The Project Gutenberg eBook of La Femme Abbé This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this ebook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook. Title: La Femme Abbé Author: Sylvain Maréchal Release date: October 20, 2007 [eBook #23098] Language: French Credits: Produced by Laurent Vogel, Hugo Voisard, Christine P. Travers and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA FEMME ABBÉ *** Produced by Laurent Vogel, Hugo Voisard, Christine P. Travers and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net Notes au lecteur de ce fichier digital: Seules les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. LA FEMME ABBÉ, ouvrage DE SYLVAIN MARÉCHAL. À PARIS, Chez LEDOUX, Libraire, rue Haute-feuille, No. 31. 9. 1801. DEUX MOTS DE PRÉFACE. Cette _Correspondance_ écrite bien avant 1789, ne renferme rien de surnaturel, ni de contre nature. Le lecteur, quel qu'il soit, en fermant ce livre, ne sentira point son âme flétrie, ou péniblement affectée; il en sera quitte, peut-être, pour quelques douces larmes. LA FEMME ABBÉ. LETTRE PREMIÈRE. AGATHE À ZOÉ. De Paris... Ma bonne Zoé! je ne pourrai me rendre demain à ton agréable invitation. Je suis d'une cérémonie, d'une fête. Devine de quelle espèce. Un bal? non. Un repas d'accords? non. Un mariage? point du tout: je te fais languir, toi qui es si vive, si curieuse, et si attachée à tout ce qui me touche. Eh bien! je suis invitée à une première messe. Du moins, je ne puis me dispenser d'y accompagner ma bonne maman. Comme elle veut à peu près tout ce que je veux, tu le sais, je dois faire aussi quelquefois les volontés de celle qui me tient lieu de mère. Je te dirai après demain, si je me suis bien ennuyée. Plus heureuse que moi, tu respires hors de ce vilain Paris les premières haleines du printemps. Adieu, Zoé. II. AGATHE À ZOÉ. Oh! ma toute bonne amie! que j'ai de choses à te dire! j'en ai tant que je ne sais trop par où commencer. Écoute, ou plutôt lis-moi avec autant de patience que j'ai de plaisir à te faire cette lettre. D'abord, il nous fallut aller chercher cette première messe à l'autre extrémité de Paris qui est si grand. Il y avait beaucoup de monde à cette fête religieuse, surtout bien des femmes, et de toute parure. L'église était pleine. Ce concours peu ordinaire me donnait à penser. Je suis un peu entichée de ce dont je te faisais un petit reproche. Nous sommes toutes curieuses. Je m'informai à plusieurs personnes de mon âge, de la cause de l'empressement qu'on paraissait manifester plus que de coutume pour le héros d'une solennité pareille. Une jeune blonde me dit à l'oreille: «L'ecclésiastique dont vous allez entendre la première messe, est une victime de l'amour. Il aimait éperdument une jeune personne, et s'en croyait payé de retour. Le malheureux avait affaire à une coquette indigne de lui; car on le dit fort bien, et de plus très-sensible, comme le prouve l'acte de désespoir dont nous allons être les témoins.» Ce peu de mots m'intéressa beaucoup. Je m'avançai le plus possible vers l'autel, pour contempler la victime, et ne rien perdre du sacrifice. Je me trouvai au second rang des femmes qui bordaient le sanctuaire. Enfin, le cortège sortit de la sacristie, au bruit des orgues touchées par Miroir; car on mit beaucoup d'appareil à cette fête, et ce fut une messe haute que célébra le nouveau prêtre. Il arrive. Je le vois passer lentement, pour parvenir aux premières marches de l'autel. Ma chère Zoé! est-ce prévention? on dit que les femmes n'en sont que trop susceptibles; mais jamais je ne vis, je crus du moins n'avoir jamais vu une figure plus intéressante que celle de ce jeune lévite. Il a de plus une taille avantageuse et bien prise, autant qu'il m'a paru sous ses ornemens sacerdotaux. Il baissait les yeux, comme semble l'exiger le ministère qu'il remplissait. Il ne marchait point d'un pas sûr; et ce fut bien à propos qu'il fit une génuflexion sur le premier degré de l'autel. Il avait besoin de rencontrer un appui à ses jambes vacillantes. L'air d'abattement qui caractérisait toute sa personne fut remarqué de tous les assistans, et inspira le plus vif intérêt. La messe haute commença. Au premier _Dominus vobiscum_ qu'il fut obligé de prononcer, en se retournant devant nous tous, il se passa une scène fort étrange. Il leva un instant les yeux, et les referma presque aussitôt, en paraissant perdre connaissance. Les autres prêtres qui l'assistaient se rapprochèrent de lui pour le soutenir; l'un d'eux vint de mon côté pour demander un flacon. De toutes les femmes, je fus la plus habile à offrir le mien. On le fit respirer au jeune lévite qui reprit ses sens; mais une petite rumeur se faisait entendre du côté opposé à celui où nous étions. Plusieurs personnes se levèrent; l'une d'elles sortit, à la prière de ses voisines. La cause de ce mouvement ne tarda pas à être sue. J'appris que cette femme coquette, qui avait inspiré une funeste passion au trop sensible Saint-Almont, (c'est ainsi qu'on appelle le nouveau prêtre) était venue insulter au malheur, et jouir de son triomphe. Les yeux de Saint-Almont avaient reconnu cette femme; et cette rencontre inattendue produisit la crise que je viens de te décrire en peu de mots. Ma chère Zoé, souffre que je termine ici ma lettre. Mes doigts tremblans se refusent à t'en écrire pour cette fois davantage. III. AGATHE À ZOÉ. Je ne t'ai point achevé mon récit. Saint-Almont poursuivit sa messe avec assez de courage. Vers le milieu, un de ses collègues lui adressa une espèce de sermon que je trouvai trop court, quoiqu'il dura plus de la demi-heure; ce qui me donna tout loisir d'examiner Saint-Almont, assis dans un fauteuil, au-dessus de moi, sur le bord du sanctuaire. Il parut donner toute son attention au discours, qui roulait sur les ressources de la religion. «La religion, disait l'orateur sacré, et surtout le sacerdoce, est un asile contre les passions, et un port dans le naufrage. Que de honteuses faiblesses elle a su prévenir ou réparer! De toutes les sortes de philosophie, la religion est encore la plus puissante... etc.» Saint-Almont écoutait en fermant les yeux; de fréquens soupirs sortaient péniblement de ses lèvres. De temps en temps, il portait ses deux mains à son front. Cet infortuné paraît avoir à peine atteint l'âge requis pour la prêtrise. J'aurais bien désiré voir et connaître la femme, auteur de son désespoir; mais je parvins, après l'office, à dire quelques mots à un ami intime de Saint-Almont. J'allai à lui, dans une pièce voisine de la sacristie; il était presque aussi abattu que son ami. Il me dit: «Saint-Almont eût fait un bon citoyen; il sera bon prêtre: quelque soit son état, il en saura remplir les devoirs en honnête homme.» Je hasardai ce peu de paroles: «Mais il semble plutôt résigné à la profession qu'il embrasse, que bien convaincu qu'elle lui convient. Le ministère auquel il se voue, est-il bien de son choix?» Il me fut répliqué: «L'honnête homme est fidèle à ses engagemens, de quelque nature qu'il les ait pris. Je réponds de mon ami.» La plupart des assistans comptaient bien retrouver Saint-Almont, pour le féliciter comme c'est l'usage; mais il se déroba à nos empressemens, et je me retirai, toute rêveuse, avec ma grand'maman, qui me dit en route: «Ce jeune homme m'a édifiée; qu'en penses-tu?--Beaucoup de bien. Il donne de lui l'opinion la plus avantageuse.» Rentrée chez nous, son image me suivit dans tous les recoins de la maison. Je descendis dans notre petit jardin; je n'y vis point les fleurs naissantes que le printemps, les autres années, ne faisait point éclore en vain pour moi. L'aventure de Saint-Almont m'occupait tout entière. Je redoutai l'approche de la nuit, et ce n'était pas sans fondement. Te le dirai-je, ma bonne Zoé! je ne pus fermer l'oeil. Henri IV disait: _Paris vaut bien une messe_. Zoé va peut-être me répondre: «Voilà bien du bruit pour une messe!» Adieu, ma toute bonne, ne me gronde point, ou attends pour cela que j'aille te voir sous ton joli berceau de lilas. Je t'en dirai peut-être encore davantage; mais n'en sonne mot à ton mari, il se moquerait de moi, et j'aime encore mieux être grondée que raillée. Adieu. IV. BILLET DE ZOÉ. Ne manque pas de venir dans trois jours; je réserve pour ce moment ma réponse à ta dernière lettre. Ne manque pas, et arrange-toi pour passer une quinzaine au sein de l'amitié. V. AGATHE À ZOÉ. Pardonne-le moi, mon amie; mais je ne puis t'aller voir de sitôt. La santé de ma grand'maman est un peu altérée, et la mienne n'est pas des plus parfaites. Ainsi remettons la partie; mais je ne puis différer à t'écrire, au risque, non pas de te déplaire, mais de m'exposer à quelques petits reproches de ta part; mais je n'aime point à passer pour meilleure que je ne suis en effet. La bonne nature, en me donnant l'existence, n'a pas voulu faire de moi une prude ni une dévote, quoique depuis cette fatale grand'messe, je n'aie pas manqué d'en entendre une chaque jour. Je te vois d'ici rire sous cape. Eh bien! me voilà! que veux-tu? Mais, écoute, il était bien naturel de désirer savoir des nouvelles de Saint-Almont depuis son nouvel état. Ma bonne maman m'avait instruite qu'il se bornait à être prêtre habitué dans la même paroisse où je l'avais vu débuter; en conséquence je dis à ma seconde mère: «Permettez-moi d'aller entendre sa seconde messe; je suis curieuse d'apprendre s'il est un peu revenu de cette révolution qu'il éprouva en montant pour la première fois à l'autel.» Ma bonne maman me répondit: «Va, mon enfant, suis ton bon naturel; tu es née sensible: quoiqu'on en dise, c'est être né heureusement.» J'allai donc le lendemain de la première messe, en entendre une seconde. Saint-Almont me sembla remis de son émotion de la veille. Il s'acquitta avec dignité de son ministère. C'est aux _Dominus vobiscum_ que je l'attendais pour lire sur sa physionomie. J'y remarquai une grande sensibilité, et un fond de chagrin que le temps aura, je pense, beaucoup de peine à dissiper. Ô ma chère Zoé! il faut que je compte beaucoup sur ton indulgence pour t'ajouter ce que tu vas lire. Croirais-tu que je désirai être homme, pour avoir le droit de _servir la messe_ à Saint-Almont? J'enviai au jeune enfant de choeur qui l'assistait, le plaisir que je supposais à cet enfant, en versant quelques gouttes d'eau sur les doigts de Saint-Almont, en portant à ses lèvres l'extrémité de la chasuble de Saint-Almont. Qu'il est heureux, me disais-je! Zoé! tu penses peut-être que je rougis, en te transmettant ces détails. Eh bien! non. Ce que j'éprouve est sans doute une folie d'une espèce nouvelle; mais du moins, ce n'est pas une faute. Si mon esprit est délirant, mon coeur moins calme n'en est pas moins pur, moins digne de toi. Pour ne te rien cacher, sache que tous les jours, sans y manquer une seule fois, je vais entendre la messe de Saint-Almont, qui se dit à onze heures. VI. ZOÉ À AGATHE. Agathe! vous m'êtes et me serez toujours chère; mais vous n'êtes plus sage. Comment un clin d'oeil a-t-il pu vous changer à ce point? Agathe éprise d'un prêtre! Où prétends-tu aller? quel est ton but? Fille aimable et sensible, où vas-tu placer tes premières affections? L'infortune a des droits sur nous. Il est beau, il est louable, il est tout naturel de verser une larme sur le malheur de ses semblables; mais un homme qui vient d'élever un mur d'éternelle séparation entre lui et les femmes, parce qu'il a été le jouet de l'une d'elles, peut-il devenir un objet d'attachement? Mais je me trompe, mon Agathe a voulu s'amuser un moment, et son esprit me tranquillise sur son coeur. C'est un roman que tu m'as fait: n'est-ce pas? Agathe va venir voir sa Zoé, restera avec elle plusieurs jours; elle continuera d'être les délices de la société. Si l'amitié me donne quelques droits sur Agathe, j'en profiterai pour te guérir de cette surprise faite à tes sens, et tu attendras paisiblement l'heure marquée par le destin, où tu dois rencontrer l'homme qui te convient, et avec lequel tu puisses t'unir, à mon exemple. Viens, mon Agathe, c'est assez te faire illusion: prends-y garde, l'imagination quelquefois est perfide. L'amitié vraie qui m'unit à toi ne l'est point. Prends de ses conseils. Viens, et laisse-toi un moment conduire par la main de ta Zoé. Tu penses bien que je n'ai point communiqué tes dernières lettres à mon mari. Viens nous voir, ou j'irai te chercher. VII. AGATHE À ZOÉ. Ta lettre est sévère, mais j'en reconnais toute la justice. Le sentiment qui l'a dictée serait bien capable de me guérir, si ma maladie n'était point incurable. Oui! la foudre n'est pas plus prompte que ce qui vient de se passer dans mon coeur, et il en est d'autant plus blessé qu'il s'y attendait moins. Tu as recours aux lois de la raison; mais que peut la raison contre le premier élan de la sympathie? Va! la sympathie n'est point une chimère; tu l'éprouves toi-même tous les jours dans ton heureux ménage. C'est elle qui t'unit à l'époux que tu aimes. Moins heureuse que toi, les circonstances me font rencontrer l'objet qu'il me faut dans un homme qui ne peut être à moi. Ne me blâme point; contente-toi de me plaindre, et permets-moi de te confier tout ce qui m'arrive. Est-on le maître de sa destinée? Mais si tu ne te rebutes point, si tu ne me désavoues point pour ton amie, je sens que je ne puis être tout à fait malheureuse. Sans doute j'aime; en vain je voudrais me le dissimuler. Mais si j'en fais l'aveu à d'autres qu'à moi, ce ne sera jamais qu'à mon amie. Je me respecterai en elle; je la respecterai en moi: et le sentiment qui nous lie me préservera des fautes, s'il ne me préserve pas des chagrins inséparables d'une passion avouée par la nature, mais contrariée par les convenances sociales. Ne me parle donc pas d'aller vers toi; ne viens pas non plus me chercher. Laisse-moi à mes illusions; elles sont telles qu'en voulant les détruire, on leur ferait prendre un caractère sinistre. Imite la bonne nature; sois indulgente comme elle. Saint-Almont, pour se distraire sans doute de cette flamme sourde qui le mine, se livre tout entier aux devoirs de son état. Il sait apparemment que l'occupation est l'un des plus puissans remèdes contre l'amour, comme l'oisiveté en est le plus actif poison. Je vois son plan de conduite; il est sage, et me donne la plus haute idée de son jugement. Toutes ses journées sont sans lacune; la chaire et le confessionnal servent tour à tour de théâtre à son zèle apostolique. Il a fait le prône dimanche dernier; je n'ai eu garde d'y manquer. J'ai chargé une femme qui se tient au portail de l'église de m'avertir. Cette bonne femme me croit une sainte. «Si jeune, être déjà si pieuse!» dit-elle. Ma chère Zoé! si tu savais comme il prêche avec grâce, avec onction! Le sujet de son premier discours était l'amour du prochain. Ma bonne maman, qui voulut l'entendre d'après le récit que je lui en fis, et qui se connaît en sermons, m'a dit en me serrant la main: «Ma chère fille! j'ai suivi bien des prédicateurs, en ma vie; pas un d'eux ne m'a fait autant de plaisir.» Ma grand'maman n'a jamais rencontré si juste. Saint-Almont persuade, rien qu'à le voir; il ne crie point; il ne gesticule pas comme un forcené: c'est le coeur qui parle au coeur. Une chose qui va t'étonner, c'est qu'il a osé traiter de l'amour, et même en faire l'éloge; mais c'est qu'il voit cette passion comme l'un des plus beaux, des plus sublimes sentimens de la nature. «L'amour, a-t-il dit dans un endroit de son prône, l'amour dans une âme vertueuse est une vertu de plus. Heureux ceux, a-t-il ajouté, heureux ceux qui s'aiment avec innocence!» Que Saint-Almont était beau en prononçant cette exclamation, qui fut suivie d'un long soupir! Je m'étais placée devant lui, derrière une colonne; ses yeux en ce moment rayonnaient, étincelaient; une rougeur aimable colorait son visage. Toute sa physionomie était angélique. Ma chère Zoé! je te le dis naïvement, quel dommage que cet homme n'ait pas rencontré la femme qui lui convenait! qu'elle est vile à mes yeux, celle qui n'a pas senti tout le prix d'un tel homme! Une larme coule de mes yeux, en te faisant part de cette réflexion amère et inutile. J'en veux aussi à Saint-Almont. Pourquoi, s'étant mal adressé une première fois, se rebute-t-il tout de suite? N'y avait-il donc qu'une femme au monde? Tout le mal qu'on voit sur la terre ne vient peut-être que de ce que peu de gens sont à leur place. Adieu, Zoé; je n'ai pas le courage de t'en écrire plus long. Le noir chagrin s'empare de moi. Que n'es-tu à Paris! indulgente amie, tu me sauverais de moi-même. Adieu, encore une fois. VIII. ZOÉ À AGATHE. Ma pauvre Agathe! ta dernière lettre me fait de la peine. Il semble que tu te plaises à creuser le précipice sous tes pas. Tâche de t'interroger dans le calme de la raison, et de te voir de sang-froid. Chaque jour ajoute à ton délire. Tu ne prévois pas les maux que tu te prépares. Imite plutôt celui-là même qui est la cause innocente de ton égarement d'esprit. Vois, et tu en conviens toi-même, vois avec quelle prudence il s'éloigne de tous les objets capables de le rappeler à sa malheureuse passion. Je t'en conjure, ne te flatte pas; c'est précisément la pureté de ta flamme qui en augmente la chaleur. Je craindrais beaucoup moins pour ton repos, si tu avais choisi un sujet indigne de toi; ce ne serait que l'erreur d'un moment. Crains d'en avoir pour toute la vie. Ne badine pas avec les passions. D'abord nos jouets, elles finissent par devenir nos tyrans. Une seule réflexion pourrait suffire pour te rappeler à ta tranquillité première. Si quelqu'un me demandait: Que faites-vous de votre amie? que fait Agathe? Dis, mon Agathe, qu'aurais-je à répondre? Il me faudrait donc, pour être vraie, dire: «Mon amie est devenue amoureuse d'un prêtre.» Cela seul devrait te faire ouvrir les yeux. Un prêtre n'est plus un homme pour une femme. Pense à cela; ne reste point à Paris; accours dans mes bras: c'est là ta place. Donne-moi ta personne en garde; je t'en rendrai fidèle compte. Tu es mon trésor: que j'en sois la dépositaire! Mon mari me demande toujours quand nous te verrons, et je suis obligée de mentir toujours en lui disant: «La bonne maman est malade.» Ah! c'est bien plutôt ma pauvre Agathe qui l'est, et qui l'est si fort, qu'elle ne veut pas guérir. Adieu, mauvais sujet. Que de chagrins je prévois pour toutes deux! IX. AGATHE À ZOÉ. J'ai lu trois fois ta lettre, sage Zoé; je me suis interrogée de suite, et mon coeur a répondu qu'il sera toujours digne du tien. Je puis être un jour très-malheureuse, mais jamais capable de faire honte à Zoé. J'en ai prononcé le voeu; je le répète tous les matins en me levant, et le soir je m'endors avec la douce confiance que je n'ai point faussé mon serment. Cette déclaration faite, il faut que tu aies la complaisance de lire le reste de ma lettre. Tu seras toujours ma confidente discrète, mais jamais ma complice, parce que jamais je n'aurai de faute grave à me reprocher. Entends-tu bien, Zoé? Ma bonne vieille vint me dire hier matin: «M. l'abbé de Saint-Almont tiendra confessionnal cette après-dînée jusqu'au soir. Tous ces jours gras, il les consacre à son ministère. Oh! il aura bien des pénitentes; car on l'estime déjà beaucoup. Venez donc tantôt.» Le récit de la vieille excita en moi un sentiment qui m'était inconnu jusqu'alors. _Il aura bien des pénitentes!_ Je répétai ces paroles avec l'accent de la jalousie. Oui, j'irai tantôt; je veux savoir s'il est des femmes capables de l'aimer avec autant de désintéressement que moi. Je me trouvai donc aux environs du confessionnal, bien avant que Saint-Almont n'y entrât. Ce qui me rassura un peu, c'est que je ne vis que quelques femmes âgées et de très-jeunes-gens. Il ne se fit pas attendre long-temps. Il vint en surplis fort propre. Je ne m'éloignai pas. Il entendit plusieurs vieilles pénitentes avec beaucoup de patience. Une d'elles en se retirant me dit: «Ma jeune demoiselle, ce confesseur est un ange pour la douceur et la sagesse des conseils. N'en prenez point d'autres; vous en serez contente. J'en suis enchantée; je lui enverrai mes deux filles qui sont de votre âge.» J'avais le désir le plus violent de me présenter à mon tour, et de me faire entendre en confession à celui de tous les hommes qui m'inspirait le plus de confiance. Je ne sais ce qui me retint. L'importance et la singularité de cette démarche s'offrirent à ma pensée. D'ailleurs, je m'étais promis de ne rien oser, sans avoir consulté mon amie. Bonne et sage Zoé! conseille-moi donc. Me permets-tu cette nouvelle imprudence? car tu vas sans doute qualifier ainsi le dessein que je brûle d'exécuter. Quel mal pourras-tu trouver dans cet acte interdit aux profanes, je le sais, mais il ne peut en résulter d'inconvénient grave; tout au plus, une estime mieux sentie encore pour Saint-Almont. Zoé, parle: tu es mon oracle. X. ZOÉ À AGATHE. Agathe, tu me consultes, peut-être avec la ferme résolution de ne point exécuter mes ordonnances. N'importe; j'aurai rempli mon devoir, en te traçant les tiens. N'entre point dans le confessionnal de Saint-Almont; n'ajoute point ce nouveau tort aux autres. Qu'irais-tu lui dire? Que tu l'aimes? Oui! tu brûles de lui faire cet aveu, sous le voile sacré de la confession. C'est une déclaration d'amour que tu hasarderas, fille imprudente! J'aime à croire à l'honnêteté de Saint-Almont; et je me repose même sur la tienne, s'il était homme à vouloir profiter de ta faiblesse. Mais où tout cela te mènera-t-il? Je pense que le rôle qu'il me convient de jouer dans cette affaire, est celui de spectatrice, de confidente tout au plus, en te renvoyant à toi-même, en en appelant à ton propre coeur, si les choses deviennent plus sérieuses. Agathe, fais donc ce que tu voudras. XI. AGATHE À ZOÉ. Tu me regardes apparemment comme une malade désespérée: tu m'abandonnes à moi-même. Je te prends à tes propres paroles, et j'espère que nous n'aurons pas à nous en repentir. Voici donc ce que j'ai cru pouvoir me permettre. Hier, je me suis présentée au confessionnal de Saint-Almont. Il y avait foule. J'ai laissé passer les plus pressées, afin de me ménager un entretien plus long; et le voici. Ma mémoire exacte et fidèle en conservera toute ma vie les expressions; je te fais grâce des préliminaires, et des formules consacrées. AGATHE Mon père, la confiance que vous avez déjà su inspirer à plusieurs mères de famille, m'amène à vous. Je suis une orpheline de dix-neuf ans, que la mère de mon père défunt veut bien accueillir; elle veille sur le printemps de ma vie. Je soulage autant qu'il est en moi l'hiver de son âge. SAINT-ALMONT. Que désirez-vous de mon ministère? AGATHE. Comment oserais-je... SAINT-ALMONT. Ma fille! vous êtes dans la saison des passions. En éprouveriez-vous une malheureuse? Vous ne seriez pas la seule exposée aux orages du coeur. C'est un tribut qu'il faut payer tôt ou tard. AGATHE. Je commence à l'éprouver. SAINT-ALMONT. Aimeriez-vous? AGATHE. Hélas! SAINT-ALMONT. Pour la première fois? AGATHE. Oui, et pour la dernière; car on n'aime pas deux fois, m'a-t-on dit. SAINT-ALMONT. Aimer n'est pas toujours une faiblesse coupable; mais trop souvent c'est la cause innocente de bien des peines. AGATHE. C'est ce que je crains. SAINT-ALMONT. Éprouveriez-vous quelques obstacles? AGATHE. Permettez-moi de vous ouvrir mon âme tout entière. SAINT-ALMONT. Dites. AGATHE. La situation où je me trouve n'est pas ordinaire. SAINT-ALMONT. Parlez, et disposez de moi, si vous pensez que je puisse contribuer en quelque chose à votre tranquillité. AGATHE. Sachez donc... SAINT-ALMONT. Votre voix est tremblante. Rassurez-vous. AGATHE. Apprenez donc que celui que j'aime est d'une profession à ne pouvoir me payer de retour, quand bien même il saurait qu'il est aimé de moi. SAINT-ALMONT. Vous me surprenez. Je n'imagine pas.... AGATHE. Eh bien! sachez donc que l'homme qui a trouvé, sans le chercher, le chemin de mon coeur, et qui l'ignore, est un prêtre comme vous. SAINT-ALMONT. Un prêtre! AGATHE. Oui! un prêtre tel que vous. SAINT-ALMONT. Comment se fait-il? AGATHE. Ses malheurs m'ont d'abord intéressée; et de la pitié à l'amour, il n'y qu'un pas. SAINT-ALMONT. Et il ne se doute point du penchant funeste qu'il vous a inspiré? AGATHE. Nullement. SAINT-ALMONT. Il ne vous a jamais parlé? AGATHE. Jamais. Je ne sais pas même s'il m'a vue; du moins il ne m'a point remarquée. Ses malheurs et ses vertus m'ont entraînée vers lui. Quand on aime, on ne calcule point. Vous le savez peut-être aussi bien que moi? (Saint-Almont ne me répondit pas; mais il laissa échapper un soupir.) Vous voyez, mon père, combien j'ai besoin de vos bons avis. Connaissez-vous un remède à cette funeste passion? SAINT-ALMONT. Saviez-vous l'état de celui qui vous l'a inspirée? AGATHE. Oui. SAINT-ALMONT. Il habite Paris en ce moment encore? AGATHE. Oui. SAINT-ALMONT. Mais sans doute que vous ne cherchez point à le voir? AGATHE. Au contraire, je l'ai vu tous les jours sans m'en défendre. SAINT-ALMONT. Ce n'est pas ainsi que vous guérirez. AGATHE. Je le sais. SAINT-ALMONT. Fuyez, non pas le danger; il n'y en a point à craindre: mais redoutez de longs chagrins. AGATHE. Je n'en ai pas le courage. SAINT-ALMONT. La raison.... AGATHE. Le coeur.... Mettez-vous à ma place. SAINT-ALMONT. Je n'ai que des conseils à vous donner. AGATHE. Que me conseillez-vous? SAINT-ALMONT. Mais, de votre côté, il faut des sacrifices. AGATHE. De quelle nature? SAINT-ALMONT. D'abord, renoncer à le voir. AGATHE. Je n'ose vous le promettre. Quel mal fais-je, en le voyant, tant que je ne lui parlerai point? SAINT-ALMONT. Mais que prétendez-vous, en continuant à le voir? AGATHE. Je ne prétends qu'au plaisir, certes! fort innocent de l'aimer sans le lui dire; car je mourrai avant qu'il ait mon secret. SAINT-ALMONT. Vous n'êtes point la seule victime d'un pareil penchant; d'autres aussi ont aimé d'abord comme vous, et ensuite ont montré plus de courage que vous. Tâchez de les imiter. AGATHE. Cela est au-dessus de mes forces. SAINT-ALMONT. J'en connais qui ont su élever un mur d'éternelle séparation entre eux et l'objet de leur affection. AGATHE. Je les en félicite; mais je ne me sens pas assez de caractère. SAINT-ALMONT. Ni moi assez de lumières pour vous guider. Adressez-vous à des prêtres plus exercés dans le saint ministère où je suis encore novice. AGATHE. Vous me refusez des secours? SAINT-ALMONT. C'est que ceux que j'ai à vous donner sont insuffisans. Que voulez-vous de moi? AGATHE. Des consolations du moins. SAINT-ALMONT. Quittons-nous, puisque je ne puis parvenir à vous calmer. AGATHE. J'attendais davantage. SAINT-ALMONT. Comptez sur mes prières, et souffrez que..... J'éprouve un malêtre.... AGATHE. Me permettez-vous de revenir dans quelques jours vous consulter?.... SAINT-ALMONT. Il n'est pas nécessaire. Votre guérison est en votre pouvoir plus qu'au mien.... AGATHE. Vous m'abandonnez.... SAINT-ALMONT. Présentez-vous au grand-pénitencier. AGATHE. Suis-je donc une si grande criminelle? SAINT-ALMONT. Vous n'êtes qu'à plaindre, et vous n'êtes pas seule dans ce précipice. Je vous adresse à un vieillard plein de vertu et d'expérience. Allez. AGATHE. Vous ne voulez plus me recevoir? SAINT-ALMONT. Si vous saviez ce qu'il m'en coûte de ne pouvoir répondre à votre confiance; mais elle sera mieux placée où je vous envoie. Que le ciel vous donne sa grâce! Je voulus insister; mais Saint-Almont ferma la petite grille à travers laquelle nous eûmes cette conférence; et se retournant du côté opposé, donna audience à d'autres personnes moins embarrassantes pour lui, et moins embarrassées que moi. Il fallut donc me retirer. Il faisait nuit noire. Une circonstance me consola du peu de succès de cette démarche singulière, et bizarre, si tu veux, ma bonne Zoé. C'est que Saint-Almont ne put voir mon visage; par conséquent, je concevais l'espoir d'une autre entrevue avec lui. Dans ce dessein, j'avais pris aussi la précaution de déguiser ma voix. À la lecture de cette lettre contenant l'extrait de ce qui s'est passé au confessionnal de Saint-Almont, tu vas me répéter: «Eh bien! quel est ton but, Agathe? Si tu aimes véritablement, modèle-toi sur l'objet de ton amour. Sois aussi sage, aussi réservée que lui.» Et moi, je te répondrai que plus je connais Saint-Almont, plus je trouve de raisons pour l'aimer davantage; et assurément, tant que les choses n'iront pas plus loin, on n'a pas le plus petit reproche à me faire. Mais tu vas te récrier de nouveau à un autre projet qui me roule dans la tête! Tu me la croiras tout à fait tournée, et tu auras tort encore une fois. Sache donc, sans autre circonlocution, que je suis résolue à prendre l'habit d'homme, afin de voir plus souvent et plus à mon aise Saint-Almont. Sans lui en dire le motif, j'ai déjà fait part de ce dessein à ma bonne maman. Elle n'a pas eu le courage de me contredire; ainsi donc, au reçu de ta réponse à cette missive, je passe à l'exécution. Ton Agathe quitte les habits de son sexe, sans en abandonner les vertus pudiques. Je te le répète, j'ai à coeur de me conserver digne de ton amitié et de ma propre estime. Adieu; je t'embrasse, et te charge de faire ma paix avec ton mari, s'il était d'humeur à me gronder. Adieu, ma toute bonne. XII. ZOÉ À SA PAUVRE AGATHE. Ma pauvre et toujours chère Agathe! es-tu folle? Quoi! tout de bon! tu veux renoncer à ton sexe: il ne te manquait plus que ce nouvel incident. Mais, dis-moi, as-tu bien réfléchi sur les conséquences de ce que tu te permets avec une légèreté qui me passe? Reviens à toi; reste toujours mon Agathe. Sois toujours cette fille aimable et spirituelle, intéressante et gaie. De grâce! reviens sur tes pas, et crains de te perdre. Vois le chemin que tu as déjà parcouru en si peu de temps; du moins, avant tout, viens nous voir un seul jour. Si tu nous refuses cette fois, tu nous fâcheras plus que tu ne penses. Donne au moins à l'amitié les intervalles lucides que l'amour te laisse. Profites-en. Sois encore notre amie. Zoé méritait peut-être le sacrifice de quelques heures de ton temps. Plus de Zoé pour Agathe, si tu persistes à ne plus me voir! XIII. AGATHE À SA ZOÉ. Ta lettre ne m'est parvenue cette fois que deux jours après celui marqué par sa date. Je n'ai pu endurer ce retard, et attendre de tes nouvelles pour exécuter ce que j'ai à t'annoncer. Hier matin, j'ai paru en habits d'homme devant ma grand'maman, à l'heure du déjeûner. Elle ne m'a point reconnue d'abord; mais je me jetai dans ses bras, en lui disant: «Quoi! vous méconnaissez votre bonne petite fille Agathe?» Au son de ma voix, des larmes de plaisir coulèrent de ses yeux; elle me dit: «Tu es une espiègle. Je t'aimais déjà beaucoup; avais-je besoin de ce joli déguisement pour t'aimer encore davantage? Que cet habit te sied! il te donne un air mutin dont je raffole.» «Ma bonne petite maman, puisque je ne vous déplais pas sous ce vêtement, souffrirez-vous que je le porte souvent? Je n'en serai que plus disposée à vous servir; ce costume, plus commode que l'autre, me mettra à même de vous être encore plus utile que par le passé. Je vais dès aujourd'hui essayer de sortir avec ces habits, et de faire une longue course. J'irai, jusque dans le quartier de la première messe ou vous m'avez conduite il y a déjà plusieurs mois.» «Va, mon enfant, me dit ma grand'maman, et prends bien garde aux accidens: je serais inconsolable.» Je me rendis donc de suite, avec la vitesse de l'oiseau, jusqu'à l'église desservie par Saint-Almont, et j'arrivai précisément au moment qu'il sortait de la sacristie pour monter à l'autel. Je m'offris à lui servir la messe. L'enfant de choeur ne demandait pas mieux. Il fallait me voir marcher devant Saint-Almont! Je cachai le mieux que je pus, sous un air de componction, le contentement que je ressentais. Arrivée à la chapelle, je m'acquittai de mon devoir avec assez d'intelligence. J'avais eu le soin depuis quelques jours d'étudier la manière de servir un prêtre à l'autel. Néanmoins, je tremblais de tout mon corps; mes genoux fléchissaient sous moi. Quand ce vint au _lavabo_, Saint-Almont qui s'aperçut de mon trouble, daigna me dire au milieu de sa prière: «Jeune homme! rassurez vous.» Je lui répondis, les yeux baissés: «C'est pour la première fois que je m'acquitte de ce service: je ferai mieux à la messe prochaine.» Ô ma Zoé! tu ne te fais pas l'idée du plaisir pur que je savourai. Des rigoristes me traiteront de sacrilége: ils auront tort. Ce n'est point pour me moquer des choses saintes que j'en agissais ainsi; je ne voulais que voir de plus près un homme que j'estime par-dessus tous les autres, et que j'aime avec le plus parfait désintéressement. Il n'y a pas là de quoi m'attirer le blâme: on peut tout au plus me regarder en pitié, ou sourire. Pouvais-je offenser un Dieu bon, en me montrant empressée, jalouse de servir le plus sage des ministres de ses autels? Oh! comme Saint-Almont est édifiant! comme sa piété est affectueuse! comme il aurait aimé une femme qui l'eût payé de retour! Il a toute la tendresse d'une âme aimante, et toute la candeur, toute la simplicité, toute l'innocence d'un enfant. Je suis bien certaine que dans la personne du jeune homme qui lui répondait la messe, il fut loin de soupçonner cette jeune orpheline de dix-neuf ans qui se présenta quelques jours auparavant à son confessionnal. À l'élévation, je baisai plus de trente fois le bas de sa chasuble; il est d'usage de l'approcher une seule fois des lèvres. À la fin de la messe, le célébrant donne sa bénédiction au peuple; je hasardai de lever furtivement les yeux sur Saint-Almont en ce moment. Il me parut une divinité pleine de douceur et d'indulgence. Jamais il ne me fit autant d'impression; ses yeux disaient mille choses qui allaient à l'âme. Ah! puisse la bénédiction qu'il me donna verser dans mon coeur ce calme qui paraît déjà rétabli dans le sien! Saint-Almont me semble né bien heureusement. Il n'éprouva, jamais ces fortes passions qui sont autant de secousses qui ébranlent et bouleversent. Ah! que n'a-t-il mieux rencontré! Mais quoiqu'il puisse lui arriver, il saura compenser le défaut de bonheur par les douceurs d'une paix inaltérable de conscience. Que n'ai-je son caractère! Je me joignis de grand coeur aux actions de grâces qu'il prononça en retournant à la sacristie, où je voulus le reconduire. De bonnes femmes, sur notre passage, se disaient l'une à l'autre: «Comme ce jeune homme a bien servi la messe! qu'il y a mis de zèle! On n'en voit plus guère comme lui à présent.» Saint-Almont me remercia avec un air affectueux; et j'allai me placer dans l'église, sur son passage, pour le voir encore une fois, quand il rentrerait chez lui. À genoux aux pieds d'une chaise, je me procurai cette satisfaction innocente, qui ne pouvait paraître affectée ni suspecte; puis je retournai à la maison, pleine de son image. Le reste de cette journée fut l'un de plus doux momens de ma vie. Que vas-tu penser de moi, ma Zoé? Je t'ai dit tout; mon âme est nue devant toi. Ce qui me rassure, c'est que cette démarche ne me cause aucun remords. Quand je fais mal, ma conscience ne me le laisse pas ignorer. Zoé ne sera pas plus sévère que ma conscience: n'est-ce pas? Adieu. XIV. AGATHE À ZOÉ. Tu ne réponds pas à ma dernière épître; c'est fort mal. J'aime encore mieux tes reproches que ton silence. Écris-moi; ne me ménage pas, si tu veux; dis tout ce que tu as sur le coeur, mais écris-moi. Je ne t'imiterai pas, du moins en cela. Je vais te faire encore cette missive, pour te dire que j'ai continué mon exercice. Tous les jours, je sers la messe de Saint-Almont. Il n'y a que toi, Zoé, qui ne sois pas édifiée: tout le monde me cite comme un prodige de piété. Saint-Almont lui-même a remarqué mon assiduité, et m'en a dit deux mots flatteurs. Ce peu de paroles ont versé un baume sur ma plaie. Oui! je veux continuer à l'aimer ainsi; nous n'y risquons rien, lui ni moi. D'ailleurs, il est aussi étranger à mon amour que toi qu'il n'a jamais vue. Je me plais donc à l'aimer, quoique sans espoir: j'aime pour le seul plaisir d'aimer. Cette jouissance est bien permise sans doute. Qui peut y trouver à redire? À qui fais-je du tort? Encore une fois, y a-t-il du mal à me rendre assidûment à toutes les offices de l'église, à me placer au choeur dans les stalles au-dessous de la sienne, et à me procurer furtivement le plaisir de le voir, de l'entendre chanter? Il a le son de voix si agréable! Le plus bel air de Sacchini, à l'Opéra, ne vaut pas un _oremus_ sorti de la bouche de Saint-Almont. Ce matin, c'est lui qui a fait l'aspersion: je n'en ai pas perdu une goutte. En répétant les signes de la croix, j'ai ramassé sur mes doigts l'eau qui m'avait jailli au front, et je l'ai portée sur mes lèvres. Ce soir, il fera le salut; j'irai respirer l'encens qu'il offrira sur l'autel. Voilà le carnaval qui arrive. Que de jouissances pures je me promets! Tandis que les autres femmes courront les bals; moi, j'assisterai aux prières des quarante heures; on me verra, non loin du prie-dieu où Saint-Almont fera sa station, m'enivrer du plaisir de le contempler tout à loisir. Il est loin de croire à ce qui se passe autour de lui. N'importe; je veux l'aimer comme on aime Dieu, sans savoir si Dieu daigne prendre garde aux hommages que lui rendent les faibles mortels. Adieu, mon cher Mentor-Zoé. XV. ZOÉ À AGATHE. Ma chère et malheureuse Agathe! je vais t'apprendre une nouvelle qui te fera, je n'en suis que trop certaine, beaucoup moins de peine qu'à moi. Je devenais une prêcheuse qui aurait fini par te paraître importune. Rassure-toi; te voilà délivrée de mes sermons, à mon grand regret; car je ne puis cesser de t'aimer et de te plaindre. Enfin, il faut donc te dire que mon mari, qui désirait tant voyager, a obtenu une assez belle place dans une de nos colonies, bien par delà les mers, et il faut que nous partions sur-le-champ. Je n'aurai pas le temps d'attendre ta réponse à cette lettre; le ministre de la marine presse notre départ. À dix mille lieues de mon Agathe, je saurai toujours bien lui écrire: mais que de chances et de retards éprouveront mes lettres! Que n'ai-je pu dissuader mon mari! Ton sort, ma toute bonne amie, m'alarme véritablement. Je te laisse à la merci de toi-même, sans conseil, sans amie. Jure-moi, dans le fond de ta belle âme, de penser à ta Zoé, et à toutes les promesses que tu lui as faites. Adieu; je t'embrasse, le coeur serré. Quand recevrons-nous de nos nouvelles? quand nous reverrons-nous? Dans ma première missive, j'espère pouvoir te désigner le lieu où tu m'adresseras tes chères lettres. Ah! mon amie! seulement trois jours de délai; et bon gré malgré, je t'emmenerais avec nous. Adieu, la moitié de mon âme. XVI. AGATHE À ZOÉ. Zoé! vous méconnaissez votre amie. Mes fautes vous donnent-elles le droit d'être injuste à mon égard, et d'outrager l'amitié? En suis-je réduite à vous apprendre que votre dernière lettre m'a frappée au coeur? En la lisant, je me suis cru abandonnée de toute la terre. Zoé! mon amie! la sage Zoé, qui était ma providence, mon refuge, vogue en ce moment par delà les mers; c'était tout ce qui pouvait m'arriver de plus sinistre. Je ne répondrai pas à tes sarcasmes; ou, pour t'en faire repentir, voici ce que j'imagine. Zoé, transplantée au-delà des mers, n'en sera pas moins présente à mon esprit; je continuerai de lui écrire, comme si elle était toujours à sa campagne. Mon illusion sera loin d'être complète, puisque je ne recevrai plus de tes nouvelles. N'importe; je me ferai un devoir de te consulter à l'avenir, comme par le passé. Tu seras ma seconde conscience. Dès ce soir, je commence le journal de ma vie, et il te sera adressé; je te dirai mes fautes; je me rappellerai tes conseils, et Dieu fera le reste. Voici ce que j'imagine de mieux pour te convaincre, et de mon attachement, et du cas que je fais de ton estime et de ton amitié. J'aime à penser que nous nous reverrons; tu me retrouveras digne encore de me dire l'amie de coeur de Zoé. XVII. AGATHE À ZOÉ. Ah! mon amie!... tout m'abandonne à la fois: un abîme en appelle un autre. À peine j'apprends ton départ pour les îles, et notre séparation, qu'il me faut essuyer une autre perte. Ma si bonne maman vient de succomber à l'âge et aux infirmités inséparables d'une vieillesse avancée. Que ses derniers momens m'ont affectée! elle a rendu le dernier soupir dans mes bras; mais elle a eu le temps, comme on dit, de se voir mourir, et de mourir avec tous les secours de la religion. Se sentant plus affaiblie, «ma bonne petite Agathe, m'a-t-elle dit d'une voix altérée, rends-moi un service; ce sera le dernier, je pense, mais ce ne sera pas le moindre. Crois-tu que ce digne ecclésiastique dont nous avons entendu la première messe avec tant d'édification, voudra bien m'accorder la faveur de m'administrer? Va le chercher; il t'a remarquée pour ta piété constante; il ne te refusera peut-être pas.» Ma chère Zoé! tu ne doutes pas de mon empressement. Je volai sur-le-champ dans mes habits d'homme au presbytère de Saint-Almont. Je montai à son appartement avec une certaine assurance. Il ne s'agissait pas de moi en cette rencontre, et pourtant j'étais loin d'être indifférente à cette démarche. Saint-Almont ne me refusa point. Il quitta son travail pour m'accompagner, sans marquer la moindre humeur de mon importunité. Cependant, je crus m'apercevoir qu'il était dans le feu de la composition d'un discours qu'il devait prononcer. Je lui prodiguai les excuses, les actions de grâces. «Nous nous devons, me dit-il à tous ceux et celles qui réclament notre assistance.» Pendant le chemin, il garda le silence que je n'osai rompre; mais je me dédommageai, en le regardant avec précaution, dans la crainte de l'embarrasser; car il est timide et modeste comme le mérite et la vertu. Arrivé près du lit de ma grand'maman, il ne lui fut pas possible de l'entretenir. Il n'en obtint que des signes de satisfaction. Sa présence, quoique muette, fut un bienfait dont je le remerciai les larmes aux yeux, et en serrant ses mains dans les miennes. Il les retira assez brusquement, et s'en alla... Ah! Zoé! je t'ai promis de m'accuser à toi-même de toutes mes fautes; tu es et seras toujours ma directrice. Eh bien! te le dirai-je? la présence de Saint-Almont diminua en moi le sentiment de la perte de ma grand'maman, et adoucit dans mon coeur les horreurs de sa mort. Le soir et la nuit, rendue à moi-même, je me trouvai comme seule dans un désert. Plus d'amie, plus de mère, me voilà bien véritablement orpheline; et faut-il pour mettre le comble à mes maux, que je porte dans mon coeur une passion malheureuse et sans issue! Je ne pus fermer l'oeil. Que vais-je devenir? Je me livrai à mille réflexions, tandis qu'un parent fort éloigné, que je fis avertir, voulut bien se charger de tous les tristes détails qui accompagnent et suivent un événement semblable à celui dont j'étais la victime. Ah! Zoé! d'où tu es maintenant, inspire ta malheureuse et trop sensible Agathe. XVIII. AGATHE À ZOÉ. Sage Zoé! toi qui es la raison, la prudence même, que diras-tu un jour de moi? Et à quoi me sert d'évoquer ton esprit, de me rappeler tes conseils, si j'en profite si mal? Mais, te le dirai-je? un mauvais génie semble être à ma gauche, tandis que ton image, comme celle d'un bon ange, assiste à ma droite, à toutes les résolutions que je prends. En voici une bien étrange, mais c'est plus fort que moi; l'amour n'excuse pas tout, mais il ne trouve rien de difficile, rien de singulier; tout lui semble naturel, pourvu qu'il se satisfasse. Zoé! tu es impatiente de savoir où tout ce préambule va nous mener. Le voici. Depuis plusieurs mois, je ne quittais plus mes habits d'homme, et j'y étais autorisée par plusieurs exemples. L'abbé de Saint-Almont qui me voyait tous les jours sur ses pas dans son église, ne soupçonnait rien moins que mon déguisement. Il aurait pu apprendre le mot de l'énigme, quand il fut appelé au chevet du lit de ma grand'maman expirante; mais hors d'état de lui parler, elle ne put lui proposer, comme elle m'en avait prévenue, d'être le directeur de sa chère petite-fille Agathe. Ainsi donc mon secret était bien gardé. Dans le quartier que j'habite, quelques personnes savent bien qui je suis; mais on l'ignore parfaitement à l'autre extrémité de Paris, et sur la paroisse de Saint-Almont. Ma grand'maman se sentant près de sa fin, mit à profit ses derniers momens pour me remettre un dépôt assez considérable de monnaies d'or, auquel elle voulut ajouter un supplément. Le collatéral appelé pour m'épargner les embarras de la circonstance fâcheuse où je me trouvais, repartit pour la campagne où il résidait. Je me trouvai donc maîtresse de ma personne, et du petit pécule remis à ma disposition. Tu devines ma première démarche, clairvoyante Zoé. Je n'ai pas besoin de te dire que je transportai aussitôt mes pénates dans le voisinage du presbytère de Saint-Almont; je m'installai dans la plus modeste demeure que je pus trouver; je vaquai sans contrainte à tous les exercices de piété, et toujours, j'ai cette justice à me rendre, avec cette réserve de mon sexe, dont je n'avais abjuré que le costume. Pendant plusieurs mois, je me trouvais presque heureuse. Presqu'à toute heure du jour, je pouvois m'enivrer sans remords de la vue de mon amant, et je ne craignais pas qu'on prît mes assiduités en mauvaise part. J'avais mis mon amour sous la sauve-garde de la religion. Cet état de choses aurait dû me satisfaire. Point du tout: mon coeur et mon imagination se liguent contre ma raison, et me voilà enfantant le projet le plus bizarre et le plus hardi que jamais fille de vingt ans ait osé concevoir..... Mais c'est assez te dire pour une lettre. La suivante probablement t'annoncera le plus étrange changement d'état pour une femme, et mon style se ressentira de la gravité de ma nouvelle profession. Ah! Zoé! que l'amour fait faire de choses! XIX. AGATHE À ZOÉ. Ma tendre amie! tu ne liras peut-être jamais les pages que je t'écris aujourd'hui; ou si tu les lis, il ne sera plus temps pour moi. Hélas! je me mets à ta place, et j'ai pitié de moi-même; mais il faut apparemment que ma destinée s'accomplisse. Écoute-moi donc, toi qui es mon ange conducteur, mais invisible. Non! ce n'est point une plaisanterie; je ne me permettrai jamais de plaisanter sur la religion dans laquelle je suis née; et il faut toute la pureté de mes intentions pour ne pas être effrayée, moi-même la première, du rôle que je me propose de jouer. Cependant, raisonnons un moment ensemble, ma bonne et trop sage Zoé. Les choses saintes ne sont pas tout à fait interdites aux femmes; et l'état de religieuse n'est pas moins redoutable, moins respectable que celui que je viens d'embrasser. En un mot, ma chère, ton Agathe est entrée au séminaire. «Au séminaire, bon Dieu! vas-tu t'écrier; mais es-tu folle? Ô mon Agathe!.... sens-tu bien toutes les conséquences d'une pareille démarche? Une fille de vingt ans séminariste!....» Pourquoi pas, sévère Zoé! une fille séminariste est-elle un personnage plus étrange qu'une fille novice aux carmélites, ou ailleurs? «D'après ce trait, vas-tu m'ajouter, Agathe est capable de tout. Grand Dieu!» Un moment, ma chère Zoé. Rappelle-toi que je t'ai promis solennellement, et par écrit, que jamais je ne me permettrais rien contre la vertu. Et en quoi, je te prie; me crois-tu capable de tout? parce que changeant de sexe à l'extérieur, j'entre dans un séminaire pour être plus près d'un homme que j'aime dans toute la pureté de mon âme. Mais de grâce, lis-moi jusqu'au bout, et attends l'issue de tout ceci pour me condamner. Écoute donc. J'apprends que Saint-Almont a tellement captivé l'estime, qu'on lui confie un établissement regardé comme délicat et important dans l'église. Il est nommé enfin supérieur du séminaire des.... Cette nouvelle frappe mon esprit d'une lueur subite. Je me dis aussitôt: Saint-Almont me croit un jeune homme, et est favorablement prévenu sur mon compte. Il n'a aucun doute sur ma personne; au contraire, il a remarqué le caractère pieux que j'ai soutenu autour de lui. Quel inconvénient y aurait-il à me présenter à lui pour être reçu au nombre des jeunes clercs qui vivent sous sa discipline? Depuis plusieurs années, la ferveur religieuse se refroidit sensiblement. Des sujets tels que je parais être commencent à devenir rares. Le sanctuaire a besoin de ministres exemplaires, pour réparer les scandales qui se multiplient de jour en jour. Je serai reçu indubitablement; et j'aurai pour mentor, pour directeur, pour maître, le seul homme qui me soit cher. J'habiterai, je vivrai sous le même toit; et je savourerai l'innocente jouissance de voir, d'entendre à toute heure celui que je porte dans mon âme: et tout cela, sans me compromettre. Je me surveillerai avec soin; je ne négligerai aucune précaution pour rendre l'illusion complète, et je serai du moins aussi heureuse qu'il m'est permis de l'être, sans trahir mes devoirs, sans compromettre mon sexe, et quoiqu'elle en puisse dire, toujours digne de ma Zoé. Le reste à demain soir. XX. AGATHE À ZOÉ. Du séminaire des... Zoé! gronde-moi à présent; mais ce que tu appelleras tout au moins une insigne folie, est fait: ton Agathe est au séminaire. La voilà devenue clerc; mais il faut te donner des détails. Je me transporte donc à la porte du séminaire; je sonne la cloche d'entrée; je demande à parler à M. le supérieur; je suis admise dans son appartement. Il n'était pas seul; j'hésite, en lui adressant les premières paroles; je les bégaie. Ma timidité est remarquée, il devine que je désire être seule avec lui. Les trois jeunes ecclésiastiques que sans doute il endoctrinait, se retirent en le saluant avec un respect mêlé d'affection. Voici mon dialogue. SAINT-ALMONT. Bon jeune homme! que voulez-vous de moi? AGATHE. Monsieur, lui dis-je d'une voix tremblante, me remettez-vous? SAINT-ALMONT. Si je ne me trompe, vous êtes cette personne depuis quelque temps fort assidue aux saintes offices dans l'église de la paroisse où j'exerçai d'abord le ministère des autels. AGATHE. C'est moi-même. SAINT-ALMONT. Qu'avez-vous à me dire? AGATHE. Je viens pour obtenir de vous la grâce d'entrer dans le séminaire que vous dirigez. SAINT-ALMONT. Qui êtes-vous, bon jeune homme? AGATHE. Un orphelin, qui vient de perdre la seule parente qui lui restait à Paris, et qui ignore absolument où il retrouverait le reste de sa famille. Seul, et comme abandonné dans une grande ville que je connais mal, je viens ici, guidé par le penchant, autant que par la crainte de rester plus long-temps dans le monde. Voici une bourse de trois cents louis, c'est toute ma fortune; daignez en être le dépositaire.... SAINT-ALMONT. Gardez cet argent. Vous n'avez donc personne ici dont vous puissiez réclamer le témoignage? AGATHE. J'avais une amie de l'enfance qui ne m'a quittée que pour se mettre en ménage. Je viens de la perdre; elle est maintenant sur mer avec son mari; elle seule, et la parente dont je pleure la mort, pouvaient répondre de moi et de ma conduite... Mais vous-même.... Monsieur.... SAINT-ALMONT. Depuis plus d'un an, je pourrais attester la persévérance de votre piété.... Quel est votre dessein?.... AGATHE. Vous venez de l'entendre; d'être reçu dans ce séminaire, et de préluder sous vos yeux, au sacerdoce.... SAINT-ALMONT. L'entreprise est grave.... AGATHE. Je le sais. SAINT-ALMONT. Avez-vous bien mûri cette résolution? AGATHE. Oui, Monsieur, et vos vertus m'ont déterminée. Je veux m'attacher à vous; servez-moi de père, de tuteur, de guide.... SAINT-ALMONT. Le moment des passions arrive.... AGATHE. Je n'en éprouve qu'une.... SAINT-ALMONT. Parlez, bon jeune homme. AGATHE. Celle de vous imiter. SAINT-ALMONT. Vous avez fait quelques études? AGATHE. Depuis plusieurs mois, je me suis appliqué avec toute l'ardeur dont je suis capable, et je sais assez de latin pour entendre nos saintes écritures. Dieu et vous, vous ferez le reste. SAINT-ALMONT. Bon jeune homme, je ne puis vous admettre dans cette maison qu'à titre d'essai. AGATHE. Je ne désire pas autre chose; j'espère que vous trouverez en moi des dispositions à imiter vos vertus. Hélas! ne me rebutez point: plante fragile et abandonnée seule à tous les vents, j'ai besoin d'un tuteur et d'un abri. SAINT-ALMONT. Vous devez pressentir que la vie qu'on mène dans un séminaire est laborieuse, austère... AGATHE. Je le sais; mais vos bons exemples me la rendront facile. Je vous avoue que, sans la réputation de votre mérite, je n'aurais jamais osé aspirer à une place ici: je vous devrai mon salut. SAINT-ALMONT. Revenez dans trois jours. AGATHE. Trois jours sont bien longs... SAINT-ALMONT. Dans trois jours. Ils me parurent trois siècles. Cependant, ils me furent nécessaires pour me préparer au nouveau rôle dont je ne craignais pas de me charger. Je m'en reposai beaucoup sur l'amour; c'est un dieu qui fait aussi des miracles. Néanmoins, je réfléchis beaucoup; je savais combien l'amour est indiscret et téméraire, et j'avais besoin de la plus grande circonspection pour cacher deux secrets à la fois, celui de mon coeur et celui de mon sexe. Ô ma bonne Zoé! tu n'as jamais été à pareilles épreuves; tu as aimé sans contradiction, et tu possèdes sans alarmes l'homme le plus doux et le plus tendre. Je suis heureuse de ton bonheur; compatis à ton tour aux peines que j'endure, et pardonne-moi mes imprudences. Adieu. P. S. Tu m'as vu la plus belle chevelure du monde; je viens d'en faire, sans effort, le sacrifice à mon amant, devenu mon supérieur. J'ai coupé moi-même mes cheveux en rond. Que de femmes les auraient mouillés de quelques larmes, avant d'en approcher les ciseaux! Ce luxe de la nature ne m'a point coûté de regrets. Toute ma parure est dans mon amour. XXI. AGATHE À ZOÉ. De loin comme de près, je suis certaine que la sage et bonne Zoé pense à sa pauvre et folle Agathe; et moi, aussi: ce journal en portera témoignage. Voilà donc Agathe installée au séminaire. La vie de séminaire n'est pas si rude que je me l'imaginais d'abord. Les exercices de piété et les heures d'études y sont fréquens, il est vrai; mais comme tout s'y fait en son temps, la tâche en paraît moins pénible. Mais j'observe ici que ce qui passe pour une vérité, souffre quelquefois des exceptions. Par exemple, on est convenu de croire que l'oisiveté est la berceuse de l'amour; et qu'au contraire, un travail assidu, opiniâtre chasse cette passion; j'éprouve ici tout l'opposé. L'occupation où je ne cesse d'être ne fait qu'entretenir mon amour. Il est vrai que je suis presque toujours sous les yeux de celui à qui j'ai voué mon existence, et toutes mes facultés. Comme je suis attentive aux leçons qu'il nous donne! il nous les donne si affectueusement! La persuasion, plus encore que la conviction, nous fait adopter tous les principes religieux qu'il professe. Sous un tel maître, j'ai la vanité de croire que je ferai des progrès dans une science si peu à la portée des femmes. Il y a dix jours que j'habite le séminaire; il me semble que j'y suis depuis dix minutes. Enhardie par les encouragemens que m'a donnés Saint-Almont, je me suis hasardée à lui demander, en le reconduisant jusqu'à la porte de son appartement, s'il était content de moi, et quel terme il mettait à l'espèce de noviciat qu'il m'avait prescrit. «Bon jeune homme,» (il continue à m'appeler ainsi, et cette expression qu'il ne donne qu'à moi me flatte infiniment.) «Bon jeune homme, m'a-t-il répondu, attendez l'expiration de la quinzaine; je pense que nous serons satisfaits l'un de l'autre.» Ces paroles me donnent un courage au-dessus de mon sexe. Et ces détails, ma bonne Zoé, te prouveront combien est innocent le stratagème que j'emploie pour jouir de la présence de celui que j'aime avec un désintéressement, certes! bien rare. Conviens-en, mon amie. XXII. AGATHE À ZOÉ. La quinzaine expirée, Saint-Almont me fit entrer chez lui; c'était pour me dire qu'il me croyait la vocation indispensable à l'état que je voulais embrasser, et qu'il me recevait volontiers au nombre de ses néophytes. Je le remerciai de cette grâce dans les termes les plus expressifs, et je saisis cette occasion pour le supplier de vouloir bien se charger du dépôt de mon petit pécule. Il demeura un moment rêveur, et finit par y consentir. Ainsi donc, voilà ma petite fortune et tout mon être entre les mains de l'homme que j'aime. Les séminaristes avec lesquels je vis ne sont pas nombreux, et je ne fais société particulière avec aucun, malgré les avances de plusieurs d'entre eux. Je les repousse par mon assiduité constante à mes devoirs, et par une certaine réserve qui m'a paru ne pas déplaire à notre supérieur. Le chef de ces sortes de maisons se choisit ordinairement parmi les ecclésiastiques qu'il gouverne, celui d'entre eux dont il est le plus content pour être son clerc, c'est-à-dire, son secrétaire particulier; et c'est une faveur qui ne laisse pas que d'être fort briguée. Cette espèce de place donne certains priviléges; on accompagne le supérieur partout; on loge près de lui. Il vous exempte de certains exercices vulgaires. Toute mon ambition était de devenir un jour l'être fortuné que choisirait Saint-Almont, quand il n'aurait plus celui que je lui vis en entrant. C'était un jeune homme fort sage, appartenant à une famille distinguée. Deux mois après mon admission au séminaire, je sus que ses parens lui avaient obtenu un bénéfice qui n'avait point charge d'âmes; je redoublai de zèle et de piété, pour le remplacer auprès de Saint-Almont. Mon Dieu! pardonne-moi, si j'ai osé faire servir les choses saintes à un amour profane: mais c'est toi qui as mis dans nos coeurs les passions; elles ne sont donc pas des crimes, et je le sens à la pureté de mes intentions. XXIII. AGATHE À ZOÉ. Ô combien l'amour, même le plus désintéressé, le plus pur, cause de tourmens et d'inquiétudes! Il n'est jamais satisfait. J'habite le même toit que Saint-Almont; je prends ses leçons; je mange au même réfectoire; je me lève, je me couche en même temps que lui, et pourtant je ne suis pas encore contente. Cette place de secrétaire que j'envie, m'ôte le sommeil, dans la crainte où je suis de ne pouvoir réussir. Je ne suis pas le seul clerc qu'il semble affectionner. Il en est un autre qu'il paraît distinguer aussi; et peut-être celui-ci obtiendra-t-il le poste que j'ambitionne. Si j'échoue, je crois que j'en tomberai malade. Toutes ces idées, amoncelées dans mon cerveau, me font imaginer un coup de hardiesse qui peut me réussir. C'est d'oser demander moi-même à remplir la place de clerc particulier de Saint-Almont. Peut-être s'en fâchera t-il? n'importe! Mon âme impatiente ne peut plus se contraindre. Ah! Zoé! Zoé!... La France, dit-on vulgairement, est le paradis des femmes. Hélas! je n'y fais que mon purgatoire. XXIV. AGATHE À ZOÉ. J'aime à intituler ainsi chaque page de mon journal. Ce titre me fait une douce illusion. Il me semble que je t'écris réellement une lettre, et que tu dois me lire aussitôt. J'ai besoin de te croire près de moi, et à portée de me surveiller. Hélas! tu n'existes plus pour moi que dans les souvenirs de mon coeur; de longues mers nous séparent peut-être pour toujours. Je ne serai plus peut-être, quand tu reviendras sur le continent et dans notre patrie. Un soir, après la prière commune, je demandai en tremblant à Saint-Almont de me permettre de lui adresser quelques paroles en particulier. Il accueillit mon voeu; j'entrai avec lui dans son petit oratoire, et lui dis: AGATHE. Mon très-honoré supérieur, nous avons appris que votre secrétaire quitte la maison... SAINT-ALMONT. Oui, et je regrette ce jeune homme. C'est un excellent sujet. AGATHE. Nous l'aimons tous... SAINT-ALMONT. Eh bien! mon cher Sainte-Alba... (C'est le nom que je porte au séminaire.) AGATHE-SAINTE-ALBA. Oserais-je vous demander si, pour le remplacer, vous avez déjà fait votre choix? SAINT-ALMONT. Pas encore, précisément... AGATHE-SAINTE-ALBA. Vous choisirez sans doute le plus méritant... Hélas! SAINT-ALMONT. Pourquoi hélas! AGATHE-SAINTE-ALBA. C'est que plus qu'aucun des jeunes ecclésiastiques qui vivent ici, dans ce séminaire, sous votre paisible et sage discipline, j'aurais besoin d'être continuellement sous vos regards... Pauvre orphelin que je suis... vous êtes mon très-honoré supérieur, vous seriez encore comme mon père, mon tuteur, mon ange gardien. Je réglerais tous mes pas sur les vôtres. Il faut que je vous dévoile mon âme tout entière. Sachez donc que je ne pourrais plus vivre loin de vous; ce sont vos seuls mérites qui ont décidé ma vocation. Permettez-moi donc de m'attacher à votre personne, et de me charger auprès de vous de tous les services qu'il vous plaira me confier. Ne me faites pas l'injure de croire qu'en vous parlant ainsi, en briguant cette place, j'aie en vue les petits priviléges qui y sont attachés; je prétends au contraire redoubler de zèle et de travaux. Enfin, je désire ardemment être votre clerc. Vous m'aiderez à combattre les passions, à les vaincre.... Pardon, mon très-honoré supérieur.... SAINT-ALMONT. Bon Sainte-Alba! vous ne m'avez point offensé, et ma confiance répondra à l'ingénuité de vos sentimens. Allez en paix, et soyez toujours ce que vous avez été jusqu'à ce moment. Ces dernières expressions me calmèrent beaucoup; je passai une nuit douce et presque heureuse. Le surlendemain, le clerc de notre supérieur fit ses adieux à ses condisciples, et partit. Le troisième jour, Saint-Almont m'appela dans son cabinet d'étude, et me fit asseoir devant un pupitre, en me disant: «Remplissez près de moi les fonctions que vous avez paru désirer; j'espère que nous serons contens tous deux.» Zoé! tu ne peux partager le bonheur de ton Agathe. Me voici devenue le secrétaire, l'ami, et presque le confident de l'homme que j'aime, et qui est si digne, par ses malheurs et ses vertus, de l'attachement d'un coeur honnête et sensible. Nous sommes devenus presque inséparables; nous ne nous séparons que la nuit. Je l'accompagne en tous lieux, à toute heure. Félicité pure, et telle que les anges doivent la goûter dans le ciel! XXV. AGATHE À ZOÉ. Il faut te dire, ma chère Zoé, que Saint-Almont et moi, nous sommes devenus tous deux l'édification de tous ceux qui nous voient. Quand quelques esprits-forts versent leurs sarcasmes sur l'état ecclésiastique, on répond: «Ils en auraient une autre opinion, s'ils pratiquaient Saint-Almont et son jeune clerc Sainte-Alba.» Pendant les offices des fêtes, on nous fait remarquer. «Quelle piété affectueuse, s'écrie-t-on! ce n'est point là de la cafarderie. Comme ce jeune clerc a les yeux constamment levés sur son supérieur!» Si tout le monde savait le véritable motif qui me fait agir ainsi... Eh bien! on l'a dit avant moi, et je suis peut-être la seule qui l'éprouve: Oui! l'amour est vertu dans un coeur vertueux. Il faut me voir servir mon amant à l'autel, soit aux offices du matin, soit à ceux du soir. Il faut me voir comme je presse amoureusement sur mes lèvres brûlantes la patène que Saint-Almont me donne en me disant: _Pax tibi_, et la baiser plutôt trois fois qu'une, à l'endroit où il l'a baisée le premier. Quant au _Pax tibi_, hélas! le voeu religieux qu'il m'adresse est bien loin de mon coeur. La paix en est bannie pour long-temps, je pense. Aux vêpres, pendant le _Magnificat_, tu sais, ma Zoé, que le clerc à son tour encense le célébrant; au lieu des trois coups d'encensoir, bien des fois j'en donne six ou neuf. On est obligé de m'avertir de ma méprise, et je rougis jusqu'au blanc des yeux. Mais que de satisfaction j'éprouve à offrir publiquement un encens pur à l'homme par excellence, le seul homme que j'aimerai dans ma vie entière! Aux saluts d'apparat, je suis l'un des deux clercs qui, marchant à reculons, encensent le Saint-Sacrement, ou ce qu'on appelle le soleil, porté par notre supérieur. Sacrilége que je suis! hélas! ce n'est pas à Dieu que j'adresse l'encens que je brûle en ce moment. Il est tout entier pour le seul Saint-Almont. Quelquefois, autant pour exercer les jeunes ecclésiastiques dans le saint ministère, que pour servir d'instruction au peuple, Saint-Almont, le soir, dans l'église, établit des conférences édifiantes. J'en soutins une avec lui; elle roulait sur l'amour profane. Saint-Almont jouait, comme il était convenable, le rôle de Notre-Seigneur, et moi celui du monde. Pour parler comme le vulgaire, il était l'avocat du bon Dieu; et moi, celui du diable. Saint-Almont passe pour très-éloquent; mais cette fois-ci, tout l'auditoire convint que l'élève avait mieux parlé que le maître. On allait jusqu'à dire que le clerc avait embarrassé son supérieur en plus d'un endroit. Saint-Almont m'en toucha quelque chose, en rentrant au séminaire, non pas qu'il fut atteint d'une basse jalousie; mais en homme sage, il me fit entendre que j'avais lieu de craindre un jour, tôt ou tard, l'ascendant de la plus terrible des passions. Qu'ai-je à redouter, lui répondis-je, si vous ne me retirez pas votre main préservatrice? J'ajoutai: N'ai-je pas fait voeu de vous accompagner comme l'ombre suit le corps? et je renouvelle très-volontiers, et dans toute la sincérité de mon âme, cet engagement sacré. Qu'est-ce donc que l'amour? Comme tout à ses yeux s'ennoblit et devient intéressant! Croiras-tu, Zoé, que j'éprouvai un plaisir égal à ce qu'on appelle de la volupté, quand Saint-Almont, le mercredi des Cendres, me traça sur le front avec son pouce une croix de ces cendres consacrées? je ne pus me résoudre à mettre mon camail sur la tête, dans la crainte d'effacer sur mon front l'empreinte des doigts de mon amant. Pendant le Carême, la confession, devenue plus fréquente, m'embarrassait beaucoup. Heureusement que Saint-Almont a autant de simplicité que moi d'amour. D'ailleurs, il est si éloigné de soupçonner le mystère! Le dimanche des Rameaux, nouvelle scène. À la messe, on lit l'une des quatre passions; et vers la fin de cette lecture, le célébrant et tous les assistans baisent simultanément la terre. Moi, j'attendis que Saint-Almont se fût acquitté de ce saint devoir, pour poser la bouche précisément à la place marquée encore par son haleine. Ma Zoé, il me semble t'entendre me dire: «Pauvre Agathe, te voilà folle à lier!» Cela se peut; mais conviens que ma folie est plus innocente que la raison affectée de certaines femmes. Le jeudi-saint, je me permis quelque chose de plus étrange; je ne puis rien avoir de caché pour ma meilleure amie. Ce jour est consacré à la pâque des ecclésiastiques. Il me fallut communier comme les autres; mais ce fut de la main de mon cher Saint-Almont. Devine, Zoé, ce qui me passa par la tête... devine! Tout te monde ne serait pas aussi indulgent que toi, quand tu le sauras. On traiterait cette action d'horrible profanation. Je retirai adroitement de ma bouche la sainte hostie, parce qu'elle avait passé entre les deux doigts de Saint-Almont; je la conserve précieusement, et je lui prodigue les plus tendres baisers. Le soir de cette sainte journée, notre supérieur lava en public les pieds aux plus jeunes des séminaristes, et je fus du nombre. Jamais de ma vie je n'éprouvai une émotion plus délicieuse. Ô amour! amour!... Le lendemain, nous allâmes tous à l'adoration de la croix; elle était tenue, penchée entre les bras de Saint-Almont. Ingrat! c'est toi que j'adorai; c'est à toi seul que j'adressai ces marques d'amour et de piété qui édifièrent tant de bonnes âmes, dupes des apparences. Oh! mon Dieu! comme je serais punie, avec quelle indignation on me chasserait de ce séminaire, si l'on venait à me surprendre ces aveux sacriléges, destinés à la seule amitié! Ô mon amie! pourquoi as-tu passé les mers? reviens donc vîte. Il en est peut-être encore temps; mais non! le mal est incurable, il est à son comble; et je crains de n'y pouvoir résister encore long-temps. XXVI. AGATHE À ZOÉ. Mais voici bien une autre tempête. Le moment est venu pour moi d'entrer dans ce qu'ils appellent les ordres. J'ai déjà reçu ceux nommés _mineurs_; mais le bon Saint-Almont me croit digne d'être élevée au soudiaconat, pour arriver bientôt au sacerdoce. Je m'humilie beaucoup; je me déprise fort, exprès pour éviter de prendre ce sérieux engagement, lequel d'ailleurs me ferait sortir du séminaire, où je voudrais rester toujours, tant du moins qu'y sera Saint-Almont. Comment faire? qui me donnera un conseil? Zoé, d'où tu es, envoie-moi quelque sage inspiration; mais j'attends en vain, et je ne puis plus demander de délai, Saint-Almont devient pressant. Que résoudre? XXVII. AGATHE À ZOÉ. Ô ma Zoé! plains-moi, ne m'ôtes pas ton estime. C'en est fait, cette lettre est sans doute la dernière que je t'écrirai. Si jamais elle arrive à son adresse, Agathe n'existera plus pour sa Zoé, ni pour tout autre: ni toi, ni même Saint-Almont, vous n'entendrez plus parler de moi. Adieu donc pour toujours.... Voici le fait. Le séminaire où je suis (où j'étais du moins alors) possède une maison de campagne à une petite lieue de Paris. C'est une délicieuse solitude; et les séminaristes, dans la belle saison, y vont en récréation au moins une fois par semaine, sous l'oeil du supérieur. Nous y allâmes vers la fin du mois de mai, entre Pâques et la Pentecôte. À peine délassés de la marche, Saint-Almont me prit à part dans un bosquet fleuri et fort touffu. Mes compagnons d'étude nous y voyant entrer, allèrent plus loin se livrer à leurs innocens ébats. Il me fit asseoir près de lui, et me prit la main en me disant: SAINT-ALMONT. Bon Sainte-Alba, je vous dois ce témoignage, et je crois vous l'avoir déjà rendu en plein séminaire; vous êtes l'édification de la maison sainte dont je suis le supérieur. Pourquoi donc vous refuser avec obstination au prix que vous êtes en droit d'obtenir pour votre bonne conduite? Pourquoi ne pas vouloir entrer dans les ordres sacrés? Les bons prêtres deviennent rares, et l'église catholique a plus besoin que jamais de bons exemples. Trop de modestie deviendrait un excès blâmable. AGATHE-SAINTE-ALBA. Ah! mon respectable supérieur, mon cher monsieur Saint-Almont... pardonnez cette expression peut-être trop familière dans la bouche du moins digne de vos disciples... SAINT-ALMONT. Loin de m'offenser, mon cher Sainte-Alba, elle me prouve votre confiance en moi; je n'ai rien fait pour la perdre. Parlez en toute liberté. AGATHE-SAINTE-ALBA. Eh bien! mon cher supérieur, sachez que vous me jugez beaucoup trop favorablement. SAINT-ALMONT. Je ne le pense pas. Rien en vous ne m'a paru démentir jusqu'à ce moment la justice et même les éloges que je me suis plu à vous donner dans toutes les occasions. Vous avez la douceur de caractère, et la docilité, la pudeur d'une jeune fille bien née; qualités précieuses qu'on cherche vainement dans des sujets de votre âge, et qui ont vécu dans Paris. AGATHE-SAINTE-ALBA. Eh bien! il ne faut pas vous tromper davantage. SAINT-ALMONT. Quoi donc? AGATHE-SAINTE-ALBA. Vous me connaissez mal. SAINT-ALMONT. Comment? AGATHE-SAINTE-ALBA. Je vous en ai imposé trop long-temps.... SAINT-ALMONT. Parlez.... nous sommes seuls. AGATHE-SAINTE-ALBA. Je n'ose. SAINT-ALMONT. Osez donc. Que craignez-vous de moi? AGATHE-SAINTE-ALBA. Je crains de perdre tout à fait votre estime. Hélas! je n'ai qu'un mot à prononcer pour cela. SAINT-ALMONT. Votre âme timorée et neuve vous fait peut-être un monstre de ce qui n'est qu'une faute légère. AGATHE-SAINTE-ALBA. Je le voudrais. SAINT-ALMONT. Vous m'alarmez. Parlez. AGATHE-SAINTE-ALBA. J'ai auparavant une prière à vous adresser. SAINT-ALMONT. Dites. AGATHE-SAINTE-ALBA. Promettez-moi que quelque soit la révélation que je vais vous faire, vous me la pardonnerez. SAINT-ALMONT. Vous savez, mon enfant, que l'aveu d'une faute grave en diminue considérablement le poids. AGATHE-SAINTE-ALBA. Ce que j'ai à vous confier est de nature à n'obtenir le pardon de personne, pas même du plus indulgent des pontifes de la religion. SAINT-ALMONT. Le Dieu que nous servons nous a donné l'exemple de la plus excessive indulgence. AGATHE-SAINTE-ALBA. Dites-moi, encore une fois, que vous pardonnerez à votre bon jeune homme. C'est ainsi que vous m'avez appelé long-temps, sans vous douter de votre erreur.... SAINT-ALMONT. Je vous le promets. AGATHE-SAINTE-ALBA. Eh bien! apprenez donc... SAINT-ALMONT. Du courage, bon jeune homme, mon cher de Sainte-Alba. AGATHE-SAINTE-ALBA. La parole expire sur mes lèvres, et je n'ose lever les yeux sur vous. SAINT-ALMONT. De la confiance! imaginez que je suis votre père. Allons, mon enfant, donnez-moi votre main... Comme elle est brûlante!... AGATHE-SAINTE-ALBA. Sachez donc... Ah! je ne puis... SAINT-ALMONT. Reprenez vos sens émus... AGATHE-SAINTE-ALBA. Très-honoré supérieur d'une maison d'édification, que penseriez-vous d'une femme... SAINT-ALMONT. Vous m'aviez caché apparemment qu'une passion malheureuse, une femme ingrate peut-être vous a précipité sans vocation dans le séminaire... AGATHE-SAINTE-ALBA. Ce n'est pas cela, mon cher Saint-Almont; c'est pis que cela... SAINT-ALMONT. Vous m'effrayez.... Parlez donc.... AGATHE-SAINTE-ALBA. Chassez-moi de votre présence, de votre maison sainte; j'y ai porté le scandale. Et malheur, a dit notre divin maître, malheur à ceux par qui vient le scandale. _Væ! væ!..._ SAINT-ALMONT (_à part_.) Le délire s'empare de ce pauvre jeune homme. AGATHE-SAINTE-ALBA. Oh! non, ce n'est pas le délire, c'est le remords. Que penseriez vous d'une femme audacieuse qui, sous des habits d'homme, se serait introduite dans votre séminaire?.... SAINT-ALMONT. Malheureux! qu'avez-vous dit? AGATHE-SAINTE-ALBA. La vérité! punissez-moi; chassez-moi; dénoncez ce délit à la justice de Dieu et des hommes. SAINT-ALMONT. Malheureuse! et pourquoi ce travestissement? À quoi bon choisir un séminaire, le mien, pour le théâtre de cette scandaleuse démarche? AGATHE-SAINTE-ALBA. Ah! monsieur de Saint-Almont, vous ne savez encore que la moitié de mon crime... SAINT-ALMONT. Qu'entends-je? et que vais-je apprendre? AGATHE-SAINTE-ALBA. L'amour.... SAINT-ALMONT. Quoi! vous veniez dans un asile de paix et d'innocence porter le brandon incendiaire de la plus ardente, de la plus impérieuse des passions; vous veniez distraire les jeunes lévites qui me sont confiés!... Quelle audace! quel sacrilége! ah! Dieu! pardonne, si tu le peux... AGATHE-SAINTE-ALBA. Ah! Saint-Almont, que votre sainte colère ne vous fasse pas commettre une injustice à mon égard! De grâce, ne m'outragez pas, et distinguez une faiblesse criminelle sans doute, d'un forfait honteux. Non, je ne suis point venu dans votre maison pour y corrompre vos dignes élèves; connaissez mieux le coeur d'une femme sensible. Un seul objet m'attira dans votre séminaire; et cet objet, digne par ses vertus qui m'ont séduite de toute la passion d'un coeur pur et brûlant, ne sait pas encore que je brûle pour lui. SAINT-ALMONT. Ne cherchez point à pallier l'énormité de votre faute; ne démentez pas cette candeur que j'avais cru remarquer en vous. AGATHE-SAINTE-ALBA. Vous ne vous étiez pas trompé, et ce que je vous affirme en est la preuve. Oui, celui pour lequel je me suis permis la plus étrange des démarches, ne sait pas encore qu'il était aimé d'une femme à ce point, et ne l'aurait peut-être jamais su, si j'avais pu me contraindre, si j'avais osé passer outre, et entrer dans les ordres sacrés avec un coeur profane. SAINT-ALMONT. Il ne faut pas le lui dire; ce secret ne pourrait être confié qu'à moi, qui suis chargé du dépôt des moeurs de ces ecclésiastiques.... AGATHE-SAINTE-ALBA. Je ne puis laisser plus long-temps planer le soupçon sur les jeunes élèves de votre maison; car vous pourriez me supposer capable de vous faire une révélation infidèle ou incomplète. Apprenez donc qu'aucun d'eux n'était l'objet de mon fatal amour. SAINT-ALMONT. Aucun d'eux! AGATHE-SAINTE-ALBA. Aucun. SAINT-ALMONT. Et qui donc?... AGATHE-SAINTE-ALBA. Faut-il donc encore que je vous dise que c'est vous, monsieur de Saint-Almont? SAINT-ALMONT. Moi! AGATHE-SAINTE-ALBA. Hélas! oui! vous-même. Eh! comment n'avez-vous pas deviné ce triste aveu, vous qui avez aimé si malheureusement? Il semble que le ciel ait voulu venger votre sexe, en me punissant des fautes du mien. Quelque soit mon imprudence, ma témérité, mon sacrilége même, sachez, monsieur de Saint-Almont, que je me crois bien moins coupable que la femme qui, se jouant de votre tendresse, vous a précipité dans la prêtrise: vous n'aviez pas plus de vocation que moi. SAINT-ALMONT. Comment savez-vous?... AGATHE-SAINTE-ALBA. J'ai su vos malheurs; j'ai connu vos vertus: en fallait-il davantage pour m'attacher à vous, même sans espoir et sans but? Je ne me suis jamais fait illusion. Dès le premier instant que je vous aimai, je ne me suis pas dissimulée que jamais je ne pourrais vous appartenir. Mais est-on maître de l'amour? commande-t-on à sa destinée? Plaignez-moi donc, mais ne m'avilissez pas. SAINT-ALMONT. Pourquoi, femme inconséquente, venir jusque dans mon séminaire?... AGATHE-SAINTE-ALBA. J'assistai à votre première messe. Depuis cette époque sinistre pour moi bien plus que pour vous, car vous entriez au port, et moi, je me lançais sur un torrent; depuis ce triste moment, je me suis vouée, pour ainsi dire, à vous; j'ai suivi tous vos pas. C'est moi que vous remarquâtes assidue aux offices dont vous étiez le célébrant; c'est moi qui allai requérir votre saint ministère pour assister au lit de mort ma trop indulgente grand'maman; c'est elle qui, loin d'en prévoir les conséquences, me permit de revêtir les habits d'homme; c'est moi... SAINT-ALMONT. Ma fille!... je ferai mon devoir, vous ferez le vôtre. AGATHE-SAINTE-ALBA. Je vous entends. SAINT-ALMONT. Vous feindrez une indisposition grave. AGATHE-SAINTE-ALBA. Je n'aurai pas à feindre... SAINT-ALMONT. Vous resterez ici; vous passerez la nuit dans la demeure du concierge de cette maison. Demain, je vous renverrai le dépôt de pièces d'or que vous m'avez confié, et... AGATHE-SAINTE-ALBA. Et... SAINT-ALMONT. Nous cesserons tout rapport. Mon état, votre sexe.... Malheureuse femme! que la Providence veille sur vous!.... Adieu... cependant, il faut que ce soit moi qui vous conduise chez le concierge.... Ici finit mon existence; car je ne puis plus que végéter... Ô ma Zoé! quel dénoûment! tu me l'as fait prévoir dès le commencement. Achevons le sacrifice..... Il est parti, à la tête de ses élèves; et moi, je reste dans une chambre du concierge de la maison de campagne..... Reçois mes derniers adieux....... Un étouffement m'ôte toute faculté de t'en écrire davantage. Demain, dès l'aube du jour, je quitte cette maison pour aller je ne sais où; mais comme je te l'ai déjà marqué, ni toi, ni Saint-Almont, vous n'entendrez plus parler de l'infortunée Agathe. Dans un billet que je laisse pour lui être remis, je le prie de joindre cette dernière lettre à un paquet d'autres qu'il trouvera sous enveloppe dans ma chambre du séminaire, et de remettre le tout à ton adresse, dans ton ancienne demeure, où ceux qui écrivent à ton mari peuvent déposer leurs missives. Adieu, adieu, adieu, Zoé. _N. B._ Saint-Almont remit son dépôt pécuniaire et les papiers de celle qu'il avait cru l'un de ses néophytes, à l'adresse indiquée par elle. Deux mois après, Zoé de retour retrouva tout cela à son ancien logis, et pleura beaucoup son amie, qu'elle crut d'abord avoir perdue pour toujours. L'éditeur de cette correspondance, au moment qu'il s'y attendait le moins, reçut d'autres renseignemens, qui intéresseront le lecteur curieux de savoir ce qu'est devenue enfin l'héroïne infortunée de ces Lettres. Agathe passa une nuit affreuse dans le logis du concierge de la maison de campagne du séminaire. Elle en sortit dès l'aube du jour, pour devancer l'heure à laquelle Saint-Almont devait lui faire remettre le dépôt pécuniaire qu'il avait en garde; en sorte qu'Agathe, qui ne possédait sur elle que quelques pièces de petite monnaie, se trouvait dépourvue des moyens de troquer les habits de séminariste contre ceux de son sexe. Ainsi donc, toujours vêtue en ecclésiastique, elle divagua dans les champs voisins, avec l'intention cependant de se rapprocher de la rivière. Elle roulait dans sa tête un projet sinistre, qu'elle comptait mettre à exécution. Heureusement que, dans son délire, elle ne retrouva pas son chemin, et qu'elle n'osa demander sa route. Après deux ou trois heures d'une marche rapide et sans but, elle passe devant l'entrée d'une carrière abandonnée, sise sous la colline riante qui sépare les deux beaux villages d'Ivri et de Vitri-sur-Seine. Épuisée de fatigue, exténuée de besoin, elle porte ses pas dans l'intérieur sombre de cette espèce de caverne, creusée par la main des hommes, s'y enfonce, et se couche sur un lit de pierres. Un sommeil profond, ou plutôt une léthargie s'empare de ses sens, et enchaîne toutes ses facultés. Cette carrière, que les ouvriers avaient épuisée, n'était point déserte: elle formait un méandre de diverses chambres, et se prolongeait fort avant, éclairée de distance en distance par des ouvertures, espèce de soupiraux pratiqués à la surface des campagnes voisines. L'une de ces galeries souterraines aboutissait aux caves d'une maison du prochain village; et ce conduit servait d'habitation ordinaire à un personnage singulier qu'il est bon de dessiner aux yeux de nos lecteurs. Nous l'appellerons Timon, ou le Misantrope moderne, pour ne compromettre personne. Cet homme, jeune encore, avait éprouvé bien des malheurs, et beaucoup plus d'injustices. Doué d'une âme sensible et d'une imagination forte, il avait un penchant irrésistible à la philosophie, mais à celle des stoïciens plus qu'à toute autre; et le monde dans lequel il vécut ne lui avait donné que trop de sujets d'exercer son esprit porté à la réflexion. Sa première jeunesse avait été studieuse. Il avait médité les livres les plus profondément pensés; et d'après eux, il s'était échafaudé une théorie brillante, mais au-dessus des forces humaines, du moins tant que le système social actuel aura lieu. Notre sage, dans l'âge des passions, eut l'imprudence de vouloir mettre à exécution les principes exaltés qu'il s'était faits, et ne trouva partout que des résistances. Son siècle n'était point assez mûr, et sa patrie était trop corrompue, pour le succès de ses plans hardis et sévères. Indignement joué par les femmes, poursuivi à outrance par le haut clergé dont il n'avait pas craint de révéler les turpitudes dans un livre qui ne fit que trop de bruit, notre philosophe dégénéré tout à coup en misantrope, se retira de la société, changea de nom, et vint habiter sous le chaume d'un paysan de Vitri. La vie solitaire qu'il y mena ne le guérit point de ses préventions plus ou moins fondées contre le monde. Rodant autour de son nouveau domicile, il fit un jour la découverte d'un souterrain qui avoisinait la paroisse où il demeurait. De ce moment, il rompit tout à fait ses liens, et ne conserva d'autres rapports avec ses semblables que ceux nécessaires pour ne pas mourir de faim. Les bonnes gens chez lesquels il résidait, et auxquels il payait une forte pension, munis de sa procuration, faisaient toutes ses affaires, et ne le contrariaient en rien. Rarement mangeait-il avec eux. Il venait lui-même prendre ses alimens, et allait les consommer dans la caverne qui répondait au cellier de ses hôtes. Là, il s'abandonnait à ses noires méditations, tout à loisir, et sans craindre les importuns. Parfois, il confiait au papier ses pensées chagrines; ou bien, il gravait sur les parois les plus lisses de sa carrière quelques poésies dans le genre des stances suivantes. STANCES MISANTROPIQUES. Par votre faute, ô combien sur la terre, Pauvres humains, vous endurez de maux! Moi, loin de vous, au fond d'une carrière, J'ai rencontré la paix et le repos. Pauvres humains! vous ressemblez aux pierres Qu'un architecte habile ou sans talens, Sous ses crayons bizarres ou sévères, Place et déplace au gré des dieux régnans. Quand je vous vois, du fond de ma caverne, Pauvres humains! vous me faites pitié. Pour un peu d'or qu'un autre se prosterne! Je ne regrette ici que l'amitié. Oui! je préfère une caverne aux temples Où le fakir fait des discours moraux, Tous démentis par ses mauvais exemples. Pauvres humains! on vous prend par les mots. Avec vos rois, avec vos républiques, Pauvres humains! êtes-vous heureux? non. Rentrez plutôt sous les lois pacifiques De la nature: elle seule a raison. Depuis long-temps, au fond d'une citerne, La vérité, dit-on, a son séjour: Moi, je la trouve au fond de ma caverne; Mais j'y voudrais trouver aussi l'amour. Timon s'occupait aussi d'une réforme de l'espèce humaine qu'il détestait. Le clergé n'était point ménagé dans ses diatribes virulentes: et c'est ainsi qu'il employait ses journées, errant seul, dans les recoins multipliés de la carrière devenue pour lui un nouveau monde. Quelquefois il y passait des nuits entières, écrivant ses observations amères, à la lueur d'une lampe. Trop souvent son cerveau s'allumait; et il se fût porté à de violens excès, si quelqu'un de ceux dont il n'avait que trop à se plaindre se fût présenté à lui. Il avait contracté la défiance la plus générale, ne faisant point un pas, sans avoir deux pistolets à sa ceinture et un poignard. C'est avec cet attirail formidable, et dans un moment de misantropie profonde, qu'il rencontre étendu sur la pierre un individu en habit ecclésiastique. À cette vue, il ne peut se contenir; d'une main, il lève son poignard; de l'autre, il saisit le collet de la soutane d'Agathe endormie. Il l'agite avec force, la déchire, et met à nu une partie du sein de l'infortunée, qui se réveille enfin comme en sursaut, et reste immobile et muette au spectacle inattendu qui la frappe. Quelle dut être en effet sa terreur, en voyant un homme coiffé d'un bonnet de poil, une lampe suspendue au haut de ce bonnet, à la manière de certains mineurs, armé de pistolets et d'un fer menaçant, l'oeil hagard, et le visage dans une sorte de convulsion! Mais en reconnaissant une femme sous le costume ecclésiastique, Timon ne sait que penser lui-même; d'autres sentimens se mêlent à l'indignation qu'il éprouva d'abord. Le poignard lui tombe de la main; de l'autre, il lâche la soutane d'Agathe, pose à terre ses deux pistolets, et demeure lui-même interdit, en présence d'un objet si loin de sa pensée. [Illustration: Timon trouve Agathe.] Agathe, retombée sur la pierre qui lui servait de couche, s'y était évanouie. Timon, revenu enfin à lui-même, va, court au logis de ses hôtes, et en rapporte une eau spiritueuse, pour administrer quelques secours à celle qu'il a tant effrayée. Enfin, quand il fut en état de lui parler avec sang-froid, et elle de l'entendre, il lui dit: TIMON. Fille tout au moins imprudente! que venez-vous chercher dans ces lieux si peu faits pour votre âge et votre sexe? Veniez-vous y braver un homme qui n'a que trop à se plaindre des femmes et de ceux dont vous portez l'habit? Parlez-moi sans déguisement, et rassurez-vous; vous n'avez rien à redouter de moi. Ne seriez-vous qu'une échappée de quelque bal? car, là-haut, ils dansent, ils s'amusent, ils jouent avec leurs chaînes, ces esclaves de tous les préjugés! Vous aurait-on chassée de ce bal pour avoir osé prendre l'habit de caractère du clergé, jaloux qu'il n'y ait que lui en droit de porter un masque? Répondez. AGATHE, _assez peu remise_. Hélas! Monsieur.... TIMON. Ne m'appelez pas _Monsieur_. Je ne suis pas un Monsieur bien poli pour ses semblables, et bien dur pour les malheureux; j'ai peut-être contracté un caractère brusque: mais si je n'ai bientôt plus figure d'homme, j'ai conservé une âme sensible aux infortunes. En éprouveriez-vous? dites-les moi. AGATHE. J'espère que je toucherai bientôt à leur terme. À quoi bon vous en entretenir? TIMON. Je veux avoir un sujet de plus de haïr les hommes; j'en ai pourtant assez déjà. Mais pourquoi ce déguisement sinistre? je veux le savoir... Ah! pardon, femme infortunée, sans doute plus que coupable, je ne dois m'occuper en ce premier moment que de vos besoins; je vais d'abord satisfaire aux plus pressans. Promettez-moi de m'attendre; je vais chercher les alimens nécessaires à votre situation. Agathe, moins forte que la nature qui lui parlait plus haut que sa malheureuse passion, consentit d'accepter de la nourriture. Aussi prompt que l'éclair, Timon sortit et revint; et tous deux prirent un léger repas servi sur un cube de pierre. TIMON. Vous vous obstinez à me taire vos chagrins. Me refuserez-vous d'accepter des habits de femme en place de ceux-ci? Ils conviennent si peu, même aux hommes! AGATHE. Je veux achever de vivre, et mourir sous ce vêtement: il m'est cher. Je n'ai pas d'ailleurs long-temps à le porter; le coup mortel a frappé mon coeur. Timon insista tant de fois, qu'Agathe ne put s'abstenir de lui raconter ses peines secrètes qui l'affectèrent vivement. Maudites convenances sociales! (s'écria-t-il à ce récit) faux respect humain! Oh! combien les hommes se rendent malheureux de leur propre fait! Trompé par une coquette, Saint-Almont se fait prêtre, c'est-à-dire, il se punit des fautes d'autrui; et par suite, il réduit au désespoir la fille sensible que la nature lui adressait comme par la main pour réparer l'erreur qu'il avait commise avec une autre si peu digne de lui! Quelle bizarrerie! quel renversement de toutes les idées saines! Pauvre Agathe! que je vous plains! mais demeurez ici, et ne mourez pas; restez dans cette carrière, sous la terre qui n'est pas digne de vous posséder dessus. Oubliez Saint-Almont, en qui le préjugé religieux parle plus haut que la nature. Restez ici; vous y serez aussi en sûreté que dans votre séminaire, aussi libre de vous; consentez à vivre. Notre destinée réciproque est peut-être que nous vivions l'un près de l'autre, puisque nous sommes tous deux victimes de ces conventions politiques qui enchaînent les hommes. AGATHE. Je n'ai point votre force d'âme et d'organisation pour supporter mon infortune; je sens que le poids qui oppresse mon coeur ne peut s'alléger que par la mort; je vais languir encore quelques jours, heureuse d'avoir trouvé une main compatissante pour m'assister dans mes derniers momens! N'insistez pas pour me rappeler au bonheur: il est apparemment des êtres nés pour souffrir; mais du moins, je ne suis coupable, ni aux yeux des hommes, ni devant mon Dieu. Je n'ai commis que des imprudences. TIMON. Ne me parlez point de votre Dieu; il vous devrait un miracle. AGATHE. Il ne me doit rien. TIMON. Votre Dieu est injuste. AGATHE. Mon Dieu est juste; il laisse en moi un exemple dont les jeunes filles pourront profiter. On leur dira que j'ai été punie pour avoir négligé les sages conseils d'une amie, et pour n'en avoir cru que mon coeur sans expérience. TIMON. Vous avez suivi la voix de la nature; elle ne trompe jamais; mais vos religions et vos lois viennent la contrarier. Ce sont elles qui font tout le mal. Ah! quand donc les hommes, retournant sur leurs pas, et remontant à leur organisation primitive, se mettront-ils à vivre, sans le ridicule et sinistre échafaudage des législations politiques et sacrées? Que je méprise, que je hais tous ces législateurs anciens et modernes qui mettant leurs faux raisonnemens à la place de la raison, fabriquent des entraves où le reste des hommes, comme de vils troupeaux, viennent se prendre! Il n'est plus permis à la jeune vierge innocente de s'unir au jeune homme dans les bras duquel la nature la pousse, mais que les codes absurdes, imaginés par des ambitieux, lui interdisent par je ne sais quelles misérables convenances. Ces déclamations soulageaient Timon, et rassuraient Agathe. Il se bornait à des apostrophes aux hommes d'état, sans négliger aucun des égards dus à la passion et au sexe de l'infortunée. Celle-ci, languissante et s'affaiblissant peu à peu, avait renoncé à tout attentat sur elle-même; elle voyait s'approcher avec résignation le dernier jour d'une vie courte, mais si pleine d'amertume. Timon, assidu près d'elle, espérait, attendait tout du temps; et déjà son imagination lui laissait entrevoir un avenir heureux selon ses principes. Un jour, il aborde Agathe avec un empressement plus marqué que de coutume; c'était pour lui dire: Malheureuse femme! sans doute, vous me rendez justice; j'ai rempli les devoirs de l'hospitalité envers vous, sans les mettre à prix comme on fait là-haut. Ai-je acquis quelques droits à votre confiance? AGATHE. Homme généreux, en pouvez-vous douter? TIMON. Eh bien! donnez-m'en une preuve. AGATHE. Vous m'inquiétez. Vous lasseriez-vous d'être vertueux? TIMON. Vous ne me comprenez pas. Écoutez-moi jusqu'au bout. L'intérieur des carrières est malsain, surtout pour les personnes affaiblies déjà par la violente secousse des passions. Pourquoi resteriez-vous ici plus long-temps? AGATHE. C'est pour y mourir plus vîte. TIMON. Et toujours cette sinistre image en perspective. J'ai quelque chose de mieux à vous proposer. Je m'exprime peut-être en termes qui ne ressentent que trop la caverne que j'habite, de préférence à la surface de la terre souillée par tant de crimes: mais faites-moi grâce des formes, et ne jugez en moi que les intentions; elles sont aussi pures que l'amour que vous portiez à Saint-Almont. AGATHE. Et que je lui conserverai jusqu'à mon dernier souffle. TIMON. Toutes ces considérations peuvent très-bien se concilier. Prêtez-moi toute votre attention; ce que j'ai à vous dire le mérite. Vous conviendrez, je pense, que tout ce qui se passe au-dessus de nos têtes est marqué au coin de la folie ou de la perversité. Les femmes y sont ou trompées ou trompeuses; les hommes, opprimés ou oppresseurs. Les plus belles cités n'offrent que des piéges aux honnêtes gens, et sont de mauvais lieux pour les autres. Plus elles sont populeuses, plus il y a de crimes et de malheurs. Le séjour des campagnes n'est guère plus sûr, plus innocent. On y est un peu moins méchant, parce qu'on y est un peu plus ignorant. Je bénis tous les jours l'heureux moment où je fus assez bien inspiré pour rompre avec tout le genre humain, et m'enfoncer dans les entrailles de la terre. Agathe, bénissez aussi cette malheureuse passion qui vous a conduite ici. Il vous fallait un monde plus capable d'apprécier votre innocence et votre âme aimante. Il vous faut un coin de terre encore vierge, où le vice et les préjugés n'aient point pénétré; il existe, assure-t-on, au-delà des mers, dans les forêts américaines du nord. Il me reste assez de biens pour les frais de ce voyage, et pour les avances de la petite colonie que je projette, dans le voisinage de ces bons quakers, de tous les hommes ceux qui ont le moins dégénéré. Venez, votre santé et votre repos sont attachés à cette résolution. Les animaux malfaisans de ces contrées le sont moins que nos compatriotes d'Europe. Nous avons autant de raisons l'un que l'autre pour fuir la société prétendue civile, et faire un _a parte_ sur la terre. Viens avec moi, infortunée Agathe; viens fonder une colonie, vertueuse comme toi, mais plus heureuse. AGATHE. Un plus long voyage m'est prescrit; j'en ressens les approches, à la faiblesse que j'éprouve; je précéderai dans un monde meilleur l'homme qui m'est cher, et près duquel je n'ai pu passer ma vie en ce bas monde. Recevez le témoignage de toute ma reconnaissance pour les vues bienfaisantes que vous avez sur moi, mais dont je ne puis profiter. TIMON. Eh! qui t'en empêche, fille obstinée? AGATHE. Une biche qui porte dans le flanc le javelot dont on l'a blessée, ne peut aller loin. TIMON. Tu ne veux donc pas me réconcilier avec l'espèce humaine? AGATHE. Je ne le puis. TIMON. Avais-je tort d'être misantrope, et de maudire ce globe où j'ai trop vécu? Préjugés de toute espèce! c'est vous qui avez inondé la terre de tous les maux qui l'accablent, et c'est vous encore qui vous opposez à son retour vers le bien..... Opiniâtre Agathe! réfléchis donc aux suites heureuses de la proposition que je hasarde de te faire. Transporte-toi en idée sous un climat non moins doux que celui de la France, et sur un sol intact encore, et parfaitement étranger à tout ce qui blesse nos coeurs et nos yeux au milieu de cette civilisation compliquée dont tu ne connais encore que les plus petits inconvéniens. Promène avec moi ton imagination au milieu de ces belles forêts, où de bons sauvages nous bâtiront une demeure sans faste, mais saine et tranquille. Nous nous y établissons sans difficultés; nous nous y livrons sans inquiétude aux doux penchans de la nature, et nous oublions l'ancien monde pour ne pas le maudire. Bientôt une postérité nous promet un appui dans notre vieillesse. Notre petite famille devient pour nous tout l'univers. Nous vivons satisfaits, sans ressentir le besoin d'un code et d'un culte. La tendresse maternelle et la piété filiale sont nos seules divinités. Quel tableau! et faut-il donc tant de choses pour le réaliser? Agathe, il te reste encore assez de santé pour ce voyage; consens à respirer un air plus pur, et à déposer ta confiance dans un homme qui la mérite. AGATHE. Oui, sans doute, vous la méritez; mais ces trop douces illusions ne peuvent trouver place dans mon âme affaissée par la douleur. Épargnez-moi de nouveaux refus; laissez-moi à la situation pénible où vous m'avez trouvée; personne ne peut m'en tirer. Il n'y a que la mort ou Dieu capable de rompre les liens que j'ai contractés. TIMON. Si mal à propos. Femme opiniâtre! pourquoi êtes-vous venue troubler la paix que je goûtais ici, et que j'avais achetée par tant de sacrifices? Pourquoi votre apparition subite a-t-elle rallumé dans mon coeur la flamme du désir? AGATHE. Ah! ne me reprochez pas une nouvelle faute, tout aussi involontaire que les autres. TIMON. Pardonnez ce mouvement injuste, dont je n'ai pas été le maître. AGATHE. Je suis donc née sous une étoile bien fatale? TIMON. Elle ne l'est pas plus que la mienne. AGATHE. Mais la Providence est encore plus forte, et a mis un baume sur la plaie profonde que je me suis faite. Je pouvais mourir plus coupable et plus malheureuse. TIMON. Ces âmes faibles et timorées croient avoir tout dit, quand elles ont prononcé le mot de _Providence_. La Providence! que fait-elle? où est-elle? pourquoi ne prévoit-elle pas le crime? ou pourquoi ne le punit-elle pas? pourquoi se montre-t-elle si rigoureuse pour Agathe et le petit nombre de ses pareilles, et si complaisante pour les femmes semblables à celles qui m'ont trompé, à celle qui s'est jouée de la tendresse de Saint-Almont? La Providence! ce n'est qu'un mot. AGATHE. Ne blasphémez pas. TIMON. Qu'elle se justifie! AGATHE. C'est ce qu'elle fera sans doute dans un monde meilleur. TIMON. Eh bien! je la bénirai, quand il en sera temps; je la bénirais dès aujourd'hui, si elle ouvrait ton coeur aux propositions que je te fais.... La Providence! il n'y en a pas, ou il n'y en a que pour les méchans; eux seuls prospèrent. Les bons languissent comme toi, ou sont obligés, pour exister en paix, de vivre en ours comme moi. La Providence! que ce mot a fait de tort aux honnêtes gens! Il leur a conseillé la résignation; il est la cause qu'ils ne forment point une ligue puissante pour s'opposer aux scélérats. Les scélérats profitent de la piété envers la Providence, et jouissent avec impunité des avantages qui devraient être le salaire de la vertu. Désespérant du peu de succès de sa tentative, Timon se retira avec un chagrin sombre; et les jours suivans, il ne parla plus de son projet, mais il redoubla d'attention auprès d'Agathe. Afin d'être rassuré sur la visite de quelque importun, envoyé par le hasard, il ferma avec des pierres l'entrée de la carrière, par laquelle l'infortunée avait pénétré dans l'intérieur. Il se procura le bois nécessaire pour combattre l'humidité de la galerie où Agathe s'était établie. Déjà il y avait apporté des nattes et des tapis. Mais, hélas! tous ces soins purent à peine allonger de quelques semaines la trame des jours d'Agathe. Comme un flambeau qui s'éteint par degrés, il la voyait dépérir lentement, mais sans douleur aiguë; la peine profonde qu'elle ressentait était bien suffisante: et à chaque progrès sensible de ce dépérissement, Timon renouvelait ses imprécations contre la Providence. La douceur du malade pouvait seule le tempérer: lui-même était étonné de l'ascendant qu'il laissait prendre sur son esprit; mais il n'en murmurait pas. Un soir, la pauvre Agathe lui tendit la main, en lui disant: Mon généreux hôte, puisque vous ne voulez plus reconnaître un Dieu, je charge votre propre coeur de vous témoigner toute la reconnaissance que je vous dois. Ajoutez-y encore le dernier service que je vais vous demander. Procurez-moi ce qu'il faut pour écrire un billet, et accordez-moi la grâce de le faire tenir à son adresse, sans vous fâcher du choix de la personne dont je réclame ici les bons offices concurremment aux vôtres. TIMON. Je prévois ce que vous méditez; mais je ne puis rien vous refuser. Écrivez. BILLET. «Monsieur de Saint-Almont est supplié de vouloir bien accompagner le commissionnaire qui lui présentera cette missive. Il ne peut refuser cette dernière grâce à l'infortunée Agathe de Sainte-Alba expirante.» TIMON. Vous oubliez l'adresse. AGATHE. Je n'ai plus assez de force pour l'écrire. Prêtez-moi le secours de votre main; la mienne tremble trop.... «À Monsieur l'abbé de Saint-Almont, supérieur du séminaire des....» TIMON. Mais, toujours imprudente Agathe! vous ne réfléchissez donc pas que vous me mettez à la merci d'un prêtre. AGATHE. Celui-ci n'en a que les vertus. Nous lui ferons promettre de ne pas divulguer le secret de votre asile; et il ne violera point sa parole. TIMON. Qui m'en assurera? car enfin, c'est un prêtre. AGATHE. Vous avez paru jusqu'à présent m'estimer un peu. Faites-moi le sacrifice de votre prévention, et daignez me juger digne de quelque confiance. Timon n'insista plus. Le lendemain, il reparut avec cette réponse au billet de la veille. ZOÉ À SA CHÈRE AGATHE. «Ma toute bonne et malheureuse amie! je te cherchais partout, avec la sollicitude d'une mère qui a perdu son enfant chéri. Enfin, je te retrouve, et bientôt sans doute, tu me permettras de te serrer dans mes bras. M. de Saint-Almont n'est plus supérieur du séminaire des.... ni même à Paris. Il a demandé à faire partie d'une mission chez les sauvages de l'Amérique septentrionale. Nos vaisseaux se croisaient. Comme il allait au nouveau monde, j'en revenais avec mon mari, aussi inquiet que moi de notre chère Agathe. Ton billet a été reporté à tes anciens amis, déjà possesseurs de ton journal, et du reste de ce qui t'appartient... Nous attendons avec impatience le moment de t'embrasser.» Cette lettre reçue subitement et sans préparation, causa une révolution dans ce que les médecins appellent _le système nerveux_ d'Agathe, et aurait pu hâter son dernier moment, sans les soins redoublés de Timon. Quand cette crise fut passée, Agathe qui ne pouvoit plus écrire elle-même, fit mander à Zoé qu'elle était attendue avec une impatience égale à la sienne. Elle accourut le lendemain, accompagnée de son mari. Les deux bonnes amies se serrèrent dans les bras l'une de l'autre, sans pouvoir exprimer par des paroles ce qu'elles ressentaient: mais cette douce étreinte de l'amitié en disait davantage. Prévenue de l'état d'épuisement où se trouvait Agathe, Zoé s'était munie d'un médicament composé par les sauvages du Canada, et célèbre dans le pays par des cures merveilleuses; mais ce spécifique vint trop tard. Administré un peu plutôt, il pouvait rappeler Agathe à la vie. L'infortunée ne put résister à la commotion de son entrevue avec son ancienne amie; elle expira dans ses bras, le second jour de leur réunion dans la carrière. Timon n'en devint que plus misantrope, il traversa l'Océan avec Zoé et son mari qui retournèrent dans l'Amérique septentrionale. Arrivé là, Timon obtint des habitans sauvages des forêts de passer le reste de ses jours avec eux. Il embrassa leur genre de vie avec un succès tel qu'ils le regardèrent comme leur frère, et eurent pour lui une confiance sans bornes. Cette circonstance sauva la vie à Saint-Almont. Des Iroquois dont il avait entrepris la conversion, se prévinrent contre lui, et allaient le mettre en pièces, le croyant un espion envoyé par les Anglais. Le hasard fit que, dans une chasse, Timon, à la tête de sa tribu adoptive, reconnut le supérieur du séminaire de la pauvre Agathe. Il obtint sa rançon, et le ramena dans les foyers de Zoé, où Saint-Almont vécut désormais, renonçant au sacerdoce, et se livrant à l'éducation du fils unique de cette maison. Chaque année, Timon venait passer une semaine avec eux, pour faire commémoration des malheureuses amours et de la mort d'Agathe. En s'en retournant parmi ses bons sauvages, il répétait cette strophe de la romance misantropique, citée plus haut: Avec vos rois, avec vos républiques, Pauvres humains! êtes-vous heureux? non. Rentrez plutôt sous les lois pacifiques De la nature: elle seule a raison. FIN. *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA FEMME ABBÉ *** Updated editions will replace the previous one—the old editions will be renamed. Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright law means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™ concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you charge for an eBook, except by following the terms of the trademark license, including paying royalties for use of the Project Gutenberg trademark. If you do not charge anything for copies of this eBook, complying with the trademark license is very easy. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg™ and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state’s laws. The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation’s website and official page at www.gutenberg.org/contact Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine-readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. 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