Title: L'Illustration, No. 3689, 8 Novembre 1913
Author: Various
Release date: June 10, 2011 [eBook #36369]
Language: French
Credits: Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque
L'Illustration, No. 3689, 8 Novembre 1913
Ce numéro contient:
1° LA PETITE ILLUSTRATION,
Série-Roman n° 18: Jean et Louise, par M. Antonin Dusserre;
2°
Un
Supplément économique et financier de deux pages.
Hassouna (Mme Suzanne Després). L'enseigne Merronay (M.
R. Vincent). Le lieutenant de vaisseau Cadiere (M. Tarride).
UN CONFLIT
ENTRE LA PASSION ET LE DEVOIR Au théâtre de la Renaissance: scène du 3e
acte de «L'Occident» de M. Henry Kistemaeckers. Phot. A. Bert.--Voir
l'article, page 360.
Il y a vingt-deux ans je passai un été à Roscoff. J'habitais, sur la place, une maison appartenant à deux soeurs, deux vieilles filles, qui élevaient des pigeons. Elles leur donnaient à manger, à la main, dans une étroite cour à pots de fleurs dont elles avaient su faire un jardinet mystique. C 'étaient des femmes enfantines et pures, de la France d'autrefois. Ah! dites-moi?... vivez-vous toujours, mesdemoiselles? Portez-vous toujours vos petits bonnets du temps de la reine Anne? Racontez-vous toujours les mêmes histoires de famille? Que je le voudrais! Si oui, je vous souhaite traversée heureuse et longue encore comme on souhaite par habitude aux vieux marins, qui pourtant sont ancrés, une mer jolie... Et si vous n'êtes plus là... que couchées sous la dalle--ce qui se pourrait--car en vingt-deux ans, même à terre, l'on se perd corps et biens!... si vous n'êtes plus là je ne suis pas gêné de vos âmes... Sont en Paradis.
Des fenêtres de ma chambre je voyais l'église de pierre grave, l'église trapue, posée, enfoncée, enlisée dans le sol, avec cet air d'y avoir échoué exprès, et avec cette apparence de solidité spéciale et impressionnante qu'ont tous les sanctuaires bretons comme s'ils voulaient exprimer qu'ici plus qu'ailleurs leurs assises sont inébranlables, de matière granitique cimentée de foi.
Et je me souviens aussi--car c'est là que j'en voulais venir, par un détour un peu long et que l'on aura trouvé inutile, mais dont je n'ai pas eu le courage de me priver--je me souviens qu'une de mes distractions, à Roscoff, était d'aller au vivier.
Comme ce nom l'indique on appelait ainsi un endroit, situé aux bords mêmes de la mer, près d'un petit fortin, et dont je ne savais de façon très imparfaite que ce que j'en avais entendu dire... que l'on y conservait vivant du poisson... Mais pourquoi? Pour s'approvisionner? Dans un but scientifique? Je ne crois pas m'en être occupé jamais, ni avoir été frappé là, dans mes visites, par la vue de poissons exceptionnels... Mais ce qui m'est resté à fleur d'esprit, c'est la rêverie où j'entrais alors, comme par compensation et regret, quand je quittais le vivier. En continuant ma promenade je supposais des quantités d'animaux aquatiques de forme et de beauté surprenantes, inconnues, pêchées dans les couches profondes, puis versées dans ces réservoirs de tout à 1 heure, et je me donnais en imagination la curiosité, le pouvoir et la joie de faire vider ces bassins et d'en voir retirer, mêlées aux coquillages, aux herbes et aux plantes sous-marines, des espèces innombrables et grouillantes comme en soulèvent seulement dans les contes orientaux les filets des pêcheurs protégés par un génie... Eh bien, tous ces poissons de mon désir et de ma fantaisie, que je n'avais pas vus, mais que j'inventais à plaisir... ils existaient effectivement dans la mer mystérieuse... Et à l'époque même où je me désolais qu'on n'en eût pas la connaissance directe, «la mise à l'air», un enfant de huit ans, un petit Breton de ces côtes, qui peut-être passa près de moi, avait en lui déjà la vocation d'être plus tard le tireur de filets prédestinés, le révélateur des richesses, vivantes ou engourdies, des abîmes salés.
C'était Mathurin Méheut, fils de la mer bretonne, peintre de sa faune et de sa flore, et dont l'actuelle exposition aux Arts décoratifs est un incomparable enchantement.
Mon ancien rêve de quelques minutes--qui par bonheur était le sien, celui de toute sa vie--l'artiste ardent et tenace qu'est Méheut voulut et sut le réaliser. Il a pu puiser dans ces bassins de Roscoff, dans les cuves du vivier devenu laboratoire de zoologie expérimentale; et, par des centaines de croquis, de dessins, d'aquarelles, d'études gouachées, il nous montre aujourd'hui, pour ainsi dire toutes palpitantes, les entrailles de la mer,... de la mer qu'en prestigieux chirurgien, au scalpel puissant, décisif et sûr, il semble avoir opérée pour nous. Il en arrache et en retire les organes, innombrables, qu'il nous étale mouillés, trempés, dégoûtants de leur acre et rude liqueur... Par eux nous voyons à nu l'organisme et le dedans des flots, car ces poissons de toutes formes, mais d'une puissance si ramassée, d'une si grande énergie élastique, ces pieuvres à ramures, ces poulpes, ces congres, tantôt noués et enchevêtrés, tantôt déroulés et comme abandonnés à leur propre dérive, tous ces animaux étranges, ces potées visqueuses, ces gélatines qui respirent, ces paquets qui tremblent et flottent, ces abcès du rocher, ces tentacules, ces amas et ces complications de chairs gluantes et animées,... ce sont bien véritablement les entrailles, les intestins, les boyaux, les tripes formidables et copieuses de la mer... Et qui sait si de ces réseaux toujours en travail, de ce pullulement, de ce croisement, de cette activité incessante et apocalyptique des milliards de poissons, ne vient pas--pour le moins autant que du dehors et du souffle des vents--l'agitation extérieure et éternelle du flot? Le dérangement des surfaces est presque toujours la conséquence des troubles du dedans. Pourquoi la vague ne serait-elle pas le perpétuel choc en retour du coup de nageoire et la répercussion du chassement de queue?
Mais regardons toutes les catégories d'animaux du monde aquatique surprises par l'oeil étonnant de l'artiste et fixées par sa main, précisées, serrées et emprisonnées dans les limites d'une facture vraiment admirable. Exécutés au crayon, ou rehaussés, écaillés de touches, ou peints à l'aquarelle avec un éclat, une minutie et une largeur qui rappellent l'art des plus beaux maîtres japonais, ces dessins, se surpassant l'un l'autre, et qu'on se lasse bientôt de comparer, si nombreux sont-ils, offrent une abondance, une variété, une somptuosité documentaires qui imposent le respect. On a peine à concevoir qu'un homme de trente ans soit l'auteur allègre et aisé d'une oeuvre de cette importance, qui représente l'emploi de toute une longue et laborieuse vie. On ne peut se détacher des parois en verre de chaque tableau où, comme derrière la vitre d'un aquarium, se profilent les trigles, les lamproies, les poissons les plus curieux, de fantastique invraisemblance et de bizarre horreur... Voici les pieuvres ébouriffées et dépeignées, telles des chrysanthèmes, les anatifes bleus et mauves pervers ainsi que des orchidées, les anguilles gris-perle pareilles à des grès flammés de Copenhague, les hippocampes, lutins de l'eau, farfadets noirs des vertes voûtes, dansant sur leur queue en spirale, figures neptuniennes et sataniques à la fois, tantôt retombant, avec leur petite tête en forme de marteau, comme un moraillon de serrure gothique et tantôt redressées comme une guivre minuscule à l'avant d'une gondole...
Il faudrait consacrer des heures à l'attentive observation de ces planches, enluminures merveilleuses du poème de la mer; on y pourrait étudier toutes les diversités de nageoires, flexibles ou résistantes, pellicules diaphanes comme ces plantes de la terre qu'on appelle monnaies de pape, ou bien armées, onglées, montées sur tiges et arêtes pointues, hérissées comme des épaulières d'armures de samouraï, ou semblables au papier huilé des lanternes de pagode... et Méheut sait tout, a tout noté, défini, détaillé: l'arête dorsale, la fourche des queues variées à vous confondre, la nervure des membranes, l'emboîtement des pinces, le jeu des crochets. Tout ce qui trempe et agit dans l'eau de sel, il l'a vu, il le connaît par coeur à force de l'avoir saisi sur le vif des centaines de fois; il possède, comme un petit-fils de Léonard, l'anatomie et la structure de la patte, et aussi la mécanique de l'aile; il est instruit, et à fond, comme bien peu, de l'animal terrestre, aquatique ou aérien, qu'il s'agisse du tigre ou du chien de mer, de l'escargot, de la libellule ou du cormoran. On le sent paré, gréé d'une audace et d'une patience, d'une possibilité d'attention et d'exécution à toute épreuve, et aussi d'un incommensurable amour, car ce labeur vous donne la certitude d'avoir été accompli dans le calme et l'ordre de l'esprit, de la conscience, dans la joie de l'effort, dans le beau désir du résultat promis par la volonté.
Si je ne craignais, en m'étendant davantage, de vous retirer un peu de votre plaisir et de votre mérite à découvrir tout seul les multiples faces de ce talent si généreux et si fécond, je vous parlerais aussi de l'historien attendri des vieux métiers de la côte armoricaine: meuniers, sabotiers, tisserands, vanniers... je vous exposerais la tâche éducatrice et touchante du botaniste et de l'entomologiste, du contemplateur minutieux, et jamais découragé, sévère et recueilli à établir l'architecture impeccable d'un épi de blé ou la ramification d'une algue, avec une autorité égyptienne. Mathurin Méheut a la passion de fer, l'enthousiasme rigide, le fanatisme du dessin. On sent l'homme, toujours arqué, tendu sur cet étroit et unique chemin de la ligne qui borde, en les délimitant, les précipices de la forme. Il y marche en virtuose qui a dompté le vertige, ainsi que sur une corde roide métallique, et son crayon laisse après lui sur la feuille comme un passage d'acier noir.
Je ne suis pas le seul à penser qu'il n'a plus grand'chose à acquérir
dans la rigueur et l'inflexibilité. Qu'il se tourne vers ses tableaux,
vers les pages dans lesquelles il nous retrace, avec une émotion trop
carguée encore, les scènes de la vie triste et rude des grandes côtes
bretonnes, et là, qu'il rêve, médite, oubliant un peu à ses pieds le
crabe et la coquille, pour laisser parler le poète, qui s'abrite et se
gare en lui de la tempête et des marées. Je conserve avec une mélancolie
pensive et bien profonde l'image de ses ciels d'hiver épais et sombres,
d'un bleu de tricot,... de ses rochers noirs, battus et rebattus par la
vague comme si elle voulait à chaque coup assommer la grève... et celle
des blocs en dos d'éléphant, arrondis par des siècles de flux et de
reflux, le long desquels, toujours en suivant le même tracé, avec la
même géographie liquide, coule et pleure l'écume, en filets plats et
triangulaires. On dirait, sur du basalte, des hiéroglyphes d'argent,--je
ne sais quelle écriture diluvienne, effrayante, mystérieuse... le Mane,
thecel, phares du naufrage... Et je me rappelle aussi la figure de ce
vieux cheval nu, au poil rouge, en bridon de bohémien, chargé de paquets
de goémons couleur de giroflée lui retombant de chaque côté comme des
hardes de guerrier comanche,... et qui, les sabots dans les galets,
demeure immobile, croupe à la bourrasque... avec un air presque humain
d'inexprimable anéantissement...
Henri Lavedan.
(Reproduction et traduction réservées.)
Antonin Dusserre sur le seuil de sa maison, à Carbonnat,
dans le Cantal.
La Petite Illustration commence aujourd'hui la publication de Jean et Louise, l'oeuvre d'un paysan d'Auvergne dont les premiers écrits nous ont été révélés par la Semaine Auvergnate. Antonin Dusserre, l'auteur de ce roman rustique, est né à Carbonnat, sur la Cère, le 2 novembre 1865. Il a toujours vécu dans sa maison natale, une très modeste demeure des champs, composée d'un rez-de-chaussée et d'un grenier. Deux pièces suffisent au logement: la première est la cuisine. Antonin Dusserre travaille dans la seconde, près de la fenêtre, devant les prairies qu'arrose la Cère. C'est là qu'il a appris tout seul le latin, l'anglais, l'allemand, l'espagnol, et qu'il a écrit Jean et Louise. M. John Raphaël, le distingué traducteur de ce roman que le grand public anglais aura connu avant nous, va d'ailleurs nous présenter avec plus de détails l'oeuvre et l'auteur dans l'article suivant:
Le frais roman d'Antonin Dusserre, Jean et Louise, est l'oeuvre d'un silencieux, d'un homme de la terre, un vrai, dont les paroles ne sortent qu'avec une petite honte, que la vue de ses propres pensées, habillées d'encre, rend un peu craintif, et qui exprime de belles choses avec la rusticité un peu gauche de son langage endimanché.
L'histoire de Jean et Louise est en quelque sorte, du moins nous pouvons le soupçonner, l'histoire de l'auteur lui-même. Dusserre est un grand gaillard, fortement moustachu, dont la rudesse cache mal une très grande timidité, un fort dont la grande force est surtout de s'être toujours dompté et de s'être conquis dans des circonstances qui seraient venues facilement à bout d'une intelligence plus compliquée que la sienne.
Antonin Dusserre chez lui--Croquis de L. Sabattier.
Car il est surtout et avant tout un simple. Dans son petit village de Carbonnat, près d'Aurillac, on l'aime autant qu'on l'estime. «C'est un poète», dit-on volontiers de lui, chez lui, «mais c'est un très brave homme, tout de même». On le voit, du matin au soir, rôder dans la campagne, une main dans la poche et un livre dans l'autre main. Cet homme de la terre lit toujours, lit infatigablement. Il a étudié plusieurs langues étrangères et connaît les romans des grands écrivains anglais et allemands, ainsi que les ouvres des grands écrivains français. Il lit tout ce qui lui tombe sons la main et, quand il n'est pas occupé à lire ou à travailler la terre, il est en train de rêver ou d'écrire. Mais, en lisant Jean et Louise, vous verrez que l'auteur a mieux fait que de parcourir les bons livres. Il a su regarder la vie et la comprendre. L'excellent artiste qu'est L. Sabattier est allé trouver Antonin Dusserre à Carbonnat. Il s'est demandé--car en route il avait lu le roman qu'il devait illustrer--s'il n'allait pas se trouver en face d'un paysan littérateur, d'un de ces paysans de contrebande qui choquent presque autant qu'un paysan d'opéra-comique. Ce coin du pays d'Auvergne, la petite ville d'Aurillac autant que l'humble village de Carbonnat, a perdu beaucoup de son ancien caractère. Les paysans de maintenant ne s'y habillent plus à l'ancienne mode, ne portent plus le costume pittoresque de jadis, car les grands magasins leur envoient les «dernières modes» de Paris, et même les enfants essaient de ressembler aux «gens de la ville». Mais Dusserre, lui, n'essaie de ressembler à aucun. Sabattier lui demandait s'il ne pouvait pas lui indiquer des gens qui voudraient peut-être poser quelques-uns des personnages du roman. «--Mais oui, disait Dusserre, c'est très simple. Voici mon neveu, par exemple. C'est un peu moi en plus jeune. Il vous fera Jean.--Que fait-il, votre neveu-?...--Il vit chez moi et, le dimanche, il fait la barbe de tout le monde à Carbonnat.--»
Dusserre est romancier parce qu'il est né poète; il couche de jolies choses sur le papier avec la même simplicité qu'il garde son bétail dans les montagnes. Il a noté avec la fraîcheur d'âme d'un enfant la beauté du lever et du coucher du soleil, la beauté des champs, la beauté de la vie de campagne. Avec son esprit rude, il a marqué en relief les traits des paysans de son entourage. Son livre est calqué sur la vie qui fut la sienne dans un petit coin perdu du Cantal. Il l'a vécu pendant qu'il l'a écrit, il l'a écrit pendant qu'il l'a vécu.
Un jour de marché, à Aurillac, Dusserre a acheté un livre,--un livre d'un auteur jusqu'alors inconnu et dont le titre, Marie Claire, l'avait frappé. En lisant Marie Claire, le paysan de Carbonnat a senti grandir en lui le désir de voir imprimer les choses que lui aussi avait rêvées, tandis qu'il gardait ses bêtes dans la campagne. Ce timide écrivit à Mme Marguerite Audoux, et l'auteur de Marie Claire eut la curiosité d'aller voir chez lui, dans son village, cet écrivain qui avait eu une existence pareille à la sienne, et elle lui a tendu la main. Elle s'est constituée en quelque sorte la bonne fée, marraine de Jean et Louise. Elle a apporté le manuscrit à Paris; elle l'a montré à quelques amis, à des éditeurs. Mais la vie à Paris va si vite qu'on a peu le temps de s'occuper d'un paysan du Cantal. J'ai lu, un soir, Jean et Louise en manuscrit, et aussitôt le roman m'a séduit. J'ai pensé que Londres goûterait cette primeur en attendant que Paris ait le temps de la découvrir, et c'est ainsi que ce roman a paru d'abord dans une traduction anglaise.
L'Illustration--en révélant cette oeuvre à ses lecteurs--aura réalisé
tout le rêve de l'humble poète qui croyait mourir sans faire entendre sa
chanson.
John N. Raphaël.
La désignation du futur directeur de l'Opéra a suivi de près la nomination de M. Albert Carré comme administrateur de la Comédie-Française et celle de M. P.-B. Gheusi et des frères Isola à la direction de l'Opéra-Comique: au conseil des ministres tenu, jeudi de la semaine dernière, à Rambouillet, M. Louis Barthou, président du Conseil, ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, annonçait que, sur la proposition de M. Léon Bérard, son choix s'était porté sur M. Jacques Rouché. La nouvelle, très favorablement accueillie, d'ailleurs, n'était pas attendue si vite, car la concession en cours ne prend fin, en effet, que dans quatorze mois. Le premier résultat de la décision ministérielle fut que M. André Messager, coassocié de M. Broussan dans la direction actuelle, donna immédiatement sa démission, mû, dit-il, par le sentiment de sa dignité, en informant M. Barthou qu'il résignait ses fonctions fin novembre. M. Marius Gabion, administrateur général, suit son directeur dans la retraite.
Le nouveau directeur de l'Opéra, qui est déjà âgé de cinquante-trois ans, a une carrière intéressante et variée.
Fils du mathématicien Eugène Rouché, il a passé par l'École polytechnique,--qui, décidément, mène à tout, elle aussi. Mais il ne fut point ingénieur, ni des ponts et chaussées, ni des mines, ni des tabacs, ni du génie maritime. Un peu fonctionnaire, pourtant: on le vit un temps dans un ministère; il fut, promu en 1885, chef de cabinet de M. Dautresme au Commerce, après avoir été secrétaire général de la préfecture de la Seine-Inférieure. Puis, marié à Mlle Piver, il se consacra à la grande industrie de la parfumerie, où il allait réaliser promptement une belle fortune.
M. Jacques Rouché, le futur directeur de l'Opéra.--Phot.
Dornac.
Alors il put donner libre carrière à des goûts qu'il n'avait jamais celés, passionné également de belles-lettres et de beaux-arts.
M. Camille Chevillard.--Phot Gerschel.
Il prit d'abord la direction de la Grande Revue, où il succédait à l'éminent avocat Fernand Labori. Puis il se laissa attirer par le théâtre, qui partageait de longtemps avec la peinture et la littérature ses prédilections. Une petite «scène de quartier», le théâtre des Batignolles, débaptisé et nommé moins prosaïquement théâtre des Arts, lui suffit pour se révéler artiste de goût délicat, directeur entreprenant et fort avisé. S'attachant tour à tour à monter des pièces de haute tenue littéraire, de véritables curiosités, présentées dans des décors originaux, ou à restituer avec leur caractère archaïque, en des cadres savamment apprêtés, des ouvres musicales classiques de Mozart, de Lulli, de Rameau, il apprenait là, avec le plus complet succès, le métier auquel désormais il va se consacrer en toute expérience. De sa part, on peut s'attendre, à l'Académie nationale, aux plus heureuses révélations. Dilettante au meilleur sens du mot, il a, vient-il de déclarer, pour première ambition de «restaurer l'art français».
M. Paul Vidal.--Phot. Bert.
Il a ambitionné d'être seul à diriger la grande scène. Ce n'est pas vulgaire besoin d'autorité. Et son premier soin a été de s'assurer une collaboration de premier ordre, celle de M. Camille Chevillard, avec le titre de chef des études musicales et, donc, la succession de M. André Messager qui, dans la direction actuelle, assumait jusqu'ici ces fonctions.
Le gendre et le digne continuateur de Charles Lamoureux sera à M. Rouché le plus précieux des collaborateurs. Il est superflu de rappeler ses titres à l'estime et à la sympathie des amateurs de musique. Fils d'un violoncelliste célèbre, M. Camille Chevillard a consacré au plus subtil des arts sa carrière entière. Lamoureux, dans ses efforts persévérants pour révéler à la France l'oeuvre de Wagner, n'eût pu rêver de second plus fidèle ni plus zélé. Depuis qu'il a succédé, en 1897, à son beau-père à la tête de l'admirable phalange d'exécutants groupés par celui-ci, il n'a pas fait jouer, dans ses concerts, moins de deux cents ouvres françaises. Et le pur musicien qu'est M. André Messager aura un remplaçant digne de lui.
*
* *
Dans le même moment où M. Jacques Rouché faisait cet excellent choix, MM. P.-B. Gheusi et Isola étaient non moins heureux en appelant à l'Opéra-Comique, aux mêmes fonctions de directeur musical, M. Paul Vidal, l'élégant et spirituel auteur de la Reine Fiammette, de la Maladetta, de Guernica,--et, auparavant, de ces quatre exquises partitions qui firent autrefois nos délices, au théâtre de marionnettes de la galerie Vivienne. Et l'ancien chef d'orchestre de l'Opéra a de bonne grâce accepté de leur apporter l'appoint de sa science musicale irréprochable, de son grand talent, de sa connaissance approfondie des chefs-d'oeuvre de l'art musical. Il ne faut donc point douter qu'on ne continue à faire, rue Favart, de très parfaite besogne.
Entre les wagons broyés et la locomotive du train
tamponneur.
Une horrible catastrophe s'est produite mardi dernier, sur le réseau P.-L.-M., aux abords de la gare de Melun. A 9 heures et demie du soir, le train-poste n° 11, se dirigeant sur Marseille, a été pris en écharpe par le rapide de sens inverse qui arrive à Paris à 10 heures du soir.
Notre plan schématique permet de se rendre compte des circonstances de l'accident.
Schéma montrant comment s'est produite la rencontre entre
le rapide n° 2 venant de Marseille et le train postal n° 11 venant de
Paris.
Les six voies dont dispose le réseau P.-L.-M. à la sortie de Paris se réduisent à quatre au delà de Villeneuve-Saint-Georges. Ces quatre voies se divisent en deux groupes comprenant chacun une voie montante et une voie descendante. Un des groupes (figuré dans la partie supérieure de notre schéma) constitue ce qu'on appelle couramment «la grande ligne»; passant par Melun, Fontainebleau, Moret, il est affecté au service des trains rapides. L'autre groupe, passant par Corbeil, vient se rapprocher du premier aux abords de Melun; il prend ensuite la direction d'Héricy pour rejoindre la grande ligne à Montereau.
Des voies de croisement établies près de la gare de Melun permettent de faire bifurquer les trains d'un groupe de voies sur un autre. C'est au point de bifurcation que la collision s'est produite.
Le train-poste pris en écharpe est un train régulier dont l'itinéraire est toujours le même. En quittant Paris, il suit d'abord la grande ligne puis, pour la dégager, il bifurque devant Melun sur la ligne de Corbeil. Il doit pour cela couper à niveau la voie descendante par laquelle arrivent les rapides de Marseille.
Le mécanicien Dumaine, qui
conduisait le train
tamponneur.
Il y a là évidemment une situation dangereuse à laquelle la Compagnie P.-L.-M. songe à remédier en établissant un saut de mouton, c'est-à-dire en opérant le croisement à des niveaux différents. Mais aucun accident ne doit se produire si les signaux sont observés par les mécaniciens. Les deux postes sémaphoriques établis en amont et en aval de Melun sont solidaires; un système d'enclanchement automatique empêche que par erreur on accorde simultanément le passage à deux trains pouvant se rencontrer. Les trains venant de Marseille trouvent à environ 1.500 mètres avant Melun le disque rouge ou signal avancé; à 500 mètres de là, c'est-à-dire à 1 kilomètre de la gare, un disque vert prescrit au mécanicien de ramener sa vitesse à 20 kilomètres à l'heure environ, enfin plus loin la sortie de la gare est commandée par le signal carré, signal d'arrêt absolu situé à 150 mètres environ du lieu où s'est produit l'accident.
L'enquête semble avoir établi que tous les signaux étaient fermés et qu'ils ont été «brûlés» par le mécanicien du rapide n° 2 venant de Marseille. Ce dernier, du reste, aurait fait des aveux.
Ce rapide marchait à une allure d'environ 100 kilomètres; ayant à peine franchi la gare de Melun, il prenait en écharpe et anéantissait les deux premières voitures du train-poste n° 11 qui venait de s'engager sur la voie transversale; en même temps, les trois fourgons à bagages du train tamponneur, un wagon-poste qui suivait, deux voitures de seconde classe, étaient écrasés. Aussitôt, un incendie se déclarait au milieu des débris où se tordaient, en hurlant de douleur, les malheureux plus ou moins broyés.
Les débris d'un wagon postal. | Le tri des lettres sur la voie. |
M. Poincaré visite les lieux de la catastrophe: à sa
droite, M. Dervillé; à sa gauche, le préfet de Seine-et-Marne;
derrière
eux, M. Massé, ministre du Commerce et des Postes.
Le train-poste tamponné emmenait 68 agents des Postes et comprenait sept wagons à destination de Besançon, du Mont-Cenis, de Lyon, de Pontarlier et de la côte méditerranéenne.
A l'heure où nous écrivons, on ignore le nombre exact des victimes. Sur 39 cadavres, 14 seulement ont été identifiés; 14 blessés sont soignés à l'hôpital de Melun.
Nos photographies donnent une impression saisissante de l'aspect effroyable que présentaient les voies pendant le déblaiement. Jamais, croyons-nous, dans les catastrophes antérieures de chemin de fer, on ne vit un train aussi fracassé et, en contemplant cet amoncellement de ferrailles, on s'étonne que le nombre des victimes ne soit pas encore plus considérable.
La troupe, les agents du P.-L.-M. et ceux des Postes, les pompiers, rivalisèrent de zèle pour sauver les sinistrés, puis pour déblayer les voies, et l'on put voir, durant toute une journée, des hommes dévoués faisant «le tri des lettres» au milieu des débris de ferrailles que tachaient en maints endroits des lambeaux de chair humaine.
M. Poincaré s'est rendu de bonne heure sur le théâtre de la catastrophe où il a trouvé M. Massé, ministre du Commerce, M. Dervillé, président du conseil d'administration de la Cie P.-L.-M. et tous les hauts fonctionnaires que leur devoir appelait à Melun. Il a rendu visite aux blessés, et il a tenu à féliciter les nombreux agents qui se sont distingués en cette triste circonstance.
LA CATASTROPHE DE MELUN.--Les travaux de déblaiement.
Les six fils, la fille, le gendre et les trois
belles-filles
de l'empereur d'Allemagne.
Cliché W. Niederastroth, photographe de la Cour. De gauche à droite:
le prince Joachim, 6e fils du kaiser; le prince Oscar (5e fils); la
princesse Eitel-Frédéric; la princesse Victoria-Louise, à présent
duchesse régnante de Brunswick-Lunebourg; le prince Ernest-Auguste de
Cumberland, son mari, duc régnant de Brunswick-Lunebourg; la princesse
Auguste-Guillaume; la kronprinzessin; le kronprinz (en haut); le prince
Eitel-Frédéric (2e fils); puis, assis sur le tapis, le prince Adalbert
(3e fils) et le prince Auguste-Guillaume (4e fils).
Les nouveaux souverains du duché assistent, devant la
gare de Brunswick, au défilé de la compagnie d'honneur.
Le prince Ernest-Auguste de Cumberland et sa femme la princesse Victoria-Louise de Prusse, fille de l'empereur d'Allemagne, ont fait, le lundi 3 novembre, leur entrée joyeuse dans la capitale du duché de Brunswick, dont la souveraineté--comme conséquence de la réconciliation des deux maisons de Cumberland et de Hohenzollern--vient d'être rendue aux Cumberland.
Les nouveaux souverains du duché, grand comme un département français et peuplé de 300.000 âmes environ, sont arrivés à midi et demi à la gare de Brunswick. Les fonctionnaires de l'État les attendaient à la gare. Le duc et la duchesse sont entrés dans leur capitale aux acclamations de la foule qui se montra très sensible à la grâce riante de sa jeune souveraine.
Sur la place Friedrich-Wilhelm, le premier bourgmestre, qui était à la tête du corps municipal, a exprimé la joie que la ville de Brunswick éprouvait à pouvoir de nouveau saluer dans ses murs l'ancienne famille ducale. Au château, après la réception par les jeunes princes régnants des députés de leur petit État, on donna lecture du discours du trône où le nouveau duc de Brunswick promit de consacrer tous ses efforts désormais à faire le bonheur des Brunswickois.
La foule sur la place du Marché, à Brunswick, attend
l'arrivée du cortège ducal.
Les conscrits revenant de la mairie
après la remise du drapeau.
Cette année, pour la première fois, les contingents fournis par nos vieilles colonies, Antilles, Guyane, sont venus en France pour y faire leur service militaire, que jusqu'ici ils étaient censés effectuer dans leur pays natal. Ce fut tout un événement, outre-mer, où la vie est, par certains côtés, bien différente de la nôtre, où de meilleure heure, par exemple, les jeunes gens songent à se créer un foyer,--mais un événement considéré, en définitive, par la plupart comme heureux. Et il y eut fort peu de réfractaires, peu de conscrits marrons, comme on dit là-bas, reprenant une vieille locution des temps lointains de l'esclavage: il est telles communes, ainsi celle du Lorrain, à la Martinique, qui se glorifient de n'en avoir pas eu même un seul. Les conseils de revision fonctionnèrent au milieu du calme et, sans à-coups, formèrent la classe.
La population tout entière s'appliqua d'ailleurs à adoucir aux conscrits l'amertume instinctive du départ. C'est ainsi qu'à Fort-de-France (Martinique) un comité se constitua qui recueillit, en quelques jours, une somme rondelette afin d'organiser en leur honneur des fêtes d'adieu. Son premier soin fut d'acquérir un superbe drapeau qui fut remis solennellement aux jeunes recrues, dont les boutonnières s'ornèrent d'insignes et de cocardes, à la mode de France.
Enfin arriva le jour des adieux, où, selon le mot du poète, «il faut que les femmes pleurent». C'était le 4 octobre que la Champagne devait emmener «la classe». A l'aube, le grand transatlantique entrait dans le port.
Rassemblement sur la Savane, devant la statue de
Joséphine.
Le clergé, tenant à s'associer aux manifestations de sympathie de tous côtés prodiguées aux futurs soldats, célébrait à leur intention, dans la matinée, une messe où officia l'évêque lui-même. Et, déjà revêtus de leur uniforme--car depuis plusieurs jours, arrives par groupes des diverses communes de l'île, on les concentrait et on les habillait à la caserne--la démarche un peu lourde, avec les «godillots», ceux-là surtout habitués à courir pieds nus par les mornes et les fonds, ils faisaient, dans la très simple église, de jolis groupes juvéniles. Ils sortirent, drapeau en tête, toujours, du temple pavoisé et fleuri de palmes.
A l'issue de l'office, ils se retrouvaient, huit cents environ, sur la Savane, la grande place de Fort-de-France, que décore la statue de l'impératrice Joséphine, créole illustre. Et, bien alignés, encadrés par leurs anciens de la coloniale, ils avaient d'avance l'air fort martial.
D'une estrade, comme aux jours de grandes solennités, les autorités de la colonie assistaient à ce spectacle qui avait attiré toute la ville, et plus particulièrement ceux qui allaient, ce jour-là, voir s'éloigner leurs enfants.
Le colonel Richard, commandant supérieur de la garnison de l'île, passa en revue les conscrits; puis le gouverneur leur adressa une brève et chaleureuse allocution, exaltant la grandeur de la tâche à laquelle les convie la mère patrie. Et quand, enfin, au commandement: «En avant!», leurs rangs s'ébranlèrent en bon ordre, il semblait qu'un salutaire frisson de fierté les faisait tressaillir.
A la porte de la «concession» de la Compagnie Transatlantique, ils se séparaient définitivement des êtres chers, les parents, les amis, les mères, bien émues sans trop vouloir toujours le laisser paraître, et les doudous souples et câlines... Sans doute, cette foule, arrêtée par les grilles, n'était point la foule exubérante des jours de fête, mais chacun pourtant fit bonne contenance. Et la Champagne largua ses amarres aux accents du Chant du départ, répondant, du pont, au volettement des mouchoirs. Les soldats martiniquais s'éloignaient non point résignés, mais résolus, en hommes. Ils n'avaient pas voulu faire mentir la chanson qu'aux derniers jours on leur avait apprise:
Tu es parti, petit soldat créole,
Non sans qu'un chant de ta lèvre s'envole.
A FORT-DE-FRANCE.--Embarquement des conscrits
martiniquais sur la Champagne.--Photographies Leboulanger.
D'un fructueux voyage au Maroc--au Maroc déjà pénétré de la civilisation française--M. Gervais-Courtellemont nous a rapporté, avec d'admirables photographies en couleurs, un ensemble de rapides et très actuelles impressions qui, sous la signature de cet ami très informé de l'Orient, ajouteront encore à l'intérêt des documents reproduits dans ces pages.
Le Maroc pacifié! Le Maroc ouvert à la civilisation européenne! Cet invraisemblable résultat obtenu si rapidement après les sanglantes journées dont les lecteurs de L'Illustration ont suivi les tragiques péripéties!...
Quel miracle a pu faire céder si vite à nos armes ce peuple belliqueux, fièrement jaloux de son indépendance, ce peuple, qui, depuis l'occupation--d'ailleurs précaire--des Romains, n'avait jamais supporté de maîtres? Par quel prodige d'efforts persévérants, d'énergie habilement mêlée de bonté et de désintéressement, soldats et fonctionnaires français, sous la conduite d'un chef incomparable, ont-ils réalisé ce qui semblait irréalisable? Et comment expliquer aussi cet engouement de l'opinion publique, en France et en Algérie, pour ce Maroc où se portèrent à l'envi, et dans un «rush» extraordinaire, les capitaux, les activités, l'audace et le labeur patient?
Il faut le reconnaître. L'«impopularité» dont souffrirent cruellement et dont souffrent encore le Tonkin et Madagascar, l'indifférence de la métropole à l'égard de l'Afrique occidentale française délaissée, ont ici été remplacées par un enthousiasme que rien n'a rebuté et qui ne semble pas près de s'atténuer.
Il en est des événements historiques comme de tant de choses humaines: question de circonstances... Et toutes furent favorables au Maroc naissant. Tout de suite on a compris en France l'intérêt primordial qui s'attachait à la manifestation de notre prépondérance dans ce pays, limitrophe de notre Algérie-Tunisie. Aux yeux des moins clairvoyants se sont ouvertes les larges perspectives d'une Afrique du Nord française, prolongement naturel de notre pays, d'une France neuve où se retremperont nos forces, et d'où sortiront des générations nombreuses et fortes prêtes à soutenir la métropole.
Rabat: l'embouchure de l'oued Bou Regreg et la barre,
vues de la tour Hassan.
Minaret de la Koutoubya, à Marrakech.
Tanger vue de la mer.
Les esprits les plus chagrins ne peuvent méconnaître, en effet, le prodigieux essor de l'Algérie et de la Tunisie, dont la prospérité, depuis ces dernières années surtout, commande l'admiration des plus sceptiques, en particulier celle des étrangers. Or, le Maroc sera précisément le déversoir des activités surabondantes qui ne trouvent déjà plus leur emploi sur le sol algérien. Les fils, si nombreux, de nos colons ont de suite essaimé vers la terre nouvelle, non plus en enfants perdus comme, autrefois, leurs pères dans l'Algérie nouvellement conquise, mais largement nantis de capitaux, confiants et pourvus de l'expérience déjà acquise sur la terre africaine.
Comme le voilà déjà loin de nous, ce vieux Maroc vermoulu des diplomates, autour duquel tant d'intrigues stériles ou néfastes se nouèrent et se dénouèrent, pour le plus grand profit de nombreux aigrefins, enturbannés ou non, hommes de proie qui savaient si bien troubler l'eau, pour y mieux pêcher, que l'imbroglio marocain semblait, en s'éternisant, devenir une de ces maladies chroniques et incurables des sociétés agonisantes, dont la vieille Turquie, après tant d'autres dans l'histoire, a donné au monde le lamentable spectacle.
Il y a maintenant un Maroc nouveau, que la France généreuse a entrepris d'assainir, de revivifier et de conduire vers un avenir prospère.
Ce Maroc nouveau, je viens de le parcourir avec facilité, dans la sécurité la plus absolue et je ne saurais exprimer ici toutes les fortes joies que j'ai éprouvées à voir si activement et si fructueusement unis dans l'oeuvre commune colons et fonctionnaires, soldats et ingénieurs. Et ce qui m'a le plus frappé, ce qui m'a le plus étonné, ce à quoi je m'attendais le moins, c'est l'excellent état d'esprit des populations marocaines à l'égard de la France et le loyal acquiescement des vaincus au nouvel état de choses.
Lune de miel peut-être, mais qui s'explique assez facilement d'ailleurs par ce fait que, depuis l'arrivée des Français au Maroc, un véritable Pactole coule à pleins bords dans le pays. Nous avons apporté tant d'argent là-bas! Le renchérissement de tout ce qui s'achète, terres, animaux, fruits, légumes, poissons, volaille, denrées de toutes sortes, a été si rapide et a pris de telles proportions que les principaux bénéficiaires--les indigènes du plus petit au plus grand--ne peuvent que se réjouir de cette fortune imprévue. En outre, les procédés employés à leur égard par les administrations, civiles et militaires, ont été empreints d'une telle bienveillance qu'ils seraient mal venus à regretter l'ancien régime.
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Cela dit, et la situation ainsi jugée dans son ensemble, je ne cacherai pas qu'il y a, comme dans toute médaille, un revers, et que quelques ombres se projettent sur le tableau.
Ainsi, ceux qui n'ont pas dépassé Casablanca, et qui ne manqueront pas de s'étonner de mon optimisme, ont sans doute emporté du Maroc nouveau une impression moins heureuse.
Couloirs et jardins du palais de la Baya, à Marrakech.
Le premier contact avec la terre marocaine, pour qui débarque dans le grand port--ou mieux, ce qui devrait être le grand port--de l'Atlantique marocain, est, en effet, plutôt décevant. Tout d'abord, l'aspect lamentable de ces quais trop étroits et mal organisés, encombrés jusqu'à l'invraisemblable de marchandises disparates confondues dans un désordre, jetées dans un tohu-bohu indescriptibles, le coudoiement d'une populace cosmopolite dans les rues d'une ville en plein travail d'enfantement, disposent mal à la bienveillance.
Là s'est donné rendez-vous, pour la curée, toute une écume sociale fort peu intéressante. Et, d'autre part, la fièvre des spéculations sur les terrains y sévit avec rage! Quelle poussée, quelle ruée d'appétits vers ces profits à réaliser sans efforts, tout de suite! Quels éclairs de convoitise allument les regards quand sont cités des exemples de fortunes subites, faites comme sur un coup de dés... A côté de cela, une autre fièvre, créatrice celle-ci, qui emporte tout dans un tourbillon vertigineux! Aucun effort stérile. Toute entreprise un peu réfléchie couronnée de succès immédiat, prédisposant malheureusement les mieux trempés au gaspillage, à la vie large, à la «fête». Partout de l'action, de la vie intense, des appétits déchaînés, une surabondance d'énergies, le grand «rush» en un mot, soutenir par l'or, par l'alcool, par l'aiguillon des désirs souvent immodérés de fortune rapide... Telles sont les visions, les sensations fiévreuses, les impressions irritantes du premier accès au Maroc.
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Mais, sitôt franchis les faubourgs de Casablanca, tout change. Et l'on admire l'oeuvre intelligente, méthodique et rapide de la civilisation. Voici d'abord les grandes plaines de la Chaouïa. Des pistes provisoires l'ont ouverte aux premiers essais de colonisation agricole et, en maints endroits déjà, des routes remplacent ces pistes. Aussi les 246 kilomètres qui séparent Casablanca de Marrakech sont-ils aujourd'hui sillonnés de services d'autos pour les voyageurs et de camions automobiles pour les messageries.
Que nous sommes loin des débuts si difficiles de l'Algérie des premiers jours! Le chameau, le mulet et, pour les gens pressés, la patache étaient alors les seuls moyens de transportée télégraphe aérien de Chappe, l'unique organe de communication un peu rapide.
Par la T. S. F. aujourd'hui arrivent à tout instant les nouvelles de France, transmises directement de la tour Eiffel à Casablanca, à Eabat ou à Fez. Et, pour les communications intérieures, la T. S. F. étend ses invisibles ramifications un peu partout jusque dans les petits postes échelonnés sur les routes d'étapes. Aussi que de facilités pour éviter toute surprise de l'ennemi, administrer, faire rayonner la pensée directrice du chef! Et pour le public, en général, quelle célérité dans l'expédition des affaires, l'organisation des menus détails d'un voyage!
A Marrakech, les touristes de l'avenir auront beaucoup à voir. D'abord la palmeraie, immense, qui encercle la ville, très étendue elle-même dans la vaste plaine. Puis les souks, avec leur animation pittoresque, quartier des cuivres, quartier des étoffes, des tanneries malodorantes, grand marché, bazar des pantoufles et des maroquineries (une des spécialités de Marrakech), toute cette vie orientale que saura conserver intacte, avec toute sa couleur locale, une administration intelligente, assagie par les funestes expériences des grandes villes algériennes dont une modernisation vraiment barbare a détruit tout le caractère. Aussi saura-t-on gré au général Lyautey de faire tous ses efforts pour diriger l'édification des cités européennes à côté et non point au milieu des villes indigènes, ce qui, à la fois, sauvegarde la tradition locale, et permet d'assurer le confort du progrès aux villes nouvelles.
Cour intérieure du palais de la Baya.
Parmi tant de beaux monuments de Marrakech, la mosquée de la Koutoubya, avec son élégant et majestueux minaret, mérite une mention spéciale. On sait qu'au treizième siècle le sultan Almohade Abou-Yousef-al-Mansour, dont l'empire comprenait, avec le Maroc, l'Andalousie arabe, fit construire simultanément à Séville, à Rabat et à Marrakech trois minarets presque identiques, copiés sur le modèle du minaret de la mosquée des Ommeyades de Damas.
Celui de Séville est devenu le clocher de la cathédrale, la fameuse Giralda. Les lecteurs de L'Illustration ont pu voir dans un récent article ce qui reste du minaret de Rabat, la tour Hassan. Aujourd'hui, nous plaçons sous leurs yeux l'élégante silhouette du minaret de la Koutoubya, au milieu des jardins d'oliviers, de grenadiers, de figuiers et d'orangers qu'entrelacent les frondaisons luxuriantes des vignes, des jasmins et des roses.
Il faut signaler également le palais dit de la Baya qu'édifia, il y a quelque vingt ans, le grand vizir du jeune Moulai Abd-el-Aziz. Cette construction récente atteste le bon goût et l'habileté des artisans modernes qui ont su garder, là comme à Rabat et à Fez, les belles traditions du passé.
De Casablanca, une autre route praticable aux automobiles, et améliorée de jour en jour, conduit à Rabat, capitale choisie provisoirement par le général Lyautey, et qui deviendra, il faut l'espérer, la capitale définitive du protectorat marocain.
Cette question du choix de la capitale a eu le don, on ne sait trop pourquoi, de passionner l'opinion publique en France et, à leur retour du Maroc, c'est sur ce sujet que sont tout d'abord et toujours interrogés les voyageurs. Sans la moindre hésitation, je formule ici nettement ma prédilection pour Rabat.
A Meknès: porte des remparts extérieurs décorée de
mosaïques en faïences.
Aux considérations économiques et stratégiques qui militent en faveur de cette ville, déjà si privilégiée au point de vue sanitaire, sur Fez sa rivale, j'ajouterai une raison qui mérite d'être prise en considération sérieuse: il importe, avant tout, à mon avis, d'éloigner le centre de notre direction politique et administrative de Fez, ce foyer d'intrigues politico-religieuses où ont été préparées les sanglantes journées que l'on sait et qui sera certainement le dernier point où notre domination sera discutée, l'ultime refuge des mécontents, suppôts des anciens régimes, fanatiques ignorants et superstitieux entre les mains desquels l'Islam marocain a complètement dévié des saines traditions, gens de mosquées et de zaouïas que l'honnêteté de nos institutions prive de tant de bénéfices et de prébendes illicites, intrigants de toutes sortes qui ont su prendre une telle emprise sur les habitants de Fez qu'il serait peut-être imprudent et tout au moins impolitique de les combattre de front, mais qu'il est sage de laisser à distance du centre gouvernemental...
Ruines romaines de Volubilis.
De Rabat à Fez les voies de communications s'améliorent également avec une rapidité extraordinaire.
Le petit chemin de fer militaire à voie étroite qui part de Casablanca avance vite, et, dès aujourd'hui, en utilisant la route, la piste et le transport par voie ferrée de Kenitra à Bel Hamri, la circulation est facile entre le littoral, Fez et Meknès.
De Bel Hamri à Fez, deux routes s'offrent au voyageur, également intéressantes et praticables aux automobiles, l'une par Petitjean et le col de Zagotta, l'autre par Meknès.
Entre les deux, le massif du Zerhoun, aux collines boisées d'oliviers ou parsemées de vignobles, rappelle les meilleures parties de notre petite Kabylie ou mieux encore les riants et fertiles environs de Tlemcen.
Là, dans un repli de terrain, tel un nid d'oiseau douillettement blotti dans la verdure, se dresse la zaouïa de Moulai Idriss et, toutes proches, voici les ruines de Volubilis qui fut le plus important établissement, le camp retranché des Romains dans la Mauritanie Tingitane.
Il semble bien qu'on a un peu surfait l'importance de cette ville. Les vestiges qui en restent aujourd'hui, arcs de voûte et lourdes assises solidement assemblées, ne sont, en somme, que des spécimens un peu grossiers de constructions militaires romaines.
Et rien, ni l'étendue des ruines, ni la richesse des matériaux, ni l'élégance des constructions, ne saurait approcher de ce que nous avons retrouvé à Timgad, à El Djem, à Cherchell ou à Tebessa.
Le Maroc des Romains ne nous a pas encore livré ses secrets, mais il ne semble pas que, dans cette province lointaine, leur civilisation ait jamais brillé d'un grand éclat.
Elle est, en revanche, très pittoresque, la petite cité où repose dans l'éternité le très grand saint Moulai Idriss Ier, descendant d'Ali, gendre du prophète Mahomet, qui, traqué en Orient par les kalifes, se réfugia au Maroc et y fonda un véritable empire.
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Porte de Chella, près de Rabat.
Située sur la crête allongée d'un mamelon au pied duquel coule une petite rivière, Meknès offre au touriste les admirables vestiges des monuments qui en firent la gloire au dix-huitième siècle et lui valurent le surnom de Versailles marocain. Souvenirs du fastueux règne de Moulai Ismaël, le grand ancêtre des chérifs, descendants du Prophète, venus du Tafilelt, et dont la dynastie règne encore aujourd'hui au Maroc.
Sur un mamelon parallèle à celui qui porte la ville arabe, s'étagent les bâtiments de la ville militaire, le camp, animé du mouvement des batteries, du va-et-vient des tirailleurs sénégalais et de leurs noires épouses, du ronflement des auto-mitrailleuses, de toutes les manifestations d'une vie bruyante qui contraste avec le silence de la vieille cité islamique.
Ce devait être une jolie réplique de l'Alhambra de Grenade, ce palais de Moulai Ismaël dont on peut admirer, aujourd'hui encore, les portes monumentales, chefs-d'oeuvre de la céramique marocaine. On sait qu'au Maroc les revêtements de faïences polychromes ne sont pas faits de carreaux de dimensions diverses, comme en Asie Mineure, à Damas ou en Perse, mais composés de menus morceaux de faïence découpés et savamment juxtaposés, selon le caprice du dessin; le temps fond dans sa patine ces petits cubes multicolores, leur donne ce charme un peu sévère spécial aux monuments marocains, cette douce harmonie de vieilles tapisseries, si différente des habituelles décorations de céramiques orientales, toutes vibrantes de l'éclat des vives couleurs...
--A suivre.--Gervais-Courtellemont.
La zaouïa de Moulai Idriss, dans les montagnes du
Zerhoun.
PHOTOGRAPHIES EN COULEUR DE L'AUTEUR.
L'Académie de Stockholm vient de rendre un nouvel hommage à la science française en décernant le prix Nobel de médecine au docteur Charles Richet, professeur de physiologie à la Faculté de médecine de Paris.
Fils d'un des plus grands chirurgiens du dernier siècle, l'éminent lauréat a su entourer d'un nouveau prestige le nom paternel. Né à Paris en 1850, il se révéla de bonne heure comme un chercheur original, avide d'appliquer son intelligence exceptionnelle aux travaux les plus divers. Après avoir travaillé dans le laboratoire de Berthelot, il publie un Dictionnaire de physiologie qui est resté le modèle du genre; puis il occupe ses loisirs en assumant la direction de la Revue scientifique.
Une série d'études techniques sur des questions jusqu'alors à peine entrevues le placent bientôt au premier rang et, en 1887, il se voit appelé à occuper la chaire de physiologie de la Faculté de médecine. Quelques mois plus tard, en participation avec notre collaborateur le docteur Héricourt, il démontre que le sang des animaux vaccinés contre une infection peut, si on le transfère à un autre animal, conférer à ce dernier un certain degré d'immunité. C'était le point de départ de la méthode sérothérapique qui a donné depuis de si brillants résultats. Plus récemment, Charles Richet formulait les premières règles de l'anaphylaxie, ou sensibilisation progressive de l'organisme aux substances toxiques issues des albuminoïdes. Il ouvrait ainsi à la thérapeutique une branche nouvelle d'une importance considérable.
M. Charles Richet à sa table de travail.
Dans ses divers ouvrages, le docteur Richet n'apparaît point seulement comme un savant de haute envergure, il se révèle encore écrivain de race; par l'ampleur et la précision du style, tels morceaux de son Essai de psychologie générale rappellent, les plus belles pages d'Ampère. Depuis plusieurs années, il faisait partie de la Société des Gens de lettres.
On applaudira d'autant plus au choix de l'Académie suédoise qu'en choisissant un grand physiologiste elle a, en même temps, distingué une des plus belles intelligences de notre époque.
M. Camille Saint-Saëns devant son orgue.--Photographie
prise le 4 novembre, avant-veille de son dernier concert.
Une soirée musicale tout à fait sensationnelle, une véritable solennité, attirait, jeudi, à la salle Gaveau, une admirable chambrée: le maître Camille Saint-Saëns y faisait au public ses adieux comme virtuose du piano et de l'orgue. Il y avait des années déjà qu'il ne s'était plus fait applaudir au concert. En faveur d'une oeuvre intéressante que nous avons présentée naguère à nos lecteurs, le Cercle national pour le soldat de Paris, fondé par M. René Thorel, il avait consenti à donner une fois encore--et la dernière, a-t-il affirmé--ce régal à ses admirateurs.
Il n'est pas un amateur de musique qui ne sache qu'avant d'être le compositeur aux nobles inspirations, à la facture impeccable, Camille Saint-Saëns avait été un prestigieux exécutant. Il n'avait pas dix ans quand il se révéla pianiste précoce, étonnant d'intelligence et de sûreté. Plus tard, musicien déjà célèbre, auteur de maint chef-d'oeuvre, il tint longtemps, après l'orgue de Saint-Merri, église populaire, celui de la Madeleine, paroisse ultra élégante, et cela par goût pur, et alors que sa gloire n'avait plus rien à y gagner. Car, au contraire de son émule Ernest Reyer dont la haine pour le piano fut proverbiale, et peut-être un peu légendaire, toutes les prédilections de l'auteur de Samson et Dalila vont aux instruments à clavier. Il les anime en artiste incomparable. A leur intention, il a écrit des compositions déjà classiques autant que ses admirables symphonies, et dont il a exécuté trois, au cours du concert de jeudi. Ceux qui l'ont applaudi en cette soirée n'oublieront ni le style grave de ces pages, ni la merveilleuse interprétation qu'en donna le maître.
De la retraite lointaine où il est allé abriter ses lauriers, un autre pianiste incomparable, un magicien, Francis Planté, exprimait son regret de ne pouvoir joindre ses applaudissements à ceux qui allaient fêter son grand ami: «Applaudir alternativement Saint-Saëns comme pianiste et comme organiste, écrivait-il, est une rare et merveilleuse aubaine pour notre publie parisien... Tout Paris sera là; je l'envie et je voudrais être avec lui.»
C'est une joie, hélas! que «Tout Paris» ne retrouvera plus et qui sera réservée désormais à de rares et heureux intimes du grand musicien.
UNE MONTAGNE INGÉNIEUSEMENT ET PATIEMMENT OUVRAGÉE.
Les rizières en gradins de l'île Luçon, dans l'archipel des Philippines.
C'est d'une des parties les plus sauvages, et jusqu'à ces derniers temps les moins connues, de l'île Luçon, dans l'archipel des Philippines, que nous vient l'extraordinaire image reproduite ici, dont l'étonnant aspect ferait croire, tout d'abord, à quelque immense amphithéâtre naturel aux innombrables gradins... La région où a été pris ce cliché est habitée par une peuplade barbare, les Bontoc Igorots, encore rebelles à toute civilisation, mais, par un curieux contraste, la nécessité a fait d'eux les plus ingénieux et les plus patients des agriculteurs. Pour mettre en valeur la contrée montagneuse où ils vivent, ils ont inventé un procédé sans doute unique au monde, tout à la fois primitif et compliqué: sur les flancs de leurs montagnes, ils construisent des étages de terrasses, reliées entre elles par des canaux d'irrigation, qui assurent un débit d'eau égal et régulier. Et ils réussissent ainsi à transformer en champs fertiles, où pousse principalement le riz, les falaises les plus escarpées.
La naissance d'une ville militaire: construction de
maisons destinées aux officiers de la garnison de Labry.
L'augmentation considérable des forces disposées le long de notre frontière de l'Est, la création de garnisons nouvelles, le brusque développement de celles qui ont reçu un surcroît de troupes, ont posé, de façon pressante, des questions d'ordre économique étroitement liées à l'organisation de la défense nationale. Dans notre numéro du 18 octobre, nous avons montré, en signalant l'arrivée du 16e bataillon de chasseurs à Labry, l'effort accompli, en trois mois, pour loger nos soldats: quelle va être, d'autre part, la situation matérielle des officiers et des sous-officiers dans ces grandes villes militaires de l'Est,--que vient précisément de visiter, pour une rapide enquête, depuis Mézières jusqu'à Lunéville et Baccarat, une sous-commission de la Chambre, composée de MM. Cochery, Combrouze et Albert Thomas? L'article suivant, que nous envoie M. Georges Servant, donnera sur ce point d'utiles précisions:
Nous ne pouvons, ici, faire porter l'étude des conditions nouvelles où se trouvent, dans l'Est, nos officiers et sous-officiers sur tous les centres militaires répartis le long de la frontière: elle entraînerait une documentation considérable et, sans doute, peu diverse. Pour faire ressortir les résultats d'une brève enquête, nous avons choisi, en manière d'exemples, trois centres voisins, qui, malgré la différence numérique de leur population, présentent des caractères semblables. Verdun, c'est la grande ville forte, garnison ancienne dont on double presque le contingent; Etain, c'est la petite ville campagnarde; Labry, c'est le simple village, deux garnisons nouvelles où l'apport des troupes a transformé complètement la vie.
Tout d'abord, il faut constater qu'une grande partie des difficultés présentes vient du retard apporté dans la construction des casernes; et la première cause en est la lenteur avec laquelle la Chambre a discuté le vote des crédits nécessaires. Le délai dans lequel les travaux devaient être exécutés ayant été réduit au minimum, les exigences des entrepreneurs ont augmenté: ne leur fallait-il pas prendre des équipes plus nombreuses et, pour hâter l'exécution des marchés, utiliser des moyens plus rapides mais aussi plus coûteux? L'afflux considérable des ouvriers, la plus-value de la main-d'oeuvre ont encore fait croître le prix de la vie, et tout a concouru ainsi à compliquer la situation que les troupes allaient trouver à leur arrivée.
A Verdun, le contingent militaire n'atteindra heureusement son chiffre définitif que dans quelques mois: la garnison de 16.000 hommes en comptera 25.000. De cette augmentation de forces devait nécessairement naître la difficulté de procurer aux nouveaux officiers et sous-officier--les premiers au nombre de 120 par régiment, les seconds au nombre de 30 à 40--les logements indispensables. Si, malgré les retards, les casernes ont pu être à peu près terminées, comment l'industrie privée eût-elle pu arriver à construire ceux-ci? Verdun, déjà pleine de soldats, se voit envahie par les nouveaux arrivants, qui prennent ce que leurs prédécesseurs n'avaient pas voulu; les propriétaires profitent de cet état de choses anormal, augmentent leurs prix et vont jusqu'à les doubler.
Dans un faubourg, une chambre non garnie se paie 50 francs par mois. Un officier a pour 275 francs par an un véritable taudis, un autre paie 300 francs une demeure d'où le confort est absent,--et ceci loin du centre, dans un endroit incommode et dont les abords sont vraiment indignes d'eux.
Les sous-officiers ne sont pas mieux partagés. Nous en connaissons un qui, avec sa femme et un enfant, se loge dans deux misérables pièces pour 23 francs par mois; un autre occupe, pour 300 francs par an, trois pièces dans une petite maison en planches. Heureusement, l'autorité militaire s'est préoccupée de leur sort. Deux grands pavillons, pouvant abriter chacun douze ménages, ont été construits pour eux par les soins du génie; les appartements comprennent tous une vaste chambre à deux fenêtres, une salle à manger, une cuisine et un cabinet de débarras.
Etain, petit bourg de la plaine de la Woëvre, présente un cas particulier. La Société de la Corroierie Lorraine s'est, il y a deux ans environ, réunie à la Société de Champigneulles et aussitôt les ouvriers se sont portés vers leur nouveau centre de travail, abandonnant la ville et leurs logements qui, depuis le temps, sont demeurés vides. En arrivant, les sous-officiers au moins ont trouvé des locaux pour les recevoir: il est vrai que les propriétaires, pour rattraper la «non-valeur» des dernières années, ont doublé le chiffre des loyers. Et même, il n'est pas rare de voir porter à 350 francs le prix d'un logement fixé jadis à 120 francs.
Près de la gare, au premier étage d'un immeuble, deux sous-officiers, occupant chacun deux pièces et une cuisine, ont un loyer annuel de 250 francs; dans le centre, un lieutenant, pour trois pièces et une cuisine, paie 400 francs; un capitaine, pour un appartement plus vaste, mais situé au-dessus d'un café, 550 francs. Dans les hôtels, la pension varie de 90 francs à 110 francs.
A Labry enfin, il eût été matériellement impossible de loger les officiers et sous-officiers ailleurs qu'en campement chez l'habitant. Le problème aurait donc dû s'y poser plus ardu encore qu'ailleurs; mais, dès que la décision ministérielle prévoyant à Babry l'établissement d'une garnison fut connue, une initiative privée, que nous avons déjà signalée, vint seconder les efforts des autorités militaires. Le même entrepreneur qui, avec une rapidité très remarquée, et dont le complimenta le ministre de la Guerre lors de son inspection, édifiait les casernes, mit une égale énergie à construire les pavillons destinés aux officiers et sous-officiers: insuffisants encore en nombre poulies loger tous, ils peuvent servir d'exemple à ceux qui voudraient compléter cette belle entreprise. Les appartements, sains et aérés, comprenant deux et trois pièces et une cuisine, sont loués 350 francs et 450 francs aux sous-officiers. Plus confortables et plus coûteux aussi, les appartements ou les maisons réservés aux officiers comportant un loyer de 700 à 1.800 francs; mais de belles et nombreuses pièces leur sont offertes pour ce prix, et l'électricité, l'eau, le chauffage, leur assurent de précieuses commodités.
Il serait à souhaiter que d'autres initiatives arrivent à des résultats aussi heureux. La Société Immobilière que dirige un ancien officier du génie, le général Drouhez, a déjà acquis des terrains dans cette région de l'Est; mais, reculant devant la difficulté de faire bâtir cette année à cause de l'augmentation de la main-d'oeuvre, elle a remis sa tâche à plus tard. Pourquoi, d'autre part, n'appliquerait-on pas aux constructions de ce genre le principe des habitations ouvrières à bon marché? On pourrait voir ainsi s'élever des cités nouvelles qui, prenant comme centre la vie militaire, lui emprunterait sa régularité et son ordonnance.
Mais au problème du logement s'ajoute celui, non moins important, de la nourriture. Déjà cette question se posait dans notre région de l'Est avant l'arrivée des nouvelles troupes: elle s'est, depuis, singulièrement compliquée.
Pavillons pour sous-officiers, édifiés à Verdun par les
soins
du génie.
L'enchérissement des vivres vient tout d'abord de l'insuffisance du sol
à nourrir l'immense population qui vit sur lui. Depuis de nombreuses
années, l'exploitation des bassins de Briey, Longwy, Pont-à-Mousson, a
transformé les paysans en mineurs et amené un nombre d'ouvriers
considérable dans la contrée. Le prix de la vie a augmenté et,
naturellement, ceux qui peuvent dépenser le plus, les ouvriers et les
employés des usines et des mines dont le salaire est élevé, accaparent
la meilleure partie des objets de première nécessité,--au détriment des
fonctionnaires et des officiers qui, avec de modestes ressources, ne
peuvent arriver que difficilement à subvenir à leurs besoins. Justement
ému par cette situation, le ministre de la Guerre a accordé aux
officiers et sous-officiers des garnisons de Labry, d'Etain et de Stenay
l'indemnité de résidence affectée à la garnison de Paris. Peut-être
pourrait-on faire davantage encore en essayant de faciliter d'une façon
générale la vie matérielle des habitants de nos régions de l'Est. Sans
doute tous les capitaux ont-ils été absorbés depuis dix ans par toutes
les entreprises industrielles qui se sont développées dans cette partie
de la France. Mais, de l'intérieur du pays, de Reims, de Lille,
d'Amiens, les producteurs ne pourraient-ils venir installer sur notre
frontière des magasins, des succursales où nos soldats trouveraient, au
point de vue de l'alimentation surtout, tout ce qui leur est nécessaire?
Il semble que cet effort pourrait être tenté et que, si commerçants,
compagnies de transport, autorités civiles et militaires se mettaient
d'accord, d'appréciables résultats seraient obtenus dans ces régions de
frontière.
Georges Servant.
UN JOLI SITE MENACÉ: LES CASCADES DE GIMEL. Cliché M.
Beynié.
Il y a peu de mois, au moment où les syndicats d'initiative du Centre faisaient leur grand appel au tourisme et conviaient le président de la République à venir admirer les sites du Limousin, du Périgord et du Quercy, le conseil municipal d'une commune de la Corrèze donnait à un industriel allemand, M. Streubel, l'autorisation de dériver les eaux qui alimentent les cascades de Gimel. C'était la fin des merveilleuses chutes qui sont l'un des trésors touristiques du Limousin.
Bien que le site eût été classé depuis plusieurs années, sur la demande même du propriétaire du terrain des cascades, le peintre Gaston Vuillier, l'industriel allemand, fort de la délibération du conseil municipal de Gimel, n'a pas hésité à commencer les travaux de captage en amont des cascades. Ces travaux, il est vrai, ont été arrêtés presque aussitôt par les agents des Eaux et Forêts, et procès-verbal a été dressé contre M. Streubel qui ne s'était pas encore muni des autorisations administratives nécessaires. Mais l'affaire n'est malheureusement pas close. La protection des paysages est assez médiocrement assurée par notre législation actuelle et l'on peut seulement espérer que l'on parviendra à sauver les cascades limousines dont cette photographie montre la puissante beauté.
J'ai reçu, cette semaine, les doléances, d'ailleurs fort courtoises, d'un étranger qui est venu montrer Paris à ses enfants, à l'occasion des vacances de la Toussaint, et qui me déclare avoir rapporté une assez fâcheuse impression d'une promenade qu'il a faite avec eux au Jardin des Plantes. Cet étranger, qui aime et qui admire Paris, n'y était pas revenu depuis un assez grand nombre d'années. Entré au Muséum par la porte principale de la place Valhubert, du côté de la Seine, il s'est dirigé vers la partie des jardins où le portaient ses souvenirs de jeunesse: vers les cages des animaux féroces et des oiseaux de proie, la grande volière et le pavillon des reptiles, la fosse aux ours et la rotonde des «grands animaux». Il reconnaît que le spectacle donné aux hommes par tant de bêtes assemblées n'est pas moins intéressant aujourd'hui qu'il ne l'était autrefois; mais il a trouvé minable, en général, l'aspect des bâtiments où ces bêtes sont logées; il lui a semblé, me dit-il, que cette riche exposition était un peu compromise aux yeux du passant par la pauvreté de son décor. Ce fut sa première déception. Il en éprouva une autre quand, au seuil des galeries qu'il eût désiré visiter, des gardiens l'arrêtèrent, lui demandant le billet d'entrée qu'il n'avait pas. Et il conclut mécontent: «Le Jardin des Plantes a donc cessé d'être un jardin public?»
Eh non, le Jardin des Plantes est bien un jardin public, et c'est même, monsieur, sa faiblesse... Car, si les visiteurs étaient obligés de donner, pour y entrer, un peu d'argent, la vénérable Maison de Guy de Labrosse, de Buffon et de Bernardin de Saint-Pierre serait plus riche. On aurait le moyen d'y loger les animaux aussi somptueusement, au moins, qu'en ces jardins zoologiques payants de l'étranger, dont on nous oppose trop facilement l'exemple. On aurait le moyen d'édifier; on n'a même pas, actuellement, celui de démolir! Et c'est, pour les amis du Muséum, un vrai sujet de tristesse--et presque un sujet d'humiliation--que le spectacle de ces vieilles galeries de la rue Cuvier qu'on utilise encore, tant bien que mal (car telle est la richesse croissante de nos collections qu'il les faut bien entasser où on peut!) et dont les carcasses vermoulues devront rester debout, tant qu'on n'aura pas l'argent qu'il faut pour les jeter par terre...
Heureusement, il n'y a pas au Muséum que ces galeries-là: il y a les trois maisons admirables dont mon correspondant se plaint qu'on lui ait interdit l'entrée,--qui est libre deux jours par semaine, et, les autres jours, réservée aux travailleurs, aux personnes qu'effraye le bruit de la foule. Mais à ceux-là est délivré gratuitement, sur leur demande, le billet de famille qui leur permettra de s'instruire le plus commodément du monde, de s'instruire et de s'enthousiasmer au spectacle des richesses les plus étonnantes, des plus rares trésors que le génie humain ait accumulés en aucun musée de l'Univers. Les deux palais de la Zoologie et de l'Anthropologie, de construction relativement récente, le palais de la Géologie, des Minéraux et de la Botanique, dont l'unique galerie, vieille de près d'un siècle, constitue, en sa simplicité, l'un des plus augustes décors qui soient à Paris,--voilà, pour le touriste étranger qui consent à ne pas aimer de Paris que ses boulevards et ses music-halls, l'une des premières choses et des plus nécessaires qui soient à voir! D'autant que pour revenir du Jardin des Plantes aux Champs-Elysées, il y a le bateau,--pour deux sous! Et je vous ai déjà dit le charme unique de cette promenade.
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En attendant le Salon d'automne où nous serons conviés bientôt, diverses petites expositions sollicitent, çà et là, nos curiosités. Je ne vous recommande pas celle des Synchromistes; mais je la signale simplement, et par acquit de conscience, comme j'ai précédemment signalé celles où le cubisme, le futurisme, l'orphisme s'épanouissaient. Les fondateurs de cette école nouvelle en ont exposé la raison d'être et l'objet dans une petite brochure que deux ou trois échantillons de «synchromie» accompagnent. N'essayez pas de comprendre; ce serait une peine inutile. Mais ne vous moquez pas, non plus; car rien ne nous autorise à douter que ces inventeurs d'on ne sait quoi ne soient sincères.
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Retournez plutôt au Louvre. Dans la salle Mollien, affectée à la peinture du dix-septième siècle, vient d'être provisoirement exposé--en attendant que soient constituées les salles d'Orient--le fameux tapis persan provenant de l'ancienne collégiale de Mantes, et récemment acquis par l'État. C'est un morceau unique. Il date de la seconde moitié du dix-septième. Tissé en soies et en laines du coloris le plus somptueux, le tapis de la salle Mollien offre aux yeux l'un des plus splendides échantillons qui soient d'un art où se combinent si curieusement «l'esprit de géométrie» et le sens du pittoresque éperdu. Un pan de toile peinte à l'aquarelle remplace une partie du tapis, coupée... on ne sait quand! Ce n'est pas une des moindres originalités de l'oeuvre, acquise au prix de 30.000 francs.
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Encore une lettre! Celle-ci contient une requête, et tout à fait intéressante. La voici:
«... La Comédie-Française aura à sa tête, dans quelques semaines, un nouvel administrateur général; et l'on attend, je crois, de M. Albert Carré, diverses réformes. Oserai-je proposer à son attention bienveillante l'idée d'une innovation très simple, qui ne coûterait rien, qui ne jetterait le désarroi ni dans les traditions ni dans les intérêts, et dont la réalisation serait accueillie avec plaisir non seulement par ceux qui viennent du dehors visiter Paris, mais par ceux qui l'habitent?
»Cette innovation consisterait à ouvrir, une fois par semaine, dans la matinée, (c'est-à-dire avant l'heure où le travail des répétitions commence), les coulisses de la Comédie-Française au public, comme on lui ouvre les musées, les châteaux, les monuments «classés». J'entends par les coulisses: la scène et ses abords, les foyers d'artistes et les couloirs, au besoin (avec l'autorisation de ceux-ci) quelques loges de sociétaires. La Comédie-Française n'est pas seulement une très grande maison; elle est, même dans les parties où la foule ne pénètre pas, le plus élégant, le mieux orné, le mieux ordonné de nos théâtres. On sent, dès qu'on y est entré, qu'une tradition auguste habite ces murs-là... Alors, pourquoi ne pas classer les coulisses du Théâtre-Français au nombre des choses «qu'il faut voir» à Paris, ou que, du moins, il est officiellement permis d'y voir?»
Je ne sais s'il plaira à M. Albert Carré d'inscrire au programme de la
Comédie ce nouveau genre de spectacle... Mais je conviens, en effet,
qu'il aurait un succès fou.
Un Parisien.
Conférences.--A la Sorbonne (grand amphithéâtre), le 8 novembre, à 8 h. du soir, au cours de la fête de l'Union des Sociétés françaises de sports athlétiques, conférence de Me Henri-Robert, sur l'éducation physique et sportive.--Les lundis à 5 heures, au théâtre Femina, conférences de M. Henry Bidou, critique des «Débats», sur le dix-septième siècle.--Salle Gaveau, (45, rue La Boétie): visions d'art de M. Gervais-Courtellemont, conférences illustrées avec projections en couleurs: le 13 novembre, à 3 heures, le Maroc d'hier et d'aujourd'hui; le 14, à 9 heures du soir, l'Empire ottoman après la guerre des Balkans.
Expositions.--Galerie Georges Petit (8, rue de Sèze): exposition de la gravure originale en couleurs.--Galerie Haas et Gross (4, rue Édouard-VII), dessins de Romney, inspirés par les oeuvres de Shakespeare.--Galerie Arthur Tooth (41, boulevard des Capucines): tableaux de M. Sidney Adamson.--Galerie La Boétie (6 1/2 bis, rue La Boétie): exposition Henri Valensi.--Galerie Boutet de Monvel (18, rue Tronchet): céramiques de Lachenal.
L'exposition d'aviculture.--Au Grand Palais: du 12 au. 16 novembre, exposition internationale d'aviculture.
Fête de la chanson.--Le 12 novembre, au Conservatoire, en soirée, fête de la Chanson française, organisée par MM. Maurice de Féraudy et Xavier Privas.
Concerts et auditions.--Le 8 novembre, à l'Institut, audition de la cantate de Mlle Lili Boulanger, premier grand prix de Rome de musique.--Le 11 novembre, à 8 h. 45 du soir, salle des concerts du Conservatoire, première audition du Salon des musiciens français.
Fête.--Le 8 novembre, à la Sorbonne, à 8 heures du soir, fête de l'Union des sociétés françaises de sports athlétiques.
Sports.--Courses de chevaux: le 8 novembre, Saint-Cloud; le 9, Auteuil; le 10, Saint-Cloud; le 11, Saint-Ouen; le 12, Maisons-Laffitte; le 13, Auteuil (prix de Vincennes); le 14, Saint-Cloud; le 15, Vincennes.--Boxe: le 15 novembre, à Luna-Park, match Jeff-Smith-Bernard.
La presse quotidienne, rendant compte de la représentation de l'Occident, de M. Henry Kistemaeckers à la Renaissance, en a vanté surtout la haute et salutaire inspiration animant des scènes mouvementées, chatoyantes, toujours intéressantes et parfois émouvantes. On y a vu un conflit entre l'Orient et l'Occident; on y peut voir encore, et surtout, un conflit entre la passion et le devoir; et la scène que représente notre première page montrant l'enseigne Merronay bouleversé entre les supplications de son amour et les exhortations à la discipline, exprime bien la portée, dégage la morale de cette oeuvre, si chaleureusement applaudie avec ses interprètes, au premier rang desquels M. Tarride et Mme Suzanne Després.
Il y a toujours un livre qu'un écrivain rêve d'écrire en sa vie, un livre qui sera vraiment pour lui le Livre, et qui est conçu par le coeur avant de germer dans le cerveau. L'«oeuvre» d'ailleurs ne se crée que peu à peu. Elle s'épanouit lentement, avec mille hésitations, page par page. L'écrivain lui a consacré les instants les plus intimes, les plus secrets, les plus précieux de sa pensée. Il a vécu avec elle, en elle, ces heures de passion, d'extase, de délire, que l'on ne donne qu'à l'amour. Entre les besognes quotidiennes, entre les autres travaux de son art, il est revenu en amant, en croyant, avec une fidélité de mystique, au manuscrit informe, sabré de ratures, rapiécé de notes, où il s'absorbe comme dans une prière ou une vision et qui, après des années et des années seulement, sera livré aux profanes. Une oeuvre de cette nature exceptionnelle est née d'hier. C'est le Saint Augustin[1] de M. Louis Bertrand.
Note 1: Saint Augustin, Fayard éditeur, 3 fr. 30.
M. Louis Bertrand nous a donné de beaux livres. Nous lui devons le Sang des races, la Cina, L'Invasion. Il a charmé notre imagination par les poèmes de lumière blanche que sont ses récits de voyage, et intrigué notre esprit par ses réquisitoires, d'une éloquence imprévue, contre le classicisme. Mais le Livre de M. Louis Bertrand est son Saint Augustin.
Cette oeuvre est-elle un chef-d'oeuvre? D'aucuns--et nous en sommes--la salueront comme telle. Mais il n'est peut-être pas sûr que ce chef-d'oeuvre soit celui-là même qu'a voulu réaliser son auteur. Il apparaît, en effet, que M. Louis Bertrand s'est surtout proposé de nous révéler un saint Augustin encore ignoré de nous, un latin sensible, racinien et romantique, tout à fait autre que le Maître intransigeant revendiqué par les disciples de Jansénius. Il a tenté, d'autre part, de reconstituer sous nos yeux, en sa grandeur, sa lumière et son tumulte, l'époque où vécut l'évêque d'Hippone. Cette résurrection de l'Afrique latine du quatrième siècle et du début du cinquième, M. Louis Bertrand nous semble l'avoir réussie magnifiquement avec une sûreté documentaire, avec une puissance d'évocation, une diversité d'images et un faste lumineux qui imposent à notre esprit un long enchantement. Nous sommes, à chaque page, éblouis par le soleil ressuscité de l'Afrique latine. Voici Thagaste, le municipe où vécurent Patricius et Monique, la ville natale d'Augustin, la même jadis qu'aujourd'hui, avec ses petites rues blanches qui montent vers des buttes argileuses, sa double file de maisons rutilantes au soleil matinal, et dont les seuils se frangent d'une ombre épaisse. Mais, surtout, voici Carthage, «la splendide, l'auguste, la sublime Carthage» des auteurs africains, presque aussi peuplée que Rome et à peine moins étendue, avec, elle aussi, son Capitole et son Palatin sur la colline de Byrsa, avec sa place Maritime, où affluaient les étrangers récemment débarqués et les oisifs en quête de nouvelles, où les libraires exposaient les livres et les pamphlets du jour; avec ses dix-sept basiliques chrétiennes et ses sanctuaires païens; avec ses théâtres, son cirque, son stade, son amphithéâtre aussi vaste que le Colisée romain; avec ses citernes colossales, son grand aqueduc, ses thermes, ses droites avenues, pavées de larges dalles, ses jardins publics et ses marchés; Carthage grenier de Rome et qui pouvait affamer la métropole s'il lui plaisait; Carthage, avec ses foules grouillantes et ses élites raisonnantes, capitale d'Afrique où se coudoyaient tous les échantillons des races du soleil, depuis le nègre amené du Soudan par le marchand d'esclaves, jusqu'au Numide romanisé, Babel de races, de coutumes, de croyances et d'idées, où le futur apôtre, l'étudiant curieux et ardent à la dispute, trouvait un abrégé vivant des religions et des philosophies de son époque.
Vous vous émerveillerez de cette vision de Carthage en son prodigieux
tumulte de foules, en ses retentissantes luttes d'idées. Et précisément
parce que le tableau est immense, multiple en son mouvement et tellement
divers en ses jeux de couleur, il arrive que notre attention s'y égare
et qu'Augustin--à Carthage comme d'ailleurs à Rome, à Milan, dans la
villa de Verecundus et dans le monastère d'Hippone--y perd parfois son
relief de figure centrale. Le décor trop puissant absorbe le personnage.
La splendeur des images partout jaillissantes nuit à l'expression du
portrait proposé, et nous ne sommes pas bien sûrs, en atteignant, à
regret, la fin de cette oeuvre vraiment rare, que l'apologète ait gagné
son procès. Le saint Augustin--l'auteur de la doctrine impitoyable de la
prédestination--présenté avec une douceur d'âme, une sensibilité toutes
modernes, par M. Louis Bertrand, est-il plus vrai que le rude Africain
au génie intraitable et un peu barbare, le violent apôtre dont
j'émerveillèrent Arnauld d'Andilly et les solitaires de Port-Royal? La
discussion, au moins, reste ouverte sur le caractère de l'homme et sur
le rayonnement du saint. Nous échappons au mirage en même temps que
s'évanouissent les images. Et la beauté de ce livre chrétien, écrit par
un poète ardent de la vie et un adorateur passionné de la lumière, reste
tout de même un peu païenne.
Albéric Cahuet.
L'article publié par L'Illustration dans son numéro du 4 octobre, pour exposer les avantages qu'il y aurait à substituer dans les casernes le hamac des marins au lit des fantassins nous a valu quelques objections et quelques critiques auxquelles notre collaborateur, M. Sauvaire Jourdan, qui fut l'auteur de cette proposition va répondre:
Le lit en bois a disparu des casernes ou presque, me dit-on, et les punaises avec.
A quoi je répondrai que la suppression du lit en bois et son remplacement par le lit en fer est seulement un but vers lequel tend l'administration de la Guerre.
En attendant, on trouve encore des lits en bois dans nombre de casernes et de quartiers, et les punaises continuent à y prospérer. Et on en trouvera encore longtemps puisque l'administration vient de passer tout récemment un marché pour 80.000 tréteaux en bois de modèle réduit, au coût de 3 francs chaque.
On m'objecte encore: «Vos calculs sont fantaisistes, et vous avez dû oublier, dans le prix de 49 francs que vous donnez pour le hamac, le matelas, les couvertures, etc.»
Or, voici le décompte exact des diverses fournitures qui rentrent dans la composition du hamac et du lit militaire:
2 toiles de hamac à 7 fr. 78 Fr. 15 56 1 matelas 13 39 2 couvertures à 7 fr. 80 15 60 2 araignées à 0 fr. 25 0 50 2 anneaux à 0 fr. 25 0 50 2 rubans à 0 fr. 20 0 40 Total Fr. 45 95
Ceci est le prix du hamac tel qu'il est fabriqué par la Marine elle-même dans ses arsenaux. Si on veut y ajouter un drap du prix de 3 fr. 90, on atteint le total de 49 fr. 85. qui est bien celui que j'ai indiqué. Voici maintenant pour le lit militaire (en fer):
Chalets à tréteaux de fer. Fr. 9 » Un sommier métallique 17 » Un matelas avec enveloppe 37 » Un traversin 6 » 4 draps à 7 fr. 15 pièce 28 60 Une couverture 22 » Un couvre-pieds ou demi-couverture 11 » Total. Fr. 130 60
Ce total de 130 fr. 60 dépasse de 17 fr. 60 celui de 113 francs que j'indiquais dans mon article. J'avais calculé sur le lit en bois. Il en résulte que l'économie par unité n'est plus seulement de 64 francs mais bien de 81 francs, et celle que l'administration de la Guerre aurait pu réaliser pour les 250.000 hommes de la nouvelle classe est de 20.250.000 francs au lieu de 16 millions!
Pour ce qui est de la différence notable entre les prix payés par la Guerre et ceux payés par la Marine pour les draps, couvertures, matelas, il n'y a vraiment qu'une chose à en dire, c'est que la Guerre pourrait s'informer auprès de la Marine des procédés qu'elle emploie pour avoir ces fournitures à si bon compte.
«Il n'y a pas d'économies à faire sur l'entretien, dit-on encore: le soldat de terre ne lavant pas ses draps, ne pourra laver les toiles de hamac!»
C'est vraiment avoir trop mauvaise opinion du soldat français. Une foule de jeunes inscrits maritimes arrivant au service de la Marine ignorent l'art de laver une toile de hamac. Une leçon suffit pour le leur apprendre, et puis c'est fini pour la vie!
Enfin, et c'est ici la plus étonnante des objections faites à l'emploi du hamac dans l'armée, on m'écrit qu'un soldat ne pourrait se faire à une couchette telle que le hamac! Et pourquoi donc, s'il vous plaît? Nos marins sont-ils d'autres hommes que nos soldats? Pensez-vous que, tous petits, ils ont été habitués au hamac? Si cela peut être exact pour un faible nombre de pêcheurs de Terre-Neuve et d'Islande (et encore la plupart d'entre eux ont-ils à bord des couchettes en planches) l'énorme majorité des jeunes gens qui viennent à la Marine n'a connu auparavant que des lits plus ou moins confortables, mais lits tout de même. Et croyez bien qu'ils goûtent à leur première nuit de hamac le même repos que dans ces lits, si ce n'est un meilleur.
Donc, je me permets de conclure à nouveau que les plus fortes raisons de
propreté, de commodité, d'économie, plaident en faveur du hamac de marin
et veulent qu'on l'emploie pour nos soldats. Je sais bien qu'il y a la
terrible routine? Mais, qu'on fasse un essai! Beaucoup de jeunes gens
qui vont entrer au service s'y prêteraient volontiers.
Sauvaire Jourdan,
capitaine de frégate de réserve.
Il y a quelques mois, notre confrère le Matin entretenait ses lecteurs d'un nouveau système de portage aux colonies. Il s'agissait de pousse-pousse monoroue conduits par deux hommes qui en maintenaient en même temps l'équilibre. Et il était question également d'un truc indéversable à une seule roue, à traction humaine, pouvant porter les bagages des coloniaux en tournée.
Mais voici que, dans le même ordre d'idées, un nouvel appareil réalise un progrès encore sur les systèmes précédents. La photographie que nous reproduisons représente un véhicule à une seule roue et son mode d'attelage, avec un harnais spécial, qui peut servir à tous les animaux tracteurs, cheval, mulet, bouf porteur ou âne. La «broussette» ou voiture de brousse--imaginée par M. G. Brousseau, administrateur de lre classe à Madagascar--peut porter jusqu'à 1.000 kilos. Elle se compose, comme on peut le voir, de caissons en tôle situés au-dessous de l'axe de la roue et de brancards plats et rigides, d'une forme spéciale, s'appuyant sur un bât de 0 m. 90 de largeur. Ce dispositif permet d'équilibrer la charge comme dans un bateau.
Pour les transports aux colonies: la broussette,
voiture de brousse, à une roue, imaginée par M. Brousseau.
Conduit par deux hommes et un boeuf, ce nouvel appareil de portage peut faire le travail de 40 porteurs. Les caissons en tôle étant étanches, il peut traverser les rivières par ses propres moyens, avec une certaine charge. On voit les avantages, et surtout l'économie énorme qu'est susceptible de réaliser son emploi dans les régions de nos colonies où n'existent encore que des sentiers muletiers. Ajoutons que l'inventeur n'entend tirer aucun profit personnel des garanties que lui assurent ses brevets et qu'il est surtout soucieux de mettre à la disposition de l'administration coloniale, des colons et des indigènes, un appareil de transport appelé à rendre les plus appréciables services.
En opposant, dans notre numéro du 18 octobre dernier, l'Arc de triomphe, tout imprégné de génie latin, et le monument de Leipzig, chef-d'oeuvre de la «manière germanique», nous avons rappelé quelle fut cette bataille des Nations, «où 350.000 alliés--Autrichiens, Russes, Suédois, Anglais, Prussiens--vinrent à bout, après une lutte de quatre jours, de 157.000 Français». Il eût été juste de préciser--et c'est un de nos lecteurs de Pologne qui nous en fait la remarque--que dans nos rangs combattaient environ 1.400 Polonais, sous le commandement du prince Joseph Poniatowski. Nommé, pour son héroïsme, maréchal de France au début de l'action, il devait succomber dans la malheureuse retraite: après avoir vaillamment contenu les colonnes ennemies sur les bords de l'Elster, blessé à deux reprises et ne voulant pas se rendre, il se précipita, à cheval, dans le fleuve où il se noya. «Toute la Pologne, nous écrivait à la fin du mois dernier notre correspondant, commémore en ce moment la mort de son héros.»
Un vapeur de 6.000 tonneaux, ensablé depuis sept ans, à
30 mètres du rivage, sur une côte déserte du Guatemala.
--Phot. Hauff.
Il y avait jadis, pour quiconque allait la première fois à Belle-Ile, une facétie classique. Les loups de mer qui amenaient de Quiberon, sur leur barque, le «terrien», le Parisien, ne manquaient jamais de lui signaler, du large, tout au sommet de la falaise, sur le plateau, trois mâts bien gréés, dominant les vieux ormes et profilant sur le doux ciel breton le fin réseau de leurs manoeuvres: la «mâture», fichée en pleine terre, où s'exerçaient à la manoeuvre les apprentis marins de la colonie pénitentiaire. L'explication était plus stupéfiante encore que cette apparition insolite elle-même: une grande tempête avait hissé là, à 30 mètres de haut, ce navire tout équipé, et l'avait mollement déposé sur le gazon.
Pourquoi pas? Les pêcheurs dont les huttes de roseaux avoisinent la plage d'Ocos, au Guatemala, ont été, en 1906, témoins d'une fantaisie à peine moins extraordinaire de l'Océan.
Le vapeur Sesostris, de 6.000 tonnes, qui attendait en rade son chargement de café, fut surpris par un coup de vent avec ses feux éteints. Avant qu'il eût pu appareiller, il chassait sur ses ancres et se trouvait jeté à la côte à 30 mètres environ dans les terres. La mer, en se retirant, le laissa à sec. Il s'y trouve encore. «On n'a pas désespéré de le renflouer. On s'efforce de creuser un canal qui le remettra en communication avec son élément. En attendant, il demeure intact ou à peu près, avec presque tout son gréement, ses machines,--jusqu'au piano de son carré. Tout cela, en bon état, est confié à la garde d'un nègre qui, installé à bord, est bien le Guatémalien le mieux logé du pays. C'est la vie de bord sans le roulis, sans le tangage, sans le mal de mer,--l'idéal, enfin, si l'idéal était de ce monde.
Les marins d'aujourd'hui n'ont guère plus, comme avaient les navigateurs d'autrefois pendant les longues traversées à la voile, le loisir de se livrer à l'observation des phénomènes physiques. Il y a plus d'un siècle un marin nantais, le capitaine René Fruneau, avait fait, durant ses navigations dans les mers de l'Inde et dans le Pacifique qu'il parcourut en tous sens pendant près de trente ans pour le compte de compagnies de commerce, une curieuse découverte qu'il nous conte en ses mémoires et que nous signale un de nos abonnés, M. César Morel, administrateur en chef de l'Inscription maritime.
Un jour, voguant à l'ouest de l'île Luçon, Fruneau vit monter du sein de la mer une grande quantité de globules, qui s'épanouissaient à la surface en petits cercles «huileux ou bitumeux», et s'éparpillaient aussitôt en tourbillonnant; il parvint à recueillir dans un verre la valeur de deux cuillerées de cette huile «ou bitume» qui, le soir venu, apparut phosphorescente; quelques heures après, au calme plat succéda une effroyable tempête. Et huit fois, au cours de ses traversées ultérieures, il eut l'occasion de voir ainsi monter et émerger, par temps absolument calme, ces étranges globules; huit fois une tempête épouvantable s'ensuivit.
Nous ne croyons pas que ce phénomène ait été signalé par d'autres que par le capitaine René Fruneau, ni qu'il ait été jamais observé ailleurs qu'en ces régions où les eaux reposent sur des fonds de nature plus ou moins volcanique et éruptive,--ce qui pourrait peut-être expliquer l'ascension de ces globules de «bitume» précédant une perturbation des éléments.
Cet homme de mer était, d'ailleurs, d'une fertile ingéniosité. Il signale, en ses mémoires, le danger «de faire travailler des poudres par temps sec et froid, avec des vêtements de laine, lesquels, dans ces conditions, dégagent des étincelles». Il avait découvert aussi--n'en ayant jamais entendu parler auparavant--et utilisait souvent, pour aborder certaines îles en dépit du ressac, les propriétés du filage de l'huile de coco dont il était toujours abondamment pourvu.
Enfin, par calme plat, son navire n'avançant plus, il avait imaginé de faire, sur un coup de sifflet, courir autour du pont son équipage poussant de soudaines et formidables clameurs; cela--nous assure-t-il--produisait un tourbillon qui se propageait dans l'atmosphère; il n'en fallait pas plus; la brise était provoquée, les voiles à nouveau se gonflaient...
On a longtemps considéré que l'oeuf, protégé par sa coquille, doit nécessairement échapper à l'invasion des micro organismes. Cette opinion a été combattue par des observateurs qui s'appellent Zimmermann, Poppe, et, chez nous, Chrétien. Il semble cependant qu'elle corresponde à la réalité. M. Otto Maurer, directeur de la station expérimentale du Kansas, vient, en effet, d'établir, par toute une série d'observations patientes ayant porté sur plus de 6.000 oeufs, que la coquille et surtout la mince pellicule continue qui la tapisse à l'intérieur opposent un obstacle infranchissable à la propagation des germes venus du dehors. Par contre, M. Maurer a mis en évidence les dangers d'infection qui menacent ces conserves de jaune et de blanc séparés, dont la préparation porte, en Amérique seulement, sur plus de 400.000 oeufs par jour, et auxquelles l'industrie assure des débouchés considérables: s'il est vrai que certains microbes, le B. subtilis, le B. anthracis, le Proteus Zeukeri notamment, sont rapidement détruits quand ils sont mis en contact avec la substance propre d'un oeuf frais, la plupart des autres y vivent et y prolifèrent très bien. On peut même admettre que toute conserve d'oeuf qui ne présente aucun signe manifeste de décomposition commençante est dépourvue de nocivité, et inversement.
C'est dire que l'industrie spéciale qui s'occupe de la conservation des oeufs «séparés» doit effectuer toutes ses manipulations avec la plus rigoureuse propreté, et qu'il importe de nettoyer très soigneusement les coquilles des oeufs mis en oeuvre par elle pour éviter la propagation au blanc et au jaune des germes qui les souillent à l'extérieur. M. Otto Maurer vient de montrer, en outre, qu'en soumettant les oeufs pendant deux heures à une température de 70°, de manière à les dessécher légèrement, on réduit considérablement les chances de leur infection, sans modifier en rien ni leur composition chimique ni leur goût, et par conséquent sans diminuer leurs qualités commerciales.
LE VOYAGE D'UNE LOCOMOTIVE, DANS L'ESPACE.
--Une machine
de 20 tonnes passée par des câbles transbordeurs, d'une rive à l'autre,
au-dessus de la Grande-Rivière (Nouveau-Mexique).
Communiqué par le
Scientific American.
Depuis longtemps déjà on utilise les transbordeurs aériens pour mettre en communication les deux versants d'une vallée. Entre deux pylônes d'une portée souvent considérable sont tendus des câbles sur lesquels roulent des chariots électriques où pendent des wagonnets chargés d'objets divers: minerais, matériaux de construction, vivres, etc. Certains transbordeurs sont même affectés au transport des voyageurs. En voyant notre photographie, il est permis de se demander où s'arrêtera l'audace des ingénieurs dans les emplois de ce genre de locomotion. La machine qu'on aperçoit suspendue dans le cagnon de la Grande-Rivière (Nouveau-Mexique) pèse 20 tonnes; les chariots qui la supportent à 100 mètres au-dessus de l'eau circulent sur des câbles amarrés à des pylônes distants de près de 400 mètres. Il a suffi de presser sur un bouton électrique pour envoyer cette énorme masse d'une rive à l'autre du torrent que n'enjambe aucun pont assez solide, et la grandeur du paysage accentue ici l'impression de force et de puissance que donne cette manifestation du génie humain.
Note du transcripteur: ce supplément ne nous a pas été fourni.