mars 1836.—Stendhal note, en tête du fol. 708: «6 mars 1836, Cività-Vecchia. Nouveau papier acheté à Cività-Vecchia.»
[2] ... je venais d'en avoir dix-sept ...—Ms.: «42 + 1.»
[3] Quelle différence de générosité avec Louis Crozet, Bigillion!—Suit un blanc d'une demi-ligne.
[4] ... trois cent cinquante mille francs à chacun de ses dix ou douze enfants ...—Cinq cent mille francs à chacun des dix enfants. (Note au crayon de R. Colomb.)—Voir plus haut, t. I, ch. VII, p. 83-84, et les notes correspondantes.
[5] Je veux coller ici un exemple du style de 1835. C'est M. Gozlan qui parle, dans le Temps ...—Stendhal n'a pas mis sa menace à exécution: le reste du feuillet est resté blanc.
[6] ... M. César Pascal ...—Mort à Bourgoin en mai 1838. (Note au crayon de R. Colomb.)
[7] ... n'avait pas encore pénétré dans ...—Variante: «Atteint.»
Je ferais du roman si je voulais noter ici l'impression que me firent les choses de Paris, impression fort modifiée depuis.
Je ne sais si j'ai dit[2] qu'à la demande de son père M. Daru me mena à deux ou trois de ces sociétés littéraires dont la présidence faisait tant de plaisir à son père. J'y admirai la taille et surtout la gorge de madame Pipelet, femme d'un pauvre diable de chirurgien herniaire. Je l'ai un peu connue depuis, dans son état de princesse.
M. Daru récitait ses vers avec une bonhomie qui me sembla bien étrange sur cette figure sévère et allumée, je le regardais avec étonnement. Je me disais: il faut l'imiter; mais je n'y sentais aucun goût.
Je me rappelle le profond ennui des dimanches, je me promenais au hasard; c'était donc là ce Paris que j'avais tant désiré! L'absence de montagnes et de bois me serrait le cœur. Les bois étaient intimement liés à mes rêveries d'amour tendre et dévoué, comme dans l'Arioste. Tous les hommes me semblaient prosaïques et plats dans les idées qu'ils avaient de l'amour et de la littérature. Je me gardais de faire confidence de mes objections contre Paris. Ainsi je ne m'aperçus pas que le centre de Paris est à une heure de distance d'une belle forêt, séjour des cerfs sous les rois. Quel n'eût pas été mon ravissement, en 1800, de voir la forêt de Fontainebleau, où il y a quelques petits rochers en miniature, les bois de Versailles, Saint-Cloud, etc. Probablement j'eusse trouvé que ces bois ressemblaient trop à un jardin.
Il fut question de nommer des adjoints aux commissaires des guerres. Je m'en aperçus au redoublement des prévenances de Mme Cardon pour la famille Daru, et même pour moi. M. Daru passa un matin chez le ministre avec le rapport sur cet objet.
Mon anxiété a fixé dans ma tête l'image du bureau où j'attendais le résultat; j'en avais changé, ma table était située dans une fort grande pièce occupée par divers commis[3]. M. Daru suivit la ligne DD' en revenant de chez le ministre, il avait fait nommer, ce me semble, Cardon et Barthomeuf. Je ne fus point[p. 159] jaloux de Cardon, mais bien de M. Barthomeuf, pour lequel j'avais de l'éloignement. En attendant la décision, j'avais écrit sur mon appuie-main: MAUVAIS PARENT, en lettres majuscules.
Notez que M. Barthomeuf était un excellent commis, dont M. Daru signait toutes les lettres (c'est-à-dire M. Barthomeuf présentait vingt lettres, M. Daru en signait douze et signait en corrigeant six ou sept et en revoyait à refaire une ou deux).
Des miennes il en signait à peine la moitié, et encore quelles lettres! Mais M. Barthomeuf avait le génie et la figure d'un garçon épicier et, excepté les auteurs latins, qu'il savait comme il savait le Règlement pour la solde, il était incapable de dire un mot sur les rapports de la littérature avec la nature de l'homme, avec la manière dont il est affecté; moi, je comprenais parfaitement la façon dont Helvétius explique Régulus, je faisais tout seul un grand nombre d'applications de ce genre, j'étais bien au delà de Cailhava dans l'art de la comédie, etc., etc., et je partais de là pour me croire le supérieur ou, du moins, l'égal de M. Barthomeuf.
M. D[aru] aurait dû me faire nommer et ensuite me faire travailler ferme. Mais le hasard m'a guidé par la main dans cinq ou six grandes circonstances de ma vie. Réellement, je dois une petite statue à la Fortune. Ce fut un extrême bonheur de n'être pas fait adjoint avec Cardon. Mais je ne pensais pas ainsi, je soupirais un peu en regardant son bel uniforme[p. 160] doré, son chapeau, son épée. Mais je n'eus pas le moindre sentiment de jalousie. Apparemment, je comprenais que je n'avais pas une mère comme Mme Cardon. Je l'avais vue importuner M. Daru (Pierre) jusqu'à impatienter l'homme le plus flegmatique. M. Daru ne se fâchait pas, mais ses yeux de sanglier étaient à peindre. Enfin, il lui dit devant moi: «Madame, j'ai l'honneur de vous promettre que, s'il y a des adjoints, M. votre fils le sera.»
La sœur de Mme Cardon était, ce me semble, Mme Augué des Portes, dont les filles se liaient intimement alors avec la citoyenne Hortense Beauharnais. Ces demoiselles étaient élevées chez madame Campan, la camarade et probablement l'amie de Mme Cardon.
Je riais et je déployais mon amabilité de 1800 avec Mlles Augué, dont l'une épousa bientôt après, ce me semble, le général Ney.
Je les trouvais gaies et j'étais, je devais être, un étrange animal; peut-être ces demoiselles avaient-elles assez d'esprit pour voir que j'étais étrange et non plat. Enfin, je ne sais pourquoi, j'étais bien accueilli. Quel admirable salon à cultiver! Voilà ce que M. Daru le père aurait dû me faire comprendre. Cette vérité, fondamentale à Paris, je ne l'ai entrevue pour la première fois que vingt-sept ans plus tard, après la fameuse bataille de San-Remo. La fortune, dont j'ai tant à me louer, m'a promené dans plusieurs salons des plus influents. J'ai refusé,[p. 161] en 1814, une place à millions[4], en 1828, j'étais en société intime avec MM. Thiers (ministre des Affaires étrangères, hier), Mignet, Aubernon, Béranger. J'avais une grande considération dans ce salon. Je trouvai M. Aubernon ennuyeux, Mignet, sans esprit, Thiers, trop effronté, bavard; Béranger seul me plut, mais pour n'avoir pas l'air de faire la cour au pouvoir, je ne l'allai pas voir en prison et je laissai Mme Aubernon me prendre en guignon comme homme immoral.
Et Mme la comtesse Bertrand, en 1809 et 1810! Quelle absence d'ambition ou plutôt quelle paresse!
Je regrette peu l'occasion perdue. Au lieu de dix, j'aurais vingt mille[5]; au lieu de chevalier, je serais officier de la Légion d'honneur, mais j'aurais passé trois ou quatre heures par jour à ces platitudes d'ambition qu'on décore du nom de politique, j'aurais fait beaucoup de demi-bassesses, je serais préfet du Mans (en 1814, j'allais être nommé préfet du Mans).
La seule chose que je regrette, c'est le séjour de Paris, mais je serais las de Paris en 1836, comme je suis las de ma solitude parmi les sauvages de Cività-Vecchia.
A tout prendre, je ne regrette rien que de ne pas avoir acheté de la rente avec les gratifications de Napoléon, vers 1808 et 1809.
M. Daru le père n'en eut pas moins tort, dans ses idées, de ne pas me dire:[p. 162] «Vous devriez chercher à plaire à Mme Cardon et à ses nièces, les demoiselles Augué. Avec leur protection, vous serez fait commissaire des guerres deux ans plus tôt. Ne soufflez jamais mot, même à M. Daru, de ce que je viens de vous dire. Rappelez-vous que vous n'aurez d'avancement que par les salons. Travaillez bien le matin, et le soir cultivez les salons, mon affaire est de vous guider. Par exemple, donnez-vous le mérite de l'assiduité, commencez par celui-là. Ne manquez jamais un mardi de Mme Cardon[6].»
Il fallait tout ce bavardage pour être compris d'un fou qui songeait plus à Hamlet et au Misanthrope qu'à la vie réelle. Quand je m'ennuyais dans un salon, j'y manquais la semaine d'après, et n'y reparaissais qu'au bout de quinze jours. Avec la franchise de mon regard et l'extrême malheur et prostration de forces que l'ennui me donne, on voit combien je devais avancer mes affaires par ces absences. D'ailleurs, je disais toujours d'un sot: c'est un sot. Cette manie m'a valu un monde d'ennemis. Depuis que j'ai eu de l'esprit (en 1826), les épigrammes sont arrivés en foule et des mots qu'on ne peut plus oublier, me disait un jour cette bonne madame Mérimée. J'aurais dû être tué dix fois, et pourtant je n'ai que trois blessures, dont deux sont des nioles (à la main et au pied gauches).
Mes salons étaient, de décembre [1799] à avril 1800: Mme Cardon, Mme Rebuffel, Mme Daru,[p. 163] M. Rebuffel, Mme Sorel (je crois), dont le mari m'avait servi de chaperon pendant le voyage[7]. C'étaient des gens aimables et utiles, serviables, qui entraient dans le détail de mes affaires, qui me cultivaient même à cause du crédit déjà fort remarquable de M. Daru (le comte). Ils m'ennuyaient, car ils n'étaient nullement romanesques et littéraires (cut there); je les lâchai en grand.
Mes cousins Martial et Daru (le comte) avaient fait la guerre de la Vendée. Je n'ai jamais vu de gens plus purs de tout sentiment patriotique, cependant ils avaient couru la chance, à Rennes, à Nantes, et dans toute la Bretagne, d'être assassinés vingt fois; ainsi ils n'adoraient point les Bourbons, ils en parlaient avec le respect que l'on doit au malheur, et Mme Cardon nous disait à peu près la vérité sur Marie-Antoinette: bonne, bornée, pleine de hauteur, fort galante, et se moquant fort de l'ouvrier serrurier nommé Louis XVI, si différent de l'aimable comte d'Artois. Du reste, Versailles—la cour du roi Pétaud, et personne, à l'exception peut-être de Louis XVI, et encore rarement, ne faisant une promesse ou un serment au peuple que dans l'intention de le violer.
Je crois me rappeler qu'on lut chez Mme Cardon les Mémoires de sa camarade, Mme Campan, bien différents de l'homélie niaise que l'on a imprimée vers 1820[8]. Plusieurs fois, nous ne repassâmes la rue qu'à deux heures du matin, j'étais dans mon[p. 164] centre, moi, adorateur de Saint-Simon, et je parlais d'une façon qui jurait avec ma niaiserie et mon exaltation habituelles.
J'ai adoré Saint-Simon en 1800, comme en 1836. Les épinards et Saint-Simon ont été mes seuls goûts durables, après celui toutefois de vivre à Paris avec cent louis de rente, faisant des livres. Félix Faure m'a rappelé en 1829 que je lui parlais ainsi en 1798.
La famille Daru fut tout occupée d'abord du décret d'organisation du corps des inspecteurs aux revues, décret souvent corrigé, ce me semble, par M. Daru (le comte), et ensuite de la nomination du comte Daru et de Martial; le premier fut inspecteur et le second sous-inspecteur aux revues, tous les deux avec le chapeau brodé et l'habit rouge. Ce bel uniforme choqua le militaire, bien moins vain toutefois en 1800 que deux ou trois ans après, quand la vertu eut été tournée en ridicule.
Je crois avoir précisé mon premier séjour à Paris, de novembre 1799 à avril ou mai 1800, j'ai même trop bavardé, il y aura à effacer. Excepté le bel uniforme de Cardon (collet brodé en or), la salle de Fabien et mes tilleuls ou fond du jardin, à la Guerre, tout le reste ne paraît guère qu'à travers un nuage. Sans doute je voyais souvent Mante, mais nul souvenir. Fut-ce alors que Grand-Dufay mourut au café de l'Europe, sur le boulevard du Temple, ou en 1803? Je ne puis le dire.
A la Guerre, MM. Barthomeuf et Cardon étaient[p. 165] adjoints et moi très piqué et très ridicule, sans doute, aux yeux de M. Daru. Car enfin, je n'étais pas en état de faire la moindre lettre. Martial, cet être excellent, était toujours avec moi sur le ton plaisant et ne me fit jamais apercevoir que, comme commis, je n'avais pas le sens commun. Il était tout occupé de ses amours avec madame Lavalette, avec madame Petiet, pour laquelle son raisonnable frère, le comte Daru, s'était donné bien des ridicules. Il prétendait attendrir cette méchante fée par des vers. Je sus tout cela quelques mois plus tard[9].
Toutes ces choses, si nouvelles pour moi, faisaient une cruelle distraction à mes idées littéraires ou d'amour passionné et romanesque, c'était alors la même chose. D'un autre côté, mon horreur pour Paris diminuait, mais j'étais absolument fou; ce qui me semblait vrai en ce genre un jour me paraissait faux le lendemain. Ma tête était absolument le jouet de mon âme. Mais au moins je ne m'ouvris jamais à personne.
Depuis trente ans au moins j'ai oublié cette époque si ridicule de mon premier voyage à Paris; sachant en gros qu'il n'y avait qu'à siffler, je n'y arrêtais pas ma pensée. Il n'y a pas huit jours que j'y pense de nouveau, et, s'il y a une prévention dans ce que j'écris, elle est contre le Brulard de ce temps-là.
Je ne sais si je fis les yeux doux[10] à madame[p. 166] Rebuffel et à sa fille pendant ce premier voyage, et si nous eûmes la douleur de perdre madame Cambon moi étant à Paris. Je me souviens seulement que Mlle Adèle R[ebuffel] me contait des particularités singulières sur Mlle Cambon, dont elle avait été la compagne et l'amie. Mlle Cambon, ayant une dot de vingt-cinq ou trente mille francs de rente, ce qui était énormissime au sortir de la République, en 1800, éprouva le sort de toutes les positions trop belles, elle fut victime des idées les plus stupides. Je suppose qu'il fallait la marier à seize ans, ou du moins lui faire faire beaucoup d'exercice.
Il ne me reste pas le moindre souvenir de mon départ pour Dijon et l'armée de réserve, l'excès de la joie a tout absorbé. MM. Daru (le comte), alors inspecteur aux revues, et Martial, sous-inspecteur, étaient partis avant moi.
Cardon ne vint point sitôt, son adroite mère lui voulait faire faire un autre pas. Il arriva bientôt à Milan, aide-de-camp du ministre de la Guerre, Carnot. Napoléon avait employé ce grand citoyen pour l'user (id est: rendre impopulaire et ridicule, s'il le pouvait. Bientôt Carnot retomba dans une pauvreté noble dont Napoléon n'eut honte que vers 1810, quand il n'eut plus peur de lui).
Je n'ai nulle idée de mon arrivée à Dijon, pas plus de mon arrivée à Genève. L'image de ces deux villes a été effacée par les images plus complètes que m'ont[p. 167] laissées les voyages postérieurs. Sans doute j'étais fou de joie. J'avais avec moi une trentaine de volumes stéréotypés. L'idée de perfectionnement de la nouvelle invention me faisait adorer ces volumes. Très susceptible pour les sensations d'odeur, je passais ma vie à me laver les mains quand j'avais lu un bouquin, et la mauvaise odeur m'avait donné un préjugé contre le Dante et les belles éditions de ce poète rassemblées par ma pauvre mère, idée toujours chère et sacrée pour moi et qui, vers 1800, était encore au premier plan.
En arrivant à Genève (j'étais fou de la Nouvelle-Héloïse), ma première course fut pour la vieille maison où est né J.-J. Rousseau, en 1712, que j'ai trouvée, en 1833, changée en superbe maison, image de l'utilité et du commerce.
A Genève, les diligences manquaient, je trouvai un commencement du désordre qui apparut régner à l'armée. J'étais recommandé à quelqu'un, apparemment à un commissaire des guerres français, laissé pour les passages et les transports. Le comte Daru avait laissé un cheval malade; j'attendis sa guérison.
Là enfin recommencent mes souvenirs. Après plusieurs délais, un matin, vers les huit heures, on attache sur ce jeune cheval suisse et bai clair mon énorme portemanteau, et un peu en dehors de la porte de Lausanne, je monte à cheval.
C'était pour la seconde ou troisième fois de ma[p. 168] vie. Séraphie et mon père s'étaient constamment opposés à me voir monter à cheval, faire des armes, etc.
Ce cheval, qui n'était pas sorti de l'écurie depuis un mois, au bout de vingt pas s'emporte, quitte la route et se jette, vers le lac, dans un champ planté de saules: je crois que le portemanteau le blessait.
[1] Le chapitre XLIII est le chapitre XXXVIII du manuscrit (fol. 717 à 738). Ecrit à Cività-Vecchia, les 7 et 8 mars 1836.
[2] Je ne sais si j'ai dit ...—Voir plus haut, t. II, p. 121-122.
[3] ... ma table était située dans une fort grande pièce occupée par divers commis.—Suit un plan du bureau, dont les deux fenêtres donnaient sur un «jardin, le même que pour l'autre bureau»; près des fenêtres et placées perpendiculairement à celles-ci, trois longues tables; à l'opposé, deux portes se faisant face étaient percées dans les murs perpendiculaires à celui des fenêtres. La ligne DD' va d'une porte à l'autre.
[4] ... une place à millions ...—Stendhal fait peut-être allusion ici au poste de directeur des subsistances de Paris, que lui offrit le comte Beugnot (cf. A. Chuquet, Stendhal-Beyle, p. 146), ou à celui de préfet de la Sarthe, dont lui-même parle dans la même page.
[5] Au lieu de dix, j'aurais vingt mille ... Ms.: «Ten» et «twenty thousand».
[6] Ne manquez jamais un mardi de Mme Cardon.—Comparez avec la même réflexion déjà faite plus haut, chapitre XL, page 120.
[7] ... Mme Sorel (je crois), dont le mari m'avait servi de chaperon pendant le voyage.—Stendhal l'a appelé plus haut M. Rosset (voir chapitres XXXV et XXXVI).
[8] ... les Mémoires de sa camarade, Mme Campan ...imprimés vers 1820.—Les Mémoires de Mme Campan furent publiés en 1823.
[9] Je sus tout cela quelques mois plus tard.—Une partie du feuillet 732 est en blanc. En marge, Stendhal a écrit: «Placer les portraits physiques.»
[10]. Je ne sais si je fis les yeux doux ...—Variante: «Les yeux du désir.»
Je mourais de crainte, mais le sacrifice était fait; les plus grands dangers n'étaient pas faits pour m'arrêter. Je regardais les épaules de mon cheval, et les trois pieds qui me séparaient de terre me semblaient un précipice sans fond. Pour comble de ridicule, je crois que j'avais des éperons.
Mon jeune cheval fringant galopait donc au hasard, au milieu de ces saules, quand je m'entendis appeler: c'était le domestique, sage et prudent, du capitaine Burelviller qui, enfin, en me criant de retirer la bride et s'approchant, parvint à arrêter le cheval, après une galopade d'un quart d'heure, au moins, dans tous les sens. Il me semble qu'au milieu de mes peurs sans nombre, j'avais celle d'être entraîné dans le lac.
«Que me voulez-vous? dis-je à ce domestique, quand enfin il eut pu calmer mon cheval.
—Mon maître désire vous parler.»
Aussitôt je pensai à mes pistolets; c'est sans doute quelqu'un qui me veut arrêter. La route était couverte de passants, mais toute ma vie j'ai vu mon idée et non la réalité (comme un cheval ombrageux, me dit, dix-sept ans plus tard, M. le comte de Tracy).
Je revins fièrement au capitaine, que je trouvai obligeamment arrêté sur la grand'route.
«Que me voulez-vous, monsieur?»lui dis-je, m'attendant à faire le coup de pistolet.
Le capitaine était un grand homme blond[2], entre deux âges, maigre, et d'un aspect narquois et fripon, rien d'engageant, au contraire. Il m'expliqua qu'en passant à la porte, M ...[3] lui avait dit:
«Il y a là un jeune homme qui s'en va à l'armée, sur ce cheval, qui monte pour la première fois à cheval et qui n'a jamais vu l'armée. Ayez la charité de le prendre avec vous pour les premières journées.»
M'attendant toujours à me fâcher et pensant à mes pistolets, je considérais le sabre droit et immensément long du capitaine Burelviller qui, ce me semble, appartenait à l'arme de la grosse cavalerie: habit bleu, boutons et épaulettes d'argent.
Je crois que, pour comble de ridicule, j'avais un sabre; même, en y pensant, j'en suis sûr.
Autant que je puis en juger, je plus à ce M. Burelviller, qui avait l'air d'un grand sacripant, qui peut-être avait été chassé d'un régiment et cherchait à se raccrocher à un autre. Mais tout cela est conjecture, comme la physionomie des personnages que j'ai connus à Grenoble avant 1800. Comment aurais-je pu juger?
M. Burelviller répondait à mes questions et m'apprenait à monter à cheval. Nous faisions l'étape ensemble, allions prendre ensemble notre billet de logement, et cela dura jusqu'à la Casa d'Adda, Porta Nova, à Milan (à gauche, en allant vers la porte).
J'étais absolument ivre, fou de bonheur et de joie. Ici commence une époque d'enthousiasme et de bonheur parfait. Ma joie, mon ravissement ne diminuèrent un peu que lorsque je devins dragon au 6e régiment, et encore ce ne fut qu'une éclipse.
Je ne croyais pas être alors au comble du bonheur qu'un être humain puisse trouver ici bas.
Mais telle est la vérité pourtant. Et cela, quatre mois après avoir été si malheureux à Paris, quand je m'aperçus ou crus m'apercevoir que Paris n'était pas, par soi, le comble du bonheur.
Comment rendrai-je le ravissement de Rolle?
Il faudra peut-être relire et corriger ce passage, contre mon dessein, de peur de mentir avec artifice comme Jean-Jacques Rousseau.
Comme le sacrifice de ma vie à ma fortune était[p. 172] fait et parfait, j'étais excessivement hardi à cheval, mais hardi en demandant toujours au capitaine Burelviller: «Est-ce que je vais me tuer?»
Heureusement, mon cheval était suisse, et pacifique et raisonnable comme un Suisse; s'il eût été romain et traître, il m'eût tué cent fois.
Apparemment je plus à M. Burelviller, et il s'appliqua à me former en tout; et il fut pour moi, de Genève à Milan, pendant un voyage à quatre ou cinq lieues par jour, ce qu'un excellent gouverneur doit être pour un jeune prince. Notre vie était une conversation agréable, mêlée d'événements singuliers et non sans quelque petit péril; par conséquent, impossibilité de l'apparence la plus éloignée de l'ennui. Je n'osais dire mes chimères ni parler littérature à ce roué de vingt-huit ou trente ans, qui paraissait le contraire de l'émotion.
Dès que nous arrivions à l'étape, je le quittais, je donnais bien l'étrenne à son domestique pour soigner mon cheval; je pouvais donc aller rêver en paix.
A Rolle, ce me semble, arrivé de bonne heure, ivre de bonheur, de la lecture de la Nouvelle-Héloïse et de l'idée d'aller passer à Vevey, prenant peut-être Rolle pour Vevey, j'entendis tout-à-coup sonner en grande volée la cloche majestueuse d'une église[4] située dans la colline, à un quart de lieue au-dessus de Rolle ou de Nyon; j'y montai. Je voyais ce beau lac s'étendre sous mes yeux, le son de la cloche était[p. 173] une ravissante musique qui accompagnait mes idées, en leur donnant une physionomie sublime.
Là, ce me semble, a été mon approche la plus voisine du bonheur parfait.
Pour un tel moment, il vaut la peine d'avoir vécu.
Dans la suite, je parlerai de moments semblables, où le fond, pour le bonheur, était peut-être réel, mais la sensation était-elle aussi vive, le transport du bonheur aussi parfait?
Que dire d'un tel moment, sans mentir, sans tomber dans le roman?
A Rolle ou Nyon, je ne sais lequel (à vérifier, il est facile de voir cette église entourée de huit ou dix grands arbres), à Rolle exactement commença le temps heureux de ma vie; ce pouvait être alors le 8 ou 10 de mai 1800.
Le cœur me bat encore en écrivant ceci, trente-six ans après. Je quitte mon papier, j'erre dans ma chambre et je reviens écrire. J'aime mieux manquer quelque trait vrai que de tomber dans l'exécrable défaut de faire de la déclamation, comme c'est l'usage.
A Lausanne, je crois, je plus à M. Burelviller. Un capitaine suisse retiré, jeune encore, était municipal. C'était quelque ultra échappé d'Espagne ou de quelque autre Cour. En s'acquittant de la besogne désagréable de distribuer des billets de logement à ces sacripants de Français, il se prit de bec avec nous et alla jusqu'à dire, en parlant [p. 174]de l'honneur que nous avions de servir notre patrie: «S'il y a de l'honneur ...»
Mon souvenir sans doute exagère le mot.
Je mis la main à mon sabre et voulus le tirer, ce qui me prouve que j'avais un sabre.
M. Burelviller me retint.
«Il est tard, la ville est encombrée, il s'agit d'avoir un logement,» me dit-il peu après.
Et nous quittâmes le municipal, ancien capitaine, après lui avoir bien dit son fait.
Le lendemain, étant à cheval, sur la route de Villeneuve, M. Burelviller m'interrogea sur ma façon de faire des armes.
Il fut stupéfait quand je lui avouai ma complète ignorance. Il me fit mettre, ce me semble, en garde, à la première fois que nous nous arrêtâmes pour laisser pisser nos chevaux.
«Et qu'auriez-vous donc fait, si ce chien d'aristocrate était sorti avec nous?
—J'aurais foncé sur lui.»
Apparemment que ce mot fut dit comme je le pensais.
Le capitaine Burelviller m'estima beaucoup depuis et me le dit.
Il fallait que ma parfaite innocence et totale absence du mensonge fût bien évidente pour donner de la valeur à ce qui, dans tout autre position, eût été une blague tellement grossière.
Il se mit à me donner quelques principes d'estocade, dans nos haltes, le soir.
«Autrement vous vous feriez enfiler comme un ...»
J'ai oublié le terme de comparaison.
Martigny, je crois, au pied du Grand-Saint-Bernard, m'a laissé un souvenir: le beau général Marmont, en habit de conseiller d'Etat, bleu de ciel brodant sur bleu de roi, s'occupant à faire filer un parc d'artillerie. Mais comment cet uniforme est-il possible? Je l'ignore, mais je le vois encore.
Peut-être vis-je le général Marmont en uniforme de général, et plus tard lui ai-je appliqué l'uniforme de conseiller d'Etat. (Il est à Rome, ici près, mars 1836, le traître duc de Raguse, malgré le mensonge que le lieutenant-général Després m'a fait devant ma cheminée, au lieu où j'écris, il n'y a pas douze jours.)
Le général Marmont était à gauche de la route, vers les sept heures du matin, au sortir de Martigny; il pouvait être alors le 12 ou le 14 de mai 1800.
J'étais gai et actif comme un jeune poulain, je me regardais comme Calderon faisant ses campagnes en Italie, je me regardais comme un curieux détaché à l'armée pour voir, mais destiné à faire des comédies comme Molière. Si j'avais un emploi par la suite, ce serait pour vivre, n'étant pas assez riche pour courir le monde à mes frais. Je ne demandais qu'à voir de[p. 176] grandes choses. Ce fut donc avec plus de joie encore qu'à l'ordinaire que j'examinai Marmont, ce jeune et beau favori du Premier Consul.
Comme les Suisses, dans les maisons desquels nous avions logé à Lausanne, Villeneuve, Sion, etc., nous avaient fait un tableau infâme du Grand-Saint-Bernard, j'étais plus gai qu'à l'ordinaire, plus gai n'est pas le mot, c'est plus heureux. Mon plaisir était si vif, si intime, qu'il en était pensif.
J'étais, sans m'en rendre raison, extrêmement sensible à la beauté des paysages. Comme mon père et Séraphie vantaient beaucoup les beautés de la nature en véritables hypocrites qu'ils étaient, je croyais avoir la nature en horreur. Si quelqu'un m'eût parlé des beautés de la Suisse, il m'eût fait mal au cœur; je sautais les phrases de ce genre dans les Confessions et l'Héloïse de Rousseau, ou plutôt, pour être exact, je les lisais en courant. Mais ces phrases si belles me touchaient malgré moi.
Je dus avoir un plaisir extrême en montant le Saint-Bernard, mais, ma foi, sans les précautions, qui souvent me semblaient extrêmes et presque ridicules, du capitaine Burelviller, je serais mort peut-être dès ce premier pas.
Que l'on veuille bien se rappeler de ma ridiculissime éducation. Pour ne me faire courir aucun danger, mon père et Séraphie m'avaient empêché de monter à cheval et, autant qu'ils avaient pu, d'aller à la chasse. Tout au plus j'allais me promener[p. 177] avec un fusil, niais jamais de partie de chasse véritable, où l'on trouve la faim, la pluie, l'excès de la fatigue.
De plus, la nature m'a donné les nerfs délicats et la peau sensible d'une femme. Je ne pouvais pas, quelques mois après, tenir mon sabre deux heures sans avoir la main pleine d'ampoules. Au Saint-Bernard, j'étais pour le physique comme une jeune fille de quatorze ans; j'avais dix-sept ans et trois mois, mais jamais fils gâté de grand seigneur n'a reçu une éducation plus molle.
Le courage militaire, aux yeux de mes parents, était une qualité des Jacobins; on ne prisait que le courage d'avant la Révolution, qui avait valu la croix de Saint-Louis au chef de la branche riche de la famille (M. le capitaine Beyle, de Sassenage).
Excepté le moral, par moi puisé dans les livres prohibés par Séraphie, j'arrivai donc au Saint-Bernard poule mouillée complète. Que fussé-je devenu sans la rencontre de M. Burelviller et si j'eusse marché seul? J'avais de l'argent et n'avais pas même songé à prendre un domestique. Etourdi par mes délicieuses rêveries, basées sur l'Arioste et la Nouvelle-Héloïse, toutes les remarques prudentes glissaient sur moi; je les trouvais bourgeoises, plates, odieuses.
De là, mon dégoût, même en 1836, pour les faits comiques, où se trouve de toute nécessité[5] un[p. 178] personnage bas. Ils me font un dégoût qui va jusqu'à l'horreur.
Drôle de disposition pour un successeur de Molière!
Tous les sages avis des hôteliers suisses avaient donc glissé sur moi.
A une certaine hauteur, le froid devint piquant, une brume pénétrante nous environna, la neige couvrait la route depuis longtemps. Cette route, petit sentier entre deux murs à pierres sèches, était remplie de huit à dix pouces de neige fondante et, au dessous, des cailloux roulants (comme ceux de Claix, polygones irréguliers dont les angles sont un peu émoussés).
De temps en temps, un cheval mort faisait cabrer le mien; bientôt, ce qui fut bien pis, il ne se cabra plus du tout. Au fond, c'était une rosse.
[1] Le chapitre XLIV est le chapitre XXXIX du manuscrit (fol. 739 à 758). Ecrit à Cività-Vecchia, les 8 et 9 mars 1836.
[2] Le capitaine était un grand homme blond ...—Au sujet du capitaine Burelviller, ou Burelvillers, voir A. Chuquet, Stendhal-Beyle, p. 45.
[3] ... M ... lui avait dit.—Le nom est en blanc dans le manuscrit.
[4] ... la cloche majestueuse d'une église ...—Cette église devait être un temple protestant, car il n'y a pas d'église catholique dans le canton de Vaud. (Note au crayon de R. Colomb.)
[5] ... où se trouve, de toute nécessité ...—Variante: «Nécessairement.»
A chaque instant tout devenait pire. Je trouvai le danger pour la première fois; ce danger n'était pas grand, il faut l'avouer, mais pour une jeune fille de quatorze ans qui n'avait pas été mouillée par la pluie dix fois en sa vie!
Le danger n'était donc pas grand, mais il était en moi-même: les circonstances diminuaient l'homme.
Je n'aurai pas honte de me rendre justice, je fus constamment gai. Si je rêvais, c'était aux phrases par lesquelles J.-J. Rousseau pourrait décrire ces monts sourcilleux couverts de neige et s'élevant jusqu'aux nues avec leurs pointes sans cesse obscurcies par de gros nuages gris courant rapidement.
Mon cheval faisait mine de tomber, le capitaine jurait et était sombre, son prudent domestique, qui s'était fait mon ami, était fort pâle.
J'étais transpercé d'humidité; sans cesse nous étions gênés et même arrêtés par des groupes de quinze ou vingt soldats qui montaient.
Au lieu des sentiments d'héroïque amitié que je leur supposais, d'après six ans de rêveries héroïques basées sur les caractères de Ferragus et de Rinaldo, j'entrevoyais des égoïstes aigris et méchants; souvent ils juraient contre nous, de colère de nous voir à cheval et eux à pied. Un peu plus ils nous volaient nos chevaux.
Je ne me rappelle pas tout cela, mais je me rappelle mieux les[2] dangers postérieurs, quand j'étais bien plus rapproché de 1800, par exemple à la fin de 1812, dans la marche de Moscou à Kœnigsberg.
Enfin, après une quantité énorme de zigzags, qui me paraissaient former une distance infinie, dans un fond, entre deux rochers pointus et énormes, j'aperçus, à gauche, une maison basse, presque couverte par un nuage qui passait.
C'est l'hospice! On nous y donna, comme à toute l'armée, un demi-verre de vin qui me parut glacé comme une décoction rouge.
Je n'ai de mémoire que du vin; sans doute on y joignit un morceau de pain et de fromage.
Il me semble que nous entrâmes, ou bien les écrits de l'intérieur de l'Hospice qu'on me fit produisirent une image qui, depuis trente-six ans, a pris la place de la réalité.
Voilà un danger de mensonge que j'ai aperçu depuis trois mois que je pense, à ce véridique journal.
Par exemple, je me figure fort bien la descente. Mais je ne veux pas dissimuler que, cinq ou six ans après, je vis une gravure que je trouvai fort ressemblante; et mon souvenir n'est plus que la gravure.
C'est là le danger d'acheter des gravures des beaux tableaux que l'on voit dans ses voyages. Bientôt la gravure forme tout le souvenir, et détruit le souvenir réel.
C'est ce qui m'est arrivé pour la Madone de Saint-Sixte de Dresde. La belle gravure de Müller l'a détruite pour moi, tandis que je me figure parfaitement les méchants pastels de Mengs, de la même galerie de Dresde, dont je n'ai vu la gravure nulle part.
Je vois fort bien l'ennui de tenir mon cheval par la bride: le sentier était formé de roches immobiles[3].
Le diable, c'est que les quatre pieds de mon cheval se réunissaient dans la ligne droite formée par la réunion des deux rochers qui formaient la route, et alors la rosse faisait mine de tomber; à droite, il n'y[p. 182] avait pas grand mal, mais à gauche! Que dirait M. Daru, si je lui perdais son cheval? Et d'ailleurs tous mes effets étaient dans l'énorme portemanteau, et peut-être la plus grande partie de mon argent.
Le capitaine jurait contre son domestique qui lui blessait son second cheval, il donnait des coups de canne sur la tête de son propre cheval, c'était un homme fort violent, et enfin il ne s'occupait pas de moi le moins du monde.
Pour comble de misère un canon, ce me semble, vint à passer, il fallut faire sauter nos chevaux à droite de la route; mais de cette circonstance je n'en voudrais pas jurer, elle est dans la gravure[4].
Je me souviens fort bien de cette longue descente circulaire autour de ce diable de lac glacé.
Enfin, vers Etrouble, ou avant Etrouble, vers un hameau nommé Saint ...[5], la nature commença à devenir moins austère.
Ce fut pour moi une sensation délicieuse.
Je dis au capitaine Burelviller:
«Le Saint-Bernard, n'est-ce que ça?»
Il me semble qu'il se fâcha et crut que je mentais (en termes dont nous nous servions: que je lui lâchais une blague).
Je crois entrevoir dans mes souvenirs qu'il me traita de conscrit, ce qui me sembla une injure.
A Etrouble, où nous couchâmes, ou à Saint-..., mon bonheur fut extrême, mais je commençais à comprendre que ce n'était que dans les moments[p. 183] où le capitaine était gai, que je pouvais hasarder mes remarques.
Je me dis: je suis en Italie, c'est-à-dire dans le pays de la Zulietta que J.-J. Rousseau trouva à Venise, en Piémont, dans le pays de Mme Bazile.
Je comprenais bien que ces idées étaient encore plus de contrebande pour le capitaine qui, ce me semble, une fois, avait traité Rousseau de polisson d'écrivain.
Je serais obligé de faire du roman, et de chercher à me figurer ce que doit sentir un jeune homme de dix-sept ans, fou de bonheur en s'échappant du couvent, si je voulais parler de mes sentiments d'Etrouble au fort de Bard.
J'ai oublié de dire que je rapportais mon innocence de Paris; ce n'était qu'à Milan que je devais me délivrer de ce trésor. Ce qu'il y a de drôle, c'est que je ne me souviens pas distinctement avec qui.
La violence de la timidité et de la sensation a tué absolument le souvenir.
Tout en faisant route, le capitaine me donnait des leçons d'équitation, et pour activer il donnait des coups de canne sur la tête de son cheval, qui s'emportait fort. Le mien était une rosse molle et prudente; je le réveillais à grands coups d'éperons. Par bonheur, il était très fort.
Mon imagination folle, n'osant pas dire ses secrets au capitaine, me faisait au moins le pousser de questions sur l'équitation. Je n'étais rien moins que discret.
«Et quand un cheval recule et s'approche ainsi d'un fossé profond, que faut-il faire?
—Que diable! à peine vous savez vous tenir, et vous me demandez des choses qui embarrassent les meilleurs cavaliers!»
Sans doute quelque bon jurement accompagna cette réponse, car elle est restée gravée dans ma mémoire.
Je devais l'ennuyer ferme. Son sage domestique m'avertit qu'il faisait manger à ses chevaux la moitié au moins du son qu'il me faisait acheter pour rafraîchir le mien. Ce sage domestique m'offrit de passer à mon service, il m'eût mené à sa volonté, au lieu que le terrible Burelviller le malmenait.
Ce beau discours ne me fit aucune impression. Il me semble que je pensai que je devais une reconnaissance infinie au capitaine.
D'ailleurs, j'étais si heureux de contempler les beaux paysages et l'arc de triomphe d'avril que je n'avais qu'un vœu à former: c'était que cette vie durât toujours.
Nous croyions l'armée à quarante lieues en avant de nous.
Tout-à-coup, nous la trouvâmes arrêtée par le fort de Bard[6].
Je me vois bivouaquant à une demi-lieue du fort, à gauche de la grande route.
Le lendemain, j'eus vingt-deux piqûres de cousin sur la figure et un œil tout à fait fermé.
Ici, le récit se confond avec le souvenir.
Il me semble que nous fûmes arrêtés deux ou trois jours sous Bard.
Je redoutais les nuits à cause des piqûres de ces affreux cousins, j'eus le temps de guérir à moitié.
Le Premier Consul était-il avec nous?
Fut-ce, comme il me semble, pendant que nous étions dans cette petite plaine, sous le fort, que le colonel Dufour essaya de l'emporter de vive force? Et que deux sapeurs essayèrent de couper les chaînes du pont-levis? Vis-je entourer de paille la roue des canons, ou bien est-ce le souvenir du récit que je trouve dans ma tête?
La canonnade épouvantable dans ces rochers si hauts, dans une vallée si étroite, me rendait fou d'émotion.
Enfin, le capitaine me dit: «Nous allons passer sur une montagne à gauche: C'est le chemin[7].»
J'ai appris, depuis, que cette montagne se nomme Albaredo.
Après une demi-lieue, j'entendis donner cet avis de bouche en bouche: «Ne tenez la bride de vos chevaux qu'avec deux doigts de la main droite afin que, s'ils tombent dans le précipice, ils ne vous entraînent pas.
—Diable! il y a donc danger!»me dis-je[8].
On s'arrêta sur une petite plate-forme.
«Ah! voilà qu'ils nous visent, dit le capitaine.
—Est-ce que nous sommes à portée? dis-je au capitaine.
—Ne voilà-t-il pas mon bougre qui a déjà peur?»me dit-il avec humeur. Il y avait là sept à huit personnes.
Ce mot fut comme le chant du coq pour Saint-Pierre. Je revois: je m'approchai du bord de la plate-forme pour être plus exposé, et quand il continua la route, je traînai quelques minutes, pour montrer mon courage.
Voilà comment je vis le feu pour la première fois.
C'était une espèce de pucelage qui me pesait autant que l'autre.
[1] Le chapitre XLV est le chapitre XL du manuscrit (fol. 759 à 778). Ecrit à Cività-Vecchia, le 9 mars 1836.
[2] ... je me rappelle mieux les dangers ...—Ms.: «Des dangers.»
[3] ...le sentier était formé de roches immobiles.—Suit une coupe du sentier et du précipice que les voyageurs voyaient à leur gauche. Le sentier était creux, les rochers qui le composaient formant un angle obtus de 60 degrés environ. Entre le sentier et le précipice, il pouvait y avoir trois ou quatre pieds. Au bas du précipice, dont la pente est indiquée par les lettres R P E, en «L, lac gelé sur lequel je voyais quinze ou vingt chevaux ou mulets tombés. De R en P le précipice me semblait presque vertical, de P en E il était fort rapide».
[4] ... elle est dans la gravure.—Suit un plan indiquant la marche de flanc suivie depuis l'Hospice jusqu'à Etrouble, en contournant le lac gelé.
[5] ... vers un hameau nommé Saint ...—Le reste du nom a été laissé en blanc.
[6] ... le fort de Bord.—Suit un croquis de la vallée d'Aoste, avec au fond le fort de Bard.
[7] C'est le chemin.—Suit un croquis analogue à celui indiqué ci-dessus; mais Stendhal y a figuré, en C, le chemin escaladant la montagne d'Albaredo.
[8] «Diable! il y a donc danger!»me dis-je.—Suit un croquis explicatif: à droite, en R, les remparts du fort de Bard. A gauche, en C, à la hauteur des remparts, la petite plate-forme du chemin, bordée par un précipice D allant jusqu'au fond de la vallée. Au-dessous, cette légende: «Le chemin, ou plutôt le sentier à peine tracé fraîchement avec des pioches, était comme C et le précipice comme D, le rempart comme R.»
Le soir, en y réfléchissant, je ne revenais pas de mon étonnement: Quoi! n'est-ce que ça? me disais-je.
Cet étonnement un peu niais et cette exclamation m'ont suivi toute ma vie. Je crois que cela tient à l'imagination; je fais cette découverte, ainsi que beaucoup d'autres, en 1836, en écrivant ceci.
Parenthèse.—Souvent je me dis, mais sans regret: Que de belles occasions j'ai manquées! Je serais riche, du moins j'aurais de l'aisance! Mais je vois, en 1836, que mon plus grand plaisir est de rêver; mais rêver à quoi? Souvent à des choses qui m'ennuient. L'activité des démarches nécessaires pour amasser 10.000 francs de rente est impossible pour moi. De plus, il faut flatter, ne déplaire à personne,[p. 188] etc. Ce dernier est presque impossible pour moi.
Hé bien! M. le comte de Cauchain était lieutenant ou sous-lieutenant au 6e de dragons en même temps que moi, il passait pour intrigant, habile, ne perdant pas une occasion pour plaire aux gens puissants, etc., ne faisant pas un pas qui n'eût son but, etc. Le général Cauchain, son oncle, avait pacifié la Vendée, je crois, et ne manquait pas de crédit. M. de Cauchain quitta le régiment pour entrer dans la carrière consulaire, il a eu probablement toutes les qualités qui me manquent, il est consul à Nice, comme moi à Cività-Vecchia. Voilà qui doit me consoler de n'être pas intrigant, ou du moins adroit, prudent, etc. J'ai eu le rare plaisir de faire toute ma vie à peu près ce qui me plaisait, et je suis aussi avancé qu'un homme froid, adroit, etc. M. de Cauchain m'a fait politesse quand je passai à Nice en décembre 1833. Peut-être a-t-il de plus que moi d'avoir de la fortune, mais probablement il l'a héritée de son oncle, et d'ailleurs il est chargé d'une vieille femme. Je ne changerais pas, c'est-à-dire: je ne voudrais pas que mon âme entrât dans son corps.
Je ne dois donc pas me plaindre du destin. J'ai eu un lot exécrable de sept à dix-sept [ans], mais, depuis le passage du Mont-Saint-Bernard (à 2.491 mètres au-dessus de l'océan[2]), je n'ai plus eu à me plaindre du destin; j'ai, au contraire, à m'en louer.
En 1804, je désirais cent louis et ma liberté; en 1836, je désire avec passion six mille francs et ma liberté. Ce qui est au-delà ferait bien peu pour mon bonheur. Ce n'est pas à dire que je ne voulusse tâter de 25.000 francs et ma liberté pour avoir une bonne voiture à ressorts bien liants, mais les voleries du cocher me donneraient peut-être plus d'humeur que la voiture de plaisir.
Mon bonheur est de n'avoir rien à administrer; je serais fort malheureux si j'avais 100.000 francs de rente en terres et maisons. Je vendrais tout bien vite à perte, ou du moins les trois-quarts, pour acheter de la rente. Le bonheur, pour moi, c'est de ne commander à personne et de n'être pas commandé, je crois donc que j'ai bien fait de ne pas épouser Mlle Rietti ou Mlle Diane.—Fin de la parenthèse[3].
Je me souviens que j'eus un extrême plaisir en entrant à Etrouble et à Aoste. Quoi! le passage du Saint-Bernard, n'est-ce que ça? me disais-je sans cesse. J'avais même le tort de le dire haut quelquefois, et enfin le capitaine Burelviller me malmena; malgré mon innocence, il prit cela pour une blague (id est: bravade). Fort souvent, mes naïvetés ont fait le même effet.
Un mot ridicule ou seulement exagéré a souvent suffi pour gâter les plus belles choses pour moi: par exemple, à Wagram, à côté de la pièce de canon,[p. 190] quand les herbes prenaient feu, ce colonel blagueur de mes amis qui dit: «C'est une bataille de géants!»L'impression de grandeur fut irrémédiablement enlevée pour toute la journée.
Mais, grand Dieu! qui lira ceci? Quel galimatias! Pourrai-je enfin revenir à mon récit? Le lecteur sait-il maintenant s'il en est à 1800, au premier début d'un fou dans le monde, ou aux réflexions sages d'un homme de cinquante-trois[4] ans!
Je remarquai, avant de quitter mon rocher, que la canonnade de Bard faisait un tapage effrayant; c'était le sublime, un peu trop voisin pourtant du danger. L'âme, au lieu de jouir purement, était encore un peu occupée à se tenir.
J'avertis, une fois pour toutes, le brave homme, unique peut-être, qui aura le courage de me lire, que toutes les belles réflexions de ce genre sont de 1836. J'en eusse été bien étonné en 1800; peut-être, malgré ma solidité sur Helvétius et Shakespeare, ne les eussé-je pas comprises.
Il m'est resté un souvenir net et fort sérieux du rempart qui faisait ce grand feu sur nous. Le commandant de ce fortin, situé providentiellement, comme diraient les bons écrivains de 1836, croyait arrêter le général Bonaparte[5].
Je crois que le logement du soir fut chez un curé, déjà fort malmené par les vingt-cinq ou trente mille[p. 191] hommes qui avaient passé avant le capitaine Burelviller et son élève. Le capitaine, égoïste et méchant, jurait; il me semble que le curé me fit pitié, je lui parlai latin, pour diminuer sa peur. C'était un gros péché, c'est en petit le crime de ce vil coquin de Bourmont à Waterloo. Par bonheur, le capitaine ne m'entendit pas.
Le curé, reconnaissant, m'apprit que: Donna voulait dire femme, cattiva, mauvaise, et qu'il fallait dire: quante sono miglia di qua a Ivrea? quand je voulais savoir combien il y avait de milles d'ici à Ivrée.
Ce fut là le commencement de mon italien.
Je fus tellement frappé de la quantité de chevaux morts et d'autres débris d'armée que je trouvai de Bard à Ivrée, qu'il ne m'en est point resté de souvenir distinct. C'était pour la première fois que je trouvais cette sensation, si renouvelée depuis: me trouver entre les colonnes d'une armée de Napoléon. La sensation présente absorbait tout, absolument comme le souvenir de la première soirée où Giul m'a traité en amant. Mon souvenir n'est qu'un roman fabriqué à cette occasion.
Je vois encore le premier aspect d'Ivrée aperçue à trois quarts de lieue, un peu sur la droite, et à gauche des montagnes à distance, peut-être le Mont Rose et les monts de Bielle, peut-être ce rezegon de Lebk (sic), que je devais tant adorer plus tard.
Il devenait difficile non pas d'avoir un billet de logement des habitants terrifiés, mais de défendre ce logement contre les partis de trois ou quatre soldats rôdant pour piller. J'ai quelque idée du sabre mis à la main pour défendre une porte de notre maison, que des chasseurs à cheval voulaient enlever pour en faire un bivouac.
Le soir, j'eus une sensation que je n'oublierai jamais. J'allai au spectacle, malgré le capitaine qui, jugeant bien de mon enfantillage et de mon ignorance des armes, mon sabre étant trop pesant pour moi, avait peur, sans doute, que je ne me fisse tuer à quelque coin de rue. Je n'avais point d'uniforme, c'est ce qu'il y a de pis entre les colonnes d'une armée ...
Enfin, j'allai au spectacle; on donnait le Matrimonio segreto de Cimarosa, l'actrice qui jouait Caroline avait une dent de moins sur le devant. Voilà tout ce qui me reste d'un bonheur divin.
Je mentirais et ferais du roman si j'entreprenais de le détailler.
A l'instant, mes deux grandes actions: 1° avoir passé le Saint-Bernard, 2° avoir été au feu, disparurent. Tout cela me sembla grossier et bas. J'éprouvai quelque chose comme mon enthousiasme de l'église au-dessus de Rolle, mais bien plus pur et bien plus vif. Le pédantisme de Julie d'Etange me[p. 193] gênait dans Rousseau, au lieu que tout fut divin dans Cimarosa.
Dans les intervalles du plaisir, je me disais: Et me voici jeté dans un métier grossier, au lieu de vouer ma vie à la musique!!
La réponse était, sans nulle mauvaise humeur: Il faut vivre, je vais voir le monde, devenir un brave militaire, et après un an ou deux je reviens à la musique, mes uniques amours. Je me disais de ces paroles emphatiques.
Ma vie fut renouvelée et tout mon désappointement de Paris enterré à jamais. Je venais de voir distinctement où était le bonheur. Il me semble aujourd'hui que mon grand malheur devait être: je n'ai pas trouvé le bonheur à Paris, où je l'ai cru pendant si longtemps, où est-il donc? Ne serait-il point dans nos montagnes du Dauphiné? Alors, mes parents auraient raison, et je ferais mieux d'y retourner.
La soirée d'Ivrée détruisit à jamais le Dauphiné dans mon esprit. Sans les belles montagnes que j'avais vues le matin en arrivant, peut-être Berland, Saint-Ange et Taillefer[6] n'auraient-ils pas été battus pour toujours.
Vivre en Italie et entendre de cette musique devint la base de tous mes raisonnements.
Le lendemain matin, en cheminant auprès de nos chevaux avec le capitaine, qui avait six pieds, j'eus l'enfance de parler de mon bonheur, il me répondit[p. 194] par des plaisanteries grossières sur la facilité de mœurs des actrices. Ce mot était cher et sacré pour moi, à cause de Mlle Kably, et de plus, ce matin-là, j'étais amoureux de Caroline (du Matrimonio). Il me semble que nous eûmes un différend sérieux, avec quelque idée de duel de ma part.
Je ne comprends rien à ma folie; c'est comme ma provocation à l'excellent Joinville (maintenant M. le baron Joinville, intendant militaire à Paris), je ne pouvais pas soutenir mon sabre en ligne horizontale.
La paix faite avec le capitaine, nous fûmes, ce me semble, occupés de la bataille du Tessin, où il me semble que nous fûmes mêlés, mais sans danger. Je n'en dis pas davantage, de peur de faire du roman; cette bataille, ou combat, me fut contée en grands détails peu de mois après par M. Guyardet, chef de bataillon à la 6me ou 9me légère, le régiment de cet excellent Maçon, mort à Leipzig vers 1809, ce me semble. Le récit de M. Guyardet fait, ce me semble, à Joinville, en ma présence, complète mes souvenirs et j'ai peur de prendre l'impression de ce récit pour un souvenir.
Je ne me rappelle pas même si le combat du Tessin compta dans mon esprit pour la seconde vue du feu, dans tous les cas ce ne put être[7] que le feu du canon; peut-être eûmes-nous peur d'être sabrés, nous trouvant, avec quelque cavalerie, ramenés par l'ennemi. Je ne vois de clair que la fumée du canon ou de la fusillade. Tout est confus.
Excepté le bonheur le plus vif et le plus fou, je n'ai réellement rien à dire d'Ivrée à Milan. La vue du paysage me ravissait. Je ne le trouvais pas la réalisation du beau, mais quand, après le Tessin, jusqu'à Milan, la fréquence des arbres et la force de la végétation, et même les tiges du maïs, ce me semble, empêchaient de voir à cent pas, à droite et à gauche, je trouvais que c'était là le beau.
Tel a été pour moi Milan, et pendant vingt ans (1800 à 1820). A peine si cette image adorée commence à se séparer du beau. Ma raison me dit: Mais le vrai beau, c'est Naples et le Pausilippe, par exemple, ce sont les environs de Dresde, les murs abattus de Leipsick, l'Elbe à Altona, le lac de Genève, etc. C'est ma raison qui dit cela, mon cœur ne sent que Milan et la campagne luxuriante qui l'environne[8].
[1] Le chapitre XLVI est le chapitre XLI du manuscrit (fol. 779 à 796). Ecrit le 15 mars, à Cività-Vecchia.—Stendhal indique au fol. 782: «Cività-Vecchia du 24 février au 19 mars.»
[2] ... le passage du Mont-Saint-Bernard (à 2.491 mètres au dessus de l'océan) ...—L'altitude exacte du col du Grand-Saint-Bernard est 2.472 mètres.
[3] Parenthèse.—A placer ailleurs en recopiant. (Note de Stendhal.)
[4] ... un homme de cinquante-trois ans!—Ms.: «52 x 2 + √9»
[5] ... croyait arrêter le général Bonaparte.—Suit un croquis du fort de Bard et du chemin suivi par Stendhal. Au-dessous est cette légende: «H, moi; B, village de Bard; C C C, canons tirant sur L L L; XX, chevaux tombés du sentier L L L, à peine tracé au bord du précipice; P, précipice à 95 ou 80 degrés, haut de 30 ou 40 pieds; P', autres précipices de 70 ou 60 degrés, et broussailles infinies. Je vois encore le bastion C C C, voilà tout ce qui me reste de ma peur. Quand j'étais en H, je ne vis ni cadavres, ni blessés, mais seulement des chevaux en X. Le mien qui sautait et dont je ne tenais la bride qu'avec deux doigts, suivant l'ordre, me gênait beaucoup.»
[6] ... peut-être Berland, Saint-Ange et Taillefer ...—Berland, près des Echelles; le plateau Saint-Ange, au-dessus de Claix; le massif de Taillefer, qui domine la vallée de la Romanche. (Voir à ce sujet les chapitres précédents.)
[7] ... dans tous les cas ce ne put être ...—Variante: «Ce ne fut.»
[8]—Avec le chapitre XLVI finit le troisième tome relié du manuscrit. On lit, à la fin de la table qui termine le volume: «Ce volume troisième finit à l'arrivée à Milan, 796 pages font bien, une fois augmentées par les corrections et gardes contre la critique, 400 pages in-8°. Qui lira 400 pages de mouvements du cœur?»Au feuillet suivant, on lit encore: «1836, 26 mars, annonce du congé pour Lutèce. L'imagination vole ailleurs. Ce travail en est interrompu. L'ennui engourdit l'esprit, trop éprouvé de 1832 à 1836, Omar. Ce travail, interrompu sans cesse par le métier, se ressent sans doute de cet engourdissement.—Vu ce matin galerie Fech avec le prince, et loges de Raphaël.—Pédantisme: rien n'est mal dans le Dante et Raphaël, idem à peu près pour Goldoni. 8 avril 1836, Omar.»
Un matin, en entrant à Milan, par une charmante matinée de printemps, et quel printemps! et dans quel pays du monde! je vis Martial à trois pas de moi, sur la gauche de mon cheval. Il me semble le voir[2] encore, c'était Corsia del Giardino, peu après la rue des Bigli, au commencement de la Corsia di Porta Nova.
Il était en redingote bleue avec un chapeau bordé d'adjudant général.
Il fut fort aise de me voir.
«On vous croyait perdu, me dit-il.
—Le cheval a été malade à Genève, répondis-je, je ne suis parti que [p. 198]le ...[3]
—Je vais vous montrer la maison, ce n'est qu'à deux pas.»
Je saluai le capitaine Burelviller: je ne l'ai jamais revu.
Martial revint sur ses pas et me conduisit à la Casa d'Adda[4].
La façade de la Casa d'Adda n'était point finie, la plus grande partie était alors en briques grossières, comme San Lorenzo, à Florence. J'entrai dans une cour magnifique. Je descendis de cheval fort étonné et admirant tout. Je montai par un escalier superbe. Les domestiques de Martial détachèrent mon portemanteau et emmenèrent mon cheval.
Je montai avec lui et bientôt me trouvai dans un superbe salon donnant sur la Corsia. J'étais ravi, c'était pour la première fois que l'architecture produisait son effet sur moi. Bientôt on apporta d'excellentes côtelettes pannées. Pendant plusieurs années ce plat m'a rappelé Milan.
Cette ville devint pour moi le plus beau lieu de la terre. Je ne sens pas du tout le charme de ma patrie; j'ai, pour le lieu où je suis né, une répugnance qui va jusqu'au dégoût physique (le mal de mer). Milan a été pour moi, de 1800 à 1821, le lieu où j'ai constamment désiré habiter.
J'y ai passé quelques mois de 1800; ce fut le plus beau temps de ma vie. J'y revins tant que je pus en 1801 et 1802, étant en garnison à Brescia et à Bergame, et enfin, j'y ai habité par choix de 1815 à 1821.[p. 199] Ma raison seule me dit, même en 1836, que Paris vaut mieux. Vers 1803 ou 1804, j'évitais, dans le cabinet de Martial, de lever les veux vers une estampe qui dans le lointain présentait le dôme de Milan, le souvenir était trop tendre et me faisait mal.
Nous pouvions être à la fin de mai ou au commencement de juin, lorsque j'entrai dans la Casa d'Adda (ce mot est resté sacré pour moi).
Martial fut parfait et réellement a toujours été parfait pour moi. Je suis fâché de n'avoir pas vu cela davantage de son vivant; comme il avait étonnamment de petite vanité, je ménageais cette vanité.
Mais ce que je lui disais alors par usage du monde, naissant chez moi, et aussi par amitié, j'aurais dû le lui dire par amitié passionnée et par reconnaissance.
Il n'était pas romanesque, et moi je poussais cette faiblesse jusqu'à la folie; l'absence de cette folie le rendait plat à mes yeux. Le romanesque chez moi s'étendait à l'amour, à la bravoure, à tout. Je redoutais le moment de donner l'étrenne à un portier, de peur de ne pas lui donner assez, et d'offenser sa délicatesse. Il m'est arrivé souvent de ne pas oser donner l'étrenne à un homme trop bien vêtu, de peur de l'offenser, et j'ai dû passer pour avare. C'est le défaut contraire de la plupart des sous-lieutenants que j'ai connus: eux pensaient à escamoter une mancia.
Voici un intervalle de bonheur fou et complet, je[p. 200] vais sans doute battre un peu la campagne en en parlant. Peut-être vaudrait-il mieux m'en tenir à la ligne précédente.
Depuis la fin de ami jusqu'au mois d'octobre ou de novembre que je fus reçu sous-lieutenant au 6me régiment de dragons à Rapallo ou Roncanago, entre Brescia et Crémone, je trouvai cinq ou six mois de bonheur céleste et complet[5].
On ne peut pas apercevoir distinctement la partie du ciel trop voisine du soleil, par un effet semblable j'aurais grand'peine à faire une narration raisonnable de mon amour pour Angela Pietragrua. Comment faire un récit un peu raisonnable de tant de folies? Par où commencer? Comment rendre cela un peu intelligible? Voilà déjà que j'oublie l'orthographe, comme il m'arrive dans les grands transports de passion, et il s'agit pourtant de choses passées il y a trente-six ans.
Daignez me pardonner, lecteur bénévole! Mais plutôt, si vous avez plus de trente ans ou si, avec trente ans, vous êtes du parti prosaïque, fermez le livre!
Le croira-t-on, mais tout semblera absurde dans mon récit de cette année 1800. Cet amour si céleste, si passionné, qui m'avait entièrement enlevé à la terre pour me transporter dans le pays des chimères, mais des chimères les plus célestes, les plus délicieuses, les plus à souhait, n'arriva à ce qu'on appelle le bonheur qu'en septembre 1811.
Excusez du peu, onze ans, non pas de fidélité, mais d'une sorte de constance.
La femme que j'aimais, et dont je me croyais en quelque sorte aimé, avait d'autres amants, mais elle me préférerait à rang égal, me disais-je! J'avais d'autres maîtresses. (Je me suis promené un quart d'heure avant d'écrire.) Comment raconter raisonnablement ces temps-là? J'aime mieux renvoyer à un autre jour.
En me réduisant aux formes raisonnables, je ferais trop d'injustice à ce que je veux raconter.
Je ne veux pas dire ce qu'étaient les choses, ce que je découvre pour la première fois à peu près en 1836, ce qu'elles étaient; mais, d'un autre côté, je ne puis écrire ce qu'elles étaient pour moi en 1800: le lecteur jetterait le livre.
Quel parti prendre? comment peindre le bonheur fou?
Le lecteur a-t-il jamais été amoureux fou? A-t-il jamais eu la fortune de passer une nuit avec cette maîtresse qu'il a le plus aimée en sa vie?
Ma foi, je ne puis continuer, le sujet surpasse le disant.
Je sens bien que je suis ridicule, ou plutôt incroyable. Ma main ne peut écrire, je renvoie à demain.
Peut-être il serait mieux de passer net ces six mois-là.
Comment peindre l'excessif bonheur que tout me donnait? C'est impossible pour moi.
Il ne me reste qu'à tracer un sommaire, pour ne pas interrompre tout-à-fait le récit.
Je suis comme un peintre qui n'a plus le courage de peindre un coin de son tableau. Pour ne pas gâter le reste, il ébauche à la moitié ce qu'il ne peut pas peindre.
O lecteur, excusez ma mémoire, ou plutôt sautez cinquante pages.
Voici le sommaire de ce que, à trente-six ans d'intervalle, je ne puis raconter sans le gâter horriblement.
Je passerais dans d'horribles douleurs les cinq, dix, vingt ou trente ans qui me restent à vivre qu'en ce moment je ne dirais pas: Je ne veux pas recommencer.
D'abord, ce bonheur d'avoir pu faire ma vie. Un homme médiocre, au-dessous du médiocre, si vous voulez, mais bon et gai, ou plutôt heureux lui-même alors, avec lequel je vécus.
Tout ceci, ce sont des découvertes que je fais en écrivant. Ne sachant comment peindre, je fais l'analyse de ce que je sentis alors.
Je suis très froid aujourd'hui, le temps est gris, je souffre un peu.
Rien ne peut empêcher la folie.
En honnête homme qui abhorre d'exagérer, je ne sais comment faire.
J'écris ceci et j'ai toujours tout écrit comme Rossini écrit la musique; j'y pense, écrivant chaque matin ce qui se trouve devant moi dans le libretto. Je lis dans un livre que je reçois aujourd'hui:
«Ce résultat n'est pas toujours sensible pour les contemporains, pour ceux qui l'opèrent et l'éprouvent; mais, à distance et au point de vue de l'histoire, on peut remarquer à quelle époque un peuple perd l'originalité de son caractère,»etc. (M. Villemain, Préface, page X.)
On gâte des sentiments si tendres à les raconter en détail[6].
[1] Le chapitre XLVII est le chapitre XLII du manuscrit (fol. 797 à 808). Ecrit à Cività-Vecchia, les 15 et 17 mars 1836: corrigé à Rome les 22 et 23 mars.—Stendhal note au verso du fol. 807: «Travail à Cività-Vecchia: trois ou quatre heures seulement du 24 février au 19 mars 1836, le reste au métier (gagne-pain).»—Ce dernier chapitre est relié, avec divers autres fragments, dans le XIIe tome de la collection des 28 volumes conservés à la bibliothèque municipale de Grenoble sous le n° R 5896.
[2] Il me semble le voir ...—Variante: «Je le vois.»
[3] ... je ne suis parti que le ...—La date a été laissée en blanc.
[4]. Martial revint sur ses pas et me conduisit à la Casa d'Adda.—Suit un plan des lieux: la rencontre de Martial Daru et d'Henri Beyle, au bout de la Corsia del Giardino, presque à l'angle du Monte Napoleone, et l'emplacement de la Casa d'Adda, sur la Corsia di Porta nova.
[5] ... je trouvai cinq ou six mois de bonheur céleste et complet.—Le 26 mars 1836, à dix heures et demie, lettre très polie pour congé.
Depuis ce grand courant dans mes idées, je ne travaille plus. 1er avril 1836.
Prose du 31 mars: Stabat mater, vieux couplets barbares en latin rimé, mais du moins absence d'esprit à la Marmontel. (Notes de Stendhal.)
[6] On gâte des sentiments si tendres à les raconter en détail.—Au verso du dernier feuillet (fol. 808), Stendhal a jeté rapidement les notes suivantes, relatives à son prochain voyage.
«Voyage: le bateau à vapeur jusqu'à Marseille. Acheter six foulards à Livourne et vingt paires de gants jaunes chez Gagiati, à Rome.
Suite, voyage: Absolument la malle-poste à Marseille, fût-ce celle de Toulouse et Bordeaux, pour éviter le dégoût de Valence et Lyon, Semur et Auxerre, de moi trop connus. Mauvais commencement.—Probablement, le détour de Florence, en arrivant à Livourne, ne me plaira pas.—Peut-être aller en Angleterre, du moins à Bruxelles, peut-être à Edimbourg.
Plan: profiter de mon temps dans le voyage de Paris. Dire jamais Omar bien changé. 2°, régime, pour éviter les soupers. Voir beaucoup M. de La Touche, Balzac, si je puis, pour la littérature; M. Chasles, un peu Levavasseur; mesdames d'Anjou (assidument), Tillaux, Tascher et Jules, Ancelot, Menti, Coste, Julie. C'est l'assiduité qu'il faut.—Si je restais à Paris, c'est dans les premiers deux mois que je puis fonder les salons du reste of my life.—Je ne sens de transport que pour Giul.—Un logement au midi, rue Taitbout. Qu'est-ce, pour trois mois, que 200 francs de plus en logement?»
Stendhal quitta Cività-Vecchia après le 5 mai 1836; le 16 mai, il était à Marseille, et il arriva à Paris le 25 mai. Il fit durer son congé trois ans, et ne rentra à Cività-Vecchia qu'en juin 1839.
MÉMOIRES DE HENRI B.
LIVRE 1
CHAPITRE 1
Quoique ma première enfance ait été empoisonnée par bien des amertumes, grâce au caractère espagnol et altier de mes parents, depuis deux ou trois ans je trouve une certaine douceur à m'en rappeler les détails. Il a fallu plus de quarante années d'expérience pour que je pusse pardonner à mes parents leurs injustices atroces.
Je suis né à Grenoble le 23 janvier 1783, au sein d'une famille qui aspirait à la noblesse, c'est-à-dire qu'on ne badinait pas avec les préjugés nécessaires à la conservation des ordres privilégiés. La religion catholique était vénérée dans la maison comme l'indispensable appui du trône. Quoique bourgeoise au fond, la famille dont je porte le nom avait deux branches. Le capitaine B[eyle], chef de la branche aînée, qui était fort riche, avait la croix de Saint-Louis et ne manqua pas d'émigrer, chose peu difficile, car Grenoble n'est qu'à neuf lieues de Chambéry, capitale de la Savoie.
Cet excellent capitaine [Beyle], le meilleur homme du monde, avec sa voix glapissante et ses éloges éternels de nos princes, ne s'était jamais marié, non plus que ses cinq ou six sœurs. Mon père, chef de la branche cadette, comptait bien hériter d'une trentaine de mille livres de rente, et comme mon père était un homme à imagination, il m'admit de bonne heure à la création des châteaux en Espagne qu'il élevait sur cette fortune à venir, dont plus tard une loi de la Terreur nous priva presque entièrement. N'était-ce pas celle du 17 germinal an III? Ce nom a retenti dans toute mon enfance, mais voici trente-trois ans que je n'y pense plus du tout. Grâce à la manie exagérante et noblifiante de la famille, peut-être que, même sans la loi de germinal sur les successions, cette fortune de trente mille francs de rente se serait[p. 206] réduite à douze ou quinze. Cela était encore fort considérable pour la province vers 1789.
Ma mère était une femme de beaucoup d'esprit, elle était adorée de son père. Henriette Gagnon avait un caractère généreux et décidé; j'ai compris cela plus tard. J'eus le malheur de la perdre lorsque j'avais sept ans, et elle trente-trois. J'en étais amoureux fou, je ne sais si elle s'en apercevait; elle mourut en couches en prononçant mon nom et me recommandant à sa sœur cadette, Séraphie, la plus méchante des dévotes. Tout le bonheur dont j'aurais pu jouir disparut avec ma mère. La tristesse la plus sombre et la plus plate s'empara de la famille. Mon père, qui adorait d'autant plus sa femme que celle-ci ne l'aimait point, fut hébété par la douleur. Cet état dura cinq ou six ans, il s'en tira un peu en étudiant la Chimie de Maquart, puis celle de Fourcroy. Ensuite, il prit une grande passion pour l'agriculture et gagna deux ou trois cent mille francs à acheter des domaines (ou terres); puis vint la passion de bâtir des maisons, où il dérangea sa fortune, enfin sa passion pour les Bourbons qui le firent adjoint du maire de Grenoble et chevalier de la Légion d'honneur. Mon père négligea tellement ses affaires pour celles de l'Etat qu'il passa une fois dix-huit mois sans aller à son domaine (ou terre) de Claix, qu'il faisait cultiver par des domestiques, et où avant les honneurs[p. 207] Bourboniens il allait deux ou trois fois la semaine. Dans les derniers temps, mon père était fort jaloux de moi; comme j'avais fait la campagne de Moscou avec une petite place à la cour de Napoléon, que j'adorais, j'étais en quelque sorte à la tête du parti bonapartiste (1816). Mais je m'égare. Mon père avait assuré en 1814 à mon ami, M. Félix Faure, aujourd'hui pair de France (né à Grenoble vers 1782), qu'il me laisserait dix mille francs de rente. Félix grava cette somme sur ma montre. Sans cette assurance, j'aurais pris un état en 1814: filateur de coton à Plancy, en Champagne, ou avocat à Paris. En 1814, j'allai m'amuser en Italie, où j'ai passé sept ans; mon père, à sa mort, m'a laissé un capital de 3.900 francs. J'étais alors amoureux fou de Mme D. Pendant le premier mois qui suivit cette nouvelle, je n'y pensai pas trois fois. Cinq ou six ans plus tard, j'ai cherché en vain à m'en affliger.
Le lecteur me trouvera mauvais fils, il aura raison. Je n'ai connu mon père, de sept ans à quinze, que par les injustices abominables qu'il exécutait sur moi, à la demande de ma tante Séraphie, dont, à force d'ennui intérieur, il était peut-être un peu devenu amoureux. J'entrevois à peine cela aujourd'hui en y réfléchissant. Dans l'éducation sévère des familles suivant les mœurs de l'ancien régime, où par-dessus tout les parents songeaient à se faire respecter et craindre, les[p. 208] enfants étaient comme collés tout près de la base de statues de quatre-vingts pieds de haut. Dans une si mauvaise position, leur œil ne pouvait que porter les jugements les plus faux sur les proportions de ces statues.
Je ne me rappelle plus l'origine du sentiment du juste, qui est fort vif en moi. C'était non pas comme a moi désagréables, mais comme injustes, que les arrêts de ma tante Séraphie, appuyés par l'autorité de mon père, me faisaient verser des larmes de rage. Deux ou trois fois la semaine, je passais une heure à me répéter à voix basse: «Monstres! Monstres! Monstres!»
Pourquoi diable ma tante m'avait-elle pris en grippe? Je ne puis le deviner. Peut-être ma mère, mourant en couches avec le plus grand courage et toute sa tête, avait-elle fait jurer à son mari, au nom de son fils aîné, de ne jamais se remarier. Quand j'avais trente ans, des témoins oculaires, entre autres l'excellente Mme Romagnier, amie que nous venons de perdre il y a deux ou trois ans, me parlaient encore de la haine passionnée et folle que j'avais inspirée à ma dévote de tante.
J'étais républicain forcené, rien de plus simple: mes parents étaient ultra et dévots au dernier degré; on appelait cela en 1793 être aristocrate.
Comme marquant par ses propos pleins d'imagination et de force, mon père fut mis en prison[p. 209] pendant vingt-deux mois par le représentant du peuple Amar. On juge de l'horreur que mon républicanisme inspirait dans la famille. J'avais fait encore un petit drapeau tricolore que je promenais seul en triomphe dans les pièces non habitées de notre grand appartement, les jours de victoires républicaines. Ce devaient être alors celles du traître Pichegru. On me guettait, on me surprenait, on m'accablait des mots de monstre, mes parents pleuraient de rage et moi d'enthousiasme, «Il est beau, il est doux, m'écriai-je une fois, de souffrir pour la Patrie!»Je crois qu'on me battit, ce qui, du reste, était fort rare, on me déchira mon drapeau. Je me crus un martyr de la patrie, j'aimai la liberté avec fureur. J'appelais ainsi, ce me semble, l'ensemble des cérémonies que je voyais souvent exécuter dans les rues, elles étaient touchantes et imposantes, il faut l'avouer. J'avais deux ou trois maximes que j'écrivais partout et que je suis fâché d'avoir si complètement oubliées. Elles me faisaient verser des larmes d'attendrissement, en voici une qui me revient:
Vivre libre ou mourir, que je préférais de beaucoup, comme éloquence, à: la liberté ou la mort, qu'on voulait lui substituer. J'adorais l'éloquence; dès l'âge de six ans, je crois, mon père m'avait inoculé son enthousiasme pour J.-J. Rousseau, que plus tard il exécra comme anti-roi ...
[1] Ecrit à Rome, le 15 février 1833.—Ce fragment d'autobiographie se trouve à la Bibliothèque municipale de Grenoble, dans le carton coté R 300.
Ce fragment a été écrit en même temps que la Vie de Henri Brulard, le 16 décembre 1835, et inséré par Stendhal dans le second volume de son manuscrit, après le récit de sa première communion (chapitre XVIII de la présente édition).
Je l'ai rejeté parmi les annexes, parce qu'il n'a rien de commun avec le texte des mémoires d'Henri Beyle.
Encyclopédie du XIXe siècle.
Ce livre, ou plutôt son annonce qui remplit tous les journaux, m'a bien fait rire ce matin. Rien ne m'amuse comme les efforts que fait la société ultra (c'est-à-dire les nobles et les [prêtres]) pour tâcher de tromper l'opinion, pour faire des livres qui rendent le peuple imbécile et pour tâcher de se persuader ensuite que ces livres sont lus.
Hé, messieurs, faites pendre les écrivains, ruinez les imprimeurs et les libraires, empêchez la poste[p. 211] de transporter les livres, voilà ce qui est raisonnable!
J'ai bien ri ce matin et toute la journée j'ai été rempli de joie quand je venais à songer à l'Encyclopédie du XIXe siècle, dont l'annonce remplit plus d'un pied carré dans le Journal des Débats du 5 décembre 1835.
Le comité de direction offre d'abord les noms de M. Ampère et de M. le comte Beugnot, de l'Institut, un savant de premier ordre, mais aussi bas, aussi plat que Laplace ou M. Cuvier, et un homme d'esprit, mais des plus communs, incapable d'écrire dix pages qui se fassent lire et qui a acheté tous ses livres à ce Bher si sale et à ce M. Saint-Martin, si vendu et si plat, dont le choléra a délivré la science.
Tous les savants vendus, tous les nobles qui ont fait des livres dont dix ou douze exemplaires se sont vendus, tous les prê[tres] à plats sermons font partie de la liste des auteurs.
Ces Messieurs disent dans leur prospectus que les autres encyclopédies ne peuvent qu'engendrer le doute et perpétuer l'indifférence. Voilà qui est adroit! Ces Messieurs veulent charger le cler[gé] de maintenir les peuples dans la soumission et l'abjection morale.
MM. Mennechet, Michaud, Charles Nodier, Battut, ce voleur de Champollion-Figeac, ce bon fripon Raoul Rochette, ce coquin de Trouvé, cet[p. 212] archiniais de Villeneuve-Bargemont, ce charlatan d'Ekstein, cette archibête de Ch. Artaud, cet incroyable païen, M. l'académicien Pouqueville, le chevalier Drake, bibliothécaire de la papauté à Rome[1], enfin des inconnus ou des Jean-fesse, tous chevaliers de Kœnig von Jeanfoutre. Les seuls noms décorés sont MM. Arago et Frédéric Cuvier.
Tous, en général, écrivains que personne ne lit. Ces plats intrigants sont accolés à une foule de nobles littérateurs qui voudraient bien pouvoir écrire deux pages, mais le pouvoir leur manque, volenti et conanti. Ces nobles riches, comme MM. de Lamartine, de Villeneuve, de Pastoret, Beugnot, fourniront chacun vingt pages et vingt-cinq louis. Le livre sera supérieurement imprimé, porté aux nues dans tous les journaux, sans doute acheté par le ministre pour les bibliothèques, et si la Révolution, second volume de celle de Juillet, arrive un peu plus tôt, il ne sera pas acheté et pour rire j'en achèterai sur les quais quelque volume, à vingt sous.
Chacun des souscripteurs recevra son exemplaire, tous les journaux retentiront de l'immense succès; s'il se trouve, contre toute apparence et prudence, quelque homme d'esprit hardi, il fera sur cette rapsodie un pamphlet comme le Nouveau Complot contre les industriels[2], s'il[p. 213] m'est permis de citer cette brochure. S'il n'y a pas de brochure critique, je suis prêt à parier que l'Encyclopédie du XIXe siècle aura moins de lecteurs qu'elle n'étale de collaborateurs dans l'annonce des Débats de ce matin. La moitié de ces souscripteurs prévoit sagement une influence comme celle de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert.
Le plus grand service que le duc de Modène put rendre à la cause libérale était d'imprimer la Voce della Verita, qui provoqua des discussions à la Tolfa et à Castel-Bolognese.
Jetez les écrivains dans une prison perpétuelle, dites vos Heures en public, comme le roi de B. le vient de faire envers M. Bher, et en partant pour la Grèce ruinez les libraires et les imprimeurs, mais n'ouvrez jamais la bouche, et surtout gardez-vous d'écrire.
MM. Ampère, comte Beugnot, Fortia d'Urban, Hennequin, Laurentie, Pariset, abbé Receveur et baron Walkenaer, en sont les directeurs.
Après cette âme noble et généreuse de M. Ampère qui, vers 1827, entreprit de me prouver la ...[3] au milieu du salon de M. Cuvier, le plus savant est M. Fortia d'Urban qui, à propos du système de Wolf sur Homère, disait d'un air triomphant:
«Ils veulent nier l'existence d'Homère, et j'ai son buste dans mon cabinet!»
Séparé de Paris depuis cinq ans, je n'ai pour rire que les annonces de ce genre et les anecdotes comme M. l'arch[evêque] de Paris emportant dans sa voiture les deux cuvettes de Mme la princesse de Talleyrand mourante.
[1] Ms.: «Omar.»
[2] Pamphlet de Beyle, publié en 1825.
[3] Un mot illisible.
Ces deux notices sont conservées à la Bibliothèque municipale de Grenoble, dans le carton coté R 300, où se trouve également un cahier de la Vie de Henri Brulard. Toutes deux ont été publiées par MM. Casimir Stryienski et François de Nion en appendice de leur édition du Journal de Stendhal (Paris, 1888), p. 467-469 et 470-475.
Notice sur M. Beyle, par lui-même.
Henri Beyle, né à Grenoble en 1783,** vient de mourir à ... (le ... octobre 1820[1]). Après avoir[p. 216] étudié les mathématiques, il fut quelque temps officier dans le 6e régiment de dragons (1800, 1801, 1802). Il y eut une courte paix, il suivit à Paris une femme qu'il aimait et donna sa démission, ce qui irrita beaucoup ses protecteurs. Après avoir suivi à Marseille une actrice qui y allait remplir les premiers rôles tragiques, il rentra dans les affaires, en 1806, comme adjoint aux commissaires des Guerres. Il vit l'Allemagne en cette qualité, il assista à l'entrée triomphale de Napoléon à Berlin, qui le frappa beaucoup. Etant parent de M. Daru, ministre de l'armée et la troisième personne après Napoléon et le prince de Neuchâtel, M. B[eyle] vit de près plusieurs rouages de cette grande machine. Il fut employé à Brunswick en 1806, 1807 et 1808 et s'y distingua. Il étudia dans cette ville la langue et la philosophie allemandes et conçut assez de mépris pour Kant, Fichte, ces hommes supérieurs qui n'ont fait que de savants châteaux de cartes.
M. B[eyle] revint à Paris en 1809 et fit la campagne de Vienne en 1809 et 1810. Au retour, il fut nommé auditeur au Conseil d'Etat et inspecteur général du mobilier de la Couronne. Il fut chargé en outre du bureau de la Hollande à l'administration de la liste civile de l'Empereur. Il connut le duc de Frioul en 1811, il fit un court voyage en Italie, pays qu'il aimait toujours depuis les trois ans qu'il y avait passé dans sa jeunesse. En 1812, il obtint, après beaucoup de difficultés de la part[p. 217] de M. Champagny, duc de Cadore, intendant de la Maison de l'Empereur, de faire la campagne de Russie. Il rejoignit le quartier général près d'Orcha, le 14 août 1812. Il entra à Moscou le 14 septembre avec Napoléon et en partit le 16 octobre avec une mission: il devait procurer quelque subsistance à l'armée, et c'est lui qui a donné à l'armée, au retour, entre Orcha et Bober, le seul morceau de pain qu'elle ait reçu. M. Daru reconnut ce service, au nom de l'Empereur, à Bober. M. B[eyle] ne crut jamais, dans cette retraite, qu'il y eût de quoi pleurer. Près de Kœnigsberg, comme il se sauvait des Cosaques en passant le Frischaff sur la glace, la glace se rompit sous son traîneau. Il était avec M. le chevalier Marchand, commissaire des Guerres (rue du Doyenné, n° 5). Comme on n'avouait pas même qu'on fût en retraite à cette armée impériale, il s'arrêta à Slangard, puis à Berlin, qu'il vit se détacher de la France. A mesure qu'il s'éloignait du danger, il en prit horreur et il arriva à Paris navré de douleur. Le physique avait beaucoup de part à cet état. Un mois de bonne nourriture, ou plutôt de nourriture suffisante, le remit. Son protecteur le força à faire la campagne de 1813. Il fut intendant à Sagan avec le plus honnête et le plus borné des généraux, M. le marquis, alors comte V. de Latour-Maubourg. Il y tomba malade d'une espèce de fièvre pernicieuse. En huit jours, il fut réduit à une faiblesse extrême, et il fallut cela[p. 218] pour qu'on lui permît de revenir en France. Il quitta sur-le-champ Paris et trouva la santé sur le lac de Côme. A peine de retour, l'Empereur l'envoya en mission dans la 7e division militaire avec un sénateur absolument sans énergie. Il y trouva le brave général Dessaix, digne du grand homme dont il portait presque le nom et aussi libéral que lui. Mais le talent et l'ardent patriotisme du général Dessaix furent paralysés par l'égoïsme et la médiocrité incurable du général Marchand, qu'il fallut employer, comme grand-cordon de la Légion d'honneur et étant du pays. On ne tira pas parti des admirables dispositions de Vizille et de beaucoup d'autres villages du Dauphiné.
M. Beyle demanda à aller voir les avant-postes, à Genève. Il se convainquit de ce dont il se doutait, qu'il n'y avait rien de si facile que de prendre Genève. Voyant qu'on repoussait cette idée et craignant la trahison, il obtint la permission de revenir à Paris. Il trouva les Cosaques à Orléans. Ce fut là qu'il désespéra de la patrie ou, pour parler exactement, qu'il vit que l'Empire avait éclipsé la Patrie. On était las de l'insolence des préfets et autres agents de Napoléon. Il arriva à Paris pour être témoin de la bataille de Montmartre et de l'imbécillité des ministres de Napoléon.
Il vit l'entrée du roi. Certains traits de M. de Blacas, qu'il sut bientôt, le firent penser aux Stuarts. Il refusa une place superbe que M. Beugnot[p. 219] avait la bonté de lui offrir. Il se retira en Italie. Il y mena une vie heureuse jusqu'en 1821 que l'arrestation des carbonari par une police imbécile l'obligea à quitter le pays, quoiqu'il ne fût pas carbonaro. La méchanceté et la méfiance des Italiens lui avaient fait repousser la participation aux secrets, disant à ses amis: «Comptez sur moi dans l'occasion.»
En 1814, lorsqu'il jugea les Bourbons, il eut deux ou trois jours de noir. Pour le faire passer, il prit un copiste et lui dicta une traduction corrigée de la Vie de Haydn, Mozart et Métastase, d'après un ouvrage italien, un volume in-8°, 1814.
En 1817, il imprima deux volumes de l'Histoire de la Peinture en Italie, et un petit voyage de trois cents pages en Italie.
La Peinture n'ayant pas de succès, il enferma dans une caisse les trois derniers volumes et s'arrangea pour qu'ils ne paraissent qu'après sa mort.
En juillet 1819, passant par Bologne, il apprit la mort de son père. Il vint à Grenoble, où il donna sa voix au plus honnête homme de France, au seul qui pût encore sauver la religion, à M. Henri Grégoire. Cela le mit encore plus mal avec la police de Milan. Son père devait, suivant la voix commune, lui laisser cinq ou six mille francs de rente. Il ne lui en laissa pas la moitié. Dès lors, M. Beyle chercha à diminuer ses besoins et y réussit. Il fit plusieurs ouvrages, entre autres 500 pages sur l'Amour qu'il n'imprima pas. En 1821, s'ennuyant mortellement[p. 220] de la comédie des manières françaises, il alla passer six semaines en Angleterre. L'amour a fait le bonheur et le malheur de sa vie. Mélanie, Thérèse, Gina et Léonore sont les noms qui l'ont occupé. Quoiqu'il ne fût rien moins que beau, il fut aimé quelquefois. Gina l'empêcha de revenir au retour de Napoléon, qu'il sut le 6 mars. L'acte additionnel lui ôta tous ses regrets. Souvent triste à cause de ses passions du moment qui allaient mal, il adorait la gaieté. Il n'eut qu'un ennemi, ce fut M. Tr.; il pouvait s'en venger d'une manière atroce, il résista, pour ne pas fâcher Léonore. La campagne de Russie lui laissa de violents maux de nerfs. Il adorait Shakespeare et avait une répugnance insurmontable pour Voltaire et Mme de Staël. Les lieux qu'il aimait le mieux sur la terre étaient le lac de Côme et Naples. Il adora la musique et fit une petite notice sur Rossini, pleine de sentiments vrais, mais peut-être ridicules. Il aima tendrement sa sœur Pauline et abhorra Grenoble, sa patrie, où il avait été élevé d'une manière atroce. Il n'aima aucun de ses parents. Il était amoureux de sa mère, qu'il perdit à sept ans[2].
[1] Stendhal avait d'abord écrit 1822; puis il a surchargé et corrigé en 1820. Aucune de ces deux dates ne doit être exacte, et c'est de 1821, après le retour de Milan, qu'il faut très probablement dater ce fragment. Stendhal dit lui-même dans sa seconde notice biographique, publiée également ci-après: «Beyle, malheureux de toutes façons, revint à Paris en juillet 1821, il songeait sérieusement à en finir ...» —De même dans le chapitre II de la Vie de Henri Brulard (t. I, p. 15): «En 1821, je quittai Milan, et songeant beaucoup à me brûler la cervelle.»
[2] Cette notice porte l'adresse suivante:
Monsieur
Monsieur le chevalier Louis Crozet,
ingénieur des Ponts et Chaussées,
à Grenoble (Isère),
or if dead to (ou, s'il est mort), à M. de Mareste,
hôtel de Bruxelles, n° 41, rue Richelieu,
Paris.
(Life of Dominique.)
Dimanche, 30 avril1837. Paris, hôtel Favart.
Il pleut à verse.
Je me souviens que Jules Janin me disait: «Ah! quel bel article nous ferions sur vous si vous étiez mort!»
Afin d'échapper aux phrasiers, j'ai la fantaisie de faire moi-même cet article.
Ne lisez ceci qu'après la mort de Beyle (Henri), né à Grenoble le 23 janvier 1783, mort à ... le ...
Ses parents avaient de l'aisance et appartenaient à la haute bourgeoisie. Son père, avocat au Parlement de Dauphiné, prenait le titre de noble dans les actes[1], son grand-père était un médecin, homme d'esprit, ami ou du moins adorateur de Voltaire. M. Gagnon—c'était son nom—était le plus galant homme du monde, fort considéré à Grenoble, et à la tête de tous les projets d'amélioration. Le jeune Beyle vit couler le premier sang versé dans la Révolution française; lors de la fameuse journée des Tuiles (17[88]), le peuple se révoltait contre le Gouvernement, et du haut des[p. 222] toits lançait des tuiles sur les soldats. Les parents du jeune B[eyle] étaient dévots et devinrent des aristocrates ardents, et lui patriote exagéré. Sa mère, femme d'esprit qui lisait le Dante, mourut fort jeune; M. Gagnon, inconsolable de la perte de cette fille chérie, se chargea de l'éducation de son seul fils. La famille avait des sentiments d'honneur et de fierté exagérés, elle communiqua cette façon de sentir au jeune homme. Parler d'argent, nommer même ce métal passait pour une bassesse chez M. Gagnon, qui pouvait avoir huit à neuf mille livres de rente, ce qui constituait un homme riche, à Grenoble, en 1789.
Le jeune Beyle prit cette ville dans une horreur qui dura jusqu'à sa mort, c'est là qu'il a appris à connaître les hommes et leurs bassesses. Il désirait passionnément aller à Paris et y vivre en faisant des livres et des comédies. Son père lui déclara qu'il ne voulait pas la perte de ses mœurs et qu'il ne verrait Paris qu'à trente ans.
De 1796 à 1799, le jeune Beyle ne s'occupa que de mathématiques, il espérait entrer à l'Ecole polytechnique et voir Paris. En 1799, il remporta le premier prix de mathématiques à l'Ecole centrale (M. Dupuy, professeur), les huit élèves qui remportèrent le second prix furent admis à l'Ecole polytechnique deux mois après. Le parti aristocrate attendait les Russes à Grenoble, ils s'écriaient:
O Rus, quando ego te adspiciam!
L'examinateur Louis Monge ne vint pas cette année, tout allait à la diable à Paris.
Tous ces jeunes gens partirent pour Paris afin de subir leur examen à l'école même. Beyle arriva à Paris le 10 novembre 1799, le lendemain du 18 brumaire; Napoléon venait de s'emparer du pouvoir. Beyle était recommandé à M. Daru, ancien secrétaire général de l'Intendance de Languedoc, homme grave et très ferme. Beyle lui déclara avec une force de caractère singulière pour son âge qu'il ne voulait pas entrer à l'Ecole polytechnique.
On fit l'expédition de Marengo; Beyle y fut, et M. Daru (depuis ministre de l'Empereur) le fit nommer sous-lieutenant au 6e régiment de dragons en mai 1800. Il servit quelque temps comme simple dragon. Il devint amoureux de madame A. (Angela Pietragrua).
Il passait son temps à Milan. Ce fut le plus beau temps de sa vie, il adorait la musique, la gloire littéraire et estimait fort l'art de donner un bon coup de sabre. Il fut blessé au pied d'un coup de pointe dans un duel. Il fut aide-de-camp du lieutenant-général Michaud, il se distingua: il a un beau certificat de ce général (entre les mains de M. Colomb, ami intime dudit). Il était le plus heureux et probablement le plus fou des hommes, lorsque, à la paix, le ministre de la Guerre ordonna que tous les aides-de-camp sous-lieutenants rentreraient[p. 224] à leurs corps. Beyle rejoignit le 6e régiment à Savigliano, en Piémont. Il fut malade d'ennui, puis, blessé, obtint un congé, vint à Grenoble, fut amoureux et, sans rien dire au ministre, suivit à Paris Mlle V., qu'il aimait. Le ministère se fâcha, Beyle donna sa démission, ce qui le brouilla avec M. Daru. Son père voulut le prendre par la famine.
B[eyle], plus fou que jamais, se mit à étudier pour devenir un grand homme. Il voyait tous les quinze jours Madame A.; le reste du temps, il vivait seul. Sa vie se passa ainsi de 1803 à 1806, ne faisant confidence à personne de ses projets et détestant la tyrannie de l'Empereur qui volait la liberté à la France. M. Mante, ancien élève de l'Ecole polytechnique, ami de Beyle, l'engagea dans une sorte de conspiration en faveur de Moreau (1804). Beyle travaillait douze heures par jour, il lisait Montaigne, Shakespeare, Montesquieu, et écrivait le jugement qu'il en portait. Je ne sais pourquoi il détestait et méprisait les littérateurs célèbres, en 1804, qu'il entrevoyait chez M. Daru. Beyle fut présenté à M. l'abbé Delille. Beyle méprisait Voltaire, qu'il trouvait puéril, madame de Staël, qui lui semblait emphatique, Bossuet, qui lui semblait de la blague sérieuse. Il adorait les Fables de La Fontaine, Corneille et Montesquieu.
En 1804, Beyle devint amoureux de Mlle Mélanie Guilbert (Mme de Barckoff) et la suivit à Marseille, après s'être [p. 225]brouillé avec Mme ..., qu'il a tant aimée depuis. Ce fut une vraie passion; Mlle [Mélanie Guilbert] ayant quitté le théâtre de Marseille, Beyle revint à Paris; son père commençait à se ruiner et lui envoyait fort peu d'argent. Martial Daru, sous-inspecteur aux Revues, engagea Beyle à le suivre à l'armée, Beyle fut extrêmement contrarié de quitter ses études.
Le 14 ou 15 octobre 1806, Beyle vit la bataille d'Iéna, le 26 il vit Napoléon entrer à Berlin. Beyle alla à Brunswick en qualité d'élève commissaire des Guerres. Là, en 1808, il commença au petit palais de Richemont (à dix minutes de Brunswick), qu'il habitait en sa qualité d'intendant, une histoire de la guerre de la succession en Espagne. En 1809, il fit la campagne de Vienne, toujours comme élève commissaire des Guerres, il y eut une maladie complète et y devint fort amoureux d'une femme aimable et bonne, ou plutôt excellente, avec laquelle il avait eu des relations autrefois.
B[eyle] fut nommé auditeur au Conseil d'Etat et inspecteur du mobilier de la Couronne, par la faveur du comte Daru.
Il fit la campagne de Russie et se distingua par son sang-froid, il apprit à son retour que cette retraite avait été quelque chose de terrible. Cinq cent cinquante mille hommes passèrent le Niémen, cinquante mille, peut-être vingt-cinq mille le repassèrent.
B[eyle] fit la campagne de Lutzen et fut intendant[p. 226] à Sagan, en Silésie, sur la Bober. L'excès de la fatigue lui donna une fièvre qui faillit finir le drame, et que Galle guérit très bien à Paris. En 1813, B[eyle] fut envoyé dans la 7e division militaire avec un sénateur imbécile. Napoléon expliqua longuement à B[eyle] ce qu'il fallait faire.
Le jour où les Bourbons rentrèrent à Paris, B[eyle] eut l'esprit de comprendre qu'il n'y avait plus en France que de l'humiliation pour qui avait été à Moscou. Mme Beugnot lui offrit la place de directeur de l'approvisionnement de Paris, il refusa par dégoût des B[ourbons], alla s'établir à Milan; l'horreur qu'il avait pour le B[ourbon] l'emporta sur l'amour. Il crut entrevoir de la hauteur à son égard dans Mme A. Il serait ridicule de raconter toutes les péripéties, comme disent les Italiens, qu'il dut à cette passion. Il fit imprimer la Vie de Haydn, Rome, Naples et Florence, en 1817, enfin, l'Histoire de la Peinture. En 1817 il revint à Paris qui lui fit horreur, il alla voir Londres et revint à Milan. En 1821, il perdit son père[2], qui avait négligé ses affaires (à Claix) pour faire celles des Bourbons (en qualité d'adjoint au maire de Grenoble) et s'était entièrement ruiné. En 1815, M. Beyle avait fait dire à son fils (par M. Félix Faure) qu'il lui laisserait dix mille francs de rente, il lui laissa trois mille francs de capital. Par bonheur,[p. 227] Beyle avait 1.600 francs de rente provenant de la dot de sa mère (Mlle Henriette Gagnon, morte à Grenoble vers 1790 et qu'il a toujours adorée et respectée). A Milan, B[eyle] avait écrit au crayon l'Amour.
B[eyle], malheureux de toutes façons, revint à Paris en juillet 1821, il songeait sérieusement à en finir, lorsqu'il crut voir que Mme la C. avait du goût pour lui. Il ne voulait pas s'embarquer sur cette mer orageuse, il se jeta a corps perdu dans la querelle des romantiques, fit imprimer Racine et Shakespeare, la Vie de Rossini, les Promenades dans Rome, etc. Il fit deux voyages en Italie, alla un peu en Espagne jusqu'à Barcelone. Le c[limat] d'Espagne ne permettait pas de passer plus loin.
Pendant qu'il était en Angleterre (en septembre 1826), il fut abandonné de cette dernière maîtresse, C.; elle aimait pendant six mois, elle l'avait aimé pendant deux ans. Il fut fort malheureux et retourna en Italie.
En 1829, il aima G., et passa la nuit chez elle, pour la garder, le 29 juillet. Il vit la Révolution de 1830 de dessous les colonnes du Théâtre-Français. Les Suisses étaient au-dessous du chapelier Moizart. En septembre 1830, il fut nommé consul à Trieste, M. de Metternich était en colère à cause de Rome, Naples et Florence, il refusa l'exéquatur. B[eyle] fut nommé consul à Cività-Vecchia. Il passait la moitié de l'année à Rome. Il y perdait[p. 228] son temps, littérairement parlant; il y fit le Chasseur vert et rassembla des nouvelles telles que Vittorio Accoramboni, Beatrix Cenci, et huit ou dix volumes in-folio. En mai 1836, il revint à Paris par un congé de M. Thiers, qui imite les boutades de Napoléon ... Beyle arrangea la Vie de Nap[oléon] du 9 novembre 1836 à juin 1837 ...
(Je n'ai pas relu les six pages qui précèdent, écrites de 4 à 6 le dimanche 30 avril, pluie abominable, à l'hôtel Favart, place des Italiens, à Paris.)
B[eyle] a fait son épitaphe en 1821:
Qui giace
Arrigo Beyle, Milanese
Visse, Scrisse, Amò
Se n'andiede di Anni...
Nel 18...
Il aima Cimarosa, Shakespeare, Mozart, le Corrège. Il aima passionnément V., M., A., Ange., M., C., et, quoiqu'il ne fût rien moins que beau, il fut aimé beaucoup de quatre ou cinq de ces lettres initiales.
[p. 229] Il respecta un seul homme: Napoléon.
Fin de cette notice, non relue afin de ne pas mentir[3].
[1] Voir notamment dans l'annexe qui suit l'acte de naissance de Henri Beyle, où Joseph-Chérubin et Jean-Baptiste Beyle sont qualifiés nobles.
[2] Chérubin-Joseph Beyle mourut à Grenoble le 20 juin 1819.
[3] Cette notice porte, au dos, les deux titres suivants: «Notice biographique sur Henri Beyle,»et: «Notice sur Henri Beyle, à lire après sa mort, non avant.»—Casimir Stryienski a ajoute dans ses notes des réflexions de Beyle lui-même, et les dates de 1832. Ce sont tout simplement des extraits de la Vie de Henri Brulard, écrite à la fin de 1835 et au commencement de 1836.
A plusieurs reprises, Stendhal manifeste l'intention, dans sa Vie de Henri Brulard, de prendre les extraits d'état civil de ses plus proches parents. Nous satisfaisons au pieux désir de notre auteur en reproduisant ici les actes de naissance, de mariage et de décès de ses grands-parents, de ses parents et de ses sœurs.
La famille paternelle d'Henri Beyle a été l'objet d'une excellente brochure de M. Edmond Maignien, l'érudit conservateur de la Bibliothèque municipale de Grenoble; sous ce titre: La Famille de Beyle-Stendhal, il a donné en 1889 une généalogie des Beyle; mais il n'a publié qu'un seul acte d'état civil, celui de la naissance de Stendhal. Nous y avons ajouté ceux du grand-père d'Henri Beyle, Pierre; de son père, Chérubin-Joseph; de ses sœurs, Pauline-Eléonore et Marie-Caroline-Zénaïde. Nous n'avons pas cru devoir étendre nos recherches à la nombreuse postérité de Pierre Beyle. Chrérubin-Joseph Beyle eut, en effet, deux frères et dix[p. 231] sœurs, dont voici la liste dans l'ordre chronologique[1]: Marie-Dominique, née le 7 août 1735, mariée le 18 septembre 1769 à Benoît Charvet, morte le 6 juillet 1809;—Pierre-Joseph, né le 13 décembre 1736;—Marie-Eléonore, née le 26 décembre 1737, religieuse de Sainte-Claire, à Grenoble, morte le 20 novembre 1808;—Marie-Victoire, religieuse ursuline à Vif;—Marie-Rose, née le 22 avril 1739, mariée le 20 janvier 1767 à Jean Martin, entrepreneur, architecte de la Ville de Grenoble;—Marie-Euphrosine, née le 14 mai 1740, mariée à Pierre Clément, procureur au Parlement du Dauphiné;—Antoine-Laurent, né le 9 août 1741;—Marie-Françoise-Eulalie, née vers 1743, religieuse de Sainte-Cécile, à Grenoble, morte le 23 janvier 1812;—Marie-Catherine, née le 1er mai 1744, morte le 1er mai 1817;—Marie-Rosalie, née le 8 septembre 1748, religieuse de Sainte-Cécile, à Grenoble;—Sophie, née le 22 octobre 1749;—Sophie-Eléonore, née le 6 janvier 1752, mariée à M. Rey, notaire à Grenoble.
Quant aux Gagnon, ils n'ont été l'objet que de recherches fragmentaires, exposées soit dans une note de la brochure de M. Maignien, soit dans les annexes de l'ouvrage de M. Arthur Chuquet, Stendhal-Beyle, soit dans l'une des nombreuses études consacrées à Stendhal. Aucun acte d'état[p. 232] civil n'a été publié. Nous avons réuni les actes d'état civil des membres de la famille Gagnon, depuis le grand-père et la grand'tante d'Henri Beyle jusqu'aux dix enfants de Romain Gagnon—ceux de la génération de Stendhal. Mais—puisqu'aussi bien il faut se borner—nous ne donnons que les actes de naissance des cousins-germains de Beyle, nous contentant de publier seulement l'acte de décès d'Oronce Gagnon, le seul dont il soit fait mention dans la Vie de Henri Brulard.
[1] Cette liste est extraite de la généalogie de M. Maignien.
Le grand-père: Pierre Beyle.
Né à Grenoble, le 18 février 1699;—marié à Jeanne Dupéron le 14 septembre 1734;—décédé à Claix, le 14 novembre 1764.
1699, 19 février. Grenoble.
Baptême de Pierre Beyle.
Le dix-neuvième février 1699, j'ai baptisé Pierre, né hier, fils de me Joseph Beyle, procureur au Parlement de cette province, et de demoiselle Eléonor Coffe, mariés. Le parrain a été sr Pierre Beyle, oncle de l'enfant, la marraine dlle Honorade Juliani, femme de me François Coffe, aussi procureur au Parlement. Fait en présence des soussignés avec les parties.
Beyle; Beyle; Julliani; J. Beyle; J. Obanel; Coffe. C. Jacquinot, prêtre, pour M. le curé.
(Extrait des registres de la paroisse Saint-Hugues. Archives municipales de Grenoble, GG 98, fol. 69 v°.)
1734, 14 septembre. Grenoble
Mariage de Pierre Beyle et de Jeanne Dupéron.
Le quatorze septembre mil sept cent trente-quatre, après une proclamation faite dans cette paroisse sans avoir découvert aucuns empêchements canoniques ou civils, vu la dispense des deux autres proclamations accordées par monsieur Chalvet de Maubec, vicaire général de ce diocèse, datée du onze de ce mois, insinuée le même jour et an, du consentement du père de l'époux et en présence du père de l'épouse, j'ai donné la bénédiction nuptiale à me Pierre Beyle, procureur au parlement, aides et finances de Dauphiné, fils de me Joseph Beyle, ancien procureur audit Parlement, et de dlle Eléonor Coffe, mariés, d'une part, et à dlle Jeanne Dupéron, fille de sr Pierre Dupéron, bourgeois de Grenoble, et de dlle Dominique Bérard, mariés, d'autre, en présence de Mr me Jean-Baptiste Beyle, conseiller du roi, juge royal et épiscopal de cette ville, de Mr me Joseph Beyle-Despérouses, avocat en la Cour, de noble Antoine Drier, conseiller du roi, secrétaire en sa Chambre des comptes, de me Yve Bonnefoy, procureur au bailliage, et des autres parents, en présence des soussignés avec les parties.
Jeanne Dupéron; Beyle; Dupéron; Beyle; D. Bérard-Dupéron; Beyle; Beyle-Despérouses; Bonnefoy; Drier. Durand, prêtre, curé de Saint-Hugues.
(Extrait des registres de la paroisse Saint-Hugues. Arch. mun. de Grenoble, GG 105, fol. 153.)
1764, 16 novembre. Claix.
Enterrement de Pierre Beyle.
Le seizième novembre 1764, j'ai enterré dans l'église Mr Pierre Beyle, procureur au parlement de Dauphiné,[p. 234] âgé d'environ soixante-cinq années, mort le quatorzième du même mois, en présence de Claude Bert et Louis Dussert, qui n'ont signé pour ne savoir, de ce enquis et requis.
(Extrait des registres paroissiaux de la commune de Claix.)
Le père: Chérubin-Joseph Beyle.
Né à Grenoble, le 29 mars 1747;—marié à Caroline-Adélaïde-Henriette Gagnon le 20 février 1781;—décédé à Grenoble, le 20 juin 1819.
1747, 30 mars. Grenoble.
Baptême de Chérubin-Joseph Beyle.
Le même jour et an [30 mars 1747], le Père Chérubin-Joseph Beyle, prieur et religieux de Saint-François de la Madeleine a baptisé en notre présence et de notre consentement Chérubin-Joseph, né hier, fils de me Pierre Beyle, procureur au parlement, et de demoiselle Jeanne Dupéron, mariés. Le parrain, sr Joseph Beyle, son fils; la marraine, demoiselle Catherine Beyle, épouse de Mr me Antoine Allard-Duplantier, avocat au Parlement, en présence de Mr me Joseph Beyle, avocat audit parlement, et de me Yves Bonnefoy, procureur au bailliage.
Beyle; Beyle-Duplantier; Bonnefoy; Beyle-Despérouses; Duchon; Françoise Bonnefoy; Beyle-Bonnefoy; J. Beyle, cordelier; Dupéron-Drier. Durand, curé de Saint-Hugues.
(Extrait des registres de la paroisse Saint-Hugues. Arch. mun. de Grenoble, GG 107, fol. 102.)
1781, 20 février. Grenoble.
Mariage de Chérubin-Joseph Beyle et de Caroline-Adélaïde-Henriette Gagnon.
Le vingtième février mil sept cent quatre-vingt-un, après une proclamation faite dans cette paroisse et dans celle de Saint-Hugues, les parties ayant obtenu dispense des deux autres publications de Monseigneur l'évêque et prince de Grenoble sous la signature de Mr Pison, vicaire général, sans avoir découvert aucun empêchement canonique ou civil, ainsi qu'il conste par la remise du sr Hélie, curé de Saint-Hugues, j'ai imparti la bénédiction nuptiale à Mr me Chérubin-Joseph Beyle, avocat au parlement, fils légitime de feu me Pierre Beyle, procureur au parlement, et de dame Jeanne Dupéron, ici présente et consentante, habitant de la paroisse de Saint-Hugues, d'une part, et à demoiselle Caroline-Adélaïde-Henriette Gagnon, fille légitime de Mr me Henri Gagnon, docteur en médecine, ici présent et consentant, et de défunte dame Thérèse-Félise Rey, habitante de cette paroisse, d'autre part, en présence de noble Pierre Beyle, ancien capitaine des grenadiers au régiment de Soissonnais, de noble Charles Drier, avocat du roi au bailliage de Graisivaudan, de noble Alexis Pison, avocat consistorial en ce parlement, et de me Claude-Isaac Mallein-Larivoire, procureur audit bailliage, tous témoins requis et signés avec les parties.
Beyle; Henriette Gagnon; Gagnon; Dupéron-Beyle; Beyle; Drier; Pison fils; Mallein-Larivoire; Rev. Sadin, curé.
(Extrait des registres de la paroisse Saint-Louis. Arch. mun. de Grenoble, GG 187, fol. 257 v°.)
1819, 21 juin. Grenoble.
Acte de décès de Chérubin-Joseph Beyle.
Le vingt-un juin mil huit cent dix-neuf, pardevant nous, maire susdit, acte de décès de M. Chérubin-Joseph Beyle, chevalier de l'ordre royal de la Légion d'honneur, ancien avocat, veuf de de Marie-Henriette-Adélaïde Gagnon, décédé hier, à onze heures du soir, dans son domicile, rue Neuve, âgé d'environ soixante et douze ans, natif de Grenoble, fils de feu M. Pierre Beyle et de défunte de Jeanne Dupéron, mariés. Après nous être assuré dudit décès et le présent acte étant dressé, nous en avons fait lecture aux déclarants ci-après: M. Joseph-Marie Apprin, négociant, et M. Antoine-Jules Mallein, avocat, majeurs et domiciliés à Grenoble, qui ont signé avec nous.
J. Mallein; Apprin. Royer-Deloche.
(Extrait des registres d'état-civil de la Ville de Grenoble.)
Les enfants: 1. Marie-Henri Beyle (Stendhal).
Né à Grenoble, le 23 janvier 1783;—décédé à Paris, le 23 mars 1842.
1783, 24 janvier. Grenoble.
Baptême de Marie-Henri Beyle.
Le 24 janvier mil sept cent quatre-vingt-trois, j'ai baptisé Marie-Henri, né hier, fils légitime de noble Chérubin-Joseph Beyle, avocat au Parlement, et de dame Caroline-Adélaïde-Henriette Gagnon. A été parrain: Monsieur Henri Gagnon, médecin en cette ville, aïeul paternel de l'enfant; marraine: dame Marie Rabit, veuve de noble Jean-Baptiste Beyle, vivant[p. 237] juge royal de cette ville, lesquels ont signé avec le père et les témoins.
Beyle; Gagnon; Raby-Beyle; Beyle; Gautier; Drier; Mallein Louis; Romain Mallein. Peyrin, premier vicaire de Saint-Hugues.
(Extrait des registres de la paroisse de Saint-Hugues. Arch. mun. de Grenoble, GG 112, fol. 380 v°.)
1842, 23 mars. Paris.
Décès de Marie-Henri Beyle.
PRÉFECTURE DU DÉPARTEMENT DE LA SEINE
VILLE DE PARIS
(Extrait du registre des actes de décès de l'année 1842, 1er arrondissement.)
Du vingt-trois mars mil huit cent quarante-deux, à dix heures du matin.
Acte de décès de sieur Henri-Marie Beyle, consul de France à Civita-Veccia[2], âgé de cinquante-neuf ans, chevalier de la Légion d'honneur, célibataire, né à Grenoble (Isère) et décédé à Paris, en son domicile, rue Neuve des Petits Champs, n° 78, cejourd'hui, à deux heures du matin.
Constaté par nous, maire, officier de l'état civil du premier arrondissement de Paris, sur la déclaration des sieurs Joseph-Romain Colomb, propriétaire, âgé de cinquante-sept ans, demeurant rue Notre-Dame de Grâce, n° 3, Durand Cayrol, concierge, âgé de vingt-quatre ans, demeurant rue Neuve des Petits Champs, n° 78, lesquels ont signé avec nous après lecture faite.
(Signé:) R. Colomb, Cayrol et Marbeau.
Pour copie conforme:
Paris, le 29 mars 1842.
Le Maire:
(Signé:) Marbeau.
Expédié et collationné.
Signé: Poletnich.
Admis par la Commission (loi du 12 février 1872). Le membre de
la Commission (signé:) E. Lorget.
Vu pour collation.
L'Archiviste de la Seine,
M...
Copie d'un extrait authentique déposé chez un notaire (Etude
autorisée Poletnich, aujourd'hui Kastler).
2. Pauline-Eléonore Beyle.
Née à Grenoble, le 21 mars 1786;—mariée à François-Daniel Périer le 25 mai 1808;—décédée à Grenoble, le 7 juin 1857.
1786, 22 mars. Grenoble.
Baptême de Pauline-Eléonore Beyle.
Le même jour [22 mars 1786] j'ai baptisé Pauline-Eléonore Beyle, née hier, fille légitime de noble Chérubin-Joseph Beyle, avocat au parlement, et de dame Caroline-Adélaïde-Henriette Gagnon. A été parrain: noble Félix-Romain Gagnon, aussi avocat audit parlement; marraine: dame Marie-Dominique Beyle, veuve Charvet, oncle et tante de l'enfant, lesquels ont signé avec le père et les témoins.
Beyle; Gagnon; Drier; Gagnon; Beyle-Charvet; Romagnier. Peyrin, premier vicaire de Saint-Hugues.
(Extrait des registres de la paroisse Saint-Hugues. Arch. mun. de Grenoble, GG 113, fol. 179.)
1808, 25 mai. Grenoble.
Mariage de Pauline-Eléonore Beyle et de François-Daniel Périer.
Le vingt-cinq mai mil huit cent huit, pardevant le maire susdit, sont comparus en la Mairie pour contracter mariage M. François-Daniel Périer, propriétaire, né à Grenoble le vingt-trois février mil sept cent soixante-et-seize, y domicilié, place Grenette, fils majeur de feu M. François Périer, ancien négociant, habitant en cette ville, et de vivante de Marie-Louise Lagier, mariés, d'une part; et dlle Pauline-Eléonore Beyle, née à Grenoble le vingt-un mars mil sept cent quatre-vingt-six, y domiciliée, même place, fille majeure de M. Chérubin-Joseph Beyle, ancien jurisconsulte, habitant en cette ville, et de défunte de Caroline-Adélaïde-Henriette Gagnon, mariés, d'autre part. L'époux futur nous a remis l'extrait de son acte de naissance, celui de décès de M. son père, et agit du consentement de Madame sa mère, ici présente. L'épouse future nous a de même remis l'extrait de son acte de naissance et procède aussi du consentement de M. son père, également ici présent. Lecture faite desdites pièces, ainsi que du présent acte, du chapitre six, titre cinq, du Code Napoléon, et des publications de leur promesse de mariage, des quinze et vingt-deux du courant, publiées et affichées, conformément à la loi, sans qu'il y ait eu opposition ni empêchement, lesdits époux futurs ont déclaré à haute voix se prendre en mariage. D'après cette déclaration, nous, Maire susdit, avons prononcé, au nom de la loi, que lesdits M. François-Daniel Périer et dlle Pauline-Eléonore Beyle sont unis en mariage, en présence de MM. Félix-Romain Gagnon, maire de la commune des Echelles, oncle de l'épouse, Louis-Henri Tivolier, résidant à Voiron, Jean-Joachim-Alexandre Botut, inspecteur de la Loterie impériale, beau-frère de l'époux, et François-Alexis Pison-Dugaland,[p. 240] propriétaire, ces deux derniers domiciliés à Grenoble, tous majeurs. Les époux, la mère de l'époux, le père de l'épouse et les témoins ont signé avec nous.
F. Périer; Pauline Beyle; Lagier, veuve Périer; Beyle; Gagnon; Gagnon; L8 H1 Tivollier; Pison-Dugaland; Beyle-Charvet; Botut; Botut, née Périer; Pascal Mallein; Poulet-Gagnon; Antoinette Périer; Périer, veuve Charvet; Tivollier; Allard-Duplantier; Mallein; Alphonse Périer; Hébert; Barthélemy; Savoye. Renauldon.
(Extrait des registres de l'état-civil de la Ville de Grenoble.)
1857, 8 juin. Grenoble.
Acte de décès de Pauline-Eléonore Beyle.
Le huit juin mil huit cent cinquante-sept, à deux heures du soir, pardevant nous, Louis-Pierre-Antoine Reynaud, adjoint au maire de Grenoble, remplissant les fonctions d'officier de l'état-civil, sont comparus MM. Alexandre Mallein, ancien directeur des Contributions directes, âgé de soixante-seize ans, et Alexis Chambon, ébéniste, âgé de quarante-quatre ans, domiciliés à Grenoble, lesquels nous ont déclaré que dame Pauline-Eléonore Beyle, rentière, âgée de soixante-onze ans, veuve de monsieur François-Daniel Périer, native de Grenoble, y domiciliée, rue Neuve-des-Pénitents, 18, fille de feu Chérubin-Joseph Beyle et de défunte dame Caroline-Adélaïde-Henriette Gagnon, mariés, est décédée hier, à onze heures du matin, dans son domicile. Nous étant assuré du décès, nous avons[p. 241] rédigé le présent acte, que les déclarants ont signé avec nous après lecture faite.
Mallein; Chambon. Reynaud.
(Extrait des registres de l'état-civil de la Ville de Grenoble.)
3. Marie-Zénaïde-Caroline Beyle.
Née à Grenoble, le 10 octobre 1788;—mariée à Alexandre-Charles Mallein, le 30 mai 1815;—décédée à Grenoble, le 28 septembre 1866.
1788, 10 octobre. Grenoble.
Baptême de Marie-Zénaïde-Caroline Beyle.
Le même jour [10 octobre 1788] j'ai baptisé Marie-Zénaïde-Caroline, née cejourd'hui, fille légitime de noble Chérubin-Joseph Beyle, avocat au Parlement, et de dame Marie-Henriette-Adélaïde Gagnon. A été parrain; sr Marie-Henri Beyle, frère de l'enfant; marraine: dlle Elisabeth Gagnon, grand'tante aussi de l'enfant, lesquels ont signé avec le père et les témoins requis.
Beyle; Henri Beyle; Elisabeth Gagnon; Gagnon; Félix Gagnon. Peyrin, premier vicaire de Saint-Hugues.
(Extrait des registres de la paroisse Saint-Hugues. Arch. mun. de Grenoble, GG 113, fol. 369 v°.)
1815, 30 mai. Grenoble.
Mariage de Marie-Zénaïde-Caroline Beyle et de Alexandre-Charles Mallein.
Le trente mai mil huit cent quinze, pardevant nous maire susdit, sont comparus en la mairie pour contracter mariage M. Alexandre-Charles Mallein, contrôleur des Contributions, né à Grenoble le dix-neuf novembre[p. 242] mil sept cent quatre-vingt, y domicilié, fils majeur de M. Jean-Baptiste-Abraham Mallein, conseiller en la Cour impériale de Grenoble, chevalier de la Légion d'honneur, et de de Marie-Louise-Julie Pascal, mariés, d'une part; et dlle Marie-Zénaïde-Caroline Beyle, née à Grenoble le dix octobre mil sept cent quatre-vingt-huit, y domiciliée, place Grenette, fille majeure de M. Chérubin-Joseph Beyle, propriétaire, habitant en cette ville, et de défunte Marie-Henriette-Adélaïde Gagnon, mariés, d'autre part. L'époux futur nous a remis l'extrait de son acte de naissance et agit du consentement de ses père et mère, ici présents. L'épouse future nous a de même remis l'extrait de son acte de naissance et procède du consentement de son père, également ici présent. Lecture faite desdites pièces, ainsi que du présent acte, du chapitre six titre cinq du Code civil et de la publication de leur promesse de mariage, du vingt-un du courant, publiée et affichée, conformément à la loi, sans qu'il y ait eu opposition ni empêchement, dispense de la seconde ayant été accordée par M le procureur impérial près le Tribunal civil de l'arrondissement de Grenoble, lesdits époux futurs ont déclaré à haute voix se prendre en mariage. D'après cette déclaration, nous, maire susdit, avons prononcé au nom de la loi que lesdits M. Alexandre-Charles Mallein et dlle Marie-Zénaïde-Caroline Beyle sont unis en mariage, en présence de MM. Romain Mallein, procureur impérial près le Tribunal civil, oncle de l'époux, Alphonse Périer, banquier, cousin de l'époux, Jules Mallein, avocat à la Cour impériale, cousin de l'époux, et Melchior Mallein, capitaine de la garde nationale mobile du département de l'Isère, frère de l'époux, tous majeurs et domiciliés à Grenoble. Les époux, les père et mère de l'époux, le père de l'épouse et les témoins ont signé avec nous.
Mallein; Zénaïde Beyle; Mallein, conseiller; Mallein, née Pascal; Beyle; [p. 243] Romain Mallein; Alphonse Périer; Mor Mallein; J. Mallein; Mallein; Pauline Périer-Lagrange. Giroud.
(Extrait des registres d'état-civil de la Ville de Grenoble.)
1866, 28 septembre. Grenoble.
Décès de Marie-Zénaïde-Caroline Beyle.
Le vingt-huit septembre mil huit cent soixante-six, à une heure du soir, pardevant nous, Joseph Juvin, adjoint au maire de Grenoble, délégué pour remplir les fonctions d'officier de l'état-civil, sont comparus MM. Casimir Bigillion, conseiller à la Cour impériale, chevalier de la Légion d'honneur, âgé de soixante ans, et Jules-Casimir Mallein, avocat, âgé de trente ans, domiciliés à Grenoble, lesquels nous ont déclaré que dame Marie-Zénaïde-Caroline Beyle, rentière, âgée d'environ soixante-dix-huit ans, veuve de M. Alexandre-Charles Mallein, native de Grenoble, y domiciliée, rue Saint-Vincent-de-Paul, 6, fille de feu Chérubin-Joseph et de défunte dame Marie-Henriette-Adélaïde Gagnon, mariés, est décédée ce matin, à onze heures, dans son domicile. Nous étant assuré de ce décès, nous avons rédigé le présent acte, que les déclarants, le premier gendre et le second cousin par alliance de la défunte, ont signé avec nous après lecture faite.
Bigillion, C.; J. Mallein. J. Juvin.
(Extrait des registres de l'état-civil de la Ville de Grenoble.)
La grand'tante: Elisabeth Gagnon.
Née à Grenoble, le 30 octobre 1721;—décédée à Grenoble, le 6 avril 1808.
1721, 30 octobre. Grenoble.
Baptême d'Elisabeth Gagnon.
Le trente octobre mil sept cent vingt-et-un, a été baptisée Elisabeth, fille du sieur Antoine Gagnon, chirurgien juré, et de demoiselle Elisabeth Senterre, sa femme, ses père et mère, née du même jour. Le parrain: sieur Joseph Senterre, marchand; la marraine: Marie-Thérèse Senterre, femme du sieur Pouquier (sic), marchand, qui ont signé avec les soussignés.
Gagnon; Senterre; Senterre-Bourquy; G. Gagnon; Elisabeth Molard. Pegault, vicaire.
(Extrait des registres de la paroisse Saint-Louis. Arch. mun. de Grenoble, GG 180, fol. 289.)
1808, 7 avril. Grenoble.
Acte de décès d'Elisabeth Gagnon.
Le sept avril mil huit cent huit, pardevant le maire susdit, acte de décès de demoiselle Elisabeth Gagnon, célibataire, décédée hier, à deux heures du soir, dans son domicile, Grande-rue, âgée d'environ quatre-vingt-sept ans. native de Grenoble, fille de feu M. Antoine Gagnon et de défunte dame Elisabeth Senterre, mariés. Après nous être assuré dudit décès et dressé[p. 245] le présent acte, nous en avons fait lecture aux déclarants ci-après: MM. Félix Gagnon, maire de la commune des Echelles, neveu de la défunte, et Chérubin-Joseph Beyle, avocat, domiciliés à Grenoble, majeurs, qui ont signé avec nous.
Gagnon; Beyle. Renauldon.
(Extrait des registres de l'état-civil de la Ville de Grenoble.)
Le grand-père: Henri Gagnon.
Né à Grenoble, le 6 octobre 1728;—marié à Thérèse-Félise Rey, le 9 décembre 1756;—décédé à Grenoble, le 20 septembre 1813.
1728, 6 octobre. Grenoble.
Baptême de Henri Gagnon.
Le sixième octobre mil sept cent vingt-huit, a été baptisé Henri, né le même jour, fils naturel et légitime de sr Antoine Gagnon, chirurgien-major de l'arsenal de Grenoble, et demoiselle Elisabeth Senterre. Le parrain a été me Henri Lemaistre, procureur au parlement de cette province, la marraine demoiselle Elisabeth Chaboud, épouse de sr Antoine Robert, marchand de cette ville, en présence des soussignés.
Gagnon; Lemaistre; Tarpant; Chaboud-Robert; J. Gagnon; Robert. Depetichet, vicaire.
(Extrait des registres de la paroisse Saint-Louis. Arch. mun. de Grenoble, GG 181, fol. 228.)
Mariage de Henri Gagnon et de Thérèse-Félise Rey.
Ce neuvième décembre mil sept cent cinquante-six, après une proclamation faite dans cette paroisse sans[p. 246] avoir découvert aucun empêchement canonique ni civil, les parties ayant obtenu dispense des deux autres proclamations et du temps prohibé de Monseigneur l'évêque et prince de Grenoble en date du septième du courant, dûment insinuée et contrôlée, aussi du septième du courant, signée Romain Couppier, j'ai imparti la bénédiction nuptiale à sr Henri Gagnon, docteur en médecine et agrégé au collège de Grenoble, fils à feu sr Antoine Gagnon, vivant me chirurgien juré en cette ville, et à défunte demoiselle Elisabeth Senterre, mariés, d'une part; et à demoiselle Thérèse-Félise Rey, fille à feu sr Ennemond Rey, bourgeois à Montbonnot, et à demoiselle Françoise Pupin, mariés, présente et consentante, autorisée de Me Claude Borel, procureur en la Cour, son curateur, présent et consentant, d'autre, en présence de srs Alexandre et Charles Pupin, oncles de l'épouse, de me Henri Lemaistre, procureur au parlement de Grenoble, de Mr me Joseph-Antoine Lemaistre, avocat consistorial au même parlement, de me Jean Mallein, procureur au bailliage, beau-père de l'épouse, témoins requis et signés avec les parties.
Gagnon; Rey; Pupin-Mallein; Mallein; Pupin; Lemaistre; Borel; Lemaistre fils; Mallein fils. Beylié, curé.
(Extrait des registres de la paroisse Saint-Louis. Arch. mun. de Grenoble, GG 184, fol. 422.)
1813, 21 septembre. Grenoble.
Acte de décès de Henri Gagnon.
Le vingt-un septembre mil huit cent treize, pardevant nous, maire susdit, acte de décès de M. Henri Gagnon, docteur en médecine, doyen du collège de médecine de Grenoble, veuf de de Thérèse-Félise Rey, décédé hier, à quatre heures du soir, dans son domicile, Grande-rue,[p. 247] âgé d'environ quatre-vingt-cinq ans, natif de Grenoble, fils de feu Mr Antoine Gagnon et de défunte de Elisabeth Senterre, mariés. Après nous être assuré dudit décès et le présent acte étant dressé, nous en avons fait lecture aux déclarants ci-après: sr Alexis-François-Vincent Fagot, secrétaire en chef de cette mairie, et sr Jean-Antoine Bron, commis, majeurs et domiciliés à Grenoble, qui ont signé avec nous.
Fagot; Bron. Renauldon.
(Extrait des registres de l'état-civil de la Ville de Grenoble.)
La mère: Henriette-Adélaïde-Charlotte Gagnon.
Née à Grenoble, le 2 octobre 1757;—mariée à Joseph-Chérubin Beyle, le 20 février 1781;—décédée à Grenoble, le 23 novembre 1790.
1757, 2 octobre. Grenoble.
Baptême de Henriette-Adélaïde-Charlotte Gagnon.
Ce deuxième octobre mil sept cent cinquante-sept, j'ai baptisé Henriette-Adélaïde-Charlotte, née cejourd'hui, fille légitime à Mr me Henri Gagnon, docteur en médecine, agrégé au collège de Grenoble, et à dame Thérèse-Félise Rey, mariés. Le parrain a été sr Charles Pupin, bourgeois; la marraine a été demoiselle Elisabeth Gagnon, tante de l'enfant, en présence des soussignés avec les parties.
Gagnon; Pupin; Elisabeth Gagnon; Gastinel; Belluard; Pupin; Disdier; Lemaistre; Belluard; Bartellon le cadet. Beylié, curé.
(Extrait des registres de la paroisse Saint-Louis. Arch. mun. de Grenoble, GG 185, fol. 46.)
1790, 24 novembre. Grenoble.
Enterrement de Henriette Gagnon.
Le vingt-quatrième novembre 1790, j'ai donné la sépulture à Caroline-Adélaïde-Charlotte Gagnon, épouse de Mr Chérubin-Joseph Beyle, avocat, laquelle décédée hier, âgée d'environ trente-deux ans. Témoins: Claude Charavel et Claude Pariou, domestiques de l'église et illettrés.
Peyrin, premier vicaire de Saint-Hugues.
(Extrait des registres de la paroisse Saint-Hugues. Arch. mun. de Grenoble, GG 114, fol. 153 v°.)
L'oncle: Félix-Romain Gagnon.
Né à Grenoble, le 17 décembre 1758;—marié à Camille-Cécile Poncet, le 4 janvier 1790;—décédé à Grenoble, le 29 janvier 1830.
1758, 17 décembre. Grenoble.
Baptême de Félix-Romain Gagnon.
Ce dix-septième décembre mil sept cent cinquante-huit, j'ai baptisé Félix-Romain, né cejourd'hui, fils légitime à sr Henri Gagnon, docteur en médecine, agrégé au collège de médecine de Grenoble, et à dame Thérèse-Félise Rey, mariés. Le parrain a été sr Romain Senterre, négociant à Lyon; la marraine a été demoiselle Françoise Pupin, épouse de me Jean Mallein, procureur au bailliage de Graisivaudan, en présence des soussignés.
Gagnon; Senterre; Pupin-Mallein; Giroud-Lemaistre; Elisabeth Gagnon; Duboys; Lemaistre; Mallein. Beylié, curé.
(Extrait des registres de la paroisse Saint-Louis. Arch. mun. de Grenoble, GG 185, fol. 115.)
1790, 4 janvier. Les Echelles (Savoie).
Mariage de Félix-Romain Gagnon et de Cécile-Camille Poncet.
Le quatre janvier mil sept cent quatre-vingt-dix, ensuite d'une proclamation faite en dues formes, dans cette église et dans l'église paroissiale de Saint-Louis de la ville de Grenoble, comme il en conste par le certificat de révérend Sadin, curé, en date du deux du courant, dûment légalisé ledit jour à l'évêché de Grenoble, signé Courtois-Minut, plus bas par monseigneur: Gigard, vu les dispenses de deux bans, du temps prohibé, de l'heure et de l'interstice accordées par monseigneur l'évêque de Grenoble, signé Brochier, vicaire général, de mandato Gigard, en date du trente-un décembre dernier, dûment contrôlé dudit jour par monseigneur Michel Conseil, premier évêque de Chambéry, en date du second du courant, signées par Sa Grandeur, n'ayant découvert aucun empêchement et du consentement des parents, ont reçu la bénédiction nuptiale des mains de monsieur Bonne, vicaire général du diocèse de Saint-Flour, en ma présence et de mon consentement, noble Félix-Romain Gagnon, avocat au parlement de Dauphiné, fils légitime de noble Henri Gagnon, docteur en médecine, agrégé au collège de Grenoble, et de défunte dame Thérèse-Félise Rey, mariés, natif et habitant de la ville de Grenoble, d'une part, et demoiselle Cécile-Camille Poncet, fille légitime de noble Claude Poncet, avocat au parlement de Paris, et de dame Foy Bonne, mariés, native et habitante de cette paroisse, d'autre part. Ont été présents noble Henri Gagnon, père de l'époux, dame Bonne, mère de l'épouse, noble Jean-Baptiste Mallein, avocat consistorial au parlement de Dauphiné, noble Chérubin-Joseph Beyle, avocat consistorial audit parlement de Grenoble, y résidants, sieurs[p. 250] André et Antoine Bonne, oncles de l'épouse, habitants de celte paroisse, et autres témoins soussignés.
Laurens. curé.
(Extrait des registres paroissiaux des Echelles, 1790, n° 1.)
1830, 30 janvier. Grenoble.
Acte de décès de Félix-Romain Gagnon.
Le trente janvier mil huit cent trente, à dix heures du matin, pardevant nous, adjoint susdit, acte de décès de M. Félix-Romain Gagnon, propriétaire, marié à de Camille-Cécile Poncet, décédé hier, à cinq heures du soir, dans son domicile, place Grenette, âgé d'environ soixante-onze ans, natif de Grenoble, fils de feu M. Henri Gagnon, docteur en médecine, et de défunte de Félise Rey. Après nous être assuré dudit décès, et le présent acte étant rédigé, nous en avons fait lecture aux déclarants ci-après: MM. Joseph-Adolphe Blanchet, avocat, âgé de trente ans, et Félix-Albert Blanchet, négociant, âgé de vingt-un ans, domiciliés à Grenoble, qui ont signé avec nous.
Ad. Blanchet; Albert Blanchet. A. Moulezin.
(Extrait des registres de l'état-civil de la Ville de Grenoble.)
La tante: Marie-Françoise-Séraphie Gagnon.
Née à Grenoble, le 21 septembre 1760;—décédée à Grenoble le 9 janvier 1797.
1760, 22 septembre. Grenoble.
Baptême de Marie-Françoise-Séraphie Gagnon.
Le vingt-deuxième septembre mil sept cent soixante, j'ai baptisé Marie-Françoise-Séraphie, née le jour précédent,[p. 251] fille légitime de sieur Henri Gagnon, docteur en médecine, et de dame Thérèse-Félise Rey, mariés. Le parrain a été sieur Antoine Bartellon, bourgeois, et la marraine demoiselle Marie Didier, bourgeoise a Saint-Laurent de cette ville, présents les soussignés avec le parrain et la marraine, le père absent.
Bartellon le cadet; Disdier; Lemaistre; Gagnon; Bartellon; Rubichon, Morand.
(Extrait des registres de la paroisse Saint-Louis. Arch. mun. de Grenoble, GG 185, fol. 240.)
1797, 10 janvier. Grenoble.
Acte de décès de Marie-Françoise-Séraphie Gagnon.
Le même jour [21 nivôse an IV], pardevant nous, officier public susdit, sont comparus en la maison commune Jean Colomb et Louis Romagnier, tous deux majeurs et anciens négociants, domiciliés à Grenoble, Grande-rue, lesquels nous ont déclaré que Marie-Françoise-Séraphie Gagnon, fille du citoyen Gagnon, médecin, est décédée hier, à dix heures du soir, dans le domicile de son père, Grande-rue, âgée d'environ trente-six ans, de laquelle déclaration et décès, après nous en être assuré, nous avons dressé le présent acte, que les déclarants ont signé avec nous.
Colomb; Romagnier. Cheminade, officier public.
(Extrait des registres de l'état-civil de la Ville de Grenoble.)
Les cousins et cousines: 1. Henriette Gagnon.
Née aux Echelles (Savoie), le 6 juillet 1790.
1790, 6 juillet. Les Echelles.
Baptême de Henriette Gagnon.
Le six juillet mil sept cent quatre-vingt et dix, à deux heures du matin, est née et aussitôt a été baptisée delle Henriette Gagnon, fille de Félix-Romain Gagnon, avocat au parlement de Grenoble, et de demoiselle Cécile-Camille Poncet, mariés, de cette paroisse. Le parrain a été sr Henri Gagnon, grand-père de l'enfant, médecin et secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences et de Belles-lettres de Grenoble et représenté par Joseph Pellet, clerc de ladite paroisse. La marraine a été delle Thérèse Maistre.
Laroche, vicaire.
(Extrait des registres paroissiaux des Echelles, 1790, n° 50.)
2. Marie-Félise Gagnon.
Née aux Echelles (Savoie), le 13 juin 1791.
1791, 16 juin.
Baptême de Marie-Félise Gagnon. Les Echelles.
Le seize juin mil sept cent quatre-vingt-onze, à dix heures et demie du soir, ont été suppléées les cérémonies de baptême à delle Marie-Félise Gagnon, fille de noble Félix-Romain Gagnon, avocat au parlement de Grenoble, et de dame Cécile-Camille Poncet, mariés, de cette paroisse, par messire Bonne, vicaire général du diocèse de Saint-Flour, oncle de l'enfant, née le treize de ce mois, à trois heures et demie, et que je soussigné, curé, ai baptisée à quatre heures dudit jour treize. Le[p. 253] parrain a été noble Henri Gagnon, docteur en médecine, agrégé au collège de Grenoble, aïeul de l'entant, et dame Foy Bonne, son aïeule, a été la marraine.
Laurens, curé.
(Extrait des registres paroissiaux des Echelles, 1791, n° 32.)
3. André-Félix-Henri-Gaëtan Gagnon.
Né aux Echelles (Savoie), le 19 janvier 1793.
1793, 11 février. Les Echelles.
Baptême de André-Félix-Henri-Gaëtan Gagnon.
Le onze février mil sept cent quatre-vingt-treize, à midi, j'ai suppléé les cérémonies après le baptême à André-Félix-Henri-Gaëtan, fils de sieur Félix-Romain Gagnon, docteur ès-droits, et de dame Cécile-Camille Poncet, mariés, de ce bourg, lequel enfant est né le dix-neuf janvier dernier, à huit heures du matin, et a été baptisé le même jour, entre une heure et midi. Le parrain a été sr André Bonne, oncle de l'enfant, et delle Elisabeth Gagnon, sa tante, a été la marraine.
Laurens, curé.
(Extrait des registres paroissiaux des Echelles, 1793, n° 15.)
4. Amélie-Lucie-Françoise Gagnon.
Née aux Echelles (Savoie), le 24 novembre 1794.
1794, 24 novembre—1796, 30 septembre. Les Echelles.
Naissance et baptême de Amélie-Lucie-Françoise Gagnon.
Le vingt-quatre novembre mil sept cent quatre-vingt-quatorze, entre sept et huit heures du matin, est née Amélie-Lucie-Françoise Gagnon, fille de M. Félix-Romain[p. 254] Gagnon, docteur ès-droits, et de dame Cécile-Camille Poncet, mariés.
(Cette note est suivie d'un renvoi au 30 septembre 1796, où se trouve Pacte suivant:)
Le trente septembre mil sept cent quatre-vingt et seize, après la célébration de la messe, dans notre chapelle domestique, érigée dans le bourg des Echelles pour l'exercice du culte catholique à défaut d'église paroissiale, je soussigné ai suppléé les cérémonies du baptême à Amélie-Lucie Gagnon, fille de M. maître Félix-Romain Gagnon et de dame Camille-Cécile Poncet, mariés, dudit bourg des Echelles, laquelle enfant est née le vingt-quatre novembre mil sept cent quatre-vingt-quatorze, entre sept et huit heures du matin, ondoyée validement le surlendemain, à sept heures du soir, par sr François Chavasse-Bélissard, dont la capacité et les bonnes mœurs sont connues et attestées. Le parrain a été sr Joseph Blanchet, représenté par sr Antoine Bonne, et delle Marie Poncet, représentée par dame Marie-Lucie Giroud, a été la marraine.
Laurens, curé.
(Extrait des registres paroissiaux des Echelles.)
5. Joseph-Oronce Gagnon.
Né aux Echelles (Savoie), le 24 novembre 1790;—décédé à Grenoble, le 24 avril 1883.
1796, 24 novembre. Les Echelles.
Baptême de Joseph-Oronce Gagnon.
Le vingt-quatre novembre mil sept cent quatre-vingt et seize, à une heure du matin, est né et le même jour, a six heures du soir, dans une chapelle domestique érigée dans le bourg des Echelles, en Savoie, pour[p. 255] l'exercice du culte catholique à défaut de l'église paroissiale, je soussigné ai administré le baptême avec les cérémonies qui le précèdent jusqu'au Saint-Chresme, exclusivement, à Joseph-Oronce Gagnon, fils de M. maître Félix-Romain Gagnon, docteur ès-droits, et de dame Cécile-Camille Poncet, mariés, dudit bourg des Echelles, en Savoie, et le trois janvier suivant, à six heures et demie du soir, j'ai suppléé les cérémonies subséquentes au baptême dudit enfant, entre les mains de sr Joseph Bonne et de delle Virginie-Félicité Giroud.
Laurens, curé.
(Extrait des registres paroissiaux des Echelles).
1883, 24 avril. Grenoble.
Acte de décès de Joseph-Oronce Gagnon.
Le vingt-quatre avril mil huit cent quatre-vingt-trois, à onze heures du matin, pardevant nous, Auguste Germain, adjoint au maire de Grenoble, délégué pour remplir les fonctions d'officier de l'état-civil, sont comparus MM. Ernest Bourjat, âgé de quarante-sept ans, et Jules Aman, âgé de quarante-cinq ans, rentiers, domiciliés à Grenoble, lesquels nous ont déclaré que M. Joseph-Oronce Gagnon, général de division en retraite, grand-officier de la Légion d'honneur, âgé de quatre-vingt-six ans, marié à de Joséphine-Marie-Jeanne-Rosalie Jacquinot, natif des Echelles (Savoie), domicilié à Grenoble, rue Vaucanson, 4, fils de feu Félix-Romain Gagnon et de défunte Cécile-Camille Poncet, mariés, est décédé ce matin, à neuf heures, dans son domicile. Nous étant assuré de ce décès, nous avons rédigé le présent acte, que les déclarants ont signé avec nous, après lecture faite.
E. Bourjat; J. Aman. Germain.
(Extrait des registres de l'état-civil de la Ville de Grenoble.)
6. Chérubin-Jules Gagnon.
Né aux Echelles (Savoie), le 29 avril 1799.
1800, 9 juillet. Les Echelles.
Baptême de Chérubin-Jules Gagnon.
Le vingt-neuf avril mil sept cent quatre-vingt-dix-neuf est né, à quatre heures du soir, Chérubin-Jules Gagnon, fils de M. maître Félix-Romain Gagnon, docteur ès-droits, et de dame Camille Poncet, mariés, du bourg des Echelles, en Savoie, lequel enfant, ondoyé le trois mars suivant, avec toutes les cérémonies qui précèdent le baptême, a reçu les cérémonies subséquentes par moi soussigné le neuf juillet, dans une chapelle domestique érigée audit bourg des Echelles, en Savoie, pour l'exercice du culte catholique, à défaut d'église paroissiale, entre les mains de M. maître Chérubin-Joseph Beyle, aussi docteur ès-droits, et de dame Foy Bonne, veuve Poncet, aïeule de l'enfant.
Laurens, curé.
(Extrait des registres paroissiaux des Echelles.)
7. Henriette Gagnon.
Née à Grenoble, le 11 octobre 1800.
1800, 11 octobre. Grenoble.
Acte de naissance de Henriette Gagnon.
Du dix-neuvième jour du mois de vendémiaire, l'an neuf de la République française.
Acte de naissance de Henriette Gagnon, née le dix-neuf vendémiaire, à une heure du matin, fille de Félix-Romain Gagnon, propriétaire, habitant aux Echelles,[p. 257] département du Mont-Blanc, et de Cécile-Camille Poncet, mariés. Le sexe de l'enfant a été reconnu être féminin.
Premier témoin: Joseph Félix, commis en cette mairie.
Second témoin: Antoine Termier, aussi commis en cette mairie, tous deux majeurs.
Sur la réquisition à nous faite par M. Henri Gagnon, aïeul paternel de l'enfant; et ont signé.
Constaté, suivant la loi, par moi soussigné, maire de la Ville de Grenoble, faisant les fonctions d'officier public de l'état-civil.
Gagnon; Termier; J. Félix. Renauldon, maire.
(Extrait des registres de l'état-civil de la Ville de Grenoble.)
1800, 10 septembre (sic) Les Echelles.
Baptême de Henriette Gagnon.
Le neuf septembre mil huit cent est née, à onze heures du soir, Henriette Gagnon, fille de M. maître Félix-Romain Gagnon, et de delle Cécile-Camille Poncet, mariés, du bourg des Echelles, en Savoie, et le lendemain de sa naissance ladite enfant, née à Grenoble, a été baptisée, dans une des paroisses de ladite ville, par révérend Gaillard, ci-devant vicaire de Saint-Laurent-du-Pont, missionnaire de Grenoble. M. maître Henri Gagnon, docteur en médecine, aïeul de l'enfant, a été son parrain, et delle Pauline Beyle a été la marraine.
Laurens, curé.
(Extrait des registres paroissiaux des Echelles.)
8. Charles-Félix Gagnon.
Né aux Echelles (Savoie), le 26 octobre 1801.
1801, 29 octobre. Les Echelles.
Baptême de Charles-Félix Gagnon.
Le vingt-six octobre mil huit cent un est né, à sept heures et demie du matin, Charles-Félix Gagnon, fils de M. maître Félix-Romain Gagnon, docteur ès-droits, et de dame Cécile-Camille Poncet, mariés, du bourg des Echelles, en Savoie, et le vingt-neuf dudit, audit bourg des Echelles, ledit enfant a été baptisé par révérend Charles-Marie Bonne, son oncle et parrain, vicaire général du diocèse de Saint-Flour, dans une chapelle domestique érigée pour l'exercice du culte catholique, à défaut d'église paroissiale. Le nouveau-né, baptisé à six heures du soir, a eu pour marraine delle Félise Gagnon, sa sœur.
Laurens, archiprêtre-curé, chef de mission des Echelles.
(Extrait des registres paroissiaux des Echelles.)
9. Henri-Chérubin Gagnon.
Né à Grenoble, le 22 mars 1803.
1803, 24 mars. Grenoble.
Acte de naissance de Henri-Chérubin Gagnon.
Du troisième jour du mois de germinal l'an onze de la République française.
Acte de naissance de Henri-Chérubin Gagnon, né le premier du courant, à onze heures du soir, fils de Félix-Romain Gagnon, propriétaire, domicilié place[p. 259] Grenette, et de dame Cécile-Camille Poncet, mariés. Le sexe de l'enfant a été reconnu être masculin.
Premier témoin: Henri Gagnon, médecin, aïeul paternel de l'enfant.
Second témoin: Chérubin-Joseph Beyle, homme de loi, domicilié rue des Vieux-Jésuites.
Sur la réquisition à nous faite par le père de l'enfant; et ont signé le père et les témoins susdits.
Constaté, suivant la loi, par moi, Charles Renauldon, maire de la Ville de Grenoble, faisant les fonctions d'officier public de l'état-civil.
Gagnon; Gagnon; Beyle. Renauldon, maire.
(Extrait des registres de l'état-civil de la Ville de Grenoble.)
10. Henri-Alfred Gagnon.
Né à Grenoble, le 26 janvier 1812.
1812, 27 janvier. Grenoble.
Acte de naissance de Henri-Alfred Gagnon.
Le vingt-sept janvier mil huit cent douze, pardevant nous, adjoint susdit, acte de naissance de Henri-Alfred Gagnon, né hier, à sept heures du matin, fils de M. Félix-Romain Gagnon, maire de la commune des Echelles, et de de Cécile-Camille Poncet, mariés. Le sexe de l'enfant, qui nous a été présenté, a été reconnu masculin. Lecture du présent acte ayant été faite en présence du père, de M. Joseph-Chérubin Beyle, avocat, et de M. Hugues-Antoine Pison-Duverney, contrôleur principal des Droits réunis, majeurs et domiciliés à Grenoble, ils ont signé avec nous.
Gagnon; Pison-Duverney; Beyle. La Valette.
(Extrait des registres de l'état-civil de la Ville de Grenoble.)
Grenoble vers 1793
Le Grenoble que connut Stendhal dans son enfance ressemble autant au Grenoble actuel que l'Auteuil parisien ressemble à la Croix-des-Sablons du XVIIIe siècle, décrite par Anatole France. Depuis la Révolution, de successifs empiétements sur les communes de Seyssins, Fontaine et Saint-Martin-le-Vinoux et un double agrandissement de l'enceinte fortifiée a plus que quintuplé l'agglomération urbaine.
Voulant donner aux lecteurs de la Vie de Henri Brulard le moyen de goûter ce livre dans toute sa saveur, j'entreprendrai une courte excursion à travers le Grenoble de 1793, dans ces rues tortueuses[p. 261] où le petit Henri Beyle, pour échapper à l'œil inquisiteur et à la tyrannie de sa tante Séraphie, se cachait dans les dédales de la Halle-aux-Blés, ou filait le long de la baraque aux châtaignes de la place Grenette pour aller retrouver, dans le bois du Jardin-de-Ville, quelques «polissons»de son âge.
Triste et noire cité, Grenoble s'étendait le long d'un coude de l'Isère, formé par le dernier contre-fort des montagnes de la Chartreuse. Cité essentiellement militaire, elle avait été bâtie en cet endroit par les vieux Allobroges pour commander la route de Lyon; et les Romains, trouvant cette situation merveilleuse, y avaient établi une forte colonie. Les Dauphins du moyen âge, puis Lesdiguières et ses successeurs, l'agrandirent progressivement; mais le Grenoble de Louis XVI n'est pas très sensiblement différent du Grenoble de Henri IV.
La plus vieille partie de la ville, que de bons auteurs considèrent comme le berceau de la cité, s'étend sur la rive droite de l'Isère; une étroite bande de terrain, comprise entre la rivière et le rocher, laisse tout juste la place à deux rues en enfilade, longues et étriquées (la rue Saint-Laurent et la rue Perrière); ces rues, de la porte Saint-Laurent à la porte de France, font communiquer la haute et la basse vallée de l'Isère, la Savoie et la France.
Deux ponts, l'un de bois, l'autre de pierre, unissent le vieux Cularo allobroge à la Ville proprement dite; et c'est entre les deux ponts, près des berges de l'Isère, alors entièrement couvertes de maisons, suivant la mode du temps, que bat le cœur de la cité. Le palais de justice, ancien Parlement, l'Hôtel-de-Ville-Préfecture, la place Grenette, c'est là que vivent le Grenoble judiciaire et procédurier, le Grenoble administratif, le Grenoble commerçant. C'est là aussi, à l'angle de la place Grenette et de la Grande-rue, que s'écoula l'enfance morose et opprimée de Stendhal.
Autour de ce centre: place Grenette, Grande-rue, place Saint-André, courent les plus importantes voies de la ville, étroites et tortueuses. Les agrandissements successifs de l'enceinte, depuis les Romains jusqu'aux successeurs de Lesdiguières, ont forcé les principales rues à suivre la direction des remparts; toutes ces artères s'arrondissent en demi-cercle, de l'Isère à l'Isère: un premier arc est constitué par la rue Saint-André, la rue des Clercs et la rue Pérollerie, jusqu'à la place Notre-Dame et la Citadelle; un deuxième suit la rue Montorge, la rue des Vieux-Jésuites et la rue des Prêtres; un troisième, plus grand, moins nettement dessiné, sinue à travers les rues Saint-François et Créqui, la rue Neuve du Collège, la rue Neuve des Pénitents, la rue Neuve des Capucins et la rue Très-Cloîtres; enfin, la rue des Mûriers constitue, pour[p. 263] l'époque, le dernier stade de l'évolution: elle n'est, à vrai dire, que le chemin de ronde des remparts.
Ces rues sont bordées de maisons hautes et noires, et presque toujours tristes, avec des allées étroites où court un petit ruisseau dans lequel les habitants se soulagent en passant. De temps à autre, la file monotone est coupée par de beaux hôtels, demeures de l'aristocratie et des magistrats opulents: l'hôtel des Adrets, rue Neuve du Collège; l'hôtel de Franquières, rue de France, près du pont de pierre; l'hôtel de Bressieux, rue du Verbe-Incarné; l'hôtel de Montai, rue du Pont-Saint-Jaime. De nombreux monastères étendent leurs cloîtres et leurs jardins: les Augustins, près du Jardin-de-Ville; les Frères prêcheurs, dont l'église servit de Halle-aux-Blés; les Cordeliers, qu'un oncle de Henri Beyle dirigea; les Jésuites, rue Neuve, dont le collège devint l'Ecole centrale, la Bibliothèque publique et le Musée; les Oratoriens, voisins de la cathédrale. Les couvents de femmes abondent aussi: religieuses de la Propagation, au bout de la rue Saint-Jacques, chez lesquelles le jeune Beyle allait servir la messe, Clarisses, Ursulines, Visitandines, d'autres encore. Enfin, quatre églises se partagent les fidèles: la plus ancienne, Saint-Laurent, dont la chapelle basse date du VIe siècle, dessert la rive droite; sur la rive gauche, Notre-Dame et Saint-Hugues, deux églises jumelles, accolées l'une à l'autre et[p. 264] communiquant par une vaste baie, sont l'une la cathédrale, l'autre une paroisse; Saint-André, non loin du palais de justice, est la vieille collégiale des Dauphins et abrite les cendres de Bayard, en attendant de servir de salle de réunion à la société jacobine de Grenoble; Saint-Louis enfin, la dernière en date, la plus laide aussi, produit informe du XVIIe siècle à son déclin, sert de paroisse à la pieuse famille maternelle de notre Stendhal.
Et, tout autour, s'étend le domaine militaire; les remparts protègent la cité, mais l'étouffent aussi dans leurs bastions de terre et de briques, à la manière de Vauban. A l'ouest, l'arsenal, des magasins à poudre et les casernes de Bonne ont cependant permis aux Hospices de s'installer; au midi, s'élève l'hôtel du Commandement, qu'habite le gouverneur de la province; non loin de là, on a laissé dans un bastion s'ouvrir provisoirement le cimetière de la paroisse Saint-Hugues, où fut inhumée la mère de Stendhal; à l'est, s'élèvent de nouveaux magasins à poudre, et la citadelle forme, à elle seule, une ville forte en miniature; enfin, au nord de Grenoble, sur la rive droite, le fort de Rabot domine la plaine et la vallée du Drac.
Cinq portes étroites font communiquer la ville avec le monde extérieur: à droite de l'Isère, les portes Saint-Laurent et de France; de l'autre côté de la rivière, la porte de la Graille, située à l'est de[p. 265] Grenoble, au bord de l'eau, conduit au cours de Saint-André, large et longue avenue qu'un parlement munificent fit planter au XVIIe siècle, sous la direction de son président, Nicolas Prunier de Saint-André; au midi, les portes de Bonne et Très-Cloîtres ouvrent les chemins qui vont au Pont-de-Claix, à Echirolles, à Gières, à Eybens et à Vizille, vers le Trièves, l'Oisans et la vallée du Graisivaudan.
Les environs immédiats de Grenoble, du reste, sont peu engageants. La splendeur du cadre formé par les montagnes de la Chartreuse, du Vercors, du Taillefer et de Belledonne, et la magnificence de la vallée du Graisivaudan, toute voisine, rendent plus triste encore la banalité de la plaine grenobloise. Située au confluent de la capricieuse et puissante Isère et du terrible Drac, elle a été longtemps couverte par les eaux. Le sol est demeuré humide et caillouteux, de nombreux ruisseaux courent vers le nord, et cette eau que l'on sent partout à fleur de terre, que l'on voit sourdre de tous côtés, dit le long combat qu'a mené à travers les siècles la vaillante ville contre ses ennemis de toujours: l'Isère et le Drac, le Serpent et le Dragon qui, prédisait un ancien dicton, devaient «mettre Grenoble en savon».
Stendhal connut surtout la partie sud-ouest de cette plaine grenobloise. Il accompagna son père et sa tante Séraphie dans les promenades sentimentales[p. 266] qu'ils firent à travers le faubourg pauvre et malodorant des Granges, quartier des peigneurs de chanvre, qui se pressait autour de l'église Saint-Joseph, plus pauvre encore. Surtout, il suivit le chemin de Claix, lorsqu'il allait avec son père séjourner à la maison familiale du hameau de Furonières. On sortait par la porte de Bonne, on tournait tout de suite à droite pour prendre le chemin horriblement fangeux des Boiteuses, où s'élevait la solitaire auberge de la Femme-sans-tête; puis, passé le cours de Saint-André, le chemin de Seyssins conduisait au bac; on traversait le torrent du Drac et sur la rive gauche, par Seyssins et les hameaux de Doyatières, Cossey et Malivert, on atteignait enfin le «domaine»des Beyle, où le vieux Pierre était mort. Ou bien encore, sortant toujours par la porte de Bonne, on continuait tout droit, le long du chemin Meney, pour atteindre le cours de Saint-André et le vieux pont de Claix, bâti par le connétable de Lesdiguières, l'une des «merveilles»du Dauphiné.
Tel est ce Grenoble que Stendhal détesta, non pour l'avoir trop connu, mais pour l'avoir presque ignoré, car il y vécut un peu en prisonnier. Il avoue en un endroit de sa Vie de Henri Brulard n'avoir su qu'objecter à un jeune officier qui faisait l'éloge de sa ville natale, et il dit plus loin qu'à son arrivée à Paris, une terrible nostalgie faillit le renvoyer à ses chères montagnes. Le mépris de Stendhal pour[p. 267] Grenoble est seulement une rancune d'enfant, que l'âge mûr n'a pu complètement effacer. Grenoble en a longtemps voulu à son détracteur occasionnel; aujourd'hui, le temps a tout renouvelé: Grenoble est devenue la plus belle cité des Alpes françaises, et elle a rendu en admiration à Stendhal ce que son fils ingrat lui avait donné de dédains.
LÉGENDE
1. Rues, places et passages.
1. Place Grenette.
2. Jardin-de-Ville.
3. Grande-rue.
4. Rue des Vieux-Jésuites (aujourd'hui, rue Jean-Jacques-Rousseau).
5. Jardin Lamouroux, derrière la maison natale de Stendhal (aujourd'hui, cour du n° 4 de la rue Lafayette).
6. Place Saint-André.
7. Rue du Palais.
8. Passage du Palais.
9. Rue du Quai (aujourd'hui, rue Hector-Berlioz).
10. Rue Montorge.
11. Rue du Département (ensuite, rue Saint-André; aujourd'hui, rue Diodore-Rahoult).
12. Place Neuve du Département (ensuite, place aux Œufs; aujourd'hui, place de Gordes).
13. Rue des Clercs.
14. Rue Pérollerie (aujourd'hui, rue Alphand).
15. Rue Dauphin (aujourd'hui, rue Lafayette).
16. Rue Neuve du Collège (aujourd'hui, rue du Lycée).
17. Place de la Halle (aujourd'hui supprimée, située sur l'emplacement des actuelles rues de la République et Philis-de-La-Charce).
18. Rue Saint-Jacques.
19. Rue de Bonne.
20. Rue Saint-Louis (aujourd'hui, avec un alignement modifié, rue Félix-Poulat).
21. Place Claveyson.
22. Place aux Herbes.
23. Rue Marchande (aujourd'hui, rue Renauldon).
24. Montée du pont de bois (aujourd'hui, rue de Lionne).
25. Pont de bois (aujourd'hui, pont suspendu).
26. Rue du Bœuf (aujourd'hui, rue Abel-Servien).
27. Rue Chenoise.
28. Rue du Pont-Saint-Jaime.
29. Rue Brocherie.
30. Place Notre-Dame.
31. Place des Tilleuls.
32. Rue Bayard.
33. Rue des Mûriers (aujourd'hui, rue Abbé-de-la-Salle).
34. Cimetière de Saint-Hugues, rue des Mûriers.
35. Rue du Commandement (aujourd'hui, rue Général-Marchand).
36. Promenade des Remparts (aujourd'hui, à peu près, rue Condillac).
37. Rue Saint-Laurent.
38. Rue Perrière (aujourd'hui, quai Perrière).
39. Pont de pierre (aujourd'hui, pont de l'Hôpital).
40. Montée de Chalemont.
41. Route de Lyon.
42. Le Mail (aujourd'hui, l'Esplanade de la Porte-de-France).
43. Cours de Saint-André.
44. Chemin des Boiteuses (aujourd'hui, après rectifications, rue et place Lakanal et rue Turenne).
45. Chemin Meney.
46. Chemin de Sassenage (aujourd'hui, approximativement, cours Berriat).
47. Point de départ de la route d'Eybens (aujourd'hui situé vers l'angle des rues de Strasbourg et Beccaria).
48. Route de La Tronche.
2. Bâtiments publics et portes de la ville.
A. Eglise Saint-André.
Æ. Eglise Saint-Louis.
B. Cathédrale Notre-Dame.
B'. Eglise Saint-Hugues.
C. Eglise Saint-Joseph (hors des portes).
D. Eglise Saint-Laurent.
E. Préfecture et Hôtel-de-Ville (aujourd'hui, Hôtel-de-Ville).
F. Palais de justice et prison.
G. Théâtre.
H. Collège des Jésuites, puis Ecole centrale (ensuite collège, puis lycée de garçons, aujourd'hui lycée de filles).
J. Bibliothèque (aujourd'hui, administration du lycée de filles).
K. Musée (ancienne chapelle des Jésuites, aujourd'hui grand amphithéâtre de l'Université).
L. Citadelle (aujourd'hui caserne, conseil de guerre et prison militaire).
M. Couvent des Jacobins (n'existe plus).
N. Halle aux blés (ancienne église des Jacobins, n'existe plus).
O. Corps de garde, place Grenette.
P. Couvent des Augustins (depuis, Manutention militaire, aujourd'hui démolie).
Q. Porte de France.
R. Porte de Bonne (démolie vers 1832, située à l'extrémité de la rue de Bonne, place Victor-Hugo).
S. Porte Très-Cloîtres (démolie vers 1832, située à[p. 271] l'intersection des actuelles rues Très-Cloîtres et Joseph-Chanrion).
T. Porte de la Graille, ou porte Créqui (démolie en 1889, située sur le quai Créqui actuel).
V. Sainte-Marie-d'en-haut (couvent de la Visitation, aujourd'hui inoccupé et appartenant à la Ville de Grenoble).
X. Tour de Rabot.
Y. Direction du fort de la Bastille.
3. Maisons, boutiques, lieux divers.
a. Maison Beyle, rue des Vieux-Jésuites (aujourd'hui, rue Jean-Jacques-Rousseau, n° 14).
a'. Nouvelle maison Beyle, à l'angle de la rue de Bonne et de la place Grenette (aujourd'hui, place Grenette, n° 24).
b. Maison Gagnon, place Grenette, n° 2, et Grande-rue, n° 20.
c. Maison Périer-Lagrange, place Grenette, n° 4.
d. Maison de madame Vignon, place Saint-André, n° 5 ou 7.
f. Maison de Le Roy, professeur de peinture, place Grenette (ancien n° 11, démoli lors de l'ouverture de la rue de la République, en 1907).
g. Maison Teisseire, entre l'ancienne rue de la Halle et la rue des Vieux-Jésuites.
h. Maison de Chabert, professeur de mathématiques, rue Neuve du Collège (aujourd'hui du Lycée, n° 15).
i. Hôtel des Adrets, rue Neuve du Collège (aujourd'hui du Lycée, n° 9).
l. Hôtel du Commandement, rue du Commandement (aujourd'hui Général-Marchand, n° 1).
m, m'. Maisons successivement habitées par les Bigillion, rue Brocherie et montée du Pont-de-bois (aujourd'hui rue de Lionne).
n. Maison Didier, près de l'église Saint-Laurent.
o. Maison de Gros, géomètre et professeur de mathématiques, rue Saint-Laurent.
p. Hôtel de Franquières, entre l'actuelle rue Moidieu et le quai Créqui, près du Pont de pierre.
q, q'. Boutiques successivement occupées par Falcon, libraire, la première passage du Palais (aujourd'hui supprimé), la seconde rue du Quai (aujourd'hui Hector-Berlioz, n° 4).
r, r'. Café Genou, situé Grande-rue, n° 14, d'après Stendhal, ou, d'après Romain Colomb, place Saint-André, n° 7.
s. Boutique de Bourbon, près de la Halle-aux-blés, probablement démolie lors de l'élargissement, en 1907, de la rue Philis-de-la-Charce.
t. Auberge de la Bonne-Femme, ou de la Femme-sans-tête, chemin des Boiteuses (aujourd'hui, rue Lakanal).
v, v'. Pompes, sur la place Grenette et à l'entrée de la rue Neuve du Collège (aujourd'hui du Lycée).
x. Baraque des châtaignes, place Grenette.
π. Arbre de la Liberté.
π'. Arbre de la Fraternité.
R'. Lieu présumé du duel de Henri Beyle et de son camarade Odru, sur les remparts, entre les portes de Bonne et Très-Cloîtres, non loin de l'hôtel du Commandement.
Par M. Samuel Chabert,
professeur à l'Université de Grenoble.
M. Paul Arbelet, éditeur du Journal d'Italie, affirmait récemment que la maison natale de Stendhal à Grenoble était le n° 14 actuel de la rue J.-J.-Rousseau (2e étage), et revendiquait pour lui-même la propriété de cette découverte, sans toutefois publier encore une indication de sources ou d'arguments positifs[1]. Une illustration représentant l'immeuble désigné était insérée dans le texte, soulignant ainsi la contradiction de sa croyance avec celle de divers Grenoblois, recueillie par M. Pierre Brun dans son Henry Beyle-Stendhal[2], et favorable au n° 12 (1er étage) de la même rue J.-J.-Rousseau.
Les amis de l'écrivain, et aussi le grand public, ne peuvent que remercier M. P. Arbelet de sa communication; le plus mince atome de vérité acquise a son prix. Pour ma part, je me féliciterais plutôt[p. 274] de le voir garder par devers lui ses raisons, puisque ce silence précisément m'a conduit à faire de mon côté différentes recherches, toujours intéressantes quand il s'agit d'un pareil auteur; et, bien que ma conclusion soit absolument identique à la sienne et que son assertion ait contribué à m'y conduire, peut-être ne sera-t-il pas indifférent d'exposer ici, très sommairement, les procédés que j'ai suivis.
Deux voies principales d'investigation semblent dès l'abord s'ouvrir au chercheur, abstraction faite des «jours»»offerts çà et là dans l'œuvre entière de Stendhal:
1° Détails et plans fournis par le manuscrit de la Vie de Henri Brulard (Bibl. munie, de Grenoble, R 299, 3 vol.).
Ces détails sont nombreux, répétés, d'apparence très précise, et nous y reviendrons. Constatons tout d'abord qu'il y manque le seul renseignement décisif, à savoir le numéro de la maison natale. A cette époque, où les immeubles de Grenoble étaient numérotés par quartiers, non par rues, chaque maison était habituellement désignée par le nom de son propriétaire joint à celui de la rue; or, l'extrême notoriété du père de Stendhal rendait particulièrement superflu tout surcroît de précision.[p. 275] D'autre part, si précieux que soient les documents de la Vie de Henri Brulard, ils sont souvent fort sujets à caution, on le sait, qu'il s'agisse de sentiments, d'idées, d'histoire ou même de géographie; l'auteur lui-même, trop catégorique dans l'exposé de ses impressions d'enfance, multiplie les réserves par ailleurs: il touche à la cinquantaine, et tant d'aventures se sont succédé dans son existence depuis la dixième année! Aussi n'avons-nous pas cru que le témoignage propre de Stendhal dût nous être un point de départ: il sera pour nous un contrôle, entre autres, de la certitude une fois conquise, après avoir servi de présomption pour la certitude à conquérir, rien de moins, rien davantage.
2° Puisque Chérubin Beyle, père de Stendhal, était par héritage le propriétaire de la maison[3] et, par conséquent, de l'appartement où naquit son fils le 23 janvier 1783, et que la partie de la rue J.-J.-Rousseau à laquelle se limitent les recherches n'a subi depuis lors aucune modification importante dans ses immeubles,—on peut vérifier, dans les actes publics, les titres des propriétaires actuels de ces immeubles durant 125 ans environ: moyen terre à terre, on ne peut moins littéraire, mais on ne peut plus sûr, d'aboutir de piano à[p. 276] un indiscutable résultat. C'est, à notre avis, le premier à suivre. On nous excusera donc en raison du but poursuivi d'avoir agi, pour le profit d'Henri Beyle, comme aurait fait son père «homme de loi», et d'avoir employé une méthode qui l'aurait indigné peut-être, mais qu'après tout il ne tenait qu'à lui de nous épargner en précisant davantage. Du reste, nous nous abstiendrons, dans le court exposé qui va suivre, de tout renvoi ou citation n'intéressant pas directement la solution du problème.
1re pièce. L'extrait de naissance, depuis longtemps publié, nous apprend simplement que la maison natale du futur Stendhal faisait partie de la paroisse de Saint-Hugues, autrement dit appartenait au côté nord de la rue, numéros pairs actuels.
2e pièce. Le registre de capitation de la ville de Grenoble pour 1789, obligeamment communiqué par M. Prudhomme, archiviste départemental, place la maison du sieur Beyle dans la rue des Vieux-Jésuites (depuis rue J.-J.-Rousseau), entre la maison du sieur Verdier, pourvue de 2 boutiques et de 2 locations, et la maison du sieur Romand, beaucoup plus importante, avec 7 locations en plus de ses 2 boutiques. La maison Beyle, mitoyenne[p. 277] et moyenne entre les deux, a 2 boutiques, plus 3 locataires habitants d'étages, savoir:
n° 1305, le sieur Boyer, avocat, taxé à 24 livres;
n° 1306, le sieur Beyle, avocat, taxé à 18 livres;
n° 1307, la veuve Rigoudo, passementière, taxée à 1 livre.
S'il est trop tôt pour conclure que les maisons Verdier, Beyle et Romand sont les nos 12, 14 et 16 actuels de la rue J.-J.-Rousseau, nous retiendrons tout au moins la présomption en faveur du second étage, non du premier, comme occupé par Chérubin Beyle et par le jeune Henri lui-même, âgé alors de 6 ans.
3e pièce. Acte de vente du 2e étage[4] de sa maison par Chérubin Beyle à l'avoué Jos.-François Bonnard, le 7 ventôse an XII (27 févr. 1804), aux minutes de Me Nallet, notaire à Grenoble, successeur éloigné de Me André Blanc, notaire à Grenoble de 1782 à 1824, qui rédigea l'acte en question. Nous avons eu entre les mains l'expédition authentique, possédée actuellement par M. Edmond Maignien, qui a bien voulu nous la communiquer.
Le vendeur, qui va désormais habiter jusqu'à sa mort sa nouvelle maison de la place Grenette (n° 24 actuel), ne spécifie pas qu'il ait habité ou habite encore ce 2e étage; toutefois, la chose peut[p. 278] se présumer du fait que nulle mention de locataire occupant ne figure dans l'acte,—dont voici les éléments essentiels-:
Chérubin-J. Bayle (sic), homme de loi, vend à Jos.-Fr. Bonnard, avoué près le tribunal d'appel de Grenoble, le second étage entier, cave, galetas et dépendances, de la maison possédée par le vendeur rue des Vieux-Jésuites, n° 60: 3 pièces sur la rue, 3 pièces sur la cour, 2 pièces dans le bâtiment au nord et une galerie servant de communication du grand au petit bâtiment. La cave a son entrée en face de l'escalier et est éclairée par une petite fenêtre grillée ouverte au nord sur la cour ... Le galetas, au 4e étage, est situé au-dessus des pièces qui forment, aux étages inférieurs, le salon d'assemblée ..., il confine au couchant une chambre à cheminée vendue à Pierre Mayet.
Prix: 3.000 francs.
Latrines intérieures au second étage.
Enregistré à Grenoble le 12 ventôse an XII (3 mars 1804).
Transcrit au bureau des hypothèques, à Grenoble, le 3 germinal an XII (24 mars 1804), vol. 19, n° 489.
Notons que le n° 60 indiqué au début est un numéro de quartier. En 1827, ce sera un numéro de rue, le n° 8, parce que le point de départ est alors la Grand'Rue; la rue J.-J.-Rousseau comptait désormais ses nos pairs de 2 à 22, le n° 2 faisant[p. 279] l'angle de la Grand'Rue. Bientôt, l'un de ces nos pairs, le 14, fut démoli pour la percée de la rue Lafayette, ce qui réduisit à dix immeubles ce côté de la rue; voilà comment, lorsque plus tard l'origine des numéros fut reportée place Sainte-Claire, l'ex-maison Beyle, toujours la 4e en venant de la Grand'Rue, fut numérotée 14 et non pas 16, le n° pair le plus élevé étant désormais 20 et non plus 22.
4e pièce (communiquée également par M. Edm. Maignien). C'est un exploit d'huissier, daté du 24 novembre 1827, enregistré le 26 novembre. Le propriétaire, Bonnard (Julien), avocat, fils et héritier de Jos.-Fr. Bonnard, ainsi que l'atteste à l'état-civil de Grenoble son acte de décès en date du 26 avril 1876, a maille à partir avec un de ses voisins du même immeuble. Julien Bonnard, depuis conseiller à la Cour de Grenoble, du 15 mai 1850 à sa retraite prise le 17 janvier 1865, a son portrait par Hébert au Musée de Grenoble (n° 323 du nouveau catalogue). Notons que le peintre Hébert était fils de Me J.-C.-A. Hébert, notaire à Grenoble de 1813 à 1832 (minutes chez Me Besserve), dont Chérubin Beyle était le client.
5e pièce. Le 18 nov. 1852, par devant Me Guigonnet, notaire à Grenoble (minutes chez Me Raymond), le conseiller Bonnard vendait son immeuble au Dr J.-B.-Albin Crépu.
6e pièce. Par testament du 8 juillet 1857, le[p. 280] Dr Crépu (mort à Grenoble, le 17 février 1859) le lègue à une dame Zoé Ravix, ex-marchande de nouveautés au Fontanil.
7e pièce. Le 12 avril 1871, par devant Me Guigonnet, déjà nommé, Mme Ravix le vend au Dr Pierre-Adolphe-Adrien Doyon, dont le Musée de Grenoble possède aussi le portrait, œuvre du peintre Bonnat (n° 184 du nouveau catalogue).
8e pièce. Le Dr Doyon étant décédé à Uriage, le 21 sept. 1907, le partage de ses biens, fait à Lyon le 11 janvier 1908 en l'étude de Me Rodet, notaire, a attribué son immeuble de la rue J.-J.-Rousseau à sa fille, Mme Henriette-Sophie Dagallier, actuellement domiciliée à Paris et qui en demeure propriétaire[5].
La généalogie de l'appartement étant ainsi reconstituée sans discussion ni lacune, et la propriété de Mme Dagallier rue J.-J.-Rousseau (ci-devant des Vieux-Jésuites) étant bien au n° 14, le doute sur l'identification de la maison natale de Stendhal est définitivement dissipé. Pour ce qui est de l'étage, nos présomptions, déjà très fortes, seront changées en certitude en faveur du second, puisque c'est justement celui que possède Mme Dagallier, par les éclaircissements que fournissent les plans dont nous parlerons tout à l'heure.
Il est aisé maintenant de revenir à la Vie de Henri Brulard et de constater que la concordance entre les deux sources est absolue. Les nombreux plans relatifs à la question qui nous intéresse, et malheureusement inédits pour la plupart, peuvent se grouper sous deux rubriques:
a) Situation de immeuble: «rue des Vieux-Jésuites, 5e ou 6e maison à gauche en venant de la Grand'Rue, vis-à-vis la maison de Mme Teyssère (sic)», écrit Stendhal, p. 59 du ms., 40 du tome Ier de la présente édition. En fait, c'est le 4e numéro, mais le n° 16 actuel en vaut bien deux, si tant est que Stendhal, en 1832, eût la mémoire exacte des chiffres. Cette imprécision est sans conséquence, à la condition, encore une fois, de n'accepter les données de la Vie de Henri Brulard que sous bénéfice d'inventaire.—Nous avons relevé sur ce point 5 plans: p. 59 du ms.; autre plan plus détaillé et plus significatif collé sur la même p. 59; p. 232 (fac-similé, p. 166 de la nouvelle éd. Stryienski, 1912); puis, dans le 2e vol., p. 6 (numérotation en bas de page), et face à la p. 273 bis.
b) Disposition de l'appartement, étage. Le ms. présente 3 plans de la partie de l'appartement située entre cour et rue, savoir p. 70 (t. I du ms. et p. 48 du tome Ier de la présente édition), face à la p. 275[p. 282] (t. II), et face à la p. 292 (t. II). Ces plans concordent pour la disposition des pièces, et notamment en ce qui touche le nombre des six fenêtres de façade, ainsi disposées quand on vient de la Grand'Rue:
a. fenêtre étroite} cabinet de Chérubin Beyle.
b. fenêtre normale}
c. fenêtre normale: salon.
d. fenêtre étroite} ch. a coucher de Mme Beyle.
e. fenêtre normale}
f. fenêtre étroite et basse: cabinet de toilette, pris sur la demi-profondeur de la chambre à coucher, et qui, dans l'acte de vente de l'an XII, n'est pas compté pour une pièce.
Le reste de la profondeur de la chambre à coucher, derrière le cabinet de toilette, forme alcôve pour le lit; c'est là, comme le dit M. Arbelet, suivant toute vraisemblance, que dut naître Stendhal en 1783, là aussi que mourut probablement Mme Beyle en 1790.—Ce qui est capital ici, c'est le nombre des fenêtres qui, au 1er et au 3e étage, est de 4, et qui, au 2e étage, est porté à 6 par l'addition de la fenêtre étroite d et de l'ouverture f, destinée celle-ci à éclairer le cabinet de toilette: l'étage est donc le second, à l'exclusion de tout autre.
La partie de l'appartement située entre la cour et le jardin Lamouroux (cour du n° 4 actuel de la rue Lafayette), avec le petit escalier L qui peut le rendre indépendant et le jour de souffrance qui[p. 283] l'éclaire en permettant d'apercevoir un tilleul du jardin, est figurée p. 107 du ms., correspondant à la p. 93 (t. Ier) de la présente édition.
Enfin, p. 157 du ms., correspondant à la p. 126 (t. Ier) de l'éd. imprimée, Stendhal a dessiné le plan spécial du cabinet de son père, contigu à l'immeuble n° 16 et éclairé par nos deux fenêtres inégales a et b.
L'examen de ces 10 plans divers, à titre de contre-épreuve, permet de clore ici la discussion.
On comprendra, si l'on pénètre aujourd'hui dans l'étroite allée, dans la cour obscure et rétrécie par la construction du fond,—et dès l'entrée dans la rue tortueuse, privée de toute perspective un peu large et souvent de lumière,—que successivement tous les propriétaires aient éprouvé le besoin d'en sortir, si riche et confortable qu'en pût être l'aménagement intérieur; que Chérubin Beyle, dans sa hâte de déménager, n'ait pas attendu l'achèvement de sa maison neuve pour se défaire de ce qui lui restait de l'ancienne; que le futur Stendhal enfin réserve au logis de son grand-père, si admirablement placé entre la vie intense de la place Grenette et la reposante verdure du Jardin de Ville, ses prédilections d'enfant, naturellement avide de gaieté, de grand jour et de liberté.
Conclurons-nous donc en disant que, si nous connaissons désormais la maison natale de Stendhal, nous n'avons saisi qu'une vaine ombre, et que ses Feuillantines, son Milly, ses Enfances en un mot doivent être placées ailleurs? Dirons-nous une fois de plus que l'éducation est indépendante des hasards de la naissance, et que le lieu fortuit de celle-ci ne mérite pas qu'on le prenne à ce point au sérieux? que les plaques commémoratives, pour être à certains égards d'une scientifique précision, se trompent d'adresse le plus souvent? Non certes: nous savons assez que rien ne vient du néant, que notre être est conditionné, plus qu'on ne l'a cru et à notre insu même, par ses origines, par la race, par le milieu, par les impressions demi-conscientes, inconscientes même, des toutes premières années, pour ne pas condamner cette religion traditionnelle du souvenir.
Stendhal naquit donc et vécut quelque dix ans dans la demeure où depuis si longtemps se succédaient ses ascendants paternels, au 2e étage du n° 14 actuel de la rue J.-J.-Rousseau; c'est dans le petit logement ayant vue sur la cour qu'il fut installé et logé avec ses précepteurs successifs, c'est dans cet horizon si restreint que se forma, que s'altéra, si l'on veut, et s'aigrit prématurément son caractère. Que plus tard il ait fait du chemin, que son odyssée l'ait peu à peu détourné de la maison paternelle et du pays natal jusqu'à paraître supprimer[p. 285] parfois tout contact, on ne le sait que trop à Grenoble et on l'exagère trop volontiers. Il n'est pas revenu, soit; mais peut-être s'est-il moins éloigné qu'il ne le pensait lui-même et, quoi qu'il en soit et de quelque façon qu'on le juge, c'est bien de là qu'il est parti.
[1] Les Annales du 5 février 1911.
[2] P. 9 (Grenoble, Gratier, 1900).
[3] E. Maignien, La Famille de Beyle-Stendhal, Grenoble, 1889, Drevet. Voir, pp. 12-13, l'extrait de naissance de Marie-Henry Beyle, publié in extenso, et reproduit à nouveau ci-dessus, p. 337.
[4] On sait qu'à Grenoble la propriété bâtie est extrêmement divisée, et que très souvent un immeuble appartient, par étages ou portions d'étages, à plusieurs propriétaires distincts.
[5] Ces documents nous ont été fournis en grande partie par M. Gérardin, receveur de l'enregistrement à Sassenage, d'après les archives de la mairie de Grenoble, du greffe du tribunal civil, de l'enregistrement et de l'étude de Me Raymond, notaire à Grenoble.
La Treille de Stendhal
Stendhal ne dit presque rien de la maison de son père et du triste appartement où il naquit et où mourut sa mère; c'est qu'il vécut surtout dans la maison gaie et vivante de son grand-père. Le docteur Henri Gagnon occupa successivement deux appartements dans le même immeuble. De l'un, situé au n° 2 de la place Grenette, au premier étage, Stendhal parle à peine dans sa Vie de Henri Brulard; il fut d'ailleurs abandonné dès 1789 et occupé ensuite par les demoiselles Caudey, marchandes de modes. Mais le second a laissé à notre auteur de nombreux souvenirs, à la fois amers et attendris.
Le deuxième appartement du docteur Gagnon—où il mourut, en 1813—occupait, au second étage, deux chambres correspondant à l'ancien logement du premier, 2, place Grenette. Il comprenait également une partie d'immeuble acquise de Madame de Marnais, et dont l'entrée donnait sur la Grande-rue,[p. 287] n° 20. On accédait à l'appartement par trois escaliers: le premier, place Grenette, a été avantageusement remplacé. Il conduisait directement aux chambres de Séraphie et d'Elisabeth Gagnon. Les deux autres sont restés intacts: l'un insère sa vis minuscule dans l'angle nord d'une cour étroite et mal éclairée, qui n'a guère été modifiée depuis le XVe siècle et garde, entre ses murs noirâtres, l'indicible attrait du passé. Quelques pas encore, et tout de suite à gauche, dans une grande cour oblongue, monte un nouvel escalier, large et droit celui-ci, et que Stendhal, avec raison, qualifie de magnifique pour l'époque.
Montons l'étroit et raide escalier en vis de la première cour. Au deuxième étage, un bref corridor—celui-là même où fut déposé, près de la fenêtre, par le jeune Beyle, le «billet Gardon»—s'ouvre sur la salle à manger, mal éclairée par une fenêtre d'angle, et sur la cuisine. Une troisième porte mène à la chambre de Henri Gagnon. Stendhal en a conservé un souvenir grandiose: une belle commode l'ornait, et une fenêtre en verres de Bohême rendait la pièce agréable et gaie. Des boiseries la garnissent encore aujourd'hui, et leurs moulures sobres, aux ors ternis, rappellent invinciblement l'esprit harmonieux et mesuré du médecin à la mode vers 1780.
Dans un angle, un étroit corridor est pris dans l'épaisseur de la tourelle de l'escalier: nous voici[p. 288] dans un réduit étroit, aux murs biscornus. C'est la petite chambre où Beyle avait son lit de fer, c'est son «trapèze». Fuyons ce lieu, désormais profané: on a fait sauter une cloison, vers l'appartement donnant sur la Grande-rue, et maintenant des lingères travaillent et jacassent à l'endroit même où Stendhal dormait son sommeil d'enfant.
Au second étage de l'escalier de la grande cour, une large porte ouvre sur une vaste antichambre; puis, c'est le «grand salon à l'italienne», aujourd'hui partagé en deux par une cloison. Là s'élevait, sous la Révolution, le modeste autel où un prêtre insermenté disait la messe, servie par le petit Henri Beyle, le dimanche, en présence d'une centaine de fidèles.
Tout près, la chambre de Romain Gagnon, prenant vue sur la grande cour, asile retiré qu'occupa Joseph-Chérubin Beyle aux heures troubles de la Terreur. Tout près encore, ouvrant aussi sur le grand salon, voici le domaine intellectuel du docteur Gagnon: d'abord, son cabinet d'histoire naturelle, où le menuisier Poncet construisit une immense armoire pour les collections minéralogiques; en face, la grande et belle carte du Dauphiné, par Bourcet, que le jeune Beyle sillonna si malencontreusement d'une longue traînée rouge, le jour où fut découvert le subterfuge de la lettre[p. 289] Gardon. A côté, c'est le cabinet d'été du «bon grand-père». Il est maintenant nu et abandonné, comme la pièce voisine; mais notre âme de pieux pèlerins y rétablit sans peine, au fond, la grande bibliothèque où Voltaire voisine avec l'Encyclopédie, tandis qu'à côté, dédaigneusement mis en tas, s'avachissent de mauvais romans, achetés par l'oncle Romain, et qui gardent encore le parfum de leur premier acquéreur: musc ou ambre. En face, sur un pied peu élevé, un petit buste de Voltaire, gros comme le poing; un bon fauteuil s'arrondit devant, où le docteur s'isolait pour réfléchir et travailler, loin des importuns.
Dans la chambre de Romain Gagnon et dans le cabinet d'histoire naturelle s'ouvrent deux portes-fenêtres. Poussons-les: nous voici sur une longue et belle terrasse; d'immenses caisses de pierre la bordent, d'où sortent des plantes variées et de puissants ceps de vigne. Des montants de bois artistement assemblés en arcades laissent entrer l'air et le soleil, et supportent la verdure et les fleurs; la vigne fait au-dessus de nous un plafond délicat, et c'est un lieu charmant. Voici vraiment le seul souvenir de Stendhal demeuré presque intact. Quelques pieds de vigne sont morts, mais les survivants sont ceux que planta Henri Gagnon et que vit grandir Henri Beyle. Et les fidèles du Maître peuvent encore, l'automne venu, cueillir une grappe de raisin à la «Treille de Stendhal».
Le reste de l'appartement a été profondément modifié; le hasard des ventes l'a morcelé, et trois locataires différents l'occupent. Pas un d'eux, certainement, n'évoque le drame de l'enfance de Stendhal, nul ne songe même à se rappeler celui qui forma là son âme inquiète et passionnée.
Les portraits de Henri Beyle, exécutés dans sa jeunesse, sont extrêmement rares. Et, en iconographie comme en toutes choses, il faut se garder des attributions faites à la légère et des hypothèses plus ou moins séduisantes, mais mal fondées.
Je connais, pour ma part, trois portraits de Stendhal jeune, mais, de ces trois, un seul me paraît authentique.
Le premier a été reproduit en 1905 par M. Emile Roux, dans une publication éphémère: l'Alpe, revue d'alpinisme populaire, au cours d'une brève étude sur Stendhal et la Montagne. L'original est un petit portrait à l'huile, sur toile, d'une facture très gauche; il appartient à Mme veuve Merceron-Vicat, à Grenoble. Il a été acquis, il y a fort longtemps, par M. Merceron-Vicat, ingénieur des Ponts et Chaussées, à un antiquaire ambulant qui donna le tableau—sans aucune preuve, d'ailleurs—comme[p. 292] un portrait de Henri Beyle, à l'âge de seize ans environ. Rien n'est moins sûr, et la figure peinte est plutôt celle de Champollion-le-Jeune que celle de Stendhal.
Un second portrait, celui-ci fort joli, est une petite aquarelle, signée Passot. Il représente le buste d'un jeune homme d'une vingtaine d'années, un peu plus peut-être, vu de face; le personnage est vêtu d'une lourde redingote ornée à la boutonnière d'un ruban bleu; un gilet largement ouvert laisse voir une chemise blanche, sans jabot, à deux boutons carrés; le col est entouré d'une cravate blanche à deux tours, terminée en un nœud de petite dimension. Cette aquarelle a été acquise d'un brocanteur, avec divers objets, par M. Bellin, artiste peintre, à Fontaine (Isère). M. Emile Roux, en le reproduisant en tête de sa brochure: Un peu de tout sur Beyle-Stendhal (Grenoble, Falque et Perrin, 1903), annonce un portrait inédit de Henri Beyle. Hypothèse invraisemblable: outre que le costume est nettement celui d'un jeune élégant de 1825 à 1830, l'âge du peintre et celui du modèle présumé excluent toute identification. Henri Beyle est né à Grenoble, le 23 janvier 1783, et Passot en 1797, à Nevers. Le portrait nous montre un jeune homme de vingt ans, vingt-cinq ans au maximum; en admettant l'hypothèse de M. Roux, il aurait été peint vers 1803, au plus tard vers 1808. Passot aurait eu de six à onze ans. Ce simple rapprochement[p. 293] de dates suffit pour ruiner l'hypothèse de l'auteur de Un peu de tout sur Beyle-Stendhal.
Le troisième portrait, que nous publions, est d'une authenticité indiscutable, car nous suivons son histoire depuis l'origine. Il fut la propriété de M. Casimir Bigillion, conseiller à la Cour de Grenoble, qui avait épousé une fille d'Alexandre-Charles Mallein et de Marie-Zénaïde-Caroline, sœur de Henri Beyle. Il fut ensuite donné par M. Bigillion à son cousin, M. Adolphe-Etienne Pellat, ancien vice-président du Conseil de Préfecture de l'Isère. M. Pellat est décédé à Grenoble, le 6 février 1912, laissant le portrait à sa fille, épouse de M. Maurice Chabannes, agent commercial, à Grenoble, de la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée.
M. Chabannes nous a, très aimablement, autorisés à reproduire le portrait qu'il possède. Ce portrait, au crayon noir rehaussé de fusain, a été fait, selon M. Paul Guillemin (Imagerie de Stendhal entre-baillée. Grenoble, 1895), entre 1800 et 1805, et cette approximation nous semble probable. Il a été reproduit pour la première fois par M. Pierre Brun en tête de son ouvrage: Henry Beyle-Stendhal (Grenoble, Gratier et Cie, 1900). C'est le seul des portraits de Henri Beyle jeune actuellement connus. Le plus ancien des portraits de Stendhal est, après lui, celui de Boilly (collection Lesbros), qui date de 1807.
Notre reproduction, si elle n'a pas le mérite de[p. 294] l'inédit, a du moins celle de l'authenticité. C'est, à nos yeux, un mérite capital, le seul dont nous demandons compte à nos lecteurs, aussi bien pour nos illustrations que pour notre édition tout entière.
TABLE DES GRAVURES DU TOME SECOND
La Treille de Stendhal
Reproduction du f° 454 du manuscrit
Reproduction du f° 496 du manuscrit
Plan de Grenoble en 1793
Plan de l'appartement Gagnon
TABLE DU TOME SECOND
Chapitre XXX
Chapitre XXXI
Chapitre XXXII
Chapitre XXXIII
Chapitre XXXIV
Chapitre XXXV
Chapitre XXXVI.—Paris
Chapitre XXXVII
Chapitre XXXVIII
Chapitre XXXIX
Chapitre XL
Chapitre XLI
Chapitre XLII
Chapitre XLIII
Chapitre XLIV
Chapitre XLV.—Le Saint-Bernard
Chapitre XLVI
Chapitre XLVII.—Milan
Annexes.— I. Premier essai d'autobiographie: Mémoires de Henri B., livre I, chap. II
II. Une page de critique littéraire de Stendhal: Encyclopédie du XIXe siècle
III. Deux notices biographiques d'Henri Beyle, écrites par lui-même:
1. «Notice sur M. Beyle, par lui-même» (vers 1821)
2. «Dimanche, 30 avril 1837. Paris, hôtel Favart»
IV. L'état-civil de Stendhal et de ses parents
1. Famille Beyle
2. Famille Gagnon
I. La ville natale de Stendhal:
1. Grenoble vers 1793, par Henry Débrayé
2. Légende du plan de Grenoble en 1793
II. La maison natale de Stendhal, par M. Samuel Chabert
III. L'appartement de Henri Gagnon; la treille de Stendhal, par Henry Débrayé
IV. Les portraits de Stendhal jeune, par Henry Débrayé
Table alphabétique des noms de personnes
TABLE ALPHABÉTIQUE
La table alphabétique que nous donnons ici est très succincte et indique simplement les noms de personnes, sans aucun détail biographique. Une table alphabétique plus détaillée formera le dernier volume des Œuvres complètes de Stendhal.
A
Adrets (le baron des), I, 28, 55, 111, 195, 297; II, 45.
Adrets (Mme des), femme du précédent, I, 55.
Alembert (d'), I, 48, 215; II, 60, 61.
Alexandre, I, 113.
Alexandrine. Voyez: Petit (la comtesse Alexandrine).
Alfieri, I, 12; II, 65.
Allard (Guy), généalogiste grenoblois, I, 216.
Allard du Plantier, cousin de Stendhal, I, 216.
Allier, libraire à Grenoble, I, 199.
Amalia, I, 17, 21.
Amar, représentant du peuple, I, 133, 134, 137, 141.
Ampère, I, 313.
Ancelot (Mme), II, 152.
Angela. Voyez: Pietragrua (Angela).
Anglès (le comte), camarade de Stendhal, plus
tard préfet de police, I, 255, 256, 302; II, 64.
Anglès (Mme), femme du précédent, I, 256.
Anthon (d'), conseiller au parlement de Grenoble, I, 308.
Arago, II, 152.
Argens (le marquis d'), I, 194.
Argout (le comte d'), I, 19, 245, 299; II, 147.
Aribert, camarade de Stendhal, II, 35.
Arioste (l'), I, 109, 153, 163, 188, 209, 229, 288;
II, 19, 122, 133, 134, 135, 158, 177.
Aristote, II, 136.
Arlincourt (d'), II, 4.
Artaud, traducteur de Dante, I, 90.
Aubernon, II, 161.
Aubernon (Mme), femme du précédent, II, 161.
Augué des Portes (Mme et Mlles), sœur et nièces de
Mme Cardon, II
Azur (Mme). Voyez: Rubempré (Alberthe de).
B
Babet, maîtresse de Stendhal, I, 270; II, 31.
Bacon, I, 259; II, 95.
Bailly (Mlles), marchandes de modes à Grenoble, I, 111.
Bailly (Mme de), I, 111; II, 150.
Balzac (Guez de), I, 7.
Barberen (Mlle), associée et maîtresse de Rebuffet, II, 79.
Barberini, I, 17.
Barbier, fermier des Beyle à Claix, II, 41, 44.
Barilli, acteur de l'Odéon de Paris, I, 24.
Barilli (Mme), actrice de l'Odéon de Paris, femme
du précédent, I, 23; II, 104.
Barnave, I, 69.
Barral-Montferrat (le marquis de), président au parlement
de Grenoble, puis Premier Président de la cour d'appel de
Grenoble, I, 303, 304, 305, 307, 308.
Barral (le comte Paul de), fils du précédent, I, 227; II, 4.
Barral (le vicomte Louis de), fils et frère des précédents,
ami de Stendhal, I, 22, 23, 302, 303, 307, 311, 312; II, 11, 45.
Bartelon, II, 126.
Barthélemy (Mme), cordonnière à Grenoble, I, 111, 112, 275.
Barthélemy d'Orbane, avocat consistorial au parlement
de Grenoble, I, 59, 60, 65, 305.
Barthélemy (le chanoine), frère du précédent, I, 65.
Barthomeuf, commis au ministère de la Guerre,
II, 142, 143, 158, 159, 164.
Bassano (le duc de), II, 8.
Basset (Jean-Louis), baron de Richebourg, camarade
de Stendhal, II, 10, 11.
Basville, intendant du Languedoc, II, 78.
Baure (M. de), gendre de Noël Daru, I, 11; II, 142, 143.
Baure (Mme de), femme du précédent. Voyez: Daru (Sophie).
Bayle (Pierre), II, 17.
Beau, I, 22.
Beauharnais (Hortense de), II, 160.
Beaumont (Elie de), I, 188.
Beauvilliers (le duc de), II, 151.
Beethoven, II, 15.
Bellier, I, 84.
Bellile (Pépin de). Voyez: Pépin de Bellile.
Belloc (Mme), I, 118.
Belot (le président), traducteur de Hume, I, 137.
Benoît, camarade de Stendhal à l'Ecole centrale, I, 281; II, 17.
Benvenuto Cellini, I, 8, 10.
Benzoni (Mme), I, 40.
Béranger, II, 125, 152, 161.
Bérenger (Raymond de), camarade de Stendhal, I, 25, 26.
Bereyter (Angelina), actrice, maîtresse de Stendhal, I, 17, 21, 24.
Bernadotte, roi de Suède, I, 63.
Bernard, II, 33.
Bernonde (Mme), I, 128.
Berry (la duchesse de), II, 33, 151.
Berthier, prince de Neuchâtel, II, 154.
Bertrand (Mme la comtesse), II, 161.
Berwick, graveur, II, 123.
Besançon. Voyez: Mareste (le baron de).
Beugnot (le comte), I, 92.
Beugnot (la comtesse), femme du précédent, II, 123.
Beyle (Pierre), grand-père de Stendhal, I, 80.
Beyle (le capitaine), grand-oncle de Stendhal, II, 177.
Beyle (Joseph-Chérubin), père de Stendhal, I, 16, 77,
78-81, 93, 103, 134, 135, 147, 163, 168, 178, 187,
198-202, 209, 223, 234, 262; II, 16, 41, 56, 73, 85,
108, 176.
Beyle (Pauline), sœur de Stendhal, depuis Mme Périer-Lagrange,
I, 45, 77, 99, 139, 141, 178, 198, 222; II, 50.
Beyle (Zénaïde-Caroline), sœur de Stendhal, depuis Mallein,
I, 77, 99, 139, 141, 222.
Bezout, auteur d'un manuel de mathématiques, I, 249,
250, 277, 282, 299; II, 55, 66.
Bigillion, I, 297, 298.
Bigillion (François), fils du précédent, ami de Stendhal,
I, 23, 285-287, 291, 295; II, 34, 45, 71, 72, 92, 147.
Bigillion (Rémy), frère du précédent, I, 286, 291, 292,
295, 296, 301, 311; II, 92.
Bigillion (Victorine), fille et sœur des précédents,
I, 159, 289-293, 295-299; II, 34, 45, 53, 74, 91, 92, 93.
Bignon (du). Voyez: Du Bignon.
Biot, I, 249.
Blacons (Mlle de), I, 74.
Blanc, I, 198.
Blanchet (Mlle), puis Mme
Romagnier. Voyez: Romagnier (Mme), cousine de Stendhal.
Blancmesnil (de), II, 105.
Boccace, I, 61.
Bois, I, 214.
Boissat (Jules-César), II, 7.
Bonaparte. Voyez: Napoléon.
Bond (Jean), traducteur d'Horace, I, 35, 122.
Bonnard (de), I, 220.
Bonne (MM.), oncles de Mme Romain Gagnon, I, 159-160, 161.
Bonne (Mlle), depuis Mme Poncet, mère de Mme Romain Gagnon, I, 161.
Bonoldi, chanteur italien, II, 103.
Borel (Mme), belle-mère de Mounier, I, 69.
Borel (Mlle), fille de la précédente,
depuis Mme Létourneau, II, 34.
Borghèse (prince F.), I, 1.
Bossuet, II, 121, 152.
Bouchage (du). Voyez: Du Bouchage.
Boufflers (le maréchal de), II, 137.
Bourdaloue, I, 103, 137.
Bourgogne (la duchesse de), II, 81.
Bourmont (le maréchal de), II, 191.
Bournon (le maréchal), I, 244.
Bouvier, I, 65.
Brémont (Mme), depuis Mme de Barral-Montferrat, I, 304.
Brémont, fils de la précédente, I, 304.
Brenier (de), I, 48.
Brenier (Mme de), femme du précédent. Voyez: Vaulserre (Mlle de).
Brichaud, I, 3.
Brizon (Mme de), I, 192.
Broglie (le duc de), I, 62, 120.
Brossard (le général de), II, 81.
Brossard (Mme de), femme du précédent. Voyez: Le Brun (Mlle Pulchérie).
Brosses (le président de), I, 138, 167; II, 21, 135.
Bruce, I, 101, 282.
Brun (Joseph), paysan de Claix, II, 41.
Bruno (saint), fondateur de la Grande-Chartreuse, I, 297, 299.
Buffon, I, 209; II, 45.
Burelviller (le capitaine), II, 169, 171, 172, 173, 174,
176, 182, 183, 184, 193, 198.
C
Cabanis, I, 12, 17, 28, 137, 180, 269.
Cachoud, peintre et graveur, I, 250.
Caetani (les princes), amis de Stendhal, I, 9.
Caetani (Michel-Ange), I, 9, 19.
Caetani (don Philippe), frère du précédent, I, 313.
Caetani (don Rugiero), II, 65.
Caffe, I, 221.
Cailhava, II, 94, 95.
Calderon, II, 175.
Caletta, I, 244.
Cambon (Mme), fille aînée de Noël Daru, II, 80, 108,
115, 116, 120, 121, 126.
Cambon (Mlle), fille de la précédente, II, 166.
Campan (Mme), II, 160, 163.
Cardan, mathématicien italien, II, 67.
Cardon (Mme), II, 119, 121, 122, 141, 158, 160, 162, 163.
Cardon (Edmond), fils de la précédente, ami de Stendhal,
II, 32, 119, 122, 141, 147, 158, 159, 164.
Cardon de Montigny, fils du précédent, II, 119.
Carnot, II, 119, 166.
Cartaud (le général), I, 233.
Castellane (Mme Boni de), II, 152.
Caton d'Utique, I, 222.
Cauchain (le comte de), II, 188.
Cauchain (le général de), oncle du précédent, II, 188.
Caudey (Mlles), marchandes de modes à Grenoble, II, 48, 49.
Caudey, leur frère, II, 49.
Cavé, II, 25.
Caylus (Mme de), II, 151.
Cervantes, I, 107, 129, 288; II, 19, 90, 133.
Chaalons, II, 19.
Chabert, professeur de Stendhal, I, 277, 278-280, 281,
282, 283; II, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 62, 64, 67.
Chaléon (M. de), I, 54.
Chalvet, professeur à l'Ecole centrale de Grenoble, I, 238, 302, 311.
Champel, I, 72.
Charbonot, charpentier à Claix, I, 130.
Charost (le duc de), II, 151.
Charrière (Sébastien), I, 201; II, 41.
Chateaubriand, I, 6, 7, 242, 269, 310.
Châtel, II, 33.
Chavand (Mlle), maîtresse d'écriture à Grenoble, I, 312.
Chazel, camarade de Stendhal, I, 94, 95.
Chélan (l'abbé), curé de Risset, I, 61, 62, 305.
Cheminade, camarade de Stendhal, II, 65, 68, 88.
Chenavaz (Mme), I, 32, 33, 141.
Chenavaz (Candide), fils de la précédente, I, 33.
Chevreuse (le duc de), II, 151.
Chieze, II, 127.
Choderlos de Laclos. Voyez: Laclos (Choderlos de).
Cimarosa, II, 99, 101, 192, 193.
Clairaut, auteur d'un manuel de mathématiques, I, 249, 282.
Clapier (le docteur), I, 281; II, 17.
Clara, Clara Gazul. Voyez: Mérimée (Prosper).
Clarke (Mlle), I, 117.
Clémentine. Voyez: Menti.
Clermont-Tonnerre (de), gouverneur du Dauphiné, I, 62.
Clerichetti (Antonio), I, 123.
Clet, cousin de Stendhal, I, 309.
Cochet (Mlle), I, 160, 162.
Coissi, I, 204.
Collé, II, 152.
Colomb, cousin de Stendhal, I, 289.
Colomb (Mme) femme du précédent, I, 138, 139, 178,
181, 261, 262.
Colomb (Romain), fils des précédents, ami de Stendhal,
I, 22, 84, 121, 167, 168, 193, 227, 230, 289;
II, 21, 45, 46, 48, 50, 135.
Condillac, I, 239, 249.
Condorcet, II, 114.
Condorcet (Mme), femme du précédent. Voyez: Grouchy (Sophie).
Constantin (Abraham), peintre, I, 27; II, 102.
Corbeau (de), I, 161, 162, 165.
Corday (Charlotte), I, 222.
Corneille, II, 8, 19, 26, 133, 136, 152.
Cornélius Nepos, I, 122.
Corner (André), II, 32.
Corrège, II, 25.
Courchamp, II, 4.
Courier (Paul-Louis), I, 255.
Court de Gebelin, I, 131.
Couturier, I, 250.
Crobras (l'abbé), I, 173.
Crozet (Louis), ami de Stendhal, II, 5-11, 29, 147, 148.
Cuvier (Georges, baron), I, 136, 258, 259.
D
Damoreau (Mme), II, 105.
Dante, I, 39, 90, 91, 194; II, 86, 167.
Daru (Noël), I, 5, 8, 11, 218; II, 19, 78, 79, 81,
91, 93, 94, 107, 110, 111, 112, 113, 114, 120, 122,
123, 127, 128, 134, 135, 139, 160, 161.
Daru (Mme), femme du précédent, II, 80, 108, 162.
Daru (le comte Pierre), fils des précédents, I, 11, 12,
244; II, 14, 80, 108, 121, 122, 124, 125, 128, 132,
133, 137, 139, 140, 141, 142, 143, 144, 145, 146,
157, 158, 159, 160, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 182.
Daru (Mme la comtesse), femme du précédent, I, 97, 256.
Daru (Martial), frère du comte Pierre Daru, II, 19,
80, 108, 118, 121, 140, 141, 163, 164, 166, 197, 198, 199.
Daru (Mlle Sophie), depuis Mme de Baure, I, 11; II, 80, 108.
Daru (Mlles). Voyez: Cambon (Mme); Le Brun (Mme).
Dausse, I, 254, 257; II, 70, 71.
Debelleyme, préfet de police, II, 7.
Delavigne (Casimir), II, 153.
Delécluze, I, 91; II, 120.
Delille, II, 20, 88, 133.
Del Monte (Mme), I, 59.
Dembowski (Mathilde), appelée Métilde par Stendhal,
I, 4, 15, 17, 18, 20, 173; II, 138.
Denis d'Halicarnasse, I, 220.
Des Adrets (le baron). Voyez: Adrets (le baron des).
Desfontaines (l'abbé), traducteur de Virgile, I, 98.
Destouches, I, 108.
Destutt de Tracy. Voyez: Tracy (Destutt de).
Diane (Mlle), II, 189.
Diday (Maurice), camarade de Stendhal, II, 29, 30, 31, 34, 35.
Diderot, I, 48, 215; II, 60.
Didier (Mme), cousine de Stendhal, I, 56.
Di Fiore, ami de Stendhal, I, 4, 6, 60, 148, 244; II, 33, 89.
Dijon, I, 164.
Diphortz (Mme de), I, 4.
Dittmer, II, 25.
Dolle le Jeune, I, 111.
Domeniconi, acteur italien, II, 70.
Dominiquin (le), I, 1, 250.
Donizetti, I, 265.
Dorat, I, 119, 220.
Doyat, I, 160.
Drevon, I, 111; II, 110.
Drier, cousin de Stendhal, II, 17.
Du Barry (Mme), I, 113; II, 2.
Du Bignon, I, 289.
Dubois-Fontanelle, professeur à l'Ecole centrale
de Grenoble, I, 125, 238; II, 13-17, 19, 23, 24, 25.
Dubos (l'abbé), II, 28.
Du Bouchage, I, 305.
Duchesne, II, 154.
Duchesnois (Mlle), actrice de la Comédie française, II, 10.
Duclos, I, 301; II, 5, 63, 74, 109, 152.
Ducros (le Père), bibliothécaire de la ville de Grenoble,
I, 25, 29, 61, 190, 14-219, 305; II, 17.
Dufay. Voyez: Grand-Dufay.
Dufour (le colonel), II, 185.
Dugazon, actrice, I, 310.
Dulauron (Mme). Voyez: Menand-Dulauron (Mme).
Dumolard (l'abbé), curé de La Tronche, I, 204-205.
Dupéron (Jeanne), grand'mère paternelle de Stendhal, I, 303.
Dupin aîné, II, 152.
Dupuy, professeur à l'Ecole centrale de Grenoble,
I, 238-239, 248-250, 255, 257, 277, 279, 280, 281, 283;
II, 35, 36, 37, 54, 55, 57, 58, 59, 60, 64, 70, 71, 72, 73.
Durand, précepteur de Stendhal, professeur à l'Ecole centrale
de Grenoble, I, 119, 121-125, 152-154, 163, 238, 241, 243;
II, 5, 67.
Duroc, duc de Frioul, 1, 13; II, 34.
Duvergier de Hauranne, II, 25.
E
Edwards (le docteur), I, 259, 290; II, 7.
Esménard, I, 8.
Euler, I, 279; II, 57.
Euripide, I, 119.
Exelmans (le maréchal), I, 244.
F
Fabien, maître d'armes à , II, 148, 153, 164.
Falcon, libraire à Grenoble, I, 192-193.
Fanchon, servante de Romain Gagnon aux Echelles, I, 158.
Faure (Félix), pair de France, ami de Stendhal,
I, 68, 129, 164, 275, 312; II, 7, 68, 91, 92, 93, 146,
147, 148, 154, 164.
Faure (Frédéric), frère du précédent, II, 91, 92.
Faure (Michel), frère des précédents, II, 91, 92.
Faure, père des précédents, I, 299.
Fauriel, I, 91,117; II, 114.
Fauriel (Mme), femme du précédent. Voyez: Grouchy (Sophie).
Festa (Mme), actrice italienne, I, 24; II, 104.
Feydeau, II, 104.
Fielding, I, 119.
Fieschi, II, 125, 153.
Fiore (di). Voyez: Di Fiore.
Fioravanti, II, 101.
Fitz-James (le duc de), II, 152.
Fleury (l'abbé), I, 120.
Florian, I, 195-196, 264; II, 20.
Foix (le duc de), II, 151.
Fontanelle. Voyez: Dubois-Fontanelle.
Fontenelle, I, 58, 60, 71, 86.
Forisse, I, 120.
Fourcroy, I, 199.
Foy (le général), I, 289; II, 6.
Français de Nantes, II, 14.
Françoise, servante des Beyle, I, 56.
Frioul (duc de). Voyez: Duroc, duc de Frioul.
G
Gagnon (Elisabeth), grand'tante de Stendhal, I, 33,
37, 44, 77, 78, 85-87, 89, 108, 112, 138, 140, 147,
148, 150, 151, 169, 178, 180, 181, 186, 187, 192,
213, 218, 223, 227, 233, 234, 261, 262, 308, 309;
II, 30, 41, 50, 64, 65, 73, 100.
Gagnon (le docteur Henri), grand-père de Stendhal,
I, 29, 33, 34-38, 54-62, 72, 74, 77, 86, 100, 134,
140, 144, 148, 168, 177, 187, 191, 198, 213, 217,
237, 241, 248, 254, 262, 298, 305; II, 13, 49, 54,
90, 100, 131, 137, 150.
Gagnon (Henriette), mère de Stendhal, I, 38-40, 57,
120; II, 99.
Gagnon (Séraphie), tante de Stendhal, I, 32, 33, 37,
39, 49, 71, 77, 78, 81, 99, 107, 112, 120, 124, 127,
130, 134, 138, 139, 140, 141, 145, 147, 148, 150,
157, 164, 168, 170, 171, 175, 176, 177, 178, 180,
185, 187, 190, 192, 195, 197, 198, 208, 209, 215,
222, 234, 235, 237, 238, 242, 248, 262, 264, 276,
299, 301, 310; II, 1, 56, 64, 65, 73, 85, 90, 109, 168,
176.
Gagnon (Romain), oncle de Stendhal, I, 35, 48-49, 51-52,
72-73, 77, 87, 135, 155-156, 162, 163, 191,
308; II, 100, 110, 126.
Gagnon (Oronce), fils du précédent, I, 35.
Galle, camarade de Stendhal, I, 300, 301, 311; II, 45.
Galle (Mme), mère du précédent, I, 300.
Gardon (l'abbé), I, 54, 141, 143-147.
Gattel (l'abbé), professeur à l'Ecole centrale de Grenoble,
I, 238, 239, 310.
Gauthier (les frères), camarades de Stendhal, I, 248; II, 18, 29.
Gaveau, I, 183, 265.
Geneviève, servante des Beyle, I, 56.
Genoude, ou de Genoude, II, 86.
Geoffrin (Mme), II, 150.
Gérard (le baron), I, 259.
Gibbon, II, 15.
Gibory, chef d'escadron, I, 269.
Giraud (Mme), tante de Mme Romain Gagnon, I, 161.
Giroud, libraire à Grenoble, I, 38.
Giroud, camarades de Stendhal, I, 277, 302.
Giulia, Giul, I, 17, 22; II, 191.
Goethe, I, 242.
Gorse ou Gosse, II, 116.
Gouvion-Saint-Cyr (le maréchal), I, 244.
Gozlan, II, 152.
Grand-Dufay, camarade de Stendhal, II, 1-3, 25, 28, 164.
Graves (la marquise de). Voyez: Le Brun (Mme).
Grétry, I, 3, 267; II, 97.
Grisheim (Mlle Mina de), I, 3, 4, 17, 21.
Gros, géomètre grenoblois, professeur de Stendhal,
I, 25; II, 65-68, 71.
Gros, peintre, I, 7.
Grouchy (Sophie), depuis Mme de Condorcet, puis Mme Fauriel,
I, 117; II, 114.
Grubillon fils, I, 160.
Guettard, minéralogiste grenoblois, I, 188.
Guilbert (Mélanie), actrice, maîtresse de Stendhal, I, 9, 17, 20, 28, 142.
Guillabert (l'abbé), I, 186.
Guise (le duc de), I, 221.
Guitri (Umbert), I, 54.
Guizot, I, 240.
Gutin, marchand de draps dauphinois, I, 201.
Guyardet, II, 194.
H
Hampden, II, 6.
Harcourt (le duc d'), II, 151.
Haxo (le général), I, 149, 189.
Hélie (l'abbé), curé de Saint-Hugues de Grenoble, I, 213.
Hélie (Ennemond), camarade de Stendhal, II, 27, 28.
Helvétius, II, 8, 9, 86, 89, 159, 190.
Herrard, I, 27.
Hippocrate, I, 113.
Hoffmann, professeur de clarinette à Grenoble, I, 274.
Holleville, professeur de violon à Grenoble, I, 274, 275.
Homère, I, 229.
Horace, I, 113, 119, 122, 187; II, 125.
Houdetot (d'), I, 164.
Hugo (Victor), II, 4.
Hume, I, 137.
Humières (le duc d'), II, 151.
I
Ingres, I, 7.
J
Jacquemont (Victor), I, 18.
Jay, peintre, professeur à l'Ecole centrale de Grenoble,
I, 238, 250, 254, 283; II, 26-29, 35, 46.
Jeki (le Père), I, 12.
Joinville (le baron), II, 143, 194.
Jomard, II, 52.
Joubert, précepteur de Stendhal, I, 38, 82, 163.
Jussieu (Adrien de), I, 26, 182, 259, 313.
Jussieu (Antoine de), I, 290.
K
Kably (Virginie), actrice, I, 4, 17, 95, 263-271, 273-274,
276, 292, 296, 299, 301; II, 53, 74, 194.
Kellermann, I, 231.
Kératry (de), I, 10.
Kersanné, II, 147.
Koreff, II, 5, 152.
L
La Bayette (de), camarad de Stendhal, I, 300, 301, 307, 311; II, 45.
La Bruyère, I, 11; II, 150, 151, 152.
Laclos (Choderlos de), I, 74.
Lacoste (de), I, 55.
Lacroix, géographe, I, 101.
La Feuillade (le duc de), II, 151.
La Fontaine, I, 288; II, 8, 99, 253.
Lagarde, II, 5.
Lagrange, II, 9, 57, 259.
Laharpe, II, 13, 14.
Laisné (le vicomte), II, 8.
Lamartine, I, 19; II, 90.
Lambert, valet de chambre d'Henri Gagnon,
I, 66, 113, 114, 139, 140, 167-173,
177, 303; II, 32.
Lamoignon, I, 64.
Lannes (le maréchal), I, 240.
La Passe (le vicomte de), I, 313.
La Peyrouse (de), II, 43.
Laplace (de), I, 258, 259; II, 9.
La Rive, acteur, I, 310.
La Rochefoucauld (le duc de), II, 151.
La Rocheguyon (le duc de), II, 151.
Lasalle (le général), I, 244.
La Valette (de), II, 42.
La Valette (Mme), II, 165.
La Valette (Mlle de), I, 28.
La Vallière (Mlle de), II, 136.
Le Brun (Mme), fille de Noël Daru, depuis marquise de Graves,
I, 11; II, 80, 81, 108, 111, 117.
Le Brun (Mlle Pulchérie), fille de la précédente, depuis
marquise de Brossard, II, 81, 108.
Lefèvre, perruquier à Grenoble, I, 62, 104.
Legendre, I, 259.
Léger, tailleur à Paris, I, 22.
Léopold de Syracuse, prince de Naples, I, 313.
Lerminier, I, 190.
Le Roy, professeur de peinture de Stendhal à Grenoble,
I, 175, 176, 177, 178, 179, 182, 183, 209,
250, 251, 266; II, 45.
Le Roy (Mme), femme du précédent, I, 176, 253.
Lesdiguières (le connétable de), I, 67, 89.
Lesdiguières (le duc de), II, 151.
Létourneau, II, 34.
Létourneau (Mme), femme du précédent. Voyez: Borel (Mlle).
Létourneau (Mlle), depuis Mme Maurice Diday, II, 34, 35.
Letourneur, traducteur de Shakespeare, I, 287; II, 9, 133.
Letronne, I, 190.
Linné, I, 190.
Lorrain (Claude), I, 62.
Louis le Gros, II, 81.
Louis XI, I, 44.
Louis XIV, I, 216, 288; II, 74, 81, 125, 136.
Louis XV, I, 113, 128, 187; II, 74.
Louis XVI, I, 113, 125, 126, 129; II, 163.
Louis XVIII, II, 64.
Louis-Philippe Ier, I, 165.
Luther (Martin), I, 34.
M
Mably, I, 70.
Machiavel, II, 8.
Macon, II, 194.
Maintenon (Mme de), II, 151.
Maistre (Mlle Thérésine de), I, 162.
Maistre (le comte Xavier de), frère de la précédente, I, 162.
Mallein (Abraham), beau-père de Zénaïde Beyle, I, 267.
Mallein (Alexandre), fils du précédent, beau-frère de Stendhal, I, 299.
Manelli, paysan italien, I, 226.
Mante, ami de Stendhal, II, 35, 36, 45, 46, 47, 50, 164.
Marcieu (de), I, 298.
Marcieu (le chevalier de), I, 111.
Marcieu (Mme de), I, 73.
Mareste (le baron Adolphe de), surnommé par Stendhal Besançon,
I, 5, 22, 121, 208; II, 33, 147.
Maria (dona), reine de Portugal, I, 128.
Marie (l'abbé), mathématicien, I, 282; II, 55.
Marie-Antoinette, II, 119, 121, 163.
Marion, servante des Gagnon. Voyez: Thomasset (Marie).
Marmont (le maréchal), duc de Raguse, II, 175.
Marmontel, I, 10, 119; II, 14, 152.
Marnais (Mmes de), I, 37.
Marot (Clément), I, 215.
Marquis, camarade de Stendhal, II, 17.
Martin, II, 52.
Martin (Joséphine), cousine de Stendhal, I, 207.
Martin (Mme), I, 269.
Masséna (le maréchal), II, 134.
Massillon, I, 103, 137.
Mathis (le colonel), I, 121, 244.
Maupeou (de), I, 259.
Maximilien-Joseph, roi de Bavière, II, 14.
Mayousse, paysan de Claix, I, 201.
Mazoyer, commis au ministère de la Guerre, II, 129, 132, 133, 138.
Meffrey (le comte de), I, 256; II, 33.
Menand-Dulauron (Mme), I, 73, 111.
Mengs, II, 181.
Menti, Menta (Clémentine), I, 4, 5,17, 20, 21, 289.
Mention, professeur de violon à Grenoble, I, 274; II, 97.
Mérimée (Prosper), appelé par Stendhal Clara ou Clara Gazul,
I, 299; II, 152.
Mérimée (Mme), femme du précédent, II, 162.
Merlinot, représentant du peuple, I, 133, 137.
Merteuil (Mme de). Voyez: Montmort (Mme de).
Métilde. Voyez: Dembowski (Mathilde).
Meyerbeer, II, 102.
Michaud (le général), I, 183, 244.
Michel-Ange, I, 9, 79, 250.
Michel, tailleur à Paris, I, 22.
Michoud, camarade de Stendhal, I, 311, 312; II, 45.
Mignet, I, 129; II, 161.
Milai (Bianca), I, 228.
Mirabaud, traducteur de l'Arioste, I, 163.
Milne-Edwards, I, 259.
Ming, II, 52.
Mirepoix (Mme de), II, 150.
Molé, ministre des Affaires étrangères en 1830, I, 16; II, 152.
Molière, I, 11, 108, 109, 192, 227; II, 19, 112, 148, 175, 178.
Moncey (le maréchal), duc de Conegliano, I, 110, 244.
Moncrif, II, 105.
Monge, II, 9.
Monge (Louis), frère du précédent, II, 61, 69.
Montaigne, I, 12.
Montesquieu, I, 7, 20, 70, 167, 212, 220; II, 9, 150.
Montesquiou (le général), I, 157, 160.
Montfort (le duc de), II, 151.
Montmort (Mme Duchamps de), I, 74, 75, 111: II, 110.
Monval (les frères de), camarades de Stendhal,
I, 26, 255, 257, 279; II, 28, 35, 50, 86, 87.
Moore (Thomas), I, 8.
Morard de Galles (l'amiral), I, 301.
Moreau le Jeune, I, 250.
Morey, II, 147.
Morgan (lady), I, 18.
Morlon (le Père), I, 287.
Moulezin, camarade de Stendhal, I, 251; II. 28.
Mounier, marchand de drap à Grenoble, I, 68, 69.
Mounier, fils du précédent, conventionnel, préfet de Rennes, I, 67, 68.
Mounier (Edouard), fils du précédent, I, 67, 68; II, 62.
Mounier (Victorine), sœur du précédent, I, 67; II, 34.
Mozart, 1, 171; II, 100, 101, 102.
Muller, graveur, II, 181,
Munichhausen (le grand chambellan de), II, 154.
Murat, roi de Naples, I, 63.
N
Napoléon Ier, I, 10, 13, 15, 28, 164, 243, 244, 258, 269,
304; II, 61, 69, 74, 125, 139, 144, 145, 153, 161,
166, 190, 191.
Navizet, entrepreneur de chamoiserie à Grenoble, I, 218.
Naytall (le chevalier), II, 1.
Nelson (l'amiral), I, 244.
Ney (le maréchal), II, 160.
Nicolas (l'empereur), I, 115.
Nivernais (le duc de), II, 152.
Nodier (Charles), II, 99, 152.
Numa Pompilius, I, 113.
O
Odru, camarade de Stendhal, I, 248, 276; II, 28-32.
Olivier (le général), II, 140.
Orbane (Barthélemy d'). Voyez: Barthélemy d'Orbane.
Ornisse (? la comtesse), II, 111.
Ossian, II, 25.
Ovide, I, 124, 185; II, 15.
P
Paisiello, II, 97, 101.
Pajou, I, 250.
Panseron, II, 105.
Pariset, I, 271; II, 5.
Parny, II, 14.
Pascal (César), II, 153, 154.
Passe (le vicomte de la). Voyez: La Passe (le vicomte de).
Pasta (Mme), actrice, II, 24, 67.
Pastoret (de), II, 153.
Penet, camarade de Stendhal, II, 18.
Pépin de Bellile, I, 92.
Périer (Claude), dit milord, I, 83, 292; II, 150, 154.
Périer (Amédée), fils du précédent, I, 83.
Périer (Augustin), frère du précédent, I, 83.
Périer (Camille), frère des précédents, I, 83.
Périer (Joseph), frère des précédents, I, 83.
Périer (Casimir), ministre, frère des précédents, I, 68,
83, 292; II, 149, 153, 154, 155.
Périer (Scipion), frère des précédents, I, 83; II, 155.
Périer (Elisabeth-Joséphine), depuis Mme Savoye de
Rollin, sœur des précédents, II, 149.
Périer (Mlle Marine), depuis Mme Teisseire, sœur des
précédents, I, 97.
Périer-Lagrange, voisin des Gagnon, I, 189.
Périer-Lagrange (Mme) femme du précédent, I, 106.
Périer-Lagrange, fils des précédents, beau-frère de Stendhal, I, 24.
Perlet, publiciste à Paris, I, 151.
Perrot d'Ablancourt, I, 194.
Peroult, I, 271.
Petiet (Mme), II, 165.
Petiet (le baron Auguste), fils de la précédente, II, 126.
Petiet (Mme), femme du précédent. Voyez: Rebuffet (Adèle).
Petit (la comtesse Alexandrine), I, 16, 17, 20, 21,
23, 36, 43, 148, 173; II, 138.
Philippe-Auguste, II, 74.
Piat-Desvials (Mme), I, 111.
Picard, II, 145.
Pichegru (le général), I, 151.
Pichot (Amédée), II, 4.
Picot le père, I, 48.
Pietragrua (Angela), maîtresse de Stendhal, I, 17, 22; II, 200.
Pina (de), camarade de Stendhal, maire de Grenoble, I, 255, 257, 305.
Pinto (le commandeur), I, 16.
Pipelet (Constance), depuis princesse de Salm-Dyck, II, 122-123, 157.
Pison-Dugalland (Mme), cousine de Stendhal, I, 31, 141.
Plana, ami de Stendhal, II, 11.
Plana, pharmacien à Grenoble, II, 52.
Pline, I, 190.
Poitou (le baron), II, 135.
Poltrot de Méré, I, 221.
Poncet (Mme), mère de Mme Romain Gagnon. Voyez: Bonne (Mlle).
Poncet (Camille), femme de Romain Gagnon, I, 157, 160, 162.
Poncet (Mlle), sœur de Mme Romain Gagnon, I, 161, 162.
Poncet, menuisier à Grenoble, I, 189.
Pope, I, 117.
Portal (le docteur), II, 93, 118.
Poulet, gargotier à Grenoble, II, 49.
Poussi, I, 264.
Pozzi (Mme), I, 226.
Précy, I, 231.
Prévost (l'abbé), I, 126.
Prié, camarade de Stendhal, II, 48.
Prunelle, médecin, maire de Lyon, I, 24; II, 7.
Ptolémée, I, 100.
Pyrrhus, I, 63.
Q
Quinsonnas (de), I, 73.
Quinsonnas (Mme de), femme du précédent, II, 150.
Quinte-Curce, I, 82.
R
Racine, I, 153, 287, 288; II, 20, 129, 133, 136, 137, 138, 152.
Raillane (l'abbé), précepteur de Stendhal, I, 82-84,
91, 92, 93-101, 108, 120, 123, 203, 205; II, 149.
Raimonet, I, 249.
Raindre, II, 31, 154.
Rambault (l'abbé), I, 287.
Raphaël, I, 2, 253.
Raymond, II, 4.
Ravix (M. de), I, 55.
Rebuffet ou Rebuffel (Jean-Baptiste), neveu de Noël Daru,
I, 24; II, 79, 126, 127, 155, 163.
Rebuffet (Mme), femme du précédent, II, 126, 127, 162, 166.
Rebuffet (Mlle Adèle), fille des précédents, depuis
Mme Auguste Petiet, I, 17; II, 79, 126, 166.
Regnault de Saint-Jean-d'Angély (le comte), I, 59.
Renauldon, maire de Grenoble, gendre de Dubois-Fontanelle, II, 14.
Renauldon (Ch.), fils du précédent, II, 25.
Renault, peintre, directeur d'une académie à Paris, II, 123.
Renneville (de), I, 256.
Renneville (de), fils du précédent, camarade de Stendhal, I, 255, 256, 279.
Renouvier, prévôt d'armes à Paris, II, 153.
Revenas (l'abbé), I, 186.
Rey, I, 215.
Rey (l'abbé), grand-vicaire de Grenoble, I, 46, 47, 60.
Rey (le chanoine), I, 213.
Rey (Mlle), sœur du précédent, I, 213.
Rey, notaire, oncle de Stendhal, II, 37.
Rey (Mme), femme du précédent, II, 37.
Rey (Edouard), fils des précédents, II, 37-38.
Reybaud ou Reyboz, épicier à Grenoble, I, 137.
Reytiers, camarade de Stendhal, I, 94, 95, 98, 101, 205-206.
Richardson, I, 33.
Richebourg (le baron de). Voyez: Basset (Jean-Louis).
Richelieu (le duc de), II, 151.
Rietti (Mlle), II, 189.
Rivaut (le général), II, 154.
Rivière (Mlles), I, 111.
Roberjot, I, 125.
Robert, I, 248.
Robespierre, I, 152.
Rœderer, II, 8, 14.
Roland (Alphonse), I, 96.
Roland (Mme), I, 9; II, 40.
Rollin, I, 212, 222; II, 31.
Romagnier (M.), cousin de Stendhal, I, 232.
Romagnier (Mme), femme du précédent, I, 138, 139, 178, 261, 262.
Romulus, I, 113.
Rosset, appelé aussi Sorel par Stendhal, II, 73, 74, 77, 91.
Rosset (Mme), femme du précédent, II, 163.
Rossini, II, 4, 98, 102, 203.
Rouget de Lisle, II, 100.
Rousseau (Jean-Jacques), I, 12, 79, 97, 158, 159,
283, 288; II, 16, 18, 19, 39, 127, 167, 171, 176,
179, 183, 193.
Roy (Mme), I, 183.
Royaumont, I, 220.
Royer (Louis), II, 30.
Royer gros-bec, II, 33.
Rubempré (Alberthe de), maîtresse de Stendhal, I, 17, 20, 22, 38.
Rubichon, I, 214.
S
Sacy (Silvestre de), I, 137.
Sadin (l'abbé), curé de Saint-Louis de Grenoble, I, 213.
Saint-Ferréol (de), camarade de Stendhal, I, 25,
29, 67, 248, 305; II, 35.
Saint-Germain (Mme), sœur de Barnave, I, 69.
Saint-Marc Girardin, I, 271.
Saint-Priest (de), intendant du Languedoc, II, 78.
Saint-Simon, I, 212; II, 53, 63, 110, 125, 151, 164.
Saint-Vallier (de), I, 305.
Saint-Vallier (le sénateur, comte de), I, 74.
Saint-Vallier (Mlle Bonne de), I, 28, 305.
Sainte-Aulaire, II, 152.
Salluste, I, 243.
Salm-Dyck (prince de), II, 123.
Salm-Dyck (princesse de), femme du précédent.
Voyez: Pipelet (Constance).
Salvandy (de), I, 8, 190, 242, 310.
Sandre (la comtesse), II, 1.
Santeuil, I, 220.
Sassenage (Mme de), I, 73, 298; II, 150.
Savoye de Rollin (le baron), II, 149.
Savoye de Rollin (Mme), femme du précédent.
Voyez: Périer (Elisabeth-Joséphine).
Say (Jean-Baptiste), I, 12; II, 9.
Schiller, I, 242.
Scott (Walter), I, 20; II, 39, 134.
Sébastiani (le général), I, 64, 245.
Senterre, cousin de Stendhal, I, 114, 149-152, 231.
Shakespeare, I, 287, 288, 289; II, 8, 9, 19, 23, 24,
53, 111, 133, 134, 138, 190.
Sharpe (Sutton). Voyez: Sutton Sharpe.
Sieyès (l'abbé), II, 21.
Simon (Mlle), I, 112.
Sinard (de), camarade de
Stendhal, I, 25, 26, 29, 67, 256, 305; II, 35, 36. 87.
Sixte IV, pape, I, 9.
Smith (Adam), II, 9.
Smith, physicien, I, 222.
Smolett, I, 137.
Sophocle, I, 119; II, 25.
Sorel (M. et Mme). Voyez: Rosset.
Soulié, II, 4.
Soult (le maréchal), I, 240.
Suchet (le maréchal), I, 244.
Suétone, I, 220.
Sutton Sharpe, ami de Stendhal, I, 258.
T
Tachinardi, I, 24.
Tacite, I, 276.
Talaru (Mme de), II, 152.
Talleyrand (le prince de), I, 49.
Tasse (le), I, 229; II, 88, 89, 90.
Tavernier (Lysimaque), chancelier du consulat de
France à Cività-Vecchia, I, 59.
Teisseire, I, 40.
Teisseire (Camille), I, 97.
Teisseire (Mme Camille), femme du précédent.
Voyez: Périer (Marine).
Teisseire (Mme), I, 34.
Teisseire (Paul-Emile), camarade de Stendhal,
I, 280-281; II, 17, 18, 58.
Ternaux, II, 21.
Terrasson (l'abbé), I, 190.
Thénard, II, 9.
Thierry (Augustin), I, 117.
Thiers, I, 164; II, 152, 161.
Thomas, I, 164.
Thomasset (Marie), dite Marion, servante des Gagnon,
I, 45, 46, 50, 113, 139, 140, 149, 177, 178, 234; II, 63, 65.
Thucydide, I, 148; II, 33.
Tiarini, II, 35.
Tite-Live, I, 2, 146, 220.
Toldi (Mme), actrice, I, 313.
Torrigiani (le marquis), I, 226.
Tortelebeau, II, 18, 57.
Tournus, I, 72, 111.
Tourte, maître d'écriture de Pauline Beyle, I, 72, 144-145, 146-147, 152.
Tourte (l'abbé), frère du précédent, I, 152.
Tracy (Destutt de), I, 12, 27, 106, 131, 237, 239, 303, 304;
II, 2, 8, 18, 24, 60, 67, 170.
Treillard, camarade de Stendhal, II, 46, 47, 50, 51.
Tressan (de), traducteur de l'Arioste, I, 109, 153, 188; II, 133.
Trousset, professeur à l'Ecole centrale de Grenoble, I, 238.
Turenne (de), I, 11.
Turquin, II, 153.
U
Urbain VIII, pape, I, 17.
V
Vasari, I, 61.
Vaucanson, I, 55.
Vaudreuil (de), II, 152.
Vaulserre (de), I, 256.
Vaulserre (Mme de), femme du précédent, I, 28, 55, 305.
Vaulserre (Mlle de), depuis Mme de Brenier, I, 48.
Vaux (le maréchal de), I, 65-67.
Vial (Jean), jardinier des Beyle à Claix, I, 201.
Vigano, I, 213.
Vignon (Mme), amie de Séraphie Gagnon, I, 138,
177, 197, 198; II, 56.
Vignon (Mlle), fille de la précédente, I, 198.
Villars (le duc de), II, 151.
Villèle (de), I, 33.
Villemain, I, 269; II, 20, 152, 153, 203.
Villonne, professeur de dessin à Grenoble, I, 250, 253.
Virgile, I, 97, 98, 122, 229; II, 132.
Voltaire, I, 34, 97, 105, 113, 187, 190, 213, 215,
227, 304; II, 15, 16, 19, 23, 26, 33, 122, 133, 134,
137, 151, 152.
W
Weymar (Loïs), I, 233; II, 20.