The Project Gutenberg eBook of Constantinople de Byzance à  Stamboul. This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this ebook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook. Title: Constantinople de Byzance à  Stamboul. Author: Celâl Esad Arseven Release date: September 10, 2021 [eBook #66261] Most recently updated: October 18, 2024 Language: French Credits: Turgut Dincer, Hans Pieterse and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This book was produced from images made available by the HathiTrust Digital Library.) *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CONSTANTINOPLE DE BYZANCE À  STAMBOUL. *** Au lecteur: L'orthographe d'origine a été conservée telle quelle en général, mais les erreurs typographiques évidentes ont été corrigées. La liste de ces corrections se trouve à la fin du texte. La ponctuation a fait l'objet de quelques corrections mineures. Le texte en gras est représenté =en gras=, le texte en italiques _en italiques_. Ce livre contient quelques citations en arabe et en grec. Pour les afficher correctement votre appareil doit disposer des polices nécessaires. Pour voir correctement les tableaux à la fin du livre il convient d'utiliser une police monospace. CONSTANTINOPLE DE BYZANCE A STAMBOUL LES ÉTUDES D’ART A L’ÉTRANGER _Collection de Volumes in-8º raisin illustrés._ _Déjà parus_: =Saint François d’Assise et les origines de l’Art de la Renaissance en Italie=, par Henry THODE. Traduit de l’allemand par Gaston LEFÈVRE. 2 volumes illustrés de 64 planches hors texte. =L’Art Chinois=, par S. W. BUSHELL. Traduit de l’anglais par H. d’ARDENNE DE TIZAC, conservateur du Musée Cernuschi. 1 vol. illustré de 208 planches hors texte. =Constantinople=, De Byzance à Stamboul, par DJELAL ESSAD. Traduit du turc par l’auteur, 1 vol. illustré de 56 planches hors texte. [Illustration: CONSTANTINOPLE.] DJELAL ESSAD CONSTANTINOPLE DE BYZANCE A STAMBOUL TRADUIT DU TURC PAR L’AUTEUR _Préface de M. CHARLES DIEHL_ Professeur à l’Université de Paris. Ouvrage illustré de 56 planches hors texte. PARIS LIBRAIRIE RENOUARD, H. LAURENS, ÉDITEUR 6, RUE DE TOURNON, 6 1909 A MON AMI SÉLAH DJIMDJOZ PRÉFACE _On a beaucoup écrit sur Constantinople: des livres brillants, exquis parfois, le plus souvent un peu sommaires, et des ouvrages d’érudition austère, peu accessibles, souvent rebutants pour les profanes. Le livre de Djelal Essad bey tient le milieu entre ces deux sortes d’ouvrages. C’est ce qui fait son intérêt, son utilité et, en une certaine manière, sa nouveauté._ _Djelal Essad bey n’est point un savant de profession. Né d’une grande famille musulmane, il a commencé sa carrière dans l’armée; mais il avait dès ce moment le goût des études d’art, la curiosité des monuments du passé. Dessinateur élégant, architecte habile, il fut chargé, à ce titre, de préparer, pour l’Exposition de Saint-Louis, les plans du pavillon ottoman. La révolution de 1908 lui permit de se donner plus pleinement encore aux choses intellectuelles. Il dirige aujourd’hui, à Constantinople, le journal_ le Kalem. _Mais si Djelal Essad bey ne prétend pas à être un érudit professionnel, il est, du moins, fort exactement informé de l’érudition d’autrui. Son livre est une mise au point tout à fait intelligente et instructive des résultats essentiels auxquels, depuis cinquante ans, la science est parvenue dans le domaine des choses de Byzance. Et, sans doute, on pourra regretter que l’auteur, né musulman, n’ait point mis davantage à profit, pour des recherches vraiment personnelles, les facilités qu’il eût trouvées à étudier de près et à fond certains monuments souvent malaisément accessibles à d’autres. C’eût été, par exemple, une tâche singulièrement intéressante de relever, dans le dédale des maisons turques qui avoisinent la mosquée d’Ahmed, ce qui peut subsister encore des ruines du grand palais impérial, et il eût valu la peine, ne fût-ce que par quelques sondages, d’entreprendre quelques-unes des fouilles que Djelal Essad bey signale en passant à notre attention. Mais ce n’était point là l’objet que se proposait l’auteur._ _Résumer exactement, classer ingénieusement les informations scientifiques relatives à l’antique Byzance,--dresser, plus complètement que ne l’avait fait Mordtmann, la carte monumentale de l’ancienne capitale des_ basileis,--_la faire revivre enfin à nos yeux dans son pittoresque détail et son infinie variété, voilà ce que Djelal Essad bey a voulu faire, et ce qu’il a fait non sans succès. Assurément--et l’auteur le sait aussi bien que moi--il subsiste dans ce livre certaines imperfections, certaines inexpériences, quelques lacunes et quelques erreurs, et on sera tenté, en Occident, de sourire de certaines préoccupations d’un nationalisme un peu bien ardent. Il n’importe. En toute sincérité, on peut et on doit dire que Djelal Essad bey a réussi dans la tâche qu’il s’était donnée. Sans doute, le spécialiste retrouvera dans son livre bien des choses qu’il sait déjà; mais les lecteurs moins initiés--et c’est la majorité, je pense--y apprendront infiniment sur la topographie si difficile et sur les monuments de l’antique Byzance._ _Ce n’est pas tout. Fort informé des choses musulmanes, très au courant de l’architecture ottomane, Djelal Essad bey, après les édifices de la capitale byzantine, a décrit attentivement ceux de la capitale turque, et ici il a trouvé l’occasion de faire œuvre plus personnelle et plus originale. Toute cette seconde partie de l’ouvrage est plus et mieux qu’un résumé d’informations empruntées d’ailleurs. Et si l’on songe qu’avant la révolution de 1908, de telles recherches n’étaient ni fort bien vues ni fort encouragées, on appréciera tout ce qu’il a fallu d’efforts, tout ce qu’il a coûté de difficultés pour faire ces descriptions précises des édifices, pour rassembler ces informations souvent inédites sur l’œuvre des grands architectes ottomans, pour présenter le tableau exact et précis des monuments divers de Stamboul._ _Jusqu’ici, les savants grecs de Constantinople et les savants d’Occident, Français et Russes, Allemands et Anglais, semblaient s’être réservé le monopole des recherches sur l’ancienne Constantinople. Il est intéressant de voir un Ottoman faire à son tour une place à son pays dans ces études, comme Hamdy-bey la lui a faite, voilà longtemps déjà, dans le domaine de l’archéologie classique. Et il ne me déplaît point, je l’avoue, que cette fois encore cet effort intellectuel s’exprime en notre langue. L’auteur a lui-même traduit l’original turc en français: le lecteur appréciera à leur valeur, je pense, les sérieuses qualités de cette traduction. Il saura surtout gré, je l’espère à Djelal Essad bey de nous avoir donné--ce qui nous manquait sur Constantinople--un livre bien informé, clair, exact, suffisamment lisible, qui est plus qu’un simple guide, mais que n’encombre point non plus un inutile appareil d’érudition, et où revivent, dans leur double et magnifique développement historique, les splendeurs de Byzance chrétienne et les merveilles de la musulmane Stamboul._ _CH. DIEHL._ Prinkipo, le 1er août 1907. Cher Ami, C’est avec une véritable admiration que je viens de parcourir votre travail monumental sur Constantinople, qui comble une lacune trop longtemps ressentie. Depuis Hammer et Scarlatos Byzantios, depuis un siècle et demi, personne n’avait osé entreprendre un travail aussi complet, embrassant la période byzantine et les quatre siècles suivants. Pendant les dernières années, la topographie byzantine et les monuments encore debout ont été étudiés à fond par un grand nombre de savants, qui ont changé complètement l’aspect de cette branche. Mais l’étude des monuments si importants, élevés pendant les cinq derniers siècles a enfin rempli les lacunes laissées par Hammer et Scarlatos. Dans votre travail, vous résumez d’abord les résultats des explorations sur l’époque antérieure du XVe siècle. Vous donnez ensuite une description complète et compétente ainsi que l’histoire exacte des monuments ottomans, objets d’une admiration générale. Vous avez le mérite de nous présenter un ensemble de renseignements précieux et correspondant à l’intérêt toujours croissant pour l’art ottoman. Veuillez agréer mes remerciements chaleureux et mes félicitations pour votre œuvre: _exegisti monumentum aere perennius_. Dr MORDTMANN. [Illustration: Pl. 1. PANORAMA DE CONSTANTINOPLE (Entrée de la Corne d’Or).] [Illustration: Pl. 2. PANORAMA DE CONSTANTINOPLE.--(Suite.)] CONSTANTINOPLE PREMIÈRE PARTIE A TRAVERS BYZANCE CHAPITRE PREMIER PRÉCIS HISTORIQUE I.--L’HISTOIRE DE LA VILLE JUSQU’A LA CONQUÊTE TURQUE Byzance[1], capitale célèbre dans l’histoire autant qu’Athènes et Rome, s’élève sur les hauteurs qui s’étendent entre la Corne d’Or, la Propontide et le Bosphore. [1] Byzance a porté successivement les noms de Byzantion, Nova Roma, Constantinopolis, qui furent adoptés par les Grecs. Les Arabes l’ont nommée _Constantinié_ ou _Farouk_ et les Turcs l’ont appelée _Islamboul Dersaadet_, _Deralié_, mais généralement on la nomme _Stamboul_, d’après l’appellation grecque _Stin Polin_, en ville. Le nom d’Islambol a figuré assez longtemps sur les monnaies turques. Le mot Bosphore dérive des mots grecs (βοῦς, bœuf, πόρος, passage); d’après la mythologie grecque, ce détroit aurait été traversé à la nage par Jo, fille d’Inachus, premier roi d’Argos, que Jupiter avait changée en génisse et qui avait été confiée à la garde d’Argos par Junon. Le Bosphore réunit la mer Noire (Pont-Euxin)[2] à la mer de Marmara (Propontide). Avec ses rives et ses collines pittoresques, il donne à la ville un charme caractéristique, qui en fait une des plus belles cités du monde. [2] Les Phéniciens l’appelaient _Achkenas_, qui signifiait mer du Nord. Les Grecs ont changé cette appellation en Euxinos, qui veut dire hospitalier, quoique la mer Noire ait toujours été une mer hostile aux navigateurs. Il faut donc prendre cette appellation au sens euphémique du mot. La mer Noire était considérée par les Phéniciens comme un abîme de mort. Le petit village qui se trouve à l’embouchure de cette mer était appelé par les Phéniciens Charybdis (la porte de la mort). Son nom actuel de Garibtché provient peut-être de ce mot phénicien. D’après l’opinion des anciens, le détroit du Bosphore et celui des Dardanelles auraient été ouverts par un cataclysme, probablement au temps du déluge de Deucalion, roi de Thessalie, fils de Prométhée et de Pandore. C’est le Noë de la mythologie, comme on sait, qui, seul avec sa femme Pyrrha, aurait échappé au déluge et repeuplé la terre en jetant des pierres qui se transformèrent en hommes et en femmes. Ses nombreux bassins, ses promontoires qui correspondent exactement à ceux de la rive opposée, les couches de terrains des deux rives qui coïncident parfaitement, sembleraient confirmer la tradition antique d’après laquelle la mer Noire et l’Archipel n’auraient eu, dans les temps préhistoriques, aucune communication entre eux. Les terrains et les rochers qui se trouvent dans le Haut-Bosphore, tendent à prouver d’autre part que le Bosphore a été creusé par une éruption volcanique. On rencontre, surtout à l’entrée de la mer Noire, des colonnes basaltiques et des cavernes qui ressemblent aux ruines d’un immense château. Dans le Bosphore, les courants sont très violents et les eaux, rejetées d’une rive à l’autre, viennent se briser sur la pointe du Seraï qui les partage en deux. La longueur du Bosphore est d’environ 27 kilomètres. La partie la plus étroite a 550 mètres, et la partie la plus large n’a que 3.000 mètres. Le nom ancien de Corne d’Or (Chrysos-or, Keras-corne) provient de sa forme qui est celle d’une corne d’abondance. La Corne d’Or a environ 11 kilomètres de longueur, une largeur moyenne de 450 mètres, et une profondeur maxima de 45 mètres. Ses rives ne sont pas aussi découpées que celles du Bosphore. Elles forment un port immense, très favorable au mouillage des plus grands navires et un asile absolument sûr pour les petites embarcations. Ce sont les avantages de cette situation qui ont toujours attiré l’attention des peuples sur la ville de Byzance. Byzance a été habitée dès les temps préhistoriques[3]. Les Thraces y avaient une ville bien avant la fondation attribuée aux Mégariens; les Phéniciens fondèrent un comptoir à _Moda_ près de Chalcédoine (_Kadikeui_)[4], village situé en face de Byzance sur la côte asiatique. Son nom de Chalcédoine provenait du mot phénicien «Khalki-Don» (nouvelle ville); elle fut appelée ensuite «Prokeratis» (avant la Corne d’Or). Elle était la capitale d’un petit État qui comprenait toute la rive asiatique du Bosphore, et elle fut occupée par l’armée de Darius. Cette capitale passa aux Romains en l’an 74 avant J.-C., mais Mithridate la leur enleva bientôt. Elle fut prise plus tard et occupée par Chosroès, roi de Perse (615 et 626 après J.-C.). [3] On a trouvé dans les environs de Constantinople, à Maltépé, à Erenkeuy et à Yarim Bourgaz des cavernes, des tumulus et des instruments en pierre remontant à l’époque préhistorique. On découvrit autrefois, sur l’acropole de la ville de Byzance, des constructions cyclopéennes appartenant au IXe siècle avant J.-C. Tout cela prouve que Byzance fut habité bien avant les Grecs. [4] Toutes les appellations données par les Turcs seront indiquées au cours de l’ouvrage en italique. _Beïkos_, village situé sur la rive asiatique du Haut-Bosphore, était déjà connu au temps des Argonautes qui allèrent conquérir la Toison d’Or en Colchide. Quant à la fondation légendaire de Byzance par les Doriens, elle remonte à l’an 658 avant J.-C. Les Mégariens, dit-on, avaient consulté l’oracle de Delphes sur l’emplacement à choisir pour une nouvelle cité. L’oracle leur avait répondu: «en face des aveugles». Alors, des colons de Mégare, dirigés par leur chef Byzas, arrivèrent au Bosphore. Byzas, en voyant Chalcédoine, leur dit que les aveugles désignés par l’oracle ne pouvaient être que les fondateurs de cette ville, puisqu’ils n’avaient pas compris les avantages de la Corne d’Or et lui avaient préféré l’endroit où s’éleva Chalcédoine. L’emplacement indiqué par l’oracle était donc la pointe du Seraï. Les colons y construisirent une ville et, du nom de leur chef Byzas, ils l’appelèrent Byzance. Mais ce récit qu’on rencontre partout ne doit être considéré que comme une légende, car les Grecs habitaient déjà cette ville vers le VIIIe siècle avant J.-C. La situation avantageuse de Byzance fut la cause d’un développement et d’une prospérité très rapides, en sorte qu’elle se plaça bientôt au même rang que les autres villes grecques. D’abord gouvernée par un roi, Byzance le fut plus tard par l’aristocratie, puis par l’oligarchie. Située sur les confins de l’Asie et de l’Europe, elle eut beaucoup à souffrir des guerres médiques, Darius, roi de Perse, au cours de son expédition contre la Grèce, franchit le Bosphore près _Anatoli-Hissar_, le point le plus rapproché entre les deux rives et où se trouvait alors un temple de Jupiter. Son armée traversa le Bosphore sur un grand pont de bateaux, et investit Byzance et ses environs. La ville fut abandonnée par ses habitants et détruite de fond en comble. Byzance ne resta que peu d’années au pouvoir des Perses; après la bataille de Platée, en 479, elle fut occupée par Pausanias, chef des Spartiates. Vers l’an 390 avant J.-C., l’oligarchie de Byzance se transforma en démocratie. A partir de cette époque, elle commença à souffrir des luttes intestines et des combats que les principaux États de la Grèce eurent à soutenir pour leur indépendance. Cimon l’Athénien enleva la ville aux Lacédémoniens, mais les Athéniens en furent bientôt chassés. Alcibiade s’en empara par la famine en 408. Mais une nouvelle victoire, remportée par le Spartiate Lysandre, rendit de nouveau Byzance aux Lacédémoniens. [Illustration: Pl. 3. LES MURS THÉODOSIENS.--Vue du côté des Sept-Tours.] Ainsi Byzance, colonie encore toute récente, aurait succombé pendant la lutte entre Athènes et Sparte, si elle n’avait pas penché tantôt vers l’une, tantôt vers l’autre de ces cités rivales. Philippe, roi de Macédoine, assiégea Byzance qui avait aidé les Périnthiens. Ceci décida les Grecs à envoyer au secours des Byzantins des troupes qui sauvèrent Byzance[5] (340). [5] Pendant le siège de Byzance par Philippe, au milieu d’une nuit obscure, la lune, si on doit croire la légende, apparut au ciel et révéla aux assiégés l’approche de l’ennemi. C’est probablement depuis lors que les Byzantins adoptèrent comme emblème le croissant. Quant aux Turcs, ils l’avaient eux-mêmes sur leurs drapeaux bien avant la conquête. A cette époque, toutes les villes de la Grèce, épuisées et ruinées par les guerres intestines, tombaient en décadence, Byzance seule conservait son antique splendeur, grâce à ses murailles et surtout à sa politique qui consistait à se ranger toujours du côté du plus fort. Pendant les guerres d’Orient, les Romains avaient déclaré la ville libre, en lui laissant ses lois et en lui assurant les territoires qu’elle possédait sur les côtes de la mer Noire. Ils se bornèrent à prélever le droit de péage que les Byzantins avaient l’habitude d’exiger de tout navire qui traversait le Bosphore. Pendant plusieurs siècles, Byzance conserva son indépendance. Lorsque l’empereur Vespasien, plaça sous sa domination les provinces d’Achaïe, de Lycie, Rhodes et Samos, Byzance aussi fut transformée en province romaine. C’est à cette époque que saint André vint à Byzance pour la propagation du christianisme, et c’est à Galata qu’il trouva ses premiers disciples. La ville garda un certain temps encore son antique prospérité; mais bientôt un nouvel état de choses vint amener sa ruine. Septime-Sévère, dans sa lutte contre Pescennius Niger, mit le siège devant Byzance. Ce siège qui resta mémorable dans l’histoire, dura trois années. Les assiégés, réduits à la famine, se nourrissaient de rats, de chats et même de la chair des morts. Les femmes coupèrent leurs cheveux pour que l’on en fit des cordes à arc. Malgré ses murailles imprenables, la ville céda pourtant aux horreurs de la famine et se rendit. Septime fit mettre à mort les défenseurs et retira à Byzance le droit de cité pour la punir d’avoir soutenu son rival; il fit raser ses murailles, sans songer qu’il ruinait ainsi le plus fort rempart de l’Empire contre les Barbares de l’Asie. Pourtant Septime se repentit bientôt d’avoir détruit Byzance, et sur les prières de son fils Caracalla, se décida à la restaurer. On éleva dans la ville des bains, des portiques, des palais. En ce temps-là, Byzance s’appelait Antonion, nom qui lui venait d’Antonin, père adoptif de Marc-Aurèle[6]. [6] Le musée de Constantinople possède des fragments de briques portant l’inscription d’Antoninia. Entre tous les empereurs romains qui s’efforcèrent d’effacer les traces des ravages dont Byzance avait souffert, et qui cherchèrent à relever la ville de ses ruines, Constantin le Grand fut celui qui parvint à lui donner la splendeur rêvée par ses prédécesseurs. Resté seul maître de l’Orient et de l’Occident, Constantin accorda aux chrétiens la liberté religieuse, tout en évitant de persécuter les païens. Il réunit le premier concile de Nicée (_Isnik_) où l’hérésie d’Arius fut condamnée et le repos du dimanche proclamé obligatoire. Mais avec le gouvernement de Constantin s’accentue le régime monarchique et despotique, jadis contrebalancé par les anciennes institutions de Rome, qui gênaient souvent l’action de l’empereur. Constantin, sur les accusations calomnieuses de sa seconde femme, Fausta, fille de Maximien, avait ordonné la mort de son propre fils Crispus, né d’une première femme, et celle de Licinius, jeune enfant de douze ans, fils de sa sœur. Ses propres remords et la vive douleur de sa mère Hélène l’éclairèrent sur la faute qu’il avait commise; il découvrit alors les calomnies de Fausta, et la condamna à périr noyée dans un bain d’eau bouillante. Beaucoup d’autres personnages de la cour subirent le même genre de supplice. Une grande terreur régna dans le peuple, qui redoutait de voir réapparaître l’ancienne tyrannie. Tous ces événements devaient hâter l’exécution d’un projet que l’Empereur caressait depuis quelque temps: la création d’une nouvelle capitale. Les tentatives continuelles des Barbares sur les frontières, tentatives que l’on ne pouvait facilement surveiller de Rome, rendaient nécessaire la création de cette capitale. D’autre part, l’Église catholique ayant, malgré tous les efforts des empereurs romains, établi son siège à Rome, il n’y avait, pour ainsi dire, plus de place dans cette ville pour la Majesté Impériale. C’est surtout cette dernière raison qui détermina Constantin à fonder une nouvelle capitale; depuis le règne de Caracalla d’ailleurs, les empereurs romains avaient la coutume d’établir leur résidence où bon leur semblait. La nouvelle capitale devait répondre à de nombreuses exigences. Il la fallait assez éloignée pour qu’elle fût à l’écart des événements intérieurs de l’empire romain, et qu’elle fût cependant abritée contre les invasions des Barbares. L’empereur, désireux de réaliser les vœux des Romains, choisit d’abord l’emplacement de l’ancienne Ilion, patrie des premiers fondateurs de Rome et que son peuple avait maintes fois essayé de réédifier. Toutefois les Romains, opposés à ce que l’Empereur y fixât sa résidence au détriment de Rome, témoignèrent leur mécontentement. C’est pourquoi Constantin décida de ne pas reconstruire l’ancienne ville et choisit Byzance qui, par sa situation privilégiée, son commerce, la fertilité de son sol, ses pêcheries abondantes, répondait à toutes les exigences d’une capitale. Byzance, avec ses sept collines, ressemblait beaucoup à Rome. L’Empereur fit élever des murailles autour de cinq collines; puis, à l’intérieur, il bâtit des palais, des églises, des thermes, des aqueducs, des fontaines, un forum, un augustéon, deux grands édifices pour le Sénat, deux palais pour le trésor, et une rue principale, ornée de portiques, qu’on appela la Mésè. Toutes ces constructions coûtèrent des sommes énormes à l’Empire, et comme elles avaient été faites à la hâte, on eut beaucoup de peine par la suite à empêcher leur écroulement. Pour orner la nouvelle ville, il fallut dépouiller les plus précieux monuments de la Grèce et de l’Asie, tels que les anciens temples de Diane, de Vénus et d’Hécate. Constantin avait obligé les citoyens romains qui possédaient des biens en Asie, à venir habiter Byzance, sous peine de ne plus pouvoir disposer de leurs propriétés. De grands avantages furent promis à ceux qui viendraient peupler la nouvelle capitale. Le jour de la dédicace de la nouvelle cité (330), un édit gravé sur une colonne de marbre lui donna le nom de nouvelle Rome. Depuis cette date mémorable, chaque année, le 11 mai, on célébra la fête dite de _Nea Roma_. Toutefois le nom plus flatteur pour Constantin de Constantinopolis (ville de Constantin) figura bientôt sur les médailles. [Illustration: Pl. 4. RUINES DU PALAIS DE JUSTINIEN. CHATEAU DES SEPT-TOURS.--Escalier conduisant aux remparts.] Constantin gouverna son empire avec une grande largeur de vues, mais sa gloire a été ternie par les cruautés qu’il a commises, et qui ont inspiré des doutes sur la sincérité de sa conversion au christianisme. Néanmoins, et en raison des services qu’il rendit à la religion chrétienne, il fut surnommé le Grand. L’empire de Byzance ne prit sa physionomie propre qu’après la mort de Théodose dit le Grand. Théodose en mourant, avait partagé l’Empire entre ses deux fils, Honorius et Arcadius, qui devinrent l’un empereur d’Occident, l’autre empereur d’Orient (395). Ainsi le monde romain fut divisé en deux, bien qu’il continuât à ne former politiquement et moralement qu’un seul empire. Byzance ne se trouvait pas sur la route des Barbares d’Occident, elle possédait en outre des murailles puissantes. Son existence fut donc plus facile et plus longue que celle de Rome, bien que son histoire soit remplie par les querelles religieuses, les intrigues de cour, les troubles de l’hippodrome, et les tristes souvenirs de la dépravation de ses mœurs. Byzance fut le siège d’une civilisation qui remplit la moitié de l’histoire du moyen âge et qui a répandu de vives lumières sur les peuples voisins. Le règne de Justinien (527-565) fut pour la capitale une période d’extraordinaire splendeur. Après les ruines causées par la sédition Nika (532), l’empereur rebâtit la ville avec une prodigieuse magnificence, et les grandes églises de Sainte-Sophie et des Saints-Apôtres montrent, entre bien d’autres édifices, le développement somptueux de l’art byzantin. A l’époque de la dynastie macédonienne, Constantinople n’était pas moins prospère. Ses monuments, ses palais, et surtout ses cérémonies grandioses en faisaient alors la première ville du monde. Un grand mouvement littéraire et scientifique animait l’Université de la capitale. De toutes parts, la jeunesse y accourait pour s’instruire. On y trouvait tous les manuscrits de l’ancienne Grèce. Il est évident que, sans Byzance, nous ne posséderions rien des manuscrits et des œuvres de la Grèce antique. L’art byzantin rayonnait sur tout l’Orient et l’Occident. Autour de l’empereur Constantin Porphyrogénète, qui était lui-même un artiste, les peintres, les architectes, les sculpteurs, les hommes de lettres se groupaient pour ajouter à la beauté de la ville et enrichir les bibliothèques. La savante diplomatie des empereurs Comnènes fit plus tard de Byzance le centre de la politique européenne et asiatique. Mais elle ne suffit pas à enrayer la décadence qu’amenaient les troubles intérieurs, la corruption des mœurs et la misère économique dont souffrait l’Empire par suite de l’exploitation commerciale étrangère et des folles dépenses de la cour. A tous ces malheurs, s’ajoutaient les discordes religieuses qui séparaient les Grecs et les Latins et qui préparèrent la chute de l’Empire. En France, un saint homme, appelé Foulque de Neuilly, avait avec l’autorisation du pape Innocent III, prêché une quatrième croisade. Plusieurs comtes et barons formèrent une armée de croisés et envoyèrent des messagers à Venise pour prier cette république de leur prêter le secours de ses vaisseaux. Un traité fut signé entre l’armée des croisés et les Vénitiens. Le doge de Venise, Dandolo, âgé de quatre-vingt-dix ans, entreprit lui-même la croisade. A cette époque, régnait à Byzance l’empereur Alexis, qui avait détrôné son frère Isaac, lui avait fait crever les yeux et l’avait jeté en prison avec son fils Alexis le Jeune. Ce dernier parvint à s’échapper, alla trouver le roi des Romains, Philippe de Souabe, qui avait épousé sa sœur et le décida à envoyer des messagers à Venise avec mission de détourner les efforts des croisés sur Byzance. Les messagers dirent, raconte Geoffroy de Villehardouin[7]: «Puisque vous marchez pour Dieu, pour le droit et pour la justice, à ceux qui sont déshérités à tort vous devez rendre leur héritage si vous pouvez... Tout premièrement, si Dieu accorde que vous le remettiez en son héritage, il mettra tout l’empire de Romanie en l’obéissance de Rome dont il est séparé depuis longtemps. Après, il sait que vous avez dépensé tout avoir et que vous êtes pauvres, il vous donnera donc deux cent mille marcs d’argent et des vivres à tous ceux de l’armée, petits et grands.» [7] Poujoulat, _Histoire de la conquête de Constantinople_. Venise, qui s’était acquis dans l’Empire byzantin une grande situation commerciale, voulut augmenter son influence en détournant, à son avantage, cette croisade sur Byzance. Le 23 juin 1203, la flotte des croisés, forte de trois cents galères, mouillait devant Constantinople. Grâce à un incendie qui se déclara aux environs du palais, les assaillants pénétrèrent dans la ville. L’empereur Alexis prit la fuite et les Byzantins mirent sur le trône Isaac, père d’Alexis le Jeune, qui se trouvait parmi les croisés. Les Byzantins conclurent un traité avec les Latins. Ceux-ci s’établirent à _Galata_. Le jeune Alexis, couronné à Constantinople, parcourut l’Empire avec les croisés. Mais son attitude vis-à-vis de ces derniers mécontenta le peuple, qui mit Murzufle sur le trône. Isaac mourut, et le jeune Alexis ayant été étranglé, les croisés attaquèrent de nouveau la ville et s’en emparèrent (13 avril 1204). Pendant le pillage, Sainte-Sophie fut dépouillée de ses trésors, les soldats se partagèrent les pierres précieuses, et le grand rideau de l’église, qui avait coûté des sommes énormes, fut déchiré et mis en morceaux. Nicétas, un des témoins oculaires de ces événements, raconte des scènes de sauvagerie inouïe. Les images des saints furent brisés à coups de pied. Les restes de Justinien, qui reposaient depuis sept cents ans dans les caveaux de l’église des Saints-Apôtres, furent dépouillés des bijoux avec lesquels l’Empereur avait été inhumé. Les grands sarcophages de porphyre rouge ou de brèche verte furent brisés et les os des Porphyrogénètes jetés au vent. Les plus illustres monuments de l’art ancien et moderne, qui faisaient la gloire de la ville, ne trouvèrent pas grâce devant ces nouveaux Vandales. Le palais des Blaquernes fut saccagé. On peut dire que c’est durant l’occupation des Latins que l’art byzantin eut le plus à souffrir. Chaque nation eut son quartier à exploiter. On forma de vastes dépôts des objets pillés et on distribua le produit à toutes les troupes, au prorata du grade. Quant aux statues en bronze et en métal des belles époques de la Grèce et de Rome, qui avaient échappé aux tremblements de terre et aux incendies, on en fit de gros sous, _de la monnaie noire_, comme on disait alors. M. Dethier, ancien directeur du Musée impérial Ottoman à Constantinople, parlant des monuments de Byzance, écrit ce qui suit: «Les Latins, enlevèrent tous les bronzes, des statues tels que le Tetradysion et les ornements de la colonne de Justinien Ier avec tant d’autres, pour en faire frapper de la monnaie. Tout fut détruit, à l’exception des chevaux de bronze de Lysippe transportés à Venise». Le nouvel Empire latin fut partagé, suivant le système féodal, en royaumes, duchés et comtés. Venise qui avait triomphé dans cette expédition, assura partout son influence et s’établit en maîtresse dans tout un quartier de la ville. Les Grecs avaient tout de suite fondé de nouveaux États, en Morée, à Trébizonde et surtout à Nicée, et ils n’oublièrent jamais leur but principal, qui était de reconquérir leur empire. Les troubles intérieurs qu’ils fomentaient et les attaques continuelles des Bulgares épuisèrent vite l’Empire latin. Enfin Michel Paléologue VIII, qui régnait à Nicée, eut la bonne fortune de renverser l’Empire latin, de reconquérir Constantinople en 1261 et de faire revivre l’Empire grec pendant deux siècles encore. Sous le règne des Paléologues et des Cantacuzènes, malgré les efforts de quelques empereurs, l’Empire byzantin ne parvint jamais pourtant à regagner son ancienne prospérité. Une portion considérable du territoire fut perdue, car les Vénitiens avaient pris une partie des îles, les seigneurs latins une partie de la Grèce, les Bulgares une partie de la Thrace; l’Empire grec de Trébizonde détenait enfin une partie de l’Asie Mineure. Les troubles intérieurs affaiblissaient l’Empire. L’armée, composée de mercenaires étrangers, ravageait le pays; d’autre part, les colonies italiennes troublaient l’État par leurs rivalités et leurs empiétements continuels. Les controverses religieuses détournaient l’attention publique des intérêts nationaux. En 1390, Bajazet fit bloquer la ville; Byzance dut acheter la paix moyennant une redevance annuelle. C’est alors que les Turcs obtinrent le privilège d’avoir leur mosquée et leur tribunal dans la ville. En 1422, Murad II assiégea Byzance sans succès; mais bientôt, et pendant que l’Empire byzantin se débattait au milieu de ces tristes événements, les armées de Mehmet II envahirent le territoire byzantin et parvinrent jusqu’aux portes de la capitale (1453). Constantinople, depuis sa fondation jusqu’à cet événement d’une si grande importance historique, avait été assiégé vingt-neuf fois par différents ennemis: Grecs, Romains, Perses, Avares, Bulgares, Slaves, Russes, Arabes, Varègues, Latins et Turcs. Sept fois seulement au cours des siècles elle était tombée entre les mains des assiégeants. II.--MEHMET II LE CONQUÉRANT Pendant son premier règne, le sultan Mehmet n’avait pas eu l’occasion de montrer son énergie. L’opposition du peuple et de ses ministres en fut la cause. A la mort de son père (1451) il arriva à Andrinople et monta pour la deuxième fois sur le trône. Son premier soin fut de mettre à mort son jeune frère et de renvoyer dans son pays sa belle-mère, fille du roi de Serbie Georges Brancovitch. Tous les ministres qui avaient aidé Murad à monter pour la deuxième fois sur le trône tremblaient devant le nouveau Sultan, car ils craignaient son ressentiment. Mehmet ne leur ayant témoigné aucune haine, ils n’en furent que plus effrayés. Les ambassadeurs et les ministres étrangers venus pour le féliciter furent reçus très froidement. Il renouvela le traité concernant la garde du petit-fils du prince Suleiman interné chez les Byzantins et donna en paiement à l’Empereur les revenus de quelques contrées. Mehmet II eut d’abord affaire aux Caramans qui inquiétaient le pays. Il résolut donc de marcher tout de suite contre eux, et d’annexer leur État à l’empire. Le Bey de Caramanie effrayé s’enfuit à Tach-Ili, tandis que le Sultan faisait une entrée triomphale à Konia. Se voyant perdu, le bey promit obéissance au sultan et lui donna sa fille. Mais Mehmet ne laissait jamais une affaire sans qu’elle fût définitivement réglée. Il voulut imposer au vaincu des conditions plus dures. Pendant ce temps, l’empereur de Byzance avait fait demander par un ambassadeur qu’on augmentât la pension d’Orkhan, qui était toujours à Byzance. Le Sultan, indisposé par les exigences de l’Empereur, renvoya l’ambassadeur en lui répondant évasivement et donna l’ordre à l’armée de lever le camp. Lorsque l’armée fut arrivée près de Brousse, il se produisit un petit incident qui fit une profonde impression sur l’entourage du Sultan. Les janissaires arrêtèrent le Sultan, pour lui demander le don de joyeux avènement. Les pachas se montraient inquiets, mais Mehmet marcha courageusement, seul, vers les troupes, en poussant son cheval contre les janissaires qui, pour ne pas être écrasés, durent se retirer du chemin. Le Sultan manda les chefs de ce corps d’élite, et leur fit donner cent coups de bâton sur la plante des pieds. Cet acte de vigueur étonna beaucoup les pachas, qui jusqu’alors n’avaient pas eu l’occasion d’apprécier le caractère énergique du Sultan. Mehmet quitta Brousse avec toute son armée et se rendit par Ismid (Nicomédie), jusqu’au Bosphore. Là, il demanda à l’empereur Constantin Dragasès de lui céder la place de Roumili-Hissar, située en face d’Anatoli-Hissar. Cette dernière forteresse avait été élevée par le sultan Bajazet, sur les ruines d’un temple de Jupiter. L’Empereur répondit au Sultan que l’emplacement de Roumili-Hissar ne lui appartenait pas, mais était possédé par les Génois (1452). Mehmet, sans tenir compte de cette objection, fit commencer immédiatement les travaux d’un fort à _Roumili-Hissar_ par les 2.000 maçons et les 4.000 ouvriers qu’il avait amenés avec lui. En même temps, il donna l’ordre de réparer la forteresse d’_Anatoli-Hissar_. Constantin XI, prévoyant le danger qui menaçait la ville, envoya à Mehmet des ambassadeurs pour conclure un traité et lui offrir un tribut annuel. Le Sultan leur répondit froidement que son intention n’était que de barrer le Bosphore aux Génois et aux Vénitiens, qui entravaient sans cesse le passage des troupes ottomanes. «Mon père, dit-il, empêché par les Byzantins de franchir l’Hellespont pendant la campagne de Varna, avait juré d’élever une forteresse à cet endroit du Bosphore; je ne fais qu’exécuter sa volonté. Dites à l’Empereur que je ne ressemble pas à mes ancêtres, qui étaient trop faibles et que mon pouvoir atteint un degré auquel ils ne pouvaient aspirer.» Il est certain que la construction de ces forts était le pas fait pour préparer le siège de Constantinople, mais le but immédiat n’était réellement que d’assurer le libre passage des troupes ottomanes en _Roumélie_. Pendant les travaux, les champs et les jardins des environs eurent naturellement à souffrir des travaux et des pillages des soldats. Une deuxième fois, Constantin envoya des courriers pour prier le Sultan de faire cesser les ravages. Mehmet, loin de tenir compte de cette réclamation, n’arrêta rien et donna même l’ordre de faire paître les troupeaux sur les champs des Grecs. Constantin, devinant enfin les intentions du Sultan, sentit le besoin de changer de langage. Il envoya de nouveaux ambassadeurs à Mehmet en l’assurant de son amitié. En outre, l’Empereur, qui connaissait bien le faible des hauts personnages ottomans, leur faisait parvenir de nombreux cadeaux. Il gagna ainsi à sa cause Halil et Chahabuddin pachas, qui conseillèrent au Sultan de ne pas mettre le siège devant Byzance et de se contenter du tribut que lui offrait l’Empereur. Mais Mehmet, loin de les écouter, les chargea de lui trouver des hommes au courant de la topographie de la ville, de ses fortifications et de ses portes. [Illustration: Pl. 5. TOUR DE GALATA. MOSQUÉE DE TOPHANÉ.] L’Empereur, de son côté, cherchait à gagner du temps. Il espérait obtenir des secours de l’Europe, et voulait mettre la ville en état de soutenir un siège qu’il redoutait prochain. Le fort de _Roumili-Hissar_ fut terminé en quatre mois. On y avait travaillé jour et nuit. Ce fut une des forteresses les plus redoutables de l’époque. On plaça de grosses pièces de canon sur la tour la plus voisine de la mer, qu’on appela la tour de Halil Pacha. Firouz Agha fut nommé commandant de la forteresse, qui reçut une garnison de 400 janissaires. Tous les navires qui montaient ou descendaient le Bosphore furent soumis à la visite et à un droit de passage. Sfendiar bey, gendre du Sultan, à la tête d’un convoi de chevaux et de troupeaux, ravagea les champs des Grecs, près d’Epibatos, ce qui occasionna une querelle sanglante. En l’apprenant, le Sultan envoya des troupes pour châtier les Grecs. Alors les Byzantins fermèrent toutes les portes de la ville, déclarant prisonniers les Ottomans qui s’y trouvaient. L’Empereur, changeant d’attitude, alla jusqu’à menacer le Sultan de rendre la liberté à Orkhan, petit-fils de Suleiman, ce qui n’eût pas manqué de créer des troubles à l’intérieur de l’Empire ottoman. Le Sultan se montra fort irrité et somma l’Empereur de lui remettre la ville, ou sinon qu’il se préparât à la guerre pour le printemps prochain. Les mesures de Constantin étaient déjà prises et, aussitôt toutes les portes furent murées. Le fort de Roumili-Hissar (nommé fort de Bogaz Kessen) venait d’être terminé (1452). Le sultan Mehmet, partit de là le 14 août 1452 pour se rendre à Andrinople, et y terminer les préparatifs de la guerre. En route, il s’arrêta quelques jours aux environs de Constantinople pour relever lui-même le plan des fortifications. Le bey Ierbey Tourkhan fut envoyé contre Démétrius et Thomas, frères de Constantin, qui gouvernaient alors en Morée, pour les empêcher de venir au secours de Byzance. Plusieurs causes morales et religieuses militaient auprès des troupes en faveur de cette guerre. Tout d’abord, le Prophète avait prédit la prise de Constantinople. De plus, le souvenir des cruautés exercées sur les musulmans par les empereurs byzantins comme Nicéphore Phocas avait excité vivement leur désir de vengeance. Enfin les Ottomans tenaient à posséder Constantinople pour en faire la capitale du monde. A peine arrivé à Andrinople, Mehmet étudia les moyens de s’emparer le plus facilement de Byzance. Il s’entoura d’ingénieurs et d’hommes capables, se fit décrire la place, dessina lui-même le plan du siège en indiquant les points d’attaque, l’emplacement des tours mobiles, des béliers et des catapultes. Sur ces entrefaites, un Hongrois, nommé Urbain, qui avait été au service de l’empereur de Byzance et qui, mécontent de son traitement, avait quitté la ville, vint trouver le Sultan et lui proposa de fondre des canons d’une dimension colossale. Les deux premiers canons fondus par lui furent placés dans la tour de Halil Pacha à Roumili-Hissar. A cette époque, les canons étaient encore très primitifs, car il y avait à peine un siècle qu’on les avait inventés. Les premiers coups de ces canons furent tirés sur un navire vénitien qui voulait forcer le passage du Bosphore. Ce navire était commandé par un capitaine nommé Ricci; il fut coulé immédiatement. Encouragé par ce succès, le Sultan fit fondre des canons plus forts qui lançaient des boulets de pierre de 600 kilogrammes à un mille de distance. L’armée marcha sur Constantinople (février 1453) au son des tambourins et des grosses caisses. Le grand canon était tiré par 50 couples de bœufs; il fallait 700 hommes pour le diriger et pour établir les routes sur lesquelles il devait passer. Tous les petits forts byzantins que l’armée rencontra se rendirent sans résistance. Il fallut plus de deux mois pour arriver au pied des murailles de Constantinople. Constantin, de son côté, avait remis les murs en état et accumulé des vivres en quantité suffisante pour nourrir les assiégés pendant six mois. Il avait demandé le secours d’Hunyade et d’Alphonse, roi de Naples, en leur offrant plusieurs duchés. On tendit la grande chaîne[8] de l’une à l’autre rive de la Corne d’Or pour empêcher le passage de la flotte ennemie. On arma les tours et le sommet des murailles de canons, de balistes et autres machines de guerre. [8] Cette chaîne, dont on voit encore aujourd’hui une partie dans la cour de l’église de Sainte-Irène (actuellement musée d’armes) était tendue entre Galata et Stamboul en travers de la Corne d’Or. Ses deux extrémités se fixaient à deux tours, et le poids de la chaîne, qui empêchait le passage des navires, était supporté par des flotteurs. L’état moral de la ville laissait bien à désirer et allait en s’aggravant. L’Empereur, qui avait demandé le secours du pape, n’obtint que des prêtres catholiques pour célébrer la messe selon le rite latin; à leur tête, se trouvait le cardinal Isidore. Pendant une assemblée qui se tint à Sainte-Sophie (12 novembre 1452) pour discuter de l’union des deux Églises, le débat dégénéra en un tumulte terrible. Une partie de l’assemblée, qui espérait sauver la ville, grâce au secours de l’Europe, était favorable à l’union. Mais l’autre préférait mourir plutôt que de changer de dogme et de se soumettre à Rome. Au cours d’une séance, quelqu’un cria même: «Plutôt le turban que la tiare.» Tout cela retardait l’arrivée des secours du pape. Les Vénitiens offrirent cinq grands navires et les Génois, qui occupaient alors Chio, envoyèrent deux navires avec 700 hommes. La démoralisation régnait dans la ville. Les uns disaient qu’elle serait prise; d’autres, que les Turcs arriveraient jusqu’à Sainte-Sophie, mais que là, ils seraient repoussés. On mura soigneusement plusieurs portes, par lesquelles, selon les oracles, l’ennemi devait pénétrer. L’armée ottomane au contraire, soutenue par une foi ardente, marchait courageusement à l’assaut, dans l’espoir de conquérir la plus belle ville du monde, et d’allumer prochainement les lampes d’huile sur les tombeaux des saints musulmans qui étaient tombés au cours des différents sièges. Un vendredi après Pâques (1er avril 1453, v.-s.), les Byzantins virent avec stupeur les turbans des Turcs près des murailles; de la Propontide à la Corne d’Or, les champs qui se trouvaient en face des murailles étaient couverts de tentes. Les troupes arrivées de la Turquie d’Europe avec le sultan Mehmet, furent installées en face de la porte d’Andrinople et leur front formait une ligne se déployant jusqu’à la Corne d’Or. Les troupes d’Asie Mineure, qui avaient passé l’Hellespont, formèrent l’aile droite de l’armée du siège. Une partie de l’armée, sous les ordres de Saganos pacha, le beau-frère du Sultan et de Karadja bey, était campée à _Ok Meidan_ (champ des flèches), situé sur les hauteurs de Kassim Pacha et aux environs de Péra, afin de surveiller les Génois qui, malgré leur engagement de rester neutres, secouraient secrètement Byzance. De forts détachements de cavalerie gardaient l’arrière de l’armée pour éviter toute surprise. Le Sultan avait établi son quartier général sur les petites collines situées en face de la porte de Saint-Romain (_Top Kapou_, Porte du Canon). Les lignes les plus rapprochées des murailles étaient à une distance d’un mille environ. [Illustration: Pl. 6. PORTE MELANDISIA. PORTE DE RHEGIUM.] III.--LA PRISE DE CONSTANTINOPLE Ce siège mémorable commença le 6 avril 1453. Les Ottomans avaient pris toutes les mesures pour atteindre leur but. Les lignes des assiégeants entouraient les murailles depuis la porte des Sept-Tours jusqu’à la Corne d’Or. La partie des murs qui se trouvait entre le palais du Porphyrogénète et la porte Saint-Romain avait été choisie comme point d’attaque, car c’était l’endroit le plus faible. Karadja bey commandait l’aile gauche depuis la Xyloporta jusqu’à la porte de Charisios. Ishak et Mammoud bey commandaient les troupes campées entre la partie des murs appelée Myriandrion et la mer de Marmara. L’historien vénitien Barbaro relate que les Ottomans avaient installé trois bombardes en face du palais impérial des Blaquernes, deux en face de la porte de Charisios, quatre en face de la porte Saint-Romain, avec trois autres grands canons qu’on avait d’abord placés près de la porte Caligaria. Un parc de siège faisait face à la porte de Pegae ou Pigi (porte de Silivri). Les historiens turcs et étrangers ne sont pas d’accord sur les forces des assiégeants et des défenseurs de la ville. D’après Hammer, l’armée ottomane était composée de 250.000 hommes dont 100.000 cavaliers. La marine comportait 18 galères, 48 birèmes et 300 petits voiliers. Le comte de Ségur ne porte les forces ottomanes qu’à 150.000 hommes et 280 voiliers. Mais, d’après les ouvrages turcs, il n’y avait réellement que 100.000 guerriers, 100.000 porteurs et cochers, y compris les curieux et les pillards. Quant au nombre des défenseurs de la ville, Hammer et d’autres prétendent qu’il ne dépassait pas 9.000 soldats dont 3.000 Génois accourus au secours de la flotte byzantine. Celle-ci était composée de 26 navires dont 3 galères, 3 voiliers génois, 1 espagnol, 1 français et de 6 navires envoyés de Crête. Les navires byzantins étaient bien montés, bien armés et pourvus de bordages très hauts. Les murailles de la ville, d’une longueur de 16 kilomètres, exigeaient au moins la présence de 160.000 hommes en comptant un homme par mètre. Les portes demandaient à elles seules 20.000 hommes pour leur défense. Par conséquent, on peut évaluer le chiffre des combattants à 150.000 hommes, dont la plupart étaient armés et prêts à défendre la ville. La flotte ottomane, formée de nombreux petits voiliers construits ou achetés à la hâte, ne pouvait franchir la Corne d’Or, que barrait la fameuse chaîne. Le grand canon, posté d’abord en face de la porte Caligaria, fut transporté plus tard près de la porte Saint-Romain, qui en tira son nom actuel de _Top Kapou_. Deux autres canons lançant des pierres de 75 kilogrammes y furent également placés, 14 batteries de petit calibre étaient rangées depuis la Xyloporta jusqu’à la Porte des Sept-Tours. Un fossé large et profond rempli d’eau protégeait les murailles. Giustiniani, le chef des Génois, se tenait avec ses troupes à la porte de Charisios. Près de lui, les murailles étaient défendues par Théodore de Carystos et les frères Brochiardi. Les Vénitiens, sous les ordres de Girolamo Minotto, tenaient garnison autour du palais de Constantin. Les environs des Blaquernes et de la porte Caligaria étaient surveillés par le cardinal Isidore, qui commandait les Romains et les Chiotes. Théophile Paléologue, le Génois Maurice Cattaneo et le Vénitien Fabrice Cornaro, gardaient les murailles situées entre le château de l’Heptapyrgion (sept tours) et la porte Saint-Romain. On trouvait, à la porte de Pigi, le Vénitien Dolfino; entre la porte des Sept-Tours et la mer de Marmara, des Vénitiens et des prêtres byzantins sous les ordres de Jacques Contarini; au palais de Boucoléon, des soldats catalans commandés par Pedro Juliano; sur les murailles de la Corne d’Or, des Crétois et des soldats grecs sous les ordres de Lucas Notaras. Le phare de la Corne d’Or était gardé par les Vénitiens. Près de l’église des Saints-Apôtres, on avait constitué une réserve composée de plus de 700 prêtres armés, que commandaient Démétrius Cantacuzène et Nicéphore Paléologue. Avant de commencer l’attaque, le Sultan avait envoyé Mahmoud Pacha (devenu plus tard grand vizir après la prise de Constantinople), auprès de l’Empereur pour le sommer de rendre la ville afin d’éviter l’effusion du sang. L’Empereur refusa. A l’aube du 6 avril 1453 retentit le premier coup de canon, suivi bientôt d’une canonnade générale. Une grande terreur se répandit dans toute la ville. Pour charger le gros canon, il ne fallait pas moins de deux heures, de sorte qu’on ne pouvait tirer que huit à dix coups par jour. Les projectiles pesaient 600 kilogrammes. Quatre autres canons, coulés par les ingénieurs turcs, Saroudja et Mousslihiddin, jetaient des projectiles moins lourds. Tous ces canons dirigeaient leur feu sur les deux extrémités de la base d’un triangle fictif prise sur la partie la plus faible des murs, afin d’ouvrir des brèches, et de tirer ensuite sur le sommet de ce triangle. Cette tactique n’était alors connue que des Byzantins, et ils pensèrent qu’un traître l’avait enseignée à l’ennemi. Les brèches et les parties démolies étaient d’ailleurs réparées avec une activité surprenante. Pendant que les Ottomans faisaient pleuvoir une pluie de flèches sur la muraille, d’autres soldats cherchaient à creuser des souterrains sous les fossés des remparts. Les béliers battaient les portes avec fureur, pendant que les quatre fameuses tours mobiles[9] s’approchaient des murs. [9] Ces tours, fréquemment employées au moyen âge, étaient construites en charpente solide, on les montait sur des roues, et l’extérieur était capitonné à l’aide de plusieurs couches de peaux qu’on mouillait pour offrir plus de résistance au feu lancé par l’ennemi. Elles contenaient intérieurement des soldats et des matières explosibles, du bois, des buissons pour combler les fossés. Elles étaient munies d’un pont qui permettait de passer sur les murs. Une de ces tours placée près de la porte Saint-Romain avait occasionné beaucoup de dégâts; l’ennemi réussit à l’incendier à l’aide du feu grégeois. Le gros canon éclata un jour pendant le tir et tua Urbain, son constructeur. Instruits par cet accident, les assiégeants mouillèrent désormais les canons avec de l’huile après chaque coup et les laissèrent se refroidir. Les ouvriers terrassiers perçaient des galeries souterraines qu’ils consolidaient avec des madriers de bois; ils purent arriver ainsi jusqu’aux fondations des murailles. Mais les Byzantins avaient entendu le bruit des pioches; ils creusèrent des contre-mines et enfumèrent les Turcs qui durent se retirer. On jetait sur les Ottomans qui tentaient d’escalader les murailles, d’énormes blocs de pierre, des torches enflammées et surtout du feu grégeois[10]. [10] Le feu grégeois avait plus d’une fois sauvé Byzance; c’était un explosif qui prenait feu au contact de l’eau. On l’obtenait en mélangeant de la poudre à canon et du pétrole avec une matière résineuse. Toutefois la fabrication de cette poudre était tenue secrète. On y ajoutait probablement de la chaux vive qui, au contact de l’eau dégageait de la chaleur en quantité suffisante pour enflammer la poudre. Ce feu, fort connu des Byzantins, était, selon quelques historiens, d’origine arabe. [Illustration: Pl. 7. SAINTE-SOPHIE.--Vue générale prise du côté de l’Hippodrome.] Tout l’effort de l’ennemi se portait sur les murailles du côté de la terre. Les assauts se multipliaient, mais sans résultat. Mehmet estima nécessaire la coopération de la flotte, que la grande chaîne empêchait de pénétrer dans la Corne d’Or. Le Sultan attachait une grande importance à sa flotte; elle devait arrêter les secours que la ville pourrait recevoir du dehors. Pourtant, d’après les historiens, cette flotte n’était pas considérable: elle n’était composée que de petites embarcations, de voiliers, de transports et de galères à une seule rangée de rames. Elle était commandée par un Bulgare devenu musulman, qui s’appelait Balta-Oglou Suleiman bey. La flotte ottomane était d’abord restée dans le petit port de Balta-liman[11], au Bosphore. Au début du siège, postée d’abord près de _Dolma Bagtché_, elle leva l’ancre pour attaquer les navires qui étaient rangés derrière la chaîne, mais la défense énergique des Byzantins et les effets désastreux du feu grégeois l’obligèrent à reculer. Averti par les voiliers turcs venus à la hâte de l’Hellespont, que de grands navires génois et vénitiens arrivaient au secours de la place, le Sultan donna l’ordre à la flotte de se former en ligne pour défendre l’entrée du port. [11] Ce nom vient de Balta Oglou, amiral turc. La bataille navale qui eut lieu se termina par la victoire de l’ennemi, dont les vaisseaux purent pénétrer dans le port[12] avec 5.000 hommes de renfort. Selon les historiens grecs, ces navires, au nombre de cinq, avaient des bordages très élevés, ce qui leur permit d’écraser les petites galères ottomanes et d’incendier au moyen du feu grégeois une partie considérable de la flotte turque. [12] D’après quelques historiens turcs, qui semblent avoir copié les auteurs étrangers, ce port serait celui de la Corne d’Or, mais cela paraît bien improbable. En effet, si l’on avait démonté la chaîne de ses flotteurs pour laisser passer les vaisseaux grecs, on n’aurait pu la remettre assez rapidement pour empêcher les galères ottomanes de pénétrer à leur suite. Selon un manuscrit turc trouvé dans la bibliothèque de Sainte-Sophie, les navires grecs n’auraient été que deux, et le port dans lequel ils purent entrer, serait celui de Théodose, ou Julien, sur les bords de la Marmara. Cette version paraît d’autant plus vraisemblable que ce port étant protégé par des tours et des portes en fer, les navires de secours pouvaient y entrer facilement sans être obligés de courir le risque de livrer bataille au large pour gagner la Corne d’Or. Ils parvinrent assez facilement à pénétrer dans le port. Le Sultan, qui du rivage assistait au combat naval, était très excité. Il alla jusqu’à pousser son cheval dans la mer, vers une galère qui luttait à une courte distance du bord près de Makri Keuy. Cette victoire navale de l’ennemi, les réparations actives que les assiégés apportaient aux murailles, la destruction des tours mobiles avaient fortement abattu le courage des Ottomans. C’est à ce moment que l’Empereur byzantin demanda à traiter, offrant un tribut annuel au cas où le siège serait levé. Un divan se réunit. Le grand vizir, Halil pacha, que plusieurs chefs accusaient de connivence avec les Grecs, conseilla au Sultan de faire la paix. Il alléguait que l’Europe enverrait certainement des secours. Mais Saganos pacha, beau-frère du Sultan, Molla-Mehmed-Gurani et le vénérable cheïkh Ak-Chemsuddine voulaient qu’on continuât la guerre. A leur avis, l’Europe se désintéressait de l’Orient et Constantinople devait certainement tomber sous peu entre les mains des musulmans. Ak-Chemsuddine, que les musulmans considèrent encore comme un Véli (saint), avait prédit la date de la prise de Constantinople en prenant dans un verset du Coran le mot بلدة طيّب (jolie ville), dont les lettres, considérées comme chiffres à la manière arabe, donnaient la date de l’Hégire 857, qui correspondait à l’année 1453. Il répétait au Sultan les louanges du Prophète. «Constantinople sera absolument conquise par les musulmans. Quel magnifique prince que le conquérant, quelles excellentes troupes que son armée, le prince et ses soldats, qui prendront cette jolie ville.» Les propositions de paix furent rejetées. Le Sultan avait songé d’abord à briser la chaîne pour entrer dans le port et forcer les murailles qui, de ce côté, étaient plus vulnérables qu’ailleurs, mais il dut abandonner ce plan. Il décida ensuite de faire traîner les galères par-dessus les collines qui entouraient Galata, pour les amener dans la Corne d’Or. On construisit une route d’une longueur de deux lieues allant de la vallée de Dolma Bagtché à la vallée de Kassim pacha, et qui aboutissait à la Corne d’Or. On plaça des madriers enduits de graisse et d’huile. En une nuit, plus de 70 bâtiments de différentes grandeurs furent traînés sur cette route par des hommes, des bœufs et des chevaux. Les voiles déployées et gonflées par un vent favorable, facilitèrent beaucoup le travail. Ce dut être un spectacle grandiose que celui de ces milliers d’hommes travaillant dans la nuit tout le long de cette route, au son des tambours, sous la clarté vacillante des torches. Au matin, les galères étaient rangées dans la Corne d’Or, derrière la chaîne. Cet audacieux coup de main surprit douloureusement les Byzantins; il leur fallut garnir d’une partie de leurs troupes les murailles de la Corne d’Or qui, jusque-là, avaient pu rester sans défense. Giustiniani, le fameux chef génois, résolut d’incendier la flotte ottomane, et s’en approcha vers la nuit. Mais les Turcs, avertis par des Génois qui servaient à tour de rôle dans les deux camps, étaient sur leurs gardes. Le vaisseau que montait Giustiniani fut coulé par un énorme boulet de pierre. La plus grande partie de l’équipage fut noyée; quant au chef génois, vêtu d’une cotte de mailles, il put saisir une bouée et se sauver dans une barque. Désireux d’occuper à lui seul la Corne d’Or, le Sultan décida de couler sans distinction de nationalité tous les bateaux génois, vénitiens et byzantins qui se trouvaient dans le port: à cet effet, il fit installer sur les hauteurs de Kassim pacha et de Péra des mortiers de son invention qui lançaient, par un tir indirect, des projectiles sur les navires abrités derrière Galata. Malgré les protestations des Génois, plusieurs bateaux furent ainsi coulés, et le Sultan devenu maître du port, établit sur la Corne d’Or un large pont construit à l’aide de tonneaux attachés les uns aux autres et recouverts de madriers. Une trentaine d’hommes pouvait y marcher de front. Un des chefs vénitiens essaya de brûler ce pont, mais la surveillance incessante des Ottomans fît échouer ce projet. Enfin, après cinquante jours de siège, l’artillerie ouvrit une large brèche près de la porte Saint-Romain. Plusieurs tours furent abattues. Les pierres comblaient déjà en partie le fossé. Du côté de la mer, les murailles étaient menacées par les galères qui bombardaient continuellement la ville, mais sans grand résultat, car les projectiles[13], qui étaient pour la plupart en marbre taillé, n’occasionnaient pas de dégâts importants. [13] On voit encore aujourd’hui, sur les murs où on les conserve comme souvenirs, des boulets de ce genre. Le Sultan envoya Sfendiar-Oglou, son gendre, auprès de Constantin; il lui proposait une seconde fois de se rendre, et lui offrait une principauté: «Il ne faut pas, disait-il, verser le sang inutilement». Les hauts dignitaires, découragés, pressaient l’Empereur de capituler, mais celui-ci répondit qu’il défendrait, jusqu’au dernier homme, la ville que Dieu avait confiée à sa garde. Tout ce qu’il pouvait faire était de payer une indemnité au Sultan, à condition qu’on lui laisserait la ville. Mehmet ordonna alors pour le 24 mai 1453 un assaut général par terre et par mer. Il promit à l’armée un grand butin et aux soldats qui monteraient les premiers sur la muraille des récompenses telles que _timars_ et _sandjaks_ (sortes de pension); les fuyards seraient exécutés. Pour exciter le fanatisme des soldats, des derviches parcouraient les camps en faisant des prières. On entendait partout ces mots, cri de guerre insigne de l’islam: «Il n’y a d’autre divinité que Dieu et Mahomet est son prophète.» La veille du jour fixé, le Sultan prescrivit une illumination générale, (appelée _moum donanmasi_). Ce lundi soir, Constantinople se trouva au milieu d’un cercle de flammes. Dans toutes les lignes, autour des murailles, sur les galères près de la Corne d’Or et sur la Propontide, sur les hauteurs de Péra, des torches imbibées d’huile, des bûchers de bois résineux brûlaient continuellement. Les lances des soldats étaient munies de flambeaux. Les soldats chantaient, dansaient, faisaient des prières. Les cris des ottomans qui célébraient à l’avance la prise de Constantinople arrivaient jusqu’au centre de la ville. Les assiégés, qui se croyaient en présence d’une armée fantastique, étaient frappés de terreur. Ils se prosternaient en pleurant devant l’image de la sainte Vierge. Constantin pourtant ne perdit pas son sang-froid; il parcourut tous les postes, ranimant le courage des soldats. Giustiniani fit réparer les fortifications, et creuser de larges fossés derrière la porte Saint-Romain qui venait d’être détruite par les projectiles ottomans. Il fit élever à la hâte de nouveaux remparts, mais les sages dispositions de ce brave et noble étranger étaient sans cesse contrariées par la jalousie des chefs grecs et surtout par Lucas Notaras, premier ministre de l’Empereur. Notaras, qui se trouvait à la tête des défenseurs des murs de la Corne d’Or, avait même refusé de donner à Giustiniani les canons dont il avait besoin. Ces deux chefs ne cessaient de s’insulter. L’Empereur, pour les réconcilier, dut leur montrer le danger que courait la ville. En même temps, les discussions religieuses continuaient de plus belle dans la capitale. Tel était l’état des assiégés. Au moment de l’attaque, les Ottomans furent arrêtés par la nouvelle qu’une armée composée de Hongrois et d’Italiens venait au secours de Constantinople. Frappés d’inquiétude, ils restèrent deux jours dans l’inaction, attendant les événements. On a attribué la paternité de cette fausse nouvelle au grand vizir Halil pacha, qui l’aurait répandue pour permettre aux Byzantins de gagner du temps, mais les historiens turcs ne sont pas d’accord à ce sujet. Mehmet avait d’ailleurs prévu cette éventualité d’une surprise par une armée de secours et avait laissé une partie de ses cavaliers pour couvrir l’arrière-garde. Il avait même prévu une guerre avec l’Europe à la suite de la prise de Constantinople. Pendant deux ou trois jours néanmoins, l’armée se tint sur le qui-vive. Tandis que les Ottomans priaient, un orage éclata sur la ville, accompagné d’éclairs et de coups de tonnerre; la foudre tomba et le ciel apparut tout rouge. Ce phénomène ranima l’espoir de l’armée ottomane, cependant qu’il démoralisait l’armée byzantine. Un certain nombre de Byzantins quitta même la ville, passa au camp ennemi et embrassa l’islamisme. La veille du 29 mai 1453, jour de la prise de la ville, l’ordre d’une attaque générale décisive fut donné pour la seconde fois par le Sultan. Ce dernier parcourut les rangs des soldats, les encourageant par des discours et leur citant des versets du Coran. L’Empereur, enflammé du même zèle que son rival, visita les postes de défense, assista à une grande cérémonie de communion générale à Sainte-Sophie et rentra dans son palais d’où il surveillait les mouvements de l’ennemi. Le mardi matin 29 mai 1453, dès l’aube, les _sours_ (trompettes en corne), les timbales, les _naccaras_ (petits tambours), donnèrent le signal de l’assaut. Les Ottomans avaient choisi leurs points d’attaque entre la porte Saint-Romain et la porte de Charisios. Les canons tonnaient, une pluie de flèches tombait de part et d’autre. Les Ottomans, après avoir comblé les fossés avec de la terre, des pierres et des fascines, grimpèrent sur les murs au moyen de hautes échelles. Les cris des blessés se mêlaient au bruit des _davouls_ (grosses caisses) et des ourha (hurrah)[14] (frappe, va donc). Une lutte terrible se livrait le long des murailles, du haut desquelles on jetait sur les assiégeants de grosses pierres et de l’huile bouillante. Les _sours_ des tchavouches (officiers d’ordonnance) faisaient entendre par intermittence leurs sons lugubres. A l’intérieur de la ville, toutes les cloches des églises sonnaient sans interruption. [14] Ce mot, qui a été changé en hourra, est le cri de guerre des armées européennes, tandis que chez les Turcs ce mot a disparu pour faire place au cri Allah! Allah! (Dieu! Dieu!) Du côté de la Corne d’Or, le feu grégeois flottait sur l’eau en traçant des sillons. On jetait des vases remplis d’explosifs sur les galères ottomanes qui approchaient des murailles. Une épaisse fumée entourait la ville. Du côté de la terre, le vent du nord s’était élevé, poussant vers les assiégeants des tourbillons de fumée qui les aveuglaient. Tous les soldats turcs étaient au pied des murailles. La lutte se poursuivait avec acharnement. Un nommé Hassan Oulou-Abatli (de la ville d’Oulou Abad), portant son bouclier et son pala (sabre à large lame recourbée) escalada la muraille d’où il fut précipité à coups de pierres. Dix-huit soldats qui l’avaient accompagné gisaient au bas du mur. Le blessé se releva soudain et, pris d’une rage extraordinaire, escalada à nouveau la muraille, mais une énorme pierre jetée du haut d’une tour voisine le renversa et le tua[15]. Le combat continuait depuis plus de deux heures. De larges brèches avaient été pratiquées entre la porte Saint-Romain et la porte de Charisios. Les historiens européens rapportent qu’à ce moment, Giustiniani blessé grièvement par une flèche se décida à quitter la ville malgré les supplications de l’Empereur, et qu’il se rendit sur une de ses galères à Galata, d’où ses compatriotes suivaient tranquillement les phases du combat. La lâcheté du chef grec aurait démoralisé les troupes et contribué à la chute de la ville. D’après d’autres historiens, Giustiniani était déjà blessé au moment où les Ottomans pénétrèrent dans la ville par une porte qu’on avait négligé de fermer près de la porte de Charisios, et il se serait sauvé à bord de son navire qui se trouvait dans le port du côté de la Propontide. Cette version paraît plus vraisemblable, car la Corne d’Or était gardée par les galères turques et le passage était impossible. [15] Hammer dit que ce soldat était un janissaire, mais, comme son nom d’Oulou Abad l’indique, c’était un Turc originaire d’un village de l’Asie Mineure. Cinquante soldats turcs entrèrent par la petite porte appelée Kerkorporta, qu’on avait négligé de murer. Mettant à profit le trouble qu’éprouva l’ennemi en les apercevant sur ses derrières, les Ottomans montèrent sur les murs déserts et pénétrèrent dans la ville par les différentes brèches restées sans défenseurs. Les fuyards se précipitaient vers les rivages de la Corne d’Or et de la Propontide. Les clefs des portes avaient été jetées à la mer avant la surprise de l’ennemi. La plupart des Grecs se précipitèrent vers Sainte-Sophie, se rappelant la légende d’après laquelle un ange devait descendre du ciel, donner un sabre à un vieillard près de l’Hippodrome, à la suite de quoi les Turcs seraient tous repoussés. Mais aucun miracle ne vint sauver les Byzantins et bientôt, du côté de la Corne d’Or, les Ottomans envahirent la ville par différentes portes. [Illustration: Pl. 8. SAINTE-SOPHIE.--Nef centrale.] Pendant qu’une partie des troupes occupait les murailles situées entre la porte Saint-Romain et la porte de Charisios, les janissaires couraient vers le palais impérial. Constantin Dragasès, averti par ses gardes, voulut prendre la fuite, mais il fut surpris en route par un détachement de soldats turcs qui luttaient avec les Grecs. Ivre de fureur et de vengeance, l’Empereur se précipita sur un Turc déjà blessé qui, faisant un dernier effort avant de mourir, renversa inanimé le dernier empereur des Byzantins. Comme dans toutes les guerres de l’époque, la ville fut livrée au pillage. Les églises voisines des murailles, comme Saint-Jean-Baptiste, dans le quartier de Petra Palaea et l’église de Chora (actuellement mosquée Kahrié) furent saccagées. Mais le dernier pillage de Byzance par les Turcs est de beaucoup dépassé en horreur par le pillage des croisés. Un certain nombre de fuyards byzantins s’échappèrent sur des embarcations après avoir brisé les portes, et passèrent à Galata qui était restée neutre pendant la guerre. D’autres parvinrent à se sauver sur des bateaux et gagnèrent la Propontide. Environ 10.000 personnes s’étaient réfugiées à Sainte-Sophie; les portes avaient été fermées, mais ne purent résister à l’effort terrible des conquérants et bientôt la foule se rendit en demandant grâce. Constantinople était conquise après un siège de cinquante-quatre jours, le mardi 29 mai 1453 (vingtième jour de Djemaziel Akhir de l’Hégire 857). Une légende rapporte que des prêtres grecs étaient occupés à frire des poissons dans le monastère de Balouclou, lorsqu’on vint leur annoncer que la ville était tombée aux mains des Ottomans. Les religieux répondirent qu’ils n’y croiraient que si les poissons à moitié frits sautaient dans un bassin voisin. Les poissons sautèrent, dit la légende, et l’on montre encore aujourd’hui, dans le bassin, des poissons rouges d’un côté et noirs de l’autre. Ce récit, qu’on retrouve partout, paraît bien invraisemblable, car ce monastère, situé hors des murs, était certainement occupé par des soldats turcs. De plus, il est peu probable que, dans un pareil tumulte, les prêtres se soient tranquillement livrés aux soins de la cuisine. Lorsque les Ottomans eurent occupé tous les quartiers de la ville et rétabli l’ordre en désarmant les dernières résistances, le sultan Mehmet II fit une entrée triomphale dans la ville conquise. Il y pénétra par la porte de Charisios avec son escorte et, par les grandes rues et les places ornées de statues, se rendit à Sainte-Sophie. Là, il descendit de cheval et entra dans le temple[16]. Après avoir contemplé cette merveille du monde, il donna l’ordre de la transformer en mosquée. Puis, il visita les palais impériaux qui étaient pour la plupart depuis longtemps déserts. Ces ruines le remplirent d’une profonde tristesse et on raconte qu’il récita ce distique persan: «Le hibou chante le Nevbet[17] sur le tombeau d’Afrasiab, l’araignée fait le service de «Perdedar»[18] dans le palais de l’empereur.» [16] On raconte dans plusieurs histoires et dans les guides que le Sultan entra à cheval dans l’église de Sainte-Sophie le jour même de la prise de Constantinople, et qu’il foula des monceaux de cadavres. Il aurait appuyé sa main tachée de sang contre une colonne que l’on montre encore aujourd’hui. Mais, en supposant mortes toutes les personnes que l’église pouvait contenir, la hauteur de leurs cadavres n’aurait pu être que de 50 centimètres; le Sultan étant sur un cheval d’un mètre et demi de hauteur, n’aurait jamais atteint la hauteur d’une dizaine de mètres à laquelle se trouve cette prétendue tache de sang. [17] L’air de tambour que l’on joue tous les jours pour célébrer l’indépendance. [18] Celui qui écarte les tentures des portes pour laisser passer les visiteurs. Le Sultan fit rechercher le ministre byzantin, Lucas Notaras, qui parut bientôt et lui offrit le trésor impérial. Aux reproches qui lui furent adressés pour ne pas avoir consacré ces sommes au bien du pays, Notaras répondit qu’il les avait gardées pour les remettre à sa Majesté. Le Sultan, que cette hypocrisie irritait, lui dit: --Puisque vous vouliez m’offrir ce trésor, pourquoi l’avez-vous gardé si longtemps? --Des lettres, envoyées par vos pachas, nous engageaient à résister. Le grand vizir Halil pacha[19], soupçonné depuis longtemps, fut alors jeté dans la forteresse des Sept-Tours. Quant à Notaras, il eut sa grâce et le Sultan lui demanda la liste des grands fonctionnaires byzantins à qui il accorda des brevets. [19] Halil fut exécuté par ordre du Sultan qui, outre sa trahison, n’avait pas oublié que ce même grand vizir l’avait fait descendre du trône du vivant de son père Mourad. Cet exemple de l’exécution des premiers ministres fut souvent suivi par les souverains. Le corps de l’Empereur fut reconnu à ses brodequins pourpres portant des aigles brodés d’or. Le pillage dura deux jours. Bientôt le calme se rétablit dans la ville et le vendredi troisième jour de la conquête, la prière du vendredi (_djouma namazi_) eut lieu dans l’église de Sainte-Sophie, transformée à la hâte en mosquée. Le Sultan, cimeterre en main, monta lui-même sur le Minber et dit la Kotba. On lit dans quelques manuscrits que, ce jour-là, un prêtre grec sortit des sous-sols de l’église où il était resté caché pendant trois jours, embrassa l’islamisme et montra au Sultan le trésor de l’église. Ce jour même, le Sultan envoya des ambassadeurs aux Génois de Galata. Un nouveau traité fut signé entre les Génois et les Ottomans, traité par lequel les Génois s’engageaient à démolir la partie supérieure des murs de Galata. Pour célébrer la conquête, le Sultan réunit l’armée en un grand banquet sur les hauteurs de Kassim pacha[20]; son enthousiasme était tel qu’il offrait de sa main les mets et les fruits à ses vizirs. Comme ces derniers s’en défendaient, le Sultan leur répéta la parole du Prophète: «Le Seigneur d’un peuple, c’est celui qui le sert.» Il récompensa par des cadeaux les chefs de l’armée. [20] L’endroit où eut lieu cette fête s’appelle Ok Meidan (champ des flèches). Ce nom lui vient des exercices de tir à l’arc qu’on avait l’habitude d’y faire depuis le banquet jusqu’à ces derniers temps. Les fêtes[21] durèrent plusieurs jours. Quelque temps après, le Sultan envoya une lettre et des présents au sultan d’Égypte, pour lui annoncer la conquête de Constantinople. [21] Quelques auteurs européens prétendent que les musulmans, pendant cette fête, burent à l’excès, chantèrent et se livrèrent à toutes sortes de débauches. Ces historiens ne prennent pas en considération que les musulmans, surtout au moyen âge, ne touchaient jamais aux boissons alcooliques qui leur étaient absolument interdites par leur religion. Mehmet laissa aux chrétiens le libre exercice de leur culte ainsi que plusieurs églises; il nomma un patriarche. Il invita ensuite les Ottomans à venir habiter et peupler la ville. Les différents quartiers furent attribués suivant les divers départements dont les nouveaux habitants étaient originaires. Comme emblème officiel de l’État, le Sultan adopta le croissant, insigne de l’antique Byzance, auquel il ajouta une étoile. [Illustration: Pl. 9. SAINTE-SOPHIE.--Intérieur.] CHAPITRE II TOPOGRAPHIE DE LA VILLE ANCIENNE I.--LES RÉGIONS Constantinople ne comprenait d’abord que cinq collines. Mais, vu l’extrême rapidité avec laquelle la population augmenta, Théodose II jugea nécessaire d’entourer d’une seconde ceinture de murailles les quartiers qui se trouvaient en dehors de la première enceinte, construite par Constantin le Grand. Tous ces quartiers qui occupaient l’espace compris entre les murs constantiniens et les murs théodosiens furent appelés d’abord χώρα (la campagne) et aussi ἐξωκιόνιον. Voici quelle était l’origine de ce nom. Les gardes goths, ariens comme leur empereur Constance, avaient voulu par la suite rester fidèles à l’arianisme. Théodose Ier, protecteur de l’orthodoxie, ne leur permit d’habiter qu’en dehors des murs. Comme à l’intérieur des murs constantiniens se dressait une colonne (Kion) de Constantin, les Goths furent appelés Exokionites, «ceux qui habitent en dehors de la colonne», et leur camp, Exokionion. Cette partie de la ville, assignée aux sept corps gothiques, fut divisée en sept quartiers appelés (d’après M. Dethier) Deuteron, Triton, Pempton, Hebdomon, etc.[22] Plus tard, quand l’émigration des peuples des Balkans, fuyant devant Attila, vint augmenter la population de ces quartiers extérieurs. Le préfet Anthémius, sous le règne de Théodose II, entoura cette partie de la cité d’une nouvelle muraille. Après la construction des murs théodosiens, la ville comprit sept collines; semblable à Rome, elle fut divisée, dans sa partie ancienne construite par Constantin, en quatorze régions, quartiers ou arrondissements. Chaque région était gouvernée par un curator ou régionarchis, ayant sous ses ordres un diangeleas (officier d’ordre), cinq deutereuontai ou topoteretai (gardiens de nuit). [22] Cf. Dr Mordtmann, _Esquisse topographique de Constantinople_.--Dethier, _Le Bosphore et Constantinople_. RÉGION I.--La première région commençait à la porte de Sainte-Barbe et, passant au sud-est de l’Hippodrome, s’étendait jusqu’à Saint-Serge et Bacchus. Le rocher de l’Acropole, qui portait jadis un temple dédié à Jupiter, l’Augustéon et l’Hippodrome la séparaient de la deuxième et de la troisième région. Elle contenait 29 rues, 118 maisons, 2 emboloi (rues à portiques), 4 bains publics, 2 bathra (endroits où l’on distribuait du pain au peuple). RÉGION II.--La deuxième région comprenait l’Acropole, le Sénat, l’église de Sainte-Sophie, celle de Sainte-Irène et l’Augustéon; elle comptait 34 rues, 98 maisons, 4 marchés couverts, 4 bathra. RÉGION III.--La troisième région commençait aux thermes de Zeuxippe, renfermait l’Hippodrome et la partie sud de la rue centrale appelée Mésè (_Divan Yolou_), et descendait jusqu’à la mer. Le port Sophien ou Portum Novum, appelé actuellement _Cadriga limani_, faisait partie de cette région. Elle comprenait 7 rues, 98 maisons, 4 rues à portiques et 4 bathra. RÉGION IV.--La quatrième région était bordée sur un petit parcours par la rue principale; elle descendait jusqu’à l’échelle de Timasus, au bord de la Corne d’Or, en suivant les murs. Cette région comprenait le Miliaire[23], l’église de Saint-Jean-l’Apôtre, le Diippion, les Chalcopratia, 32 rues, 375 maisons, 4 marchés (rues à portiques). [23] Le Miliaire, qui était une des portes terrestres de l’ancienne petite ville de Byzas, a été indiqué dans le plan de M. Labarte au milieu de l’Augustéon (l’espace compris entre le sénat, l’hippodrome et Sainte-Sophie). Mais le Dr Mordtmann prouve que la place du Miliaire doit être cherchée à l’ouest de Sainte-Sophie, au nord des Thermes de Zeuxippe et au commencement de la rue centrale. RÉGION V.--La cinquième région était limitée d’un côté par la troisième et de l’autre par la quatrième. On y trouvait, au bord de la Corne d’Or, le Portus Prosphorianus et l’échelle de Chalcédoine (_Sirkedji-Iskelessi_) où se déchargeaient les denrées alimentaires; le Stratégium, (emplacement de la Sublime Porte) était situé dans cette région. RÉGION VI.--La sixième région occupait tout l’espace compris entre la deuxième et la troisième colline, depuis le forum de Constantin jusqu’à la Corne d’Or. Le port et l’échelle de Neorium se trouvaient dans cette région. Les quartiers de la cinquième et de la sixième région furent assignés plus tard aux colonies génoise et vénitienne. RÉGION VII.--La septième région était limitée au nord par la rue centrale et s’étendait depuis le forum de Constantin jusqu’au forum Tauri. Au sud, elle descendait jusqu’à la Propontide et renfermait le port de Contoscalion. RÉGION VIII.--La huitième région occupait tout le plateau de la troisième colline, depuis le forum de Constantin jusqu’aux hauteurs de la Corne d’Or. Elle n’aboutissait pas à la mer. Du côté de la Corne d’Or, les pentes raides de la troisième colline la séparaient de la sixième région, qui comprenait les quartiers des Vénitiens. A l’est, elle s’étendait jusqu’au Macros Embolos (_Ouzoun-tcharchi_). RÉGION IX.--La neuvième région, qui se trouvait sur le versant méridional de la troisième colline, était séparée de la septième région par la rue portant actuellement le nom de _Tavchan-Tach Yocouchou_ et bordée à l’ouest par la rue principale qui descendait du quartier Philadelphium au forum Bovis et de là au port Théodosiaque, situé dans la douzième région. RÉGION X.--La dixième région comprenait tous les quartiers situés sur le versant occidental de la troisième colline. C’était la région extrême près des murs constantiniens. Elle touchait du côté de l’occident à la rue principale et avait comme limite la colonne de Marcien (_Kiz-Tachi_), le Nympheum Majus (probablement _Sou-Terazisi_) et le plateau où s’élevait l’église des Saints-Apôtres et qui faisait partie de la onzième région. RÉGION XI.--La onzième région était située sur le versant occidental de la quatrième colline et descendait jusqu’à la vallée du Lycus. Elle s’étendait jusqu’au forum Bovis (_Ak-Seraï_) où la douzième, onzième et neuvième régions se rencontraient. La vallée du Lycus séparait la onzième région de la douzième. Comme la huitième, la onzième ne touchait pas à la mer. RÉGION XII.--La douzième région, qui était bordée par le petit fleuve du Lycus, touchait du côté de l’ouest aux murs de Constantinople. Elle comprenait tous les quartiers de la septième colline qui s’étendaient jusqu’aux bords de la Propontide. Le grand port de Théodose (_Vlanga_) et la colonne d’Arcadius faisaient partie de cette région. [Illustration: Pl. 10. SAINTE-SOPHIE.--Narthex.] RÉGION XIII.--La treizième région se trouvait sur la pointe séparée de la ville par la Corne d’Or et qu’on appelait Sycae (figuiers), l’actuelle _Galata_. RÉGION XIV.--La quatorzième région comprenait les quartiers des Blaquernes et se trouvait hors des murs constantiniens. Cette région était séparée de la dixième région par des terrains vagues qui longeaient les rives de la Corne d’Or. II.--LES RUES ET LES FORUMS Sur la première colline de la ville s’élevait l’ancienne Acropole construite par Sévère. Dans l’antiquité, on y donnait les jeux publics. Après la conquête de Constantinople, les Turcs y construisirent le Serai actuel (_Top Kapou_ ou _Seraï Djedid_). Une grande rue principale, appelée Mésè, traversait la ville d’un bout à l’autre. Cette rue commençait à l’Augustéon, grande place, sorte d’atrium public, à côté de Sainte-Sophie, entouré de portiques à doubles colonnades, où l’on vendait des livres et qui garantissaient les passants contre le soleil et la pluie. Du côté oriental de l’Augustéon se trouvaient les murs du palais avec la grande porte de Chalké et la porte dite Monothyros. Les colonnades construites par Constantin ayant été détruites avec le temps, Justinien les avait reconstruites. Le sol était pavé de grands blocs de pierre. Cette rue passait du côté nord par l’Hippodrome et, suivant la direction de la rue actuellement nommée _Divan Yolou_, débouchait dans le forum de Constantin, au milieu duquel se dressait la colonne de Constantin, aujourd’hui _Tchemberli-Tach_ ou colonne cerclée, ou colonne brûlée; ce dernier nom lui venait de ce qu’elle avait été la proie des flammes dans un grand incendie. La rue principale, après avoir traversé ce forum, prenait la direction de la grande place appelée forum Tauri, place de _Bayazid_ et _Seraskiérat_. Ce forum contient actuellement la grande tour du feu, _Seraskiérat_, qui remplace, d’après M. Dethier, la célèbre colonne de Théodose Ier, conservée jusqu’à Selim Ier et renversée par la tempête, et le monument nommé Tétradysion qui datait de Théodose II. M. Dethier, qui visita les fouilles qu’on a faites pendant la construction du Seraskiérat, a découvert un fragment qui lui a permis de restituer la statue de Théodose II. Il écrit à ce propos: «Cette statue ne pourra plus être que celle de Théodose II, car la statue de Théodose Ier, sur le forum Tauri (comme celle sur l’Augustéon), était à pied et placée sur la colonne spirale.» Une grande partie de la rue Mésè était garnie de colonnes et d’arcades en plein cintre (selon le système de construction de l’époque), dont l’abri permettait l’étalage des étoffes et des marchandises précieuses[24]. [24] Ces portiques s’appelaient ἔμβολοι. On voit encore de nos jours des colonnades semblables dans la grande rue de _Chahzadé_ qu’on appelle _Direhler Arassi_ et dans plusieurs villes de Syrie. Le forum Tauri qui était, et qui est encore aujourd’hui une des plus grandes places de Constantinople, se trouvait au centre de la ville. Deux grandes rues descendaient de cette place vers la Corne d’Or; deux autres venaient du côté de Sainte-Sophie, l’une passant par le forum de Constantin et l’autre traversant le petit forum de Théodose et le forum Artopolion. Quelques parties couvertes de ces rues ont sans doute été englobées dans le bazar actuel (_Tcharchi_); du côté occidental du forum Tauri, une rue suivait la direction de l’aqueduc de Valens (_Bosdogan-Kemeri_) et conduisait à l’église des Saints-Apôtres (_Fatih_). La rue principale ou rue triomphale, qu’empruntait toujours le cortège impérial, menait au quartier du Philadelphium (_Chahzade-Bachi_) et aboutissait à un petit forum appelé forum Amastrianon; là, elle se divisait en deux rues, dont l’une montait à l’église des Saints-Apôtres et l’autre, passant près de la citerne de Phocas, descendait au forum Bovis (_Ak-Seraï_). Les deux rues conduisant à l’église des Saints-Apôtres se réunissaient après avoir traversé la place, et conduisaient à la porte de Charisios (_Edirne-Kapoussou_). La rue qui descendait au forum Bovis en suivant la route actuelle du tramway, rejoignait au forum Tauri celle qui descendait du forum Amastrianon. Du forum Bovis, partaient plusieurs rues qui aboutissaient aux nombreuses portes de la ville. L’une, suivant la rue actuelle du tramway, conduisait à la porte Saint-Romain; une autre, gravissant la septième colline, arrivait au forum d’Arcadius (_Avrat Bazari_), au milieu duquel s’élevait la colonne de ce nom. D’après le livre des Cérémonies, l’Empereur, en suivant la grande rue, depuis le palais jusqu’au forum de Constantin, était tenu de faire les stations suivantes: 1º Grilles de la porte de Chalké; 2º Zeuxippe ou Achille (bain); 3º L’Augustéon; 4º Les voûtes du Milion; 5º Saint-Jean Théologos; 6º Portique près du palais de Lausus; 7º Prétoire; 8º Anti Forum. Du forum de Constantin au Philadelphium: 1º Macros Embolos de Maurien; 2º Les boulangeries (Artopolia); 3º Forum Tauri; 4º Église de la Vierge Diaconissa; 5º Modios; 6º Philadelphium. Du Philadelphium jusqu’à l’église de la Zoodochos Pigi (source vivifiante): 1º Philadelphium; 2º Amastrianon; 3º Forum Bovis; 4º La rue centrale (mésè) du Xérolophos; 5º Première voûte de Xérolophos; 6º Église de Saint-Kallinique; 7º La Monnaie; 8º Exakionion; 9º Carrefour des trois rues où se trouve l’église de Saint-Onésime; Il tourne ensuite à droite et passe par: 10º L’église de Saint-Jacques-le-Perse; 11º L’église de Saint-Mocius; 12º L’aqueduc; 13º Le portique où est dressée la colonne (Sigma); 14º L’église de la Zoodochos Pigi (_Balouklou_). La partie de la Mésè qui se trouvait entre le forum de Constantin et le forum Tauri était appelée Artopolia (les boulangeries). A l’entrée, s’élevaient deux statues colossales, dont l’une a été retrouvée en 1870, et transportée à Sainte-Irène. Le docteur Mordtmann pense, d’après les auteurs anciens, comme la chronique pascale, Théophane et Cédrenus, que les bazars byzantins se trouvaient entre le forum de Constantin et la grande basilique, tandis qu’aujourd’hui ils se trouvent vers le nord-ouest de ce forum. Du forum d’Arcadius, la rue principale conduisait de la première enceinte de Constantinople à la Porte Dorée, actuellement _Essé-Kapousou_. (Porte de Jésus.) Un embranchement de cette rue passait par l’église de Saint-André (mosquée _Kodja Moustapha Pacha_); un deuxième, passant par l’église de la Peribleptos (_Soulou Monastir_), conduisait à la Porte Dorée des murs théodosiens (_Yedi Koulé Kapoussou_). Une autre rue parallèle allait du forum Bovis à l’église Saint-Jacques-le-Perse (_Hekim-Oglou Djamissi_) et traversait le quartier d’Exokionion. Le nom d’Exokionion (hors de la colonne) se changea plus tard en _Exi Marmara_, que les Turcs traduisirent par _Alti Mermer_ (six marbres). Ce quartier était sur le chemin de la porte de Pigi ou Pegana (_Silivri Kapoussou_). D’autres rues faisaient communiquer entre elles les principales artères. Une rue partant de la porte de Plateia ou porte Mesa (_Oun Kapani_), se dirigeait vers le Philadelphium, réunissant ainsi cette partie de la rue principale à la rive de la Corne d’Or. Un autre embranchement montait vers l’église des Saints-Apôtres, parallèlement à la première enceinte de la ville. Cette rue, passant à l’ouest de l’église des Saints-Apôtres, descendait dans la vallée du Lycus (_Yeni Bagtche_) et de là, par de petites ruelles tortueuses, arrivait au forum d’Arcadius. D’autres rues longeaient les murailles de la Propontide et de la Corne d’Or. Le quartier des Vénitiens était séparé de la ville par un mur dont on voit encore quelques vestiges et qui amena plus tard les Ottomans à appeler ce quartier _Tahta Kalé_ (sous les murs). Plusieurs topographes ont traduit à tort «la tour en bois». A l’est du quartier des Vénitiens se trouvait celui des Amalfitains et des Pisans. Celui des Amalfitains ne dépassait pas la porte de Saint-Marc (_Yeni Djami_); celui des Pisans s’étendait jusqu’à la porte du Neorium (_Bagtche Kapoussou_). Là, commençait le quartier des Génois qui allait jusqu’à la porte d’Eugène, tout près du couvent Apologotheton (_Turbé d’Abdul Hamid I_), où s’élevaient les murs limites de la ville. Le long de la Corne d’Or, une large bande de terrains s’étendait entre les murs et le port. Un grand nombre d’autres rues, très étroites et tortueuses, bordées de maisons à encorbellement, donnaient à la ville un caractère fort original. Outre la Corne d’Or, la ville possédait encore d’autres ports. On peut citer, sur la Propontide, le port de Julien ou Sophien (_Kadriga Limani_) et le port de Théodose ou d’Eleuthère (_Vlanga Bostani_[25]). [25] Le nom de Vlanga ou Blanca provient selon les uns d’une princesse nommée Bianca, qui y avait son palais, et selon les autres de Blaquos qui aurait transformé l’ancien port en un jardin potager. Ces deux ports ont été comblés par les terres apportées par les eaux et par les déblais des fondations nouvelles. Sur l’emplacement du dernier se trouve aujourd’hui un jardin maraîcher qui produit une grande quantité de légumes. Ce port se trouve à l’embouchure de la vallée du Lycus qui commence sur les collines voisines des murailles. Il naît en dehors de la ville et en est séparé par une poterne située près de la porte de Sainte Cyriaque (_Soulou Koulé Kapoussou_) actuellement murée. Les eaux continuent leurs cours entre la colline où se trouvait l’église des Saints-Apôtres et celle de Xérolophos. Puis passant par le forum Bovis (_Ak Serai_), le fleuve arrivait à Vlanga où il se jette à la mer. Les terres apportées par les eaux avaient déjà, au temps des Byzantins, comblé une partie du port de Théodose. L’entrée de ce port était gardée par des grilles en fer fixées à deux tours. Une de ces tours, nommée Contoscopium, servait à la surveillance du port. Il est probable que, pendant le siège de Constantinople, les navires génois, venant au secours des Byzantins, sont entrés dans un de ces ports. III.--LES ENVIRONS DE BYZANCE Des champs, des jardins potagers, des prairies entouraient la ville. Le peuple venait s’y promener. On y voyait de nombreux monastères souvent désignés sous le nom d’_ayasma_ (lieu sacré). Le monastère appelé actuellement _Baloukli_ renfermait lui aussi une source sacrée. Les empereurs, qui habitaient le palais des Blaquernes, villégiaturaient en été dans les jardins de ces monastères[26]. [26] Ce monastère contient une curieuse image de sainte Irène. Quand on creusa les fondements de l’église actuelle en 1833, on découvrit les fondements de l’ancienne basilique. Hors de la porte de Xyloporta, un village nommé Cosmidion (_Eyoub_) s’étendait jusqu’au fond de la Corne d’Or. D’après plusieurs cartographes du moyen âge, ce village possédait une jolie église, plusieurs châteaux et des fontaines. Un cirque en bois (xylokerkos) s’élevait à côté du monastère des saints Cosme et Damien: c’est probablement de là que vient le nom de Cosmidion. C’est un lieu sacré pour les musulmans; ils y trouvèrent en effet le tombeau d’Aba-Eyoub-Ansari, un des compagnons du Prophète, qui vint à Byzance et y mourut pendant la première grande campagne arabe, en 672 après J.-C. Tous les musulmans cherchent à faire déposer leur dépouille mortelle dans les immenses cimetières qui entourent le tombeau du saint. L’autre rive de la Corne d’Or était peuplée également. Il y avait à Galatiani (_Sutludje_), un ayasma réputé pour guérir la stérilité et rendre abondant le lait des nourrices: de là son nom de Galatiani. Une partie de l’arsenal actuel (_Tersané_)[27], qui se trouve près de Haskeuy, était appelée autrefois Paraskeuè et aussi Keramidia (quartier de _Piri Pacha_), parce que l’on y fabriquait des briques et des tuiles. Sur la hauteur s’élevait Sainte-Paras Kévi. Près de là se trouvait _l’Ok Meidan_ (place aux flèches), une plaine où les anciens Turcs s’exerçaient au tir à l’arc. [27] Les Turcs ont tiré ce nom du mot _Darcina_, dont les Espagnols se servent pour désigner les chantiers. L’origine de ce mot paraît être Dar-u-ssnaa, mot arabe qui signifie atelier. Galata, jadis une des quatorze régions de Byzance, fut habité dans la suite par les Génois. C’était une citadelle entourée de murailles percées de douze portes et garnies de plusieurs tours. Ces portes étaient appelées par les Turcs, 1, _Tophané Kapoussou_; 2, _Azeb Kapoussou_; 3, _Kutchuk Koulé Kapoussou_; 4, _Buyuk Koulé Kapoussou_; 5, _Meit Kapoussou_; 6, _Kurkdji Kapoussou_; 7, _Yag Kapan Kapoussou_; 8, _Moumhané Kapoussou_; 9, _Kiredj Kapoussou_; 10, _Egri Kapoussou_. Les portes des murs de séparation s’appelaient: 1, _Kutchuk Karakeuï Kapoussou_; 2, _Mikhal Kapoussou_; 3, _Meïdanjik Kapoussou_; 4, _Klisee Kapoussou_; 5, _Itch Azeb Kapoussou_; 6, _Sarik Kapoussou_. Le nom de Galata vient, d’après quelques auteurs, des vacheries qui y existaient autrefois. On l’appelait aussi Sycae (figuiers), à cause des figuiers qui y poussaient en grand nombre. Certains auteurs attribuent l’origine du nom de Galata aux Gaulois qui y résidèrent et que les Grecs appelaient Galates, mais cela ne semble pas très fondé, et l’étymologie la plus vraisemblable paraît être celle qui s’explique par les vacheries de Galata (lait). On l’appelait aussi Justinianopolis. Quand il fut indépendant de Byzance, Galata devint une place forte. [Illustration: Pl. 11. SAINTE-SOPHIE.--Galeries supérieures du Gynécée. SAINTE-SOPHIE.--Arcades supportant les galeries supérieures.] Sur le point le plus élevé des murailles se dressait une tour nommée Tour du Christ (_Galata Koulessi_). Quoique la partie supérieure en ait été démolie, la tour a été conservée jusqu’à nos jours. Elle avait été construite sous Zénon (474-491), puis surélevée à deux reprises en 1348 et en 1446. La tour possède aujourd’hui un escalier en pierre, de 146 marches prises dans l’épaisseur du mur et comprend intérieurement cinq grands paliers en bois. Au sommet de la tour s’élevait une croix. Un incendie détruisit le toit en 1794; le monument fut ensuite réparé sous le règne du sultan Sélim. En 1824, devenu encore une fois la proie des flammes, il fut réparé par le sultan Mahmoud. La tour n’a plus son toit primitif. Elle est aujourd’hui occupée par des gardes chargés de veiller aux incendies. Pour récompenser les Génois qui avaient aidé les Byzantins à secouer le joug des Latins, l’empereur Michel Paléologue leur avait donné Galata et le faubourg de Péra. Une fois établis (1267), les Génois se placèrent sous l’autorité d’un podestat nommé par la république de Gênes. C’est seulement en 1303, sous Andronic, qu’ils obtinrent l’autorisation d’entourer leur ville d’un mur d’enceinte; et ce n’est qu’en 1341, après bien des difficultés, qu’ils parvinrent à transformer leur mur en une forteresse munie de tours. L’ancienne ville génoise est aujourd’hui le centre du commerce de la capitale. Pendant le siège, les Génois avaient conclu avec le Sultan un traité de neutralité et avaient ainsi pu sauver leur vie et leurs biens. Mais Mehmet II, instruit de l’infidélité des Génois qui avaient aidé secrètement les Byzantins, fit démolir leurs murs et leur imposa un conseil municipal. Deux ponts en fer, construits par les Ottomans, relient aujourd’hui Galata à la capitale. Au temps des Byzantins, il n’existait qu’un pont en bois aux environs d’Eyoub. Galata garde encore plusieurs maisons byzantines. C’est le seul quartier qui ait conservé un si grand nombre de types de l’architecture civile du XIVe siècle. Entre autres monuments de cette époque, on peut citer _Arab-Djami_, ancienne église transformée, après la conquête arabe, en mosquée; l’église de Saint-Pierre, le couvent de Saint-Benoît, occupé par les Lazaristes. En dehors des murs de Galata, s’étendaient des vignes et des jardins. Plus tard, quand les habitants de Galata se multiplièrent, la ville se développa, formant sur ses hauteurs le faubourg de Péra, qui est actuellement le quartier européen. Le nom de Péra provient du mot grec πέρα (qui signifie au delà, d’où περαία, le quartier de la rive opposée). Les Turcs l’appelaient _Bey Oglou_, qui veut dire fils du Prince, parce qu’un des fils de Jean Comnène habitait ce faubourg. Le nom de _Tarlabachi_ démontre encore que ces parages ne contenaient au XVIe siècle que des champs et des vignes. Le Bosphore depuis Galata était bordé de villages. Pour arriver au village Argyropolis (_Foundouklou_) renfermant l’église de Saint-André, il fallait traverser une forêt. Un peu plus loin, s’élevait le village de Diplokionion ou Gunella, _Bechiktache_ (_bechik_, berceau, _tache_, pierre.) Entre Argyropolis et Diplokionion se trouvait un port qui fut comblé sous Ahmed Ier en 1023 de l’Hégire et qui fut nommé _Dolma Bagtché_. Arnaoutkeuy, connu par ces forts courants que les Grecs appelaient _Megarevma_, possédait l’église de l’archange Saint-Michel, construite par Constantin et réparée par Justinien. Chelae (_Bebek_) possédait un temple de Diane. Après le village de Bebek on trouve _Roumili-Hissar_, château fort construit en quatre mois par Mahomet II avant la conquête de Byzance. Sténia, autrefois Sosthénion, ou Léosthénion, village du Haut-Bosphore, possédait un temple et la statue que les Argonautes avaient élevée en l’honneur du Génie qui les avait secourus. Constantin le Grand consacra ce temple à l’archange saint Michel. Il fut détruit en 865 pendant l’invasion russe. Les habitants du Bosphore voyaient alors pour la première fois l’invasion d’un peuple qui, jusqu’alors, leur était inconnu. C’étaient les Russes idolâtres, qu’ils appelaient les «Rhos homicides». Sous la conduite d’Ascold et de Dir, leurs chefs, les Russes avaient traversé le Pont-Euxin sur des centaines de petits navires et occupé les rives du Haut-Bosphore. «Ils décapitèrent les moines, dit M. Schlumberger, les crucifiant, les tuant à coups de flèches et s’acharnant à leur enfoncer des clous dans le crâne.» Thérapia, qui veut dire en grec «guérison», était un lieu de convalescence pour les malades, désireux de changer d’air. Ancien promontoire de Simas, cette ville possédait autrefois un temple de Vénus Meretricia, vénéré par les navigateurs. Buyukdéré était appelé Bathycolpos, ou Megas Agros; on prétend que Godefroy de Bouillon y avait campé. Après avoir passé _Roumili-Kavak_, où Jason avait élevé un autel à Cybèle et les Byzantins le temple de Sérapis, on arrive aux châteaux forts que les Génois avaient construits afin de s’assurer le commerce du Bosphore. Les Génois avaient, dit-on, fermé le détroit par une chaîne semblable à celle des Byzantins. Ensuite vient _Buyuk Liman_, ancien port des Ephésiens, protégé par le cap _Garibtché_, la Charybdis des Phéniciens. La côte asiatique du Bosphore ne comptait pas moins de villages. A l’entrée du Bosphore, près de la mer Noire, sur les hauteurs du promontoire de Hiéron (_Anatoli-Kavak_), on voyait le grand château génois, _Hiero Kalessi_, ancienne forteresse dont subsistent encore les ruines, et le temple des douze dieux, consacré par l’Argien Phrygos et doté par Jason à son retour de la Colchide. On peut encore rappeler, tout près de là, le temple de Jupiter élevé par les Chalcédoniens. Ce temple fut transformé en église par Justinien. Les anciens se disputaient la possession de ce promontoire qui était la clef du Bosphore. Au pied de ce promontoire, la douane byzantine était établie. Prusias, roi de Bithynie, l’avait enlevée aux Byzantins en 192 avant J.-C. Vers le XIVe siècle, les Génois l’occupèrent sous les Paléologues et bâtirent, avec les fragments d’Hiéron, le château fort dont on retrouve aujourd’hui les ruines. «C’est en ce lieu grandiose, raconte M. Schlumberger, que l’eunuque pontife, Ignace, arraché à sa cellule d’Anderovithos, fut jeté par ses gardes dans une étable à chèvres; on l’y laissa de longs mois en plein hiver, demi nu, enchaîné, mourant de faim. Chaque jour, Lalacon le frappait et le couvrait d’injures. On croit rêver en songeant que ce prisonnier était le chef de l’église établie et que ceci se passait à quelques heures de la ville la plus civilisée, rendez-vous des philosophes et des lettrés de tout l’ancien monde». [Illustration: Pl. 12. SAINTE-SOPHIE.--Gynécée. SAINTE-SOPHIE.--Gynécée.] En suivant la rive asiatique du Bosphore, on arrive à la petite échelle nommée _Sutludjé_, d’où un sentier conduit sur la plus haute montagne du Haut-Bosphore. Au sommet de cette montagne (180 mètres au-dessus de la mer) se trouve le tombeau de Josué (_Youcha_), le juge des Hébreux, vénéré aussi par les musulmans. Les superstitions de tous les temps se mêlent autour de cette tombe gigantesque qui a quatre mètres de longueur et un demi-mètre de largeur. Selon les uns, c’était le lit d’Hercule, selon les autres le tombeau d’Amycus, tué par Pollux. Les musulmans la considèrent comme la tombe de Josué. Les malades s’y rendent souvent et, pour se mettre sous la protection du saint, attachent des bouts de chiffons aux grilles de cette tombe, espérant ainsi obtenir la guérison de leurs maux. Cette montagne possède quelques ruines byzantines provenant peut-être de Saint-Pantéléimon et un _ayasma_ (source sacrée) dont l’eau donne aux femmes stériles, dit-on, l’espoir de connaître les joies de la maternité. A l’époque byzantine, cet endroit portait le nom de Κλίνη Ἡρακλέους, lit d’Hercule. L’histoire ne parle ni de la mort ni de l’enterrement d’Hercule qui, pendant l’expédition des Argonautes, avait quitté ses compagnons avant l’entrée du Bosphore. Mais, à ce propos, le docteur Mordtmann, dans ses études sur le Bosphore, écrit justement: «En lisant chez Strabon que les ossements de Melkart étaient conservés à Cadix dans un magnifique tombeau en marbre, au milieu de son temple, nous pouvons bien admettre qu’il s’agit aussi, sur le mont du géant, d’un tombeau ou lit de Melkart, l’Héraclès Syrien, relique préhistorique de la navigation phénicienne pour le Pont-Euxin. «La découverte d’un dieu phénicien dans les décombres d’Amathonte de Chypre, statue en calcaire poreux de 4 m. 20 de hauteur, appartenant au VIIIe siècle et conservée actuellement au Musée impérial ottoman (pavillon Tchinili Kiosk), nous a fait connaître Baal Melkart, appelé par les Hellènes Ἡρακλῆς ἄρχηγευς de Tyr. «On célébrait la fête du réveil de Melkart pendant la saison où les eaux de source recommençaient à couler». On sait que, bien avant la prise de Troie, les Phéniciens naviguaient dans la mer Noire, ouvrant ainsi un chemin au commerce de Tyr et de Sidon. D’ailleurs, le nom phénicien Achkenas, donné à cette mer, suffirait à l’établir. Les Grecs ont fait de ce nom, Achkenas, ἔυξενος (Euxin), attribuant ainsi comme toujours aux mots traduits par eux la signification qu’ils leur souhaitaient. Ils appelaient hospitalière une mer qui ne l’était guère, souhaitant sans doute calmer, par ce qualificatif flatteur, les tempêtes qui l’agitaient. Au pied de cette montagne se trouve le célèbre village de _Beïkos_, où les vaisseaux des Argonautes se ravitaillèrent et où le roi Amycus fut tué. C’est à _Tchoubouclou_ que s’élevait autrefois le cloître des Akoimètes. Lembos (_Kanlidja_) possédait un petit port appelé Lycadien, Nafzimakion (_Vani Keui_), un monastère construit par Justinien, où les femmes de mauvaise vie se retiraient pour y passer leur vie en prières. Le long des rives asiatiques du Bosphore, nous pouvons citer encore les villages d’_Anatoli-Hissar_ où Bayazid Ier construisit un château fort pour assurer le passage de son armée sur le Bosphore, Botamonion (_Geuk Sou_), où se trouvent les Eaux douces d’Asie, Protos Discos (_Tchenguel Keui_), Deuteros Discos (_Beyler bey_), Chrysokeramos (tuiles dorées) (_Kousgoundjouk_), le port du Bœuf, _Eukus Limani_, et enfin Chrysopolis (ville d’or), aujourd’hui _Scudar_ ou _Scutari_ situé en face de la pointe du Seraï. Son nom lui venait selon les uns de Chrysès, fils d’Agamemnon, et selon les autres du mot _uscudar_ qui veut dire en persan lieu de campement. Les Persans accumulaient les richesses de l’Asie Mineure dans cette ville qui a joué dans l’histoire un rôle important. A l’époque des Byzantins, ces parages étaient désignés pour servir au campement des soldats nommés _scutarii_, qui y avaient leur caserne appelée _scutarion_. Cette étymologie paraît la plus vraisemblable. Entre cette ville et Byzance, à peu de distance du rivage asiatique, se dresse en pleine mer un petit rocher surmonté d’une tour. Dans cette tour qui a perdu sa forme primitive, les Byzantins avaient installé un bureau de douanes, et elle est célèbre dans l’histoire sous le nom de la tour de Damalis. Damalis, femme de Charès, général athénien qui résidait à Chrysopolis, fut enterrée sur ce rocher même. Les Européens l’appellent tour de Léandre et les Turcs, _Kis Koulessi_ (tour de la fille). Après la conquête turque, cette tour ayant menacé ruine fut démolie et rebâtie en bois. Quand elle fut plus tard la proie des flammes, on la rebâtit en pierre (sous Ahmed III). Damalis, le promontoire situé vis-à-vis de la tour de Léandre, portait une statue représentant une vache. Une autre statue semblable se trouvait entre _Couroutchéchmé_ et _Ortakeui_, sur un point appelé Vaka. Plusieurs promontoires du Bosphore portaient également des colonnes que les Phéniciens avaient érigées sur le passage de leurs navigateurs et qui remplissaient un rôle analogue au service actuel des phares. Chalcédoine, _Kadi Keuï_[28], existait bien avant la fondation de Byzance. C’est la ville que la fable a présentée comme le village des aveugles; les raisons qui avaient fait choisir Kadi Keuï, de préférence à la ville de Byzance, ne témoignaient pourtant pas d’un tel aveuglement. Elles étaient inspirées par diverses considérations pratiques, telles que la fertilité du sol, l’abondance de l’eau et peut-être aussi par ce fait que la côte d’Europe était déjà occupée par un peuple guerrier, comme l’attestent les murs cyclopéens mis à jour par les travaux du chemin de fer de la Turquie d’Europe à la pointe du Seraï. Le Dr Paspati prétend même qu’il a dû exister là autrefois une acropole semblable à celle de Mycènes et de Troie. Codinus dit qu’à la place de la colonne brûlée s’élevait un sanctuaire du cavalier thrace. [28] Le nom actuel de _Kadi Keuï_ (village du juge) date du moment où les revenus de ce village ont été donnés comme appointements, _Arpalik_, par le Sultan conquérant à Hidir bey, premier Kadi (juge) de Constantinople. Ce village était fameux par son temple d’Apollon, que remplaça l’église d’Euphémie rendue célèbre par le concile de 451. Valens en avait démoli les murailles pour construire son aqueduc. Les Turcs l’appelèrent d’abord _Kaldja Dunia_[29]. [29] D’après Melling, l’architecte du Sultan Selim III, qui dessina en 1715 une vue de ce village, Kadi Keuï ne possédait alors que 400 maisons environ; actuellement on en compte plus de dix mille. Depuis Chalcédoine jusqu’à la ville de Nicomédie (_Ismid_), on rencontrait de petits villages tout le long de la rive asiatique de la Propontide. Après avoir doublé le promontoire de _Moda Bournou_[30], occupé par une partie de Chalcédoine et qui était dans le temps le comptoir phénicien, on se trouve en présence de _Kalamick Keurfezi_, ancien port d’Eutrope, dont le nom rappelle le vieil eunuque qui succéda à Rufin. La rive méridionale du port est limitée par l’ancien cap Hiéron où s’élève actuellement un phare. C’est un des plus beaux points de vue des environs de Constantinople. Justinien y avait bâti un palais, des bains et des chapelles. Théodora y venait souvent passer l’été, fuyant la vie agitée du cirque et la terreur des grandes séditions. [30] Dans les couches inférieures de la falaise, on a dernièrement découvert des ustensiles et des objets appartenant aux époques préhistoriques; le Dr Mordtmann les juge semblables aux antiquités découvertes à Chypre. Voici ce que dit à ce sujet le savant docteur: «Il est permis de formuler deux conclusions: d’abord la présence d’une population indigène (Thrace) dans la vallée de _Kourbali Dèré_ où furent récemment trouvés par M. Milliopoulo des ustensiles préhistoriques de l’âge de la pierre polie, et qui sont identiques à ceux découverts par Schliemann à _Hissarlik_. Cette population doit être contemporaine de celle de Hissarlik; ensuite, l’existence d’un établissement sur le plateau de _Moda Bournou_ à l’époque égéenne où se faisaient les échanges commerciaux avec les étrangers arrivant par mer.» Ce comptoir existait encore au IXe siècle, lorsque les premiers colons mégariens apportèrent le culte dorien d’Apollon. Une preuve de plus de l’existence d’une peuplade préhistorique sur la côte asiatique résulte de ce fait que nous-mêmes avons constaté récemment sur le promontoire de _Maltépe_ des vestiges de cette époque, rappelant un tumulus. Les fouilles que nous allons incessamment y entreprendre en préciseront sans doute l’origine. [Illustration: Pl. 13. SAINTE-SOPHIE.--Galerie supérieure. ÉGLISE DE SAINTE-IRÈNE.] Sur l’extrême hauteur du mont de _Kaïch Dag_, était bâti un monastère; on y découvre aujourd’hui, quand on fouille le sol, des mosaïques qui en proviennent. Là encore se trouvait la station de télégraphie optique. Cette station communiquait jusqu’à la frontière par l’intermédiaire de postes situés sur les points les plus élevés des montagnes. Dès que l’ennemi était en vue, on allumait de grands feux sur le poste le plus voisin, et chacun des autres, répétant à son tour le signal, transmettait la nouvelle jusqu’à la station, établie dans le jardin du Palais impérial byzantin. Le Grand Palais correspondait ainsi, par des signaux et des feux, avec toutes les provinces de l’empire. Les restes du phare employé à cet effet, et qui portait le nom de Kontoscopium, ont été retrouvés par M. Paspati dans l’enceinte du Grand Palais, au milieu d’une agglomération de maisons turques. Un corps spécial, militairement organisé, montait la garde dans ce monument dont l’importance était très grande pour la sécurité de l’Empereur. Cela n’empêcha pas Michel III, surnommé l’ivrogne, qui était passionné pour les jeux du cirque, de supprimer tous les signaux, parce qu’un jour, pendant les jeux, un signal ayant annoncé l’ennemi, l’esprit du peuple en avait été troublé et le plaisir de l’Empereur compromis. Dans la Propontide, à une distance d’une dizaine de milles de la capitale et à l’entrée du golfe de Nicomédie, en face de l’Olympe de Thrace, vieille montagne sacrée du paganisme asiatique, se trouvent plusieurs îles appelées dans le temps Demonisia (îles du peuple) ou Papadonisia (îles des prêtres), à cause de leurs nombreux monastères et couvents. On les a appelées aussi îles des Princes. Comme les intrigues du palais ne cessaient jamais à Byzance, ces îles servirent en effet pendant des siècles de lieu d’exil aux empereurs détrônés et aux plus illustres personnages de l’histoire byzantine. Nul coin sur la terre n’a vu mourir plus de princes et de princesses, souvent les yeux crevés, au fond des cellules. Nul endroit dans le monde n’est rempli d’aussi tragiques souvenirs, contrastant avec la beauté naturelle et le pittoresque de ces îles. Elles ne contenaient autrefois que les monastères fondés en majeure partie par des princes et princesses. Quelques bâtiments sans intérêt architectural, agglomération d’oratoires, d’églises, de logements pour les prêtres, de cellules, quelques cabanes de pêcheurs et de fournisseurs des monastères, formaient l’ensemble de ces constructions. Les îles des Princes, au nombre de neuf, sont disposées en quelque sorte sur une ligne parallèle à la côte asiatique, dans l’ordre suivant: Proti, Antigoni, Pitys, Halki, Prinkipo, Andérovithos, ou Terebinthos, Neandros et, un peu à l’ouest vers l’Hellespont, Plati et Oxya. De ces neuf îles, quatre seulement sont habitées aujourd’hui, les autres n’étant que des étendues de terre sans arbres et sans eau. L’île la plus rapprochée de la capitale s’appelait Proti (première) (_Tinaki_). Elle contenait trois monastères et une gigantesque citerne dont on voit encore les restes. L’Empereur romain Lécapène fut relégué par ses propres fils dans un de ces monastères que le Romain avait bâti sur la partie la plus élevée de l’île. Là fut enterré le corps mutilé à coups de hache de l’empereur Léon l’Arménien (820). Michel Rangabé et plusieurs autres y furent exilés après avoir eu les yeux crevés. La deuxième île s’appelait Antigoni, en turc, _Bourgas_, «Antigoni doit, semble-t-il, son nom, dit M. Schlumberger, au fameux Antigone, l’ancien général d’Alexandre. Son fils, Démétrius Poliorcète, voulut de la sorte immortaliser le nom de son père lorsqu’il vint dans la mer de Marmara, en 298 avant J.-C., combattre pour la liberté des détroits et l’empire du monde, contre Lysimaque de Thrace et Cassandre de Macédoine.» Là se trouvait l’ancienne église de Saint-Jean-Baptiste construite par l’impératrice Théodora (842), après la mort de son époux, Théophile l’Iconoclaste. Basile le Macédonien y avait fait bâtir un couvent. Constantin Porphyrogénète y avait fait enfermer Etienne, fils de Lécapène (912-959). Tout près de cette île on voit l’île de Halki, appelée en turc, _Heibeli Ada_, et qui tirait son nom de Halki, Chalcitis, d’une mine de cuivre très probablement déjà exploitée dans les temps préhistoriques. Des gâteaux de cuivre récemment découverts à Moda semblent provenir de cette mine. Halki possédait le couvent de la Panagia bâti par Jean Paléologue et sa femme Marie. Ce couvent brûla en 1672. Sur son emplacement s’élève actuellement l’école grecque commerciale. On y trouvait aussi le monastère de la Trinité, fondé par Photius, un des patriarches les plus savants du IXe siècle, qui proclama en 857 le grand schisme d’Orient. «On ne sait rien, dit M. Schlumberger, de l’histoire de cet édifice à l’époque byzantine, ni de celle des moines qui y ont vécu sous les empereurs grecs, comme sous les sultans ottomans.» Une école théologique grecque, qui est actuellement le séminaire de l’Église orthodoxe, fut en 1844 construite sur son emplacement. En 1828, pendant le conflit turco-russe, le monastère de Halki devint le séjour des prisonniers russes. A une faible distance du collège, non loin du cimetière russe, on remarque la tombe de sir Edouard Barton, le second ambassadeur anglais envoyé auprès de la Sublime Porte et mort (1598) à Halki. Parmi les îles habitées, la plus éloignée de la ville s’appelait Prinkipo, _Buyuk ada_. C’est la plus grande et la plus importante: elle est formée de deux grands pics séparés l’un de l’autre par un col; elle a à peu près 8 kilomètres de circonférence et forme un site des plus pittoresques. Au nord-ouest de la ville, se trouvait le couvent appelé Camaraïa (les voûtes) ou monastère d’Irène, construit d’abord par Justin et reconstruit par l’impératrice Irène. Cette dernière, régente pour son fils Constantin, le détrôna, et après lui avoir fait crever les yeux, l’emprisonna dans ce couvent. Elle y avait aussi enfermé sa petite-fille, Euphrosyne, que l’empereur Michel le Bègue (820-829) enleva plus tard pour l’épouser. L’impératrice Irène, détrônée à son tour par Nicéphore le logothète, fut reléguée d’abord dans ce monastère, puis transférée à Lesbos (Mitylène), où elle mourut en 803. On ramena son corps à Prinkipo et on l’inhuma dans ce même couvent. Actuellement, du grand couvent de femmes de Prinkipo, on ne voit que des chambres demi voûtées, des restes de cellules, et les murs épais d’un oratoire. L’impératrice Zoé, fille de Constantin VIII, fut aussi reléguée à Prinkipo par ordre de Michel le Calfat, et la mère d’Alexis Comnène et ses enfants y furent emprisonnés par ordre de Michel Ducas. Cette île compte encore plusieurs autres monastères, dont les principaux sont reconstruits, tels que celui de Christos et de Saint-Nicolas et celui de Saint-Georges. Les autres petites îles, quoique non habitées, ont été aussi le théâtre d’événements historiques: Constantin, fils de l’empereur Romain Lécapène, fut exilé en 945 par son père à Terebinthos, située en face du couvent de Saint-Nicolas. Le patriarche Théodose y fut relégué par ordre d’Andronic Comnène en 1183. Oxya (la pointue), située derrière les îles de Proti et d’Antigoni, vit l’exil de Gébon qui prétendait être fils de l’impératrice Théodora, ainsi que celui de Niképhoritzès, le cruel eunuque, à qui l’on avait auparavant crevé les yeux. On y remarquait un petit oratoire, devenu célèbre et qui avait été bâti par le patriarche Anastase. Plati (la plate) voisine d’Oxya, fut un lieu de supplices. On y voit encore les ruines d’une ancienne église, élevée en 860 par le patriarche Ignace Rangabé, ainsi que celles des horribles prisons souterraines, véritables tombeaux vivants, dont l’origine remonte à l’époque hellénique, et les vestiges d’un château construit en ces temps derniers par un anglais, sir Henry Bulwer. Par ordre de l’empereur Constantin VIII, le patrice Basile Bardas fut emprisonné dans les oubliettes de Plati. Les îles des Princes durent à leur voisinage de la capitale d’être souvent pillées par l’ennemi et ravagées par les pirates. Pendant la conquête latine, Dandolo avait recommandé le pillage des îles des Princes comme moyen d’approvisionnement. «Plusieurs fois encore, dit M. Schlumberger, sous le terrible Andronic Comnène, puis sous Andronic Paléologue le vieux, des aventuriers latins vinrent occuper les îles, après y avoir brûlé couvents et maisons d’habitations. Les corsaires vénitiens de Candie, en arrivant à Prinkipo, brûlèrent toutes les constructions et s’emparèrent de tous les habitants, moines et laïques. Puis, ayant empilé sur leurs navires les plus considérables de leurs captifs, ils allèrent jeter l’ancre en vue de Constantinople. Là, ces infortunés, dépouillés de leurs vêtements, furent pendus par les pieds aux vergues des mâts et déchirés à grands coups de fouet: il fallut que le vieil Andronic vidât son trésor presque épuisé déjà, pour payer à ces forbans les quatre mille pièces d’or de rançon qu’ils réclamaient.» IV.--LES MURS ET LES TOURS Constantin avait entouré Constantinople d’une enceinte qui enfermait seulement les cinq collines de la ville. Ces murs commençaient à proximité de Psamatia et arrivaient à l’ancienne porte Dorée, près de la mosquée _Essé-Kapoussou_, dont le nom fut plus tard donné à la porte Dorée de la ville. Ils passaient près du monastère de Dius, traversaient la vallée du Lycus et, après avoir gravi la colline qui partait de l’église des Saints-Apôtres, descendaient à la porte de Platea Mesa (_Oun Kapani_). Aujourd’hui, on ne rencontre que quelques fondations en ruines de cette muraille. La construction et la garde de ces murs avaient été confiés à 40.000 Goths. Plus tard, sous Théodose II, il fallut élargir cette enceinte, et protéger les nouveaux quartiers qui s’étaient formés en dehors des murs constantiniens. Le préfet Anthémius bâtit d’abord en 412 un premier mur intérieur, puis en 447, Cyrus Constantin, un autre préfet, doubla la nouvelle muraille qui avait souffert d’un tremblement de terre, et porta le fossé plus loin. Ce sont ces murs que l’on voit encore aujourd’hui. «Ce rempart, dit M. Schlumberger, est bien plus grandiose que celui de Rome, plus poétique et plus sauvage que celui d’Avignon, infiniment plus étendu et plus important que ceux de Carcassonne ou d’Aigues-Mortes.» L’ensemble de tous les murs qui défendaient la ville formait un triangle. Les murs maritimes ne comportaient qu’une rangée de murs consolidés par des tours, tandis que ceux du côté de la terre étaient les plus importants. Ils consistaient en trois lignes de défense, protégées par des tours octogonales, carrées et hexagonales et par un vaste fossé rempli d’eau. Les eaux de la Propontide pénétraient dans le fossé jusqu’à la porte de Pigi, et celles de la Corne d’Or jusqu’à un certain point près des Blaquernes. A partir de ces deux points, le terrain était en effet plus élevé que le niveau de la mer, et le fossé n’était plus rempli que par les eaux de pluie. Des diataphrismata (murs, digues) arrêtaient l’eau aux points inclinés, en sorte que la ville se trouvait entourée de tous côtés par les eaux. Des ponts en bois reliaient les rives entre elles. On les détruisait en temps de guerre. Les portes militaires n’avaient pas de ponts. Les ponts en pierre qu’on voit actuellement sont d’une construction postérieure à la conquête de Constantinople. Les murs théodosiens s’étendaient depuis la côte de la Propontide jusqu’au palais de Blaquernes. La partie située entre Tekfour-Séraï et la Corne d’Or était plus fortifiée que les autres. Le palais des Blaquernes était entouré par quatre rangées de murs. Le mur de l’intérieur avait été construit par Anastase, lors de la reconstruction du palais ou plus probablement par Héraclius, quand il arma la ville en prévision de l’agression des Avares. La quatrième ligne de défense était formée par des murs solidement construits qui touchaient d’un côté au fossé du tribunal et de l’autre à la tour d’Isaac l’Ange. La colline des Blaquernes était divisée en deux parties par un mur: l’une, avec le palais et le quartier des Caligaria et l’autre, la partie basse de la colline, qui touchait à la Corne d’Or. Cette dernière, comprenant les églises de Notre-Dame des Blaquernes, des Saints-Nicolas et Priscus et de Saint-Pierre et Saint-Marc, n’était défendue que par deux rangées de murs construits sous Héraclius. Léon V l’Arménien y avait ajouté un second mur destiné à protéger l’église des Saints-Nicolas et Priscus restée hors des murs d’Héraclius. Ce petit quadrilatère, qui contient aujourd’hui un ayasma, est appelé d’après les topographes modernes Pentapyrgion, tandis que d’après les historiens byzantins, le bâtiment de ce nom faisait partie du grand palais bâti sur la Propontide. Les murs avaient 16 kilomètres de longueur et étaient renforcés par plus de 400 grandes tours de formes différentes. La plupart de ces tours sont carrées; quelques-unes sont de forme hexagonale, octogonale ou ronde. Elles avaient à l’intérieur plusieurs étages, auxquels on accédait par des escaliers en pierre, pris dans l’épaisseur des murs. Chaque tour était munie de canons, de grosses pierres et d’autres engins de guerre. Ces murs, souvent ébranlés par les tremblements de terre et par les assauts des armées ennemies, tombèrent plus d’une fois en ruine et furent réparés au cours des siècles par les différents empereurs byzantins, et principalement par Théophile, qui les reconstruisit de fond en comble, ainsi que l’indiquent plusieurs inscriptions gravées sur les tours. Les murs et les tours ont été à différentes reprises consolidés par les Turcs après la prise de Constantinople. Ce serait donc une erreur de voir dans ces ruines les effets de la guerre. En les observant avec soin, on constate qu’elles proviennent surtout des ravages du temps et des tremblements de terre. [Illustration: Pl. 14. ÉGLISE SAINTS SERGE ET BACCHUS.--Chapiteaux et frise. MOSQUÉE DE KAHRIÉ.--Intérieur de la chapelle latérale. (Parekklesion.)] Parmi les tours les plus remarquables, plusieurs sont célèbres par le rôle qu’elles ont joué dans l’histoire. Les tours du Cyclobion, _Yedi-Koulé_ (les sept tours), appelées aussi par les Grecs Pentapyrgion, car le château n’avait alors que cinq tours, furent réparées et reconstruites successivement par les sultans turcs, et servirent longtemps de prison aux ambassadeurs étrangers. Deux de ces tours furent ajoutées en 1470 par Mehmet II. Les deux tours carrées qui protègent la porte Dorée consistent simplement en des blocs de marbre posés les uns sur les autres. Les prisonniers des légations européennes étaient jusqu’en 1768 enfermés dans les cachots de ces tours. A cette date, M. Obreskow, chargé d’affaires de Russie, qui était en prison, tomba malade et les autres ambassadeurs obtinrent du Sultan que les prisonniers pussent habiter une des maisons qui se trouvaient dans l’enceinte du château fort. Il y avait une dizaine de maisons et une mosquée destinées aux troupes de la garnison, qui comportait l’agha (commandant), le kahia (lieutenant), 6 beuluks bachi (officiers) et environ 50 soldats. Dans la suite, le général Sébastiani, alors ambassadeur de France à Constantinople, amena le Sultan à autoriser M. Obreskow à retourner dans son pays. Le plan de ce château fort qui figure dans l’ouvrage de Melling, a été dessiné d’après les renseignements fournis par M. Pouqueville aîné, consul général de Janina, qui a été longtemps enfermé dans cette prison. Il nous donne une idée exacte de la disposition des maisons qui existaient alors dans son enceinte. Près de la porte de Selymbria, on trouve la tour dite de Constantin; on y voit six colonnes de marbre rouge encastrées dans les murs. Un peu plus loin, la tour de Saint-Romain. A l’endroit où les eaux de la vallée du Lycus pénètrent dans la ville, s’élève une tour appelée par les Ottomans _Soulou Koulé_ (tour mouillée); vient ensuite la tour d’Andronic et la tour de Basile. Puis, sur les murs de Manuel, se trouvent la tour d’Isaac l’Ange et la tour d’Anémas. Cette dernière servait de prison. Son nom provenait, dit-on, de Michel Anémas, fils d’un roi de Candie, qui y fut enfermé sous Alexis Comnène. La tour d’Isaac l’Ange avait trois fenêtres sur la façade extérieure et un balcon. Les trois autres façades n’avaient qu’une seule fenêtre chacune. De ces fenêtres, celle du sud faisait communiquer l’intérieur de la tour avec la plate-forme des murs, celle du nord servait de communication avec le chemin de ronde de la tour d’Anémas. Tout près de cette tour on voit aujourd’hui les substructions d’un mur qui séparait jadis le palais du quartier des Blanquernes. La tour a servi au dernier empereur de Byzance d’observatoire pour étudier les mouvements de l’ennemi pendant le siège. A côté des murs maritimes de la Propontide, une des tours les plus célèbres était celle de _Marmara Koulé_, la tour de marbre, dont le pied est baigné par les eaux de la Propontide. Elle servait de prison aux Byzantins. Son origine remonte au temps de la dynastie macédonienne. Dans cette tour, on peut voir la prison des Byzantins mentionnée par Nicétas Acominate. On y voit encore l’ouverture par laquelle on jetait les corps des suppliciés dans la mer. Près de cette tour, il en existait une autre appelée par les Turcs _Arab Koulessi_ et qui servait jadis d’hôtel des monnaies. A l’ouest de cette porte, une échelle nommée _tach iskellessi_ était autrefois utilisée pour le débarquement des empereurs quand ils se rendaient du Grand Palais à Pigi par voie de mer. La tour des Manganes est souvent citée également par les historiens. Il est assez difficile aujourd’hui d’indiquer d’une façon exacte son emplacement, qui était voisin de l’Acropole. Parmi les tours qui garnissaient l’enceinte de Galata, il faut citer la tour du Christ qu’on voit encore aujourd’hui, _Galata Koulessi_, et qui avait probablement été construite par Anastase Ier ou par Zénon au Ve siècle. Cette tour, qui est actuellement la plus élevée, avait 40 mètres de hauteur et atteignait une altitude de 150 mètres au-dessus du niveau de la mer. Elle était recouverte d’un toit conique très original. On y montait par un escalier de 140 marches adossées contre le mur de la tour, et divisé en huit paliers. On l’appelait aussi tour des Génois. D’après Melling, elle servait encore en 1751 de corps de garde pour les officiers préposés au maintien de l’ordre public. Au premier signe d’incendie, ou dès qu’un événement extraordinaire se produisait, l’alarme était donnée de la tour, au moyen d’un énorme tambour et, s’il faisait nuit, au moyen de feux allumés au sommet de la tour. La tour exhaussée et réparée plusieurs fois par les Turcs a perdu sa forme primitive. A l’époque où Melling l’a décrite (1703-1730) elle possédait encore son toit conique qui lui donnait un aspect moyenâgeux. Ce toit ayant été brûlé en 1794 fut remplacé par un toit d’une autre forme. V.--LES PORTES Parmi les nombreuses portes, on distinguait les portes civiles et les portes militaires. Les premières servaient de passage aux habitants et facilitaient la communication avec les quartiers situés hors de la ville. C’est à elles qu’aboutissaient les routes venant des environs et celles partant des portes de la première muraille constantinienne, qui n’avait pas été rasée, comme on l’a prétendu à tort. Les portes civiles étaient reliées avec l’extérieur par de larges ponts jetés sur le fossé. En temps de guerre, on détruisait ces ponts et on murait la baie des portes. Les portes militaires, protégées stratégiquement par des tours et d’autres dispositifs, restaient toujours fermées par de lourdes et doubles portes en fer et ne s’ouvraient que pour les contre-attaques ou pour permettre l’entrée des secours. Plusieurs de ces portes militaires, ouvertes pendant la guerre, étaient murées ensuite. Les portes civiles de la muraille théodosienne eurent les mêmes noms que celles de Constantin. On les distinguait seulement entre elles par l’attribut de Vieille et de Nouvelle. Cette appellation a subsisté jusqu’à nos jours et plusieurs portes sont qualifiées de «Nouvelles» (_Yeni_), bien qu’elles soient couvertes d’inscriptions très anciennes. Il est facile aujourd’hui de retrouver l’emplacement de ces portes, qui sont encore fort bien conservées. Mais il est plus malaisé de les désigner exactement par leur nom, car les plans et ouvrages, édités au cours des siècles, ne s’accordent pas sur les noms. Cette confusion a induit en erreur plusieurs auteurs, pour ce qui touche, entre autres, les portes de Charisios et de Caligaria, qui ont été le théâtre de grands événements historiques et qui ont par la suite fait l’objet de longues discussions. Les portes murées, en effet, désorientèrent beaucoup les topographes, qui ne savaient pas au juste quel emplacement assigner à chacune des portes citées par séries dans les ouvrages historiques. [Illustration: Pl. 15. SAINTE-SOPHIE.--Porte en bronze. MOSQUÉE DE KAHRIÉ.--Chapiteau avec croix de l’église Khora.] Du côté de la terre ferme les portes avaient les situations suivantes: 1º _Aurea Porta_ (Porte Dorée), (_Yaldizli Kapou_): Cette porte, percée dans le mur de Théodose, avait autrefois la forme d’un arc de triomphe à trois arcades; celle du centre, destinée au passage du cortège triomphal de l’Empereur, était monumentale. L’entrée de cette porte était ornée de statues parmi lesquelles on remarquait la statue d’Hercule, le supplice de Prométhée et un bas-relief représentant une victoire sur Maxime. La grande rue triomphale qui traversait la ville pour conduire à l’Augustéon, partait de cette porte. A leur retour de campagne, les empereurs y passaient en triomphe pour pénétrer dans la ville. Exclusivement réservée aux entrées solennelles des empereurs, elle n’était point accessible au peuple, qui traversait le passage ouvert à quelques pas au nord, et qu’on nommait la Petite Porte, tandis que pour l’en distinguer, on appelait Grande Porte la porte comprise dans le château des Sept-Tours. «D’après les topographes modernes, dit le Dr Mordtmann, la petite porte dorée aurait été ouverte après la conquête ottomane. Mais l’insertion de l’arc construit en briques, au niveau des briques des murs anthémiens, est un témoignage irrécusable de son origine byzantine. De plus, au-dessous de la voûte se trouve l’aigle byzantine en marbre, emblème que les Turcs n’auraient certainement pas fait figurer là, mais qu’ils ont laissé subsister, de même qu’ils ont respecté les images dans les églises converties en mosquées.» 2º _Porta Pentapyrgii_ (Porte des Cinq-Tours), (_Yedi Koulé Kapoussou_): Cette porte était la porte civile du château du Pentapyrgion; elle fut appelée plus tard Heptapyrgion (Sept-Tours), après qu’un des Cantacuzène eut ajouté deux autres tours en 1350. Le château des Sept-Tours répond à peu près au style de l’époque byzantine; il était connu alors sous le nom de Cyclobion. La forme actuelle remonte à l’époque du Sultan conquérant. Au-dessus de la porte, à l’intérieur, on aperçoit une aigle byzantine sculptée sur une plaque et enclavée dans le mur. 3º _Porta Pegana_ (porte de Pigi), (_Silivri Kapoussou_): Sur la façade Est de la tour méridionale anthémienne de cette porte, on voit l’inscription suivante: «Cette porte de la fontaine vivifiante, protégée par Dieu, fut réparée avec le concours et aux frais de Manuel Bryenne Leontaris, le loyal serviteur de l’empire des très pieux empereurs, Jean et Marie Paléologue, au mois de mai 6946 = 1438.» 4º _Porta Melandisia_ (_Mevlevi Hané Kapoussou_): Les nombreuses inscriptions qui la garnissent l’identifient avec l’ancienne porte de _Rhegium_; on l’a aussi nommée porte de la Faction Rouge ou _Porta Roussii_. A l’intérieur de la porte, on voit quelques inscriptions, desquelles le nom de la faction a été enlevé au moyen du ciseau. «Victoire à la fortune de Constantin, notre seigneur protégé par Dieu et par la [faction rouge].» C’est la même porte, dit M. Dethier, à laquelle Igor fixa son bouclier en 912, comme signe que les Rhos (Moscovites) reçus hospitalièrement à Eyoub comme mécréants, auraient le droit d’entrer dans la cité. 5º _Porta Ayos Romanos_ (Porte Saint-Romain), (_Top Kapou_): Cette porte, surtout, est célèbre dans l’histoire; elle a été appelée _Top Kapou_ par les Turcs, parce que le Conquérant avait installé son grand canon en face d’elle. 6º _Porta Aya Kiriaky_ (Porte des Avares), (_Soulou Koulé Kapoussou_): Cette porte actuellement murée était ainsi appelée du fait que les Avares s’en étaient servis pour entrer dans la ville. 7º _Porta Charisii_ ou _Porta Myriandrii_ ou _Polyandrii_ (porte d’Andrinople), (_Edirné Kapoussou_): L’emplacement de cette porte a toujours fait l’objet des plus vives controverses. Quelques-uns ont cru qu’elle devait se trouver à la place de la porte d’_Egri Kapou_. Mais plusieurs topographes nous démontrent que cet emplacement est loin d’être correct. Le Dr Mordtmann ayant étudié les différentes inscriptions qui ornent cette porte, la situe au lieu dit aujourd’hui, _Edirne Kapoussou_. 8º _Porte de Constantin_: Actuellement murée. Elle se trouve à environ quarante pas vers le sud du point où les murs prennent la perpendiculaire, après avoir formé un angle près du palais de Constantin. _Cerca Porta_ (porte du cirque). Selon quelques chroniqueurs, les Ottomans seraient entrés pour la première fois dans la ville par cette porte, négligée pendant le siège. «Les savants, dit M. Dethier, qui prennent pour paroles d’évangile tout ce que les auteurs contemporains racontent, se sont évertués à trouver cette porte, l’un par-ci, l’autre par-là, sans réfléchir que chaque tour offrait de petites portes de sortie, sans parler d’une quantité de _pylidia_ dans les murailles. Ce n’est pas là le seul récit que de tous temps, même de nos jours, on raconte pour se placer comme invincibles et pour ne pas convenir que l’ennemi a été le vainqueur en règle.» Mais si, selon les topographes modernes, il existait deux portes de Constantin, l’une appelée porte A et l’autre porte B, il faut chercher la porte du cirque ailleurs qu’à l’endroit indiqué sur la carte. 9º _Porta Caligaria_ ou _Ayos Yannis_ (porte de Saint-Jean), (_Egri Kapou_): Cette porte donnait accès au quartier de Caligaria. 10º _Xylina Porta_ (_Aïvan Seraï Kapoussou_): Cette porte, qui est la dernière sur les murs terrestres, ne conduisait pas directement dans la ville. Elle ne servait qu’aux communications de la partie littorale de la ville avec la route arrivant du Cosmidion. Elle fut détruite dernièrement, en même temps qu’une tour et une partie des murs qui reliaient le mur héracléen à la mer. Le quartier qui était situé dans la partie du littoral de la ville, entre la mer et les murailles, était appelé τὸ μέροσ τοῦ Κυνηγοῦ, mais il faut bien distinguer cette appellation de celle du théâtre des combats de bêtes fauves situé sur la pointe du Seraï. 11º _Poterne de Saint-Callinique_: Était célèbre du temps des Byzantins comme lieu d’exécution des condamnés. A côté de la _Xylo Porta_, il y a une porte qui mène directement à l’Ayasma des Blaquernes. Cette porte n’a été ouverte que lorsque la porte des Blaquernes eut été définitivement close. [Illustration: Pl. 16. MOSQUÉE DE KAHRIÉ.--(Ancienne église de Khora.)] VI.--LES PORTES DES MURS MARITIMES DE LA CORNE D’OR Les murs de la Corne d’Or ne se trouvaient pas tout à fait au bord de la mer. Un assez large espace les séparait du rivage. En partant de Xylo Porta, les portes de la Corne d’Or étaient situées comme suit: 12º _Porta Palati_ ou _Cynegii_ (porte du palais des Blaquernes), (_Balat Kapoussou_): Cette porte était appelée jadis _Basilica Porta_ ou Porte impériale. Pendant la conquête, c’était Lucas Notaras qui la défendait. Hamza, amiral Turc, passa par cette porte pour entrer dans la ville. 13º _Porta phari_ (_Fener Kapoussou_): Sur le promontoire où se trouvait cette porte, s’élevait jadis le phare de la Corne d’Or. C’est à cet endroit seulement que les murs maritimes étaient doublés. 14º _Porta Petrii_ ou _Sidero Porta_ (_Petri Kapoussou_): Cette porte est mentionnée pour la première fois par l’Alexiade sous le nom de porte de Fer. Les croisés, ainsi qu’une partie des Turcs, pénétrèrent dans la ville par cette porte. De là jusqu’à la porte du Phare, un second mur s’étendait, formant une enceinte intérieure appelée le château de _Petrion_. Cette enceinte renfermait de nombreux couvents et églises. Il faut bien distinguer le Petrion ou Petria, qui doit son nom à l’église de Saint-Pierre, du quartier de Palea Petra (ancien Petra) siège de nombreuses églises et qui se trouve près de _Balat_ dans le quartier de _Kesmé Kaya_ (rocher argileux). 15º _Porta Aya Teodosi_ (ancienne porte de Sainte-Théodosie), (_Eski Aya Kapoussou_): Le nom de cette porte vient d’une église qui s’appelait _Aya Theodosia_ (actuellement Gul Djami). Là reposent les restes du seïd Mehmed, Segban-Bachi du Conquérant. 16º _Yeni Aya Kapoussou_: Cette porte fut ouverte par les Turcs après la prise de Constantinople. On voit encore non loin d’elle les ruines d’une ancienne église byzantine. 17º _Porta Puteae_ (_Djubali Kapoussou_): Appelée ainsi par les Turcs, du nom d’un chef de l’armée arabe nommé Ali, qui fut fait prisonnier pendant l’invasion arabe. 18º _Porta Platea Mesa_ ou _Farina_ (_Oun Kapan Kapoussou_): Ainsi appelée à cause de la disposition du terrain des quartiers qui se trouvaient derrière elle, Plateia (plaine). Quant à l’appellation de _Mesa_ (milieu) elle vient de ce que cette porte se trouvait à égale distance des extrémités des murailles de la Corne d’Or. 19º _Porta Drungarii_ (_Odoun Kapoussou_): D’après M. Diehl, la Porta Drungarii correspondait à _Zindan Kapoussou_, mais c’est à la place d’Odoun Kapoussou qu’il faut la chercher. Derrière cette porte se trouvait le quartier des Vénitiens, renfermant les églises de Saint-Marc et de Sainte-Marie. 20º _Porta juxta quam est ecclesia Precursoris_ (_Zindan Kapoussou_). 21º _Porta Peramatis_ (_Balik Bazar Kapoussou_). 22º _Porta Ebraiki_ (porte des Juifs), (_Tchifut Kapoussou_ ou _Yeni Djami Kapoussou_): La partie du littoral qui se trouvait derrière cette porte était appelée Zeugma (trajet), parce que le trajet de Galata s’accomplissait par là. Ce nom a été remplacé plus tard par celui de Pérama. 23º _Porta Neorii_ ou _Porta Eugenii_ (Eugène), (_Bagtché Kapoussou_): Cette porte séparait le quartier des Vénitiens de celui des Pisans. Son nom provenait, dit-on, d’Eugénius, un des sénateurs qui y avait son palais. C’est par elle que toutes les marchandises entraient dans la ville et elle était une des plus importantes de la Corne d’Or. Une des extrémités de la grande chaîne qui barrait la Corne d’Or était attachée[31] à une des tours, voisine de cette porte. Là se trouvait aussi le quartier des Arabes, qui correspond actuellement aux environs de la station de chemin de fer de Sirkedji. 24º _Porta Aya Barbara_, (porte de Sainte-Barbe), (_Top Kapoussou_): Cette porte se trouvait sur la pointe du Séraï près de Saint-Démétrius. [31] L’autre extrémité de la chaîne était attachée en face, sur les rives de Galata, à une autre tour située près d’un castel que l’on surnomme actuellement _Kourchounlou Mahzen_. VII.--LES PORTES DES MURS MARITIMES DE LA PROPONTIDE 25º Après la porte d’Aya Barbara venait une autre porte appelée par les Turcs _Deïrmen Kapoussou_, qui conduisait au couvent de Saint-Georges. La tour des Manganes se trouvait au nord de cette porte. Cette tour était le point d’attache de la chaîne qui barrait jadis le Bosphore. Elle était située en face du rocher de Damalis. D’après Nicétas, Manuel Comnène avait fait construire sur ce rocher une tour appelée alors _Arcla_. 26º _Porta Ayos Lazaros_: Cette porte était appelée aussi porte de l’Hodigitria. C’est par là qu’on montait vers Sainte-Irène. 27º _Porta Palatii Imperialis_. 28º _Porta marina_ (_Tchadladi Kapou_): Cette porte, qui se trouve près du port de Julien, est appelée par les Turcs _Tchadladi-Kapou_ (porte fendue); elle fut en effet fendue par un tremblement de terre en 1532. A quelques pas sur la mer, subsistent des ruines qu’on suppose être celles de l’ancienne maison de Justinien. On y rencontre des substructions de voûtes et un large mur qui formait la limite occidentale du grand palais. Tout près de cette porte, à l’entrée d’un égout, on voit actuellement deux colonnes. Les inscriptions qui y sont gravées permettent de rattacher ces piliers au piédestal qui portait jadis la statue de Justinien à l’Augustéon. 29º _Porta Contoscali._ Ici le mur tourne vers l’intérieur et, après avoir formé un rectangle, arrive de nouveau à la mer. 30º _Porta Vlanga_ (_Vlanga Kapoussou_). 31º _Porta Ayos Emilianos._ 32º _Porta Psamathia_ (_Samathia Kapoussou_): Ainsi appelée à cause du rivage sablonneux. 33º _Porta Ayos Yannis_ (_Narli Kapou_): Son nom provenait du couvent de Saint-Jean-Baptiste du Stoudion (_Imrahor djamissi_); on l’appelle actuellement Porte aux grenades, à cause des grenadiers qui y poussaient en abondance. L’inscription qu’on peut lire sur la tour octogonale de cette porte témoigne qu’elle a été construite par Manuel Comnène Porphyrogénète. CHAPITRE III L’ART ET LES ÉDIFICES BYZANTINS I.--L’ART BYZANTIN Lorsque la capitale de l’Empire romain eut été transférée à Byzance, les artistes byzantins, inspirés par l’art gréco-romain et par les styles locaux, créèrent un art possédant son originalité propre et qui s’appelle l’art byzantin. Cet art, que l’on fait remonter à la construction de Sainte-Sophie, est plus ancien encore. Sainte-Sophie ne contribua qu’à fixer le type classique de l’architecture byzantine[32]. [32] Choisy. _L’art de bâtir chez les Byzantins_, page 152. Bien avant l’époque de Justinien, Byzance avait créé un art propre, qui peut être considéré comme un mélange des arts mésopotamien, sassanide et gréco-romain. Toutefois jusqu’au VIe siècle, c’est-à-dire jusqu’à la construction de Sainte-Sophie, cet art présente surtout l’aspect d’un art gréco-romain d’Orient. En effet, les artistes byzantins, imbus des idées de l’époque classique, guidés par les modèles païens de l’ancien art grec, traitaient tous les sujets d’après l’antique. Toutes les œuvres qui nous ont été conservées attestent cette influence. D’ailleurs, les chefs-d’œuvre apportés par Constantin le Grand et ses successeurs pouvaient alors offrir aux artistes byzantins les plus parfaits modèles de l’art grec. Ces chefs-d’œuvre furent, jusqu’à la conquête des Latins, la source d’une inspiration féconde[33]. Les Latins eurent tôt fait de les détruire. [33] Bayet. _L’art byzantin._ Dès le temps de Septime-Sévère, les Romains avaient renoncé aux plates-bandes d’origine grecque pour adopter l’emploi de l’arcade et des coupoles assyriennes, qui étaient en usage en Perse depuis plus de trente siècles. Jusqu’à Dioclétien, l’arcade sur colonne n’était employée que dans un but purement décoratif. On appliqua, pour la première fois, l’arcade sur colonnes à la construction monumentale dans le palais bâti à Spalato par Dioclétien. Plus tard, à Byzance, les lignes droites des basiliques romaines furent remplacées par des lignes courbes et l’on commença à construire des églises circulaires avec quelques naïfs essais de coupoles à pendentifs. La forme circulaire répondait mieux à l’emploi de la coupole, mais elle ne permettait pas aux édifices de recevoir les fidèles en assez grand nombre. Pour remédier à cet inconvénient, les architectes byzantins, s’inspirant des basiliques romaines, firent porter la coupole sur un plan carré à pendentifs sphériques et donnèrent ainsi à la coupe de l’ensemble la forme d’une croix à branches égales (croix grecque). L’usage des briques avait beaucoup facilité la construction des coupoles. Le désir de propager le christianisme poussa les empereurs byzantins à construire des églises en grand nombre. Tous les efforts artistiques se portèrent alors vers l’architecture, ce qui contribua beaucoup au développement de l’art byzantin. Vers le VIe siècle, Justinien qui disait: _Non multum inter se differunt sacerdotium et imperium_, et qui n’avait en effet d’autre but que celui d’unir l’Église et l’État, désireux de réaliser son rêve, fit bâtir par Anthémius de Tralles et ensuite par Isidore de Milet, l’église de Sainte-Sophie. Cette œuvre géniale consacre d’une façon définitive le type classique de l’art byzantin, qui recevait ainsi, après deux siècles de tâtonnements, sa forme caractérisée: 1º Par le plan en forme de croix grecque; 2º Par l’usage de la coupole sur pendentifs; 3º Par des chapiteaux cubiques à dosseret; 4º Par un large emploi des mosaïques. Les murs intérieurs des églises étaient tapissés en outre de plaques de marbre, dont les veines multicolores fournissaient des motifs décoratifs. D’autres types furent créés dans l’église des Saints-Apôtres à Constantinople, et dans celle de Saint-Vital à Ravenne, où la coupole centrale reposait sur un plan octogonal. On peut voir aujourd’hui plusieurs de ces églises byzantines à Constantinople, à Salonique et en Grèce. Elles offrent des modèles classiques de l’architecture byzantine. Mais cette architecture n’a jamais atteint son apogée, quoi qu’en disent certains auteurs qui, exagérant son importance, n’hésitent pas à considérer les moindres chapelles comme équivalentes à Sainte-Sophie. D’après tous ces modèles, il est permis d’affirmer que l’art byzantin n’atteignit jamais au même degré de perfection que l’art grec ancien; la faute en est à ce que les artistes byzantins se laissaient guider par l’amour et la recherche du luxe, plus que par l’amour du beau. Ce serait une autre erreur de penser comme Lamartine qui dit, parlant de Sainte-Sophie: «On sent à la barbarie qui a présidé à cette masse de pierre, qu’elle fut l’œuvre d’un temps de corruption et de décadence. C’est le souvenir confus et grossier d’un goût qui n’est plus, c’est l’ébauche informe d’un art qui s’essaie.» Toutefois l’art byzantin contenait en son principe même le germe de sa décadence: les artistes, en cherchant toujours de nouvelles formes et en donnant une trop grande importance au luxe dans ses détails, tombèrent rapidement dans le maniérisme. Comme toutes les autres branches de l’art, l’architecture a subi cette décadence, pour ne se relever que vers le Xe siècle. Grâce aux efforts très louables des empereurs macédoniens, une école s’était formée en vue de sauver cet art en péril. On y étudia les modèles antiques et l’on parvint ainsi à donner un nouvel éclat à l’art byzantin. Pendant cette renaissance, les architectes portèrent leur attention sur l’extérieur des églises qui était jusqu’alors loin d’égaler en beauté et en luxe l’intérieur des édifices. Toutefois, leurs œuvres gardèrent toujours cette naïve physionomie propre à l’art byzantin. La sculpture ayant été de bonne heure délaissée par l’église, les artistes se livrèrent plutôt à l’art ornemental et aux travaux de l’ivoire. C’est pourquoi il n’y a pu avoir à Byzance de belles œuvres plastiques; toutes les œuvres gardaient la gaucherie des temps primitifs. Les peintres exerçant leur talent dans les images des mosaïques et dans les miniatures des manuscrits, et reproduisant toujours des scènes religieuses ou des victoires impériales, avaient négligé le culte du beau et l’amour de la nature. Ils donnaient à toute figure une forme fantastique et préféraient souvent à la beauté le luxe et la richesse. Cet amour du luxe les avait même amenés à représenter le Christ sous les traits d’un monarque oriental, revêtu de riches habits et de la pourpre impériale. Au temps des iconoclastes, les peintres durent renoncer aux sujets religieux et s’adonnèrent à des travaux plus courants, comme les émaux, les étoffes historiées, que portait alors la classe riche. Mais quand cette hérésie eut cédé, la nécessité de refaire les mosaïques abîmées ou détruites par les iconoclastes donna un nouvel essor à la peinture religieuse. On se trouve alors en présence de deux écoles: l’une qui retourne à l’étude des traditions artistiques antiques et l’autre qui se soumet à l’influence monastique et à celle de l’Église. Vers le XIe siècle, l’influence monastique l’emporte sur la première, et dès lors c’est l’église qui guide la main de l’artiste en lui offrant des sujets religieux. Peu à peu l’iconographie occupe la plus grande place dans l’art, et l’empreinte de l’idée religieuse apparaît dans tous les travaux de l’époque. Les dessins des mosaïques deviennent plus corrects, les plis des habits plus gracieusement disposés, les couleurs des miniatures plus délicates, mais les principes de perspective et d’anatomie restent toujours ignorés. [Illustration: Pl. 17. MOSQUÉE DE KAHRIÉ.--Narthex.] L’importance donnée par les artistes byzantins à la richesse et au luxe des détails les fait encore une fois tomber dans un maniérisme qui prépare une nouvelle décadence de l’art. La fondation de l’empire latin à Byzance fut la cause presque immédiate de cette décadence, les Latins y ayant presque anéanti toute œuvre d’art, ainsi que le dit la chronique. Les quatre chevaux de Lysippe furent expédiés à Venise; la colonne de Constantin Porphyrogénète fut dépouillée de ses plaques de bronze, qui servirent à la frappe de la monnaie noire. C’est donc aux Latins, s’accordent à affirmer les auteurs, qu’il faut attribuer la destruction de la ville, destruction qui, de l’aveu même des Européens, ne peut être considérée comme l’œuvre des Turcs. Au temps des Comnènes et des Paléologues apparaît une dernière renaissance, qui n’a jamais pu perdre son caractère naïf. C’est une vaine tentative de rajeunissement. Les artistes commencèrent alors à s’inspirer, dans les œuvres d’art, de l’école italienne qui prenait son essor. Mais pendant que l’Empire, bien avant la conquête des Turcs, s’écroulait, politiquement, économiquement et socialement, l’art, lui aussi, agonisait d’une façon générale. Après la prise de Constantinople par les Turcs, grâce aux privilèges et aux avantages accordés par le conquérant aux habitants, les ouvriers qui n’avaient pas quitté la ville contribuèrent, en travaillant à la construction des édifices turcs, à accentuer l’influence de l’art byzantin sur l’art ottoman, qui depuis longtemps déjà en avait subi le contact. Constantinople, ville située aux portes de l’Asie, recevait de la Perse une civilisation formée de toutes les civilisations asiatiques. Byzance fut ainsi, au moyen âge, une capitale dont la culture faisait affluer de partout les curieux, les élèves et les admirateurs, et d’où se répandait à travers le monde, l’influence bienfaisante du progrès et du christianisme. Les Slaves, Russes, Bulgares et Serbes, tirant leur religion de l’Église d’Orient, ont subi davantage cette influence, qui se manifeste dans toutes les branches de l’art et surtout dans l’architecture, et qui témoigne d’une forte empreinte byzantine. En Russie, Sainte-Sophie de Kiew n’est qu’une église byzantine. L’Arménie et la Géorgie renferment de nombreux édifices de style byzantin. Au mont Athos, l’art byzantin conserve encore de nos jours sa physionomie propre. Il avait été introduit à Ravenne dès le Ve siècle et n’y disparut qu’avec la domination byzantine. On voit par là que l’influence de cet art sur tout l’Occident est indéniable. Elle cessa au XIIe siècle, laissant pourtant sa marque sur les différents styles propres à chaque pays. Cette question artistique a été longuement discutée de nos jours par maints savants et archéologues, sous le nom de question byzantine. «L’Italie du Sud, dit M. Diehl, dont Byzance a fait une nouvelle Grande Grèce, a gardé jusqu’au XIVe et au XVe siècle la langue, la religion, les mœurs et les traditions artistiques de Byzance, et le rayonnement que de là, comme de Venise, l’art byzantin exerça par toute la péninsule, permet de croire que les plus anciens maîtres de la Toscane, un Cimabué, un Duccio, ont dû bien des enseignements à cette influence. Sans doute, de notre temps, des amours-propres susceptibles ont tenté de nier cette influence.» Pourtant, il ressort des faits que l’influence de l’art byzantin sur l’art occidental est parfaitement justifiée et démontrée: Saint-Marc de Venise, les mosaïques de la basilique de Torcello et de Cefalù, celles de la chapelle palatine et de Monreale (XIe et XIIe siècle) manifestent clairement cette influence en Italie. L’art byzantin donna naissance en Italie à la renaissance italienne; on le reconnaît également dans l’ornementation de certains édifices du sud de la France et de l’Allemagne. L’art byzantin fleurit également en Asie Mineure, où les églises de Sardes, d’Ephèse, de Philadelphie (Ve siècle) et bien d’autres, gardent encore le précieux souvenir de ses enseignements. Il y eut un art byzantin de Syrie, où les architectes de Justinien appliquèrent dans leur plénitude les méthodes nouvelles. Il y eut aussi un art byzantin d’Égypte. Les Arabes, qui avaient leur art propre, ne sont pas restés à l’abri de l’influence byzantine. Procope cite[34] les monuments élevés dans le nord de l’Afrique sous Justinien, lesquels introduisirent plus tard chez les Arabes du Magreb la connaissance et l’influence de l’art byzantin. Quand les Arabes eurent assiégé Byzance au VIIe siècle, ils y construisirent une première mosquée et, ainsi en contact perpétuel avec les Byzantins, ils empruntèrent à ceux-ci certains caractères de leur art. Les Byzantins de leur côté influencèrent forcément les Arabes et leur apportèrent certains éléments de leur conception artistique propre. Cette influence se manifesta surtout en Syrie. Ainsi de fécondes combinaisons naquirent. L’art arabe s’introduisit dans l’art byzantin par le sud de l’Italie, par Venise et par la Syrie. Il se mêla en Sicile aux éléments romano-byzantins. Et ainsi cet art composite fut un intermédiaire entre la renaissance de l’Italie et l’art gréco-romain. [34] De Aedificiis Justiniani. [Illustration: Pl. 18. MOSQUÉE DE KAHRIÉ.--Partie latérale. MOSQUÉE DE KAHRIÉ.--Coupole du Narthex (mosaïques). Les patriarches et les représentants des tribus d’Israël autour de la Sainte Vierge.] II.--LES ÉGLISES BYZANTINES SAINTE-SOPHIE Sainte-Sophie offre, au point de vue artistique, le type classique de l’architecture byzantine. La première construction remonte au IVe siècle. Elle a été bâtie d’abord par Constantin le Grand en même temps que les murs et les premiers palais de la seconde Rome. Cette église dédiée à sainte Sophie--à la Sagesse Divine--(en grec, Hagia Sophia) avait alors la forme d’une longue basilique couverte en bois. Constantin, qui tolérait le paganisme, avait construit trois églises: l’une à la Paix Divine (Irène), l’autre à la Sagesse Divine (Hagia Sophia) et la troisième à la Divine Résurrection (Anastasis). Sous Arcadius (404) Sainte-Sophie fut la proie des flammes; Théodose le jeune la fit reconstruire en 415, mais elle fut de nouveau incendiée en 532 pendant les troubles de l’Hippodrome, qui sont restés célèbres sous le nom de sédition Nika. Immédiatement après, Justinien conçut l’idée de la réédification grandiose de ce monument, et quarante jours après l’incendie, on en posait la première pierre. Anthémius de Tralles et Isidore de Milet, architectes originaires de l’Asie, et les plus habiles techniciens de l’époque, guidèrent les travaux d’après les méthodes persanes. Justinien voulut que cet édifice fût le plus beau et le plus imposant des monuments du monde. Dans ce but, il épuisa presque toutes les ressources de son empire. Le terrain de l’ancienne église étant insuffisant pour la nouvelle construction, on dut exproprier, à grands frais, tout un quartier environnant. Les travaux absorbèrent une somme immense. D’après Codinus, cet édifice aurait coûté la somme énorme de 361 millions. Le temple de Diane à Ephèse dut fournir ses huit colonnes de porphyre, enlevées jadis par Aurélien au temple du Soleil d’Héliopolis (Égypte), ou, au dire de quelques chroniqueurs, à Baalbek. Athènes, Délos, Cyzique, l’Égypte et toutes les grandes villes de l’antiquité fameuses par leurs monuments, furent dépouillées de tout ce qu’elles avaient de plus riche en métaux, marbres, etc.; l’or, l’argent, l’ivoire, les pierres les plus précieuses furent employés à profusion pour l’embellissement de l’intérieur. Après cinq ans de travaux exécutés avec la plus grande activité et présidés par Justinien lui-même, l’église put être inaugurée. L’Empereur, traîné par un équipage de quatorze chevaux et entouré des dignitaires de l’État et de la Cour, accomplit le trajet solennel du Palais jusqu’à la porte de Sainte-Sophie où, reçu par le Patriarche Ménas, il fit son entrée officielle dans l’église. Puis, courant depuis la grande porte d’entrée jusqu’à l’ambon, il étendit ses bras vers le ciel et s’écria d’une voix émue: «Béni soit Dieu qui m’a choisi pour exécuter une telle œuvre; Salomon, je t’ai vaincu.» L’église est bâtie sur un plan carré de 75 mètres de côté, orienté vers Jérusalem. L’édifice étant placé sur un terrain d’une résistance inégale, les fondations durent être jetées sur un réseau de voûtes recouvert d’une couche de béton homogène de 25 pieds d’épaisseur. Les dessous des fondations n’ont pas encore été explorés. [Illustration: Plan de Sainte-Sophie. Constructions ajoutées de 563 jusqu’à 1453. Contreforts. Constructions appartenant à l’époque de Justinien.] Comme l’indiquent les ouvertures pratiquées dans les dallages de la nef et du bas côté méridional, ce sous-sol est formé d’une grande citerne centrale et de voûtes immenses. Les piliers furent bâtis avec d’énormes pierres calcaires; la brique fut employée pour les murs. On dit que, pour la construction de la coupole on fit spécialement fabriquer à Rhodes des briques très légères portant chacune l’inscription suivante: «C’est Dieu qui l’a fondée, Dieu lui portera secours». Mais toutes les briques qui se sont détachées jusqu’à présent, dit M. Dethier, n’offraient rien de pareil. Toutes ces briques ont été disposées par assises régulières. De douze en douze assises, on enfermait, dit-on, dans la maçonnerie des reliques sacrées, pendant que les prêtres récitaient des prières. [Illustration: Sainte-Sophie: coupe longitudinale.] [Illustration: Sainte-Sophie: coupe transversale.] La coupole, au centre du plan, s’élève à une hauteur de 65 mètres au-dessus du sol. Elle a un diamètre de 31 mètres au niveau du tambour et de 32 mètres jusqu’au point de voûte extrême. La coupole possède seulement quarante fenêtres cintrées, tout autour de sa base. Elle est supportée par quatre pendentifs formés par quatre grands arcs qui reposent sur quatre grands piliers. La coupole est flanquée de deux autres demi-coupoles, qui se continuent elles-mêmes par d’autres petites coupoles, donnant au spectateur l’illusion d’un ciel suspendu sous le dôme. La colombe représentant le Saint-Esprit y était suspendue; dans son corps étaient conservées les hosties. De même, en représentant à l’intérieur de cette coupole les figures des saints, on avait voulu donner l’impression d’un ciel d’une sublime beauté vers lequel devait s’élever la prière. Les architectes byzantins portaient toute leur attention sur les parties intérieures de l’église où le peuple était réuni pour la prière. Ils agissaient ainsi contrairement à l’habitude des architectes grecs, qui donnaient la plus grande importance à l’extérieur des temples, en négligeant complètement l’intérieur où le peuple n’était pas reçu. C’est pourquoi l’extérieur de Sainte-Sophie est très simple, quelque peu lourd et, dans tous les cas, loin d’égaler la richesse et la beauté de l’intérieur. Les visiteurs qui n’auraient vu l’église que du dehors ne pourraient jamais se figurer la féérique impression que l’on ressent à l’intérieur. [Illustration: Pl. 19. MOSQUÉE DE KAHRIÉ.--Mosaïque. Métochite, premier ministre de l’Empereur, présente au Christ Pantocrator le modèle de l’église. MOSQUÉE DE KAHRIÉ.--Mosaïque. Distribution aux jeunes filles de la laine pour filer le voile du Temple, le sort attribue à Marie la pourpre.] Les parois des murs intérieurs furent revêtus de marbres précieux de toutes sortes de couleurs. Les chapiteaux et les corniches furent dorés et la coupole décorée d’une mosaïque intérieure à fond d’or. L’église compte 108 colonnes dont 40 à l’étage inférieur, 60 aux galeries du gynécée, et 8 soutenant les quatre petits segments de coupoles qui se trouvent aux quatre angles de la grande nef. Ces colonnes, toutes surmontées de chapiteaux, sont en porphyre, en granit, en brèche verte et autres espèces de marbres colorés. L’ambon était une grande tribune circulaire, surmontée d’un dôme, supporté par 8 colonnes en marbre et surmonté d’une croix en or d’un poids de cent livres. «Cette magnifique construction fut écrasée, dit M. Labarte, sous les décombres de la grande coupole, dont la partie orientale s’écroula à la suite d’un tremblement de terre dans la trente-deuxième année du règne de Justinien. Elle fut réédifiée, mais d’une façon moins splendide.» Le sanctuaire était séparé du reste de l’église par une cloison en argent munie de 12 colonnes; sur les parties qui séparaient ces colonnes se détachaient des images en médaillons. L’autel était en or serti de pierres précieuses. Au-dessus, et en forme de ciborium, il y avait un dôme supporté par 4 colonnes en argent doré et surmonté d’une croix en or. Durant les fêtes de nuit, l’intérieur de l’église était un véritable éblouissement. Six mille candélabres dorés brillaient à la fois, éclairant les immenses panneaux décoratifs en mosaïque qui tapissaient les parois. Patènes, clefs, vases, bassins, tout était en or, orné de pierres précieuses. Les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament pesaient, avec leurs montures d’or, deux quintaux chacun. Selon Procope, il y avait dans le sanctuaire 40.000 livres pesant d’argent. Les portes étaient en bois de cèdre orné d’ambre et d’ivoire, et le portail en argent doré. La nef communique avec le narthex par trois grandes arches reposant chacune sur une colonne double et dont l’ensemble supporte la grande fenêtre demi-circulaire qui clôt l’arcade ouest du milieu. L’Empereur entrait dans l’église par une galerie qui communiquait avec le palais. C’est seulement aux grandes cérémonies qu’il entrait par le vestibule du narthex. Le narthex (galerie voûtée), avait 60 mètres de longueur sur 10 de large. Les parois en étaient ornées, comme l’intérieur de la nef, de marbres multicolores couverts de taches symétriquement disposées. Cela donnait l’idée qu’ils étaient extraits d’un même bloc et formait un dessin décoratif d’une réelle beauté[35]. Deux portes latérales s’ouvraient sur un porche aboutissant à l’escalier de la galerie et neuf portes en airain s’ouvraient du narthex sur l’église. L’encadrement des trois portes du milieu, qui communiquent encore maintenant avec la nef, est en bronze tandis que les autres sont en marbre. [35] M. Antoniatis, dans l’intéressant ouvrage qu’il vient de publier sur Sainte-Sophie, nous montre qu’on pouvait, aidé d’un peu de mysticisme, y découvrir des figures et des images de saints. Dans l’épaisseur des contreforts massifs, sont ménagées des pentes inclinées par lesquelles les femmes nobles montaient dans des chaises à porteurs jusqu’au gynécée. Là, chacune avait sa place fixe (à en juger par les inscriptions où on lit: «place d’une telle»). L’exo-narthex de l’église était précédé d’un atrium à portiques, formé par des voûtes en berceau, supporté par des colonnes en marbre alternant de deux en deux avec des piliers carrés. Les murs en briques de cet atrium étaient percés de plusieurs entrées s’ouvrant sur la place de l’Augustéon. Au milieu de ce parvis existait un bassin de jaspe avec des lions lançant de l’eau. Ce bassin servait aux ablutions qu’on avait coutume de faire avant d’entrer dans les lieux sacrés; les musulmans ont de nos jours conservé la même coutume. Un vaisseau de marbre placé dans l’église, était affecté au même usage. Il portait l’inscription suivante: «νίψον ἀνομήματα μὴ μόναν ὄψιν», qui pouvait être lue de la même façon du commencement à la fin et de la fin au commencement et qui signifiait: «lavez-vous de vos péchés et non pas seulement de la figure». Cette immense église s’est conservée jusqu’à nos jours, mais elle a eu beaucoup à souffrir de la précipitation avec laquelle elle fut construite. Elle a subi une destruction partielle pendant le tremblement de terre qui eut lieu vingt ans après son érection par Justinien. Toute une partie du dôme se détacha et fut précipitée sur la table sacrée du ciborium et sur l’ambon qu’elle détruisit. Les musulmans virent dans ce tremblement de terre un véritable prodige, car il se produisit à la date anniversaire de la naissance du prophète Mahomet. Justinien fit réédifier la coupole par Isidore le Jeune qui renforça les aboutissements, les arcs et les contreforts, et rehaussa la nouvelle coupole de 25 pieds. Cette fois, les échafaudages furent laissés en place pendant une année entière. La deuxième consécration de l’église eut lieu en 558. Plus tard, au IXe siècle, Basile le Macédonien fit réparer une des grandes archivoltes de la coupole qui avait été endommagée, et, en même temps, y fit placer des mosaïques. En 987, cette même arcade fut de nouveau réparée par Basile II le Bulgaroctone. Jusqu’au XIVe siècle, on se soucia peu de remédier aux dégâts causés par le temps ou par des accidents divers. L’un des derniers restaurateurs fut Andronic II Paléologue l’Aîné, qui, vers le XIVe siècle, fit élever des contreforts du côté est. Sous le sultan Abdul Medjid, on confia à Fossati une restauration générale de la mosquée; il consolida la coupole à l’aide d’un cercle en fer et redressa plusieurs colonnes qui avaient perdu leur position verticale primitive. Autour de l’édifice se trouvaient des annexes, telles que le puits sacré, l’horologion, le Metatorion et le Triclinium de Thomaïtès; ce dernier qui était une dépendance des appartements du Patriarche, renfermait une bibliothèque et un baptistère construit par Justinien et existant encore aujourd’hui. Ce baptistère (actuellement turbé du sultan Moustafa Ier et d’Ibrahim I) fut d’abord transformé en magasin pour les huiles servant à l’éclairage de la mosquée. Il s’ouvrait au nord par une porte qui donnait sur une petite cour à portique; de là, on gagnait un escalier menant à une petite chapelle installée à la hauteur du gynécée. Cette chapelle communiquait, à son tour, avec le gynécée par une porte qui, murée probablement par les Turcs lors de la conquête, n’a été ouverte que beaucoup plus tard par l’architecte Fossati au moment où il réparait la mosquée. _État actuel de Sainte-Sophie._--Après la prise de Constantinople par les Turcs, le sultan Mehmed II convertit l’église en mosquée et y ajouta un _minaret_ ainsi que les deux contreforts du sud-est. Bayazid II fit construire un autre _minaret_ au coin de la porte du palais. Selim II éleva, en 1569 deux autres _minarets_ et plusieurs murs de soutènement. Murad III fit placer à l’intérieur de Sainte-Sophie les tribunes en marbre et les deux grandes urnes d’albâtre provenant de Pergame et qui peuvent contenir chacune 1.200 litres d’eau. L’Alem, croissant en bronze doré, est venu surmonter le dôme par les soins de Mehmed pacha, grand vizir. Les mosaïques qui représentaient les images des saints ont été recouvertes, soit par des inscriptions, soit par une forte toile sur laquelle on passa le badigeon, car la religion musulmane ne permet pas d’avoir des icônes dans les mosquées. Seuls, les quatre anges aux six ailes déployées qui ornaient les quatre pendentifs de la coupole sont encore visibles aujourd’hui, mais sur les visages on a peint de grandes étoiles dorées. Les mosaïques des bas côtés et de la galerie supérieure n’ont subi aucune altération; la nuit, quand l’intérieur de la mosquée est illuminé par des milliers de candélabres, on aperçoit par un effet de lumière les croix encastrées dans ces mosaïques. L’autel fut remplacé par le _Mihrab_, tourné un peu plus au sud vers la _Kaaba_[36] (la Mecque). Les tapis qui recouvrent les dallages sont également disposés de façon à ce que ceux qui prient aient le visage tourné vers la Kaaba[37], ce qui leur donne une direction légèrement oblique par rapport aux lignes architecturales de l’ancienne église. Les deux grands candélabres du _Mihrab_ ont été offerts par Suleiman le magnifique en 981 de l’hégire. [36] Les musulmans donnent à cette direction le nom de Kiblé. [37] Cette disposition oblique permet de reconnaître les mosquées qui furent primitivement des églises. Les mosquées dont le mihrab est droit ne peuvent donc être considérées comme d’anciennes églises. Pourtant quelques petites mosquées où la disposition du terrain obligea l’architecte à donner aux lignes architecturales une direction différente de celle de Kibla, font certainement exception. A droite du _Mihrab_ se trouve le _Mimber_ (chaire), où tous les vendredis on fait la prière solennelle et le _Khotba_[38]. Le _Mimber_ consiste en une chaire, surmontée d’un dôme pointu, où l’on accède par un escalier très raide, et orné d’une magnifique balustrade. En face du _Mimber_ et à gauche du _Mihrab_ se trouve une tribune supportée par des colonnes et munie d’un grillage doré. Cette tribune, qui est réservée au Sultan, s’appelle _Hunkian Mahfili_. Elle a été construite par Ahmed III. Avant cette époque, la tribune était adossée au mur. [38] Discours adressé au peuple. On voit aussi dans la mosquée plusieurs plates-formes à grandes estrades, dites _muezzine mahfili_, uniquement réservées aux _muezzines_ (chantres). A la hauteur du gynécée sont suspendus, le long de la Mosquée, d’immenses disques portant les noms des _Sahabés_ (les compagnons du prophète). Ils sont l’œuvre du calligraphe Teknédji Zadé Ibrahim effendi[39] (1060). [39] Hadikatu-I-djevami. Les anciens lustres-candélabres en argent sont remplacés aujourd’hui par des lustres en fer, supportés très probablement par les chaînes mêmes qui étaient déjà en usage au temps des Byzantins. A l’extrémité de tous ces lustres pendent des œufs d’autruche et des houppes de soie qui en complètent la décoration; le candélabre qui descend du centre du dôme et qui s’appelle _Top Kandili_ a été placé par Ahmed III; une grande boule en or y était suspendue[40]. [40] La place occupée par le Top Kandili (candélabre du milieu), est considérée par les dévots comme un lieu saint où on peut rencontrer Hidir, un saint très vénéré qui apparaît quelquefois pour aider les infortunés. Parmi les curiosités de cet édifice, on montre aux visiteurs la fenêtre froide où souffle toujours un vent glacé. Cette fenêtre est située à l’entrée, près de la porte réservée aux sultans. Sur la galerie supérieure du côté sud se trouvent également deux portes sculptées; l’une est appelée porte de l’enfer et l’autre porte du paradis. Du côté de l’ouest se trouve la pierre luisante, qui restitue pendant la nuit la lumière absorbée pendant le jour. En entrant dans la mosquée par la porte nord du narthex, on aperçoit une colonne revêtue de bronze, qui suinte continuellement. Les visiteurs souffrant de quelque maladie introduisent leur doigt par un trou pratiqué dans le revêtement de bronze et touchent avec ce doigt leurs deux yeux. Le peuple attribue à cette colonne des cures merveilleuses. Tout près d’une fenêtre de la mosquée, sur le sol de la galerie, on lit sur une pierre _Henricus Dandolo_. C’est le nom du doge qui mourut le 1er juin 1205 et qui fut inhumé à cet endroit. La cuirasse et les armes d’Henri Dandolo, trouvées dans le sarcophage, ont été offertes par le sultan conquérant au peintre Gentile Bellini, qu’il avait appelé à Constantinople[41]. [41] Hist. de Bello Const. p. 214. Suivant la coutume qu’ont les Musulmans de construire près des mosquées des _turbés_ (sépultures) pour y déposer les corps des _Evlia_ (saints) et des grands personnages, on voit, dans la cour de Sainte-Sophie, des chapelles mortuaires situées à côté du _mimber_. Elles renferment les corps de plusieurs sultans, des membres de leur famille, et sont enfouies dans le sol, au-dessus duquel une caisse vide en forme de cercueil (_Sandouka_) est disposée, recouverte de châles extrêmement précieux et d’étoffes brodées d’écritures. A l’extrémité qui correspond à la tête se trouve la coiffure que portait le défunt. Dans les quatre turbés de Sainte-Sophie reposent les dépouilles mortelles de Selim II, de ses épouses et de ses enfants, le corps de Murad III (1595), de ses femmes et de ses fils qui moururent étranglés; enfin, les restes de Mehmed III, d’Ibrahim, de Moustafa I, de sa mère et de sa femme, de Mehmed IV, de Moustafa II, et d’une centaine de princes et de princesses. ÉGLISE DE SAINTE-IRÈNE Un peu au nord de Sainte-Sophie, dans l’enceinte du Sérail, sur les hauteurs où se trouvait jadis l’ancienne petite ville de Byzas, se dresse l’église de Sainte-Irène. Cette église, transformée par les Turcs en un musée d’armes, est encore fort bien conservée. Construite d’abord par Constantin le Grand au IVe siècle, elle fut la proie des flammes en même temps que Sainte-Sophie pendant la sédition Nika. Rebâtie par Justinien, puis détruite au VIIIe siècle par un tremblement de terre, elle fut restaurée par Léon l’Isaurien. Elle est construite sur un rectangle terminé par une abside dont le centre est surmonté d’une coupole qui repose sur un haut tambour percé de vingt fenêtres. L’église a trois nefs: la nef centrale est soutenue par des points d’appui qui sont unis et recouverts par de grands arcs en plein cintre. Chacun de ces arcs est orné de trois rangées de fenêtres. Un gynécée est disposé à l’intérieur; la voûte de l’abside est revêtue de mosaïques; les colonnes et les corniches sont en marbre blanc. Parmi les armes antiques que renferme ce musée[42], il faut citer l’épée du sultan Mehmed II le conquérant, celle de Skender bey, le héros albanais, un brassard de Tamerlan, des casques, les clefs des villes conquises, les marmites des Janissaires, des lances, des arcs, de vieux canons datant des Croisés et une partie de la chaîne historique qui servait aux Byzantins pour barrer la Corne d’Or. [42] L’entrée de ce Musée n’est accordée que sur autorisation spéciale. A l’intérieur de l’église on voit plusieurs tombeaux byzantins en marbre; ce sont les tombeaux des empereurs provenant de l’église des Saints-Apôtres. [Illustration: Pl. 20. PALAIS DE L’HEBDOMON.--Vue de l’intérieur. PALAIS DE L’HEBDOMON.--Façade.] ÉGLISE DES GRANDS MARTYRS SERGE ET BACCHUS Cette église, transformée en mosquée par Hussein aga à l’époque de Bayazid et appelée _Kutchuk aya Sophia_, c’est-à-dire petite Sainte-Sophie, fut bâtie, d’après l’inscription grecque finement sculptée sur la frise, par Théodora, femme de Justinien, près du palais d’Hormisdas. Elle a été appelée petite Sainte-Sophie à cause des similitudes que présente son plan avec celui de la grande basilique de Sainte-Sophie. La coupole de cette église est soutenue par huit piliers placés aux points angulaires d’un octogone renfermé dans un carré: huit pendentifs soutiennent la base circulaire de la coupole. Les côtés communiquent avec la nef par des rangées de colonnes ioniques qui relient les arceaux. Plusieurs de ces colonnes sont tachetées de vert et de blanc et surmontées de chapiteaux à corbeilles. Sur la corniche qui fait le tour de l’édifice on remarque une guirlande ornée de grappes de raisins et de feuilles de vigne. Une longue inscription, gravée sur la même corniche, fait l’éloge de l’empereur Justinien et de l’impératrice Théodora. Cette église était attenante à une autre appelée église des apôtres Pierre et Paul et qui a disparu sans laisser de traces. Salzenberg reconnut, en examinant les murs de clôture, que l’église de Saint-Pierre et Saint-Paul s’appuyait à celle des saints Serge et Bacchus du côté du sud. La hauteur de la coupole dépasse 19 mètres et les côtés du plan sont respectivement de 34 mètres et 30 mètres. ÉGLISE DE SAINT-JEAN DU STOUDION Cette église fut construite sous Léon le Grand pour l’ordre des Acémètes (sans-sommeil). De nombreux moines se relayaient pour y chanter jour et nuit. Elle fut endommagée sous la domination latine et restaurée plus tard, vers la fin du XIIIe siècle, par l’empereur Andronic Paléologue. Le trésor du monastère contenait de précieuses reliques que Bayazid II envoya au pape Innocent et parmi lesquelles se trouvait la sainte lance. Actuellement convertie en mosquée (_Emir Akhor Djamissi_), elle possède encore d’élégantes colonnes et des chapiteaux. ÉGLISE DE CHORA Tout près de la porte d’Andrinople s’élève la mosquée de Kahrié. C’est l’ancienne église de Chora, édifice à nef centrale et à deux narthex. Le dôme central est supporté par un tambour cylindrique percé de fenêtres. De petites coupoles, également posées sur des tambours cylindriques et percés de fenêtres, éclairent le narthex. L’origine de la fondation de l’église de Chora n’est pas clairement établie. D’abord sanctuaire assez modeste, Justinien l’agrandit et l’embellit après le tremblement de terre de 557, et il devint un des plus beaux monuments de la ville. L’église formait le centre d’un vaste monastère qui se trouvait hors de la première enceinte de la nouvelle Rome. C’est pour cela qu’on l’appelait τῆς χώρας (de la campagne). Plus tard quand Théodose II, pour agrandir la ville, jugea nécessaire de faire construire une deuxième enceinte dont on voit aujourd’hui les ruines, son nom lui resta. Mais les byzantins du XIVe siècle, poussés par leur amour de la rhétorique et des étymologies mystiques, trouvèrent un rapport ingénieux entre le nom du Christ, source de vie et protecteur des vivants (χώρα τῶν ξώντων) et celui de la basilique de Chora; et le mot fut en conséquence inscrit à côté des images en mosaïque du Christ et de la Vierge. L’édifice qu’on voit aujourd’hui n’est pas le même que celui du VIe siècle. Déjà au XIIe siècle, l’église menaçait ruine. Marie Ducas, la belle-mère de l’empereur Alexis Comnène, la fit rebâtir en la transformant selon les plans des églises de ce temps. L’intérieur en fut décoré de marbres en couleur et de belles mosaïques. Depuis Manuel Comnène, les empereurs avaient abandonné le grand palais pour venir habiter le château des Blaquernes. C’est pourquoi l’église de Chora, qui en était voisine et qui sous les Latins était tombée dans un grand délabrement, devint l’objet de la sollicitude impériale. Sous le règne des Paléologues, Théodore Métochite, ministre favori d’Andronic II, la fit restaurer complètement et ordonna d’ajouter une galerie latérale, destinée peut-être à servir de lieu de sépulture. Il fit renouveler également la décoration intérieure, excepté celle de la partie centrale qui est demeurée la même. Malgré les ravages subis par la Chora, les mosaïques se sont conservées jusqu’à nos jours dans un parfait état: elles sont les œuvres les plus remarquables de la dernière renaissance de l’art byzantin et occupent aujourd’hui une place très estimée dans l’histoire de l’art[43]. [43] Pulgher, _Les anciennes églises de Constantinople_, 1880. Diehl, _Etudes byzantines_, 1905, p. 392-431. Les mosaïques qui se trouvent sur les deux côtés de la porte centrale sont recouvertes de volets en bois, que demande la religion musulmane, mais qu’on peut ouvrir à volonté pour voir les images; les murs sont tapissés jusqu’aux bases des voûtes par de grandes plaques de marbre gris encadrées par des bandes vertes. De fines bordures sont sculptées au pourtour des marbres. [Illustration: Plan de la mosquée Kahrié.] A l’intérieur du second narthex, sur la porte du milieu qui donne accès dans l’église, une mosaïque représente le Christ assis sur un trône, à qui Métochite, agenouillé, présente un modèle en réduction de l’église. Métochite est coiffé d’un haut bonnet blanc garni de bandes rouges et vêtu d’une tunique dorée recouverte d’un manteau vert brodé de fleurettes rouges. Métochite, né à Nicée, arriva à l’âge de vingt ans à Constantinople où, par son talent d’orateur et son érudition en littérature et en philosophie, il attira l’attention d’Andronic II. Il commença sa carrière dans les ambassades, devint ensuite logothète de la liste civile, ministre du trésor, puis premier ministre de l’Empereur pendant vingt ans. Il fut en même temps philosophe, diplomate et administrateur. Il avait toute la confiance de l’Empereur son maître, qui ne lui cachait aucun secret, et fit épouser à son propre neveu Irène, la fille de Métochite, très intelligente et très instruite. Toutefois Métochite, malgré les hautes satisfactions qui lui étaient accordées, pensait toujours aux dangers dont les querelles philosophiques et religieuses menaçaient le pays. Il attirait à chaque instant l’attention de l’Empereur sur le péril turc, qui lui paraissait devoir causer un jour la ruine complète de l’État. Il prévoyait la décadence et la chute inévitable de l’empire. [Illustration: Pl. 21. HIPPODROME, PALAIS IMPÉRIAL ET SAINTE-SOPHIE AU Xe SIÈCLE (Restitution de l’auteur d’après le plan de Labarte.)] Les troubles à l’intérieur augmentaient de jour en jour. L’Empereur et son favori se trouvaient dans une situation très difficile. Pendant les guerres civiles qui durèrent de 1321 à 1328, Métochite fut un habile négociateur entre Andronic II et son ambitieux petit-fils, Andronic le Jeune, qui prétendait au trône. Métochite, pour ne pas s’attirer la haine des deux factions, s’entremit d’abord impartialement entre les deux princes ennemis. Mais, quand la rupture entre les deux adversaires éclata, il se rangea du côté de son ancien maître et refusa toutes les avances d’Andronic le Jeune. Sentant gronder l’émeute dans la ville, il se retira dans le palais. Lorsque pendant la nuit du 22 mai 1328, le prétendant pénétra dans la ville, grâce à la trahison des gardes de l’Empereur, le ministre fut la première victime. Sa maison fut livrée au pillage et démolie complètement. Il fut jeté d’abord en prison et ensuite exilé. Cependant il put obtenir son rappel et vint terminer ses jours au monastère de Chora, où il vécut jusqu’au 13 mars 1332, portant en religion le nom de Théoleptos. Toute une série de tableaux en mosaïques, retraçant des scènes religieuses variées, décorent les murs et les voûtes du narthex. De nombreux médaillons garnissent le sommet des arcades. Au-dessus de la porte d’entrée se trouve le buste du Christ. En face, entre deux grandes arcades, c’est la Vierge tenant contre sa poitrine un médaillon qui renferme l’Enfant Jésus, puis des saints en costume de cour, saint Pierre et saint Paul aux deux côtés de la porte royale. Parmi les séries de mosaïques qui décorent les coupoles et les voûtes du narthex intérieur, les deux plus intéressantes sont celles qui retracent les épisodes de la vie de Jésus et ceux de la vie de la sainte Vierge tirés des Évangiles apocryphes[44]. [44] Pour compléter les récits de l’Évangile, dès le IIe siècle on voulut détailler les épisodes de la vie du Sauveur, et pour donner à ces récits une apparence plus authentique, on les attribua à tel ou tel apôtre. On a donné à ces récits le nom d’Évangiles apocryphes. Dès le IVe siècle l’Église grecque les admit au nombre des textes sacrés, mais ce n’est qu’à partir du XIe que les compositions tirées de ces évangiles apparaissent sur les murs des églises. [Illustration: Plan explicatif des mosaïques de Kahrié-Djami. MOSAIQUES DU NARTHEX PANNEAUX A. Anne faisant la prière. B. Nativité de la sainte Vierge, la jeune fille berçant l’enfant. C. On distribue aux jeunes filles de la laine pour filer le voile du temple, le sort attribue à Marie la pourpre. D. Le grand prêtre donne Marie à Joseph dont le bâton a fleuri. E. A gauche, Joseph part pour le travail; à droite, il s’aperçoit que Marie est enceinte et lui fait des reproches. F. Disparu. 1. Le grand prêtre repousse les offrandes de Joachim et d’Anne. 2. (Disparu.) Probablement Joachim et Anne. 3. Joachim au milieu des bergers. 4. (Arc.) Joachim et Anne se rencontrent devant la porte dorée et s’embrassent. 5. La Vierge caressée par son père et sa mère. 6. Sainte Vierge bénie par les prêtres. 7. (Arc.) Sainte Vierge faisant les sept premiers pas. 8. (Travée.) Présentation de la Vierge au temple. 9. (Arc.) La Vierge demeurant dans le temple, et nourrie par un ange. 10. (Arc.) La Vierge y est instruite (disparu en grande partie). 11. (Arc.) Le grand prêtre prie devant l’autel où sont déposés les bâtons des prétendants à la main de Marie. 12. Joseph emmène Marie. 13. (Pendentif.) Annonciation au puits. EXONARTHEX PANNEAUX G. A gauche, Joseph averti par un ange; Marie se rend chez Elisabeth; à droite, Joseph conduit la Vierge à Bethléem. H. Le recensement à Bethléem. I. Nativité du Christ. J. Hérode recevant les trois Mages. K. Hérode convoque les grands prêtres et les scribes (détruit en grande partie). L. (Détruit.) Probablement adoration des Mages. M. Les Mages retournant chez eux. N. Fuite en Égypte. O. Hérode ordonne le massacre des innocents. P. Massacre des innocents. Q. Lamentation des mères. R. Elisabeth poursuivie par un soldat se réfugie dans une grotte. S. Retour à Nazareth. T. Voyage à Jérusalem. 14. Jésus au milieu des docteurs. 15. Saint-Jean-Baptiste baptisant. 16. Jésus vient se faire baptiser. 17. Jésus tenté par Satan. 18. Noces de Cana. 19. Multiplication des pains. 20. Jésus et la Samaritaine. 21. Guérison du paralytique. 22. Guérison de l’hydropique. 23. Rinceau, autre guérison de paralytique.] Le Christ est figuré au centre sur l’une des coupoles du second narthex; tout autour, dans les segments concaves qui forment la coupole sont rangées les images des patriarches et des représentants des tribus d’Israël. Dans le centre de l’autre coupole, autour de la Vierge, sont groupés les prophètes et les rois d’Israël. On voit dans ces mosaïques toute une série des miracles de Jésus-Christ. Dans le narthex intérieur: guérison du lépreux, de l’homme à la main desséchée, la guérison des aveugles. Enfin des malades, des boiteux, des bossus et des enfants sont rangés autour du Christ, attendant leur guérison. Métochite cite parmi les ouvrages qui décoraient son église les représentations de la Crucifixion, de la Descente de croix, de l’Ascension et une quantité d’autres. Mais on ne rencontre plus ces images, qui devaient orner les places d’honneur de l’église et qui ont été complètement détruites; il est probable qu’on en trouvera un jour quelques restes sous l’enduit qui recouvre les murs et la coupole du sanctuaire même. La chapelle latérale est décorée tout entière de fresques représentant la sainte Vierge, les saints et des scènes empruntées à l’Ancien Testament. On y voit deux grandes arcades sculptées, dont l’une porte une longue inscription, indiquant que les arcades proviennent du monument funéraire de Tornikès, haut personnage de l’État, parent par sa mère de l’empereur Andronic II et de Métochite. Lui aussi s’était retiré dans ce monastère pour y finir ses jours. Il y fut enseveli. Quand, avant 1453, une restauration fut entreprise dans le monastère, on démolit probablement le monument de Tornikès et l’on plaça les arcades au-dessus des passages s’ouvrant entre l’église et la chapelle latérale (Parekklesion). Les mosaïques de _Kahrié-Djami_ font l’objet de longues discussions entre les byzantinologues. Plusieurs d’entre eux ont voulu démontrer que la plus grande partie de ces mosaïques appartenait au XIIe siècle. D’après M. Kondakof, qui a une grande autorité en la matière, ce sont seulement les fresques du Parekklesion et les mosaïques représentant les saints Pierre et Paul, le Christ fondateur, la décoration du second narthex, qui appartiennent au temps de Métochite, c’est-à-dire au XIVe siècle. Tout le reste daterait du XIIe siècle. «Mais si haute que soit l’autorité du savant qui a proposé cette thèse, dit M. Diehl, il ne paraît point que ses arguments suffisent à l’établir. La différence de coloris, sur laquelle il s’appuie pour distinguer deux époques, tient tout simplement à l’insuffisant nettoyage qui a laissé subsister un ton grisâtre sur certaines mosaïques.» [Illustration: Pl. 22. OBÉLISQUE DE THÉODOSE.] Il est vrai que l’ordre dans lequel se succèdent les épisodes, le système de l’ornementation, la manière de représenter les personnages et la tonalité des couleurs prouvent que ces compositions sont l’œuvre d’un même art appartenant à une même époque. D’un autre côté, il n’y a aucune ressemblance entre les mêmes sujets représentés par les œuvres authentiques du XIIe siècle et les mosaïques de Chora. Donc il est plus juste de les attribuer au XIVe siècle. Une des causes de la discussion soulevée sur l’origine de ces mosaïques, est que l’Occident, voulant s’approprier l’honneur de ces travaux, véritables chefs-d’œuvre, les attribua d’abord aux primitifs italiens et surtout à Giotto, qui vivait justement à l’époque où ces mosaïques furent exécutées. Mais au XIVe siècle, il y avait déjà à Byzance des œuvres authentiques qui témoignent suffisamment de la capacité des artistes byzantins de ce temps. «S’il y a eu contact entre les deux civilisations, continue M. Diehl, ce n’est point la renaissance de l’époque des Paléologues qui ne doit rien à l’Occident; c’est plutôt l’Italie qui devrait quelque chose à l’évolution qui s’accomplit alors dans l’art byzantin.» Les mosaïques de Chora sont certainement des œuvres de la dernière renaissance de l’art byzantin. ÉGLISE DES BLAQUERNES Après la grande église de Sainte-Sophie, aucun édifice religieux ne tient une si grande place dans l’histoire byzantine que celui de la Vierge des Blaquernes. Cette église était la chapelle de l’Empereur. C’est là qu’était conservée la sainte image protectrice de Byzance, qui avait miraculeusement repoussé, à maintes reprises, les ennemis de la capitale. Les Latins transformèrent cette église en une église latine, et en enlevèrent plusieurs reliques qui, aujourd’hui encore, font partie du trésor de Venise. Avant la conquête turque, sous le règne de Jean V Paléologue, un immense incendie la détruisit, ce qui, dit l’historien Phrantzès, fut considéré comme un sinistre présage. Quatre-vingts ans après la chute de la ville, Gyllius vit les ruines de l’église encore debout. Il n’en reste rien aujourd’hui que la source sainte, l’ayasma, abritée sous un misérable toit. C’est là que trois fois par an le Basileus allait, après les cérémonies d’usage, se plonger dans la piscine. Sous la voûte, existait une image de la sainte Vierge des mains de laquelle coulait l’eau bénite. Les détails suivants, extraits du livre des Cérémonies écrit par l’empereur Constantin Porphyrogénète et cités dans les _Esquisses byzantines_ publiées par M. A. Marrast, sont très intéressants. «Après diverses cérémonies, après avoir adoré la robe de la Vierge, baisé l’autel, fait maintes stations, l’Empereur gagnait une chambre haute où les baigneurs officiels lui enlevaient ses vêtements et lui mettaient le lentium, en présence des seuls eunuques; les gens à barbe n’étaient pas admis à cette partie de la cérémonie. Alors l’Empereur était conduit dans la salle même du bain sacré, il y adorait les Icones, puis entrait dans le natatorium dont le protembataire, ou chef des baigneurs, avait préalablement béni l’eau; après trois immersions, le prince sortait du bain et, rhabillé par les chambellans ou cubiculaires, quittait l’église.» [Illustration: Plan de Constantinople, en 1422, par Buondelmonte. 1. Porte du palais des Blaquernes. 2. Porte de Messi. 3. Porte de Pescaria. 4. Saint-Georges in Manganis. 5. Saint-Démétrius. 6. Colonne supportant la statue équestre de Justinien. 7. Hippodrome. 8. Église du Pantocrator. 9. Statue de l’empereur Michel VIII Paléologue à genoux devant la statue de l’archange Michel. 10. Saint Johannis de Petra. 11. Palais impérial. 12. Saint Marc. 13. Porte de Saint Johannis. 14. Porte de Lamidi. 15. Porte Dorée. 16. Saint Johannes studio. 17. Saint-Andréas. 18. Périblepte. 19. Port. 20. Condoscale. 21. Domus Justiniani «Palais de Justinien». 22. Palais Hormisdas. 23. Port du Bucoléon. 24. Chantier naval. 25. Tour de Léandre. 26. Tour du Christ.] La table suivante indique par ordre alphabétique, les noms des églises byzantines citées souvent dans l’histoire. Si la plupart de ces églises ont été transformées en mosquées, au lendemain de la conquête, il ne faut point voir là un effet de la persécution religieuse; mais les Byzantins s’étaient retirés dans le faubourg et avaient abandonné ces monuments; il est donc tout naturel que les Turcs les aient utilisés comme édifices sacrés, puisque leur religion admet la prière dans tous les lieux saints. L’église de Sainte-Anastasie. Mosquée de _Mehmed-pacha_, à Kadirga, construite, d’après M. Paspati, au VIIIe siècle, transformée en mosquée en 1571. L’église de Saint-André. Mosquée _Hodja Moustapha pacha_. L’église de Sainte-Anne. L’emplacement de cette église, qui se trouvait près de la porte de Selymbria, n’est pas exactement connu. L’église de l’Archange Michel. Bâtie par Justinien II, se trouvait à Kadirga. L’église des Saints-Apôtres. Sur l’emplacement de cette église se trouve, actuellement, la mosquée du sultan Mehmed II le Conquérant. L’église des Blaquernes. L’église de Constantin Lips. Mosquée de _Demirdjilar-mesdjidi_. L’église de Gastria. _Sandjakdar Mesdjidi_. L’église des Saintes Chrysanthe et Euphémie. Sur son emplacement se trouve aujourd’hui l’église arménienne à _Koum-Kapou_. L’église Saint-Démétrius. Sur l’emplacement de l’École de médecine. L’église de Saint-Diomède. Cette église doit se trouver, d’après le Dr Mordtmann, dans un jardin tout près de l’usine à gaz d’éclairage de _Yedi Koulé_, là où on trouva, il y a une dizaine d’années, deux colonnes de marbre. Monastère de Dius. Près de l’ancienne porte de Jésus, au quartier actuel _d’Et-Yemez_, consacré comme mosquée par _Mirza Baba_, un des soldats du conquérant. La chapelle de Saint-Emilien. Il faut la chercher près de la porte actuelle de _Daoud-pacha_. L’église de Saint-Eutychius-Christo-Camera, à Psamatia. Elle joua un rôle important dans les troubles ecclésiastiques pendant le règne d’Andronic II Paléologue, et était située à l’est du couvent de Myréléon. L’église de Gorgopikoos. C’est encore une petite église grecque du quartier _Alti Mermer_ (Exokionon). L’église de Saint-Jean du Stoudion. Mosquée _d’Emir-Akhor_. L’église de Saint-Jean-Baptiste à Petra Paléa. _Kesmé Kaya._ L’église de Saint-Jean-Baptiste in Trullo. _Ahmed pacha mesdjidi._ L’église de Saint-Jean le Perse. Mosquée de _Hekim oglou Ali pacha_. L’église de Saint-Julien. Sur les collines du port Sophien. L’église de Kyra Martha. Bâtie par Marie Ducas, sœur de Michel Paléologue. D’après le Dr Mordtmann, sur l’emplacement de cette église se trouve actuellement la mosquée de _Chaaban Aga_. Marie Cléopé et Saint-Jean le Guerrier reposent ici. L’église de Kodjouma ou Pantepopte. Mosquée _Eski Imaret_. Elle a servi d’abord comme _Imaret_ (cantine) aux élèves qui étudiaient dans la mosquée du Conquérant. L’église de Saint-Pierre et Saint-Marc. Mosquée _d’Atik Moustapha pacha_. Elle possède une petite piscine baptismale, datant de 458. Monastère d’Emmanuel. Mosquée _Kéfeli_. Monastère de la Pammacaristos. Mosquée _Féthié_, dépendance de l’ancien monastère de femmes fondé à la fin du XIIIe siècle par Michel Tarchaniote et Marie Comnène, son épouse. Après la prise de Constantinople par les Turcs, l’église fut pour quelque temps le siège du Patriarcat orthodoxe; elle possède encore quelques images en mosaïque représentant les prophètes et le Christ. L’église de la Panachrantos. _Fenari Isa Djamissi_ (inscription découverte par le Dr Paspati). L’église de Saint Pantéleïmon. Cette église, qui se trouvait dans la IXe région, contenait les reliques de deux saints, Pantéleïmon et Marius. Elle a été bâtie par Constantin le Grand sous le nom de Homona. L’église du Pantepopte. Fondée par la mère d’Alexis Ier Comnène, vers le commencement du XIIe siècle, transformée en hospice et puis en mosquée, _Eski Imaret Djami_. L’église de la Peribleptos. Église arménienne à Soulou Monastir dans l’ancien quartier appelé Heleniana. L’église du Pantocrator. Cette église, _Zeïrek-Klissé Djamissi_, fut bâtie en 1125 par Irène, épouse de Jean Comnène. Le tombeau de l’empereur se trouve dans une crypte à côté des sépultures d’autres Comnènes. C’est dans cette église que fut aussi inhumée Berthe, qui avait pris le nom d’Irène et qui était épouse de Manuel, fille du comte allemand de Sulzbach et belle-sœur de l’empereur Conrad. Cette église ayant été endommagée par les tremblements de terre, fut reconstruite et transformée en mosquée (_Zeïrek-Djami_). L’édifice se compose de trois églises contiguës. L’église Saint-Philippe. _Denis Abdal_ près de _Top-Kapou_. L’église des Quarante Martyrs. Près de _Saradjhané-Bachi_ (ancien Philadelphium). L’église de Saint-Romain. Il est probable que sur son emplacement se trouve aujourd’hui le _Monastir Mesdjidi_ auprès de la porte Saint-Romain, _Top-Kapou_. L’église des Saints-Serge et Bacchus. Mosquée _Kutchuk Aya Sophia_ (petite Sainte-Sophie). L’église de Saint-Théodore Tiron. _Klissé Djamissi._ Construite vers le XIe siècle. L’église de Sainte-Théodosie. _Gul Djami._ Elle a servi d’abord de dépôt pour les matériaux de l’arsenal. Ce n’est que sous Selim III qu’elle fut transformée en mosquée. L’église Théotocos au quartier de Sigma. L’église de tous les Saints. Près des Saints-Apôtres. L’église de la Sainte-Vierge. Mosquée de _Kalender_. L’église de Saint-Thomas apôtre. Se trouvait à l’extrémité occidentale du port Sophien. [Illustration: L’église de Saint-Théodore de Tyron. _Klissé Djamissi._] L’église du Christ Miséricordieux. Construite par Alexis Comnène, près du couvent Saint-Georges des Manganes. L’église de Saint-Georges des Manganes. Couvent qui se trouvait sur la pente méridionale du rocher de l’Acropole où était le Cynegion, construit par Irène, et qui servait jadis de lieu de spectacle. L’église de Saint-Lazare (Topoïs). Sanctuaire de la Sainte-Vierge Hodigitria. Elle se trouvait dans la plaine qui s’étendait depuis le Cynégion jusqu’au Tzycanisterion. III.--LES PALAIS BYZANTINS PALAIS IMPÉRIAL Il ne nous reste plus que quelques ruines de ces palais byzantins dans lesquels étaient accumulées des richesses considérables et qui furent le théâtre des faits les plus fantastiques et les plus extraordinaires que l’histoire ait peut-être jamais mentionnés. Parmi ces palais, il faut citer d’abord le grand palais impérial qui s’étendait, d’après M. Labarte, sur un immense emplacement occupant une surface de 400.000 mètres carrés à côté de Sainte-Sophie. Construit d’abord par Constantin, probablement sur le modèle du palais de Spalato, il a été embelli et agrandi par les empereurs Justinien, Théophile, Basile le Macédonien. Dans ce palais, au IXe et au Xe siècle, la splendeur de la décoration byzantine brillait de tout son éclat. M. Labarte, en s’aidant des auteurs anciens, est parvenu à reconstituer ce palais dont les ruines mêmes ont disparu. Dans son ouvrage classique, M. Labarte nous en donne la description détaillée. «Le Kremlin, dit-il, peut seul en donner une faible idée. Il se composait de sept péristyles ou vestibules, huit cours intérieures, quatre églises, neuf chapelles, neuf oratoires ou baptistères, quatre salles des gardes, trois grandes galeries, cinq salles d’audience et de réception, trois salles pour les repas, dix appartements réservés à l’habitation particulière des princes, sept galeries secondaires, trois allées destinées à relier entre elles les diverses parties du palais, une bibliothèque, une salle d’armes, des terrasses à ciel ouvert, un manège, deux bains, huit palais particuliers au milieu des jardins et un port.» [Illustration: Pl. 23. COLONNE DE CONSTANTIN PORPHYROGÉNÈTE.] [Illustration: GRAND PALAIS DE CONSTANTINOPLE, au Xe Siècle. _d’après J. Labarte_] Toutes les pièces étaient disposées de façon que l’Empereur, sans sortir de chez lui, pût assister aux offices, aux réceptions des grands personnages dans les salles d’apparat, et même aux jeux de l’hippodrome, dans le Kathisma, qui se trouvait en communication avec le palais. La salle d’audience, le trône, le triclinium, toutes ces pièces étaient décorées de sujets profanes ou de scènes religieuses et légendaires. Comme dans toutes les cérémonies officielles, on attachait une grande importance à la richesse et aux attributs de l’ornementation, chaque pièce avait reçu une décoration spéciale répondant à sa destination particulière. Au lieu d’avoir, comme les palais modernes, une façade monumentale, le palais impérial était composé d’une multitude de petits bâtiments portant les noms suivants: triclinium (salle à trois lits ou salle à manger, pouvant aussi comprendre plusieurs pièces); Coubouclion (cubiculum) corps de logis formant un appartement de grande importance; Coiton (chambre à coucher appelée aussi Métatorion); Diabatica (galerie servant de communication entre les différentes parties du palais); Phiale (emplacement à ciel ouvert, dallé de marbre et ayant souvent en son milieu un bassin ou une fontaine); Péripatos (galeries ouvertes), etc... Le palais se divisait en trois parties principales: la Chalcé, Daphné et le palais sacré. La Chalcé comprenait toute une série de pièces. On accédait au palais du côté de l’Augustéon par la porte en fer qui ouvrait sur un des vestibules de la Chalcé. Ce vestibule, couvert de tuiles en bronze doré, se composait d’une cour en forme d’hémicycle surmontée d’une voûte en cul-de-four faisant face à l’entrée d’un bâtiment carré à coupole tout orné de mosaïques. On comptait dans la Chalcé trois salles des gardes, les noumera, les courtines, les tricliniums des scolaires, des excubiteurs, des candidats, en enfilade. Venaient ensuite une salle de justice, (tribunal de Lychnos), une salle de réception, une salle à manger d’apparat, le grand consistorium et plusieurs édifices religieux (l’oratoire du Sauveur et la chapelle des Saints-Apôtres). Le grand consistoire était convoqué dans la salle de réception. Trois portes en ivoire y donnaient accès. Au fond de la salle, un des trônes de l’Empereur était dressé sur une estrade. Entre la Chalcé et Daphné se trouvait le triclinium (salle à manger à dix-neufs lits), où se donnaient les banquets officiels. Cette salle était précédée d’une cour ou atrium, puis d’un portique formant porche. Elle était divisée en deux; une partie était réservée aux invités, et l’autre à l’Empereur. Toutes deux étaient éclairées par le haut. La première pouvait contenir trois cents convives. Aux grands jours de fête, par exemple à Noël, on y mangeait, couché à la mode antique. D’après le récit de Luitprand, évêque de Crémone, qui assista en 943 à un des festins donné dans ce palais, on y mangeait, à demi couché, le service étant fait uniquement dans de la vaisselle d’or; les fruits étaient servis dans de grands vases en or qui, à cause de leur poids, étaient transportés sur des chariots couverts de pourpre. On les enlevait au moyen d’une poulie établie au plafond, sur laquelle roulaient trois cordes enveloppées de peau dorée. Les bouts des cordes étaient munis d’anneaux en or engagés dans les anses des vases; plusieurs serviteurs placés en bas étaient chargés de faire fonctionner ces appareils pour le service de la table. La partie du palais appelée Daphné commençait par une grande galerie couverte, précédée d’un porche à arcades qui conduisait à une salle octogone. Cette partie du palais comprenait plusieurs édifices religieux et des salles pour les réunions officielles. Une galerie courant sur les étages supérieurs menait à un petit palais occupant la place d’honneur de l’hippodrome. Cet édifice contenait plusieurs pièces et l’Empereur y revêtait son costume officiel avant d’entrer dans sa loge pour assister aux jeux. Les fonctionnaires qui se rendaient au palais laissaient leurs chaises à porteurs et leurs chevaux dans un manège spécialement disposé à cet effet dans les dépendances. Le palais sacré comprenait le palais impérial proprement dit, contenant dans son enceinte le péristyle du Sigma, le Triconque, et différents appartements privés de l’Empereur. A l’entrée du palais sacré, se trouvait un vaste atrium ou Sigma qui avait la forme de la lettre grecque appelée Sigma. C’est là que les courtisans et les hauts fonctionnaires attendaient l’Empereur. Au centre de cet atrium, était placé un bassin aux bords d’argent, au milieu duquel se trouvait un vase d’or en forme de coquille. Ce vase était rempli des fruits les plus rares où puisaient les invités. Après l’atrium, on entrait dans un péristyle formé de quinze colonnes en marbre de Phrygie. Au centre, s’élevait un dôme soutenu par quatre colonnes en marbre vert dominant le trône où l’Empereur s’asseyait pendant les fêtes. On y trouvait aussi un palais à deux étages, construit par Théophile au IXe siècle sur le modèle du palais du khalife de Bagdad. Une des parties les plus intéressantes du palais sacré était le Chrysotriclinium (triclinium d’or), bâti par l’empereur Justin II le Curopalate, embelli ensuite par Tibère son successeur. C’était une salle octogonale couverte d’une coupole à seize fenêtres; sur les huit côtés se trouvaient huit absides qui communiquaient entre elles. Celle qui était en face de l’entrée était fermée par deux portes argentées, sur lesquelles étaient figurées les images de Jésus-Christ et de la sainte Vierge. Pendant les réceptions, ces portes restaient d’abord closes, tandis que la foule entrait dans la salle. Une fois le calme rétabli, elles s’ouvraient, et on voyait, au fond de l’abside, l’Empereur vêtu d’un manteau de pourpre orné de pierres précieuses, ayant à hauteur de sa tête l’image du Sauveur et entouré de toutes sortes d’objets précieux. La foule se prosternait de suite devant l’Empereur pour lui rendre hommage. Tout était calculé pour donner à ces réceptions un aspect féérique. Toutes les grandes cérémonies telles que le couronnement, le mariage impérial et les réceptions officielles se faisaient dans cette splendide salle de fête. Ces cérémonies avaient beaucoup de ressemblance avec celles des Persans: «La salle du trône, dit M. Gayet, ouvrait directement sur la cour du palais, sans qu’aucune barrière en interceptât l’entrée: un rideau immense dérobait seul le monarque aux regards de ses sujets. Lorsqu’il daignait se montrer à eux et prenait place sur l’estrade, entouré des princes du sang, des ministres, des courtisans et de la garde, le voile se levait soudain à un signal donné. Le Roi des rois surgissait alors dans le cadre d’un luxe inoubliable.» [Illustration: Pl. 24. COLONNE DE THÉODOSE.--Bas-reliefs du piédestal.] Derrière cette salle, s’étendaient les nombreux appartements privés de l’Empereur, orientés de façon à être aussi confortables en été qu’en hiver. Constantin Porphyrogénète, décrivant une de ces salles du palais nommé Cenourgion, bâti par Basile le Macédonien, raconte qu’elle était soutenue par 16 colonnes dont 8 en marbre vert et 6 en onychite, ornées de rameaux de vignes qui s’entrelaçaient au fût et de différentes figures d’animaux. Deux autres colonnes, également en onychite, portaient des cannelures en spirales. La partie supérieure au-dessus des colonnes jusqu’à la voûte était ornée de mosaïques sur fond d’or. On y voyait Basile entouré de guerriers qui lui présentaient les clefs des villes conquises. A la naissance de la coupole, une large corniche formait une galerie à balustrade qui faisait le tour de la salle. Un lustre était suspendu au centre. L’appartement d’été de l’empereur Théophile se composait d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage comprenant une chambre à coucher et un salon. Un chroniqueur de l’époque nous donne d’assez nombreux détails sur la décoration d’une chambre à coucher impériale: «Le pavage est en mosaïque, au centre s’étale un paon enfermé dans un cercle de marbre. De ce cercle partent des rayons qui vont aboutir à un autre cercle, plus grand, en dehors duquel sont des marbres verts imitant des fleuves. Dans chaque coin se trouvent appliqués des aigles en mosaïque faits de petits cubes de différentes couleurs. Les parois de la pièce sont ornées de plaques de verre polychrome. Une bande d’or sépare les mosaïques qui ornent la partie supérieure des parois, sur lesquelles se détachent sur fond d’or les figures de Basile et de sa femme Eudoxie. Tous deux sont assis sur des trônes et portent les couronnes et les costumes impériaux. Sur les autres murs de la pièce sont représentés leurs enfants vêtus du même costume, et tenant entre les mains des livres de piété. Le plafond resplendissant d’or porte au milieu le signe victorieux de la croix en verres de couleur; tout près, se trouvent encore les images de l’Empereur, de l’Impératrice et de leurs enfants, levant tous la main vers la croix.» Cet immense palais, habité si longtemps par les empereurs byzantins, fut abandonné vers le XIIe siècle, quand leurs successeurs allèrent résider au palais des Blaquernes. Bien avant la prise de Constantinople par les Turcs, ce palais menaçait déjà ruine et ses débris étaient utilisés pour de nouvelles constructions. Buondelmonte, qui visita la capitale trente ans avant la conquête, n’avait plus rien trouvé sur l’emplacement de ce grand palais que quelques pierres provenant des ruines. Et quand Pierre Gylles visita Constantinople, il ne vit sur son emplacement que quelques traces de ruines[45]. [45] Banduri. _Topogr. Constantin._ PALAIS DE BOUCOLÉON Ce palais se trouve sur les bords de la Propontide, dans l’enceinte du grand palais byzantin. Il a été appelé d’abord château de Hormisdas, du nom d’un prince sassanide qui s’était réfugié à Constantinople et avait habité ce palais au temps de Constantin. Il fut reconstruit par Justinien et, plus tard, agrandi et embelli par Constantin Porphyrogénète[46] qui y ajouta des statues et un groupe d’animaux sculptés en pierre, un lion luttant avec un bœuf. [46] Constantin Porphyrogénète--_Vie de Basile._ Il paraît que de là vient son nom de Boucoléon[47]. Tout près de ce palais se trouvait un port appelé du même nom. Nicéphore Phocas qui habitait presque toujours ce palais où il fut tué par Jean Tzimizès son rival, l’avait fortifié en l’entourant de murs. [47] Bous (Bœuf), Léon (lion). Il nous paraît plus vraisemblable de croire que l’étymologie du mot de boucoléon vient de _bucca leonis_, entrée des lions, parce que ce port avait à son entrée des statues de lions. PALAIS DE LA MAGNAURE Le triclinium de la Magnaure ou Magna-aula (magna, grande, aula, cour) se trouvait au nord du palais impérial entre la Chalcé et Sainte-Sophie; les Empereurs y donnaient audience aux ambassadeurs. Ce triclinium, bâti par Constantin, n’était qu’une basilique à nef centrale et à bas côtés. Au fond, sur une estrade qui occupait toute la largeur de l’édifice et qui recouvrait un hémicycle, se trouvait le trône impérial. De chaque côté de l’abside, deux colonnes soutenaient des draperies et des rideaux. Au-dessus du bas côté s’élevaient les galeries réservées aux dames de la cour. Au pied de l’estrade, on apercevait deux lions artificiels dressés sur leurs pattes et qui poussaient des rugissements comme des lions vivants. Sur des arbres d’or, des oiseaux de toutes sortes, artistement imités et perchés sur les branches, faisaient retentir la salle de leurs chants joyeux. Pour donner plus de vie à cette scène du passé, il faut écouter Luitprand, envoyé extraordinaire du roi d’Italie à la cour de Byzance, au Xe siècle. «L’Empereur, dit-il, étant assis sur son trône, des lions automatiques commencent à rugir, les oiseaux chantent. Je me prosterne devant lui, et, après être resté quelque temps dans cette position, selon le cérémonial, je lève les yeux et aperçois l’Empereur enlevé par une machine à une hauteur considérable.» Sur l’emplacement du palais de la Magnaure, se trouve actuellement le ministère de la Justice, qui dernièrement devint le siège du Parlement, et devait primitivement servir d’université, mais il ne fut jamais affecté à cette destination. En creusant les fondations de cet édifice en 1847, on trouva, à une profondeur de trois mètres, l’ancien pavé et la base de la célèbre statue argentée d’Eudoxie la Gauloise, objet de la haine de Chrysostome. Elle portait l’inscription suivante en langue grecque: «Voici la statue argentée où les souverains président aux tribunaux de la capitale[48].» A côté de ce palais se trouvait le Sénat ou basilique. Un portique orné de six grandes colonnes de marbre blanc s’ouvrait, d’après M. Labarte, sur le forum Augustéon. [48] Cette base est conservée au Musée. PALAIS DES BLAQUERNES Lorsque Théodose II avait construit la grande muraille pour agrandir la ville, le quartier des Blaquernes, qui était situé à l’extrémité nord-ouest de la ville, près de la Corne d’Or, et qui renfermait alors l’église de ce nom ainsi qu’une résidence impériale, ne fut pas compris dans l’enceinte des murs. Ce n’est que deux siècles plus tard que l’empereur Héraclius fit construire de nouveaux remparts devant les Blaquernes, qui, devenus très peuplés, avaient besoin d’être protégés contre les attaques ennemies. D’après M. Schlumberger, la partie des murs théodosiens restés en arrière des nouveaux murs et qui étaient devenus inutiles furent détruits. Le palais qui se trouvait dans ce quartier avait été bâti d’abord par Anastase (491-518). Il servit pendant plusieurs siècles de maison de plaisance aux Empereurs. Puis il s’étendit et couvrit de ses nombreux bâtiments un espace de 300.000 mètres carrés (l’espace compris entre _Egri-Kapou_ et l’Ayasma des Blaquernes). C’est Manuel Comnène Ier qui, négligeant complètement le grand palais, élut pour résidence le palais des Blaquernes (1143). [Illustration: Pl. 25. COLONNE DE CONSTANTIN ET MESÈ. ANCIENNE RUE DE «MESÈ» ET COLONNE DE CONSTANTIN AU Xe SIÈCLE. (D’après la restitution de l’auteur.)] L’enceinte fortifiée du palais comprenait de vastes jardins, des cours à portiques, différentes habitations pour le Basileus, sa famille, ses grands officiers et ses gardes, des églises, des chapelles et d’autres édifices religieux. Le Portique carien, érigé par l’empereur Maurice en 586 et dont on retrouve actuellement les substructions à l’est de la porte d’_Eïvan Seraï_, consistait en une cour entourée de portiques et qui conduisait au palais. L’ensemble de ces monuments formait un quartier que les historiens grecs appelaient palais au toit doré. Actuellement on ne voit plus que la portion de l’enceinte commune à la grande muraille de la ville, et quelques pans de murs ensevelis sous terre. Le terrain étant disposé suivant des pentes très abruptes, d’immenses voûtes et des murailles épaisses durent être construites pour supporter les nombreuses terrasses dont on reconnaît parfaitement aujourd’hui les ruines. Ces terrassements dominaient une vallée assez profonde qui existe encore. Une partie du palais était adossée à la grande muraille sur laquelle s’ouvraient des fenêtres et des balcons dominant la campagne. C’est dans ce palais qu’Isaac l’Ange, en 1204, reçut les croisés. Ces derniers furent émerveillés de la splendeur des jardins, de l’ampleur des voûtes, et de la magnificence des parois toutes tapissées de mosaïques à fond d’or, des cours pavées de marbre précieux, des ruisseaux d’eau courante coulant dans des canaux d’albâtre. Les seigneurs Francs, quand ils furent reçus dans ce palais par Alexis, furent éblouis par les richesses prodigieuses étalées non sans intention: la vaisselle d’or, les innombrables vêtements de cérémonies, les étoffes brodées de soie. [Illustration: Palais des Blachernes d’après A. van Milligen.] Les empereurs latins de Constantinople habitèrent aussi ce palais et y tinrent leur cour. Nicéphore Grégoras et Pachymère racontent que Michel Paléologue, après avoir reconquis Byzance, dut aller demeurer au grand palais, les Blaquernes étant dans le plus affreux délabrement, toutes noircies de fumée et pleines d’immondices et d’ordures. Après sa réparation, le palais des Blaquernes redevint et resta l’unique résidence des Paléologues jusqu’à la chute de Constantinople. Ce qui subsiste aujourd’hui des fondations montre suffisamment l’étendue occupée par ce palais, dont les proportions et la magnificence ont toujours fait l’admiration des historiens. Pulchérie, épouse de Marcien, y avait fait construire la célèbre église des Blaquernes. Cette église touchait au mur du palais même et sa porte ouvrait dans l’enceinte du palais. «La porte de l’enceinte de l’église des Blaquernes, dit M. Schlumberger, vaudrait bien comme intérêt l’escalier de Versailles! Aujourd’hui, c’est l’Empereur en litière, entouré, tantôt de ses fameux Vaerings, tantôt d’un cortège d’eunuques ou d’une longue chaîne de prêtres et de caloyers, jetant un regard inquiet sur la foule des dignitaires où il cherche à tout instant le meurtrier de l’heure qui vient et le successeur heureux qui fera jeter au cirque son cadavre mutilé; demain c’est le patriarche à la longue barbe blanche, qui accourt tremblant sous ses vêtements d’or; il sait qu’un basileus tout enfiévré d’un sombre esprit théologique l’a fait mander au palais pour lui donner le choix entre l’option d’une hérésie qui damnera son âme ou l’exil mortel sur quelque affreux rocher de Marmara. Aujourd’hui ce sont des princesses, mères, femmes ou filles de quelque empereur assassiné ou déposé, qu’on entraîne à la hâte vers l’église pour raser leur chevelure, arracher leur tunique de pourpre brodée de perles et les jeter ensuite, sous la robe brune des religieuses, dans quelque couvent devenu leur demeure pour le reste de leurs jours.» Près du palais on avait construit un cirque qui servait à l’amusement des Empereurs. Non loin de là, on voit encore aujourd’hui deux grandes tours, la tour d’Isaac l’Ange et la tour d’Anémas. La tour d’Isaac l’Ange fut construite en 1188 pour servir de défense au palais des Blaquernes qui se trouve derrière elle. On y pénétrait par la cour du palais impérial. Un des murs de la tour d’Isaac l’Ange était percé de trois fenêtres cintrées. Au-dessus de ces fenêtres, une rangée de pierres saillantes semble avoir dû porter un balcon disparu. Les trois autres murs n’ont chacun qu’une fenêtre; celle du côté sud sert de communication entre la plate-forme des murs et l’intérieur de la tour. Celle du côté du port conduit sur le toit de la tour basse d’Anémas, ainsi nommée d’après Michel Anémas, fils d’un roi de Candie, qui y fut enfermé sous Alexis Comnène. Ces tours furent plus tard reliées entre elles intérieurement. [Illustration: PRISONS D’ANÉMAS (D’après Van Millingen: _Byzantine Constantinople_.)] Sous la tour d’Anémas se trouvent les fameuses prisons d’Anémas découvertes dernièrement par le Dr Paspati. Ces prisons, très curieuses, sont dans un meilleur état de conservation que d’autres cachots similaires; mais la visite en est rendue très dangereuse par les cavités dans lesquelles on risque de se précipiter. Outre ce danger réel, les ordures jetées par les habitants des quartiers voisins rendent l’abord de la place des plus désagréables. On y accède par une petite ouverture cintrée percée dans un pan de mur au pied de la tour d’Anémas. Un passage de dix mètres de long, très bas et très étroit, conduit à une petite salle voûtée, humide et qui ne reçoit par cette même entrée qu’une faible lumière. En passant à droite par une petite ouverture, on arrive à une autre salle faiblement éclairée par un trou pratiqué dans la voûte. Sur le passage s’ouvre un puits béant qui coupe le cachot dans toute sa largeur. En face de l’entrée, un autre passage menant à droite communique avec une autre galerie. On monte par un escalier à l’étage supérieur de la tour, où se trouve une salle mesurant 7 mètres de haut sur 12 mètres de long et 10 mètres de large. Elle ne prend jour que par un mince filet de lumière passant par un trou pratiqué dans une fenêtre cintrée. On peut alors voir le trou rond qui éclaire l’étage inférieur. L’escalier continue jusqu’au sommet de la tour. Dans la petite salle d’entrée, une ouverture à gauche conduisait aux cellules des prisonniers. Aujourd’hui, on n’aperçoit qu’un grand bâtiment d’une soixantaine de mètres de longueur, plein de décombres. Jadis cette grande salle était divisée en deux étages, contenant chacun une enfilade de petites chambres séparées les unes des autres par des murs de 1m, 50, percés de grandes ouvertures cintrées. Un corridor de 1m, 75 de large courait tout le long des chambres. PALAIS DE CONSTANTIN PORPHYROGÉNÈTE Ce palais, appelé aussi palais de Bélisaire[49], ou palais de l’Hebdomon et nommé _Tekfour Serail_ par les Turcs, se trouve enclavé dans les murs de Théodose. D’après Gyllius, il faisait partie du palais de Constantin à l’Hebdomon hors des murs. Le nom d’«Hebdomon» lui venait du septième quartier des auxiliaires Goths qui, en leur qualité d’ariens, campaient hors des murs sur l’emplacement qu’on appelait Hebdomon. Ce palais, restauré par Justinien, a été appelé aussi _Palatium Justiniani_. [49] Dans le plan de Melling, dessiné en 1815, nous voyons les ruines d’un autre palais de Bélisaire à côté du forum de Constantin, là où se trouve actuellement l’imprimerie Osman bey. Le Dr Mordtmann et M. Van Millingen[50], dans leurs travaux sur l’archéologie byzantine, cherchent à démontrer que le palais appelé aujourd’hui _Tekfour Serail_ n’est qu’une partie du palais des Blaquernes. Le Dr Mordtmann veut prouver, en se basant sur la manière dont cet édifice est construit, qu’il existait déjà au temps de Théodose et qu’il formait la partie supérieure du palais des Blaquernes. Il est certain en tout cas que de fausses suppositions l’ont fait prendre pour le palais de l’Hebdomon. [50] Van Millingen, _Byzantine Constantinople_. C’est un bâtiment rectangulaire où les briques alternent avec des blocs de marbre blanc et jaune. Les murs indiquent clairement qu’il était composé de trois étages et que l’étage supérieur dépassait la hauteur des murailles. Le rez-de-chaussée comprenait une salle voûtée de 17 mètres de longueur, soutenue par deux rangées de colonnes. La façade nord des bâtiments repose sur quatre arceaux séparés par un pilier carré. Le premier étage consistait en une grande salle rectangulaire dont il est assez difficile aujourd’hui de reconstituer exactement les divisions intérieures. Des six fenêtres cintrées qui éclairent cet étage, quatre correspondent aux arcades de l’étage inférieur. Au second étage, se trouve une grande salle semblable, éclairée sur toutes ses faces par des fenêtres cintrées. A l’est, au-dessous des trois fenêtres en plein cintre, un balcon supporté par deux arceaux formait saillie. Le palais continuait le long des murs vers le nord. Il était précédé d’une cour formant atrium, orné de propylées soutenus par dix grandes colonnes. Le toit reposait sur une corniche en marbre sculpté. Outre le grand palais sacré, le palais des Blaquernes et ceux sur lesquels nous venons de donner quelques détails, on peut citer une série de palais appartenant aux différents siècles, tels que le palais de l’impératrice Sophie, le palais d’Eleuthère, le palais Valentinien, le palais de Bonus, le palais de Jucundiana, le palais de Justinien, le palais de Kalaman, le palais de Pighi, le Philopation, le palais Placidien, Saint-Mamas, le palais d’Arcadius, le palais de Toxaros, etc. Le palais de l’impératrice Sophie qui se trouvait près du port Sophien fut remplacé par le palais d’_Esma Sultane_. Le palais de Valentinien a été construit par l’empereur Valentinien pour ses filles. L’emplacement de ce palais est aujourd’hui occupé par les bâtiments de _Mechichat_ (Cheïhuslamat). Le palais de Bonus, construit par Romain II Lécapène, se trouvait sur la colline où est située actuellement la mosquée de _Sultan Selim_. L’Empereur venait y passer la nuit pour assister le lendemain à la messe des Saints Apôtres. Le palais Kalaman se trouvait dans le quartier des Génois. HIPPODROME L’hippodrome, où se déroulèrent tant d’événements historiques, où 30.000 hommes périrent pendant la révolte de Nika, occupait la grande place appelée aujourd’hui _At Meïdan_, c’est-à-dire place aux chevaux. Il s’étendait en outre sur une partie de l’emplacement de la mosquée d’Ahmed, et sur le terrain où s’élèvent actuellement l’école des Arts et Métiers et les nouveaux bâtiments du ministère des Mines et Forêts. Son axe est indiqué par l’obélisque, la colonne serpentine et la colonne murée qui existent encore. L’hippodrome a été construit d’abord par Septime-Sévère, sur le modèle du Circus Maximus de Rome. Constantin y ajouta les degrés, la sphendonè et les tribunes, et orna les portiques de statues. Cet édifice fut modifié plusieurs fois au cours des siècles. L’hippodrome qui avait 370 mètres de long sur 180 de large pouvait contenir 100.000 personnes[51]. Outre les petites portes, qui conduisaient aux gradins, quatre portes monumentales s’ouvraient aux extrémités des côtés latéraux. [51] Selon Gylles la longueur de l’hippodrome était de deux stades (370 mètres). Du côté sud, le terrain s’inclinait vers la mer; cette partie de la piste de l’hippodrome fut exhaussée par des soubassements composés de hauts murs voûtés. Elle formait la partie hémisphérique de l’hippodrome qui s’appelait sphendonè. [Illustration: Pl. 26. COLONNE SERPENTINE. AQUEDUC DE VALENS.] Du côté de Sainte-Sophie, s’élevait un bâtiment rectangulaire comprenant la tribune impériale et les loges des grands dignitaires et des sénateurs, et qu’on appelait _Kathisma_[52]; il n’avait aucune communication avec l’arène ni avec les gradins du cirque. L’Empereur y arrivait directement du palais. Au-dessous de la loge impériale, se trouvait, sur une terrasse en forme de balcon garni de colonnes, une autre tribune, réservée aux gardes de l’Empereur; elle était appelée le Pi, à cause de sa forme qui rappelait la lettre grecque π. Deux escaliers faisaient communiquer cette terrasse avec la tribune impériale. [52] Aujourd’hui, sur l’emplacement de l’ancien Kathisma, se trouve la fontaine érigée par Guillaume II, empereur d’Allemagne. Aux grandes fêtes, les musiciens jouaient sur cette plate-forme. Au-dessous du Pi, à droite et à gauche, étaient les portiques par où les chars entraient dans le cirque. Ces loges, qui avaient à Rome le nom de Carceres, étaient appelées à Constantinople Manganon. Au-dessus de la loge impériale s’élevait une tour ornée de quatre chevaux de bronze, œuvre de Lysippe de Chio, et que, d’après une légende, Théodose avait enlevés à l’île de Chio; une autre légende voulait qu’on les eût apportés de Corinthe à Rome et de Rome à Byzance[53]. [53] Pendant la quatrième croisade on expédia les chevaux à Venise; Bonaparte les fit placer sur l’arc de triomphe du Carrousel à Paris. Mais en 1814 ils furent de nouveau transportés à Venise où ils ornent maintenant le portail de Saint-Marc. Le Kathisma comprenait une salle à manger, une salle de réception et plusieurs pièces où l’Empereur recevait les hauts fonctionnaires avant les fêtes et donnait des repas, car les jeux de l’hippodrome formaient une partie intégrante de la vie publique. L’Empereur devait avoir dans le cirque des appartements privés pour revêtir les habits officiels avant d’entrer dans sa loge et enfin pour se reposer pendant les jeux, qui duraient parfois toute une journée. Le Kathisma communiquait avec l’église Saint-Etienne, dont plusieurs fenêtres s’ouvraient sur l’hippodrome. D’après Labarte, les dames de la cour, qui ne siégeaient pas avec les hommes pendant les cérémonies publiques, pouvaient assister aux jeux du haut de ces fenêtres. C’est dans cette église que Léon l’Arménien fut assassiné et transporté ensuite à l’hippodrome. M. Millet et plusieurs archéologues russes, se basant sur les événements qui se déroulèrent au temps de Théodose II, veulent montrer que la tribune impériale ne se trouvait pas au centre du Kathisma, mais à son extrémité orientale, c’est-à-dire à la partie contiguë au palais. Peut-être les Empereurs avaient-ils choisi cette place pour avoir une meilleure vue sur la piste de l’hippodrome. Mais il n’en est pas moins vrai qu’une tribune officielle existait au centre du palais de Kathisma. Les spectateurs étaient assis sur les gradins qui se continuaient en forme d’amphithéâtre. Sur le sommet de ces gradins existait un promenoir à colonnades, orné de statues. Pour protéger les spectateurs contre les bêtes fauves et pour empêcher les discussions souvent violentes des partis adverses, l’arène était séparée des gradins par un fossé. Les jeux des bêtes fauves ayant été remplacés un peu plus tard par des courses de chars, par des luttes et des combats, ce fossé fut supprimé, mais on construisit un mur pour empêcher les bleus de se jeter sur les verts et réciproquement. Dans l’axe longitudinal du cirque s’élevait une terrasse longue et étroite appelée «Spina» et sur laquelle on avait disposé divers monuments et statues, la colonne de Théodose (obélisque), la colonne murée, la colonne serpentine, qui portait autrefois le célèbre trépied de Delphes; toutes ces colonnes étaient alignées dans la même direction. Parmi les statues en bronze ou en marbre, on remarquait un homme luttant avec un lion, un taureau mourant, l’Hercule colossal de Lysippe, un loup combattant une hyène, un cheval indompté, un aigle enlevant un serpent, Adam et Ève, Hélène inspirant l’amour aux guerriers, les statues des empereurs Gratien, Valentinien, Théodose, celles des conducteurs de chars couronnés, et la fameuse statue à trois têtes, dont Jean (Yanis) l’Iconoclaste fit abattre les têtes. Au centre d’un bassin se dressait, au haut d’une colonne, la statue de l’impératrice Irène. «Les statues de Gratien, de Valentinien, de Théodose, dit M. Dethier, étaient à cheval, à pied; c’est au choix d’un interprète hardi. Je m’étonne que même M. Labarte ait eu la bonne volonté d’y trouver une statue équestre d’un Théodose (p. 53), mais toujours se garde-t-il d’affirmer que c’est Théodose Ier. D’ailleurs ces statues étaient très petites et ornaient les gradins des bancs de l’hippodrome.» Sur toute l’étendue de l’hippodrome une grande tente (velum) doublée de pourpre était tendue pour protéger les spectateurs contre les ardeurs du soleil. Tout Byzance affluait sous cette tente, et sur les gradins se pressaient des hommes de toutes races, aux costumes les plus divers, bigarrés de toutes les couleurs. Dans la suite, les jeux de l’hippodrome se firent plus rares et l’on ne donnait plus de représentations qu’aux jours de grande fête. Après la conquête latine, l’hippodrome fut complètement abandonné. Tous les objets précieux qui l’ornaient furent détruits; plusieurs statues, entre autres celles de l’Hercule en bronze, envoyées à la fonte et l’on en fit de la monnaie. Comme on peut le voir d’après les anciens plans de la ville, antérieurs à la conquête ottomane, il n’existait plus rien alors de la splendeur de l’ancien hippodrome: seules les trois colonnes qu’on peut voir de nos jours et qui indiquent l’axe de l’hippodrome, seuls quelques marbres ayant appartenu aux gradins subsistaient encore. L’hippodrome était rempli de monticules de terre provenant de la démolition des gradins. A une certaine époque, on construisit même des maisons sur cet emplacement. Une partie des ruines a servi à Ibrahim Pacha, vizir du sultan Suleïman, pour la construction du _Mehterhané_ (prison actuelle). Près de l’Augustéon, en face des thermes de Zeuxippe, se trouvait l’Octogone ou Tetradision, où était établie une sorte d’«Université». C’était un grand édifice en forme d’octogone à huit pièces voûtées. Il renfermait tous les ouvrages des grands maîtres de la littérature, de la science et de la philosophie. D’après la chronique Pascale, ce sont les Goths qui incendièrent l’Octogone pendant la sédition de Nika. D’après Codin, c’est Léon l’Isaurien qui l’a fait brûler avec ses académiciens parce qu’ils refusaient de s’associer aux illégalités de l’Empereur. IV.--LES BAINS BYZANTINS Nul pays, au moyen âge, n’a possédé autant d’institutions d’utilité publique que faisait Byzance, avec ses forums, ses fontaines, ses aqueducs, ses citernes, ses canalisations et surtout ses bains qui contribuaient à l’entretien de la santé publique. Chaque quartier en possédait un. Ces établissements ne diffèrent que fort peu des bains grecs et romains. On n’en trouve plus dans la ville un seul qui appartienne à l’époque byzantine. Mais les Turcs ayant construit leurs bains à peu près sur les mêmes plans que les Byzantins et les ayant divisés en deux parties, l’une réservée aux dames et l’autre aux hommes, il est facile aujourd’hui d’avoir une idée des modèles dont ils s’inspirèrent. Voici, au sujet d’un bain grec construit par Hippias, la description qu’en fait Lucien et que Mavroyéni Pacha cite dans ses articles sur les bains orientaux: «La partie d’entrée est haute, on y monte par un escalier large; la porte franchie, on entre dans une salle commune réservée aux domestiques; après cette première pièce, on entre dans une autre salle fort élevée, abondamment éclairée, ayant de chaque côté des séparations pour ceux qui veulent se déshabiller. Au milieu de la salle se trouvent trois piscines; on y voit deux statues en pierre blanche, l’une représentant Hygie et l’autre Esculape, puis on pénètre dans une salle légèrement tiède, afin d’éviter une chaleur incommode. Après cette salle, il y en a une autre qui les dépasse toutes en beauté, où l’on peut s’asseoir et se faire masser. Les murs sont revêtus jusqu’au plafond de plaques de marbre de Phrygie. En avançant par un passage, on entre dans la salle la plus reculée. Cette salle offre trois baignoires d’eau chaude, toutes les parties en sont de proportions harmonieuses.» [Illustration: Pl. 27. CITERNE DE BIN BIR DIREK.] Comme les Grecs, les Byzantins attachaient beaucoup d’importance à la beauté architecturale des bains, où le peuple trouvait un plaisir plus qu’une nécessité hygiénique et où il allait même se divertir en hiver. On sait que les Néron et les Caracalla, les Titus et les Dioclétien se rendirent populaires en construisant de magnifiques thermes où trois mille personnes pouvaient trouver place en même temps. De même le peuple byzantin, chez lequel le bain était devenu indispensable au point de vue religieux autant que laïque, construisit des bains aussi somptueux que les Romains. Parmi les plus beaux on peut citer celui de Zeuxippe qui se trouvait tout près du Kathisma de l’hippodrome, et touchait, d’après M. Labarte, aux Nouméra, un des derniers bâtiments du palais, du côté du forum Augustéon. Il a été construit par Septime-Sévère et remanié par Constantin. Il était orné de très belles statues en marbre et en bronze. Si des fouilles adroites étaient entreprises près de la fontaine construite par l’empereur d’Allemagne, elles mettraient peut-être ces statues au jour. Le bain de Zeuxippe fut détruit pendant la sédition Nika. Les bains d’Arcadius, qui occupaient l’emplacement de l’école actuelle des Beaux-Arts, étaient également célèbres chez les Byzantins. Vis-à-vis de Sainte-Anastasie, vers le nord, on rencontre les substructions d’un grand bain public du nom de Diagisthée[54]. Le bain de Constantin subsista après la conquête et fut nommé _Tchoukour Hamam_. Citons encore les bains d’Eudoxie qui se trouvent près de la Sublime Porte. [54] Voir, _Les bains turcs_, page 224. V.--LES MONUMENTS OBÉLISQUE DE THÉODOSE LE GRAND Les œuvres plastiques et les monuments qui ornaient jadis la ville de Constantinople ont été peu à peu détruits pour la majeure partie, et un très petit nombre seulement ont échappé à la ruine et sont parvenus jusqu’à nous. Parmi les monuments de l’ancien hippodrome, nous citerons d’abord l’obélisque de Théodose le Grand. C’est un monolithe de granit syénitique rose, haut de 30 mètres et large de 2 mètres à la base. Les inscriptions hiéroglyphiques, gravées sur chaque côté du monolithe et qui sont fort bien conservées, montrent qu’autrefois l’obélisque était beaucoup plus élevé. Il fut érigé à Héliopolis, 1700 ans avant J.-C., par le Pharaon Thoutmosis III. Constance II et Julien (361-362) formèrent le projet de le transférer à Byzance; les premiers travaux furent même commencés à cet effet, mais l’Empereur mourut et l’obélisque resta environ trente années couché sur le sol. En l’an 390, Théodose Ier le fit transporter à Byzance. On construisit tout exprès une voie ferrée allant de la porte de Fer, sur les bords de la Propontide, au plateau de l’hippodrome. On plaça l’obélisque sur un piédestal en marbre orné de sculptures qui représentent la vie et les hauts faits de Théodose. L’inscription suivante est gravée en grec et en latin sur ce piédestal: «Théodose Ier a dressé, avec l’aide du préfet du prétoire Proclus, cette colonne quadrangulaire qui gisait sur le sol.» La colonne fut érigée en trente-deux jours. «En fait la colonne ne s’éleva, dit M. Dethier, qu’en l’an 400 pendant le règne d’Arcadius, sous les auspices de Gaïnas, qui réussit à faire rendre justice à ses compatriotes, les Ariens Goths, mais comme un météore, tomba sous la réaction orthodoxe; sa tête fut portée dans les rues, 5.000 Goths brûlés dans une de leurs églises et le nom de Gaïnas effacé sur les inscriptions de l’obélisque pour être remplacé par celui de l’orthodoxe Proclus.» Sur le bas-relief nord, on voit Arcadius et sa femme Eudoxie (la Gauloise) dans le Kathisma et, à côté d’eux, un homme de la cour, Gaïnas, le puissant chef des Goths. L’obélisque repose sur quatre cubes en bronze posés à chaque coin de sa base quadrangulaire. Les bas-reliefs du piédestal représentent, sur le côté ouest, l’empereur Théodose le Grand assis sur le trône, ayant à sa gauche sa femme (sœur de Valentinien II), et à droite ses deux fils, Honorius et Arcadius; les ennemis vaincus viennent rendre hommage à l’Empereur. Du côté de l’est, Théodose veuf et ses deux fils semblent assister à une distribution de solde aux troupes ou plutôt à une danse. L’Empereur tient en main une couronne destinée au vainqueur. On y remarque les musiciens jouant de l’ancienne lyre, d’une espèce de hautbois, de la double flûte lydienne et de la flûte mythologique à sept trous, dite flûte de Pan. Du côté sud, Théodose ayant à sa droite ses deux fils et à sa gauche Valentinien II, contemple une course de chars. Du côté nord, c’est l’empereur Arcadius, sa femme Eudoxie, ses enfants et le fameux Gaïnas assistant dans le Kathisma à l’érection de l’obélisque. Les sculptures de la partie inférieure du piédestal représentent les travaux nécessités par l’érection de l’obélisque. COLONNE SERPENTINE Parmi les colonnes qui figuraient sur l’axe longitudinal de l’hippodrome, on voit encore de nos jours la colonne serpentine, qui est érigée un peu au sud de l’obélisque. Cette colonne représente trois serpents en bronze fondu, provenant du butin enlevé aux Perses après la victoire remportée sur Xerxès. On a discuté assez longtemps sur l’origine de cette colonne, mais en 1856, quand on creusa le sol pour en trouver la base on découvrit des inscriptions qui fixèrent son origine d’une manière exacte. Elle reposait sur une pierre en forme de cube qui est aujourd’hui enfouie dans le sol. Sur les anneaux tordus des serpents, on voit des inscriptions en grec, indiquant les noms des villes, citées par Plutarque, qui ont combattu contre les Perses. Ces serpents supportaient autrefois le fameux trépied en or donné au temple d’Apollon de Delphes par les vainqueurs de Salamine et de Platées en souvenir des victoires gagnées sur les Perses par Thémistocle et Pausanias. La colonne, haute jadis de 8 mètres, n’a plus aujourd’hui que 5 mètres de hauteur. Le vase d’or que supportaient autrefois les trois têtes de serpents avait 3 mètres de diamètre. [Illustration: Pl. 28. MOSQUÉE DE BAYAZID] Cette œuvre de l’art grec, une des plus célèbres qui existe, a été apportée à Byzance par Constantin le Grand pour embellir la nouvelle capitale. En se basant sur l’existence du tuyau en plomb et des conduites d’eau qui allaient de l’aqueduc de Valens jusqu’à cette colonne, plusieurs auteurs supposent que ce monument servait de fontaine. Il est facile aujourd’hui de se rendre compte, par l’excavation qui entoure la base de cette colonne, du niveau du sol de l’ancien hippodrome. Les terres rapportées et les débris de constructions l’ont considérablement exhaussé. COLONNE MURÉE OU COLONNE DORÉE (COLOSSE) Cette colonne se trouve au sud de la colonne serpentine, sur le même axe longitudinal de l’hippodrome. C’est un obélisque carré, de 25 mètres de hauteur, formé de petits blocs de pierre de taille. Érigée par Constantin VII Porphyrogénète (911-959), elle était couverte de plaques de bronze doré portant des bas-reliefs, qui représentaient les hauts faits de son grand-père Basile le Macédonien. Les inscriptions gravées à la base de la colonne indique qu’elle était appelée «merveille rivale du Colosse de Rhodes». «Les croisés, dit M. Dethier, dépouillèrent la colonne de sa couverture de bronze pour en faire de la monnaie.» On voit encore les trous des fers qui fixaient les plaques; le sommet de la colonne portait une sphère de bronze. COLONNE DE CONSTANTIN Au centre du forum de Constantin, s’élevait la colonne supportant la statue de l’empereur Constantin. Cette colonne est appelée par les Turcs _Tchemberli-Tach_ (pierre au cercle) à cause des cercles de fer à l’aide desquels on l’a consolidée. Les grands incendies qui en avaient fendu les blocs avaient rendu cette mesure nécessaire. Cette colonne était autrefois composée de neuf blocs cylindriques en porphyre placés les uns sur les autres. A la jointure des cylindres et à la partie supérieure de chaque bloc on avait sculpté une couronne de laurier, ce qui donnait à l’ensemble l’aspect d’un monolithe dans lequel on aurait taillé des colonnes transversales. L’ensemble de la colonne atteignait une hauteur de 50 mètres. C’est Constantin qui la fit venir de Rome, où elle portait la statue d’Apollon. L’Empereur voulant symboliser la victoire du christianisme, fit mettre sa tête à la place de celle d’Apollon. Dans la suite, la statue de Julien, puis celle de Théodose remplacèrent celle de Constantin. Vers la fin du XIe siècle (1081), la statue et les tambours supérieurs furent renversés par la foudre. Alexis Comnène répara le monument et l’orna d’un nouveau chapiteau corinthien portant des inscriptions en grec et une croix d’or. Plusieurs historiens prétendent que le nom de colonne brûlée, donné par les étrangers, vient de ce que cette colonne a été endommagée par l’incendie qui éclata pendant l’émeute de Nika, mais cela ne paraît pas exact, car la colonne, qui se trouvait alors au centre du forum, ne pouvait être atteinte par les flammes. C’est d’un incendie qui éclata au cours du XVIe siècle qu’elle eut à souffrir; à cette époque, en effet, le forum était couvert de constructions qui arrivaient jusqu’à la base de la colonne. Après l’incendie, le sultan Moustafa fit entourer, en 1701, le piédestal calciné par un massif de maçonnerie montant jusqu’au deuxième tambour. COLONNE D’ARCADIUS Au centre du forum d’Arcadius, _Avret-Bazari_, s’élevait la colonne d’Arcadius érigée en 401 par Arcadius en l’honneur de Théodose Ier. Cette colonne ressemblait à la colonne de Trajan à Rome. Sans avoir changé de place, elle se trouve enclavée aujourd’hui dans le jardin d’une maison particulière. Il n’en reste actuellement que la base; d’après cette base, qui a un diamètre de 4 mètres, on peut évaluer la hauteur à 40 mètres. Un escalier intérieur conduisait au sommet de la colonne. Elle était couverte de bas-reliefs représentant les hauts faits de Théodose et d’Arcadius. Aujourd’hui, en dehors du piédestal, haut de 6 mètres, il ne reste plus que quelques inscriptions à moitié calcinées et quelques marches de l’escalier. L’ouvrage de Banduri sur Constantinople contient le dessin de cette colonne fait par un peintre vénitien. La colonne existait encore en 1685, mais, ayant menacé ruine à cette époque, elle fut démolie. COLONNE DE MARCIEN La colonne qui portait la statue assise de l’empereur Marcien, époux de Pulchérie, au Ve siècle, est aujourd’hui située dans un jardin privé. Elle a une dizaine de mètres de hauteur et repose sur trois marches recouvertes de terre. Sur les côtés du piédestal on voit des bas-reliefs. Deux génies ailés lèvent un panneau orné de myrtes avec la croix. Au-dessous, les trous des clous qui fixaient autrefois des lettres en métal permettent de lire une inscription latine. Actuellement, le public appelle cette colonne «la colonne de la Virginité», _Kiz-Tachi_. Cette appellation est erronée, car la vraie colonne de la Virginité supportait la statue d’Aphrodite; elle avait la remarquable vertu de désigner au milieu des passants la jeune fille qui avait perdu sa virginité. La belle-sœur de Justin (565-578), ayant été désignée de cette sorte dans la foule par cette statue, fut mise en pièces, sur l’ordre de l’Empereur. La colonne en porphyre qui supportait la statue de la déesse fut déplacée par Soliman le Législateur et servit à la construction de sa mosquée, où elle figure encore. COLONNE DES GOTHS A la pointe du sérail, sur une terrasse du jardin du Palais impérial, s’élève une colonne d’ordre corinthien, taillée dans un seul bloc de granit, et ayant 15 mètres de haut. Sur le côté du piédestal tourné vers le Bosphore, on lit les inscriptions suivantes: _Fortunæ reduci ob dévictos Gothos_. Cette colonne qui portait jadis, d’après Nicéphore Grégoras, la statue de Byzas, est un des plus antiques monuments de Byzance. Elle fut érigée en souvenir des victoires remportées sur les Goths, sous l’empereur Claude II le Gothique. STATUE DE JUSTINIEN Cette statue, appelée dans le livre des Cérémonies «Achilleus», est indiquée sur le plan de Banduri et par Buondelmonte au nord-est de l’hippodrome; elle existait encore à l’époque où Christophe Buondelmonte visita Constantinople, trente années avant la conquête turque. Elle devait être située près de l’endroit où une plaque en fer couvre l’entrée d’une citerne sur la place de Sainte-Sophie. La position de cette statue équestre, qui n’existe plus, est aussi indiquée par les auteurs. Elle était tournée vers l’Occident. Selon le récit de Zonaras, elle s’élevait à l’endroit où se dressait auparavant la statue argentée de Théodose le Grand. Un dessin de cette statue, datant de 1340, se trouve dans la bibliothèque du sérail; il correspond assez exactement à la description donnée par les auteurs byzantins. L’Empereur y est représenté sous la figure d’un chevalier, portant sur la tête une plume énorme qui ressemble à la queue d’un paon. Parmi les monuments disparus, citons enfin la statue de Théodose Ier, érigée au forum Tauri, et une autre statue de Théodose, élevée par son eunuque Christoforus, près de la porte de Selimbria. VI.--LES AQUEDUCS ET LES CITERNES Comme Byzance était toujours exposée au danger d’un siège, on avait eu soin d’aménager plusieurs grandes citernes pouvant contenir une quantité d’eau suffisante pour alimenter la ville durant plusieurs années. Ces citernes ont été construites sous le règne de différents empereurs, et dans divers endroits de la ville. Byzance avait d’abord, au IVe siècle, des citernes ouvertes, c’est-à-dire d’immenses bassins entourés d’arbres, à la manière des citernes ouvertes de Syrie. Les citernes de Bonus, actuellement _Tchoukour Bostan_, et celles de Pulchérie et de Mocius appartiennent à ce genre. D’après la chronique Pascale, la citerne de Mocius ou d’Aspar, fut construite par Aspar, chef de la milice gothique sous Léon Ier, pour alimenter les Goths cantonnés dans l’Exokionion. Plusieurs de ces citernes ont été remplies de terre et transformées en jardins potagers au temps de l’empereur Héraclius. On les appelle aujourd’hui _Tchoukour Bostan_ (Potager bas). Parmi les citernes couvertes, les plus importantes sont la citerne de Philoxenus, de Théodose, la grande citerne Basilique, la citerne de Phocas, etc. Quand les petites citernes particulières vinrent remplacer les anciennes et que l’on commença à avoir chez soi l’eau amenée par les aqueducs, ces grandes citernes furent mises hors d’usage. La citerne de Philoxenus a été construite sous le règne de Justinien, vers le commencement du VIe siècle. Elle fut appelée du nom du sénateur Philoxenus, qui la fit bâtir. Cette citerne se trouve vers le sud-ouest de l’hippodrome. Elle mesure 60 mètres de long sur 50 mètres de large. Elle est couverte de voûtes montées sur des arcs soutenus à leur tour par 224 colonnes composées chacune de trois fûts reliés par des linteaux, et munis de chapiteaux en marbre sculpté. On y compte quinze rangées parallèles de colonnes, espacées l’une de l’autre de 4 mètres en chaque sens. La terre apportée par les eaux et les décombres ayant rempli la base de la citerne, les colonnes ne semblent avoir aujourd’hui qu’une hauteur de 10 mètres environ, tandis que jadis elles avaient 18 mètres. Les Turcs l’appellent _Bin Bir Direk_[55] (mille et une colonnes) par allusion au grand nombre de colonnes qu’elle renferme. [55] Sur cette citerne Fazli pacha avait son palais. Cette citerne, abandonnée au cours des siècles, est depuis longtemps desséchée. On l’utilisa comme atelier de tissage pour la fabrication de cordes en soie; un escalier en pierre permettait d’atteindre facilement l’intérieur qui est situé à 15 mètres au-dessous du niveau du sol. Des ouvertures grillées pratiquées dans les voûtes et qui servaient autrefois à aérer les eaux, éclairent faiblement l’intérieur. La citerne contenait une quantité d’eau suffisante pour alimenter pendant un mois 100.000 personnes. Tout à côté de cette citerne existe la citerne de Théodose. Celle-ci contient 33 colonnes ornées de chapiteaux corinthiens en marbre sculpté. On y pénètre par un puits pratiqué dans une maison particulière. La grande citerne Basilique qui est appelée par les Turcs _Yéré batan seraï_ (palais enfoncé) a été bâtie par Justinien, sous la cour du palais de Justice. Cette immense citerne a 112 mètres de longueur sur 61 de largeur; 336 colonnes, ayant chacune 13m,50 de haut, supportent les voûtes. La distance qui sépare les colonnes entre elles est de 4 mètres. On peut y pénétrer par une maison particulière, mais comme la citerne contient encore de l’eau, il faut une petite embarcation pour visiter l’intérieur. Toutes ces citernes étaient alimentées par les aqueducs qui amenaient les eaux des grands réservoirs construits entre les deux vallées, dans les forêts environnant Belgrade. Parmi ces aqueducs, celui de Justinien s’est conservé intact pendant quinze siècles. Quatre grandes arches en deux étages ayant une hauteur de 36 mètres conduisent l’eau d’une colline à l’autre. La conduite d’eau de Valens relie par deux rangées d’arcades à plein cintre les différentes hauteurs de la ville. Il est facile d’en faire l’ascension; arrivé là-haut, on a un magnifique panorama de la cité. Cet aqueduc a été bâti avec des pierres, fournies par les ruines des murailles de Chalcédoine. Commencé au IIe siècle, il fut continué par Constantin (306-337) et terminé enfin par Valens (366-378). A l’époque de Justinien, cet aqueduc tombait déjà en ruines. Il fut restauré sous les Turcs pendant le règne du sultan Suleïman. La hauteur de l’aqueduc est de 23 mètres au-dessus du sol. Il a une longueur de 625 mètres. Les eaux qu’il amenait se déversaient dans une citerne appelée _Nymphæum Maximum_ et qui était située sous le champ d’exercice du Séraskérat. VII.--L’HABITATION CIVILE BYZANTINE Dès que Byzance eut été transformée en capitale romaine, les patrices et les citoyens arrivés de Rome se hâtèrent de construire des habitations. C’est Rome qui fournit les premiers modèles, et au début on ne vit partout que le type de maisons romaines. Les riches patriciens avaient leurs maisons ornées de portiques et de cours à colonnades. On déployait un grand luxe dans la décoration de l’intérieur; les mosaïques et les incrustations étaient surtout en faveur. Les riches avaient leurs bains privés et même leurs citernes. Les murs et le sol de leurs habitations étaient décorés de marbres de couleur et de mosaïques. [Illustration: Pl. 29. MOSQUÉE DE BAYAZID.--Cour.] Mais ces habitations construites hâtivement ne purent résister très longtemps, et presque toutes furent détruites par les tremblements de terre et par les incendies. Déjà, vers la fin du Ve siècle, les grandes fortunes particulières ayant disparu, on avait construit beaucoup de maisons en bois. Vers le VIe siècle, au moment où l’art byzantin devait prendre sa forme définitive, les goûts et les conditions de vie des habitants différaient sensiblement de celles de Rome, et l’intérieur des habitations commença à se modifier. Le goût des maisons syriennes s’était manifesté dans les maisons romaines, ce qui fut la cause du mélange des deux styles et donna naissance à une nouvelle forme typique. Ainsi les habitations, romaines à l’origine, commencèrent à prendre une autre forme et ne restèrent même pas à l’abri de l’influence de l’art religieux byzantin. D’un autre côté, comme l’espace déterminé par l’enceinte de la ville obligeait les propriétaires à économiser le terrain, on commença à faire des balcons à encorbellement pour gagner sur la rue, déjà fort peu large. Ce mode de construction existait déjà à Pompéi au IIe siècle. M. de Vogüe, nous montre que ces balcons existaient aussi en Syrie au IVe siècle[56]. [56] De même qu’à Rome, les gens de la classe moyenne à Constantinople tenaient à avoir un logement leur appartenant; un certain mépris s’attachait à l’état de locataire. Pour cette raison, une maison appartenait quelquefois à plusieurs propriétaires, qui s’en partageaient les étages. Aujourd’hui encore il existe à Constantinople des propriétés dont les étages inférieurs et supérieurs appartiennent à différents propriétaires. La curiosité, qui, jadis comme aujourd’hui, régna toujours en maîtresse à Byzance, se trouva fort bien de ces balcons. Ils procuraient, surtout aux dames, une grande distraction. Pareilles à celles de Rome, les fenêtres étaient souvent ornées de caisses et de vases de fleurs, qui leur donnaient un aspect pittoresque. L’éloignement des carrières obligea en outre les architectes à couvrir de grands espaces avec des matériaux de petit volume. On voyait partout des arcades et des coupoles de construction persane. Le temps et les incendies ayant détruit à peu près toutes les maisons appartenant à l’époque byzantine, on ne rencontre aucune de ces maisons à Constantinople. On ne peut qu’en opérer la reconstitution en s’aidant de miniatures de l’époque. Parmi les maisons de style byzantin qu’on peut encore voir dans la ville, il y en a une ou deux qui sont considérées comme antérieures à la conquête des Turcs. Mais celles qui ont été bâties après la conquête ne différaient que très peu des maisons byzantines du XIIIe siècle. [Illustration: Type de maisons byzantines.] Les architectes grecs continuèrent en effet à bâtir dans la ville de la même manière[57] qu’auparavant. On reconnaît ces maisons à leurs balcons à encorbellement, à leur ogive en accolade et à leurs corniches en briques posées diagonalement, de manière à produire une ornementation caractéristique et, en même temps, à supporter le toit. [57] La plupart des maçons et des architectes sont encore aujourd’hui des Grecs. La plupart des maisons du XIVe siècle étaient construites en pierres séparées par plusieurs rangées de briques. Toutes les jointures sont cimentées en relief, ce qui forme parfois des motifs de décoration géométrique. Les fenêtres sont ogivales ou de plein cintre. Les fenêtres ogivales appartiennent à un style dégénéré. Dans le véritable style byzantin, les fenêtres sont en plein cintre et munies de gros grillages formés de tiges de fer se coupant l’une l’autre à angle droit, avec de gros anneaux reliant les points de jointure. Dans toutes ces constructions, on voit clairement l’influence de l’art byzantin. Il fut employé plus tard par les Turcs et forme une architecture spéciale nommée l’architecture ottomane. Voici les caractères particuliers de l’architecture civile à Byzance depuis le IXe siècle: 1º Les maisons ont rarement plus de deux ou trois étages; 2º les étages sont en crémaillère[58]; 3º des corniches saillantes, souvent ornées de dessins de feuilles d’acanthe, séparent les étages; 4º la façade est ornée par des rangées alternées de pierres blanches et de bandes de briques rouges très minces, disposées géométriquement et auxquelles venaient parfois s’ajouter des morceaux de marbre coloré[59]; 5º les fenêtres sont en forme de plein cintre ou rectangulaires. Les tympans des fenêtres portent souvent des dates ou des inscriptions. L’éclairage des intérieurs se fait par des fenêtres vitrées de petits carreaux enclavés dans des châssis en plâtre; 6º les toits en terrasse ou à batière, couverts de tuiles, s’appuient sur des corniches à trois rangées de briques posées diagonalement en forme de scie; 7º à l’intérieur, les pièces sont disposées autour d’une grande salle, souvent précédée d’un narthex; 8º les volets et les portes sont en fer ornés de grands clous à grosse tête. A l’intérieur les portes sont en bois sculpté ou incrusté. Quelquefois elles sont remplacées par des portières en étoffe; 9º des jarres vides sont souvent posées entre les voûtes et le toit pour diminuer le poids du toit[60]; 10º les dallages sont souvent en marbre blanc ou en brique rouge; 11º les escaliers sont en bois ou en pierre à plusieurs paliers appliqués quelquefois à l’extérieur du bâtiment jusqu’au premier étage. [58] Le balcon à crémaillère ne servait pas seulement à gagner de la place et à satisfaire la curiosité de ses habitants, mais il était aussi un moyen de défense contre l’ennemi; l’on pouvait en effet, du balcon, apercevoir les portes et empêcher les assaillants de les briser. [59] Comme dans le palais de Tekfour Séraï. [60] On mettait de ces jarres dans les voûtes des églises pour renforcer l’écho. [Illustration: Maison byzantine au Phanar.] Du côté ouest de la station de Koum Kapou, à environ mille pas, on peut voir une maison qui date des derniers temps byzantins. Son balcon ressemble à celui du Tekfour Séraï. Chaque étage comprend une salle voûtée d’une dimension de 4m,50 sur 6 mètres. Des fenêtres en plein cintre s’ouvrent sur les façades surmontées d’un pignon. [Illustration: Pl. 30. MOSQUÉE DE SÉLIM Ier.] Le quartier du Phanar, qui a servi de refuge aux dernières familles byzantines après la conquête des Turcs, contient plusieurs maisons byzantines. Il y en a même quelques-unes qui datent probablement d’une époque antérieure à la conquête. Parmi ces maisons, on peut citer d’abord la légation de Venise, occupée anciennement par le Baile de Venise et dont le premier étage contient deux salles voûtées. L’autre comprend une seule salle également voûtée. Elle occupe toute la largeur de la maison. A l’intérieur, l’escalier qui se trouve au centre de la maison conduit à un corridor à trois colonnes en marbre surmontées de chapiteaux en forme de stalactites. Les deux maisons communiquent entre elles. Les dallages sont en briques octogonales. Galata, qui a été habité jadis par les Génois, renferme beaucoup de bâtisses datant du XIIIe et XIVe siècle. Dans les étroites ruelles qui sont situées entre les deux ponts actuels, existent (du côté de Galata) d’anciennes maisons qui servent aujourd’hui de magasins ou de dépôts. Parmi ces habitations le palais du Podestat attirait surtout l’attention[61]. [61] Il a été démoli cette année. DEUXIÈME PARTIE A TRAVERS ISLAMBOL CHAPITRE PREMIER L’ART OTTOMAN [Illustration] I.--L’ART TURC Bien que l’art turc soit parfois encore considéré en Europe comme une servile imitation des arts persan, arabe et byzantin, cette opinion est contraire à toutes les réalités. On prétend généralement que l’art musulman s’est inspiré de l’art arabe qui, lui-même, aurait imité l’art byzantin de Syrie et l’art copte, propagé en Égypte avant l’ère musulmane. L’art copte à son tour ayant subi l’influence byzantine, toutes les diverses manifestations de l’art musulman, et surtout de l’art turc, découleraient, par ricochet, de l’art byzantin et auraient de multiples affinités avec ce dernier. Rien n’est plus contestable. Il est évident que les arts de tous les peuples, comme les langues, ont réciproquement exercé, les uns sur les autres, d’occultes, profondes et continuelles influences. Existe-t-il un art qui ne présente aucune parenté avec les autres arts? L’archéologue qui se consacre spécialement à l’étude de l’art d’un peuple a toujours des tendances à faire prévaloir la suprématie de celui-là sur tous les autres. De tous temps les détracteurs de l’art byzantin furent nombreux, qui refusèrent de reconnaître l’influence qu’il exerça, pendant une certaine époque, sur les arts de l’Occident. Ce fut la cause de controverses que l’on connaît sous le nom de «question byzantine». L’art turc a eu, lui aussi, et a encore aujourd’hui de nombreux détracteurs, qui nient sa personnalité nationale et ne veulent y voir qu’un mélange des arts arabe, persan et byzantin. Nous ne prétendons nullement nier l’influence éducatrice de ces arts sur l’art turc; mais il est juste de reconnaître que, grâce à de fortes traditions, il n’a pas tardé à acquérir une individualité si précieuse et si caractéristique qu’on ne saurait la méconnaître, sans faire preuve d’un évident parti pris. Depuis, cette individualité s’est nettement affirmée. De nombreux monuments permettent de suivre les diverses étapes de l’art turc dans une voie personnelle et originale; chacune de ces étapes prouve que l’art arabe, loin de ne compter chez les Turcs que des copistes, a trouvé chez eux des disciples d’une originalité aussi puissante que celle des plus grands artistes arabes. Il n’est pas un art qui se soit développé par lui-même, à l’abri de toute influence étrangère, si faible soit-elle. Et l’on ne peut nier l’influence de l’art égyptien sur l’art grec, de l’art grec sur l’art romain, de l’art assyrien et chaldéen sur l’art persan, et de ce dernier enfin sur l’art byzantin. On constate aussi une parenté plus ou moins étroite entre les manifestations des arts de tous les pays. Les musées, les ruines et les vieux monuments qui perpétuent le souvenir des époques abolies et des étapes parcourues par l’humanité, nous fournissent un nombre suffisant d’exemples à ce sujet. Chaque nation, chaque période, subit l’action réflexe de celles qui les précèdent ou les entourent. [Illustration: Pl. 31. MOSQUÉE DE CHAHZADÉ.] Jusqu’à une époque récente, l’antinomie et l’irréductibilité des principes qui séparent les Églises d’Orient et d’Occident avaient empêché les archéologues européens de s’intéresser aux choses byzantines avec la même ferveur savante que de nos jours. Aussi sommes-nous persuadés que l’individualité de l’art turc, jusqu’ici dédaignée et négligée, se révélera aussitôt que cet art aura été l’objet d’une étude approfondie, impartiale, et exempte de préjugés. «Existe-t-il un art turc? se demande Viollet-le-Duc, dans sa préface à «_L’Architecture turque au XVe siècle_». Que les Turcs aient adopté l’art ou les arts qui s’accommodaient le mieux à leurs habitudes et à leur religion, rien de plus naturel, mais qu’ils aient été les pères d’un art local, cela me paraît difficile à démontrer. En effet, dans tous les exemples fournis par M. Parvillé, je trouve de l’arabe, du persan, peut-être quelques influences hindoues, mais du Turc? Quoi qu’il en soit et sans insister sur le point de savoir exactement la part qui revient aux Turcs en cette affaire, on reconnaîtra facilement qu’il y a dans ces compositions, soit comme tracé, soit comme coloration, un art très développé et savant.» Il nous faut donc reconnaître que la faute de l’ignorance en laquelle l’opinion a été tenue si longtemps au sujet de l’art turc et des œuvres géniales de nos artistes est imputable, jusqu’à un certain point, à nos auteurs qui ont négligé de s’en faire les initiateurs. Que d’œuvres exclusivement turques ont été injustement considérées comme appartenant aux Arabes et aux Persans! On prétendait souvent qu’un peuple nomade comme les Turcs ne pouvait avoir un art, et on ajoutait que l’islamisme formait d’ailleurs le plus grand obstacle à l’éclosion des choses d’art. Mais la religion musulmane, loin d’empêcher, ainsi que certains auteurs ont voulu le prétendre, l’éclosion des œuvres d’art, la provoqua et la favorisa, suivant en ceci l’influence de toutes les religions sur l’art en général. L’islam d’ailleurs ne dit-il pas: innallahé djemilun youhibbul djémal (Dieu, parce que beau, aime le beau). Au point de vue de la littérature arabe, le Koran même, par ses rythmes et son harmonie inimitables, constitue un véritable miracle littéraire. L’interdiction même de représenter la figure humaine amena les artistes à varier à l’infini la décoration empruntée aux plantes et à la géométrie. Ils réalisèrent de parfaites œuvres d’art dans toutes les branches et découvrirent des proportions nouvelles, des harmonies de couleurs et de formes entièrement originales, qui provoquent aujourd’hui l’admiration du monde artistique, et l’on s’étonne à bon droit que ces artistes aient produit de telles merveilles de forme, sans avoir, comme les Grecs, une étude préalable des proportions du corps humain. Il suffit de l’examen consciencieux de ces œuvres pour se convaincre qu’un art turc existe réellement, un art devenu ottoman par l’effet de la race et qui s’est transformé au gré des évolutions successives de la nation. Mais cet art n’est pas un simple dérivé occupant une situation intermédiaire. Sa personnalité se détache et se manifeste avec un relief remarquable dans l’architecture, la littérature, les arts décoratifs, aussi bien que dans la musique. Il serait difficile d’esquisser aujourd’hui une histoire de l’art turc, faute de sources suffisantes. Cette lacune est malaisée à combler. On rencontre très rarement dans nos bibliothèques des documents qui facilitent la mise au point de cette histoire. La section particulière du Musée impérial, affectée aux œuvres d’art national, n’est malheureusement pas encore assez complète pour servir de base à une étude de ce genre. II.--LES ORIGINES DE L’ART OTTOMAN LES ARTS ARABE, PERSAN, ET TURC Parmi les auteurs qui se sont adonnés spécialement à l’étude de l’art arabe, il y en a qui, se refusant à considérer les Arabes comme des artistes, n’emploient qu’à regret cette appellation d’_art arabe_, à laquelle pourtant les oblige le droit de cité conquis par celui-ci dans l’histoire de l’art. Mais on se demande par quelle étrange contradiction ces auteurs, ayant commencé par dénier toute originalité aux Arabes, sont amenés dans le cours de leur ouvrage même à les citer souvent comme de «puissants artistes». Parmi les auteurs, il en est plusieurs, qui, comme Gustave le Bon, disent: «Fort inférieurs aux Romains en ce qui concerne les institutions politiques et sociales, ils leur furent supérieurs par l’étendue de leurs connaissances scientifiques et artistiques[62]». D’autres au contraire, tout en s’obstinant à méconnaître leur influence dans la puissante civilisation européenne, ne sont pas éloignés de leur accorder du génie lorsqu’ils étudient leurs œuvres. Mais, à leur avis, les Arabes n’étaient guère en possession d’un art propre, et ce qu’on appelle l’art arabe n’était qu’un emprunt fait à l’art byzantin de Syrie et à l’art copte d’Égypte. Ceci est une erreur. Il ne faudrait pas croire que les Arabes ignoraient totalement toute notion artistique avant l’islamisme, quoique l’art arabe ne se soit manifesté qu’avec l’apparition de l’islam. Bien auparavant, le Yémen, l’Hedjaz possédaient des villes prospères, qui avaient leur littérature, leur architecture et leurs arts décoratifs. Maçoudi, historien arabe, par la description qu’il fait des idoles, nous révèle chez les Arabes l’existence d’une sculpture. L’Islamisme, qui est devenu en vingt ans la religion de l’Arabie tout entière et a étendu ses conquêtes jusqu’en Perse, en Égypte et aux Indes, a trouvé chez tous ces peuples des artistes dont l’art arabe profita et qui contribuèrent à son développement, en y apportant chacun sa personnalité. Mais cet art n’est pas une copie servile de l’art chrétien de Syrie et de l’art copte d’Égypte: c’est bien un art spécial créé par les Arabes, qui ont mis à profit les divers éléments artistiques des pays où l’islamisme étendit ses conquêtes. L’art arabe eut une physionomie particulière suivant qu’il triompha en Égypte, en Syrie, à Bagdad ou en Espagne: il présenta dans chacun de ces pays, des différences de détail par lesquelles on reconnaissait un genre spécial. [62] _Civilisation des Arabes_, p. 669. Les premiers modèles de l’architecture arabe furent la kaaba de la Mecque et la mosquée de Médine. On sait que la kaaba a été construite par le prophète Abraham. Puis étant tombée en ruines, elle fut reconstruite par la tribu de Koreïch à laquelle appartenait le prophète de l’islam. A l’époque du prophète Mahomet et de son khalife Aboubeker, la kaaba n’était pas entourée de murs; du temps du khalife Omar, le nombre des pèlerins ayant augmenté, on dut acheter les quelques maisons avoisinantes afin d’élargir la cour de la kaaba. Et on l’entoura d’un mur dont la hauteur ne dépassait pas celle d’un homme. Ce n’est qu’à l’époque du khalife Vélid Bin Abdul Melik bin Mervan que cette kaaba, ayant subi une nouvelle restauration, fut dotée d’un mur plus haut. Celui-ci a d’ailleurs subi, par la suite, bien des remaniements et des réparations, sous le règne du khalife abbasside Osman, de sorte qu’il est impossible aujourd’hui de juger de son état primitif. L’an XXe de l’Hégire, Amrou[63], un des généraux du khalife Omar, construisit en Égypte la mosquée qui porte son nom, sur les plans d’un architecte converti à l’islamisme et qui prit ses ouvriers dans le pays où l’art copte dominait entièrement à cette époque. Mais, malgré l’influence copte prévalant chez tous les artistes qui travaillèrent à ce monument, l’œuvre est marquée d’une originalité où un esprit nouveau se fait jour. Le toit de la mosquée se composait d’arcades, supportées par des centaines de colonnes. On y accédait par une grande cour qui s’appelait _Sahan_. Soixante ans après la date de l’érection de cet édifice, on dut rehausser les arcades. [63] Ce mot n’est que l’orthographe altérée du mot Amr. Les noms d’Omer et Amr étant écrits de la même façon, les Arabes ajoutent la lettre _vav_ (ou) à ce dernier pour les distinguer l’un de l’autre. C’est à ce _vav_ traduit par les Français en ou, qu’il faut attribuer son orthographe: Amrou. La partie de la mosquée située du côté de la Mecque était formée de six rangées de chacune 20 colonnes, en tout 120. Cette partie renfermait le _mihrab_ (autel), le _mimber_ et le _mahfil_ (tribune des chantres). Parmi ces colonnes, on rencontre quelques chapiteaux byzantins, qui provenaient probablement de certains monuments coptes. Les arcades, qui n’ont à première vue qu’un aspect de plein cintre, révèlent l’ignorance que les Arabes avaient de l’emploi de l’ogive et de l’arc brisé, emploi que, d’après M. Gayet, les Coptes connaissaient et pratiquaient deux siècles avant la conquête arabe. Mais on trouve encore chez les Assyriens et chez les anciens Persans, un genre d’arc brisé et comme l’essai d’une coupole ovoïde. Le manque de bois pour le cintrage qui avait obligé les Coptes à adopter cette forme d’arc, qui offre un rapport assez lointain avec celui des Arabes, avait également conduit ceux-ci à construire leurs arcs de la même façon. Pendant les premières années de la conquête musulmane, on se soucia fort peu des édifices du culte; l’exercice de la religion n’en exigeait pas, puisqu’elle permettait de prier en quelque lieu que ce soit. Ce n’est que plus tard, quand l’islam étendit ses ramifications dans l’Asie et l’Afrique, qu’il jugea à propos de marquer son triomphe par des édifices spéciaux, tels que des temples qui attestaient la victoire de la religion, mais il repoussa toutefois avec horreur la conception artistique des chrétiens et des païens. Il doit à cette philosophie de l’art toute son originalité. C’est en Égypte que l’architecture arabe prospéra le plus et c’est ce pays qui conserva le plus longtemps ses monuments. La mosquée d’Amrou a servi pendant deux siècles de modèle à l’architecture de l’islam. Elle n’était recouverte que d’un toit en plate-bande, supporté par des arcades en forme d’arc brisé. Aucune décoration sur les murs, et, au début, elle n’avait pas non plus de minaret. L’appel à la prière se faisait dans la mosquée même. C’est seulement en l’an 218 de l’Hégire, après qu’il eut été décidé qu’il fallait chanter _l’Ezan_ au point le plus élevé de la mosquée pour qu’on l’entendît de tous les points de la ville, qu’une tourelle carrée fut ajoutée à l’édifice. Cette tourelle, suivant les évolutions subies par le monument, est devenue avec le temps partie intégrante de la mosquée et a pris la forme décisive qu’on lui connaît aujourd’hui sous le nom de minaret. Toutes les autres parties de la mosquée subirent également leur évolution. Il en fut ainsi pour le _maksoura_, sorte de grille qui permettait aux fidèles de voir le khalife pendant le _khotba_, sans toutefois être en contact avec lui et qui, imaginée pour la première fois par le khalife Othman, fut l’origine des tribunes impériales dans les mosquées actuelles. L’estrade, où prêchait le prophète, inspira la forme du _mimber_. Dès que la capitale des Perses eut été conquise par les Arabes, l’influence de l’art sassanide commença à s’accentuer dans l’art arabe, qui d’ailleurs, avait déjà subi l’influence de l’art chaldéen. Quant à l’influence byzantine, elle alla en s’accentuant depuis la construction de la mosquée d’Omar ou _Koubbé-es-Sakhra_, construite sur l’emplacement du temple de Salomon (687 ap. J.-C.), par Abdul Melik bin Mervan et avec celle de la grande mosquée _Emevié_, érigée par Velid bin Abdul Melik à Damas, qui avait été conquis par les Musulmans en 633 après J.-C. La mosquée d’Omar fut bâtie sur un plan octogonal, forme qu’on rencontre souvent en Syrie. Une autre mosquée, appelée Aksa, fut construite à côté de la mosquée d’Omar. La Syrie se remplit de monuments musulmans. C’est ainsi que l’art byzantin de Syrie, de concert avec l’art arabe dont il avait déjà subi l’influence, a produit l’école arabe de Syrie. Les armées ommiades entrèrent en Espagne et Mouavié avait déjà étendu son pouvoir jusqu’à Kairouan (Tunisie). L’Espagne vit s’élever partout des monuments magnifiques, caractérisés par une délicatesse de formes et de décorations vraiment admirable. A l’époque des Abbassides, les architectes d’Elmamoun et Haroun-al-Réchid érigeaient à Bagdad les plus beaux monuments, parmi lesquels nous pouvons citer le palais de Rakka, construit par Haroun-al-Réchid sur l’Euphrate. Les arcades en trèfle de ce palais peuvent être considérées comme le prototype des arcades à dent et à trèfle qui constituent un des éléments caractéristiques de l’École du Moghreb (ouest); on les rencontre souvent dans les monuments de Syrie. L’origine de ce genre d’arcades à trèfle est probablement indienne. Bagdad pouvait être considérée à cette époque comme un véritable musée artistique. Les ravages du temps et des invasions ont malheureusement détruit tous ces monuments entre le VIIIe et le XIIIe siècle. Après une longue période de troubles, une garde composée de tribus turcomanes par le khalife El-Moutassam-Billah s’empara du pouvoir. Avec elle commence en Égypte le règne des Toulounides. La mosquée de Touloun, qui accentua dans la décoration l’importance des rinceaux et des inscriptions avec entrelacs, reste comme un souvenir de cette période où l’art fut particulièrement en progrès. Jusqu’à l’époque des Fatimites, les Arabes, suivant en ceci les Coptes, avaient rejeté le dôme et étaient attachés au toit en plate-bande. C’est alors qu’une ère nouvelle s’ouvrit pour l’architecture, qui adopta la coupole et la voûte en berceau, employées déjà par la Perse. La nouvelle coupole des Arabes ne ressemblait guère à la coupole byzantine, l’arabe étant relevée, alors que la byzantine était surbaissée. On ignore les raisons exactes qui firent adopter par les Arabes ce mode de construction. Mais il est permis d’en trouver au moins une dans leur désir d’éviter une ressemblance avec les églises chrétiennes. Une autre raison, qui nous paraît plus décisive encore, peut être cherchée dans la manière de construire et dans les matériaux de construction. Si les architectes arabes n’ont jamais eu la hardiesse de surbaisser leurs coupoles comme les Byzantins, c’est peut-être pour éviter les grands murs de soutènement et de contrefort exigés par ce genre de coupole; mais c’est peut-être aussi parce qu’ils manquaient du bois indispensable au cintrage. D’autre part, les coupoles surélevées ont l’avantage, croyons-nous, d’être moins que les autres exposées au soleil. Elles ont été particulièrement en usage chez les Assyriens. L’originalité de l’art arabe fut surtout caractérisé par l’emploi de l’arc brisé, de l’arc en fer à cheval et de la coupole. Au lieu d’orner les pendentifs à l’aide de mosaïques, comme faisaient les Byzantins, les Arabes adoptèrent un mode de décoration composé de prismes en forme de stalactites. Ces stalactites avaient l’avantage de masquer les angles brusques de l’édifice et permettaient de passer du plan carré du bâtiment à la base octogonale de la coupole. L’usage des stalactites, que les Arabes ont été les premiers à imaginer, pourrait avoir son origine dans la façon dont les Assyriens assemblaient les briques, à l’aide desquelles, ils formaient, comme motifs de décoration, des sortes de prismes. [Illustration: Pl. 32. MOSQUÉE NOURI OSMANIÉ.--Porte principale. TOMBEAU DE CHAHZADÉ.] Jusqu’à l’époque des Fatimites et Eyoubites, la mosquée arabe avait gardé en Égypte la disposition de la première mosquée à portique (mosquées d’Amrou et de Touloun). Mais, à partir de cette époque, et surtout sous Saladin, un polygone de 16 côtés fut ajouté à la forme octogonale primitive et le passage du plan carré à la coupole se trouva ainsi facilité. C’est aussi à cette époque que le plan des monuments mésopotamiens commence à être mis en usage. Autour d’une cour carrée, prirent place quatre medressés, réservés aux quatre rites de l’Islam, Hanefi, Maliki, Chafii et Hanbeli. Dans les premiers temps, les Arabes négligeaient l’extérieur de leurs monuments. C’est seulement plus tard que la façade attira leurs soins. L’usage de la faïence dans la décoration des monuments ne s’était répandu que vers les dernières années des Baharites. Sous les Baharites et Bordjites l’art atteint son apogée. L’emploi de la voûte se généralise avec la mosquée sépulcrale et la décoration polygonale s’applique à toute surface. Les monuments même deviennent des polygones, ce qui a fourni d’ailleurs l’élément principal à tous les arts musulmans. Les Mamelouks ont rempli le Caire de monuments magnifiques, comme le tombeau-mosquée de Kalaoun, dans lequel on distingue l’influence de l’art de Tartarie. La mosquée du sultan Hassan, où se manifeste l’influence de l’art turc seldjoucide, est un des plus purs joyaux de l’art décoratif arabe. Ses frises de bois sculpté, ses portes incrustées d’or et d’argent sont des merveilles de l’art arabe. La mosquée d’El Gouri peut être considérée comme le dernier des monuments arabes au Caire. C’est sous le règne du fils d’El Gouri, Tomanbaï, que les Ottomans ont conquis l’Égypte. A partir de cette époque, l’art turc commença à se mélanger à l’art arabe d’Égypte, tout à fait différent des autres arts et même des autres branches de l’art arabe. Avec la domination turque, apparaît au Caire le type de la mosquée ottomane à coupole byzantine. Mais l’architecture civile, conservant toujours, grâce aux architectes indigènes, les caractères traditionnels de l’art local, reste à l’abri de cette influence. Fort heureusement le Caire garde encore de nombreux monuments qui nous permettent de contempler les œuvres des artistes arabes, tandis que ceux de Bagdad et de Syrie ont été dévastés. L’Espagne conserve aussi quelques monuments appartenant à l’époque de la domination arabe, tels que la mosquée de Cordoue, l’Alcazar de Séville et l’Alhambra de Grenade (1248 après J.-C.). L’Occident, qui se trouvait en communication avec l’Italie, où l’art arabe a survécu même à la conquête normande, ne tarda pas à subir l’influence de l’architecture arabe, qui a contribué au développement de plusieurs autres arts occidentaux[64]. [64] M. Emile Bertaux, dans ses études sur les monuments de l’Italie méridionale, démontre clairement cette influence. Les décorateurs arabes, artistes puissants, réalisèrent des prodiges de décoration en réseaux, en polygones et en stalactites. Usant de toutes les combinaisons fournies par l’art géométrique, ils groupèrent à l’aide de la plus brillante et de la plus ingénieuse des imaginations tous les dessins, toutes les lignes, toutes les figures en un ensemble qui éblouit l’œil et déroute la raison. L’islamisme ne tolérant pas les idoles et les icônes, l’art arabe resta indifférent à la peinture et à la sculpture, et c’est dans les formes abstraites qu’il chercha le symbole de l’éternel. Il trouva, dans la philosophie des lignes, l’image et l’impression de l’invisible. L’art persan est celui dont l’influence a été le plus considérable sur l’art turc. Il nous paraît donc utile d’esquisser un court aperçu de l’histoire de cet art depuis l’époque musulmane qui succéda à celle des Sassanides, dont les monuments, par leur luxe et leur grandeur étaient légendaires chez les Romains et les Byzantins. Parmi ces monuments on peut citer les palais de Machita, Ctésiphon, de Rabbath-Amman et Eïvane; ce dernier avait déjà une coupole à pendentifs. Le grand arc du palais de Ctésiphon, connu sous le nom de Tahti Kesra (Trône de Chosroës) semble avoir servi de premier modèle aux grandes voussures de l’art perso-arabe. Quand la capitale romaine fut transférée à Byzance, la Perse, alors très puissante, exerçait une grande influence sur les Byzantins. Les armées de Khosroës II avaient pénétré jusqu’à Chalcédoine et conquis Jérusalem et l’Égypte. Repoussées par l’armée d’Héraclius, ces troupes regagnèrent la Perse, où Khosroës mourut quelque temps avant l’invasion arabe. La Perse, alors ralliée en partie à la doctrine de Nestorius, fut conquise par les armées d’Omar (XVe année de l’Hégire) et devint une province arabe comme l’Égypte. Elle subit de profondes transformations ainsi qu’en témoigne son architecture. Les premières mosquées persanes furent semblables à celles des Arabes. Elles étaient construites sur un plan carré, comprenant le _Sahan_ entouré de portiques à colonnades (liwans). Celui qui renfermait le _Mihrab_, était plus somptueux que les autres et surmonté d’un dôme. Elles ne différaient des premières mosquées arabes que par cette dernière disposition. La mosquée de Djouma de Kasvin, bâtie selon l’historien Yakout par Mohammed ibn Hadjadj, est une des premières mosquées arabes. Ayant menacé ruine, elle fut rebâtie sur le même plan par Haroun al Réchid, et agrandie par Melek chah, prince seldjoucide. Parmi ces mosquées primitives, on peut citer la mosquée de Chiraz construite en 875 après J.-C. par Amr ibn Leïs, et la mosquée de Djouma d’Ispahan, construite par Elmamoun. Mais de ces mosquées il ne reste actuellement que des ruines. Les mosquées de l’époque khalifale avaient, comme les monuments de Damas et de Bagdad, une décoration semblable à celles des Arabes. Cette décoration était composée d’inscriptions coufiques, d’entrelacs et, mais très rarement, d’arabesques et de polygones. Les revêtements des murs et des plafonds étaient en stuc colorié, dentelé, et moulé en rosaces. Les Persans employaient des colonnes en marbre veiné, avec des chapiteaux plaqués d’or ou d’argent. A l’époque des Fatimites, IIe siècle de l’Hégire, on appliquait déjà la coupole à de nombreux monuments (le tombeau de Reï, etc.). [Illustration: Pl. 33. MOSQUÉE DE RUSTEM PACHA. MOSQUÉE DE RUSTEM PACHA.--Cour.] Sous les différentes dynasties, telles que les Saffarides (870-964), Samanides (964-1004), Daïlamites (946-1000), qui se partagèrent la Perse après l’époque khalifale, l’architecture resta à peu près la même, et ne subit que quelques légères transformations. L’époque des Gaznévides, marquée par la marche en avant des Perses vers les Indes, ouvrit une ère nouvelle. Les Turcs, les Mongols et les Afghans, peuples nomades et continuellement en guerre, influencèrent l’art persan en y apportant tous les éléments qu’ils avaient tirés de la Perse antique, des Indes, de la Chine et de toutes les civilisations asiatiques. Sous le brillant règne de Togroul baï, d’Alp Arslan, et de Melek chah, princes Seldjoucides, dont le pouvoir s’étendait jusqu’à l’Irak, Mossoul et Bagdad, l’art s’affina au contact d’une inspiration nouvelle. La décoration céramique se généralisa, ainsi que l’application des briques de différentes couleurs, obtenues par une cuisson plus ou moins prolongée. C’est encore à l’époque des Turcs que la coupole, déjà en usage, subit une évolution et que l’on sut tourner les difficultés que présentait le passage du plan carré à la base circulaire de la coupole. Les dômes et les minarets furent ornés de minces plaques métalliques, ondulées et martelées. Pendant le règne des Attabeks Solgour, les Mongols, ayant à leur tête leur chef Djenguiz Khan, ravagèrent la Perse. C’est seulement avec Helakou, petit-fils de Djenguiz, que l’art semble reprendre son essor, essor où se manifeste l’influence de l’art chinois, due aux ouvriers et artistes qu’Helakou avait ramenés de Chine. On peut remarquer cette influence sur les faïences et autres œuvres appartenant à cette époque. Sous l’influence des Mongols, l’ogive devient la forme générale de la coupole et la faïence l’élément essentiel de la décoration, rappelant en cela l’art Sassanide. Le tombeau de Mehmed Oldjaïtou, prince Gaznévide, construit en 1320 à Sultaniéh, est un des plus remarquables monuments de cette époque, où l’on commençait à remplacer par des carreaux de faïence, appliqués à l’aide d’un mortier, les briques vernissées que l’on avait jusqu’alors intercalées dans l’épaisseur du mur. Après les Djenguizkhanites et à l’époque des Timourites (XVIe siècle), l’art traversa une période qui continua pendant les querelles des princes turcomans Ak-Koyoun (mouton blanc) et Kora-Koyoun (mouton noir). Avec Djehan chah, prince turcoman de la tribu du mouton noir, apparaît le type spécial de la mosquée bleue de Tebriz. La cour (sahan) se couvre d’un dôme central et la partie renfermant le _mihrab_ est surmontée d’une coupole moins élevée que celle du _sahan_. Les _liwans_ sont formés de nefs. Sous les Safévis, une renaissance se manifeste dans tous les arts. Abbas Chah Ier, cinquième chah des Safévis, ayant fait appel à des artistes de différents pays, orne la ville d’Ispahan de monuments magnifiques, tels que le Meïdan, (grande cour entourée de portiques à deux étages), la mosquée royale (XVIe siècle), et de plusieurs palais. La peinture prospéra alors: Djéhanguir, Boukhari, Behzad et Mani furent les plus célèbres artistes de cette école. Mais la décadence ne tarda pas à se faire jour. Elle s’accentua à la mort du chah Ismaïl, avec les Afghans et les Zends, pour aboutir à la décadence finale de l’époque contemporaine, où les œuvres d’art ne sont que de pâles copies, dépourvues de goût et de tout élément artistique. On peut donc diviser l’art de la Perse musulmane en quatre périodes. 1º Période arabe. 2º -- turque-seldjoucide. 3º -- mongole. 4º -- de renaissance sous les Safévis. Dans ces trois dernières périodes, l’art est sensiblement différent de celui de la période arabe. Deux raisons expliquent cette différence: en premier lieu, l’indépendance de la province d’Iran, et d’autre part, l’influence des Mongols, des Turcs, des Chinois et des Hindous,--qui est de beaucoup plus importante. Les différentes dynasties qui régnèrent en Perse n’ont pas introduit dans l’art local un changement aussi grand qu’on l’a souvent prétendu. Leur influence se fit plutôt sentir dans le domaine politique que dans le domaine architectural. L’art persan a donc toujours gardé les caractères de son art local qui résident dans: 1º l’usage de la plate-bande et des arcades sans colonnes; 2º dans la coupole en forme bulbeuse[65] qui couvre le sanctuaire; 3º dans le portail monumental en ogive entouré d’un cadre rectangulaire dépassant souvent en hauteur la base de la coupole; 4º dans les minarets circulaires, flanqués des deux côtés de la façade, qui suit l’horizontalité des plates-bandes; 5º dans l’abondance des faïences, à décoration florale, qu’enrichissent tous les trésors de l’imagination. Cette décoration, qui répond mieux aux sentiments des Persans, est préférée par eux aux ornementations géométriques chères aux Arabes; les stalactites persanes sont rectilignes et diffèrent des arabes. [65] Ce genre de dôme se rencontre surtout dans les monuments du Turkestan et de l’Afghanistan (Tombeau de Tamerlan à Samarkande) et semble, d’après M. Choisy, avoir une origine hindoue. L’avantage que les Persans y ont trouvé vient très probablement de ce que cette forme diminue la poussée de voûte. Les Persans aiment la gaieté des bosquets et des jardins. Aussi leurs mosquées, avec leurs bassins de marbre où l’eau retombe en cascades, donnent-elles plutôt la joyeuse impression d’un palais que celle d’un temple invitant au recueillement mystique. La coupole, surtout, diffère de celle des Arabes. Ils attachaient en effet plus d’importance que ces derniers à l’aspect extérieur de leurs édifices, et dans un but d’embellissement ils ajoutèrent une deuxième coupole extérieure à la première. Leur imagination, enrichie de tous les trésors légendaires et épiques de la littérature persane, souvenirs ou vestiges d’une civilisation lointaine, se donnait libre cours dans le domaine des arts. Les dessins variés dont s’ornent leurs tapis et la finesse de leurs miniatures attestent ce goût décoratif, si prisé à juste titre et de tous temps par les amateurs de l’art oriental. Il faut pourtant remarquer que les Turcs et les Chinois n’ont pas peu contribué à donner à cette production artistique son cachet de délicatesse. Les véritables conservateurs de cet art furent réellement les Turcs et les Tartares qui, durant l’occupation grecque, en gardèrent et en développèrent les traditions. L’influence de l’art persan sur l’art ottoman est considérable. Les relations qui existèrent d’ailleurs entre l’art persan et l’art turc des Seldjoucides, qui peut être considéré comme l’origine de l’art ottoman, ont suffi pour les rapprocher. Avant d’aborder l’étude de l’art ottoman, il est indispensable de connaître l’art des Seldjouks, l’État turc fondé à Konia[66] (Iconium) par Suleïman chah, fils de Koutoulmouch, qui était cousin de Mélik chah, prince Seldjoucide régnant alors en Perse. Cet État comprenait la plus grande partie de l’Asie Mineure. Les Seldjoucides y régnèrent du XIe au XIIIe siècle, mais affaiblis par les luttes qu’ils avaient dû soutenir contre les premiers croisés, ils tombèrent, au XIVe siècle, sous la domination mongole. Vaincus et démembrés, ils se divisèrent en dix petits États indépendants. [66] Konia fut en même temps le centre d’une philosophie religieuse fondé par Djelaleddin Roumi, élève de Chemseddin Tebrizi (de Tauris) (secte des derviches tourneurs). [Illustration: Pl. 34. MOSQUÉE DE RUSTEM PACHA.--Mihrab et Mimber.] Les Seldjoucides ont produit des œuvres d’art vraiment dignes d’études et qui forment un trait d’union entre les arts persan, arabe et ottoman. Mais il ne faut pas en conclure que l’art des Seldjoucides soit une branche de l’art arabe de Syrie, ainsi d’ailleurs qu’on a l’habitude de désigner toutes les manifestations de l’art musulman. Il est vrai que l’art arabe a été la source où puisa l’art turc, mais ce dernier eut vite fait de donner sa note personnelle. Et c’est avec juste raison que nous avons affirmé plus haut que l’art arabe avait trouvé en lui des disciples et non pas des copistes. L’art des Seldjoucides, inspiré de l’art arabe, et influencé par les arts byzantin et persan, a donc acquis une esthétique personnelle. Déjà à cette époque, l’art arabe de Syrie avait subi l’influence byzantine; les ouvriers et artistes syriens, auxquels les Seldjoucides furent redevables de la plupart de leurs constructions, devinrent donc, en quelque sorte, les intermédiaires entre l’art byzantin et les Seldjoucides. Leur rôle ne s’arrêta pas là; et c’est grâce à eux que l’on peut voir les derniers monuments arabes d’Égypte présenter un caractère tout à fait seldjoucide. Les anciens monuments de Konia, qui sont encore debout, nous offrent des merveilles de décorations. On y remarque surtout la faïence, abondamment employée pour la décoration intérieure et extérieure. L’étude de ces monuments permet de découvrir, à travers un mélange d’art arabe, persan et byzantin, une tendance réelle vers l’art chaldéen. Cet art avait beaucoup d’analogie avec l’art mésopotamien, dont il existait encore des types en Arménie et au Kurdistan; cette architecture, que les Seldjoucides ont trouvée en Arménie, présentait un caractère sassanide plutôt que syrien et n’était qu’un art byzantino-persan, art avec lequel ils étaient d’ailleurs déjà familiers. Parmi les monuments seldjoucides de Konia, on peut citer la grande mosquée construite par un Syrien musulman (617 H. 1220 J.-C.), la mosquée de Sahib Ata (1260 J.-C.), Sirtchali Médressé (640 H. 1242 J.-C.), et le médressé de Karataï, les hans et les karavansérails, tels que Sultan Han (626 H. 1229 J.-C.), les citernes, etc... D’autres villes de l’Asie Mineure, comme _Ak seraï_, _Ak chéhir_, _Sivas_, _Karaman_, _Divrigue Ishakli_, etc... possèdent encore les restes de plusieurs monuments seldjoucides, malheureusement à l’état de ruines. Ces monuments, dans lesquels l’influence de l’art syrien et mésopotamien est apparente, sont d’une grande utilité pour l’étude de l’art turc et musulman. On y remarque en effet l’embryon des éléments caractéristiques de l’art ottoman, tels que les portails et les colonnettes. III.--L’ARCHITECTURE OTTOMANE A l’époque d’Osman Ier, quand les Ottomans commencèrent à construire des mosquées, des médressés et des écoles, c’est l’art de l’époque des Seldjoucides qui leur servit de modèle. Dans leurs constructions encore lourdes et massives, l’influence byzantine, résultant du voisinage de Byzance, se révélait à côté de l’influence seldjoucide. Mais ces essais rudimentaires étaient loin de présenter les caractères d’un art national, qui cependant devait bientôt naître. Niloufer Hatoun, fiancée de Tekfour de Biledjik, que le sultan Osman enleva aux Byzantins pour en faire l’épouse de son fils Orhan, avait donné naissance au prince Murad. Ce dernier qui devint ensuite le troisième Sultan des Ottomans, sous le nom de Khudavendiguiar, tenait de sa mère une éducation raffinée et des goûts artistiques. Cette culture le poussa à encourager les artistes et les architectes qu’il avait fait venir de tous les pays. Dans les différentes parties de l’État, s’élevèrent des édifices remarquables, tels que le tombeau et la mosquée du prince Ghazi Suleïman, frère du sultan, à Boulayer, un grand bain, une mosquée, un minaret construits en mémoire de sa mère à Nicée, les monuments de Brousse qui datent de cette époque et ceux que l’on construisit pour embellir Andrinople, après la conquête. Dans tous ces édifices, on distingue les traces de l’influence byzantine avec l’empreinte de l’art seldjoucide. Au fur et à mesure que le trésor de l’État s’enrichit, la façade des monuments, jusqu’alors négligée, tend à prendre un caractère esthétique. L’application de la faïence sur les façades, en vogue chez les Seldjoucides, se généralise. On s’explique d’autant mieux ce goût des Ottomans pour l’art seldjoucide qu’il leur rappelait à la fois leur nationalité et leur religion. Vivant en contact perpétuel avec les petits États d’Asie Mineure fondés sur les ruines des Seldjoucides, les Ottomans avaient l’occasion de se familiariser avec l’art local de tous ces pays, et en tiraient des éléments servant au développement de leur art propre. Mais cet essor fut fâcheusement arrêté pendant quelque temps par les invasions de Tamerlan, par les luttes ouvertes contre l’empire ottoman par ces petits pays profitant de l’embarras où l’invasion de Tamerlan jetait l’État, et finalement par l’interrègne qui suivit ces événements. Plus tard, Tchelébi sultan Mehmed, fils de Bayazid, redonne à l’architecture un nouvel éclat. L’effort immense et si original qu’il y a déployé permet de dire que l’architecture ottomane commence réellement avec lui. Le sultan Mehmed, suivant l’exemple de son frère et de son aïeul, Yildirin Bayazid et Murad Khoudavendiguiar, prodigue les monuments dans les villes de Brousse et d’Andrinople, répare ceux qui avaient été ruinés par les États Caraman et Guermian dans les différentes villes et termine les édifices entrepris à Andrinople et ailleurs par ses aïeux, tels que la mosquée _Oulou Djami_, commencée à Brousse sous le règne de Murad Ier (781-818 H.). Il fait enfin construire à Brousse le _Yéchil Djami_ (la mosquée verte), célèbre dans le monde entier et qui est, par sa forme et sa magnificence, la première grande œuvre de l’architecture ottomane. Les monuments de cette époque diffèrent sensiblement de ceux qui ont été construits plus tard à Constantinople et à Andrinople. Les mosquées de Brousse possèdent au sommet de leur coupole une ouverture formant souvent tambour, qui éclaire l’intérieur et favorise la ventilation. Un fin grillage métallique empêchait les oiseaux d’entrer par cette ouverture. Les Byzantins, et surtout les Seldjoucides, pratiquaient déjà ces ouvertures à leurs coupoles. Dans l’intérieur de la mosquée, au centre et juste au-dessous de l’ouverture de la coupole, des jets d’eau jaillissaient dans un grand bassin de marbre. Si l’on compare la Mosquée Verte construite en 1420 de l’ère chrétienne aux monuments byzantins et seldjoucides existant encore, on constate que la Mosquée Verte se rapproche davantage de l’art seldjoucide. Elle est couverte d’un grand dôme central et de trois petites coupoles dont l’une s’élève au-dessus de l’abside. Des plaques de plomb recouvrent ces coupoles. Les Byzantins avaient déjà emprunté ce mode de couverture aux Sassanides[67]. [67] Ce sont les Parthes qui, les premiers s’appliquèrent à fixer le bronze et le cuivre sur l’extérieur des dômes de leurs derniers édifices (Gayet). La Mosquée Verte a été plusieurs fois détruite par des tremblements de terre. Les minarets, ornés de faïences vertes, ont subi de nombreuses restaurations et n’ont pas conservé leurs formes primitives. Le nom de _Mosquée Verte_ venait des faïences bleu-verdâtre dont elle était ornée. La porte[68] située en face du _Mihrab_ possède deux niches latérales, semblables à celles des portails des médressés seldjoucides; elle conduit à une sorte de narthex richement décoré de faïences. Des deux côtés du narthex, deux escaliers conduisent à la tribune impériale et aux tribunes réservées. Dans cette partie de la mosquée on remarque quelques chapiteaux provenant de ruines byzantines. L’architecte a su toutefois les placer de façon à ce qu’ils ne contrarient pas l’ensemble. [68] Ce portail fut défiguré par deux grotesques consoles qu’on a ajoutées pendant la restauration de la mosquée. Le plan de la partie centrale de la mosquée est un carré; quand à la partie qui contient le _Mihrab_ et le _Mimber_, elle est surélevée de quelques degrés et rappelle les mosquées arabes[69]. Intérieurement, les murs sont ornés de faïences vertes de forme hexagonale, où sur un fond bleu foncé se détache une superbe décoration florale. Au-dessus de celles-ci, et sur le même fond, court une frise reproduisant en lettres blanches des versets du Koran. A l’intérieur, l’intersection de la coupole et des murs est recouverte par une large application de prismes et de cristaux se rattachant les uns aux autres et rappelant le système décoratif polygonal des Arabes, qui servit plus tard à l’architecte Sinan pour composer ses chapiteaux. Au milieu de la mosquée, sous la coupole centrale, se trouve un bassin en marbre, artistiquement travaillé. [69] Le plan de la mosquée sunnite de Tebriz (mosquée bleue de Tauris) présente une très grande ressemblance avec celui de la mosquée Yéchil Djami, à Brousse. Au centre de ce bassin, dans une vasque élégante, un jet d’eau lance la pluie fine de ses gouttes où viennent se jouer en reflets multicolores la lumière du jour et les couleurs des faïences. Tout concourt à créer un décor où la perfection divine, révélée dans le silence même des choses, invite à la prière l’âme étonnée et ravie. La partie qui contient le mihrab est séparée de la partie centrale par des piliers carrés. Aux deux coins de chaque pilier sont posées des colonnettes en marbre, mobiles et tournant facilement sur leur axe. Cette disposition permet de constater que, jusqu’à ce jour, l’édifice n’a pas subi de tassements. Le mihrab, composé tout entier de faïences, constitue un des chefs-d’œuvre les plus remarquables de la première époque de la faïencerie ottomane. Le nom de l’architecte se trouve inscrit sur la tribune impériale, en ces termes: قدتم هذه نقش العمارة الشريفة بيد افقر الياس على فى اواخر رمضان المبارك سنهُ سبع و عشرين و ثمانمائه c’est-à-dire: «l’ornementation de ce saint édifice a été terminée par la main du très humble Elias Ali vers le dernier jour du Ramazan de l’an 827 (1423).» On considère Elias Ali comme l’architecte de ce monument. Mais si l’on se rapporte au mot _ornementation_ de l’inscription citée plus haut, il semble en résulter qu’Elias Ali a été plutôt l’artiste décorateur que l’architecte. Cependant, si l’on songe à l’importance de l’œuvre décorative dans cette somptueuse mosquée, Elias Ali peut en être considéré comme l’auteur. Toutes les parties de ce magnifique monument, ainsi que le _Tombeau Vert_ du sultan Mehmed, fondateur de la mosquée, le travail artistique de ses plafonds, de ses boiseries, les sculptures de ses portes, ses grillages incrustés et l’harmonie de ses faïences, les verres coloriés qui ornent ses fenêtres, ses panneaux et ses frises, tout, jusque dans les moindres détails, contribue à en faire un modèle parfait et dont les artistes ottomans s’inspirèrent à juste titre dans la suite. Il y a cinquante ans, la mosquée menaçait ruine. Sur les instances de Ahmed Véfik effendi, alors gouverneur de Brousse (1863), on fit venir pour la restaurer un architecte français, M. Parvillée, qui profita de son séjour pour consolider quelques minarets délabrés de Brousse. Ce travail lui fournit l’occasion d’étudier la mosquée et le tombeau vert dans tous leurs détails et il s’attacha à en découvrir les proportions architectoniques et à analyser les lois qui avaient présidé à leur édification. C’est là qu’il puisa les matériaux de son intéressant ouvrage _L’architecture et la décoration turques au XVe siècle_, précédé d’une préface de Viollet-le-Duc. C’est une œuvre de forte érudition, consultée avec profit par tous ceux qui s’intéressent à ces questions. Les livres de ce genre sont rares. Le seul qui, malgré les négligences de son texte, présente, par ses illustrations, quelque intérêt fut édité par les soins du ministère des Travaux publics pour être envoyé à l’Exposition de Vienne en 1867. Mais plusieurs erreurs, dues à la hâte avec laquelle il a été composé, ne permettent pas de le considérer comme un guide absolument sûr. Il serait du plus haut intérêt qu’une commission compétente étudiât nos divers monuments d’une manière approfondie. Il en pourrait sortir un livre de documentation exacte. Le vilayet de Khudavendiguiar, par le nombre de ses monuments, qui remontent à l’époque de la première école architecturale, peut être considéré comme un véritable musée de l’art ottoman. Entre autres édifices, il convient de citer la mosquée de Muradié, et la mosquée de Bayazid, terminée sous le règne de Mehmed. Cette mosquée, construite sur un plan carré de 100 mètres de côté, est surmontée d’une grande coupole et de vingt-quatre petites. Rien ne subsiste de sa décoration et de ses faïences, qui furent autrefois magnifiques. Dans les constructions de cette époque, à Brousse, on constate l’emploi des piliers prismatiques, en usage chez les Seldjoucides. Les édifices les plus remarquables appartenant à ce genre sont la Tchinili-Djami (mosquée aux faïences), commencée à Nicée et élevée par Tchendereli Ibrahim pacha, grand vizir, à la mémoire de son père Haïreddin pacha, le tombeau inachevé de Bayazid pacha à Brousse, du style seldjoucide, le tombeau de Devlet Schah Hatoun, le pont de Niloufer et le bain connu sous le nom de Cayagan à Brousse. Depuis Tchelebi Sultan Mehmed jusqu’au Conquérant, l’architecture adopta à peu de choses près le style de la Mosquée Verte. Après la conquête, on s’inspira sans doute de l’art local, dont le prototype était Sainte-Sophie, pour la construction de la première mosquée élevée par le conquérant sur les ruines de l’église des Saints-Apôtres à Byzance. Mais il est difficile de rien préciser à cet égard, car cette mosquée, construite probablement par l’architecte byzantin Christodoulos, a eu sa coupole et ses murs endommagés et détruits par le tremblement de terre de l’année 1179 de l’Hégire, troisième jour du Baïram. _Hadikat-ul-Djévami_, précieux ouvrage turc, parlant de cette destruction, dit: «Les deux pieds d’éléphant et les deux colonnes en porphyre ayant été démolis, on a construit la coupole sur quatre piliers.» On peut donc inférer de cette description qu’elle rappelait les mosquées de Brousse, bien que sa reconstruction, effectuée en 1181, en diffère énormément et ressemble au contraire à la mosquée Laléli. En tout cas, c’est à tort qu’on représente parfois la mosquée Fatih actuelle comme étant celle du conquérant. [Illustration: Pl. 35. MOSQUÉE SULEÏMANIÉ.--Galeries de la façade et fontaines d’ablutions.] A l’époque de Bayazid II, fils du Conquérant, l’architecte Haïreddin[70], chargé d’élever la mosquée qui porte le nom de ce souverain, réunit tous les documents et tous les préceptes d’architecture, en tira d’heureux effets dans les proportions et les formes nouvelles qu’il appliqua aux colonnes et aux chapiteaux. La mosquée Bayazid, par la pureté de ses lignes et l’harmonie de ses éléments, est une des plus jolies mosquées de Constantinople. Elle est la seule qui rappelle un peu le style des mosquées de Brousse. Un œil exercé ne tarde pas à reconnaître que, dans cet édifice, une nouvelle étape artistique avait été franchie. Haïreddin eut l’ingénieuse idée d’appliquer aux chapiteaux les stalactites en usage chez les Arabes pour orner les pendentifs et les encorbellements. Il établit de nouvelles proportions et atteignit ainsi une _simplicité_ pleine de grandeur et de beauté. C’est un réformateur de l’architecture, à laquelle il ouvrit de nouveaux horizons. Nous ne savons pas exactement quels avaient été ses maîtres. Parmi les architectes venus avant lui, on rencontre seulement le nom de l’architecte Elias, qui construisit le Mesdjid de Deniz Abdal et mourut en 958 de l’Hégire. Il était contemporain du Conquérant et de son fils Bayazid et est enterré dans le cimetière de la mosquée qu’il édifia. Après Haïreddin, nous trouvons les noms de Mimar Ayas, mort en 892, de Mimar Kemaleddin, Mimar Chedjaa, Adjem Ali[71] et Sinan[72]. Ce dernier, qui est le plus célèbre, est réputé comme réformateur de l’architecture ottomane. En suivant le chemin tracé par Haïreddin, il fixa les règles de cet art. Les innombrables édifices[73] dus à Sinan constituent de purs chefs-d’œuvre, où l’art turc atteint son apogée. Sinan eut plusieurs élèves dont les plus connus sont Davoud Aga, Ahmed Aga Kemaleddin, Youssouf, Tournadji bachi, Yetim Baba Ali effendi, et le petit Sinan. [70] Il a son Mesdjid près du tombeau de Sinan pacha. Quant à lui, il repose dans le jardin de ce tombeau. [71] Ainsi que son nom Adjem (Persan) l’indique, c’était probablement un des ouvriers amenés par Selim lors de la conquête de Tauris. [72] Voir la liste de ses ouvrages à la fin du volume (page 256). [73] Il existe une mosquée à Yeni Mevlevihané Kapoussou qui porte son nom. Les empereurs mongols et hindous firent venir aux Indes quelques-uns de ces derniers pour y exercer leur art. Le plus célèbre d’entre eux est l’architecte Youssouf qui éleva le palais des grands Mongols. Les forts merveilleux et un certain nombre de monuments de Delhi, de Lahore et d’Agra, qui sont encore l’objet de l’admiration universelle, sont dus à des élèves de Sinan. Un autre de ces élèves, Yetim Baba Ali effendi, fut nommé par le sultan, à l’emploi de _Bina Emini_ (intendant), lors de la construction de la mosquée Suleïmanié[74]. A la mort de Sinan (986 de l’Hégire) Davoud Aga devint premier architecte de l’Empire. Il fut décapité sur la place publique de Véfa, pour crime d’irreligion. [74] Mort en 960, il repose dans le cimetière de la mosquée Suléïmanié. Ce fut Dalguitch Ahmed Aga qui lui succéda et occupa ce poste, alors très recherché, jusqu’en 1010, époque à laquelle Sedefkiar (travailleur de nacre) y fut promu. Tous deux étaient, pour le travail de la nacre, les élèves d’un même maître à Hass Bagtché[75]. [75] Jardin privé du palais possédant plusieurs ateliers, où les janissaires apprenaient différents métiers. Mehmed Aga[76], poussé par un souci, peut-être excessif, d’originalité, négligea les principes établis par les maîtres de l’art, comme Haïreddin et Sinan, et essaya de marquer de son empreinte personnelle la construction de la mosquée Ahmédié. Ce monument est conçu en dépit des règles et des lois artistiques respectées jusqu’alors. [76] Voir sa biographie page 265. Son architecture diffère de celle des mosquées Bayazid, Selimié et Suleïmanié. Les grands piliers carrés qui supportent la coupole de la mosquée Suleïmanié sont remplacés par de gigantesques colonnes de 5 mètres de diamètre, sans aucune proportion; il en est de même de celles qui supportent les galeries de l’intérieur. On suppose que Mehmed Aga, qui avait beaucoup voyagé, voulut appliquer quelques souvenirs des pays où il avait séjourné. L’art turc est encore actif pendant un certain temps après l’époque du sultan Ahmed, ainsi que l’attestent quelques monuments, parmi lesquels la mosquée de Tchinili, construite à Scutari sous Ibrahim, et celle de Yeni-Djani, élevée sous Mehmed IV (1074). Mais les luttes intestines qui déchirèrent l’Empire, pendant le règne de cinq padichahs, firent tomber l’architecture dans une décadence qui dura jusqu’à Ahmed III. A l’avènement de ce souverain, des tentatives sont faites pour relever l’art. On construit plusieurs fontaines (_tchechmés_) somptueuses telles que la fontaine d’Ahmed, près de Sainte-Sophie, celle d’Azap Kapou, etc. De magnifiques palais s’élevèrent dans la capitale parmi lesquels les historiens de l’époque citent _Nichad Abad_, _Humayoun Abad_, _Saad Abad_, _Cheref Abad_, situés sur les rives du Bosphore et de la Corne d’Or. Il ne reste presque rien de la plupart de ces palais, construits en bois et qui n’ont guère laissé de ruines aujourd’hui. Les ingénieurs français, appelés en Turquie par Mahmoud Ier pour les travaux hydrographiques, amenèrent avec eux des sculpteurs, des décorateurs et des dessinateurs qui, en introduisant les styles Louis XV et baroque, préparèrent la dégénérescence du style ottoman. Avec le temps les artistes ottomans se rapprochèrent de plus en plus des types de l’ornementation européenne qui devint à la mode, et fut appelée alors vulgairement «à la franka». Ils eurent tôt fait d’oublier les principes de l’art ottoman. Ignorant les notions mêmes de cet art, les constructeurs mélangèrent tous les styles, ne mettant ainsi au jour que des œuvres laides et disparates. Telle est la mosquée Nouri Osmanié, commencée par Mahmoud Ier et achevée par Osman; telle est aussi la mosquée Laléli: toutes deux appartiennent à cette période de décadence. La première, d’un aspect lourd et disgracieux, a été construite, dit-on, sur le plan du sultan Mahmoud lui-même. Malgré tous les efforts tentés sous le règne suivant, à partir du règne de Sélim III, les pompons et les rocailles du style Louis XV, déjà répandus dans toute l’Europe, envahissent l’art ottoman et finissent par l’étouffer sous une forme de rococo-italien. M. Kaufer, architecte, que Choiseul Gouffier avait amené avec lui à Constantinople, et M. Melling, architecte du sultan Selim III, ont, en dépit de tout leur talent, contribué à cette décadence, en élevant des palais de style étranger, qui servirent de modèles aux architectes turcs. La plupart des monuments et la décoration des fontaines datant de cette époque en témoignent abondamment. Cette décadence a continué jusqu’à nos jours, et les architectes n’ont guère abouti à des résultats satisfaisants, leurs efforts n’étant point basés sur une étude sérieuse des anciens monuments et des règles et des formules qui présidèrent à l’établissement de leurs plans. Les efforts tentés à l’époque du sultan Abdul Aziz pour construire quelques mosquées et palais dans un style pseudo-renaissance, ne donnèrent pas de meilleurs résultats. [Illustration: Pl. 36. MOSQUÉE SULEÏMANIÉ.--Intérieur.] L’ouvrage connu sous le titre d’_Architecture ottomane_ et qui fut édité par le ministère de l’Instruction publique rapporte en détails les tentatives faites à l’époque, en vue de relever l’architecture. Les planches qu’il contient donnent à cet ouvrage un intérêt indéniable, mais une certaine imprécision, une certaine négligence qui y règnent risqueraient d’inculquer au lecteur une fausse notion de l’art ottoman. L’architecture ottomane se divise donc en quatre périodes: 1º Depuis le sultan Mehmed Tchélébi jusqu’à Bayazid (816-886), c’est-à-dire depuis la construction de la Mosquée Verte à Brousse jusqu’à celle de la mosquée Bayazid à Constantinople. 2º Depuis Bayazid jusqu’au sultan Ahmed Ier (886-1012), c’est-à-dire depuis la construction de la mosquée Bayazid jusqu’à la construction de la mosquée d’Ahmed Ier. 3º Depuis la construction de la mosquée d’Ahmed Ier jusqu’au règne du sultan Ahmed III (1012-1015). 4º Depuis Ahmed III jusqu’à l’époque contemporaine, période marquée par une décadence générale due à l’abandon des principes essentiels qui, loin d’empêcher la manifestation de la personnalité, conservent les caractères particuliers d’un style national, de même que les lois naturelles gardent et perpétuent la ressemblance de deux plantes de la même famille et la physionomie des hommes de la même race. Les anciens maîtres avaient sans doute des règles et des formules architectoniques qu’il conviendrait de retrouver. M. Parvillée rapporte dans son ouvrage qu’on utilisa dans l’architecture de la Mosquée Verte un triangle semblable à celui employé par les Égyptiens et ayant entre sa base et sa hauteur le rapport de 8:5; la place des fenêtres, la forme de la coupole et le niveau des corniches étaient donc déterminés par des lois immuables qu’il est impossible de négliger, si l’on veut produire des œuvres purement ottomanes. Si l’on se contente de recueillir, au hasard, les divers éléments décoratifs et de les grouper sans tenir compte des règles auxquelles est soumis le style ottoman, il est clair qu’il n’en saurait résulter une œuvre conforme à ce style, malgré les ressemblances de détail que cet art pseudo-ottoman pourrait renfermer. Faut-il ajouter maintenant qu’il est nécessaire, pour bien comprendre une œuvre d’art, de pénétrer l’esprit et l’état d’âme du peuple qui l’a conçue et qu’on ne saurait faire œuvre d’art dans un domaine dont l’inspiration vous est étrangère? C’est ainsi que l’écriture d’un calligraphe turc ne pourra jamais être reproduite par un dessinateur étranger de façon à tromper un œil exercé. Il manquera à l’étranger non seulement la manière, mais le caractère, l’esprit et pour tout dire le sentiment de l’œuvre. _Le caractère et la décoration de l’architecture ottomane._--Il suffit de visiter les édifices turcs pour se convaincre de la différence qui existe entre l’architecture ottomane et celle des Arabes. Outre le caractère spécial des colonnes, des arcades et des chapiteaux ainsi que de la coupole, l’ensemble du monument est conçu dans une note tout à fait distincte. On ne rencontre jamais chez les Turcs la coupole en ogive étranglée à sa base, le chapiteau décoré de fleurs ornementales, l’arc surélevé en fer à cheval et la surabondance de décorations en usage chez les Arabes. Les Turcs, ayant apporté tous leurs soins à la technique de la construction, imitèrent, en fait de coupoles, celles des Byzantins qu’ils reproduisirent avec autant de courage que de hardiesse. Leurs chapiteaux sont ornés de stalactites et de losanges dans le genre de ceux qui servaient aux Arabes pour atténuer les brusques saillies de leurs encorbellements. Quant à la décoration, elle était plus sobre chez les Turcs, qui en faisaient pourtant usage avec un rare bon goût dans les parties des monuments où ils l’estimaient nécessaire. Ils n’appliquèrent pas non plus de mosaïques à leurs coupoles, ni de marbres veinés aux parois intérieures de l’édifice comme les Byzantins. Ils ornaient leurs coupoles de fresques avec inscriptions en or et tapissaient les murs avec des carreaux de faïence où les plus éclatantes couleurs se mariaient harmonieusement. Malgré quelques détails décoratifs, rappelant l’art persan par endroit, l’art turc ne peut en aucune façon lui être assimilé. Il ne présente ni l’horizontalité de la façade, ni ce grand portail qu’atteint la base de la coupole, ni la forme des minarets et de la coupole qui caractérisent l’art persan. La caractéristique de l’architecture ottomane réside dans la simplicité sévère de ses formes et la verticalité accusée de ses lignes, où l’esprit de l’homme semble suivre une route qui l’élève vers les cieux. L’_Architecture ottomane_, l’ouvrage dont nous avons déjà parlé, constate trois ordres distincts dans les édifices turcs qu’il désigne ainsi: _ordre échanfriné_, _bréchiforme_, _cristallisé_, selon la décoration plus ou moins riche des colonnes, chapiteaux, panneaux, archivoltes et corniches. Mais ce que l’on remarque davantage, c’est l’emploi combiné de ces ordres, appliqués indistinctement, suivant ce que chaque partie du monument paraissait exiger. Tout en gardant leur antipathie pour la décoration byzantine, les Ottomans paraissent avoir adopté, en fait de plan et de construction, les méthodes des Byzantins. La forme de la coupole est presque semblable à celle des Byzantins avec un large emploi des bases octogonales. Dans la construction des mosquées, le plan carré fut adopté; les grandes mosquées furent couvertes d’une grande coupole et de plusieurs autres demi-coupoles tout à fait semblables à celles de Sainte-Sophie. Les petites mosquées n’ont qu’une coupole sur base octogonale. Dans les arcades, on utilise souvent un genre d’ogive formé de deux arcs à centres différents. La ligne qui réunit les centres passe au-dessus des chapiteaux et ces centres coïncident avec les points qui divisent cette ligne en parties égales. Une des arcades les plus usitées est un cintre formé d’un cercle terminé à son sommet par deux tangentes à la circonférence. On ne voit jamais le plein cintre représentant les deux tiers de sa circonférence (comme chez les Arabes) et qui a la forme d’un fer à cheval. Mais, en revanche, on rencontre abondamment des arcades formées de claveaux alternés en marbre coloré. On rencontre souvent aussi l’alternance de différents genres d’arcades sur une même rangée, ce qui rompt la monotonie de la perspective. On remarque quelquefois sur ces arcades de gros cabochons en pierre taillée qui se placent entre les arcades sur la direction des colonnes et qui semblent avoir leur origine dans les clous des boucliers. Ainsi cette architecture permet d’employer et d’arranger comme on veut les différentes parties constituantes; ainsi, en respectant l’ordre et la forme convenables pour chaque partie, on obtient un effet des plus variés. [Illustration: Pl. 37. MOSQUÉE SULEÏMANIÉ.--Mihrab et Mimber.] _La décoration._--C’est des formes décoratives apportées du Turkestan, que les Turcs s’inspirèrent pour la décoration de leurs tapis et de leurs ustensiles, avant d’être mis en possession d’un art ottoman. Ils puisèrent également chez les Turcs seldjoucides et les Persans. D’autre part, les motifs arabes ne cessèrent pas d’intéresser fortement l’esprit des artistes ottomans, qui mirent particulièrement à profit leurs arabesques et leurs polygones. C’est l’art seldjoucide et syro-égyptien qui semble avoir fourni à l’art ottoman une grande partie de sa décoration. [Illustration] La figure humaine et la représentation des animaux étant complètement exclues de l’architecture ottomane, celle-ci resta loin de la décoration byzantine. Les plantes, les fruits et les minéraux lui fournirent ses motifs de décoration. Mais, comme la forme de ces plantes et de ces fruits a subi, entre les mains des décorateurs turcs, des métamorphoses variées, les parties constituantes de l’ornementation prirent une forme tout à fait caractéristique et rationnelle, adaptée à la nature des matériaux sur lesquels furent appliqués ces ornements. [Illustration] Les ornementations dérivées des feuillages s’inspiraient de l’état de pétrification des plantes, tel qu’on le voit dans les empreintes des végétations antédiluviennes sur les pierres. La décoration d’un grillage, d’une serrure, d’une porte, était empruntée à des motifs applicables et en harmonie avec la matière et la destination de l’objet qu’ils ornaient. Les Byzantins ornaient leurs chapiteaux de feuilles dentelées, taillées et ciselées qui semblaient devoir être écrasées sous le poids qu’elles supportaient. Les Ottomans, pour leurs chapiteaux, avaient employé des combinaisons de prismes rappelant les stalactites[77] des grottes et qui offraient à l’œil l’aspect logique de la pierre solide, capable de porter son fardeau. Ils surent éviter avec un goût savant la monotonie et la régularité excessive des lignes. Le motif principal de la décoration ottomane est fourni par les feuilles de pois. Cette plante à tiges flexibles qui tendent à s’enrouler sur elles-mêmes convenait merveilleusement à la décoration. Sa forme naturelle, après une série d’interprétations originales, a fini par atteindre un type purement ornemental. [77] La construction de la stalactite ottomane diffère beaucoup de celle des Persans et des Arabes. [Illustration] D’autres plantes furent aussi prises comme modèles, suivant l’époque et selon l’ordre dont on se servait. Dans l’ornementation, on distingue deux parties principales: le buisson, qui constitue le support, et la plante, qui forme l’ornement même. La plante ornementale s’enroule sur le buisson qui forme déjà à lui seul un ornement. Pour mouvementer la décoration, on ajoute sur la plante et le buisson des petits ronds gracieux imitant l’escargot, une petite feuille enroulée. Dans les décorations riches, on voit souvent plusieurs plantes s’enrouler sur le même buisson; chacune de ces plantes constitue un sujet à part qui, s’entrelaçant avec d’autres motifs, présente l’aspect d’ornements séparés et mariés entre eux avec une parfaite harmonie. C’est l’architecte Ilias Ali qui a appliqué pour la première fois ce genre de décoration. Il employa différents fruits: des coings, des grenades, etc. La grenade, qui est considérée par les Turcs comme un fruit du paradis, occupait le premier rang. Ce fruit subit, comme le pois, des transformations successives, et finit par prendre la forme d’une fleur complexe. [Illustration] Peu à peu, toutes ces formes décoratives se mélangèrent et donnèrent naissance, en se combinant, à des formes nouvelles, et en particulier à une ornementation hybride, où l’on voyait des feuilles sous l’aspect d’oiseau. Parmi les fleurs, les plus employées étaient la renoncule, l’œillet, le carthame, la rose, la tulipe, l’althea; presque toujours en bouquets, surtout dans l’architecture civile. L’usage de la renoncule avait pris une particulière extension vers l’époque d’Ahmed III. Les conceptions décoratives des Arabes, Chinois, Hindous, Persans et Byzantins contribuèrent en partie aux progrès de l’art décoratif ottoman, avec lequel ils avaient de grands liens de parenté. Mais, dans toutes les évolutions de ces forces ornementales, se fait jour une tendance vers la calligraphie ottomane qui constituait chez les Turcs l’art graphique le plus estimé. La même tendance peut être remarquée dans l’art de l’écriture des Japonais. Les décorateurs et les enlumineurs ottomans reproduisirent, dans les écritures, les caractères et les formes ornementales dont ils se servaient pour la décoration des livres sacrés. [Illustration] La calligraphie chez les Turcs remplace l’iconographie des Byzantins. Ils ont pour l’écriture un respect sans bornes, qu’ils poussent même jusqu’à ramasser et à cacher dans un trou de mur les papiers qui traînent dans la rue, afin d’éviter qu’ils soient piétinés par les passants. Les Turcs ont plusieurs genres d’écriture: _Koufi_, _Djéli_, _Sulus_, _Rik-a_, _Taalik_, _Nesih et Divani_, dans lesquels les spécialistes ont réalisé de vraies merveilles par l’harmonie des courbes et l’attrait des entrecroisements, si enchevêtrés que les dessinateurs étrangers les plus experts ne sauraient en obtenir des copies. Ces écritures, qui entrent dans la décoration des édifices, sont pour les Turcs d’un prix inestimable. Elles remplacent chez eux les tableaux. Mais c’est un art qui semble décroître de jour en jour. [Illustration] _Faïence._--L’art de la faïence, un des éléments les plus en vogue dans la décoration, est originairement oriental: il doit remonter à l’émaillage des poteries pratiqué chez les anciens peuples d’Orient. L’histoire nous apprend que les Assyriens ornèrent, les premiers, les murs de leurs édifices de briques émaillées. Bien que la Mésopotamie et le Turkestan aient vu prospérer particulièrement cet art, c’est la Perse que l’on considère comme la patrie de la faïence. Les fouilles opérées jusqu’à ce jour n’ont pas encore donné de résultats qui permettent de se prononcer à cet égard. Il est permis de supposer que la mode d’émailler les briques et les vases en terre, déjà connue des Chinois, a été introduite en Perse par les Chaldéens. La conquête des Grecs fit disparaître cet art qui refleurit avec les Turcs et les Mongols. Chez les Seldjoucides, la mosaïque en faïence occupait une place très importante dans la décoration des édifices. Les Ottomans devinrent ensuite des maîtres dans ce métier, qui différait dans tous les pays, suivant la qualité des terres employées, la cuisson particulière à la contrée, et les secrets de coloration, jalousement gardés par chaque fabricant. A l’époque du sultan Mehmed Tchelebi, les fabriques fondées à Kutahié, à Nicée et à Brousse réalisèrent des œuvres magnifiques, qui, par la transparence inégalée des couleurs et la résistance de l’émail, ne sauraient être comparées aux faïences d’aujourd’hui. Les plus célèbres d’entre elles proviennent de Rhodes et de Nicée et ornent les mosquées de Constantinople. _Kalem._--La méthode du Kalem (fresque) était réservée à la décoration des parties les moins importantes des édifices. Elle remplaçait dans les habitations les carreaux de faïence dont on se servait pour les mosquées et les monuments religieux. Elle ornait les plafonds et les niches de paysages variés. La sculpture sur bois, l’incrustation de nacre, le damasquinage, à en juger par ce qu’on peut voir sur les _Mimber_, _Kursi_, _Rahlé_, étaient également arrivés à un degré de perfection qui s’affirmait aussi dans la menuiserie et l’ébénisterie. Cette dernière nous a laissé des portes composées de petits morceaux de bois si habilement ajustés les uns aux autres que les siècles écoulés ont été impuissants à les disjoindre. Les fenêtres étaient garnies de vitraux semblables à ceux des Arabes et des Byzantins, en verre coloré de différentes dimensions; ils étaient enchâssés dans des cadres de plâtre, et constituaient un motif de décoration plus ou moins luxueux, suivant les édifices auxquels ils étaient destinés. Ils étaient souvent ornés d’écritures saintes. Avant la conquête de Constantinople par les Turcs, la ville possédait déjà quelques mosquées dont la plus ancienne était celle d’Arab-Djami à Galata. Elle avait été construite en l’an 97 de l’Hégire par Muslimé-bin-Abdul Mélik après l’installation des Arabes. Quand ceux-ci l’abandonnèrent, elle devint une église latine. Elle eut à souffrir de la guerre, de l’incendie et des tremblements de terre. Après la prise de Constantinople, elle fut réparée et affectée de nouveau au culte, par les soins de la mère du sultan Mahmoud en 1222 de l’Hégire. Yer Alti Djami (mosquée souterraine) appartient aussi à une époque antérieure à la conquête turque. Les Arabes avaient leur mosquée, aujourd’hui disparue, dans la ville même, à Stamboul, près du quartier des Génois. Les deux autres, qui subsistent encore, ne présentent aucun rapport avec les édifices turcs. CHAPITRE II LES ÉDIFICES OTTOMANS I.--LES MOSQUÉES MOSQUÉE DE BAYAZID Elle a été construite de 906 à 911 par Bajazet II, le successeur et le fils du Conquérant, sur l’ancien forum Tauri. Son architecte Haïreddin fixa d’une façon précise la forme des chapiteaux et ouvrit ainsi une nouvelle voie à l’architecture ottomane. La mosquée est précédée d’un parvis ou cour à colonnades, que recouvrent des coupoles supportées par des arcades en ogive où alternent le marbre rose et le marbre blanc. Chaque colonne est surmontée de chapiteaux ornés de stalactites. Au centre de la cour une fontaine sert aux ablutions (_chadrivan_). On entre dans la cour par trois portes, l’une s’ouvrant sur la façade et les deux autres sur les deux côtés; les quelques cyprès qu’on y a laissés lui donnent un aspect très pittoresque; lors de la fondation, des pigeons y élurent domicile et, depuis cette époque, les magnifiques galeries sont traversées par le vol des pigeons gris, bleus et argentés. La légende rapporte «qu’un couple de pigeons avait été acheté par le Sultan fondateur à une pauvre veuve et que depuis, ils se seraient multipliés.» Mais la présence des oiseaux n’a réellement pas besoin d’être expliquée; dans la cour de chaque mosquée, on les trouve en grand nombre; les fidèles les nourrissent de grains achetés chez un vendeur _ad hoc_ et qu’ils jettent eux-mêmes aux pigeons, poussés par un sentiment de piété ou dans l’espoir d’obtenir soit la guérison d’un malade, soit la réussite d’une affaire. [Illustration: Pl. 38. MOSQUÉE DU SULTAN AHMED Ier ET HIPPODROME.] L’intérieur de la mosquée est splendide. Il présente un ensemble harmonieux et simple dont l’architecture, bien qu’elle en soit encore différente, rappelle, plus que toute autre mosquée de Constantinople, celle des mosquées de Brousse. La coupole, d’une forme gracieuse, repose sur quatre grands piliers. Le côté dirigé vers la Mecque renferme le Mihrab merveilleusement travaillé, au-dessus duquel s’ouvrent des fenêtres dont la disposition est semblable à celle qui caractérise les fenêtres de Yéchil-Djami à Brousse. Cinq portes permettent l’accès dans la mosquée. La porte principale de la mosquée, qui seule communique avec la cour, (_Harim_ ou _Avlou_) se trouve située en face du Mihrab. Deux autres s’ouvrant en dehors de la cour, à une égale distance de la porte principale, communiquent avec les deux autres attenant à l’édifice. Les deux autres enfin, placées sur les côtés de la nef centrale, se font face, à proximité des piliers inférieurs. Chacune des deux arcades latérales qui supportent la coupole est divisée en deux arcades plus petites soutenues par deux immenses colonnes en porphyre rouge d’un mètre de diamètre, ornées d’un gigantesque chapiteau en marbre, artistement sculpté de stalactites. Peut-être ces colonnes sont-elles les mêmes que celles qui existaient au forum Tauri, où la mosquée fut bâtie. Au-dessus des deux arcades qui reposent sur la colonne et relient les deux piliers, des fenêtres ogivales et rondes s’ouvrent sur deux rangées. La disposition du plan est très intéressante. En entrant par la porte principale, deux ailes s’ouvrent à droite et à gauche, débordant les parties latérales de la nef et possédant chacune une entrée spéciale. Ces ailes n’ont aucun rapport avec la nef centrale. Elle forment une sorte de narthex, recouvert d’arcades en ogive. Si l’on se place à une extrémité quelconque de ces ailes, on a le spectacle grandiose d’une sorte de longue galerie à voûte, rappelant les réfectoires du moyen âge. Cette disposition a permis à l’architecte de créer dans la perspective intérieure du monument une variété de points de vue qui rompt la monotonie résultant ordinairement d’un plan carré; on ne la rencontre que dans cette mosquée. [Illustration: Plan de la mosquée de Bayazid.] La tribune impériale, en marbre ciselé, se trouve à l’angle droit du mihrab, sur des colonnes. La tribune des muezzins, également en marbre et supportée par des colonnes, est adossée au pilier droit à l’entrée de la porte principale, qui est surmontée d’une galerie assise sur une rangée de consoles de marbre. Sur la porte principale, du côté de la cour, une plaque indique en lettres dorées, calligraphiées par le célèbre Hamdoullah, la date de la construction de cette mosquée. و قد و قع الابتداء بالبناء فى لواخر ذى الحجة لسنة ست و تسعمائه ٩٠٦ واتفق الاتمام فى سنه احدى عشر و تسعمائه ٩١١ «La construction a été commencée vers les derniers jours du mois de Zilhidjé de l’an 906 et terminée en l’an 911 de l’Hégire.» Hadikatul Djevami cite les noms d’Emin bey et de Hassan halifé comme étant deux des intendants de la mosquée désignés par le Sultan. Cette fonction était alors particulièrement recherchée. L’excédent des matériaux, ajoute le même livre, servit à Mehmed saïd effendi, moutemet (intendant) de la construction, pour élever une petite mosquée à Dizdarié. La coupole de la mosquée est couverte en plomb et est ornée à son sommet d’un alem d’or en forme de croissant. L’alem qui orne généralement le faîte de chaque coupole a plutôt la forme d’une corne double que d’un croissant. Son origine doit remonter aux Égyptiens, chez qui la corne était le symbole de la force. Les Turcs la fixaient aussi à l’extrémité de la hampe de leurs étendards. De même que les autres grandes mosquées, celle-ci compte plusieurs dépendances, telles que l’imaret et la bibliothèque. La bibliothèque, restaurée dernièrement, est la plus grande de la ville. Plusieurs manuscrits de grande valeur y sont conservés. Elle fut fondée par Veliuddin effendi, Cheih-ul-islam. Tous les livres parus en turc jusqu’à nos jours y sont à la disposition du public. L’aspect intérieur n’est plus le même qu’au temps passé. On y voyait jadis des pupitres très bas disposés sur le plancher couvert de nattes. Le public se mettait à genoux devant ces pupitres à la mode ancienne. Les costumes qu’on porte aujourd’hui exigèrent une installation moderne et ces pupitres (_rahlés_) furent remplacés par des tables, des fauteuils et des chaises. Dans le jardin, derrière la mosquée, se trouve la sépulture (_turbé_) de Bajazet II, mort en 1512. Ce tombeau fut construit sous Sélim. MOSQUÉE DE SÉLIM Ier Une des plus grandes mosquées bâties à Constantinople, après celles de Bayazid, est la mosquée de Sélim Ier, construite par l’architecte Sinan en 929, sur la cinquième colline qui domine la Corne d’Or; elle fut élevée en mémoire de Sélim Ier, père du sultan Suleïman, qui régnait alors. Elle se trouve tout près de la citerne ouverte de Bonus et peut être vue de tous les points de la ville. Elle a deux minarets. Un _Avlou_, dallé de marbre, pareil à celui de la mosquée de Bayazid, et entouré d’une galerie à colonnades surmontée de petites coupoles, mène à l’entrée du monument. On pénètre dans la cour par trois portes, une principale et deux autres latérales, toutes les trois en forme de niches ornées de stalactites. A côté des portes latérales, il en existe une petite, de forme ogivale, qui conduit aux escaliers des minarets. Dix-huit colonnes, rangées sur une estrade de marbre surélevée de 0m,50 au-dessus du sol, entourent la cour et supportent des arcades en ogive surbaissée. Sur le mur, de deux en deux colonnes, sont disposées des fenêtres également en ogive et dont les tympans sont ornés de faïences magnifiques. Un _chadrivan_ destiné aux ablutions est placé au milieu de la cour: c’est un bassin à bords relevés, rempli d’eau et entouré d’un grillage en fil de fer pour empêcher les oiseaux d’y pénétrer. Au bord du bassin s’ouvrent sur une même ligne de nombreux robinets. Le chadrivan est abrité par un toit en bois, reposant sur des colonnes de marbre, à chapiteaux taillés en losange. Des cyprès et des arbres plantés tout autour donnent à cette cour un aspect caractéristique. La porte principale, remarquable par la beauté et l’harmonie des lignes, suffirait à témoigner de la valeur de son architecte. Elle offre une grande ressemblance avec celle de Bayazid construite par Haïreddin, maître de Sinan. Cette analogie peut être constatée jusque dans la décoration des petites colonnes en marbre engagées dans les angles du mur. Le portail, orné de très belles stalactites, porte en lettres dorées et sculptées l’inscription suivante: ‏ ‏يأمى النشاء هذ الجامع الشريف سلطان الاكرم سلاطين العرب و العجم مالك البرين و البحرين خادم الحرمين الشريفين السلطان ابن السلطان السلطان سلطان سليم خان ابن السلطان سلطان بايزيد خان ابن السلطان ابو الفتح سلطان محمد خان خلداللّه ملكه و سلطانه و بذلك المباركة عنى فى شهر محرم الحرام لسبنة تسع و عشرين و تسعمائه ‎ En voici la traduction: «Cette mosquée vénérable fut érigée par ordre du magnanime Sultan des sultans arabes et adjems[78], maître des terres et des mers, serviteur des Haremeïn-u-Cherifeïn (la Mecque et Médine), Sultan, fils de sultans, sultan Sélim Khan, fils du sultan Méhmed le Conquérant. Que Dieu protège son pays et son trône ainsi que ce saint édifice érigé au mois de Mouharrem 929 de l’Hégire.» [78] Ce mot que les Turcs emploient pour désigner les Persans indiquait, chez les Arabes, tous les peuples non-Arabes. [Illustration: Pl. 39. MOSQUÉE D’AHMED Ier.--Intérieur.] Sous la porte principale de la mosquée, conduisant à l’intérieur, le dallage est fait d’un bloc de porphyre, moins sujet que le marbre à l’usure. L’intérieur de la mosquée est des plus simples: il ne possède ni arcades ni colonnes. Le plan est carré. La coupole, de proportions assez imposantes, repose sur quatre arcs formés par les murs latéraux. Il est facile de voir que cette œuvre est une des premières du maître Sinan. Sur chaque côté s’ouvrent des fenêtres avec tympan en ogive, décoré de jolies faïences. La tribune impériale et la tribune des Muezzins, supportées par des colonnes, sont quadrangulaires. Le Mihrab, le Mimber, ainsi que les portes, sont travaillés avec une magnificence incomparable. Les deux grands candélabres en bronze du Mihrab, entre autres, sont de pures merveilles. Outre la porte principale, deux autres portes latérales conduisent à l’intérieur. Ces portes sont précédées d’un long vestibule, recouvert d’un dôme et entouré de plusieurs pièces réservées aux personnages de la mosquée et de la cour. Cette curieuse disposition est unique et peut, pour l’originalité, être comparée aux deux ailes de la mosquée de Bayazid. Les dômes des deux vestibules, avec leurs petits tambours à fenêtres et leurs décorations en losange, rappellent la coupole de Yéchil Djami à Brousse. Hors de la mosquée, du côté du Mihrab, on remarque plusieurs turbés (tombes) dont l’une renferme le corps du sultan Sélim, le conquérant de l’Égypte. Tous ces turbés sont d’une forme octogonale et garnis d’un dôme dont la couverture est faite de plaques de plomb en forme d’écailles aux coins arrondis, comme celle du turbé de Chahzadé. Une colonnade surmontée d’un toit précède la porte de chaque turbé. Celle qui mène au turbé de Sélim est recouverte d’un vitrage qui en fait comme un vestibule, pouvant en même temps servir de chambre pour la garde du tombeau. Les deux côtés de la porte sont ornés de deux panneaux de faïence d’une décoration pleine de goût: le travail des portes est également merveilleux. Le cercueil est protégé par une balustrade en noyer incrusté de nacre. Le turbé renferme aussi de très beaux exemplaires du Coran, ouverts sur de somptueux pupitres et des coffres où l’on conserve les reliques. Un autre turbé, voisin de celui de Sélim Ier, renferme un tombeau portant une inscription sculptée sur la pierre, et orné de panneaux en faïence qui constituent de réels chefs-d’œuvre. MOSQUÉE DE CHAHZADÉ Cette mosquée fut bâtie par le fameux architecte Sinan, sur l’ordre du sultan Suleïman, en mémoire de ses deux fils, les princes Mehmed et Moustafa Djihanguir, morts à la suite des intrigues de leur belle-mère Roxelane[79], _Haceki Khourrêm Sultane_. Le sultan Suleïman, ayant plus tard reconnu son injustice, voulut la réparer en quelque sorte en faisant construire cette mosquée qui fut nommée _Chahzadé sultan Mehmed Djamissi_. La date de l’achèvement de la mosquée est indiquée par un vers placé sur le frontispice du turbé. [79] Roxelane, née en Galicie, fut d’abord une esclave. Devenue ensuite l’épouse préférée de Suleïman, elle acquit sur lui une très grande influence. Désireuse d’assurer l’avenir de son fils, Sélim II, elle gagna à sa cause Rustem pacha, le mari de sa fille, princesse Mihrimah sultane, qui accusa le prince Moustafa, né, ainsi que son frère Djihan, de la sultane Masseki, d’avoir des intentions de révolte contre son père. Suleïman, convaincu de la trahison de son fils Moustafa, partit avec l’armée à Erégli, où il invita Moustafa à venir dans sa tente, où il le fit étrangler. Le prince Djihanguir lié par une profonde amitié à son frère Moustafa en conçut une douleur telle qu’il mourut peu après. Son père pour apaiser ses remords construisit, sur les hauteurs de Foundoukli, une mosquée qu’il appela mosquée de Djihanguir. Ce prince, surnommé Chahzadé, fut enterré avec les restes de son frère dans un turbé situé près de cette mosquée. Cette mosquée, d’un style très gracieux, marque le commencement de l’âge d’or de l’architecture ottomane. C’est un édifice carré surmonté d’une grande coupole. On y entre par trois portes. Quatre demi-coupoles s’appuient sur les bas côtés. Ces demi-coupoles sont supportées à l’intérieur par quatre grands arcs posant sur des piliers octogonaux dont la partie cylindrique supérieure est cannelée. Les petites colonnettes qui sont adossées aux coins du portail ne sont pas aussi richement décorées que celles de la mosquée de Sélim. L’aspect de l’intérieur est splendide. Les vitraux sont d’une décoration très artistique; malheureusement l’ensemble est gâté par d’horribles peintures à la chaux qui ne permettent guère de reconnaître le caractère de l’art ottoman. Aux quatre points de jonction des demi-coupoles, sont posées de petites tourelles cylindriques massives qui servent de contreforts. Le parvis est formé d’une galerie à arcades, ornée de marbre blanc alternant avec du marbre rouge. Ces arcades sont soutenues par des colonnes de granit et de marbre. De chaque côté du parvis se dressent deux élégants minarets de forme polygonale, ornés de nervures et d’ornements en relief, différant un peu de ceux qu’on voit d’ordinaire. Chacun d’eux est surmonté d’un balcon (_cherifé_) avec encorbellements sculptés. La construction de cette mosquée dura cinq ans et coûta 151 _Yuks d’Akhtché_, soit à peu près 13 millions de francs. Le turbé qui contient les restes des princes, fils de Suleïman, est situé à l’est de la mosquée; il a une forme octogonale. Les huit façades extérieures sont en marbre sculpté et se terminent par une galerie ornée de larges trèfles, découpés à jour. Deux rangées de fenêtres entourent le monument. Celles du bas sont quadrangulaires, celles du haut sont ogivales. A partir du sol jusqu’au-dessus de la deuxième rangée de fenêtres, les angles de l’octogone sont limités par des cordons d’ordre cristallisé. Au-dessus des galeries de trèfles, le turbé se transforme et devient circulaire, près du tambour qui sert de base à la coupole. La toiture en plomb est faite d’écailles aux côtes arrondies qui vont en se rapetissant jusqu’au point le plus élevé de la coupole où est fixé l’alem. On accède au turbé par un péristyle, formé de quatre colonnes dont deux sont en marbre rouge et deux autres en marbre vert antique. Sur la porte on lit une inscription en lettres dorées. Ce péristyle est couvert d’une petite coupole ronde. De chaque côté de la porte d’entrée se trouvent des panneaux en faïence, représentant des rinceaux d’un beau dessin. La porte et les boiseries de ce péristyle sont dignes d’attirer tout spécialement l’attention des artistes décorateurs. Les battants de la porte de chêne sont ornés d’ivoire et d’ébène. L’intérieur du turbé présente un aspect des plus pittoresques. La lumière y pénètre par deux rangées de fenêtres, au nombre de trente-deux (quatre sur chaque face de l’octogone) et garnies de vitraux aux couleurs variées. Depuis le sol jusqu’à la frise ornant la base de la coupole, les murs sont revêtus de panneaux peints sur émail, décorés comme ceux du péristyle. Au-dessus de chaque fenêtre, sur un panneau également en faïence, des fleurs entrelacées et brodées d’or encadrent des versets inscrits en lettres blanches sur un fond bleu foncé. La coupole est ornée de fleurs et de feuillages verts formant médaillons sur fond blanc. Le sol en marbre est couvert de tapis. La dépouille du prince se trouve au milieu de l’édifice entre le tombeau de son frère et celui de sa femme. Au-dessus se dresse une sorte de dais impérial, haut de quatre mètres, en bois de noyer orné de rosaces géométriques découpées à jour avec inscrustations de nacre. [Illustration: Pl. 40. MOSQUÉE D’AHMED IER.--Mimber.] MOSQUÉE SULEÏMANIÉ Parmi les grands édifices et les mosquées que le sultan Suleïman le législateur a fait construire, la mosquée qui porte son nom est la plus imposante. Cette mosquée, construite également par l’architecte Sinan de 1556 à 1566, est le véritable chef-d’œuvre de l’art ottoman. Elle s’élève majestueusement sur le sommet d’une colline qui domine la Corne d’Or. Son emplacement est merveilleusement choisi et son immense enceinte plantée de cyprès et de platanes lui fait un cadre d’un charme extraordinaire. La pureté de son style et l’harmonie de ses contours se dessinent sur un site féérique. Sinan disait, dans un ouvrage écrit de sa main, que la mosquée de Chahzadé était son œuvre d’apprenti, la mosquée de Suleïmanié, son œuvre de bon ouvrier et celle de Sélim à Andrinople, son œuvre de maître. A chaque coin du parvis se trouve un minaret à trois et deux galeries ornées de magnifiques stalactites. Les deux minarets qui sont le plus rapprochés de la coupole sont plus grands que les deux autres. Chaque _cherifé_ a son escalier exclusivement réservé; trois personnes peuvent monter à la galerie ou en descendre en même temps sans se rencontrer. Tout l’édifice est conçu selon la forme d’un immense triangle et l’inégalité de grandeur qui existe entre les minarets produit un effet de perspective des plus heureux. [Illustration: Plan de la mosquée Suléïmanié.] Par le nombre de ces galeries, l’architecte a voulu symboliser l’ordre qui caractérisa le règne de son fondateur, en même temps qu’imposer par ce chiffre 4 le souvenir de ce fondateur, IVme Sultan depuis la prise de Constantinople. Ses _chérifés_, au nombre de dix, indiquaient qu’il était également le dixième empereur depuis la fondation de l’Empire ottoman. Trois belles portes font communiquer la porte extérieure avec le parvis; l’une se trouve sur la façade principale et les deux autres sur les côtés. Sur la grande porte de la façade on lit en grosses lettres la formule de l’islam: لا اله الا اللّه محمد رسول اللّه «Il n’y a qu’un seul Dieu, Mouhammed est son prophète», au-dessus d’une autre formule concernant la prière: ان الصلوة على المؤمنين كتاباً موقوناً Le parvis est entouré d’un cloître de vingt-quatre arcades soutenues par un même nombre de colonnes, dont douze sont en granit rose, dix en marbre blanc et les deux autres qui se trouvent près de la porte principale, en porphyre. Toutes ces colonnes sont surmontées de chapiteaux de marbre sculptés en forme de stalactites et dont les arêtes étaient dorées. Chacune de ces arcades est surmontée d’une petite coupole. La coupole qui se trouve devant la porte d’entrée de la nef est la plus grande; elle est ornée de pendentifs en stalactites. Le dallage du parvis est en marbre blanc. Au centre se trouve un _chadrivan_ (fontaine) de forme carrée, couvert d’un toit en plomb. Les quatre façades de cette fontaine sont munies d’un grillage en bronze percé à jour d’intéressants motifs de décoration. Au-dessus de ce grillage courent des frises en marbre blanc. Des colonnes à chapiteaux de différents ordres supportent sur les façades extérieures des côtés latéraux de la mosquée des galeries à deux étages. Ces galeries ne semblent guère avoir été mises là que pour concourir à la beauté de l’ensemble. La galerie du premier étage est à arcades ogivales alternant avec d’autres arcades plus petites. Celles d’en haut sont plus étroites et plus petites. Sous les galeries, au niveau du sol, des robinets sont disposés tout le long du mur pour les ablutions. Du côté du parvis, on entre dans la mosquée par une grande porte en marbre, ayant la forme d’une mitre en stalactite aux arêtes dorées. [Illustration: Mosquée Suléïmanié; coupe.] Chaque fenêtre est surmontée d’un tympan en ogive orné de faïences sur laquelle se dessinent les belles écritures saintes en langue arabe. L’intérieur de la mosquée mesure 69 mètres de long sur 63 de large. Quatre gigantesques piliers massifs carrés supportent la coupole de la nef centrale. Entre ces piliers se dressent, de chaque côté, des galeries latérales réservées aux grands personnages pendant la cérémonie du Sélamlik. Ces tribunes sont supportées par deux colonnes de marbre; quatre énormes colonnes de porphyre soutiennent les arcades latérales qui supportent la coupole. D’après le livre de Sa-ï sur l’œuvre de Sinan, une de ces colonnes est celle qui portait jadis la colonne de la virginité aux environs des Saints-Apôtres. Son «Tezkeretulbunyan» raconte même les difficultés qu’on eut pour la transporter. Elle était plus haute que les autres et on dut la raccourcir. Une autre de ces colonnes, probablement celle qui portait la statue de l’Empereur, a été amenée du palais. Les deux autres colonnes viennent d’Iskenderoun (Alexandrette). [Illustration: Mosquée Suléïmanié; coupe.] Deux escaliers pratiqués près de la porte d’entrée conduisent à la première galerie. Les deux galeries supérieures ne sont accessibles qu’au moyen d’échelles en bois appliquées aux fenêtres s’ouvrant sur la toiture. Au centre s’élève la grande coupole de 71 mètres de hauteur (de 6 mètres plus haute que la coupole de Sainte-Sophie). Des candélabres en fer ciselé qui portent des luminaires à l’huile y sont suspendus par de longues chaînes. On les allume pendant les prières de nuit et surtout pendant le _Ramazan_. Une des galeries supérieures, formant la rotonde autour du tambour et où l’on ne peut monter que par des échelles appliquées sur la toiture, présente un très intéressant phénomène d’acoustique. Le _Mihrab_ est en marbre sculpté de magnifiques stalactites rehaussées d’or. Le _Mimber_, qui est placé à la droite du _Mihrab_, est composé de grandes pièces de marbre merveilleusement sculpté. La tribune impériale, également en marbre blanc, est supportée par des colonnes en porphyre ornées de chapiteaux en marbre d’ordre cristallisé. La porte de cette tribune, ainsi que plusieurs autres portes de la mosquée, est en noyer orné de rosaces géométriques. Le _Kursi_ (chaire) qui se trouve placé près de la tribune impériale, est un des chefs-d’œuvre de la sculpture en bois; le noyer en est très artistiquement découpé et travaillé. Près du pied droit de la coupole s’appuie la tribune des muezzines construite en marbre orné de sculptures en stalactites. La décoration est des plus soignées, jusque dans les moindres coins et dans les moindres détails. De grandes rosaces de faïence portant des écritures en blanc sur fond bleu décorent les deux côtés du Mihrab. Elles sont d’une très grande valeur artistique. Les écritures du célèbre calligraphe Hassan Karahissai ornent l’intérieur. Les fenêtres sont garnies de beaux vitraux en couleur à encadrement de plâtre, fabriqués, d’après de Hammer, par Serhoch Ibrahim (Ibrahim l’ivrogne). Sous le porche, à l’intérieur du Djami, devant la porte principale est placée une dalle ronde en porphyre d’une seule pièce et d’un diamètre d’environ deux mètres. Une légende raconte qu’un des ouvriers grecs, qui travaillaient à la construction, poussé par le sentiment religieux, aurait gravé secrètement une petite croix sur cette pierre qui était destinée à orner la place près du Mihrab. Cet ouvrier fut exécuté en présence du Sultan, qui était entré dans une violente colère. Quant au porphyre, qui était ainsi devenu impropre à servir dans la mosquée, il aurait été mis devant l’entrée principale de la nef, le côté portant la croix tourné contre terre. Mais, si on observe les dallages des autres mosquées, à l’endroit des portes où le public passe très souvent, on remarque qu’ils sont tous de forme ronde et en porphyre, afin d’offrir plus de résistance. Cette pierre ne pouvait donc être destinée qu’à la place qu’elle occupe actuellement. Quant à la croix, il est étrange qu’un ouvrier grec ait pu avoir l’audace de la graver devant un millier d’ouvriers musulmans qui travaillaient avec lui: et si l’on va même jusqu’à admettre que la croix ait été réellement gravée, il eût été facile de la faire disparaître et de rendre à la pierre sa destination primitive. Cette légende n’a jamais été qu’une calomnie. La cour extérieure de la mosquée est entourée de nombreuses dépendances, parmi lesquelles des _imarets_ (sortes de cantines) pour les étudiants et les pauvres; quatre _médressés_ (écoles supérieures) et une école primaire; une école de médecine, un hôpital pour les pauvres et un hospice. D’après un architecte, la mosquée aurait coûté 597 _Yuk_ et 60.180 _aktché_, soit 59 millions _aktché_; 60 _aktché_ équivalaient à un _sikké_; le _sikké_ ou _gourouche_ du temps du sultan Suleïman, est évalué par M. Belin, en monnaie medjadié, à 50 piastres et 27 paras. Cette somme représentait alors à peu près 54 millions de piastres, soit 10 millions de francs. LE TURBÉ DU SULTAN SULEÏMAN LE LÉGISLATEUR Le turbé de Suleïman est situé à l’est de la mosquée, dans un cimetière qui contient les restes des hauts personnages. C’est un monument de forme octogonale surmonté d’une coupole. Une galerie l’entoure extérieurement, recouverte d’un toit supporté par 29 colonnes, dont 27 ont des chapiteaux en losanges, et les deux autres sur la façade sont ornées de stalactites. Quatre colonnes vert antique à chapiteaux cristallisés forment une sorte de péristyle qui sert de vestibule à l’entrée. A chaque angle extérieur du monument est appliqué un cordon en porphyre. Deux riches panneaux en faïence revêtent les murs des deux côtés de la porte d’entrée. Au-dessus de la porte, une plaque verte porte en lettres dorées la date de la mort du Sultan, 674 de l’Hégire (1566). A l’intérieur, la coupole est ornée de morceaux de cristal de roche, taillés en rose et dont des émeraudes forment le cœur. De magnifiques lustres descendent de la coupole. Huit arcades ogivales, reposant sur huit colonnes de marbre et de porphyre, soutiennent cette coupole. Ces colonnes se trouvent à 1m,50 des parois de l’édifice, qui sont ornées de faïences, et, au-dessus, d’une large frise en faïence bleue portant des versets du Coran en lettres blanches. Cette galerie est éclairée par des niches en arcade munies chacune de six fenêtres accouplées deux à deux et dont les vitraux sont maintenus par des bandes de plâtre ajouré. [Illustration: Pl. 41. MOSQUÉE DE YENI DJAMI.] Une balustrade en noyer sculpté et incrusté de nacre entoure les cercueils du sultan et de ses enfants, Suleïman II et Ahmed II. Des châles, des étoffes brodées d’une grande valeur, recouvrent les cercueils. Sur le côté correspondant à la tête sont déposées les coiffures des défunts, turbans blancs avec aigrette impériale formée de plumes. Deux grands candélabres se dressent de chaque côté du cercueil. Un magnifique pupitre sculpté porte des Corans manuscrits. Une carte en relief de La Mecque orne le mur. Près de ce monument se trouve le turbé de Roxelane, épouse de Suleïman. Cette construction a également une forme octogonale et est ornée de faïences peintes et de magnifiques sculptures. MOSQUÉE D’AHMED Ier Sur l’emplacement de l’ancien palais byzantin, à l’est de l’hippodrome, le sultan Ahmed Ier a fait bâtir, en 1610, une mosquée qui fut nommée _Ahmedié_. Elle remplaça un ancien _tekké_ de l’ordre des _Kadiriyah_. L’édifice est précédé, comme les autres mosquées, d’une cour très spacieuse à galeries couvertes par quarante petites coupoles que supportent des colonnes en granit. Au centre de la cour se trouve un _chadrivan_, entouré de six colonnes à arcades ogivales. Une rampe, partant de la cour extérieure à gauche, conduit à la tribune impériale, d’où le Sultan peut se rendre à cheval jusqu’à ses appartements privés, à l’intérieur de la mosquée. La grande coupole de la mosquée est posée sur un tambour sur lequel s’appuient quatre demi-coupoles hémisphériques. Aux quatre angles formés par l’intersection des demi-coupoles, s’élèvent de petites tourelles octogonales couvertes chacune par une coupole surbaissée, formée d’écailles aux côtés arrondis qui s’abaissent du faîte à la base et s’unissent au sommet de la coupole. La mosquée possède six minarets dont deux à deux galeries et les quatre autres à trois galeries. Sur les deux côtés latéraux du parvis s’aligne une rangée de fontaines, surmontées d’une galerie à arcades qui se composent alternativement d’une grande et d’une petite ogive et qui semblent être copiées sur les arcades latérales de la mosquée. Derrière les galeries, des fenêtres s’ouvrent sur le parvis. L’intérieur de la mosquée a un aspect très imposant; il se dégage de cet intérieur une impression de grandeur et de gaieté qu’on ne trouve dans aucune autre mosquée. Son architecte Mehmed aga, voulant se distinguer de ses maîtres, réussit, grâce à une puissante originalité, à créer une perspective remarquable. L’édifice couvre un rectangle de 72 mètres sur 64. Le dôme qui mesure 33m,60 de diamètre est soutenu par quatre piliers circulaires en marbre de 5 mètres de diamètre. Du côté de la porte, deux fontaines sont adossées aux deux piliers. Ces piliers sont ornés en partie de cannelures que surmontent des inscriptions en frise; d’autres colonnes en marbre, surmontées d’arcs en ogive, supportent les galeries qui entourent les murs latéraux. Tous les murs, depuis le sol jusqu’aux fenêtres supérieures, sont revêtus de faïences coloriées et fleuries bleues, vertes et blanches. De grandes inscriptions en arabe, dues au célèbre calligraphe _Cassim Goubari_ et indiquant les noms des _sahabés_, sont suspendues aux murs. Le Mihrab, qui est en marbre sculpté, est un chef-d’œuvre. Parmi les faïences du Mihrab, on distingue un morceau de la pierre noire sacrée de La Mecque; de chaque côté du Mihrab on voit d’énormes candélabres en bronze portant des cierges gigantesques. Tout à côté sont posés sur des pupitres en noyer incrustés de nacre des Corans manuscrits. Le Mimber est des plus remarquables au point de vue décoratif. Malheureusement, les lignes étroites et sans proportion des châssis des fenêtres nuisent beaucoup à l’effet. En outre, la mosquée a perdu ses anciens vitraux que l’ouvrage de D’Ohsson nous présente tels qu’ils étaient en 1787; les vitres ordinaires qui les ont remplacés laissent pénétrer à l’intérieur une lumière trop crue, qui empêche de bien goûter le coloris si richement nuancé des faïences tapissant les murs. Pour ces raisons, au lieu de présenter l’atmosphère mystique et discrète qui caractérise l’intérieur de la Suléïmanié, la mosquée d’Ahmed, où la lumière pénètre à flots, évoque plutôt la magnificence d’un palais. C’est dans cette mosquée que fut proclamé en 1826 le décret de Mahmoud II abolissant le corps des janissaires. L’enceinte très vaste de la mosquée est entourée de grands murs à fenêtres. Dans la cour plusieurs grands arbres, s’harmonisant avec les lignes de l’édifice, ajoutent une note pittoresque à l’aspect de l’ensemble. Près de la mosquée s’élève le turbé d’Ahmed Ier. Ce turbé est précédé d’un parvis et d’une seconde pièce. A l’intérieur, huit colonnes supportent une coupole recouverte de faïences. Au milieu de cette coupole se trouve le cercueil du fondateur de la mosquée, entouré de ceux de ses enfants et de son épouse Mahpeïker. MOSQUÉE DE YENI DJAMI Yeni Djami (nouvelle mosquée) est située en face du pont qui relie Galata à Stamboul. Elle a été construite par l’architecte _Kodja Kassim_ en mémoire de la Validé Sultane, au centre très animé de Stamboul. Sa construction fut commencée en 1614 sous les auspices de la sultane _Keusem-Mahpeïker_, épouse d’Ahmed Ier et grand-mère du sultan Mehmed IV. Cette sultane mère, devenue trop puissante dans l’Empire, fut étranglée par des eunuques à la porte du _Kouchané_, sous le règne de son petit-fils Murad IV. Par suite de troubles politiques, la construction de la mosquée était restée inachevée. _Tarhan Hadidjé_, sultane mère du sultan Mehmed IV, et qui était la rivale de Keusem sultane, ordonna de reprendre les travaux qui furent terminés en l’an 1074 de l’Hégire. La mosquée est précédée comme les autres d’un parvis à trois portes monumentales, surmontées chacune d’un fronton, sous lequel on lit une inscription arabe sacrée concernant la prière. L’ensemble de la porte forme un cadre rectangulaire renfermant une arcade en ogive. La porte en plein cintre surbaissé et formée par des linteaux en marbre blanc et rouge se trouve enclavée sous cette ogive. Les murs élevés du parvis sont ajourés de fenêtres rectangulaires munies de lourdes grilles à dessins carrés. Au-dessus de chaque fenêtre se trouve une rangée de niches en ogive. Au milieu de la cour on voit le _chadrivan_. D’autres galeries à deux étages se trouvent appliquées aux côtés latéraux de la mosquée. Sous ces galeries, le long des murs, il y a des fontaines pour les ablutions. [Illustration: Pl. 42. MOSQUÉE DE YENI DJAMI.--Faïences de l’entrée des appartements du Sultan.] Du côté de la mer, près d’une sorte de tunnel passant sous les appartements privés des Sultans, on peut admirer la magnifique porte réservée aux souverains et qui sert seulement à conduire à la tribune impériale. Cette porte, une des plus belles œuvres de l’art ottoman, est en marbre sculpté et ajouré d’ornementations géométriques. Les portes du perron et de la galerie portent la lettre «vave» deux fois répétée et entrelacée. Cette lettre est le symbole du mot de هو un des noms mystiques de Dieu. A l’extérieur, quatre énormes contreforts ingénieusement dissimulés supportent l’immense coupole. [Illustration: La grande coupole de Yeni Djami.] Sur chacun de ces contreforts s’élèvent trois petites tourelles élégantes qui, s’étageant l’une sur l’autre, allègent l’aspect de cette masse. Les contreforts sont masqués par quatre lanternes de grandes dimensions. La grande coupole et les quatre demi-coupoles portent à leur base des rangées de fenêtres en ogives surbaissées pareilles à celles qui s’ouvrent sur les quatre faces de la mosquée. L’aspect général de l’intérieur est des plus imposants. Les murs sont par endroits ornés de faïences. La couleur bleue domine dans l’ensemble des tonalités. La tribune impériale, en face de laquelle se trouve la tribune des muezzines, est supportée par des colonnes en porphyre. La décoration des appartements privés, situés derrière cette tribune, constitue un véritable musée de l’art décoratif ottoman. Les faïences des cheminées et des murs sont ornées de dessins magnifiques, les vitraux des fenêtres sont superbes et les portes sont des merveilles de sculpture sur bois. La niche qui forme le Mihrab est ornée de magnifiques stalactites recouvertes d’or. Le Mimber est fait de morceaux de marbre, artistement sculptés, où s’entrelacent ingénieusement des rosaces géométriques. Le monument a coûté environ huit millions de francs. La mosquée possède comme dépendances une école primaire, une bibliothèque fondée par Ahmed III, un sébil (fontaine où l’on distribue l’eau aux passants), un grand turbé où sont enterrés le sultan Mehmed IV, fils de la seconde fondatrice, le sultan Moustafa II (1703) et son fils Ahmed III (1739), Mahmoud Ier (1754), Osman III (1757) et un grand nombre de princes et princesses, parmi lesquels les dix-huit enfants fils du sultan Ahmed III. L’aspect extérieur du turbé est très original. A l’intérieur, parmi d’autres petits cercueils, on remarque celui de la sultane Validé. MOSQUÉE DU SULTAN MEHMED LE CONQUÉRANT (FATIH) Cette mosquée fut élevée d’abord en 1471 par ordre du sultan Mehmed le Conquérant. Elle est située un peu plus loin vers le nord que l’emplacement où s’élevait jadis la fameuse église des Saints-Apôtres. La construction de la mosquée fut commencée en l’an 867 de l’Hégire et terminée en 875, c’est-à-dire huit ans après, ainsi que l’indique une inscription sur la porte. Un tremblement de terre survenu en l’an 1179, le troisième jour du _Kourban Baïram_ (fêtes des sacrifices), une heure après le lever du soleil, l’avait horriblement endommagée. La coupole, totalement démolie, a été reconstruite à nouveau en 1181-1185. Nous manquons malheureusement de détails sur la forme première de cette construction, qui a marqué le début d’une nouvelle période architecturale. Dans la description que nous en donne _Hadi katul Djevami_, nous ne rencontrons que le passage suivant: «les deux grands pieds d’éléphants et les deux colonnes en porphyre, ayant été démolis et renversés, la coupole fut élevée sur quatre piliers: ces colonnes furent enterrées[80].» [80] Probablement par respect pour le matériel qui avait servi à la construction d’une mosquée. La mosquée est actuellement précédée d’un parvis avec des galeries, des arcades en ogive qui supportent de petites coupoles couvertes par des plaques de plomb. A l’extérieur, sur la façade principale du parvis, aux deux côtés de la porte, s’ouvrent des fenêtres rectangulaires surmontées d’un tympan en ogive orné d’inscriptions en mosaïque, qui proviennent probablement de la première construction de la mosquée. Au milieu du parvis (_avlou_) se dresse une fontaine de forme octogonale destinée aux ablutions. Les cyprès donnent à ce parvis un aspect très pittoresque. La grande coupole de la mosquée est soutenue par quatre demi-coupoles posées sur de grands piliers aux coins arrondis. Au dehors, quatre petites tourelles se dressent sur chaque contrefort pour en augmenter le poids et rehausser l’aspect de l’ensemble. Des deux côtés de la mosquée se trouvent deux minarets, entourés de deux galeries (_cherefé_) réservés aux muezzines qui y montent pour chanter l’_Ezan_ (l’appel aux prières). A l’intérieur et à la droite du portail, on voit une petite plaque en marbre qui porte en lettres d’or sur un fond vert foncé les paroles du prophète relatives à la conquête de Constantinople. لتفتحن القسطنطينية فلنعم الامير لتفتحن و فلنعم الجيش ذلك الجيش Voici la traduction: «On va conquérir Constantinople: quel honneur pour l’armée qui fera cette conquête et quelle gloire pour son chef.» Des deux côtés de la porte principale, sur des fenêtres, deux balcons permettent aux muezzines d’entendre la prière et de la répéter aux fidèles qui prient dehors. Le tombeau du sultan Mehmed le Conquérant se trouve devant la mosquée, qui possède comme autre dépendance des _médressés_, des _imarets_ et un hôpital. La porte qui conduit au _Mousalla_ date d’Ahmed III. Les grands personnages de l’État ont leur sépulture tout à côté de ce grand turbé. [Illustration: Pl. 43. MOSQUÉE DE YENI DJAMI.--Appartement du Sultan.] MOSQUÉE DE LALÉLI Cette mosquée, construite à la même époque que celle de Fatih, présente extérieurement de très grandes ressemblances avec elle. Elle est bâtie sur de profonds souterrains formant citerne. Elle est, comme les autres mosquées, précédée d’une cour à portiques, où l’on accède par un escalier en marbre. Les colonnes qui supportent les arcades sont d’une forme bizarre et inesthétique. On ne voit plus sur les chapiteaux les stalactites, si fréquemment employées dans l’art ottoman. Tout y est pauvre. Les chapiteaux sont formés d’un simple abaque en marbre orné d’une petite feuille aux quatre coins. Des deux côtés de la porte principale qui conduit à l’intérieur et à une certaine hauteur, on voit deux balcons, d’où l’on répétait la prière aux fidèles. L’intérieur est disposé d’une façon nouvelle. La base octogonale de la coupole est supportée par des colonnes engagées dans l’épaisseur du mur. La partie qui renferme le Mihrab est située hors de l’octogone formé par les colonnes. Les tribunes sont au-dessus de la porte. II.--LES FONTAINES و من الماء كل شى حى Ainsi que l’indique un verset du Coran qu’on rencontre à peu près sur toutes les fontaines, les musulmans considèrent l’eau comme la source de la vie. Ils sont en cela d’accord avec le chimiste qui attribuait l’origine des molécules à l’hydrogène. Tout personnage musulman, désireux de faire une œuvre, construisait pour le repos de son âme et celle de ses parents morts une fontaine où coulait une eau pure ou potable. A chaque pas, dans la ville, on rencontre des _tchechmés_ (fontaines) ou des _sébils_. Les _tchechmés_ sont de simples fontaines destinées à fournir l’eau potable que les porteurs d’eau, appelés _Sakha_, portent dans les maisons des quartiers avoisinants. Le _tchechmé_ consiste généralement en une construction de marbre appliquée au mur et terminée à son extrémité inférieure par un petit bassin. Souvent ces _tchechmés_ possèdent à leur partie supérieure un grand _satchak_ (toit avancé) pour abriter du soleil et de la pluie les gens qui prennent de l’eau. Les eaux amenées par des aqueducs alimentent de grands réservoirs en pierre qui se trouvent derrière chaque fontaine. Sur chacun de ces tchechmés se trouve enclavée dans le mur une plaque de marbre sculptée et dorée, qui porte le nom des fondateurs de la fontaine et la date de sa fondation (chronogramme). Sur tous les monuments élevés par les musulmans la date est indiquée, en général, par la somme des valeurs correspondant aux lettres du dernier vers. Chaque lettre, selon la classification des Arabes, correspond à un numéro d’ordre. Le total des chiffres qui composent ainsi le dernier vers de l’inscription indique la date. Les poètes s’efforçaient de réunir dans le dernier hémistiche leur nom, celui du fondateur et la date de la fondation. Les vers sculptés sur la pierre en caractères dorés contribuent beaucoup à l’ornementation, grâce à la forme décorative des lettres orientales. Quant aux _sébils_, ils sont d’ordinaire situés dans les endroits publics près des mosquées, et un homme est chargé de remplir les gobelets en bronze vidés par les buveurs et qui restent attachés par des chaînes aux grillages des _sébils_. Ces grillages, qui sont souvent en bronze ajouré et ciselé de magnifiques ornementations, produisent généralement un grand effet décoratif. Les gobelets mis à la disposition des passants portent souvent, à l’intérieur, des versets du Coran qui rendent sacrée l’eau qu’on boit. Les sébils se composent de plusieurs pièces surveillées par le gardien. La fontaine du sultan Ahmed III, près du vieux sérail, possède ces deux genres de _tchechmés_ et de _sébils_. Elle est située à côté de Sainte-Sophie, près de la porte du vieux sérail dite _Bab-i-Humayoun_, probablement sur l’emplacement de l’ancienne fontaine byzantine qui s’appelait Géranion. On dit que le croquis de cette fontaine a été établi par le sultan Ahmed III lui-même. Des vers de sa composition, sculptés en lettres d’or sur les plaques de marbre, décorent richement la fontaine. Quelques-uns de ces vers sont empruntés aux plus fameux poètes de l’époque et célèbrent les louanges de Dieu et du souverain. Comme nous venons de le dire, cette fontaine réunit les deux principaux genres en usage à Constantinople: _sébil_ et _tchechmé_, qu’on rencontre ailleurs séparément. La fontaine est comprise dans un carré ayant à chaque angle des parties semi-circulaires où sont installés quatre sébils. Quatre fontaines sont placées dans les espaces libres entre les sébils; à la droite et à la gauche de chaque fontaine sont creusées deux niches ornées de stalactites. Des fleurs ornementales finement sculptées sur des plaques de marbre précieux, encadrent des inscriptions rehaussées d’or, au milieu des frises en faïence qui décorent les quatre façades. Les sébils sont garnis de grilles en bronze magnifiquement ciselées. La fontaine est couverte d’une toiture très exhaussée, surmontée d’un grand clocheton central et de quatre autres clochetons plus petits placés au-dessus de chaque sébil, et qui portent à leur sommet des _alems_ dorés, auxquels l’édifice emprunte son caractère religieux. La toiture et les clochetons sont recouverts de plaques de plomb. Cette fontaine fut achevée en 1141 H. (1728 J.-C.) Le sultan Ahmed avait fait construire un grand nombre d’autres tchechmés, richement travaillés, tels que la fontaine de Tophané, reconstruite par Mahmoud Ier en 1145, et qui se trouve actuellement à l’angle du grillage de l’arsenal, sur le coin de la rue qui va aux quais. Les ornementations de cette fontaine sont d’un style bâtard. Une large bande de fines inscriptions en vers décore la partie supérieure du monument. Aujourd’hui, on ne voit plus rien de son ancienne toiture, qui a été détruite et remplacée par une balustrade, ce qui lui enleva toute son originalité. Le plafond du toit de cette fontaine était richement orné de fleurs et de fruits sculptés sur bois. Ce toit formait sur chaque façade une saillie de 15 pieds, 6 pouces, qui était surmontée d’une grande coupole couverte de plomb, au sommet de laquelle s’élevait une flèche (alem) dorée, pareille à celle de la fontaine de l’Aya Sophia; seize autres petites coupoles entouraient la base de la grande. La fontaine de Scutari, qui, reconstruite plusieurs fois, vient de s’écrouler, a elle aussi beaucoup perdu de sa forme primitive et par suite de son originalité. Une autre fontaine fut construite par le sultan Ahmed au quartier des _Arabes_[81] à Galata, presque en même temps que celle de _Bab-i-Humayoun_. Comme Galata formait alors une petite ville entourée d’une enceinte, et que les terrains étaient occupés par des maisons de commerce, on n’avait pu trouver à cette fontaine un emplacement assez vaste et dont les abords fussent suffisamment dégagés: on fut donc obligé de lui donner la forme d’un biseau à angles et, pour obtenir plus de développement de façade, on adopta une sorte de tourelle à six pans. [81] Nom donné d’abord à l’infanterie légère et plus tard aux pontonniers et aux rameurs. Elle est à la fois tchéchmé et sébil, comme celle du sérail à qui elle ressemble, bien qu’elle soit d’une disposition un peu différente. La fontaine d’_Arab Kapou_ n’a en effet qu’un seul sébil qui est formé par une petite rotonde hexagonale; une colonnette se dresse à chaque angle, supportant un chapiteau d’ordre cristallisé, sur lequel sont appliqués des grillages en bronze ciselé et doré et de gracieuses rosaces. Sur les façades qui se trouvent à droite et à gauche du sébil sont installés deux tchéchmés, ornés de magnifiques sculptures et inscriptions dorées en relief. III.--LES CIMETIÈRES Les musulmans souhaitent, pour la félicité de leur âme, reposer après leur mort près d’un édifice religieux. Les Sultans, les grands dignitaires de l’État, les grands personnages, les riches, les gens aisés se font enterrer près d’une mosquée où la prière est continue. Les Sultans et les pachas ont toujours leurs tombeaux près de la mosquée qu’ils ont fondée. En général, à chaque mosquée est attenant un petit jardin qui sert de cimetière; on y trouve le tombeau du fondateur, entouré des tombeaux de ses parents et des grands personnages. Les sépultures couvertes qu’on appelle turbés sont réservées aux saints, aux Sultans et aux personnages considérables. On ne peut faire un plus grand honneur à un défunt que de lui élever un turbé. Les turbés sont généralement construits en forme octogonale ou carrée, surmontés d’une coupole et précédés d’un vestibule. Dans les turbés des très grands personnages, des gardes (_turbedars_) veillent sans cesse en lisant le Coran. Les turbés des Sultans diffèrent de ceux des saints, en ce qu’ils sont plus richement décorés; ceux des saints ont un aspect plus mystique et plus religieux. On y voit un cercueil (_sandouka_), en forme de caisse à base rectangulaire, recouvert d’un couvercle prismatique. Ce cercueil est couvert de draps noirs ou verts et d’étoffes de valeur portant des versets du Coran brodés en or et en argent. Du côté de la tête est placé un turban rappelant la coiffure que portait le défunt. De chaque côté du cercueil près de la tête sont posés deux grands candélabres garnis de cierges; les candélabres sont en bronze ou en argent, selon l’importance du défunt. Des Corans manuscrits, ouverts sur des pupitres en forme d’X, sont à la disposition des visiteurs qui voudraient prier pour le repos de l’âme du défunt. On voit souvent, attachés aux grillages des fenêtres des turbés ou à la balustrade qui entoure le cercueil, de petits chiffons que les malades viennent fixer là avec l’espoir que cette pratique religieuse les guérira. Le _turbedar_ fait passer les malades entre de grands chapelets qui y sont gardés et leur fait boire de l’eau du puits avoisinant le turbé. Suivant les prescriptions, cette eau doit être puisée à l’aide de tasses portant des inscriptions sacrées. Les turbés des Sultans sont plus richement décorés; le cercueil, plus haut et plus grand, est excessivement luxueux. Il est recouvert de châles précieux en velours brodé d’argent. Les pupitres en noyer ou en ébène sont incrustés de nacre et de rosaces magnifiques. Un haut grillage en bronze ou en argent entoure le cercueil. Les cimetières publics sont situés à proximité de la ville. Outre les petits cimetières qu’on rencontre dans chaque quartier, près des mosquées, la ville possède trois cimetières principaux[82], qui peuvent vraiment être considérés comme des villes des morts. Ils ont à peu près le même aspect; on y voit d’immenses cyprès très vieux, des pierres tombales souvent brisées disséminées un peu partout sans ordre, et qui font ressembler ces cimetières, généralement entourés de murs en ruines, à de véritables forêts de pierres. [82] Celui d’Eyoub, ceux qui bordent les murs, et le cimetière de Karadja Ahmed à Scutari. Le corps du défunt est enseveli dans la terre, le côté droit tourné vers La Mecque. Tous les morts sont placés dans la même position. Une grande plaque de marbre couvre horizontalement le tombeau. Deux pierres posées verticalement indiquent l’une le côté de la tête, l’autre le côté des pieds. Dans la plaque de pierre horizontale sont creusés deux trous assez larges qui communiquent avec la terre; on y plante des fleurs ou des rosiers. Au milieu de la pierre, une cavité ronde remplie d’eau de pluie sert aux petits oiseaux et aux colombes. Du côté de la tête s’élève une pierre commémorative, rappelant par une sculpture la coiffure du défunt, avec son nom et la date de sa mort souvent écrits en vers et sculptés en reliefs rehaussés d’or. La grandeur et l’ornementation de cette pierre varient selon l’importance du défunt. Les pierres sépulcrales des femmes ont une forme différente de celle des hommes. Elles ne portent qu’une ornementation ou une fleur. Du côté des pieds, la pierre a une ornementation, mais sans écriture. Toutes les pierres tombales des personnes riches ou pauvres ont des vers commémoratifs qui commencent par la formule: هو الباقى (Dieu seul est éternel.) ou كل نفس ذائقة الموت (Chaque âme doit goûter la mort.) Les souffrances du défunt, son emploi, son âge sont rappelés en quelques lignes. Toutes ces inscriptions se terminent en demandant aux visiteurs la prière de _Fatiha_, premier chapitre du Coran, pour la tranquillité de l’âme du défunt. IV.--LES BAINS TURCS (HAMAM) Le bain étant aussi indispensable au musulman que la mosquée, la ville possède plus de trois cents bains publics, sans compter les bains particuliers. Les bains turcs ne diffèrent en général que fort peu de ceux des Byzantins. Les Turcs, qui utilisèrent après la conquête les bains abandonnés par les Byzantins, construisirent les leurs à peu près dans le même genre et souvent sur le même emplacement. D’ailleurs la disposition des bains byzantins était celle déjà adoptée par les Turcs pour les bains de Brousse, de Salonique et de Damas. L’eau et le feu, auxquels les bains étaient exposés continuellement, n’ont laissé subsister jusqu’à nos jours aucun bain datant de l’époque byzantine, et qui n’ait subi soit des réparations, soit des transformations. [Illustration: Pl. 44. MOSQUÉE DU SULTAN MEHMED II LE CONQUÉRANT.] Gyllius, qui visita Constantinople soixante-douze ans après l’entrée des Turcs dans cette ville, nous donne la description d’un bain turc. Cette description permet de se faire une idée de ce qu’étaient les bains à cette époque où ils rappelaient encore de très près les thermes byzantins, s’ils ne leur étaient tout à fait semblables. Elle montre qu’ils avaient les mêmes dispositions que les bains turcs actuels. «Ces thermes sont doubles ou jumeaux, dit-il, composés de deux parties exactement semblables, adossées l’une contre l’autre et réservées l’une aux hommes, l’autre aux femmes[83]. On entre d’abord dans l’apodyterium d’où l’on passe par une porte au tepidarium et par une autre du tepidarium au caldarium. Ces trois compartiments réunis par des portes de communication constituent les thermes. Chacune de ces parties de l’édifice a sa toiture et ses murailles.» [83] Les bains qui n’ont qu’une seule division sont ouverts jusqu’à midi aux hommes, qui l’abandonnent ensuite pour laisser la place aux femmes. «L’apodyterium est un édifice carré sur lequel s’appuie la rotonde en briques de la voûte. Son intérieur a 240 pieds 8 pouces de pourtour. Une estrade en pierre, ayant plus de six pieds de largeur et haute de trois pieds, règne tout autour. La muraille de l’apodyterium, depuis sa base jusqu’au sommet sur lequel la coupole prend naissance, a trente-sept pieds de hauteur; le pavé est formé de dalles en marbre. En son centre se trouve une vasque également en marbre.» «Deux portes d’entrée conduisent de l’apodyterium au tepidarium dont l’intérieur a cent pieds de circonférence. La voûte hémisphérique est soutenue par quatre arcades, qui forment huit alcôves; une de ces alcôves qui est plus petite de moitié que les autres est réservée aux latrines. Six d’entre elles possèdent chacune une vasque munie d’une fontaine à robinet, mais elles sont construites de manière qu’entre chaque seconde arcade il en est une qui forme une chambre d’où l’on passe à droite et à gauche dans une autre. Au centre du tepidarium est une fontaine d’où jaillit un filet d’eau qui tombe dans un bassin de marbre. Une seule porte sert de passage du tepidarium au caldarium. Cette partie du bain présente huit arcades qui servent de soutien à une coupole. Chacune des huit arcades ouvre sur une chambre. Au milieu du pavé, qui est formé pareillement de dalles en marbre, s’élève une estrade octogonale haute de deux pieds quatre pouces et ayant cinquante-sept pieds un quart de circonférence. Elle est entourée par une ruelle qui la sépare du pavé dont le niveau est le même que celui de l’octogone.» Dans ce passage de Gyllius, nous voyons que la disposition des premiers bains turcs de Constantinople, provenant probablement des Byzantins, ne différait presque pas des bains construits par les Turcs de l’époque postérieure. Les bains turcs sont généralement construits sur un plan rectangulaire. Chaque partie du bain est couverte d’un dôme, criblé de petites ouvertures rondes garnies de clochetons en verre qui laissent pénétrer la lumière à l’intérieur. Les murs latéraux sont dépourvus de fenêtres. L’apodyterium est dallé de marbre, et possède au centre un bassin sur lequel s’étagent de grandes cuvettes en marbre, à bordure cannelée, de dimensions variables, se rapetissant de l’une à l’autre. L’eau jaillissant de la cuvette placée au sommet le plus élevé fait cascade sur les autres. Les mêmes eaux servent parfois à arroser des fruits. Des canaris chantent continuellement dans des cages ornées de perles bleues[84] (bondjouk). [84] Les perles bleues sont considérées comme un fétiche contre le mauvais œil. Une colonnade en bois entoure la salle. De larges bancs en forme de sofas y sont placés. C’est là que les gens de la classe pauvre se déshabillent. Des morceaux de bois ronds, fixés entre les colonnes, servent de portemanteaux. Au-dessus de cette première galerie, on en voit une deuxième et souvent une troisième. Là aussi sont disposés de larges sofas. Les galeries inférieures et supérieures sont séparées aux angles par une cloison en bois. Ces pièces sont réservées aux riches et aux grands personnages. Sur une petite estrade près de la porte se tient le propriétaire, assis sur un coussin (_minder_), devant une cassette en bois (_tchekmédjé_) tout incrustée de nacre. Un miroir à main, d’une forme ogivale, reste suspendu au mur près de cette cassette destinée à recevoir l’argent que les baigneurs posent en quittant le bain. A hauteur des galeries supérieures sont rangées des tiges en bois où l’on étend les _pechtemal_ (essuie-corps) de couleurs éclatantes. Une petite cheminée adossée au mur près de la porte intérieure sert à préparer le café. Près de cette cheminée se trouvent des armoires contenant des narguillés, des tasses à café, des savons parfumés de musc, des vases en bronze doré, des fleurs artificielles. Une porte étroite passe de l’apodyterium dans la pièce appelée _soouklouk_ (tepidarium ou alipterium) dont la température est plus élevée que dans la grande pièce, mais moins que dans la deuxième appelée caldarium. Elle est surmontée d’une coupole percée de petites ouvertures que recouvrent des cloches en verre. Une faible lumière éclaire l’intérieur. Là, sur des bancs en bois, sont préparés des lits à la disposition des baigneurs. De petites portes ouvertes dans cette salle conduisent par des galeries voûtées et obscures aux lieux d’aisance et à un cabinet particulier, réservé aux toilettes intimes auxquelles chaque musulman est religieusement astreint. Le baigneur pénètre dans cette dernière pièce où un robinet d’eau chaude et un _kourna_ (récipient en marbre) sont à sa disposition. Il couvre l’ouverture formée par la porte d’un pechtemal et procède à ses ablutions. Une porte conduit du tepidarium au caldarium où règne une très forte chaleur. Cette salle est pareillement dallée de marbre et surmontée d’une coupole à petites fenêtres rondes. A chaque coin de la salle, il y a de petites cabines séparées par un mur bas, qui sont réservées à la classe riche. Toutes ces cabines possèdent un ou deux _kournas_ avec deux robinets en bronze dont l’un est à eau chaude et l’autre à eau froide. La salle est également munie de _kournas_, au-dessus desquels sont enfoncés dans le mur de grands et longs clous noirs qui servent à suspendre les _pechtemals_. Au milieu de la salle commune du caldarium, existe une estrade en forme ronde ou octogonale et qui s’appelle _Gueubek-tachi_ (pierre-nombril) où le baigneur s’allonge pour être massé. Les bains turcs n’ont pas, comme on l’a dit à tort, un grand bassin où le public va se baigner, car l’eau déjà touchée par un autre corps et par le corps du baigneur même est considérée par les musulmans comme rituellement impure. Toutefois le cas peut être exceptionnel dans les bains thermaux où l’eau se renouvelle en coulant de source, comme à Brousse par exemple. A Constantinople, il n’y a que les israélites qui, fidèles aux prescriptions de la loi de Moïse, aient gardé la coutume de se replonger dans une piscine d’eau froide après s’être lavé le corps. Chaque bain possède un _kulhan_ (hypocauste). On y brûle continuellement du bois. La chaleur et la fumée circulent sous le dallage en marbre du bain, traversent les nombreuses conduites maçonnées dans l’intérieur des murs, chauffent l’eau et l’air du bain et ressortent par de petites cheminées en forme de tubes circulaires, appliqués tout autour de la bâtisse au haut des coupoles couvertes de plomb. Faut-il ajouter que ces bains sont constamment chauffés? Les musulmans sont en effet astreints par leur religion à se laver le corps en certaines circonstances. [Illustration: Pl. 45. TOMBEAU DE MEHMED II LE CONQUÉRANT. Dans le Turbé devant sa mosquée.] Le bain des dames diffère un peu de celui des hommes. D’abord les accessoires comme essuie-corps, savon, sont apportés par les femmes elles-mêmes dans de grands _bohdja_ (sortes de sacs en drap brodé). Elles prennent même avec elles des vivres, car c’est pour elles un grand plaisir que de passer toute la journée dans le bain en mangeant sur le _gueubek-tachi_, en chantant et en s’amusant. Au cours d’un ouvrage écrit sur les études de van Millingen, le Dr Mavroyeni donne des détails très circonstanciés sur la façon compliquée et pittoresque dont on prend le bain chez les Orientaux. Nous nous permettrons de résumer cet intéressant travail. «Dès l’entrée, on aperçoit les étuvistes, drapés à la romaine dans des linges bleus rayés de rouge. Dans l’apodyterium, des baigneurs se déshabillent, tandis que d’autres sortent du bain et viennent s’étendre sur les lits de repos pour y goûter le _kieff_, mot intraduisible, béatitude absolue que donnent à l’esprit et au corps des Orientaux le tabac et le café unis au _dolce farniente_. «Après s’être déshabillé, le baigneur s’enveloppe d’une sorte de pagne, et, coiffé d’un large turban, les pieds dans des sandales de bois qui rendent sa marche incertaine, il entre dans le tepidarium. La température y est de 25° et c’est sur des couchettes garnies de coussins que la pipe et le café sont présentés au baigneur. Dès qu’une moiteur apparaît sur son corps, l’étuviste le fait passer au caldarium où, sur une estrade située au centre, commence l’opération du massage à laquelle une grande importance est attachée et qui est pratiquée par des malaxeurs et des strigillaires modernes en qui se sont conservées les traditions du passé. «Après un massage complet de toutes les articulations, le masseur mène son client près d’une des vasques qui entourent la rotonde et, armé d’un gantelet en poils de chèvre, s’attaque au système cutané. Les rinçages s’opèrent à l’eau tiède. Mais le baigneur est à bout de forces: un verre d’eau froide lui redonne l’énergie nécessaire; quelques écuellées d’eau froide versées sur la tête le remettent complètement et le masseur en prend de nouveau possession, transformé cette fois en alipte. Cataracte d’eau brûlante et vif savonnage, puis rinçage de tout le corps: cette opération est répétée trois fois. Le masseur fouette son savon à l’aide de longues fibres de palmier dans un bassin de cuivre et ne l’applique que lorsqu’il est réduit à l’état de mousse nuageuse et impalpable. «C’est après une douche que le baigneur est aussitôt emmailloté de serviettes chaudes, ses cheveux sont essuyés, et il vient goûter le _kieff_ sur un lit de repos dans l’apodyterium. «Nous avons vu le baigneur passer par trois salles: l’apodyterium, le tepidarium et le caldarium; il n’y a en effet qu’un seul bain public à Constantinople qui possède un frigidarium. C’est le bain de Djerrah pacha, situé près d’Ak-Sérail.» V.--LE GRAND BAZAR Comme aux temps des Byzantins, la ville possède des bazars couverts. Le plus grand de ces bazars est celui de Stamboul, dont une partie date des Byzantins, véritable ville avec des rues couvertes d’arcades et de coupoles. Des magasins étroits et souvent voûtés bordent ces rues. Ses ruelles étroites, ses carrefours, ses bancs et dépendances, ses passages sombres, font de ce bazar une sorte de labyrinthe compliqué à tel point que les habitants de la ville eux-mêmes s’y perdent souvent et sont obligés de demander leur chemin aux marchands. Une lumière faible et blafarde, arrivant par de petites fenêtres cintrées ouvertes au plafond des magasins, éclaire l’intérieur et les marchandises sous un jour favorable aux boutiquiers. Le bazar est divisé en quartiers dont chacun, réservé à un commerce spécial, porte le nom du commerce qui y est pratiqué. C’est ainsi que _Kouyoumdji Tcharchissi_ signifie bazar des bijoutiers. Il en est de même pour les orfèvres, les fourreurs, les marchands d’étoffe, etc. La plupart des magasins ne sont que de petites échoppes étroites. Devant chaque magasin, un banc peu élevé sert de comptoir; le vendeur y est assis, les jambes croisées. C’est là qu’il étale ses articles devant l’acheteur qui prend souvent place à côté de lui. Malheureusement, le bazar commence à perdre son caractère d’originalité, les articles orientaux cédant peu à peu la place à ceux provenant des manufactures européennes. Le quartier du grand bazar qui a conservé son ancienne originalité est le _Bedestén_ (le marché de ventes aux enchères). C’est une grande bâtisse carrée, couverte de plusieurs coupoles, soutenues par d’immenses piliers d’une très grande hauteur. Le _Bedestén_ est situé au centre du bazar. Quatre portes de fer, ouvrant sur les côtés communiquent avec l’intérieur du bazar. Quelques petites fenêtres à volets de fer, percées à la hauteur des coupoles, éclairent faiblement l’intérieur. Une lumière pâle tombe sur les objets anciens, suspendus aux murs et noircis par la poussière des siècles. Une balustrade en bois irrégulièrement construite et située à la hauteur des fenêtres permet au gardien de nuit de circuler autour du bâtiment et de fermer les volets de fer. Le _Bedestén_ n’est pas ouvert à toute heure du jour. On l’ouvre plus tard et on le ferme plus tôt que le reste du bazar. Il ne reste ainsi accessible au public que pendant quelques heures. Les magasins ne sont formés que d’estrades et de bancs en bois. Chaque marchand a son _dolab_ (armoire) et une ou plusieurs vitrines plates où il expose ses marchandises et devant lesquelles il est assis à la turque, les jambes croisées, en attendant les clients. Des _dellals_ ou courtiers privilégiés du _Bedestén_ font voir aux marchands et aux amateurs les objets rares, et font la mise à prix. C’est de ce célèbre bazar que sont sortis des objets antiques de la plus haute valeur pour passer en Europe. Le Bazar égyptien, qui est aussi un des plus grands de la ville, est formé d’une grande ruelle voûtée en forme de berceau ayant au bas des voûtes des fenêtres latérales qui éclairent faiblement l’intérieur. Les marchandises sont exposées dans des sacs ouverts. Chaque magasin porte une arme ou un objet particulier qui lui sert d’enseigne. On y vend des épices et toutes sortes de drogues. [Illustration: Pl. 46. FONTAINE D’AHMED III OU D’AYA SOPHIA.] VI.--LES PALAIS IMPÉRIAUX OTTOMANS PALAIS DE TOP KAPOU Le premier palais ottoman a été bâti par Mahomet II le Conquérant sur la place de l’ancien forum Tauri (place de Bayazid). Ce palais, habité d’abord par le Sultan, reçut plus tard, après la construction du palais de Top Kapou serail, le nom d’_Eski-serail_ (vieux palais). Il était gardé par 500 _baltadji_. Sur cet emplacement s’élève aujourd’hui le ministère de la Guerre appelé aussi _Eski-serail_. Le sultan Mahomet II fit construire plus tard un autre palais sur l’acropole de l’ancienne Byzance, où s’élevait autrefois le palais de l’impératrice Placidie. Ce palais, dit de _Top Kapou_, fut habité par les successeurs du Conquérant jusqu’au sultan Mahmoud II, le grand réformateur, qui l’abandonna. Depuis, et jusqu’à nos jours, il a été affecté à la résidence des _Sérailis_ (femmes du palais et de la cour impériale). Le palais se compose de plusieurs bâtiments et de _kiosques_ qui communiquent entre eux par des _mabeïns_, sortes de couloirs. L’enceinte du palais est entourée d’une muraille flanquée de deux tours; c’est à peu près la même enceinte qui entourait l’ancienne acropole[85] de Byzance. La partie principale du palais est magnifiquement située sur la pointe la plus élevée de la colline, d’où l’on jouit d’une vue admirable sur le Bosphore, les Iles des Princes, la Corne d’Or, la Propontide et sur les montagnes de la Bithynie et de l’Olympe. On ne rencontre nulle part ailleurs un panorama aussi grandiose et aussi majestueux. L’ensemble de ces monuments offre un aspect très pittoresque. Une multitude de bâtiments, de coupoles surgissent par endroits du milieu d’immenses cyprès. [85] Il ne faut pas confondre l’emplacement du Top Kapou serail avec celui du grand palais byzantin qui se trouvait à l’est de l’hippodrome. Outre l’enceinte principale, le palais en possède plusieurs autres à l’extérieur. L’une des portes de l’enceinte principale se trouve près de la mosquée Sainte-Sophie; elle s’appelle _Bab-i-Humayoun_ ou porte impériale; on trouve ensuite la porte de _Soouk-Tchechmé_, une autre près de l’École de médecine et une autre près de _Yali-Kiosque_. La porte située près de Sainte-Sophie, en face de la fameuse fontaine construite par le sultan Ahmed III, conduit à une grande esplanade plantée de cyprès et de platanes. Cette cour rappelle la Chalké antique des palais byzantins. En laissant à gauche l’église de Sainte-Irène (actuellement le musée d’armes) et en suivant la grande allée, on arrive devant la porte de l’enceinte intérieure du palais. La porte est flanquée de deux tours aux toits coniques. Elle conduit à une cour plantée de cyprès. A droite, sont les cuisines impériales, à gauche le mur du harem et l’ancienne salle du _Divan_ où se tenait autrefois le Conseil des ministres. Une tour carrée surmonte la salle. Mais cette tour ne présente plus l’ancienne forme que nous lui voyons dans l’ouvrage de Melling. De grandes fenêtres grillées éclairaient la salle du _Divan_. En face, une galerie soutenue par une colonnade donne accès et aboutit à une autre porte monumentale qui conduit à une troisième cour réservée au Sultan et aux gens du palais. Après avoir franchi cette porte, on se trouve en présence d’un pavillon qui contient le _Divan_ ou salle du Trône, dans laquelle les Sultans recevaient les ambassadeurs et les vizirs. Ce pavillon, d’un style très original, est orné intérieurement de magnifiques faïences et de vitraux. La cheminée est tout à fait remarquable. Dans la même cour, tout près de la salle du Trône, se trouve la bibliothèque du Sultan, qui contient de très beaux et très rares manuscrits turcs et byzantins jusqu’ici inédits. Cette cour est entourée d’une galerie à colonnades; à droite, une porte protégée par un grillage donne accès au trésor impérial. C’est un bâtiment formé de plusieurs pièces surmontées d’un grand toit couvert de plaques en plomb. De petites fenêtres pratiquées aux murs à une très grande hauteur du sol éclairent faiblement l’intérieur. Ce trésor contient des objets extrêmement précieux ayant appartenu aux Sultans; il forme le musée privé du palais. On y voit de nos jours tous les costumes portés par les Sultans, leurs sabres, leurs coiffures, etc. Dans des vitrines sont exposés des vases remplis de pierres précieuses et de vieilles monnaies en or et en argent. Parmi les objets de grande valeur, on peut citer le trône du chah Ismaël de Perse, enlevé par Sélim en 1514. C’est un trône en or massif sculpté, garni d’émeraudes et de brillants. Puis, le trône de Selim III, en ébène sculpté et incrusté de nacre, d’argent et d’or, garni de rubis et de pierres précieuses. Au centre du dais qui surmonte le trône et qui est supporté par quatre colonnes est suspendue par une chaîne en or une des plus grosses émeraudes du monde: elle a la grosseur du poignet. [Illustration: Bibliothèque du Sultan au vieux Sérail.] A gauche de la cour s’élève le pavillon sacré où toutes les reliques du Prophète sont soigneusement conservées. L’intérieur de l’édifice est des plus imposants. C’est un véritable chef-d’œuvre de l’art national. Quelques fenêtres percées aux bases des coupoles laissent l’intérieur dans un clair-obscur mystique. Les murs sont complètement recouverts des plus belles faïences. Des versets du Coran écrits sur des tuiles émaillées forment frise autour des salles. Les plus rares inscriptions, en grandes lettres écrites de la main même des Sultans, sont suspendues aux murs. On rencontre au milieu de la première salle une petite fontaine en marbre sculpté garnie de gobelets en or. L’entrée de cette partie est absolument interdite au public, même aux gens du palais. Une fois par an seulement, les hauts personnages de l’Empire y sont reçus par le Sultan pour baiser, à travers une couverture, la cassette qui renferme le manteau sacré du Prophète. Des gardiens y veillent constamment en lisant des versets du Coran. Par une porte ouvrant au nord-ouest de cette cour on descend à un jardin en terrasses où sont construits des kiosques et des pavillons. On y jouit d’une vue splendide. Un ancien kiosque en bois, bâti par Mahomet II s’élevait sur une terrasse à droite; sur cet emplacement, le sultan Medjid avait fait construire Mermer kiosque. A gauche, sur la colline, c’est le fameux Bagdad kiosque, si célèbre par la magnificence de son architecture, par la beauté de ses faïences, de ses cheminées, le dessin original de ses meubles, de ses divans et de ses armoires incrustées de nacre. Tout près de ce kiosque, on voit une autre terrasse dallée de marbre avec, au milieu, un joli bassin. C’est un des coins les plus pittoresques du palais. Dans l’enceinte du palais se trouvaient encore d’autres kiosques actuellement disparus, tels que Indjili kiosque, Yali kiosque, Harem kiosque, etc... Voici ce que nous lisons dans l’ouvrage de Melling sur le kiosque appelé Indjili (aux perles); on voit encore de nos jours les arcades de ses fondations. «Le Sultan s’y rendait chaque année pour jouir du spectacle de l’ayasma (fontaine sacrée), dont la source est dans l’enceinte du Seraï et qui jaillit, ce jour-là seulement, sous l’arcade du pavillon où des tuyaux la conduisent. Les Grecs attribuent à ses eaux une vertu miraculeuse... Le grand seigneur prend plaisir à contempler leur empressement, leur extase, et leurs ablutions; il leur jette quelques pièces de monnaie pour payer l’amusement qu’ils lui donnent et jouit des combats qu’ils se livrent dans leur activité à s’en saisir.» Sur une des terrasses de l’enceinte moyenne du palais de _Top-Kapou_, du côté de la ville se trouve _Tchinili kiosque_ (kiosque aux faïences), ainsi nommé à cause des faïences qui décoraient jadis ses murs anciens et dont une grande partie n’existe plus aujourd’hui. Il fut d’abord bâti par l’architecte Kémaluddin sur l’ordre du sultan Mehmed II le Conquérant (870 H.). Il fut reconstruit plus tard en 999 H., par Murad III, mais il a perdu sa forme primitive. Actuellement, il fait partie du musée d’antiquités. Deux escaliers en marbre conduisent sur une galerie à longues colonnades ornée de magnifiques mosaïques en faïence. Un petit vestibule mène dans une grande salle cruciforme voûtée à laquelle sont attenantes d’autres pièces plus petites; le plan de la construction est conçu dans un carré avec des ailes latérales. PALAIS DE TCHÉRAGAN Le palais de Tchéragan, situé sur les bords du Bosphore, entre _Bechiktache_ et _Ortakeuy_, fut construit par le sultan Abd ul Aziz dans le style renaissance ottoman. Il a servi, pendant vingt-sept années, de prison au sultan Mourad V. Son emplacement était jadis occupé par un palais en bois nommé Tchéragan et habité autrefois par le sultan Mahmoud, après qu’il eut enlevé sa cour du palais de Top-Kapou. On peut considérer l’architecture de ce palais comme un essai de renaissance de l’art ottoman. La façade a été bâtie sans respect des proportions de l’art, et les ornementations surchargées n’offrent pas l’originalité intéressante de l’ancien art ottoman. A l’intérieur, la décoration est plus artistiquement comprise. Ce palais communique avec le parc de Yildiz par un pont sous lequel passe le tramway. Il possède comme dépendances d’autres bâtiments, telles que des cuisines, des écuries, des casernes, des corps de garde, etc... PALAIS DE DOLMA BAGTCHÉ Le palais de Dolma Bagtché, construit par le sultan Abdul Medjid vers 1854, est composé de quatre grands bâtiments unis l’un à l’autre par des galeries couvertes, sortes de passerelles. Au point de vue architectural, ce palais n’a aucune valeur, car ses constructeurs ont surchargé les façades de colonnes et d’ornementations sans style et sans goût. L’ensemble du portail ne représente qu’une agglomération de fragments de fleurs ornementales. L’intérieur, malgré la grande richesse des matériaux employés, n’offre rien d’artistique. On y rencontre des balustrades en cristal, des colonnes en porphyre et de grands lustres suspendus aux plafonds. Une salle de bains, construite en albâtre, attire particulièrement l’attention. Ce palais possède une immense salle du Trône. Du côté de la terre, le palais est entouré de murs d’une grande hauteur; on y pénètre par le portail. Son emplacement était occupé autrefois par un autre palais, appelé _Bechiktache Saraï_, séjour favori du sultan Selim III. Nous voyons, dans l’ouvrage de Melling, l’ensemble de ce palais ainsi que le kiosque persan qui était bâti en pierre et revêtu extérieurement de faïences dans toutes les parties se trouvant au-dessus du rez-de-chaussée. Au milieu de ce pavillon existait un bassin avec jets d’eau. Les plafonds et les panneaux étaient ornés d’arabesques admirables. Une partie de l’ancien palais de Bechiktache fut construit par Melling pour le sultan Selim III. L’architecture de ce kiosque différait énormément de celle des autres par ses galeries et ses colonnes d’ordre corinthien. PALAIS DE YILDIZ Il se compose de nombreux pavillons et de kiosques disséminés dans un immense parc renfermant des forêts, des jardins et un grand lac. Ce site ravissant ne le cède en rien pour la beauté à celui de l’acropole de Byzance. LES ANCIENS PALAIS Parmi les palais les plus anciens, le seul qui soit encore debout est celui de _Top Kapou_. La plupart des anciens palais ayant été construits en bois tombèrent vite en ruines. Il ne reste plus rien des magnifiques édifices construits par le sultan Ahmed III sur les rives de la Corne d’Or et du Bosphore, du palais de Sultanié, construit par Suleïman à Beïkos, du Kavak seraï appelé aussi Cheref Abad[86]. [86] Les dessins de M. Laurens, qui représentent plusieurs vues du palais de Tirebolou, peuvent nous donner une idée de l’architecture de ces palais en bois. Ce dernier se trouvait à côté de la grande caserne de cavalerie située entre Haïdar pacha et Scutari, et qui s’appelle Selimié. L’emplacement de ce palais disparu fut occupé, dit Melling, par un kiosque où le sultan Selim III assistait aux manœuvres de cavalerie exécutées sur le terrain qui le séparait de la caserne. _Aïnali kavak Seraï_ (palais des Miroirs de Kavak) ainsi appelé parce qu’il était intérieurement orné de glaces, envoyées comme cadeau par les Vénitiens au sultan Ahmet III lors de la conclusion de la paix de 1718, était situé près de Hasskeui, sur les bords de la Corne d’Or. Le sultan Selim III, après l’avoir habité seulement un printemps, l’avait abandonné, peut-être à cause des quartiers voisins de Hasskeui qui, pendant les épidémies, offraient un véritable danger. Le Sultan, depuis lors, préféra habiter pendant l’été le palais de Béchiktache. On peut encore citer: le palais de _Nichad Abad_, situé entre Ortakeuy et Kouroutchechmé, reconstruit sous Selim III. Le palais de _Fener Bagtché_ (qui subsista jusqu’à Mahmoud I). Le palais de _Tersané_, habité par Selim III. Le palais de _Cara agatch_ (sur la rive de la Corne d’Or). Le palais de _Kiathané_. Le palais de Humayou Abad (à Bebek). Le palais de _Beyler beï_, construit sous Abdul Hamid Ier, appelé aussi palais d’Istavros. Le palais de _Cheref Abad_, construit par Murad IV à Scutari près de la caserne Selimié a été démoli en 1794. Le palais de _Nichad Abad_ subsistait encore jusqu’à une époque très rapprochée; à sa place deux nouveaux palais ont été construits. [Illustration: Pl. 47. INTÉRIEUR DU GRAND BAZAR.] Le palais de _Cara agatch_ fut habité jusqu’à Selim III par les Sultans qui y transféraient leur cour pendant l’été. Le sultan Mahmoud II l’a fait démolir. Sur une des portes de ce palais on lisait le vers suivant inscrit par Ahmed III. قد دلبر كبى دل اكلنجه سى. غمكسارم قره آغاچ باغچه سى «Ce jardin, où je me console, offre autant d’attraits que la taille élancée d’une belle.» Les débris de ce palais ont servi à la reconstruction des palais de Kiathané. Mehmed effendi, à son retour de Paris où il était ambassadeur à l’époque d’Ahmed III, apporta en Turquie, en même temps que plusieurs inventions, comme l’imprimerie, le dessin des palais de Versailles et de Fontainebleau. Sur les encouragements de Damad Ibrahim pacha, gendre du souverain, le Sultan, mettant à profit les nouveautés introduites par Mehmed effendi, fit construire à Kiathané des kiosques et des fontaines qu’il entoura de lacs et de cascades, tâchant d’imiter les magnificences entrevues dans les dessins français. Ce palais portait alors le nom de Saad-Abad. Il y avait, aux alentours, de nombreux kiosques destinés aux fonctionnaires. La révolte de 1143 ayant détruit ces kiosques, Selim les fit reconstruire en 1206 et plus tard en 1224. Sultan Mahmoud reconstruisit de nouveau le palais en y ajoutant une mosquée et plusieurs chalets. Le kiosque de Bebek (disparu) fut construit sous Abdul Hamid Ier par Hassan pacha, ministre de la Marine et offert par lui au Sultan. Ce joli kiosque, que nous pouvons admirer dans l’ouvrage de Melling, servait de lieu de rendez-vous au Reïss Efindi (ministre des Affaires étrangères) et aux ambassadeurs des cours étrangères. «Il est formé de trois pavillons contigus, dit Melling, celui du milieu s’avançait en saillie sur les deux autres: leur front était soutenu par des colonnes de marbre; on remarquait les contrevents des fenêtres composés de deux parties mobiles, l’une supérieure et l’autre inférieure; l’une de ces parties se levait tandis que l’autre tombait à peu près comme le sabord d’un navire. Quelques-unes de ces fenêtres se prolongeaient jusqu’à l’entablement, le dessus des croisées était décoré de guirlandes artistiquement peintes. Les toits couverts de tuiles sont d’une forme très aplatie. Une balustrade occupait le principal corps de logis et on y entrait par de petites barrières qui s’ouvraient sur le quai. Deux escaliers conduisaient extérieurement aux salons de conférence.» VII.--L’HABITATION Dans l’architecture ottomane, on distingue deux genres différents, le genre religieux et le genre civil. Si les édifices appartenant au premier nous permettent d’en suivre la chronologie et les étapes, il n’en est malheureusement pas ainsi des constructions civiles, qui ont subi les atteintes du temps. Cependant, quelques vieilles maisons de Brousse et des villes d’Asie Mineure, dans lesquelles subsistent encore les vestiges des antiques constructions, peuvent donner une idée, bien faible d’ailleurs, des premières habitations ottomanes. Sous l’influence de l’architecture locale, ces constructions différaient entre elles, suivant les pays où elles étaient élevées. Les premières habitations ottomanes à Constantinople furent certainement celles qu’avaient abandonnées les Byzantins. Mais, comme les coutumes et les mœurs musulmanes exigeaient un changement radical, des maisons neuves s’élevèrent bientôt partout, dans la nouvelle capitale de l’Empire ottoman. Après les légères modifications apportées dès le début aux anciens logis, les grands personnages construisirent des _konaks_ plus appropriés à leurs coutumes. Les gens du peuple bâtirent de petites maisonnettes appelées _éves_[87]. Les habitations musulmanes et les konaks sont composés de deux bâtiments séparés, appelés _selamlik_ et _harem_; quelquefois, ces deux parties, bien que toujours séparées, sont réunies sous le même toit. [87] Ce mot doit dériver de iv ou yiv, lequel a une analogie avec le mot youva qui signifie _nid_. Le _selamlik_ est réservé aux hommes, et le _harem_ aux femmes. Dans les konaks à deux bâtisses séparées, la communication du selamlik et du harem est établie par un corridor suspendu entre le premier et le deuxième étage de ces deux bâtiments. Les mœurs musulmanes défendent aux hommes de vivre avec d’autres femmes que leurs parentes et leurs épouses. Le maître de la maison reste souvent au selamlik où il reçoit les visites des hommes. Dans ces konaks, l’étage supérieur est le plus important, tandis que le rez-de-chaussée ne contient que les chambres des domestiques et des gens de service. Les femmes, et en général les Turcs, qui aiment à rester à la maison, préfèrent les maisons de bois percées de beaucoup de fenêtres. Ces maisons n’ont que très rarement trois étages. L’aspect extérieur est tout oriental. Au-dessus du rez-de-chaussée, des balcons à larges saillies sont supportés par de grandes consoles en bois et rappellent les balcons à encorbellement des Byzantins. Chaque étage fait saillie sur l’étage inférieur. Le toit, très saillant, donne un caractère tout spécial à ce genre de construction et paraît avoir son origine dans le toit chinois, recourbé aux extrémités. Ce dernier serait un souvenir de la tente nomade. La maison est souvent couleur de terre-cuite. Les cheminées, qui ont une forme particulière, portent des nids construits par les cigognes. On entre dans le konak par deux portes, dont l’une est réservée au harem et l’autre au selamlik. La porte du selamlik donne accès à une grande cour pavée de moellons. Les voitures peuvent aisément franchir cette porte et arriver jusqu’à la cour située sous la grande salle du premier étage. Les escaliers partent d’une sorte de petite estrade en marbre qui porte le nom de _Binek-Tachi_ et d’où le maître de la maison peut facilement sauter à cheval. Autour de cette cour, se trouvent les chambres destinées aux _Ouchaks_ (domestiques), aux _Aïvazes_ (porteurs de mets), aux _Achtchi_ (cuisiniers), etc. Une chambre est réservée à l’intendant et une autre aux eunuques. La cuisine est généralement dans le jardin; les écuries, le bain, le réservoir d’eau forment autant de dépendances autour du konak. Le bain est adossé aux murs du harem. De larges escaliers en bois conduisent au premier étage. Là est la chambre où se tient le maître de la maison. Toutes les chambres sont pareilles et meublées de la même façon. Il n’y a nulle différence entre les chambres à coucher et les salles à manger. Un long sofa est installé le long des fenêtres près du mur et quelquefois sur les deux côtés de la chambre. On y voit aussi une niche destinée au miroir et, à côté, d’autres petites niches qui sont réservées aux cruches d’eau et aux vases en porcelaine. Des porte-pipes, appliqués aux murs, sont garnis de longues pipes en bois de jasmin, en bois de rose et autres bois précieux; toutes sont munies de bouts d’ambre. Des calligraphies en lettres harmonieusement dessinées sont suspendues aux murs dans des cadres. Des étagères pour le _Kavouk_ (coiffure), une pendule, des tapis, un brasier, voilà ce qui constitue le mobilier d’une chambre. Chaque chambre possède plusieurs grandes armoires fixes où l’on serre pendant la journée les lits, les matelas et les couvertures. [Illustration: Pl. 48. MARCHANDS DE CHAUSSURES.] Quand on veut se coucher, on sort ces matelas et on les étale sur le plancher. De même, pour les repas, on apporte de petits tabourets sur lesquels on installe de grands plateaux ronds en cuivre étamé ou en bronze, et l’on dispose des coussins tout autour, formant ainsi une sorte de table improvisée. Les pièces sont chauffées pendant l’hiver à l’aide de cheminées où on brûle du bois, ou à l’aide de _mangals_ (brasiers en bronze). Dans les konaks, les chambres donnent accès à une très grande salle dont les dimensions dépassent l’étendue totale des chambres. Le harem diffère peu du selamlik. Il est souvent plus grand. Les fenêtres y sont soigneusement fermées par des _cafesses_ (jalousies) pour empêcher les regards indiscrets des passants d’y pénétrer. Ces _cafesses_ sont formées de petites baguettes en bois, clouées perpendiculairement ou quelquefois diagonalement dans les rainures d’un cadre ayant la moitié de la hauteur de la fenêtre. Les femmes, qui restent derrière ces _cafesses_, peuvent très bien voir les passants à travers les trous sans être aperçues du dehors. Une autre rangée de fenêtres est située au-dessus des fenêtres portant les _cafesses_ pour éclairer davantage l’intérieur des chambres. Ces fenêtres sont souvent garnies de vitraux qui ajoutent à la décoration de l’intérieur un luxe de couleurs et d’images du plus joli effet. L’abondance des fenêtres est une chose très recherchée dans les habitations. Les Turcs ont toujours reconnu l’action bienfaisante du soleil et de l’air sur la santé et ils ont doté leurs habitations d’autant de fenêtres que l’étendue de la façade le leur permettait. Le grand nombre des fenêtres vient aussi de la nécessité où se trouvaient les femmes d’occuper leurs loisirs pendant les longues heures où elles étaient retenues à la maison. Nous voyons que le côté hygiénique de cette disposition la fait appliquer aujourd’hui dans toutes les maisons modernes en Europe. Les façades des maisons anglaises modernes présentent, par l’abondance de leurs fenêtres, une certaine ressemblance avec les maisons turques. Si cette disposition paraît présenter l’inconvénient d’exposer l’intérieur aux changements brusques de l’atmosphère et aux ardents rayons du soleil, les doubles châssis et les volets viennent remédier au froid, de même que les toits avancés et les saillies des étages préservent de la chaleur. Les portes du harem restent toujours fermées et c’est le Harem Kiahyassi (intendant du harem) qui en garde les clefs. Une armoire ronde et pivotant sur son axe facilite le service, tout en empêchant que les serviteurs et les servantes puissent se voir. Les objets une fois placés du côté des servantes, on fait tourner l’armoire sur son axe pour les mettre à la disposition des serviteurs. Le service de _Dolap_ était permis seulement aux _aïvazes_: ceux-ci étant des Arméniens, le maître de la maison leur laissait ce service, à cause de la différence de religion peu favorable à l’éclosion de sentiments trop intimes. La plupart des konaks possèdent dans leurs jardins un grand _havouse_ (bassin). Les bains particuliers ne diffèrent presque pas des bains publics; ils ont leur apodyterium, leur tepidarium et leur caldarium, mais sur une échelle plus réduite. Les cuisines ne ressemblent pas du tout aux cuisines occidentales. Une grande cheminée cintrée est divisée à l’intérieur en compartiments de différentes grandeurs, destinés aux marmites grandes et petites. On n’y brûle que du bois et du charbon de bois. Les petites maisons (éve) ont à peu près la même distribution intérieure que les konaks. Au lieu d’être séparées en deux parties différentes comme les konaks, ces maisons n’ont qu’une ou deux chambres, destinées l’une au selamlik et l’autre au harem. Deux escaliers séparés conduisent à chacune de ces parties. Les salles sont également vastes. Les cuisines sont en dehors et, au lieu de bains, il y a un _goussoulhané_ ou lieu d’ablutions. En guise de réservoir, de nombreuses jarres enfoncées dans la terre du vestibule conservent l’eau nécessaire au ménage. Le porteur d’eau, sans ouvrir la porte, verse le contenu de son _kirba_ (sac en cuir) dans le creux d’une pierre taillée en forme de cassette carrée, fermée par un cadenas dont le porteur d’eau possède la clef; l’eau s’écoule ensuite dans les jarres au moyen de tuyaux. Malheureusement, toutes ces anciennes maisons ont disparu aujourd’hui, cédant la place à des constructions laides et difformes, peintes de couleurs criardes et d’un goût banal. Dans tout Constantinople, on ne trouve plus qu’une vingtaine de ces vieilles maisons, dont la plus ancienne ne remonte qu’à l’époque du sultan Mahmoud II; des réparations successives lui ont d’ailleurs fait perdre beaucoup de son aspect primitif. [Illustration: Pl. 49. VIEUX SÉRAIL (Palais de Top Kapou).--Salle du Trône.] C’est dans les quartiers de _Yuksek Kaldirim_, _Ak-Seraï_ et _d’Eyoub_ qu’on a le plus de chance de découvrir quelques-unes de ces anciennes maisons. Parmi les faubourgs qui semblent conserver davantage de leurs anciennes habitations, on peut citer les villages d’_Anatoli-Hissar_, _Arnaout-Keuy_, _Yeni-Keuy_, _Tchenguelkeuy_, _Kousgoundjouk_ et surtout _Scutari_, qui possèdent encore quelques types d’anciennes maisons condamnées malheureusement à disparaître d’ici une dizaine d’années. Comme habitations anciennes, nous pouvons citer l’Ambassade de France à Therapia qui appartenait autrefois au prince Ypsilanty, et qui fut confisquée par le Sultan pour être donnée au général Sébastiani, alors ambassadeur de France à Constantinople. Les Français, qui savent si bien apprécier les choses d’art et les restes de l’antiquité, conservent son caractère à cet intéressant édifice. [Illustration: Maison turque; XVIIIe siècle.] Pour se familiariser avec le type de l’ancienne maison turque, il faut prendre en considération les traits caractéristiques suivants de cette architecture. 1º La bâtisse, souvent en bois, ne dépasse pas trois étages; 2º Chaque étage fait saillie sur l’étage immédiatement inférieur; la partie surplombante est supportée par de grosses consoles en bois recourbé; 3º Les toits sont avancés et couverts d’un genre de tuiles recourbées dites Kerémid, pareil à celui en usage chez les Byzantins; 4º La partie avancée du toit (auvent) qui s’appelle _Satchak_ est ornée en dessous d’ornements géométriques formés par de minces baguettes en bois; [Illustration: Maison turque; XVIIIe siècle.] 5º Sous ces auvents sont suspendus des cadres portant des inscriptions sacrées qui préservent la maison du mauvais œil; sur ces inscriptions on lit: Ce que Dieu veut, est, fut. ماشا اللّه كان O propriétaire de la propriété. يا مالك الملك O protecteur, etc. يا خافظ derrière ces cadres inclinés, les hirondelles font souvent leurs nids; 6º Les tuyaux des cheminées, assez hauts, ont une forme prismatique quadrangulaire et sont munis à leur sommet de fentes verticales; ils sont couverts de tuiles et les cigognes (surtout dans les quartiers reculés de la Corne d’Or) ne manquent pas d’y venir faire leur nid. Les cheminées elles-mêmes font souvent saillie sur les murs de la bâtisse et forment alors des encorbellements d’un aspect original; 7º Les portes en bois sont ornées de moulures et de cordons formant des décorations géométriques. Chacun des deux battants est muni d’un gros anneau en métal appliqué sur des plaques en bronze ciselé et servant de marteau ou heurtoir; 8º Au-dessus de chaque porte s’ouvre une fenêtre garnie de barres de fer en carreau et souvent ornée extérieurement d’un grillage en bois reproduisant la forme décorative d’un soleil; 9º Les fenêtres sont munies de _cafesses_ (espèces de grillages en petits carreaux formés par de minces baguettes de bois qui empêchent d’être vu de l’extérieur); plusieurs de ces fenêtres possèdent des cafesses en forme de corbeilles proéminentes dans lesquelles les femmes peuvent se pencher pour apercevoir les deux extrémités de la rue sans être aperçues de dehors; 10º Des plantes grimpent parfois sur les balcons et les terrasses munies de _cafesses_; 11º Souvent, sous les toits saillants des maisons ainsi que sur les façades des édifices publics en pierre, sont disposées de minuscules maisonnettes avec des colonnes, des portes et des fenêtres. Ces habitations qui servent de nids en miniature sont, par un joli sentiment, destinées aux petits oiseaux qui y viennent faire leurs nids avec le plus grand plaisir. [Illustration: Magasin du XVIIIe siècle.] BIOGRAPHIE DE KODJA SINAN Sinan n’était pas Autrichien, comme le prétendent plusieurs auteurs européens. Dans un manuscrit écrit par Sa-ï, un poète du temps, qui porte le nom de «Tezqueret-ul-bunyani-Mimar-Sinan» et qui renferme la liste des édifices construits par l’architecte Sinan, on apprend qu’il est né à Césarée, ancienne ville de la Cappadoce, fils d’un Grec nommé Christo, en l’année 895 de l’Hégire. Sous le règne de Sélim, on prenait des enfants grecs pour le service de l’armée, sous le nom de _devchirmé_. Ceux-ci, après avoir reçu une éducation primaire, entraient dans le fameux corps des janissaires. Sinan était entré dans ce corps à vingt-trois ans comme _adjemi-oglani_ (apprenti). Comme les adjemis devaient étudier un métier, Sinan avait choisi l’architecture. Après quelques années, il devint janissaire. Excellent soldat, il montra beaucoup de bravoure pendant les guerres de Rhodes et de Belgrade. Pour récompenser ses services, le Sultan le promut au rang de _Zenberekdji Bachi_. Sinan, sans qu’il devinât que l’architecture lui devait assurer un avenir si brillant, attendait sa gloire du militarisme. Mais pendant la campagne de Van, les troupes ayant besoin de bateaux pour traverser le lac, Sinan construisit plusieurs galères qui furent d’une grande utilité. Le grand vizir, enchanté des services de Sinan, le nomma chef des troupes qui étaient à bord de ses bateaux. Sinan, après avoir armé son équipage, passa pendant la nuit à la rive de l’ennemi et fit plusieurs prisonniers. Ce service fut la cause de sa promotion au grade de _Sou bachi_. Pendant la campagne de Bogdan, le sultan Sélim lui avait confié la construction d’un pont que les ingénieurs ne pouvaient pas faire à cause du terrain marécageux. Sinan parvint à faire ce pont que franchirent les armées. Depuis lors, Sinan fut nommé le premier architecte. Il débuta par la grande mosquée de Sélim. Sous les règnes des quatre autres Sultans, il construisit 81 mosquées, 51 mesdjid (chapelles), 26 darulkoura (bibliothèques), 17 imarets, 2 salpêtrières, 7 aqueducs, 8 grands ponts, 18 karavansérails, 6 citernes, 33 palais, 35 bains, 17 sépultures, des fontaines et d’autres constructions civiles et religieuses. Il a vécu plus de cent dix ans. Sous les règnes de Sélim Ier, de Suléiman le Législateur, de Sélim II et de Mourad III, il fut appelé Kodja Sinan pour être distingué d’un autre Sinan, un de ses élèves. Pendant toute sa vie, il a reçu à titre de pension la solde de _Hasseki_ du corps des janissaires. On peut voir aujourd’hui le turban de _Hasseki_ sur le cippe en marbre blanc de son tombeau, lequel est surmonté d’une coupole composée de quatre grands blocs de pierre reposant sur quatre colonnes. Il repose près de son chef-d’œuvre, la mosquée Suléïmanié, en face du _Cheihuslamat_, au coin de deux rues. Sur sa pierre tombale on lit ces lignes: «O celui qui séjourne quelques jours dans ce palais d’ici-bas. Pour l’homme, ce domaine terrestre n’est pas un lieu de paix. Cet homme d’élite que fut l’architecte de Suléiman Khan et qui a construit une mosquée à l’image du paradis, par ordre du Sultan travailla pour les conduits d’eau. Il fut Hizir[88] et fit couler sur le monde l’_Abi-Hayat_. L’arc qu’il a construit au pont de _Tchek-médjé_ fut l’image de la voie lactée. [88] Nom donné au prophète Ilias, qui ayant bu de la source _Abi-Hayat_ (Nectar de l’immortalité) est devenu immortel. «Il bâtit plus de quatre cents _mesdjid_ toutes de splendides constructions. Cet habile architecte érigea sur quatre-vingts places des mosquées et mourut après avoir vécu plus de cent ans. «Que Dieu Tout-Puissant transforme sa demeure éternelle en un jardin élyséen. Son prieur (Sa-ï) a dit la date de sa mort. Il partit du monde, le vieil architecte Sinan. Que jeunes et vieux prient pour son âme. «La Fatiha (premier chapitre du Coran).» TABLE DES MONUMENTS CONSTRUITS PAR KODJA SINAN[89] [89] Extrait de l’ouvrage de Sa-ï _sur l’œuvre de Sinan_. 1. Mosquée du Sultan Suléïman. 2. Mosquée du Chahzadé (prince) Mehmed. 3. Mosquée de la sultane Haseki, à Avrat Bazar. 4. Mosquée de la sultane Mihrumah, à la porte d’Andrinople. 5. Mosquée de la mère d’Osman Chah, près d’Ak-Séraï. 6. Mosquée de la princesse, fille du sultan Bayazid, près de Yéni-Baghtché. 7. Mosquée d’Ahmed Pacha, à Top-Kapou. 8. Mosquée de Rustem Pacha, à Taht-Ulkala. 9. Mosquée de Mehmed Pacha, à Cadirga Liman. 10. Mosquée d’Ibrahim Pacha, à Silivri Capoussou. 11. Mosquée de Bali Pacha, à Houssrev Pacha. 12. Mosquée d’Abdurahman Tchélébi, à Molla Gurani. 13. Mosquée de Mahmoud Agha, à Akhour Capou. 14. Mosquée d’Oda Bachi, à Yéni Capou. 15. Mosquée de Hodja Khosrev, à Kodja Moustafa Pacha. 16. Mosquée de Hamami Hatoun, à Soulou Monastir. 17. Mosquée de Suleiman Tchélébi, à Uskublu Tchechmé. 18. Mosquée de Férah Kahia, à Balata. 19. Mosquée de Diragman Younous bey, à Balata. 20. Mosquée de Hourem Tchaouche, à Yéni Baghtché. 21. Mosquée de Sinan Agha, à Kadi Tchechméssi. 22. Mosquée d’Akhi Tchélébi, à Ismir Iskelessi. 23. Mosquée de Suléiman sou bachi, à Oun Kapan. 24. Mosquée de Zal Pacha, à Eyoub. 25. Mosquée de Chah Sultan, à Eyoub. 26. Mosquée de Nichandji Pacha, à Eyoub. 27. Mosquée d’Emir Bouhari, à Edirné Capou. 28. Mosquée de Merkez Effendi, à Yéni Capou. 29. Mosquée de Tchaouch Bachi, à Sutludjé. 30. Mosquée de Husséin Tchélébi, à Kirémidlik. 31. Mosquée de Kassim Pacha, à Tersané. 32. Mosquée de Mehmed Pacha, à Azablar. 33. Mosquée de Kilidj Ali Pacha, à Tophané. 34. Mosquée de Mouhiddine Tchélébi, à Tophané. 35. Mosquée de Mollah Tchélébi, à Tophané. 36. Mosquée d’Ebulfadl, à Tophané. 37. Mosquée de Chahzadé Djihanghir, à Tophané. 38. Mosquée de Sinan Pacha, à Bechiktache. 39. Mosquée de Sultan Djamissi, à Scutari. 40. Mosquée de Chemsi Pacha, à Scutari. 41. Mosquée de Skender Pacha, à Kanlidja. 42. Mosquée de Moustapha Pacha, à Guebzé. 43. Mosquée de Pertev Pacha, à Ismidt. 44. Mosquée de Rustem Pacha, à Sapandja. 45. Mosquée de Rustem Pacha, à Samanli. 46. Mosquée de Moustapha Pacha, à Bolou. 47. Mosquée de Ferhad Pacha, à Bolou. 48. Mosquée de Mehmed bey, à Ismidt. 49. Mosquée d’Osman Pacha, à Caïsseri. 50. Mosquée de Hadji Pacha, à Caïsseri. 51. Mosquée de Djenabi Ahmed Pacha, à Angora. 52. Mosquée de Moustapha Pacha, à Erzéroum. 53. Mosquée du Sultan Alla-ud-dine, à Tchoroum. 54. Mosquée d’Abdusselam, à Ismidt. 55. Mosquée du Sultan Suleiman, à Isnik (ancienne église byzantine brûlée). 56. Mosquée de Khosrev Pacha, à Alep. 57. Les coupoles de Harem chérif, à La Mecque. 58. Mosquée du Sultan Murad, à Magnésie. 59. Mosquée d’Orkhan Gazi, à Kutahia. 60. Mosquée Rustem Pacha, à Bolvadine. 61. Mosquée Husséin Pacha, à Kutahia. 62. Mosquée Sélim, à Karapinar. 63. Mosquée Sultan Suléiman, à Damas. 64. Mosquée Sultan Selim, à Andrinople. 65. Mosquée Mahmoud Pacha, à Tachlik (Andrinople). 66. Mosquée Defterdar Moustapha Pacha, à Andrinople. 67. Mosquée Ali Pacha, à Baba Eski. 68. Mosquée Mehmed Pacha, à Hofasa. 69. Mosquée Mehmed Pacha, à Bourgas. 70. Mosquée d’Ali Pacha, à Erégli (Héraclé). 71. Mosquée Bosnali Mehmed Pacha, à Sophia. 72. Mosquée Sofi Mehmed Pacha, à Hersek. 73. Mosquée Ferhad Pacha, à Tchataldja. 74. Mosquée Maktoul (tué) Moustapha Pacha Djamii, à Boudine. 75. Mosquée Firdevs Bey, à Astaria. 76. Mosquée Mémi Kiahya Oulachlou. 77. Mosquée Tatar Han, à Geuzleuvé. 78. Mosquée Rustem Pacha, à Roustchouk. 79. Mosquée Vézir Osman Pacha, à Trikala. 80. Mosquée Haseki Sultane, à Andrinople. 81. Mosquée Sultane Validé, à Scutari. [Illustration: Pl. 50. VIEUX SÉRAIL.--Cheminée, porte, fontaine d’ablutions et faïences.] MESDJIDS (Chapelles). 1. Mesdjid de Rustem Pacha, à Yéni Baghtché. 2. Mesdjid d’Ibrahim Pacha, à la porte d’Isa. 3. Mesdjid du Tchivizadé, à Top Capou. 4. Mesdjid d’Emir Ali, à Gumrukhané. 5. Mesdjid construit à son nom, à Yéni Baghtché. 6. Mesdjid d’Avdji Bachi, à Gumrukhané. 7. Mesdjid de Chérif Zadé Effendi. 8. Mesdjid de Defterdar Mehmed Tchélébi. 9. Mesdjid de Hafiz Moustapha, à Yéni Baghtché. 10. Mesdjid de Simkech Bachi, à Bazar de Lutfi Pacha. 11. Mesdjid de Hodjegui Zadé. 12. Mesdjid de Tchaouch, à la porte de Silivri. 13. Mesdjid de la fille du Tchivi Zadé, à Davoud Pacha. 14. Mesdjid de Takiédji Ahmed, à Silivri Capou. 15. Mesdjid de Sari Hadji Nassouh. 16. Mesdjid d’Elhadj Awz. 17. Mesdjid d’Elhadj Hamza. 18. Mesdjid de Tok Hadji Hassan. 19. Mesdjid d’Ibrahim Pacha, à Koum Capou. 20. Mesdjid de Baïram Tchélébi, à Vlanga. 21. Mesdjid de Cheïk Ferhad. 22. Mesdjid de Kurkdji Bachi, hors du Koum Capou. 23. Mesdjid de Kemhadjilar. 24. Mesdjid de Kouyoumdjilar. 25. Mesdjid de Hersek bodroumou (près d’Aya Sofia). 26. Mesdjid de Yaya Bachi, Fener Capou. 27. Mesdjid d’Abdi Soubachi, à Sultan Sélim. 28. Mesdjid de Hadji Iliasse, à Ali Pacha Hamam. 29. Mesdjid de Husséin Tchélébi, à Sultan Sélim. 30. Mesdjid de Douhani Zadé, à Kodja Moustapha Pacha. 31. Mesdjid de Kadi Zadé, à Tchoukour Hamam. 32. Mesdjid de Mufti Hamid Effendi, à Azablar. 33. Mesdjid de Tufek Hané, à Hissar. 34. Mesdjid de Saraï Aghassi, à Edirné Capou. 35. Mesdjid de Deukmedji Bachi, à Eyoub. 36. Mesdjid d’Arpadji Bachi, à Eyoub. 37. Mesdjid de Hekim Kaïssouni Zadé, à Sutlidjé. 38. Mesdjid de Kardji Suleïman, à Eyoub. 39. Mesdjid de Kardji Suleïman, à Stamboul. 40. Mesdjid d’Ahmed Tchélébi, à Kiremitlik. 41. Mesdjid de Yaya Raya, à Kassim Pacha. 42. Mesdjid de Chéhr-Emini Hassan Tchélébi, à Kassim Pacha. 43. Mesdjid de Séhil Bey, à Tophané. 44. Mesdjid de Iliasse Zadé, à Top Kapou. 45. Mesdjid de Pazar Bachi Mémi Kahya, à Rassim Pacha. 46. Mesdjid de Mehmed Pacha, à Buyuk Tchekmédjé. 47. Mesdjid de Hadji Pacha, à Scutari. 48. Mesdjid de Saradj Hané, à Hasskeuy. 49. Mesdjid de Sarraf, hors de Top Kapou. 50. Mesdjid de Rouznamédji Abdi Tchélébi, à Soulou Monastir. MEDRÉSSÉS (Écoles). 1. Sultan Suléiman, à La Mecque. 2. Sultan Suléiman, à Stamboul. 3. Sultan Sélim Ier, à Halidjilar. 4. Sultan Sélim II, à Andrinople. 5. Sultan Sélim Han, à Tchorlou. 6. Chehzadé Sultan Mehmed, à Stamboul. 7. Hasséki Sultan Mehmed, à Avret-Bazar. 8. Hasséki Sultan Kaarié, à Sultan Sélim. 9. Validé Sultan, à Scutari. 10. Mihr i Mah Sultane, à Scutari. 11. Mihr i Mah Sultane, à Edirné Kapou. 12. Mehmed Pacha, à Kadirga Liman. 13. Mehmed Pacha, à Eyoub. 14. Osman Chah Validéssi, à Ak-Séraï. 15. Rustem Pacha, à Stamboul. 16. Ali Pacha, à Stamboul. 17. Maktoul Mehmed Pacha, à Top Kapou. 18. Sofou Mehmed Pacha, à Stamboul. 19. Ibrahim Pacha, à Stamboul. 20. Sinan Pacha, à Stamboul. 21. Iskender Pacha, à Stamboul. 22. Ali Pacha, à Baba Eski. 23. Missirli Moustapha Pacha, à Guebzé. 24. Ahmed Pacha, à Ismidt. 25. Kassim Pacha. 26. Ibrahim Pacha, à Stamboul près d’Issa Capou. 27. Chemssi Pacha, à Scutari. 28. Djafer Agha, à Stamboul. 29. Capou aghassi Mahmoud agha, à Stamboul. 30. Maaloul Emir Effendi, à Stamboul. 31. Umm-ul-Veled, à Stamboul. 32. Avdji Bachi, à Stamboul. 33. Mufti Hamid Effendi, à Stamboul. 34. Firouz agha, à Stamboul. 35. Hadjéki Zadé, à Sultan Mehmed. 36. Agha Zadé, à Sultan Mehmed. 37. Yahya Effendi, à Sultan Mehmed. 38. Abdusselam, à Sultan Mehmed. 39. Toudi Kadi, à Sultan Mehmed. 40. Hekim Mehmed Tchélébi, à Sultan Mehmed. 41. Husséin Tchélébi, à Sultan Mehmed. 42. Emin Sinan Effendi, à Sultan Mehmed. 43. Chah Koulou, à Sultan Mehmed. 44. Younouss Bey, à Diragman. 45. Kardji Suléiman Bey, à Stamboul. 46. Hadji khatoun, à Stamboul. 47. Cherif Zadé, à Stamboul. 48. Kadi Hekim Tchélébi, à Karaman. 49. Baba Tchélébi, à Stamboul. 50. Kermassi. 51. Sekban Ali bey, à Kumruk Hané. 52. Nichandji Mehmed Bey, à Alti Mermer. 53. Bedestan Kahyassi Husséin Tchélébi, à Stamboul. 54. Gulfem Hatoum, à Scutari. 55. Houssrev Kahya, à Angora. DARULKOURA (Bibliothèques). 1. Sultan Suléïman, à Stamboul. 2. Validé Sultan, à Scutari. 3. Houssrev Kahya, à Stamboul. 4 Mehmed Pacha, à Eyoub. 5. Mufti Saïd Tchélébi, à Kutchuk Karaman. 6. Bossnali Mehmed Pacha, à Stamboul. 7. Kadi Zadé, à Stamboul. TURBÉ (Tombeaux). 1. Sultan Suléïman Han. 2. Sultan Sélim Han. 3. Chehzadé Mehmed Han. 4. Chehzadéler, à Sultan Sélim. 5. Rustem Pacha, à Chehzadé Bachi. 6. Houssrev Pacha. 7. Ahmed Pacha, à Top Capou. 8. Mehmed Pacha, à Eyoub. 9. Des fils de Siavèche Pacha, à Eyoub. 10. Zal Pacha. 11. Haïreddin Barbarosse, à Bechiktache. 12. Yahya Effendi, à Bechiktache. 13. Arab Ahmed Bey, à Bechiktache. 14. Kilidj Ali Pacha, à Tophané. 15. Pertev Pacha, à Eyoub. 16. Chah Houban Kadine, à Yéni Baghtché. 17. Ahmed Pacha, à Edirné Kapou. 18. Hadji Pacha, à Scutari. 19. Chemsi Pacha, à Scutari. IMARETS (Cantines). 1. Sultan Suléïman, à Stamboul. 2. Hasséki, à La Mecque. 3. Chéhzadé Sultan Suléiman, à Stamboul. 4. Sultan Sélim, à Karapinar. 5. Sultan Suléiman, à Tchorlou. 6. Mihr i Mah Sultane, à Scutari. 7. Validé Sultane, à Scutari. 8. Sultan Mourad, à Manissa. 9. Rustem Pacha, à Roustchouk. 10. Rustem Pacha, à Sabandja. 11. Mehmed Pacha, à Bourgas. 12. Mehmed Pacha, à Hafssa. 13. Moustapha Pacha, à Ghebzé. 14. Mehmed Pacha, à Bossna. [Illustration: Pl. 51. VIEUX SÉRAIL.--Tchinili Kiosque.] VIEUX SÉRAIL.--Terrasse et pavillon aux faïences.] HOPITAUX 1. Sultan Suléiman. 2. Hasséki Sultane. 3. Validé Sultane, à Scutari. AQUEDUCS 1. Dérbend Kéméri. 2. Ouzoun Kemer. 3. Mouallak Kemer. 4. Keurundjé Kemeri. 5. Muderiss Keuy Kemeri. PONTS 1. Le pont de Buyuk Tchekmédjé. 2. Le pont de Silivri. 3. Le pont de Moustapha Pacha sur Méritch. 4. Le pont de Mehmed Pacha, à Marmara. 5. Le pont de Oda Bachi, à Halkali. 6. Le pont de Kapou aghassi, à Harami déré. 7. Le pont de Mehmed Pacha, à Sinanli. 8. Le pont de Grand Vizir Mehmed Pacha, à Vichgrad (Bosnie). KARVAN-SÉRAÏ (Hôtelleries). 1. Karvan Séraï de Sultan Suléïman. 2. Karvan Séraï de Sultan, à Tchékmédjé. 3. Karvan Séraï de Rustem Pacha, à Tekvourdaghi. 4. Karvan Séraï de Rustem Pacha, à Bat Pazari. 5. Karvan Séraï de Rustem Pacha, à Galata. 6. Karvan Séraï de Ali Pacha, à Bat Pazari. 7. Karvan Séraï de Pertev Pacha, à Vefa. 8. Karvan Séraï de Moustapha Pacha, à Alghin. 9. Karvan Séraï de Rustem Pacha, à Ak Biik. 10. Karvan Séraï de Rustem Pacha, à Samanli. 11. Karvan Séraï de Rustem Pacha, à Sabandja. 12. Karvan Séraï de Rustem Pacha, à Karaman. 13. Karvan Séraï de Rustem Pacha, à Karichdiran. 14. Karvan Séraï de Houssrev Kahia, à Ipssalé. 15. Karvan Séraï de Mehmed Pacha, à Bourgas. 16. Karvan Séraï de Rustem Pacha, à Andrinople. 17. Karvan Séraï de Ali Pacha, à Andrinople. PALAIS 1. Palais de Vieux Sérail. 2. Palais de Nouveau Sérail. 3. Palais de Usskudar. 4. Palais de Galata. 5. Palais de At Méïdani. 6. Palais de Yéni Capou. 7. Palais de Kandilli. 8. Palais de Fener Baghtché. 9. Palais de Iskender Tchélébi Bahdjéssi. 10. Palais de Halkali. 11. Palais de Rustem Pacha, à Kadirga. 12. Palais de Mehmed Pacha, à Sainte-Sophie. 13. Palais de Mehmed Pacha, à Scutari. 14. Palais de Rustem Pacha, à Scutari. 15. Palais de Siavèche Pacha, à Scutari. 16. Palais de Siavèche Pacha, à Scutari. 17. Palais de Siavèche Pacha, à Stamboul. 18. Palais de Ali Pacha, à Stamboul. 19. Palais de Ahmed Pacha, à At Méidani. 20. Palais de Ferhad Pacha, à Sultan Bayazid. 21. Palais de Pertev Pacha, à Véfa. 22. Palais de Sinan Pacha, à At Méidani. 23. Palais de Sofou Mehmed Pacha, à Hodja Pacha. 24. Palais de Mahmoud Agha, à Yéni Baghtché. 25. Palais de Mehmed Pacha, à Halkali. 26. Palais du Chah Houban Kadine, à Kassim Pacha. 27. Palais du Pertev Pacha, à Tachra. 28. Palais de Ahmed Pacha, à Tachra. 29. Palais de Ali Pacha, à Eyoub. 30. Palais de Ali Pacha, à Eyoub. 31. Palais de Mehmed Pacha, à Rustem Pacha tchiflik. 32. Palais de Mehmed Pacha, à Bosnie. 33. Palais de Rustem Pacha, à Isskender tchiflick. DÉPOTS 1. Dépôts à Galata. 2. Dépôts à Terssané-i-Amiré (arsenal). 3. Dépôts à Saraï. 4. Dépôts à Hass Baghtché. 5. Dépôts à Saraï. 6. Dépôts à Oun Kapani. BAINS 1, 2, 3. Bains du Palais Impérial par ordre du Sultan Suléiman. 4. Bains de Sultan Suléiman, à Stamboul. 5. Bains de Sultan Suléiman, à Kéfé. 6. Bains du Palais d’Usskudar. 7. Bains de Hasseki Sultane, à Sainte-Sophie. 8. Bains de Hasseki Sultane, à Yahoudiler. 9. Bains de Validé Sultan, à Usskudar. 10. Bains de Sultan, à Karapinar. 11. Bains de Validé Sultane, à Djibali. 12. Bains de Mihr-i-Mah Sultanne, à Edirné-Capou. 13. Bains de Loutfi Pacha, à Edirné-Capou. 14. Bains de Mehmed Pacha, à Galata. 15. Bains de Mehmed Pacha, à Andrinople. 16. Bains de Kodja Moustapha Pacha, à Yéni Baghtché. 17. Bains de Ibrahim Pacha, à Silivri Capou. 18. Bains de Capou aghassi, à Soulou Monastir. 19. Bains de Sinan Pacha, à Bechiktache. 20. Bains de Molla Tchélébi, à Findikli. 21. Bains de Kapoudan Ali Pacha, à Tophané. 22. Bains de Kapoudan Ali Pacha, à Fener Capou. 23. Bains de Mufti Ali Pacha, à Madjoundji Tcharchissi. 24. Bains de Mehmed Pacha, à Hafssa. 25. Bains de Merkez Effendi, à Yéni Capou. 26. Bains de Nichandji Pacha, à Eyoub. 27. Bains de Houssrev Kahia, à Ortakeuy. 28. Bains de Ismidt, à Ortakeuy. 29. Bains de Tchataldja, à Ortakeuy. 30. Bains de Rustem Pacha, à Sabandja. 31. Bains de Husséin Bey, à Kaïsseri. 32. Bains de Sari Kuzel, à Stamboul. 33. Bains de Haïreddin Pacha, à Zéirek. 34. Bains de Haïreddin Pacha, à Kumruk Hané. 35. Bains de Yacoub Agha, à Tophané. [Illustration: Pl. 52. VIEUX SÉRAIL.--(Au fond la porte de la salle du Trône.) VIEUX SÉRAIL.--Cour du Harem.] BIOGRAPHIE DE MEHMED AGHA Mehmed agha, fils d’Abdul Mouïn et architecte du sultan Ahmed Ier, qui a construit quantités de mosquées et d’autres monuments, des chapelles, des ponts, des turbés, et plus de cent fontaines, jouissait d’une grande réputation. Un de ses amis, Djaffer effendi, lui a consacré, ainsi qu’il était d’usage alors, une biographie intéressante comprenant aussi un aperçu de ses œuvres (Ménakibnamé). Nous empruntons à ce travail, dont nous avons eu le manuscrit sous les yeux, les détails suivants. Mehmed agha, originaire de Roumélie (Turquie d’Europe), arriva à Constantinople en l’an 970, vers la fin du règne de Suléïman et fut enrôlé dans le corps des janissaires comme _adjemi-oglan_ (apprenti). Cinq ans plus tard, il était nommé gardien dans le jardin du tombeau de Suléïman. Sa destinée le portait plutôt, semblait-il, vers la musique que vers l’architecture où il devait s’illustrer. Mais un rêve qu’il fit un soir le détourna de sa vocation. Il en avait demandé l’explication à un vieux et vénérable chéikh, qui lui recommanda d’abandonner la musique comme un péché. C’est alors qu’il brisa tous ses instruments, résigné à chercher ailleurs l’application de ses facultés intellectuelles et de ses goûts artistiques. Il se tourna vers l’architecture, après avoir consulté le même vieillard qu’autrefois, lequel, cette fois, lui représenta cette carrière comme vraiment digne de lui, puisqu’il s’agissait de contribuer à une œuvre publique et saine, telle que l’édification de forts, fontaines et mosquées. Mehmed agha entra alors dans les ateliers du palais où il s’adonna à l’étude de l’architecture et du travail sur nacre (977). A cette époque, Kodja Sinan vivait encore. Il visitait fréquemment ces ateliers et eut l’occasion d’admirer le talent de Mehmed agha. Il l’encouragea et l’engagea à préparer une œuvre pour être présentée au sultan Murad III. Mehmed agha se mit au travail et fit un pupitre finement ouvragé, que Ahmed pacha, porte-armes de Sa Majesté, se chargea de présenter au Souverain. Celui-ci en récompense lui décerna le titre de _Bévab_ (portier du Palais) (998). De retour à Constantinople, après un voyage qu’il fit en Égypte et en Roumélie pour inspecter les frontières, il fabriqua un carquois qu’il présenta à Sa Majesté. Ce nouveau travail lui valut une nouvelle distinction. Le Sultan le nomma _Mouhsir-bachi_ (chef-procureur) près du juge de Stamboul; lorsque Hussrev pacha fut nommé beylerbey de Diarbékir, Mehmed agha fut envoyé en qualité de _Mussellim_ (transmetteur de pouvoirs). A son retour, il occupa les fonctions de _Capou-Kéhia_ de ce pacha, jusqu’à l’époque où Hussrev pacha fut nommé au gouvernement de Damas; Mehmed agha l’y accompagna et fut chargé de l’administration du Hauran. Des bandes de brigands infestaient alors le pays et attaquaient la caravane sacrée. Mehmed agha réussit à les anéantir. Ce succès indisposa à son égard Hussrev pacha, dont la jalousie croissante obligea Mehmed agha à retourner à Constantinople. Il y rentra et fut en 1006 nommé administrateur des eaux, poste qu’il conserva pendant huit ans. A la mort de Mimar Sinan, Davoud agha devint architecte du sultan; Ahmed agha surnommé Dalguitch, camarade de Mehmed agha, succéda à celui-ci. Et à la mort d’Ahmed agha, ce fut Mehmed agha qui fut élevé au poste d’architecte en chef du Sultan, en l’an 1015 de l’Hégire, mercredi VIIIe jour de Djemazi-el-akir. Outre les nombreux édifices et mosquées qui attestent sa puissance de travail, Mehmed agha a eu l’honneur d’être envoyé à La Mecque afin d’y réparer la Kaaba. Cet artiste fut un homme pieux, fidèle à tous les préceptes de la religion, et charitable à ce point qu’il destinait aux pauvres tous les bénéfices qu’il retirait de ses travaux. D’après _Hadikatul-Djevami_, sa maison se trouvait en face de la mosquée construite par lui-même sur l’emplacement du Mesdjid de Zeïni effendi, Mesdjid qui fut brûlé pendant l’incendie de Djibali. [Illustration: Pl. 53. VIEUX SÉRAIL.--Balcons à encorbellement. VIEUX SÉRAIL.--Intérieur de Bagdad Kiosque.] MONUMENTS DE L’ÉPOQUE BYZANTINE[90] [90] Les astérisques renvoient au tableau suivant, où sont indiqués les monuments musulmans contemporains de la même époque. +-------------------------+------------------------------------------+ | DATES ET NOMS | CHRONOLOGIE DES MONUMENTS | +-------------------------+------------------------------------------+ |658 av. J.-C. Byzas. |Les murs de l’ancienne petite ville de | | | Byzance. Statue de Byzas. Acropole. | | | L’arène. Le milium (portes triomphales).| | | | |490 av. J.-C. Darius. | | | | | |479 av. J.-C. Pausanias. | | | | | | | | |330 ap. J.-C. Constantin |L’Augustéon. Colonne de Constantin. Homona| |le Grand (306-337 J.-C.).| (monastère de Pantéleïmon). Les premiers| | | murs de la ville, la basilique de | | | Sainte-Sophie, l’église de Sainte-Irène | | | (qui fut ensuite brûlée pendant la | | | révolution de Nika), le Sénat, | | | l’hippodrome. | | | | |361-63. Julien l’Apostat.| | | | | |363-64. Jovien. | | | | | |364-78. Valentinien Ier |Aqueduc de Valens. | | et Valens. | | | | | |394-95. Théodose le |L’Obélisque de Théodose. Destruction des | | Grand. | temples païens. Forum Tauri. | | | Pentapyrgion (5 tours). Église de | | | Saint-Théodore Tyron. | | | | |_Maison de Thrace_ | | | (395-518): | | | | | |395-408. Arcadius. |Thermes d’Arcadius. Forum d’Arcadius. | | | Colonne d’Arcadius surmontée de sa | | | statue. | | | | |408-50. Théodose II. |Agrandissement de la ville. Les murs | | | théodosiens ou d’Anthémius (appelés | | | ainsi du nom du ministre qui les a | | | construits) (413). On a rebâti les murs | | | détruits par un tremblement de terre | | | (447). | | | | |450-57. Marcien. |Colonne Marcienne. Église de la | | | Sainte-Vierge des Blaquernes, bâtie par | | | Pulchérie, épouse de l’Empereur. | | | | |457-74. Léon Ier. |Le patricien Stoudios fit construire | | | l’église du couvent Saint-Jean de | | | Stoudios. Citerne de Mocius ou d’Aspar, | | | construite par Aspar, chef de la milice | | | gothique, pour alimenter les Goths | | | cantonnés hors les murs. Saint-Pierre | | | et Saint-Marc. | | | | |474. Léon II le Jeune. | | | | | |474-91. Zénon. |La tour du Christ (tour de Galata). | | | | |491-518. Anastase Ier. |Palais des Blaquernes. | | | | |_Maison Justinienne_ | | | (518-610): | | | | | |518-27. Justin Ier. | | | | | |527-65. Justinien Ier. |Sainte-Sophie (532-537). Saints-Serge et | | | Bacchus (Kutschuk aya Sofia). L’église | | | des Douze-Apôtres. La «Chora» (Kahrié | | | Djami). L’église de Sainte-Thecla. | | | Sainte-Irène. Cisterna Basilica | | | (Yerebatan serai). Cisterna Philoxeni | | | (Bin. bir. direk). | | | | |565-78. Justin II. |Construction du Chrysotriclinium dans le | | | grand palais. | |578-82. Tibère | | | Constantin. | | | | | |582-602. Maurice. |Église de la Diaconissa. (Kalender-Djami.)| | | | |*602-10. Phocas. | | | | | |610-41. Héraclius. |Murs d’Héraclius qui relièrent le château | | | des Blaquernes avec les murs | | | théodosiens. | | | | |641. Héraclius II ou | | | Constantin III. | | | | | |641. Héracleonas | | | Constantin IV. | | | | | |*641-68. Constant II. | | | | | |*668-85. Constantin III |Construction de la première mosquée par | | (ou V[91]) (Pogonat ou | les Arabes (Arab Djamissi) à Galata. | | Barbu). | | | | | [91] Le cinquième de ce nom si l’on compte Héraclius et | | Heracleonas parmi les Constantin, compté par d’autres | | comme le troisième de ce nom. | | | | |685-94. Justinien II. |Construction de l’église de l’Archange | | | Michel, près du port Julien. | |*694-705. Tibère III. | | | | | |705-11. Justinien II. | | | | | |711-13. Philippicus. | | | | | |713-15. Anastase II. | | | | | |715-17. Théodose III. |L’église actuelle des dominicains, à | | | Galata. | | | | |_Dynastie Isaurienne_ | | | (717-867): | | | | | |717-41. Léon III |Pentapyrgion Aïvan Séraï (740). Un | | l’Isaurien. | tremblement de terre renversa la statue | | | d’Arcadius, qui se trouvait sur la | | | colonne portant le même nom. | | | | |*741-75. Constantin IV ou| | | VI Copronyme. | | | | | |775-80. Léon IV le | | | Khazar. | | | | | |*780-97. Constantin V ou | | | VII. | | | | | |780-802. Irène. | | | | | |802-11. Nicéphore Ier | | | (dit le Logothète). | | | | | |811-13. Michel Ier. | | | Rangabé dit Curopalate.| | | | | |813-20. Léon V | | | l’Arménien. | | | | | |820-29. Michel II | | | le Bègue. | | | | | |829-42. Théophile. |Réparation des murailles de | | | Constantinople. Constructions au palais.| | | | |842-67. Michel III |Fondation de l’Académie dans la Magnaura. | | l’Ivrogne. | | | | | |_Dynastie Macédonienne_ | | | (867-1057): | | | | | |867-86. Basile Ier. |La Nouvelle église. Le Cenourgion. | | | | |*868-78. Constantin VI | | | ou VIII. | | | | | |886-912. Léon VI le Sage |L’église de la Théotokos. | | ou le Philosophe. | | | | | |912-59. Constantin VII |Palais de Constantin ou Tekfour séraï. | | Porphyrogénète. | Colonne murée. | | | | |920-944. Romain Ier | | | Lécapène. | | | | | |920-45. Constantin VIII | | | ou X. | | | | | |959-63. Romain II. | | | | | |963-69. Nicéphore II |Port et palais du Boucoléon. | | Phocas. | | | | | |*969-75. Jean Zimiscès. | | | | | |975-1025. Basile II | | | Bulgaroctone. | | | | | |*975-1028. Constantin IX | | | ou XI. | | | | | |1028-34. Romain III dit |Rénovation de l’église de Sainte-Marie des| | Argyre. | Blaquernes et de Sainte-Sophie. Église | | | de la Peribleptos. | | | | |1034-41. Michel IX. | | | | | |1041-42. Michel V | | | Calafate. | | | | | |1042-54. Constantin X ou |Le couvent Saint-Georges de Manganes. | | XII. | | | | | |1054-56. Théodora. | | | | | |1056-57. Michel | | | Stratiotique. | | | | | |1057-59. Isaac Comnène. | | | | | |1059-67. Constantin XI | | | ou XIII Ducas. | | | | | |1067-68 } Michel VII le |Église Pammakaristos. | |1071-78 } Parapinace. | | | | | |1068-71. Romain IV. | | | | | |1078-81. Nicéphore III | | | Botoniate. | | | | | |_Dynastie des Comnènes_: | | | | | |1081-1118. Alexis Ier. |La foudre ayant renversé la statue qui se | | | trouvait sur la colonne de Constantin, | | | avec les tambours supérieurs, l’Empereur| | | la répara et fit mettre un nouveau | | | chapiteau corinthien avec des | | | inscriptions et une croix en or. | | | Reconstruction de l’église de Chora, par| | | Marie Ducas, la belle-mère de | | | l’Empereur. | | | | |*1118-43. Jean II |L’église du Pantokrator (1125), bâtie par | | Comnène. | Irène, épouse de l’Empereur. | | | | |*1143-80. Manuel. |Agrandissement du palais des Blaquernes | | | qui fut adopté comme résidence | | | impériale. | | | | |1180-83. Alexis II | | | Comnène. | | | | | |1183-85. Andronic | | | Comnène. | | | | | |*1185-95 } | | | 1203-04 } Isaac L’Ange. | | | | | |*1195-203. Alexis III. | | | | | |1203-04. Alexis le Jeune.| | | | | |1204. Alexis Ducas. | | | | | |_L’Empire latin de | | | Constantinople_ | | | (1204-1261): | | | | | |1204-06. Baudouin Ier. | | | | | |*1206-16. Henri de | | | Hainaut. | | | | | |*1216-18. Pierre de | | | Courtenay. | | | | | |*1218-28. Robert. | | | | | |*1228-31, 1231-37. Jean | | | de Brienne. | | | | | |*1237-61. Baudouin II. | | | | | |_Empereurs grecs à | | | Nicée_: | | | | | |1204-222. Théodore | | | Lascaris. | | | | | |1222-254. Jean III | | | Vatazès. | | | | | |1254-259. Théodore II | | | Lascaris. | | | | | |_Dynastie des | | | Paléologues et des | | | Cantacuzènes_ | | | (1261-1453): | | | | | |*1261-82. Michel |Les nouveaux murs des Blaquernes. Église | | Paléologue. | de Kyra Martha bâtie par l’impératrice | | | Maria Ducas, sœur de l’Empereur. | | | | |*1282-1328. Andronic II |Restauration de l’église de Chora et | | Paléologue. | renouvellement de ses mosaïques, par | | | Théodore Métochite, ministre | | | d’Andronic II. Restauration de | | | Christo-Camera. | | | | |*1328-41. Andronic III | | | Paléologue. | | | | | |*1341-91. Jean V[92]. |Église des Blaquernes détruite par le feu.| | | | [92] Jean III et Jean IV avaient régné à Nicée. | | | | |*1341-55. Jean VI | | | Cantacuzène. | | | | | |*1355-56. Mathieu | | | Cantacuzène. | | | | | |*1376-79. Andronic IV P. | | | | | |*1391-1425. Manuel II P. | | | | | |1399-1402. Jean VII | | | Paléologue. | | | | | |*1425-48. Jean VIII | | | Paléologue. | | | | | |*1448-53. Constantin XII | | | ou XIV Dracosès. | | +-------------------------+------------------------------------------+ [Illustration: Pl. 54. VIEUX SÉRAIL.--Intérieur. INTÉRIEUR D’UNE MAISON TURQUE DU XVIIE SIÈCLE (D’après un dessin de l’auteur.)] MONUMENTS MUSULMANS CONTEMPORAINS DE L’ÉPOQUE BYZANTINE +------+----------+--------------------------------------------------+ | | ÈRE | | |HÉGIRE|CHRÉTIENNE| | +------+----------+--------------------------------------------------+ | » | 608 |Reconstruction de la Kaaba (Arabie). | | | | | | 21 | 642 |Fondation de la mosquée d’Amrou (Caire). | | | | | | 23 | 643 |Mosquée d’Omar, à Jérusalem. | | | | | | 49 | 669 |Mosquée El Aksa, à Jérusalem. | | | | | | 84 | 703 |Reconstruction de la mosquée Kairouan (Tunisie). | | | | | | 132 | 750 |Califat de Cordoue (Espagne). | | | | | | 137 | 755 |Tombes, à Reï (Perse). | | | | | | 142 | 760 |Fondation de la Mesdjid Djouma, à Ispahan (Perse).| | | | | | 174 | 790 |Palais de Rakka (Mésopotamie). | | | | | | 261 | 875 |Mosquée Djouma de Chiraz (Perse). | | | | | | 264 | 878 |Mosquée Touloun (Caire). | | | | | | 361 | 971 |Mosquée El-Azhar (Caire). | | | | | | 408 | 1017 |Fondation de la grande mosquée d’Ardebil. | | | | | | 471 | 1079 |Agrandissement de la grande mosquée d’Ispahan, par| | | | Malik Chah. | | | | | | 525 | 1132 |Chapelle palatine, à Palerme. | | | | | | 555 | 1160 |Palais des Seldjoucides, à Konia (Asie M.). | | | | | | 567 | 1171 |Tombeau de l’imam Chafiï (Caire). | | | | | | 587 | 1191 |Grande mosquée de Mossoul (Mésopotamie). | | | | | | 596 | 1199 |L’Alcazar de Séville (Espagne). | | | | | | 607 | 1160 |Tombeaux de Kilidj-Arslan et de Kaï-Khosrou Ier | | | | (Asie M.). | | | | | | 613 | 1216 |Tach-Medressé, à Ak-Chehir (Asie M.). | | | | | | 617 | 1220 |Mosquée d’Ala-ed-din, à Konia (Asie M.). | | | | | | 627 | 1229 |Caravansérail de sultan Khan, près de Konia | | | | (Asie M.). | | | | | | 628 | 1230 |Fondation de l’Alhambra (Espagne). | | | | | | 640 | 1242 |Sirtchéli-medressé, à Konia (Asie M.). | | | | | | 648 | 1250 |Achèvement de Tach-medressé, à Ak-Chéhir | | | | (Asie M.). | | | | | | 649 | 1251 |Karataï-medressé et Indjé-minareli medressé, à | | | | Konia (Asie M.). | | | | | | 659 | 1261 |Turbé de Sahib-Ata, à Konia (Asie M.). | | | | | | 669 | 1270 |Tchifté-minaré, Gueuk-medressé, à Sivas (Asie M.).| | | | | | 672 | 1273 |Mosquée de Djelal-ed-din à Konia (Asie M.). | | | | | | 693 | 1294 |Mosquée de Ghazan Khan, à Tauris (Perse). | | | | | | 704 | 1304 |Mosquée d’Oldjaïtou, à Sultanieh (Perse). | | | | | | 725 | 1325 |Conquête de Brousse, par les Ottomans. | | | | | | 755 | 1354 |Tombeau d’Orkhan, à Brousse (Ottom.). (Asie M.). | | | | | | 755 | 1354 |La cour des Lions, la salle des Ambassadeurs de | | | | l’Alhambra, à Grenade (Espagne). | | | | | | 757 | 1356 |Mosquée du sultan Hassan (Caire). | | | | | | 758 | 1357 |Fondation d’Oulou-Djami, par Murad Ier, à | | | | Brousse. | | | | | | 768 | 1366 | Mosquée d’In-Eunu (Asie Mineure) (Ottom.). | | | | | | 780 | 1378 |Mosquée Verte construite par Murad Ier à Nicée | | | | (Ottom.) (Asie M.). | | | | | | 780 | 1378 |Construction de la première mosquée turque à | | | | Constantinople. | | | | | | 786 | 1384 |Mosquée de Barkouk (Caire). | | | | | | 791 | 1389 |Bains de la sultane Niloufer, à Nicée (Ottom.) | | | | (Asie M.). | | | | | | 818 | 1415 |Achèvement d’Oulou-Djami, par Mahomet Ier | | | | (Ottom.), Brousse. Yéchil Djami, à Brousse | | | | (terminée en 1424) (Ottom.). | | | | | | 818 | 1417 |Mosquée El-Moyed (Caire). | | | | | | 823 | 1420 |Tombeau de (Mehmed Ier). Turbé vert, à Brousse | | | | (Ottom.). | | | | | | 840 | 1436 |Mosquée Kaït Bey (Caire). | | | | | | 855 | 1451 |Construction du Château fort de Rouméli Hissar, | | | | par Mehmed II, sur la rive européenne du | | | | Bosphore. | +------+----------+--------------------------------------------------+ [Illustration: Pl. 55. PALAIS DE DOLMA BAGTCHÉ. VUE PANORAMIQUE DE LA MOSQUÉE SULEÏMANIÉ.] MONUMENTS DE L’ÉPOQUE OTTOMANE +---------+----------------+-----------------------------------------+ | | NOMS | | | DATES | DES SULTANS | MONUMENTS CÉLÈBRES | +---------+----------------+-----------------------------------------+ |1440-1445|Mehmed II le |Bezesten (Bazar). | | | Conquérant. |Mosquée de Fatih (867 H.), reconstruite | |1451-1481| -- | sous Moustafa III. | | | |Mosquée d’Ibrahim Pacha. | | | |Mosquée de Mahmoud Pacha (868 H.). | | | |Mosquée de Mourad Pacha (870 H.). | | | |Mosquée de Nichandji Pacha (ancienne). | | | |Mosquée de Roum Mehmed Pacha (875 H.). | | | |Tchinili Kiosque (870 H.) restauré sous | | | | Murad III en (990 H.). | | | |Le palais de Top Kapou (vieux sérail). | | | | | |1481-1512|Bayazid II. |Mosquée d’Atik Ali Pacha (902 H.). | | | |Mosquée de Vefa (881 H.). | | | |Mosquée de Bayazid. | | | | | |1512-1520|Sélim Ier. |Mosquée de Sélim. | | | | | |1520-1566|Suleïman Ier le |Mosquée de Chahzadé (955 H.). | | | Législateur. |Mosquée de Djihanguir (reconstruite en | | | | 1238 H.). | | | |Mosquée de Mihri Mah à Edirné Kapou. | | | |Mosquée de Rustem Pacha. | | | |Mosquée de Suleïmanié (964 H.). | | | | | |1566-1573|Sélim II. |Mosquée de Foundouklou (réparée en | | | | 1238 H.). | | | |Mosquée de Pialé Pacha (981 H.). | | | | | |1573-1595|Murad III. |Mosquée d’Azeb Kapou (985 H.). | | | |Mosquée de Nichandji Pacha (Djedid) | | | | (992 H.). | | | | | |1595-1603|Mehmed III. | | | | | | |1603-1617|Ahmed Ier. |Mosquée du sultan Ahmed. | | | | | |1617-1618|Moustafa Ier. | | | | | | |1618-1622|Osman II. | | | | | | |1622-1640|Murad IV. | | | | | | |1640-1648| Ibrahim. | | | | | | |1648-1687|Mehmed IV. |Mosquée de Djerrah Pacha (1082 H.). | | | |Mosquée de Yeni Djami (1074 H.). | | | | | |1687-1691|Suleïman II. | | | | | | |1691-1695|Ahmed II. | | | | | | |1695-1702|Moustafa II. |Mosquée de Yeni Djami de Galata. | | | | | |1702-1730|Ahmed III. |Fontaine d’Azeb Kapou. | | | |Fontaine d’Ahmed (ou d’Aya Sofia). | | | |Fontaine de Tophané reconstruite sous | | | | Mahmoud Ier. | | | |Mosquée de Kassim Pacha. Sa première | | | | construction est de l’époque de | | | | Suleïman II. | | | | | |1730-1754|Mahmoud Ier. |Mosquée de Nouri Osmanié (1169 H.). | | | | | |1754-1757|Osman III. | | | | | | |1757-1773|Moustafa III. |Mosquée de Laléli. | | | |Reconstruction de la mosquée de Fatih. | | | | | |1773-1789|Abdul-Hamid Ier.|Tombeau et Imarets. | | | | | |1789-1807|Sélim III. |Mosquée de Sélimié, à Scutari. | | | | | |1807-1808|Moustafa IV. | | | | | | |1808-1839|Mahmoud II. |Mosquée de Tophané ou Noussratié | | | | (1241 H.). | | | | | |1839-1861|Abdul-Medjid. |Tombeau de Mahmoud II. (1225 H.). | | | |Caserne de Medjidié. | | | |École militaire. | | | | | |1861-1876|Abdul Aziz. |Ministère de la Guerre. | | | |Mosquée de Validé, à Akséraï. | | | |Palais de Tchéragan. | | | | | |1876-1876|Murad V. | | | | | | |1876-1909|Abdul-Hamid II. |Defterhané. | | | |Dette publique. | | | |Reconstruction de la fontaine de Yeni | | | | Djami. | | | |Mosquée de Yildiz. | | | |École de Médecine de Haïdar Pacha. | | | |Réparation du grand Bazar. | | | | | |1909 |Ahmed V. |Ministère des Postes et Télégraphes. | +---------+----------------+-----------------------------------------+ BIBLIOGRAPHIE ART ARABE ABD-AL-LATIF. Relation de l’Égypte, traduit par Silvestre de Sacy. Paris, 1810, in-4º. ABOULFÉDA. Géographie traduite de l’arabe par Reinaud et Stanislas Guyard. P. 1837-1883, 3 vol. in-4º. AMARI. La Storia dei musulmani di Sicilia, 4 vol. Florence, 1854-1869. BOURGOIN. Les arts arabes. P. 1873, in-fº. BOURGOIN. Précis de l’art arabe. P. 1889, in-4º. BURCKHARDT (J.-L.). 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Le siège et la prise de Constantinople par les Turcs (Rev. hist., 1880). TABLE DES PLANCHES Planches. Pages. PLAN DE CONSTANTINOPLE. au titre 1. PANORAMA DE CONSTANTINOPLE (entrée de la Corne d’Or). 1 2. PANORAMA DE CONSTANTINOPLE (suite). 1 3. LES MURS THÉODOSIENS. Vue du côté des Sept Tours. 5 4. RUINES DU PALAIS JUSTINIEN.--CHATEAU DES SEPT TOURS. Escalier conduisant aux remparts. 9 5. TOUR DE GALATA.--MOSQUÉE DE TOPHANÉ. 17 6. PORTE MELANDISIA.--PORTE DE RHÉGIUM. 21 7. SAINTE-SOPHIE. Vue générale prise du côté de l’Hippodrome. 25 8. SAINTE-SOPHIE. Nef centrale. 33 9. SAINTE-SOPHIE. Intérieur. 37 10. SAINTE-SOPHIE. Narthex. 41 11. SAINTE-SOPHIE. Galeries supérieures du Gynécée. SAINTE-SOPHIE. Arcades supportant les galeries supérieures. 49 12. SAINTE-SOPHIE. Gynécée. 53 13. SAINTE-SOPHIE. Galerie supérieure. ÉGLISE DE SAINTE-IRÈNE. 57 14. ÉGLISE SAINTS SERGE ET BACCHUS. Chapiteaux et frise.--MOSQUÉE DE KAHRIÉ. Intérieur de la chapelle latérale. (Parekklesion.) 65 15. SAINTE-SOPHIE. Porte en bronze.--MOSQUÉE DE KAHRIÉ. Chapiteau avec croix de l’église Khora. 69 16. MOSQUÉE DE KAHRIÉ. (Ancienne église de Khora). 73 17. MOSQUÉE DE KAHRIÉ. Narthex. 81 18. MOSQUÉE DE KAHRIÉ. Partie latérale.--MOSQUÉE DE KAHRIÉ. Coupole du Narthex (mosaïques). Les patriarches et les représentants des tribus d’Israël autour de la Sainte Vierge. 85 19. MOSQUÉE DE KAHRIÉ. Mosaïque. Métochite, premier ministre de l’Empereur, présente au Christ Pantocrator, le modèle de l’église. MOSQUÉE DE KAHRIÉ. Mosaïque. Distribution aux jeunes filles de la laine pour filer le voile du Temple, le sort attribue à Marie la pourpre. 89 20. PALAIS DE L’HEBDOMON. Vue de l’Intérieur. PALAIS DE L’HEBDOMON. Façade. 97 21. HIPPODROME, PALAIS IMPÉRIAL ET SAINTE-SOPHIE AU XE SIÈCLE. (Restitution de l’auteur d’après le plan de Labarte). 101 22. OBÉLISQUE DE THÉODOSE. 105 23. COLONNE DE CONSTANTIN PORPHYROGÉNÈTE. 113 24. COLONNE DE THÉODOSE. Bas-reliefs du piédestal. 117 25. COLONNE DE CONSTANTIN ET MESÈ.--ANCIENNE RUE DE «MESÈ» ET COLONNE DE CONSTANTIN AU Xe SIÈCLE. (D’après la restitution de l’auteur). 121 26. COLONNE SERPENTINE.--AQUEDUC DE VALENS. 129 27. CITERNE DE BIN BIR DIREK. 133 28. MOSQUÉE DE BAYAZID. 137 29. MOSQUÉE DE BAYAZID. Cour. 145 30. MOSQUÉE DE SÉLIM Ier. 149 31. MOSQUÉE DE CHAHZADÉ. 153 32. MOSQUÉE NOURI OSMANIÉ. Porte principale. TOMBEAU DE CHAHZADÉ. 161 33. MOSQUÉE DE RUSTEM PACHA.--MOSQUÉE DE RUSTEM PACHA. Cour. 165 34. MOSQUÉE DE RUSTEM PACHA. Mihrab et Mimber. 169 35. MOSQUÉE DE SULEÏMANIÉ. Galeries de la façade et fontaines d’ablutions. 177 36. MOSQUÉE SULEÏMANIÉ. Intérieur. 181 37. MOSQUÉE SULEÏMANIÉ. Mihrab et Mimber. 185 38. MOSQUÉE DU SULTAN AHMED IER ET HIPPODROME. 193 39. MOSQUÉE D’AHMED IER. Intérieur. 197 40. MOSQUÉE D’AHMED IER. Mimber. 201 41. MOSQUÉE DE YENI DJAMI. 209 42. MOSQUÉE DE YENI DJAMI. Faïences de l’entrée des appartements du Sultan. 213 43. MOSQUÉE DE YENI DJAMI. Appartement du Sultan. 217 44. MOSQUÉE DU SULTAN MEHMED II LE CONQUÉRANT. 225 45. TOMBEAU DE MEHMED II LE CONQUÉRANT (Dans le Turbé devant sa mosquée). 229 46. FONTAINE D’AHMED III OU D’AYA SOPHIA. 233 47. INTÉRIEUR DU GRAND BAZAR. 241 48. MARCHANDS DE CHAUSSURES. 245 49. VIEUX SÉRAIL. (Palais de Top Kapou). Salle du Trône. 249 50. VIEUX SÉRAIL. Cheminée, porte, fontaine d’ablutions et faïences. 257 51. VIEUX SÉRAIL. Tchinili Kiosque.--VIEUX SÉRAIL. Terrasse et pavillon aux faïences. 261 52. VIEUX SÉRAIL. (Au fond la porte de la salle du Trône). VIEUX SÉRAIL. Cour du Harem. 265 53. VIEUX SÉRAIL. Balcons à encorbellement.--VIEUX SÉRAIL. Intérieur de Bagdad Kiosque. 269 54. VIEUX SÉRAIL. Intérieur.--INTÉRIEUR D’UNE MAISON TURQUE AU XVIIe SIÈCLE. (D’après un dessin de l’auteur.) 273 55. PALAIS DE DOLMA BAGTCHÉ.--VUE PANORAMIQUE DE LA MOSQUÉE SULEÏMANIÉ. 277 56. INTÉRIEUR TURC A L’ÉPOQUE DES JANISSAIRES. Réception des étrangers. (Gravure de A.-J. Duclos d’après les dessins de Moreau le Jeune.) 281 TABLE DES MATIÈRES PREMIÈRE PARTIE =A TRAVERS BYZANCE= CHAPITRE PREMIER PRÉCIS HISTORIQUE I. L’histoire de la ville jusqu’à la conquête turque 1 II. Mehmet II le Conquérant 14 III. La prise de Constantinople 21 CHAPITRE II TOPOGRAPHIE DE LA VILLE ANCIENNE I. Les régions 37 II. Les rues et les forums 41 III. Les environs de Byzance 47 IV. Les murs et les tours 62 V. Les portes 67 VI. Les portes des murs maritimes de la Corne d’Or 72 VII. Les portes des murs maritimes de la Propontide 75 CHAPITRE III L’ART ET LES ÉDIFICES BYZANTINS I. L’art byzantin 77 II. Les églises byzantines 84 Sainte-Sophie 84 Église de Sainte-Irène 96 Église des grands martyrs Serge et Bacchus 97 Église de Saint-Jean du Stoudion 98 Église de Chora 98 Église des Blaquernes 105 Autres églises 107 III. Les palais byzantins 112 Palais impérial 112 Palais de Boucoléon 118 Palais de la Magnaure 119 Palais des Blaquernes 120 Palais de Constantin Porphyrogénète 126 Hippodrome 128 IV. Les bains byzantins 132 V. Les monuments 134 Obélisque de Théodose le Grand 134 Colonne serpentine 136 Colonne murée ou colonne dorée (colosse) 137 Colonne de Constantin 138 Colonne d’Arcadius 139 Colonne de Marcien 139 Colonne des Goths 140 Statue de Justinien 140 VI. Les aqueducs et les citernes 141 VII. L’habitation civile byzantine 144 DEUXIÈME PARTIE =A TRAVERS ISLAMBOL= CHAPITRE PREMIER L’ART OTTOMAN I. L’art turc 151 II. Les origines de l’art ottoman 155 III. L’architecture ottomane 170 CHAPITRE II LES ÉDIFICES OTTOMANS I. Les mosquées 191 Mosquée de Bayazid 191 Mosquée de Selim Ier 195 Mosquée de Chahzadé 198 Mosquée Suléïmanié 201 Mosquée d’Ahmed Ier 209 Mosquée de Yeni Djami 211 Mosquée du sultan Mehmed le Conquérant (Fatih) 214 Mosquée de Laléli 216 II. Les fontaines 217 III. Les cimetières 221 IV. Les bains turcs (Hamam) 224 V. Le grand bazar 230 VI. Les palais impériaux ottomans 232 Palais de Top Kapou 232 Palais de Tcheragan 237 Palais de Dolma Bagtché 238 Palais de Yildiz 239 Les anciens palais 239 VII. L’habitation 242 Biographie de Kodja Sinan 253 Table des monuments construits par Kodja Sinan 256 Biographie de Mehmed Agha 265 Monuments de l’époque byzantine 269 Monuments musulmans contemporains de l’époque byzantine 275 Monuments de l’époque ottomane 277 Bibliographie 279 Table des planches 285 * * * * * Corrections: Page 5: «Mécédoine» remplacé par «Macédoine» (Philippe, roi de Macédoine). Page 21: «100.0000» remplacé par «100.000» (il n’y avait réellement que 100.000 guerriers). Page 22: «qu’ils» remplacé par «qu’il» (d’autres prétendent qu’il ne dépassait pas 9.000 soldats). Page 27: «spectale» remplacé par «spectacle» (Ce dut être un spectacle grandiose). Note 15: «Hammet» remplacé par «Hammer» (Hammer dit que ce soldat était un janissaire). Page 35: «embassadeurs» remplacé par «ambassadeurs» (le Sultan envoya des ambassadeurs aux Génois). Page 59: «probablemeut» remplacé par «probablement» (d’une mine de cuivre très probablement déjà exploitée). Page 63: «aggression» remplacé par «agression» (en prévision de l’agression des Avares). Page 81: «considéré» remplacé par «considérée» (ne peut être considérée comme l’œuvre des Turcs). Page 85: «et et» remplacé par «et» (des dignitaires de l’État et de la Cour). Page 92: «puit» remplacé par «puits» (telles que le puits sacré). Page 107: «d’Orée» remplacé par «Dorée» (15. Porte Dorée). Page 123 (Illustration): «Anéma» remplacé par «Anémas» (Prisons d’Anémas). Page 144: «Nymphœum» remplacé par «Nymphæum» (une citerne appelée Nymphæum Maximum). Page 151: «arc turc» remplacé par «art turc» (de l’art musulman, et surtout de l’art turc). Page 154: «conscienceux» remplacé par «consciencieux» (Il suffit de l’examen consciencieux de ces œuvres). Page 155: «leur» remplacé par «leurs» (par l’étendue de leurs connaissances scientifiques). Page 166: «s’acccentua» remplacé par «s’accentua» (Elle s’accentua à la mort du chah Ismaïl). Page 167: «chers» remplacé par «chères» (aux ornementations géométriques chères aux Arabes). Page 172: «couvertures» remplacé par «couverture» (avaient déjà emprunté ce mode de couverture aux Sassanides). Page 174: «mobile» remplacé par «mobiles» (des colonnettes en marbre, mobiles et tournant facilement). Page 176: «subsite» remplacé par «subsiste» (Rien ne subsiste de sa décoration). Note 70: «Medjid» remplacé par «Mesdjid» (Il a son Mesdjid près du tombeau de Sinan pacha). Page 107: «15. Porte d’Orée» remplacé par «15. Porte Dorée». Page 107: «26. Tour de Christe» remplacé par «26. Tour du Christ». Page 182: «nécesaire» remplacé par «nécessaire» (Faut-il ajouter maintenant qu’il est nécessaire). Page 197: «icomparable» remplacé par «incomparable» (avec une magnificence incomparable). Note 79: «Mousstafa» remplacé par «Moustafa» (où il invita Moustafa à venir dans sa tente). Page 207: «aktcké» remplacé par «aktché» (soit 59 millions aktché). Page 209: «cerceuils» remplacé par «cercueils» (entoure les cercueils du sultan et de ses enfants). Page 213: «un» remplacé par «une» (s’étageant l’une sur l’autre). Page 218: «grillage» remplacé par «grillages» (aux grillages des _sébils_). Page 219: «sébile» remplacé par «sébil» (placés au-dessus de chaque sébil). Page 221: «personnage» remplacé par «personnages» (les grands personnages, les riches). Page 225: «communications» remplacé par «communication» (réunis par des portes de communication). Page 231: «échopes» remplacé par «échoppes» (de petites échoppes étroites). Page 235: «toute» remplacé par «toutes» (où toutes les reliques du Prophète). Page 240: «situé» remplacé par «située» (située entre Haïdar pacha et Scutari). Page 244: «portes-pipes» remplacé par «porte-pipes» (Des porte-pipes, appliqués aux murs). Page 254: «darulkraa» remplacé par «darulkoura» (51 mesdjid (chapelles), 26 darulkoura (bibliothèques)). Page 255: «le» remplacé par «la» (La Fatiha). Page 257: inséré «à» (52. Mosquée de Moustapha Pacha, à Erzéroum.). Page 258: «sultanne» remplacé par «Sultane» (80. Mosquée Haseki Sultane, à Andrinople). Page 260: «Séléïman» remplacé par «Suléïman» (1. Sultan Suléïman, à Stamboul). Page 262: La répétition de «30. Palais de Ali Pacha, à Eyoub.» est probablement une erreur. Page 262: «Bahtché» remplacé par «Baghtché» (4. Dépôts à Hass Baghtché). Page 262: «de» remplacé par «du» (1, 2, 3. Bains du Palais Impérial). Page 262: «de» remplacé par «du» (6. Bains du Palais d’Usskudar.). Page 263: «Sultanne» remplacé par «Sultane» (Bains de Validé Sultane, à Djibali). Note 90: «astériques» remplacé par «astérisques» (Les astérisques renvoient au tableau suivant). Page 272: «George» remplacé par «Georges» (1042-54. Constantin X ou XII: Le couvent Saint-Georges de Manganes). Page 278: «du Suleïman II» remplacé par «de Suleïman II» (1702-1730 --Ahmed III--Sa première construction est de l’époque de Suleïman II). Page 280: «d’arabe» remplacé par «de l’arabe» (IBN-BATOUTAH. Voyages, traduit de l’arabe). Page 280: «Tarikr» remplacé par «Tarikh» (IBN-IYAS. Kitab Tarikh Misr. Le Caire, 1893.). Page 280: inséré «2» (MAKRIZI. Histoire des sultans Mamelouks de l’Égypte, traduite par Quatremère. P. 1837-45, 2 vol. in-4º.). Page 281 BERNIER (Franc): lire (François). Page 281: «Vordersasiatsche» remplacé par «Vorderasiatische» (BODE (Dr). Vorderasiatische Knüpfteppiche). Page 282: «Forcheimer» remplacé par «Forchheimer» (STRZYGOWSKI et FORCHHEIMER D. Wasserbehälter v. Constantinopel). Page 283: «cerimoniis» remplacé par «ceremoniis» (CONSTANTIN PORPHYROGÉNÈTE. De ceremoniis aulæ Byzantinæ). Page 284: «letzen» remplacé par «letzten» (MORDTMANN (Dr). Die letzten Tage von Byzanz) Page 284: «Altchristche» remplacé par «Altchristliche» (SALZENBERG. Altchristliche Baudenkmäler von Constantinopel). Page 287 Chapitre III: «Saint-Irène» remplacé par «Sainte-Irène» (Église de Sainte-Irène). Page 287 Chapitre III: «Stoudiou» remplacé par «Stoudion» (Église de Saint-Jean du Stoudion). *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CONSTANTINOPLE DE BYZANCE À  STAMBOUL. *** Updated editions will replace the previous one—the old editions will be renamed. Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright law means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™ concept and trademark. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg™ and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state’s laws. The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation’s website and official page at www.gutenberg.org/contact Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine-readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. 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