The Project Gutenberg eBook of La Comtesse Mathieu de Noailles This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this ebook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook. Title: La Comtesse Mathieu de Noailles Author: René Gillouin Release date: December 8, 2013 [eBook #44390] Language: French Credits: Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA COMTESSE MATHIEU DE NOAILLES *** Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. Les mots et phrases imprimés en gras dans le texte d'origine sont marqués =ainsi=. COMTESSE DE NOAILLES Il A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE: _Dix exemplaires sur Japon impérial, numérotés de 1 à 10 et douze exemplaires sur Hollande, numérotés de 11 à 22._ No **** Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays, y compris les pays scandinaves. [Illustration: COMTESSE MATHIEU DE NOAILLES] _LES CÉLÉBRITÉS D'AUJOURD'HUI_ La Comtesse Mathieu de Noailles PAR RENÉ GILLOUIN BIOGRAPHIE CRITIQUE ILLUSTRÉE D'UN PORTRAIT-FRONTISPICE ET D'UN AUTOGRAPHE SUIVIE D'OPINIONS ET D'UNE BIBLIOGRAPHIE [Illustration] PARIS BIBLIOTHÈQUE INTERNATIONALE D'ÉDITION _E. SANSOT & Cie_ 7, RUE DE L'ÉPERON, 7. MCMVIII [Illustration] LA COMTESSE MATHIEU DE NOAILLES La comtesse Mathieu de Noailles descend par son père de la puissante maison valaque des Bibesco, devenus Brancovan par adoption au milieu du XIXe siècle. Son grand-père Georges Bibesco, hospodar de Valachie de 1843 à 1848, avait épousé une princesse moldave de race grecque, Zoé Mavrocordato, fille adoptive du dernier des princes Bassaraba de Brancovan. Celui-ci vécut assez pour adopter également le fils aîné de Georges Bibesco et de Zoé Mavrocordato, Grégoire, à qui furent transférés tous les titres, privilèges et dignités de l'antique famille des Brancovan. La princesse actuelle de Brancovan, sa veuve, mère de Constantin de Brancovan que Paris a connu directeur de la _Renaissance latine_, et de Mesdames la comtesse de Noailles et la princesse de Chimay, appartient à la famille grecque orientale des Musurus, où la haute culture est traditionnelle. Un cardinal Musurus fut l'ami et le collaborateur d'Erasme, et l'auteur d'une recension de Platon. Le père de Madame de Brancovan, Musurus Pacha, ambassadeur de Turquie à Londres, a laissé une traduction de Dante en grec ancien. On sait quelle admirable pianiste est la princesse de Brancovan elle-même.. Le mélange en Madame de Noailles des sangs des Bibesco, des Musurus et des Mavrocordato peut expliquer, ou au moins symboliser, la diversité de son génie âpre et viril, mol, pliant et passionné, amoureux pourtant de raison et de mesure. * * * * * L'enfance de Madame de Noailles s'est partagée entre Paris où elle est née et la Haute-Savoie où la princesse de Brancovan passe plusieurs mois chaque année en son château d'Amphion, sur les bords du lac de Genève. Cette région de la Haute-Savoie est un pays à deux visages, l'un tendre et presque voluptueux, où déjà s'empreint la mollesse italienne, l'autre, touché de la rudesse alpestre, où l'expression de la passion se nuance de gravité, de concentration et de profondeur. C'est celui-ci surtout qu'en ses jeunes années aimait à contempler Madame de Noailles. Les souvenirs de Saint François de Sales et de Jean-Jacques Rousseau en précisaient pour elle le sens émouvant, et c'était toute une sensibilité catholique et romantique dont s'imprégnait son coeur précoce: Un romanesque ardent émanait de cette eau Comme au temps de Byron, comme au temps de Rousseau... C'était une sublime, immense rêverie... --Soir des lacs, bercement des flots, rose coteau, Village qu'éveillait le remous d'un bateau, Petits couvents voilés par des aristoloches, Senteur des ronciers bleus, matin frais, voix des cloches Voix céleste au-dessus des troupeaux, voix qui dit: «Il est pour les agneaux de luisants paradis»... Barque passant le soir en croisant ses deux voiles Comme un ange attendri courbé sous les étoiles, C'est vous qui m'avez fait ce coeur triste et profond, Si sensible, si chaud que l'univers y fond.[1] [1] _Les Éblouissements_, p. 211. Les jardins et la campagne d'Amphion sont à la source de ce qu'il y a de plus pur et de plus pénétrant dans le sentiment de la nature de Madame de Noailles. * * * * * Ce sentiment se manifesta chez elle de bonne heure, non-seulement avec une rare intensité, mais avec une qualité tout originale. Un jour de sa toute enfance, au cours d'une promenade elle entendait les grandes personnes causer de _décorations_. Ayant demandé qu'on lui expliquât ce mot nouveau pour elle: «les décorations, lui fut-il répondu, sont la récompense des belles actions». A ce moment les promeneurs passaient sous un magnifique acacia qui embaumait: «Eh bien! s'écria l'enfant, pourquoi ne décore-t-on pas cet acacia?» Petite fille issue du panthéiste Orient, le premier mouvement de son coeur en face de la nature est celui même de Xerxès chargeant de bracelets et de colliers son fameux platane. «Tout ce qui vit ici,» écrira-t-elle plus tard, Tout ce qui vit ici, la fontaine, le banc, La cloche du jardin qui sonne, Le délicat cerfeuil qui frise sous le vent _Sont pour moi de douces personnes_.[2] [2] _Les Eblouissements_, p. 253. L'autre amour de Madame de Noailles enfant, ce fut la musique, l'Art-Femme, synthèse obscure de tout idéalisme et de toute sensualité. Des années, comme dans les jardins, elle a vécu dans la musique sans savoir que c'était son plaisir, sa douleur, sa plénitude. Coeur puéril et passionné que le désespoir solitaire, tendu, sublime de Beethoven, l'ardeur molle et brisée de Chopin, ses sonates Dont l'andante est si fort que la main sur son coeur On ne sait si l'on meurt de peur ou de bonheur,[3] la nostalgie fiévreuse, la mortelle irritation de Wagner contractaient jusqu'à l'oppression, exaltaient jusqu'au délire! [3] _Les Eblouissements_, p. 302. Mais quel vertige amer et quel trouble profond! Le livide plaisir s'emplit d'ombre et d'angoisse; Musique, qui nous tient, nous lie et nous terrasse, Que tes jeux sont aigus et quel mal ils nous font![4] [4] _L'Ombre des jours_, p. 120. Et penchons-nous sur la rêverie de Sabine de Fontenay,--cette héroïne de la _Nouvelle Espérance_ où Madame de Noailles a tant mis d'elle--tandis qu'elle écoute chanter son cousin Jérôme: «Ah! la musique, la musique! l'homme et la femme si misérables, l'amour si impossible, tout si triste et si bas autour d'eux, et la musique qui leur fait en rêve ces corps de lumière, ces bouches de larmes et de suavité, ces regards plus déchiffrés et plus adhérents que les mains autour des cous renversés... Mon Dieu! pensait-elle, comme cela fait mal et pourquoi toujours cette vague attente du baiser?»[5] Perçoit-on dans cette effusion lyrique le double aspect d'idéalisme et de sensualité par quoi nous caractérisions la musique elle-même? Au cours de cette étude se préciseront les analogies qui font de Madame de Noailles le plus _musical_ de nos poètes. [5] _La Nouvelle Espérance_, p. 33. A quinze ans, elle eut une crise de mysticité où ses lectures favorites furent l'_Imitation_, et Pascal qu'elle ne comprenait guère, mais qui l'émouvait puissamment. Elle n'en goûtait pas moins d'ailleurs et Racine, et Hugo, et Musset, et Loti. C'est plus tard seulement qu'elle connut et aima la Grèce, par les poètes épigrammatiques et Anatole France. Mais l'évènement intellectuel de son adolescence, ce fut la découverte de la philosophie de Taine. Une après-midi de printemps dont elle a gardé l'exacte mémoire, sur une colline près de Monte-Carlo, dans le soleil et l'odeur des fleurs, quelqu'un en qui elle avait mis sa confiance lui expliqua que le vice et la vertu sont des produits comme le vitriol et le sucre, et tout ce qui s'ensuit pour la morale et la métaphysique. Chaque parole de l'initiateur écartait un voile, dissipait un rêve, ruinait un espoir; mais de la mer étincelante sous le soleil éternel, de la flûte d'un pâtre assis au bord du chemin et de son désespoir même jaillissait pour elle un frénétique appel à jouir de cette vie si courte... O indigente et basse philosophie! Que de jeunes esprits n'a-t-elle pas vainement désolés, quand encore elle ne les a pas pervertis! Et c'est assurément un problème de savoir comment et dans quelle mesure l'erreur peut engendrer la vérité ou se revêtir de beauté, mais le fait est que la philosophie de Taine, utile en son temps à l'avancement des études psychologiques, s'étant infiltrée d'autre part dans la sensibilité romantique, fond commun de tous les poètes du siècle, y a formé la source encore aujourd'hui jaillissante d'un pathétique nouveau et déchirant. Madame de Noailles l'a elle-même finement noté, chez Musset, et on peut étendre cette observation à tous les artistes de son époque, le désespoir est sans âcreté, et le bonheur sans ironie. Or c'est l'inévitable effet d'une telle philosophie, avec ses négations brutales, et le divorce radical qu'elle accuse entre nos aspirations et la réalité, d'introduire dans la sensibilité un principe, soit d'âcreté, soit d'ironie. Barrès, qui excelle à cumuler les bénéfices de positions contradictoires, a développé dans l'une et l'autre direction son romantisme, et, pour tout dire, aggravé son mal tellement, qu'il dut enfin se mettre en quête d'un remède. Dans l'oeuvre de Barrès qu'elle sait par coeur, Madame de Noailles a bu à longs traits le poison,--et repoussé le remède, qui d'ailleurs, pour des raisons aisées à saisir, ne lui convenait en effet nullement; de sorte que sous son génie accablée elle défaille, sans qu'on voie d'où lui viendrait le secours. * * * * * Sa vocation s'affirma de très bonne heure. Vers sa dixième année elle vit venir en visite à Amphion, à quelques jours d'intervalle, un prince régnant et Frédéric Mistral. Elle vénéra, adora Mistral et négligea le prince. Dès lors son choix était fait: déjà elle s'essayait à versifier... Peu d'années plus tard, à Paris, sans cesse elle entraînait sa gouvernante vers le lycée Janson, où l'attirait invinciblement le visage de Pascal. Après avoir de 11 à 16 ans couvert de prose de volumineux cahiers, elle revint à la poésie. C'est seulement en 1901, après son mariage, qu'elle publia son premier livre, le _Coeur innombrable_, depuis assez longtemps déjà achevé. Puis parurent l'_Ombre des Jours_ (1902), la _Nouvelle_ _Espérance_ (1903), le _Visage Emerveillé_ (1904), la _Domination_ (1905), les _Eblouissements_ (1907): trois romans, trois recueils de poèmes. Dès son premier livre elle saisit l'opinion, ne fut indifférente à personne. Elle eut des détracteurs passionnés qui feignaient de croire que son nom, sa situation mondaine et sa beauté constituaient l'essentiel de son génie; des adorateurs persuadés que leur enthousiasme eût été le même si elle eût été pauvre, laide, et se fût appelée Durand; des admirateurs mesurés, plus ou moins sensibles à la nouveauté et à l'abondance de son inspiration, ou aux imperfections de sa forme:--envie, admiration, amour, aube éclatante de sa jeune gloire... Au vrai, pour tout esprit non prévenu, son génie est incontestable; et c'est une question intéressante de savoir si et en quoi sa situation mondaine a pu la servir ou lui nuire. Pour un homme, et plus encore pour une femme qui se voue à l'art, il est trop clair qu'un grand nom, une belle fortune présentent des avantages pratiques inappréciables. Encore ne vont-ils point sans quelque inconvénient. La part qui est due à la mode dans un succès s'épuise vite: le dernier livre de vers de Madame de Noailles, les _Eblouissements_, ne semble pas avoir reçu, au moins dans la presse, un accueil aussi chaud que le _Coeur innombrable_ et l'_Ombre des Jours_, et pourtant il leur est aussi supérieur que l'est la _Nouvelle Espérance_ au _Visage_ et à la _Domination_. Mais c'est surtout au point de vue de son développement intérieur que l'artiste dans des conditions extérieures trop favorables trouve de graves périls. Surveillé et limité par son milieu il surveille et limite à son tour ses sentiments, ou au moins leur expression; il n'ose pas oser, perdre la pudeur, ce qui est la condition première de tout art. Isolé d'ailleurs de la vie, il ne sait ou ne veut pas se mettre en quête d'elle, et si parfois il la rencontre, il ne s'en rend point le maître, ignorant du rude effort qu'il y faut. Or de ce double péril Madame de Noailles a été préservée par la sincérité entière, irréductible de sa nature et par sa prodigieuse perméabilité à toutes les émotions. Sincérité, candeur, spontanéité, naïveté, ingénuité, autant de mots qui d'eux-mêmes, qu'on la lise ou l'écoute, vous viennent aux lèvres. «Sabine, écrit-elle, et on est invinciblement tenté de lui appliquer à elle, la part faite à beaucoup d'ironie, cette caractéristique de son héroïne, «Sabine discutait, affirmait comme on fait un serment; elle avait toujours l'air de dire à la suite de ce qu'elle énonçait: «Je vous jure que c'est ainsi»; elle prononçait: «Cela est vrai...» sur le ton dont elle aurait crié: «J'ai soif...» avec une assurance puisée au lieu même de la certitude physique et du besoin...»[6]. Plus peut-être qu'il n'eut fallu parfois pour son repos, Madame de Noailles a le courage d'elle-même et de toute elle-même. Quant à sa sensibilité, en fut-il jamais de plus aisément blessable, de plus continûment frémissante? Je l'ai vue s'émouvoir jusqu'aux larmes à la soudaine évocation d'un chagrin vieux de vingt ans. Sensible, comme Sabine «jusqu'au trouble de l'esprit et jusqu'au malaise physique», Madame de Noailles ignore la paix et le repos des nerfs, sinon du coeur: Je suis l'être que tout enivre et tout afflige... Et je vis étonnée, aveuglée, éblouie, Sachant bien que pourtant la détresse inouïe A depuis mon enfance exalté tous mes jours... Hélas! je vis, toujours errante et toujours ivre Je vis, pleine d'azur, de sanglots, de souhaits... [6] _Nouvelle Espérance_, p. 16. Qu'avez-vous fait, demande-t-elle à ses vers De ces désirs, ces cris, ces éblouissements Si tendres, si joyeux, si tristes, si sensibles Qu'un autre être que moi ne les croit pas possibles, Et s'il portait mon coeur mourrait d'épuisement? Remarque-t-on la force des expressions: enivrée, pâmée, exaltée, éblouissements, détresse, épuisement? Chez Sabine, écrit encore Madame de Noailles, «la flamme montait des profondeurs du sang, faisait sur la pensée, sur la raison, danser son rouge incendie. Nulle réserve, nul jugement en cet esprit que la première vague emplissait...» La tendance ou la tentation du poète, c'est de faire ou de laisser _donner_ en chaque occasion sa sensibilité tout entière. Le péril, bien différent de celui qu'on eût pu craindre, c'est dès lors que sous ce flot innombrable et monotone de sensibilité les plans et les reliefs de son univers s'atténuent jusqu'à disparaître, c'est que ses sentiments et leurs objets les uns par rapport aux autres ne s'ordonnent ni ne se situent. Et sans doute ce péril-là s'aggrave-t-il des conditions mêmes d'une vie trop facile. A Madame de Noailles comme à ce Philippe l'Arabe que Barrès nous montre réduit à une extrême ingéniosité pour satisfaire son besoin de s'attendrir, les circonstances ont composé une solitude: certaines expériences douloureuses, les unes inutiles, les autres utiles, indispensables peut-être, lui sont suivant le point de vue, épargnées ou interdites; elle s'enivre, elle _meurt_ d'émotions que néglige l'ordinaire des malheureux: Si l'on t'avait appris qu'un coeur toujours malade Et blessé chaque soir d'ombre et de volupté Ne goûte qu'en mourant l'odeur des roses thé Dans l'air chaud remué par les cris des pintades...[7] [7] Les _Eblouissements_, p. 311. Défaut charmant, trop charmant, mais défaut pour un poète accessible d'ailleurs aux sentiments généraux et profonds, à ceux que suscitent la Nature, l'Amour et la Mort, identiques dans toutes les conditions humaines. La pente naturelle de Madame de Noailles est à une certaine exagération, et les circonstances ont dû accentuer plutôt qu'atténuer cette inclination, qu'une raison suffisamment ferme n'est pas venue jusqu'ici réfréner. Mais cette réserve faite, hâtons-nous de reconnaître que l'originalité profonde de Madame de Noailles est indépendante de toute condition extérieure, s'il est vrai qu'à aucun poète de sa génération il n'a été donné de reprendre et de renouveler aussi puissamment quelques-uns des thèmes éternels du lyrisme. * * * * * Je ne sais qui a dit que s'il était une petite fille qui fût née sous un chou, c'était certainement Madame de Noailles. Le mot est joli, mais un peu injuste. Sans doute les jardins, même potagers, ont leur part dans l'amour de Madame de Noailles; et ne faut-il pas remercier le poète qui le premier sut dégager l'humble beauté de nos légumes? Mais en vérité ce n'est pas assez dire que d'appeler Madame de Noailles la Muse des Jardins. Que l'on considère son oeuvre d'ensemble: c'est bien à la Nature qu'elle est dédiée comme une magnifique offrande, à la toute puissante, à l'universelle Nature, à celle de Lamartine, de Vigny et de Hugo: Nature au coeur profond sur qui les cieux reposent Nul n'aura comme moi si chaudement aimé La lumière des jours et la douceur des choses, L'eau luisante et la terre où la vie a germé...[8] [8] _Coeur_, p. 7. Ce que Madame de Noailles apporte de nouveau, et par quoi elle se manifeste bien de ce temps où Baudelaire et les naturalistes ont joint leurs influences à celle des grands Romantiques, c'est une sensualité inépuisable, unie à une extrême précision descriptive. Elle jouit et souffre de la nature par tous les sens, par le goût surtout, l'odorat et la vue, et par cette sensibilité générale et profonde, particulièrement abondante chez la femme, jusqu'à former comme un sixième sens, à la faveur duquel les sensations des autres se mêlent, se confondent et se multiplient. Elle peut analyser en huit strophes, étonnantes d'invention verbale, les _Saveurs de l'air_: Mon Dieu! que j'ai goûté la douce odeur de l'air, De l'air charmant, glissant et clair Odeur simple au matin, et le soir si chargée De feu, de lueur orangée![9] [9] _Eblouissements_, p. 39. Elle voudrait absorber l'univers comme une enivrante liqueur: Il n'est pas suffisant qu'on regarde et qu'on touche Les vergers odorants et verts; Je voudrais n'être plus qu'une amoureuse bouche Qui goûte et qui boit l'univers[10]. [10] _Eblouissements_, p. 264. A savourer les parfums elle apporte le même mélange de sensualité et d'analyse: Mon coeur est un palais plein de parfums flottants Qui s'endorment parfois aux plis de ma mémoire... Parfum des fleurs d'avril, senteur des fenaisons, Odeur du premier feu dans les chambres humides, Aromes épandus dans les vieilles maisons...[11] [11] _Coeur_, p. 69, id. Sur les mains _Eblouissements_, p. 343. Il n'est pas jusqu'à l'image visuelle elle-même, aussi nette, aussi intense que chez Hugo, qui, au lieu de rester comme chez celui-ci et conformément à son usage ordinaire, avant tout représentative, ne se prolonge immédiatement, elle aussi, en sensualité: O pulpe lumineuse et moite du ciel tendre! Espace où mon regard se meurt de volupté, O gisement sans fin et sans bord de l'été, Azur qui sur l'azur vient reluire et s'étendre, Coulez, roulez en moi...[12] [12] _Eblouissements_, p. 162. Après cela, on ne s'étonnera pas que Madame de Noailles soit de tous ses nerfs accessible aux mille influences des saisons, du jour et de l'heure. Avec une inlassable et subtile complaisance, elle a noté les multiples aspects de la changeante nature, ses complicités et ses désaccords avec la mobile humanité. C'est le «printemps vert amer»: Un oiseau chante, l'air humide Tressaille d'un fécond bonheur, Un secret puissant et languide Traîne sa vapeur, sa moiteur...[13] [13] _Eblouissements_, p. 88. C'est le languissant, le luxurieux été: C'est l'été, je meurs, c'est l'été... Un désir indéfinissable Est sur l'univers arrêté Ah! dans les plis légers du sable Le tendre groupe projeté D'un rosier blanc et d'un érable! Le coeur languit de volupté...[14] [14] _Eblouissements_, p. 67. C'est l'automne: Comme toutes les voix de l'été se sont tues! Pourquoi ne met-on pas de mantes aux statues? Tout est transi, tout tremble et tout a peur; je crois Que la bise grelotte et que l'eau même a froid. Les feuilles dans le vent courent comme des folles...[15] [15] _Coeur_, p. 83. Et c'est l'hiver enfin, le rude et consolant hiver, L'hiver sans volupté, sans chants et sans odeur[16] [16] _Ombre des Jours_, p. 53. Voici la douceur du matin: Candide, charmant Comme une fleur qui naît et comme un pépiement. Tout est plus jeune encor que l'enfance...[17] [17] _Eblouissements_, p. 100. Voici Midi paisible: Midi glisse et languit, la vie est assoupie... Repos dans la nature ardente! Les demeures Ont laissé retomber les doux stores d'osier Rien ne bouge; on dirait que des insectes meurent Entre le sable chaud et l'ombre des rosiers. On n'a pas de regrets, pas de désir, pas d'âge[18] [18] _Eblouissements_, p. 28. Voici un après-midi de juillet dans la maison: A l'ombre des volets la chambre s'acclimate; Le silence est heureux, calme, doux, attiédi, Pareil au lait qui dort dans une fraîche jatte; La pendule de bois fait un bruit lent, hardi, Semblable à quelque chat qui pousse avec sa patte Les instants, dont l'un chante et l'autre est assourdi.[19] [19] _Ibid._, p. 129. Voici un Crépuscule au Jardin: O divin crépuscule, odeur de roses blanches! Le soir est du soleil arrêté dans les branches. Les arbres des jardins épandent leurs rameaux Et partagent la paix triste des animaux; Tout est pensif, chargé de désir et de rêve, Une vapeur descend, une autre se soulève... Le tilleul inquiet, l'érable faible et blanc Font un geste secret, désespéré, tremblant...[20] [20] _Eblouissements_, p. 307. Voici une sensation d'avant l'orage: Ah! je ne savais pas ce que c'était, c'était La lente oppression qui précède l'orage... J'appuyais mes deux mains sur mon coeur; j'écoutais Frémir en moi la peur, la soif, la triste rage, Je me levais, j'allais, les doigts en éventail, Un sang rapide et chaud étourdissait ma tête...[21] [21] _Eblouissements_, p. 130. Voici des impressions d'après l'ondée: Dieu merci la pluie est tombée En de fluides longues flèches, La rue est comme un bain d'eau fraîche, Toute fatigue est décourbée... Un parfum de verdure nage Dans toute cette eau renversée; A petites gouttes pressées L'été s'évade du naufrage.[22] [22] _Ombre des Jours_, p. 63. Mais la sensibilité de Madame de Noailles se limite rarement à la volupté passive de la sensation pure. Non contente de ressentir l'univers, elle veut le posséder, s'abîmer en lui, l'abîmer en elle. Voyez, s'écrie-t-elle, Voyez de quel désir, de quel amour charnel De quel besoin jaloux et vif, de quelle force Je respire le goût des champs et des écorces. Je vivrai désormais près de vous, contre vous, Laissant l'herbe couvrir mes mains et mes genoux, Et me vêtir ainsi qu'une fontaine en marbre...[23] [23] _Coeur_, p. 58. Son voeu le plus cher, c'est d' Etre dans la nature ainsi qu'un arbre humain, Etendre ses désirs comme un profond feuillage, Et sentir, par la nuit paisible et par l'orage, La sève universelle affluer dans ses mains.[24] [24] _Coeur_, p. 73. Saisit-on ce mélange perpétuel, cette constante fusion de l'homme et de la nature? Rire, fraîcheur, candeur, idylle de l'été! Tout m'émeut, tout me plaît, une extase me noie, J'avance et je m'arrête; il semble que la joie Etait sur cet arbuste, et saute dans mon coeur! Je suis pleine d'élan, d'amour, de bonne odeur, Et l'azur à mon corps mêle si bien sa trame, Tout est si rapproché, si brodé sur mon âme, Qu'il semble brusquement à mon regard surpris Que ce n'est pas le pré, mais mon oeil qui fleurit Et que, si je voulais, sous ma paupière close, Je pourrais voir encor le soleil et la rose[25] [25] _Eblouissements_, p. 268. De tels accents sont très nouveaux dans notre littérature. Ils différencient Madame de Noailles non seulement des naturalistes qui décrivent la nature comme une réalité étrangère, mais d'un Chateaubriand, d'un Hugo, que la nature émeut certes profondément, mais qui devant elle n'en restent pas moins, si l'on peut dire, intérieurs à eux-mêmes. D'un mot et dans tout le sens de ce mot, la sensibilité de Madame de Noailles est panthéiste, jusque-là que la certitude d'une union plus étroite avec la nature dans la mort (étrange illusion, pour le dire en passant, de croire qu'on sera plus proche de la nature mort que vivant) lui tient lieu des espérances qu'on demande d'ordinaire à la religion: Je ne souhaite pas d'éternité plus douce Que d'être le fraisier arrondi sur la mousse...[26] et encore: O mort, vraiment pourrez-vous faire, Ayant dissous mon coeur content, Que je sois ce que je préfère: Un éclat d'azur dans le temps?[27] [26] _Eblouissements_, p. 211. [27] _Eblouissements_, p. 289. Telle est la puissance de cet amour qu'il empiète sur le domaine ordinaire des autres amours, amour humain: Les forêts, les étangs et les plaines fécondes Ont plus touché mes yeux que les regards humains[28] [28] _Coeur_, p. 7. Amour divin: Moi qui ne peux pas croire aux promesses des cieux, Je vous adore avec la part qu'on donne à Dieu[29] [29] _Eblouissements_, p. 211. De fait, si Madame de Noailles prie, c'est vers le soleil que monte sa prière: C'est ma prière unique et ma foi naturelle De plier mes genoux orgueilleux sur tes pas...[30] [30] _Eblouissements_, p. 141. Ma joie est un jardin dont vous êtes la rose, Enorme soleil d'or, flamme en corolle éclose, Héros, d'ardents regards et de flèches armé, Soleil, mille soleils en vous seul enfermés!... Moi seule, en vous voyant je prie et je chancelle...[31] [31] _Ibid._, p. 81-86. Mais non plus que l'amour, l'adoration ne suffit encore à ce coeur qui ne se satisfait que du délire. L'aurore d'un beau jour d'été, lumière, azur, parfum, gazouillement d'oiseaux, bourdonnement d'abeilles, la remplit d'une ivresse dionysiaque: Vivre! chanter la gloire et le plaisir de vivre! --Et puisqu'on n'entend plus, ô mon Bacchus voilé Frissonner ton sanglot et ton désir ailé, Puisqu'au moment luisant des chaudes promenades On ne voit plus jouer les bruyantes Ménades, Puisque nul coeur païen ne dit suffisamment La splendeur des flots bleus pressés au firmament, Puisqu'il semble que l'âpre et l'enivrante lyre Ait cessé sa folie, ait cessé son délire, Puisque dans les forêts jamais ne se répand L'appel rauque, touffu, farouche du dieu Pan Ah! qu'il monte de moi, dans le matin unique, Ce cri brûlant, joyeux, épouvanté, hardi, Plus fort que le plaisir, plus fort que la musique, Et qu'un instant l'espace en demeure étourdi...»[32] [32] _Eblouissements_, p. 91. On le voit, l'attitude du poète en face de la nature correspond assez exactement, sauf quelque excès de sensualité peut-être, à l'image que nous pouvons nous former du Paganisme exalté des Mystères. Ce n'est pas la Grèce de la tradition universitaire, mais c'est une Grèce authentique. Une fois encore, par l'élan seul de son génie, Madame de Noailles renoue la chaîne interrompue de ses origines. Cependant, cette sensibilité si merveilleusement abondante, le seul amour de la nature suffira-t-il à l'absorber? Une âme moderne peut-elle se reposer dans le pur naturalisme? Il y a au fond de l'âme de Madame de Noailles, comme de tant d'âmes de son siècle, une inquiétude essentielle, une douloureuse ardeur de changement et de fuite, une fureur de toujours et de tout sentir: Qu'aucune flèche, aucune flamme, Aucune aride pâmoison Ne soit épargnée à cette âme Qui veut défaillir de frisson... Ah! goûter tout ce qui tourmente![33] [33] _Eblouissements_, p. 381. Si instable et oscillante est cette sensibilité qu'à la rigueur les extrêmes s'y touchent: Mon Dieu! mon Dieu! la paix touche au délire aussi![34], et que sans cesse par des transitions rapides et insensibles s'y transmuent l'une en l'autre la volupté et la douleur: Chère douleur, ô seul brisement délectable!... Vous par qui l'on sanglote et vous par qui l'on rit, Rire d'inconsolable et mortelle allégresse![35] [34] _Eblouissements_, p. 26. [35] _Eblouissements_, p. 311. «Je n'ai pas le sens des degrés du plaisir, dit Sabine. Il n'y a qu'un plaisir, c'est ce qui fait mal...»[36] Désordonnés mouvements du coeur, dont la nature ne saurait être l'objet, non plus que la cause! Aussi bien la nature elle-même suscite au coeur qu'elle ne suffit point à combler la nostalgie d'un autre amour: Vaporeuse douceur de l'air tremblant et pur, Paysage d'été luisant sous ma fenêtre, Miel du soleil épars sur les coteaux d'azur, Allégresse du jour léger qui vient de naître... Vous dites: «Les splendeurs du matin clair sont là Pour que le jeune Adam et l'Eve langoureuse Reviennent habiter sous les larges lilas Prés de la source sourde, au fond de l'herbe creuse[37] [36] _Nouvelle Espérance_, p. 175. [37] _Eblouissements_, p. 359. Madame de Noailles a brodé une variation originale sur le thème romantique, qu'on eût pu croire usé, de la solitude de l'homme dans la nature, après l'amour: ... Vous parlez, j'entends, vous me dites: «Pauvre âme, Tu ne pourras jamais être aussi bien en moi; Il faut que tu me voies comme l'étang me voit, Et que sans trop d'ardeur humaine tu t'emplisses De mes reflets dansants et de mes ombres lisses. Tu as trop de désir, trop d'espoir et d'orgueil... --Ah! nature, nature, épuisante nature Je vous entends; ainsi, je ne verrai jamais Vos sources, vos chemins, vos feuillures de mai, Sans qu'en mon coeur s'élance une blessure aiguë... Ah! le plaisir charmant et doux de la ciguë Qui balance sa fleur et son feuillage bas, Ah! cet oiseau qui chante et qui ne pense pas...[38] [38] _Ombre des Jours_, p. 124-125. Qu'on lise tout le poème, et puis qu'on relise le _Lac_ et la _Tristesse d'Olympio_; s'il n'a ni le sublime pathétique de l'un, ni la magnificence de l'autre, il a sur tous les deux la supériorité de la précision analytique. Ç'a été et c'est la tâche de quelques-uns des meilleurs écrivains d'aujourd'hui de préciser par l'analyse le vague constitutif de la sensibilité romantique. * * * * * Sur sa façon de sentir l'amour, Madame de Noailles est beaucoup plus brève que sur sa façon de sentir la nature. Dans ses trois volumes de vers, on trouverait à peine une douzaine de pièces consacrées à un sentiment qui remplit d'ordinaire les productions féminines, et ces pièces, si ingénieusement qu'on les rapproche, ne forment pas l'histoire d'un coeur. Trois ou quatre d'entre elles font allusion à des déceptions répétées, déceptions ordinaires, inévitables, mais particulièrement sensibles à ce coeur né pour souffrir. Je t'expliquais parfois cette peine que j'ai Quand le jour est trop tendre ou bien la nuit trop belle. Nous menions lentement nos deux âmes rebelles A la sournoise, amère et rude tentative D'être le corps en qui le coeur de l'autre vive; Et puis, un soir, sans voix, sans force et sans raison, Nous nous sommes quittés; ah! l'air de ma maison, L'air de ma maison morne et dolente sans toi, Et mon grand désespoir étonné sous son toit![39] [39] _Ombre des Jours_, p. 156. Mais quoi! C'est la destinée commune de tous les coeurs qui ont trop d'amour. Il y a de Saint-Paul un mot simple et profond: «Quoique, écrit l'apôtre, en aimant davantage, je sois peut-être moins aimé». Ainsi Madame de Noailles: Tu vas, toi que je vois, mon ombre, ô mon moi-même, Cherchant quelque épuisant et merveilleux bonheur, Mais l'espoir tremble, l'air est las, la vie a peur, Tu vas, ayant toujours plus aimé qu'on ne t'aime, Plus aimé, ou du moins plus âprement aimé, D'une plus imminente et guerrière détresse...[40] [40] _Ombre des Jours_, p. 149. Alors, sous l'intolérable douleur de la récente blessure, c'est un âpre, un ardent désir de silence, d'oubli, de mort: Ne plus aimer surtout, ah! c'est surtout cela!... Les yeux, les yeux, ne plus se souvenir des yeux Des yeux qu'on a aimés, mauvais comme des pierres! Ces yeux profonds, avec des flèches au milieu Ah! qu'ils ferment en nous leurs cils et leurs paupières! Amour, allez-vous-en pour qu'on puisse mourir...[41] [41] _Ibid._, p. 158. C'est le retour à l'apaisante nature: Maintenant je le sens, moi dont le coeur est tel Qu'aucun désir n'y peut demeurer long et grave, Je garde pour vous seule un amour immortel O beauté des jardins, indolente et suave![42] [42] _Ibid._, p. 160. Paix trompeuse, que viennent soudain traverser d'aigus, de déchirants souvenirs: L'ombre d'un autre coeur a de plus noirs détours Que la nuit orageuse, impénétrable et sombre; Eclairs des faux regards, phare du faux amour Où menez-vous l'espoir, qui se brise et qui sombre! Le passé vit en moi ce soir, ce trop chaud soir...[43] [43] _Ombre des Jours_, p. 165-166. O folie dont rien ne peut guérir! Ce coeur qui d'un si rude élan s'est porté vers l'amour jamais ne se déprendra de l'amour: Enfants, regardez bien toutes les plaines rondes, La capucine avec ses abeilles autour, Regardez bien l'étang, les champs, avant l'amour, Car après on ne voit plus jamais rien du monde. Après l'on ne voit plus que son coeur devant soi, On ne voit plus qu'un peu de flamme sur sa route, On n'entend rien, on ne sait rien, et l'on écoute Les pieds du triste Amour qui court ou qui s'asseoit.[44] [44] _Ombre des Jours_, p. 165. Qu'il vienne donc, le désirable et redoutable amour. Non seulement on consent à l'accueillir, mais de tout son être on l'appelle. Par une étrange fusion du caractère viril avec le féminin, l'amour dans l'oeuvre de Madame de Noailles n'est pas seulement passion, il est _action_, recherche et presque provocation. Un poème de l'_Ombre des Jours_ fait entendre cette curieuse plainte: Et je rentrais alors ivre du temps d'été, Lasse de tous cela, morte d'avoir été Moi le garçon hardi et vif, et toi la femme... Sabine de Fontenay, à la fin d'une soirée passionnée de musique, retient son cousin Jérôme. Ils sont là en face l'un de l'autre, elle confuse et misérable, lui nerveux et pâle. L'homme se dérobe: «Sabine, dit-il en tremblant, vous devriez aller vous reposer, il est tard, vous partez demain.--Et puis il se passa la main sur le front comme s'il voulait en arracher une pensée pesante, une douleur, et Sabine crut qu'il pleurait. Alors _elle le pressa contre elle d'une terrible tendresse_...»[45]. La même Sabine plus tard, la première fois qu'elle voit chez lui Philippe Forbier, un ami de son mari, éprouve une grande difficulté à partir, à le quitter, la seconde fois, avec la sûreté de l'instinct, prend une syncope, et la troisième se laisse tomber contre sa poitrine. La récente émancipation de la femme ménage aux amateurs de complexités psychologiques de précieux et neufs divertissements... Le miracle c'est que, si contraire à l'idée ou à l'idéal, sans doute un peu artificiels, que l'homme conçoit volontiers de l'amour féminin, l'amour chez l'héroïne de Madame de Noailles n'en garde pas moins une entière noblesse: il la doit avant tout à son courage, à l'élan sans restriction ni réserve qui le jette vers la douleur. Ce n'est pas Sabine de Fontenay qui, pareille à l'Homme libre de Barrès, s'arrête jamais avant de se nuire, mais elle se précipite sur toutes les pointes de la vie de façon à s'y déchirer. [45] _Nouvelle Espérance_, p. 92-93. * * * * * Au reste, cette analyse est loin d'épuiser la signification du mot amour chez Madame de Noailles. D'abord, et c'est un trait par où elle se révèle de lettres, l'amour n'est pas seulement pour elle ce sentiment étroit et tenace qui s'attache à un être particulier. Sabine un soir avec Philippe entend passer sous ses fenêtres une manifestation d'étudiants, et ce tumulte dans l'ombre l'enivre. «Qu'est-ce qu'il vous faut, à vous, lui demande Philippe tristement, qu'est-ce ce qu'il vous faut pour être heureuse»?--«Votre amour, répond-elle, puis elle ajoute: Et la possibilité de l'amour de tous les autres»[46]. Ainsi Madame de Noailles, dans l'exquis poème de l'_Ombre des Jours_: J'ai dit ce que j'ai vu et ce que j'ai senti, D'un coeur pour qui le vrai ne fut point trop hardi, Et j'ai eu cette ardeur par l'amour intimée Pour être après la mort parfois encore aimée, Et qu'un jeune homme alors lisant ce que j'écris, Sentant par moi son coeur ému, troublé, surpris, Ayant tout oublié des épouses réelles M'accueille dans son âme et me préfère à elles[47] [46] _Nouvelle Espérance_, p. 266. [47] _Ombre des Jours_, p. 170. Sabine, nous dit-on encore, par moments «ne savait plus vers qui allaient ses espoirs; cela s'étendait, devenait infini; elle imaginait des horizons de soleil immense, des foules venues vers elle, et elle la déesse de l'éternel désir»[48]. Etre la _déesse de l'éternel désir_: telle est la forme que prend dans un coeur féminin l'amour de la gloire. [48] _Nouvelle Espérance_, p. 314. Ce n'est pas tout encore. Le mot désir, comme le mot amour, est équivoque, ou plutôt multivoque, et la plupart des hommes n'usent de ces mots que dans un seul de leurs sens, dès lors en chaque cas aisément déterminable. Mais, selon une profonde remarque de Barrès, à certaines âmes, aux plus complexes et aux plus sensitives, le vocabulaire commun devient insuffisant; elles trouvent en elles une puissance infinie d'expansion, de jaillissement, elles disent désir, amour, et cela signifie, suivant le plan de leur vie intérieure sur lequel cette puissance se réalise, désir d'aimer, désir d'être aimée, amour de la nature, amour d'un être, amour de l'humanité, amour de la gloire, héroïsme, désir sans nom, pur amour. Nous avons parcouru déjà chez Madame de Noailles quelques-uns de ces sens du mot amour; nous y trouvons la plupart des autres. Et d'abord il y a en elle une immense pitié de la souffrance et de la misère humaines qui l'eût sans doute dévoyée vers l'humanitarisme, si l'influence de Barrès ne l'en eût heureusement détournée; je dis heureusement, car dans l'ordre de l'activité morale l'amour n'est rien sans le renoncement, le don de tout l'être, et c'est sans doute le vice profond de l'humanitarisme philanthropique de méconnaître cette vérité de principe; or Madame de Noailles ignore le renoncement. Mais qu'on lise les poèmes intitulés: _Fraternité_[49], _La Justice_,[50] _Les Malheureux_,[51] ou telles pages de la _Nouvelle Espérance_[52] et du _Visage Emerveillé_[53] sur les criminels: on y sentira palpiter une émotion sincère. «Quand j'étais petite, un soir, je revenais en voiture avec mon père, et nous avons rencontré sur la route un homme qui passait entre deux gendarmes. Mon père m'a dit: «Vois, c'est sans doute un voleur». Ah! le mot voleur, comme il m'avait fait peur, comme il est redoutable! et j'ai regardé. C'était, entre deux gendarmes, un homme pauvre qui avait l'air fatigué»! [49] _Coeur innombrable_, p. 167. [50] -- -- p. 171. [51] -- -- p. 174. [52] _Nouvelle Espérance_, p. 150-179. [53] _Visage_, p. 57. Mais la société d'élection de Madame de Noailles, ce sont les héros; la dernière et très belle pièce des _Eblouissements_ leur est dédiée. L'héroïsme devait tenter Madame de Noailles, étant l'état le plus élevé où atteignent les âmes qui unissent à une extrême générosité un vif sentiment d'elles-mêmes. Que d'autres cherchent l'air des bois, de la montagne, Et la brise des Océans, Je m'enfonce dans l'ombre où nul ne m'accompagne, Je respire chez les géants![54] [54] _Eblouissements_, p. 408. Et c'est une suite magnifique de virils accents, auxquels la dernière strophe seule mêle un accent très féminin: Je viens, portant sur moi la douce ardeur des mondes Et tenant les fleurs de l'été, Accueillez-moi ce soir dans l'ombre où se confondent _L'héroïsme et la volupté_! Ainsi Sabine de Fontenay s'écriait: «N'est-ce pas, l'héroïsme et la sensualité sont la même chose, l'héroïsme est la plus âpre sensualité?»[55] Et c'est assurément une question de savoir si certains états élevés peuvent être ainsi sensualisés impunément... [55] _Nouvelle Espérance_, p. 164. Tant de formes diverses de l'amour ont-elles enfin épuisé la source où elles s'alimentent? Madame de Noailles a insisté à diverses reprises, douloureusement, sur l'impuissance des mots ou des actes à égaler l'abondance et l'ardeur de sa vie intérieure: Je ne pourrais jamais exprimer mon desir L'ardeur qui me terrasse, Ni si les monts d'argent me prêtaient leur soupir Soulevé dans l'espace, Ni si le lis brûlant me donnait son odeur Dans l'azur infusée Ni si toute la mer se groupait dans mon coeur Pour jaillir en fusée!...[56] Tant de rêve, d'amour, de désir, tant d'élans, C'est un si grand martyre; Hélas! mourir un soir, le coeur encor brûlant Sans avoir pu tout dire...[57] [56] _Eblouissements_, p. 57-58. [57] _Ibid._, page 27. Avec cette angoisse parfois alterne cet état de plénitude supérieure où l'amour, comme s'il répugnait à se limiter en se déterminant, semble se prendre lui-même pour objet, et se reposer dans son infinitude: Je ne sais ce que j'aime; j'aime[58] [58] _Ibid._, p. 300. Mais l'amour ne saurait longtemps se soustraire à sa loi, qui est de se répandre; s'il a paru se replier sur soi, c'était pour s'accumuler; et s'il s'accumule, c'est pour plus puissamment jaillir. Le poète peut se rendre justement ce magnifique témoignage: Nul coeur humain jamais n'eut autant de frissons; Mon rêve est un si vif et si ardent buisson Que si j'ouvre mes bras où la tendresse abonde, Il tombe malgré moi de l'amour sur le monde! Amour d'artiste en dernière analyse, au moins pour la plus grande part, suspect à tort et à raison à l'apôtre et à l'homme de bien. Madame de Noailles en marque très exactement la qualité dans les vers qui suivent: Amoureuse du vrai, du limpide et du beau, J'ai tenu contre moi si serré le flambeau, Que, le feu merveilleux ayant pris à mon âme, J'ai vécu exaltée et mourante de flammes![59] [59] _Eblouissements_, p. 85. Et voilà, n'est-il pas vrai, un jour saisissant sur cet être étrange, le poète, victime sans dévouement, qui du feu qui le consume nous éclaire. * * * * * Dans les poèmes qui ont été inspirés à Madame de Noailles par la pensée de la mort, on retrouve le même mélange que nous avons déjà signalé chez elle de féminité et de fermeté virile. Et d'abord, Madame de Noailles redoute, plus que tout peut-être, cette mort avant la mort qu'est pour la femme la vieillesse. Qui n'a dans la mémoire le début de _Jeunesse_, avec sa seconde strophe dont on a le coeur serré comme d'une étreinte physique: Pourtant tu t'en iras un jour de moi, Jeunesse, Tu t'en iras, tenant l'Amour entre tes bras, Tu t'en iras, je pleurerai, tu t'en iras Jusqu'à ce que plus rien de toi ne m'apparaisse. La bouche pleine d'ombre et les yeux pleins de cris Je te rappellerai d'une clameur si forte Que pour ne plus m'entendre appeler de la sorte La mort entre ses mains prendra mon coeur meurtri[60] [60] _Ombres des Jours_, p. 3. La pièce qui ouvre les _Eblouissements_, d'une violence moins tendue, atténuée de mélancolie, est peut-être plus pathétique encore: Quelquefois, dans la nuit, on s'éveille en sursaut, Et, comme un choc qui brise et qui perce les os On songe au temps qui fuit, aux plus jeunes années, A l'aurore enflammant les vitres fortunées...[61] [61] _Eblouissements_, p. 3. Conformément à son génie, Madame de Noailles éprouve de la mort une horreur surtout physique: Et pourtant il faudra nous en aller d'ici Quitter les jours luisants, les jardins où nous sommes, Cesser d'être du sang, des yeux, des mains, des hommes, Descendre dans la nuit avec un front noirci, Descendre par l'étroite, horizontale porte, Où l'on passe étendu, voilé, silencieux, Ne plus jamais vous voir, ô lumière des cieux! Hélas! je n'étais pas faite pour être morte![62] [62] _Eblouissements_, p. 52. Remarque-t-on l'accent attendri et humble de ce dernier vers? Seule la pensée de la mort a ce pouvoir de fondre la violence et de briser l'orgueil de Madame de Noailles. Deux ou trois des plus précieux poèmes des _Eblouissements_ sont de cette veine, rare chez elle, d'humilité tendre, entr'autres l'exquis _Nocturne_: Tu dormiras dans l'ombre et ta petite gloire Assise en ce tombeau Ne fera pas ta nuit moins secrète et moins noire Ne te tiendra pas chaud. Aucune fleur ne peut désennuyer les mortes, Leur bonheur est cessé... Celui qui les aimait n'a pas rouvert la porte Où elles ont passé. Il faudrait, pour qu'un peu de plaisir les rassure Que le plus cher amant Leur dise: Vois, je viens pour baiser ta chaussure Et tes deux pieds charmants Qu'il leur dise: Voyez, votre chambre creusée Plus qu'un autre me plaît; Ce lit étroit, ce plafond bas, ces mains usées Sont ce que je voulais... Plainte discrète, faiblesse qui s'avoue, résignation touchante; mais le poème ne finit pas, qu'un sursaut d'orgueil ne le soulève: Mais, ah! quelle rumeur trouble encor notre somme Et rend mon coeur jaloux? J'entends, dans l'ombre affreuse et glissante où nous sommes Les dieux parler de vous.[63] [63] _Les Eblouissements_, p. 362-364. C'est en effet dans la certitude de sa gloire que Madame de Noailles puise le secours le plus efficace contre la douleur de devoir mourir: J'écris pour que le jour où je ne serai plus On sache comme l'air et le plaisir m'ont plu Et que mon livre porte à la foule future Comme j'aimais la vie et l'heureuse nature.[64] [64] _Ombre des Jours_, p. 169. Son corps éternel comme la terre d'où il est sorti et où il retourne, son âme éternelle dans la mémoire des hommes, telle est l'idée ou plutôt l'image double, et peut-être tout de même un peu simple, que se fait Madame de Noailles de sa vie future. C'est sans doute une mauvaise condition pour philosopher que d'être avant tout un être d'imagination comme sont les poètes, si le propre et la définition même de la pensée spéculative est d'être une pensée sans images. Supérieure ou extérieure au préjugé, à la foi imposée du dehors, peu apte à la pensée métaphysique, Madame de Noailles flotte dans un état d'indécision et de trouble, qui a du moins l'avantage de prêter à d'émouvantes rêveries: Hélas! douleur d'aller s'effaçant tout entière, Désir de n'être pas de la cendre au tombeau, De voir encor le jour et le matin si beau, D'errer dans l'étendue heureuse et sensuelle, De boire à son calice et de s'enivrer d'elle! Ah! comme tout bonheur soudain semble terni Pour un coeur sans espoir qui conçoit l'infini...[65] [65] _Eblouissements_, p. 24. Tout ce poème à Lamartine est courageux, pathétique, abondant en beautés. Est-il _beau_ dans le sens absolu du terme? Là-dessus on peut discuter. Mais là où n'est pas la vérité peut-il y avoir beauté parfaite? Le plus somptueux manteau perd de sa splendeur, jeté sur une ossature insuffisante. * * * * * Les romans de Madame de Noailles doivent être considérés, sauf certaines réserves que nous indiquerons, comme un complément de son oeuvre lyrique. Ce point de vue, en même temps qu'il nous inquiète sur la légitimité d'un genre un peu hybride, nous rassure sur le plaisir qu'en l'espèce nous y prenons. Il n'y a rien de moins cohérent que l'intrigue de la _Domination_, rien de moins consistant que le caractère d'Antoine Arnault, le «dominateur». Ce jeune homme, qui nous est présenté aux premières pages du livre comme un ambitieux de l'espèce des Alexandre et des César, à la dernière meurt d'amour comme un nouveau Werther. Mais ne meurt-il pas plutôt de ce que le livre a atteint la page 307? Quoi qu'il en soit, une rupture, un flirt très poussé avec la fille d'un écrivain illustre, deux liaisons élégantes et une passade, un siège à la Chambre, un excellent mariage, l'amour chaste et brûlant de sa belle-soeur, tel est, par ordre chronologique, le bilan de ses succès; dans tout cela pas trace de plan, de persévérance, de fourberie, d'aucune des vertus qui font l'ambitieux véritable... D'une manière générale, les figures d'hommes qui apparaissent dans les romans de Madame de Noailles sont pâles, sans relief, dénuées de vérité objective. Exceptons-en toutefois deux ou trois silhouettes de _grotesques_, Henri de Fontenay de la _Nouvelle Espérance_, l'aumônier du _Visage_, exquissées à grands traits ironiques, fermes et signifiants. Il y a là un aspect du talent de Madame de Noailles que nous aimerions à voir se développer. Les figures de femmes, au moins celles de premier plan, sont plus vivantes, plus objectives, de cette objectivité particulière où atteignent les lyriques par l'approfondissement d'eux-mêmes. Donna Marie, la petite nonne, Sabine de Fontenay, autant de masques fragiles sous lesquels perce à tout instant le visage ébloui, émerveillé de l'auteur. De là les plus amusantes contradictions entre la situation où on les place, le caractère qu'on leur prête, et telles de leurs manières de penser ou de sentir. La petite nonne du _Visage_ fait voir, en même temps que des ingénuités d'enfant sage, des audaces, d'ailleurs charmantes, de Faunesse, et témoigne ça et là d'une conscience d'elle-même et d'une science du coeur bien rares dans un âge si tendre. «O Julien, dit-elle à son amant qui vient de la rudoyer, laissez-moi vous dire, pendant que vous parliez ainsi je ne vous en ai pas un instant voulu; la grande injustice des hommes envers les femmes, elle est une part profonde de la volupté».[66] Qu'elle vienne après cela nous faire accroire qu'elle a rendu à Julien les _Fleurs du Mal_ sans les lire.[67] «Je sais maintenant, dit-elle ailleurs, pourquoi l'expression de la douleur, sur un visage, est si touchante et si troublante; c'est parce qu'elle révèle que l'être n'a plus aucune défense personnelle. Une âme malheureuse est toute prête pour la mort et pour la volupté».[68] Rien n'est plus exact, mais est-ce bien la même personne qui aux premières pages du livre ne rêve que pureté, et qui quelques pages plus loin, parce que son ami l'a embrassée, déclare: «Mon ami ne m'aime pas autant qu'il le dit, s'il m'aimait vraiment il n'aurait pas fait ce qu'il a fait»? On sent l'artifice; Madame de Noailles manque sans cesse à cette condition première de la vraisemblance, qui est qu'un caractère demeure constant avec lui-même. Seule peut-être la figure de Sabine de Fontenay est exempte de ce défaut, parce qu'il y a une harmonie en somme suffisante entre la donnée initiale du livre et la vie intérieure _possible_ de Madame de Noailles, et que d'ailleurs Madame de Noailles a l'imagination subjective, au contraire de l'objective, très développée... Ainsi se précise pour nous le sens de l'oeuvre romanesque de Madame de Noailles: nous l'avons vu, Madame de Noailles est avare de confidences sur sa façon de sentir l'amour; l'intérêt de Sabine de Fontenay, et secondairement de ses autres héroïnes, c'est de nous éclairer sur sa façon de le concevoir, ou plus exactement de le _voir_. [66] _Visage_, p. 193. [67] _Ibid._, p. 109. [68] _Ibid._, p. 184. Sabine de Fontenay c'est, pourrait-on dire, la petite-fille d'Emma Bovary devenue, par une fortune inespérée, châtelaine de la Vaubyessard. Née comme Emma pour les agitations du coeur, et plus précocement avertie qu'elle, dès l'enfance elle a jugé que «les élans et les rêves de la passion font l'emploi, l'orgueil et la dignité de la destinée».[69] Mariée, comme elle encore, à un homme bon, honnête et médiocre, elle essaie d'abord, elle aussi, d'éveiller en lui un écho aux ardentes et confuses aspirations de son coeur. Déçue bientôt dans son effort, elle se détourne, sinon sans regrets du moins sans remords, conformément à l'immoralisme contemporain, vers d'autres amours. Riche et d'un monde où la femme est relativement libre d'elle-même, Sabine échappe aux embarras d'argent, à M. Lheureux, aux mille difficultés extérieures qui font de _Madame Bovary_, suivant le point de vue, un mélodrame, et c'en est le défaut, ou bien, et c'en est la supériorité, une exacte et forte étude sociologique; elle pourra développer sans entraves le cours de ses expériences sentimentales. Plus cultivée qu'Emma, nourrie de littératures autrement complexes, elle offre, et c'est là son originalité et son charme, un curieux mélange de sensualité violente et presque élémentaire, et d'intelligence raffinée: mélange bien moderne, s'il pourrait servir à définir les oeuvres les plus caractéristiques de notre littérature depuis Baudelaire. Ce qu'elle cherche dans l'amour, ce n'est ni le don ni l'abandon du coeur, elle a un sentiment trop vif d'elle-même, elle entend posséder autant qu'être possédée; ce n'est pas le plaisir, il n'est rien de plus court et de plus vite épuisé que le plaisir; ce n'est pas le bonheur, elle a toujours désiré pire; c'est l'émotion brute, exaltante ou terrassante, c'est le bouleversement de tout l'être, c'est ce que la vie peut offrir de plus fou, de plus trouble et de plus amer. Ce qu'elle veut, c'est sentir, sentir toujours davantage et se sentir sentir, fût-ce au prix des plus dures douleurs: la douleur est infinie, pour peu qu'elle se complique d'intelligence. Prodigieuse faculté de jouir et de souffrir! Philippe Forbier vient de lui avouer son amour; ils sont là tous les deux, hagards, n'osant pas se rapprocher l'un de l'autre. «Elle sentait une sensualité grave s'élever autour d'elle, contre elle, comme une vague qui, montant, l'obligeait à renverser un peu la tête, les narines battantes, pour respirer, résister à cet étouffement. Elle avait les yeux fixes et amincis, les lèvres un peu relevées sur les dents qu'elle tenait serrées, et comme mordant sur une admirable sensation de plaisir...»[70] Philippe la regarde, et elle se sent «mourir des pieds jusqu'au coeur. Avec une violence rapide et complète, elle souhaita qu'il n'eût plus ni ses yeux, ni son sourire, ni sa voix, ni aucun de ses gestes, aucune de ses attitudes, plus rien de lui-même qui la ravissait jusqu'à de telles douleurs».[71] Véritable femme, en qui non seulement toute émotion, mais le souvenir et l'imagination même de l'émotion aboutissent immédiatement au trouble physique. Quand Philippe doit pour un temps s'éloigner d'elle, sa raison consent à la séparation, mais son corps se révolte. Debout contre lui, elle dit doucement, les yeux fermés: «Voilà, vous allez partir, vous partez, j'imagine que c'est maintenant que vous partez, je vais voir ce que cela me fait». Elle resta un moment silencieuse, et rouvrant les yeux où de la terreur s'évaporait, elle dit: «Ce n'est pas possible, cela fait mal dans les os... C'est dans les épaules et dans les genoux que je ne peux pas vous quitter...» Cependant, dans ses plus vives extases comme dans ses pires angoisses, elle demeure lucide, maîtresse de sa pensée, elle ironise, elle s'analyse, elle généralise. Au sortir des bras de Philippe rentrée chez elle, elle parle, rit, ne trouve en elle que repos et satisfaction. «_Seule l'absence d'Henri_ (son mari) _la troublait un peu, sa présence lui eût donné plus de sécurité_».[72] A Philippe absent, elle écrit: Ce n'est pas vous que j'aime; j'aime aimer comme je vous aime... Je n'attends de vous que mon amour pour vous».[73] «Les hommes ont de la conscience, lui écrit-elle encore. Les femmes, mon ami, n'ont pas de conscience; elles ont une épouvantable volonté de n'être pas plus malheureuses qu'elles ne peuvent».[74] Mais une intelligence si pénétrante appliquée à une émotivité si violente, loin de l'atténuer l'exacerbe, en multipliant pour elle les occasions de sentir. De sa volupté, de ses douleurs et de sa connaissance d'elle-même Sabine se compose un breuvage avec quoi elle se tue. La morphine qu'elle prend un soir où l'absence de Philippe lui est intolérable ne fait qu'achever l'oeuvre de mort... A dire le vrai ce suicide, pour vraisemblable qu'il soit, n'apparaît pas comme nécessaire, dans le sens psychologique du terme. On garde le sentiment qu'une cure d'altitude bien choisie, surveillée par une tendre amitié rendrait l'équilibre à ce système nerveux surmené, exténué. Si _Madame Bovary_, est un mélodrame, la _Nouvelle Espérance_ n'est pas une tragédie. Il reste que Madame de Noailles a créé en Sabine de Fontenay une figure intensément vivante, hautement représentative à la fois et très neuve: oui d'une originalité inoubliable vraiment avec son impudeur et sa noblesse, son égotisme et son ardeur à souffrir, son tumulte, ses cris, ses colères, ses ravissements, toute cette sensibilité où nulle sentimentalité ne se mêle, ingénue et violente, trouble, âcre, amère. [69] _Nouvelle Espérance_, p. 15. [70] _Nouvelle Espérance_, p. 229. [71] _Ibid._, p. 231. [72] _Ibid._, p. 234. [73] _Nouvelle Espérance_, p. 305. [74] _Ibid._, p. 320. On peut cueillir çà et là dans les romans de Madame de Noailles de fines ou fortes indications de psychologie féminine. La femme y apparaît toujours incomplète, insatisfaite, penchante, achevée seulement par les caresses des hommes, mais courbée sous tout l'univers, esclave qui se fait une volupté de sa servitude. Osant enfin être elle-même, elle dévoile hardiment que toute sa vie intérieure est à base de sensualité et que tout ce qui émeut pareillement sa sensualité est pour elle une seule et même chose. «Voyez, mon Dieu, si M. l'aumônier, pour nous toucher, nous rappelle notre petite enfance, nos jeux, notre père mort, nous pleurons;... et si une de nos soeurs nous donne un bouquet à respirer, nous respirons fort d'abord et nous soupirons après; et si notre ami met son coeur près de notre coeur, nous ne savons plus rien que son désir, et notre désir plus tendre encore que le sien. _Toutes ces choses, mon Dieu, sont une seule chose, la même chose_».[75] Elle nous révèle le goût singulier qu'elle trouve aux brutalités de la jalousie masculine. «Ils croient nous offenser, ils ne peuvent que nous émouvoir, notre orgueil est terrible en nous, mais aux instants de la volupté, nous n'avons que de la volupté».[76] Voici une bien spirituelle définition de la conscience: «La conscience, c'est une tristesse qu'on éprouve après un acte qu'on vient de faire et qu'on referait encore».[77] Voici une vue terriblement pénétrante sur ces régions souterraines de l'âme où les sentiments, les instincts, les désirs, non encore divisés et endigués par l'éducation, communiquent et se mêlent selon de mystérieuses affinités. «Ah! dans la douleur et la honte, dans le courage et l'héroïsme, dans le parfum des tombeaux, qu'y a-t-il toujours de perfide, de sensuel, d'inavouable?»[78] [75] _Visage_, p. 101. [76] _Ibid._, p. 156. [77] _Ibid._, p. 47. [78] _Domination_, p. 67. On voit dans quelle mesure les romans de Madame de Noailles nous peuvent instruire, sont riches de vérité objective. Quant à nous charmer et à nous émouvoir, de la même façon exactement que sa poésie, il n'est presque pas une page d'eux qui n'y réussisse. La _Domination_ abonde en délicieuses impressions de voyage; le _Visage émerveillé_ est l'hymne le plus frais à l'Amour et à la Nature; la _Nouvelle Espérance_ est un poignant poème de l'Amour et de la Mort. * * * * * Il faut le dire: l'art de Madame de Noailles n'est pas égal à son génie; il pèche par défaut, par excès et par artifice. Le défaut est de la pensée. Non pas que nous estimions avec certains que l'intelligence de Madame de Noailles soit inférieure à sa sensibilité, et de nombreuses pages de la _Nouvelle Espérance_ surtout témoignent surabondamment du contraire, mais trop souvent cette intelligence fonctionne à côté de cette sensibilité, sans s'y mêler suffisamment. Une sensibilité aussi mobile, aussi torrentielle devrait être surveillée, réglée, distribuée par une raison ferme, maîtresse d'elle-même et de toute l'âme; nous avons déjà touché ce point. Il n'est pas permis d'appliquer indistinctement l'épithète de _sublime_ à l'odeur de l'aubépine,[79] ou au plaisir qu'on prend à Venise,[80] et à la musique de Beethoven ou en général à l'héroïsme; du moins les deux premiers emplois du terme, en même temps qu'ils font sourire, affaiblissent les deux autres, seuls justifiés. Si Sabine à la moindre contrariété _s'affole_, nous la plaignons, mais que va-t-il lui rester d'âme pour les grandes douleurs? Il ne suffit pas d'une extrême hyperesthésie pour pénétrer le fond de la douleur ni de la joie humaines; or Madame de Noailles n'a pas que cela, nous l'avons assez montré, mais l'identité des expressions dont elle use pour signifier de purs états nerveux et de véritables états d'âme prête à de fâcheuses confusions. Il faut qu'elle introduise un ordre plus strict, une mesure plus rigoureuse dans les mouvements de sa merveilleuse sensibilité. C'est du perfectionnement intérieur de l'artiste que dépend essentiellement le progrès de son art. [79] _Eblouissements_, p. 286. [80] _Eblouissements_, p. 16. D'un point de vue plus technique, on peut relever chez Madame de Noailles des artifices de composition et de style. Nous l'avons vu, ses romans sont mal construits; mais ses poèmes eux-mêmes malgré leur ordinaire brièveté, ne le sont pas toujours parfaitement. La _Prière devant le Soleil_ se compose d'au moins trois poèmes distincts. Il n'y a rien de plus artificiel que la transition du second au troisième: Pourtant, Soleil, ayant oublié tout cela...[81] [81] _Eblouissements_, p. 385. Une des plus belles pièces des _Eblouissements_, _Paganisme_, dans sa première partie développe le conflit entre les deux âmes romantique et classique de Madame de Noailles, et, malgré une certaine surcharge d'images, le développement est conduit d'une belle et ferme allure; la seconde partie célèbre la victoire définitive de l'âme classique; le poète se tourne avec amour vers la Grèce sa véritable patrie: Je viendrai, mes deux mains tenant la double flûte... Au-dessus des enclos luiront des figues bleues; Pour cueillir ces fruits chauds entr'ouverts dans l'azur Je presserai si bien mon corps contre le mur Que je serai semblable à ces nymphes des frises Dont la jambe et la main sont dans la pierre prises[82] [82] _Eblouissements_, p. 187. On remarquera au passage ces trois derniers vers, pur joyau de grâce hellénique... Jusqu'ici tout est bien; mais il s'agit de terminer le poème; le poète sent qu'il serait beau de s'élever à une idée plus générale, d'ouvrir à l'esprit une vaste perspective, d'élargir et d'approfondir l'horizon, et pour ce faire il recourt à la pensée de la mort, dont telle est effet la vertu ordinaire: Et désormais sans voix, sans effort, sans souhaits, Ayant touché l'immense et débordante paix, Voyageuse arrivant et qui baise la porte, Ne désirant plus rien je serai bientôt morte... Mais la poète s'est trompé; comme il n'y a aucune raison de supposer que le sol de la Grèce ou l'exaucement de ses désirs lui seront réellement mortels, l'hypothèse de sa mort ne peut apparaître que comme une gentillesse de conversation, déplacée en cette fin d'un grave et émouvant débat. La grande idée de la mort ne saurait être employée comme finale à tout faire... Et d'ailleurs il n'entre pas un instant dans notre pensée de suspecter la sincérité de Madame de Noailles, mais la sincérité elle-même a besoin d'art. L'excès que nous trouvons chez Madame de Noailles est un excès de sensations et d'images sous lequel parfois disparaît, ou plie à se rompre, le fil ténu de la pensée. Le poète, au lieu de creuser en profondeur, dans le monde de la vie intérieure, s'étend en largeur, se répand dans le vaste univers. Au lieu de subordonner il coordonne, quand il ne se contente pas de juxtaposer. Sans doute il échappe à l'ennui des purs descriptifs, et il serait aussi injuste qu'inexact de lui appliquer ce principe, vérifié par l'histoire de tous les arts, que la nature envahit les domaines désertés par l'âme: il n'est pas d'aspect de la nature qu'il transporte dans son oeuvre sans l'élaborer, sans y mêler de sa substance. Cependant il ne peut éviter toujours la monotonie, ni encore une fois l'artifice. Une énumération n'a d'autre raison de s'arrêter que le bon plaisir de celui qui énumère; Madame de Noailles ne nous fait-elle pas quelquefois attendre un peu son bon plaisir? D'autre part, on a l'impression qu'elle ne distingue pas très exactement et ne connaît pas de très près chacun des innombrables végétaux qui garnissent son oeuvre, et l'on constate non sans étonnement que les descriptions de villes ou de paysages qu'elle n'a jamais vus ne sont ni moins touffues, ni moins colorées, ni moins odorantes que celles des lieux qui lui sont familiers. Bref Madame de Noailles a une _manière_ à elle, très caractérisée, et de cette manière son excessive facilité l'incline,--tel parmi les musiciens Massenet--à se faire un _procédé_. Il n'est pas rare qu'un artiste s'imite ainsi lui-même. De ces faiblesses, au reste, aucune n'est constitutive. Elles tiennent soit à une confiance exclusive, donc excessive, dans la spontanéité de l'inspiration, soit à une sorte de nonchalance trop complaisante aux suggestions de la virtuosité. Elles n'en sont que plus regrettables, si elles empêchent des dons merveilleux de prendre leur pleine valeur. Or quel artiste fut plus merveilleusement doué que Madame de Noailles? De ses dons je ne veux ici retenir que deux, qui la distinguent entre tous les artistes de sa génération, le don d'expression et le don de musicalité. Il n'est pas vrai, malgré Boileau, que toujours «ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement»; la fonction de concevoir et la fonction d'exprimer sont distinctes, à tel titre que la pathologie nous les montre sans cesse dissociées. Mais ce qui dans la littérature et surtout dans la poésie moderne rend particulièrement délicat le problème de l'expression, c'est que les états qu'il s'agit de traduire et de communiquer ne sont pas comme dans la poésie classique des états relativement simples, à contours définis, objets de perception claire, construits et reliés les uns aux autres selon des rapports logiques, mais des états dont la complexité confuse, enveloppée, indistincte, dont la fluidité et presque la liquidité semblent invinciblement rebelles au morcellement et à l'immobilisation qui sont l'opération propre et l'effet de la pensée logique, des états qui émergent un instant des profondeurs obscures de l'être pour l'instant d'après s'y replonger, qui enfin se composent, s'enchaînent les uns aux autres et les uns dans les autres retentissent et se prolongent selon de subtiles et fuyantes analogies. Ils faut donc à l'artiste non-seulement une rare aptitude à briser ou à négliger les associations conventionnelles que nous propose toutes formées, pour notre plus grande commodité, le commun langage, non-seulement une extraordinaire acuité et rapidité de vision dans les régions profondes de la vie de l'âme, mais encore un don mystérieux et merveilleux de choisir et de combiner les mots afin que, telles les génératrices d'une courbe pour le géomètre, ils nous permettent de reconstruire, ils évoquent en nous et nous suggèrent les mouvantes réalités intérieures dont ils jalonnent les inflexions et les détours. A vrai dire, dans la mesure où il met en oeuvre un tel don, un artiste divise les jugements des hommes; il irrite par son obscurité et par une apparence d'arbitraire les sensibilités qui ne sont point accordées à la sienne, mais aussi il enchante celles qui lui sont harmoniques d'un plaisir autrement complet que les artistes _classiques_, parce que ce qu'il leur fait entendre, mais plus ample, plus pur, plus libre, c'est le chant même de leurs profondeurs. Pour certains dont nous sommes, à cause d'un bonheur presque perpétuel dans l'expression ou la suggestion d'une sensibilité profonde et toute originale, l'oeuvre de Madame de Noailles dégage un charme, un enchantement. Dans les citations que nous avons faites en abondance, le lecteur trouvera sans peine, suivant l'espèce à laquelle il appartient, de quoi confirmer ou de quoi contester notre sentiment. Nous nous contenterons de citer un fragment encore, particulièrement caractéristique. Nous l'empruntons à la _Nouvelle Espérance_[83]. Chez Sabine de Fontenay, le musicien Jérôme Hérelle chante. «Il chantait, et la musique, mêlée aux mots, s'épanouissait, sensuelle et rose, comme une fleur née du sang. Il chantait, et c'était comme une déchirure légère de l'âme, d'où coulerait la sève limpide et sucrée: «Les roses d'Ispahan... le soupir gonflait, s'exhalait, recommençait, «dans leurs gaines de mousse... encore une fois toute l'angoisse délicieuse aspirée et rejetée, «les jasmins de Mossoul, les fleurs de l'oranger... la note penchante et tenue troublait comme un doigt appuyé sur le sanglot voluptueux... Quel parfum! quelle ivresse! quel flacon d'odeur d'Orient cassé là; quelles fleurs de magnolia écrasées dont l'arome à l'agonie fuyait et pleurait... Tout l'air de la chambre tremblait...» Et l'on croit voir trembler le papier où s'inscrivent les mouvements de cette sensualité véhémente. Les mots jaillissent d'elle directement, sans passer par l'intelligence, et directement vont toucher aux pointes les plus sensibles de nos nerfs. A vrai dire ils touchent parfois à côté; la phrase: «quelles fleurs de magnolia écrasées» est tout à fait manquée. Madame de Noailles, chez qui les associations d'idées ou de sentiments sont foudroyantes, a sauté ici trop d'intermédiaires; les termes qu'elle unit hurlent d'un accouplement contre nature. Il lui arrive ainsi de violenter la langue sans bénéfice. C'est là, si l'on peut dire, le revers de sa méthode, ou de son absence de méthode. Son style est une invention perpétuelle; mais, comme dans le choix et l'agencement des mots la pensée logique a peu de part, lorsque l'expression n'est pas parfaite, elle est mauvaise. Le cas est rare d'ailleurs, et de plus en plus rare. [83] p. 32-33. Il n'est guère de question d'esthétique plus difficile que celle du rapport de la poésie et de la musique. Toutefois et en gros, il est certain d'abord que par la mesure et le rythme qui lui sont essentiels, la poésie, toute poésie s'apparente avec la musique. C'est à peu près uniquement par le rythme que la poésie classique peut être dite musicale; encore son rythme, à cause de la prédominance qu'elle attribue à la pensée logique, à la raison, est-il trop souvent dans sa régularité d'une monotonie qui contraste désavantageusement avec la variété presque indéfinie des rythmes musicaux. La poésie moderne, substituant dans une large mesure à la logique de la raison la logique des sentiments, se rend par là plus souple et plus libre, et capable d'occuper dans l'âme des espaces, de couler dans des retraites que lui eût interdits une forme plus rigide. Nous ne voyons guère de poète contemporain qui possède au même degré que Madame de Noailles le don d'approprier étroitement ses rythmes aux mouvements de sa vie intérieure, de les couler en quelque sorte instantanément sur la courbe même de ses sensations, de ses sentiments et de ses pensées. Ici encore nous laissons au lecteur le soin facile de faire lui-même l'application. Mais la grande nouveauté de la poésie moderne par rapport à la poésie classique et l'endroit par où elle se rapproche le plus de la musique, c'est l'importance qu'elle attache aux qualités musicales des mots, au détriment parfois de leur vertu signifiante. On sait à quels excès dans cette direction se portèrent les «décadents». De leur tentative avortée les écrivains contemporains ont justement retenu qu'en effet le choix et la combinaison des sonorités pouvait être un efficace instrument de suggestion, mais ils ne recourent à cette ressource que dans les limites des lois naturelles et traditionnelles de la langue. Il y a là une conciliation délicate à réaliser entre des exigences ordinairement différentes, souvent opposées; Madame de Noailles y déploie un art spontané incomparable. Et ainsi, renforçant le sens des mots par leur son, leur puissance expressive par leur puissance suggestive, les enchaînant selon les rythmes originaux de sa sensualité fiévreuse, ardente, innombrable, elle compose une des musiques les plus éblouissantes, les plus enivrantes et les plus déchirantes qu'il nous ait été donné d'écouter. [Illustration] [Illustration] OPINIONS =De M. Maurice Barrès= Les poèmes de Mme de Noailles ont obtenu à leur naissance un prodigieux succès. O merveille, on y trouvait de la poésie! Mais cette poésie, qu'avait-elle de singulier? Je crois que je pourrais le dire. Nos grands romantiques sont mêlés de mort. Mme de Noailles est toujours un chant qui s'élève, une flamme. On connaît un terrible mot révélateur de Chateaubriand: «Quand je peignis René, écrit-il, j'aurais dû demander à ses plaisirs le secret de ses ennuis.» Dans la sombre poésie de nos grands romantiques, en effet, il y a de la fatigue et de la dépression nerveuse. Au contraire, chez l'auteur du _Visage émerveillé_ on voit au premier plan la jeunesse qui s'étonne, qui appelle le choc de la vie et qui s'impatiente de ne point recevoir l'univers dans son âme. Cet infatigable élan vers toutes les promesses de bonheur, cet infini besoin, ce courage à sentir, à désirer, à vivre nous sont rendus intelligibles avec des ressources inépuisables d'invention verbale et musicale. Je ne puis rien détacher d'un livre que toutes les femmes et les jeunes gens commencent à se réciter. Ses cantilènes frémissantes sont illustrées d'images rapides et inoubliables. Mais derrière tous les battements de ce coeur précipité j'entends un thème monotone. Il est tout le génie dont nous la voyons douée ou, pour mieux dire, affligée. «Il faudra vieillir et mourir, mais j'aurai été le coeur le plus gonflé et d'où monta le plus haut cri. Jeunes hommes, sachez que, vivante, je fus le point le plus sensible de l'univers...» Quelle est cette voix qui se vante, si vaine et si attendrissante? La femme vivra toujours dans le même cercle d'images. Ce n'est ici qu'une variante géniale de l'éternel cantique féminin. C'est le vieux _Cantique des cantiques_: «Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem, comme les tentes de Cédar, comme les pavillons de Salomon.» Ainsi chantait la Sulamite. Cet appel qui fait frissonner monte de tous les fameux jardins, du paradis où Eve mentit, des harems de Salomon, du balcon fleuri de Juliette et des arceaux d'un cloître, où la sainte discipline l'épure, l'apaise et le transforme, mais aussi, en le comprimant, semble parfois l'exacerber... Un tel poète nous aide à comprendre ce que furent par exemple les Hugo et les Lamartine. Celui-ci, à la campagne, sortait le matin avec un exemplaire à grandes marges du Tasse ou de l'Arioste; il lisait quelques strophes: sous leur action, sa source intérieure jaillissait et il écrivait, sans que sa volonté y prît une part discernable, ses magnifiques psalmodies. Hugo était le lieu d'un pareil phénomène. De là l'étonnement qu'il ressentait de son génie, jusqu'à se dire, à notre grand scandale: «Ne suis-je pas la bouche de Dieu?» Ces grands favorisés ont des âmes qui se mettent plus aisément en branle que les nôtres. Le rythme de leurs paroles vient de celui de leurs sentiments. D'où voulez-vous que naisse la noblesse des expressions, sinon de la noblesse du coeur? Nul vrai poète qui ne soit magnanime. D'ailleurs la faculté de se représenter clairement et fortement un grand nombre d'êtres et de choses, c'est le don divin par excellence, c'est la charité et la sympathie. Mme de Noailles aime admirer. Elle en use avec les oeuvres et avec les gens comme avec les légumes, les fleurs, les arbres et les paysages. Partout elle trouve à s'émerveiller, disons mieux, à être humaine. Quand il y a tant de regards qui appauvrissent nécessairement ce qu'ils considèrent, parce qu'ils sont des regards d'hommes chétifs, voici qu'avec une admirable plénitude cette âme royale enrichit et ennoblit, charge de richesse et vivifie tous les objets vers quoi elle se tourne. Dans la dure vie positive, cette générosité d'âme et cette spontanéité entraînant à des erreurs... Mais, dans le domaine des arts, cette incompressible puissance de charité est le premier moyen du génie. (_Le Figaro_, 9 juillet 1904). =De M. Léon Blum= sur l'_OEuvre poétique de Madame de Noailles_: ... Le retour au Romantisme fut, il y a dix ans, le caractère du mouvement poétique. Ce qu'on a nommé l'humanisme ne fut qu'un romantisme rajeuni. Mais chez les plus distingués des humanistes l'influence verlainienne restait sensible, et Madame de Noailles en est restée, à ce que je crois, totalement exempte. Elle n'est guère qu'une romantique, et c'est de Musset que je la verrais proche, un Musset qui ne cherche pas l'esprit, un Musset sans sa grâce allante et sa plaisanterie désinvolte, sans son penchant oratoire, sans toute sa facilité française, un Musset plus âpre, plus chargé, plus fiévreux, plus complexe, au sang plus lourd, je voudrais pouvoir dire un Musset barbare. Il faut cependant marquer dès à présent quelques différences essentielles. Sans doute le lyrisme de Lamartine, de Musset ou même de Hugo est un lyrisme purement personnel. Mais si le poète se chante lui-même, il ne chante pas pour lui seul. Le poème, sorti d'un homme, vaut pour tous les hommes... Le rêve romantique, le chant romantique, même en ce qu'ils eurent de plus spécial ou de plus neuf, furent le rêve et le chant communs d'un moment de l'humanité... Rien de pareil chez Madame de Noailles. Sa poésie sort d'elle-même et retombe en elle, comme l'élan du jet d'eau dans le bassin. Son éternel sujet, c'est sa personne, mais dans ce qu'elle a de particulier, d'unique, non dans ce qu'elle a de commun et de général... L'inspiration lyrique s'est toujours ramenée à un nombre limité de thèmes uniformes, et ce qu'il y a d'analogue entre tous ces thèmes, c'est qu'ils posent soit l'accord, soit le conflit d'un des sentiments généraux de l'âme avec une force ou avec un état extérieur... Le poème lyrique apparaît d'ordinaire comme un dialogue, dialogue avec l'être aimé, avec la vie, avec la mort, avec le bonheur, avec les puissances naturelles. Et voici qu'en trois volumes de vers Madame de Noailles exhale un long solo où l'on n'entend jamais parler qu'une âme. Il y a là des vers d'amour, sans doute, bien qu'assez rares, mais où il semble que la force du désir s'élance seule, comme un cri sans écho à qui rien ne répond... Nul poème ne traduisit plus intensément que ceux-là le sentiment de la vie, mais c'est la vie d'un être à qui la conscience de sa propre réalité suffit, qui ne vivrait pas moins s'il était seul vivant au monde, et cette certitude, cette volonté d'être qui sort du plus intime de sa substance gonfle sa personne sans jamais s'en échapper... Ce lyrisme sans humanité, sans religion,--au sens où l'entendaient les romantiques,--où l'on ne trouve ni aspiration, ni besoin, ni foi, ni doute dont les autres hommes aient leur part, qui ne connaît ou ne touche hors de soi nulle raison de vivre, de souffrir ou d'espérer, ce lyrisme d'une sorte unique tient-il à un vice où à une vertu, représente-t-il une force ou une faiblesse, faut-il l'exalter ou le condamner? Je ne sais trop, et l'avenir en décidera mieux que nous. Mais je crois que là est la singularité, le don original, la raison d'être du poète... (_La Revue de Paris_, 15 juin 1908). =De M. Léon Daudet= sur l'_Ombre des Jours_: Ce m'est une joie de constater ici la naissance et la formation d'un tempérament lyrique de premier ordre, car ces genèses-là témoignent généralement, dans les sociétés où elles se produisent, d'un effort vers l'ordre et la lumière... Ce que nous demandions au poète d'aujourd'hui et de demain, et ce que nous offre Madame de Noailles, c'est un chant lancé comme un cri, par une nécessité irrésistible, aux approches d'un doute qui envahit tout, d'une critique et d'une analyse qui blessent incessamment la légende, d'un utile qui menace le beau. Ce qu'elle nous apporte dans sa fine corbeille, tressée selon la tradition pure, c'est la révolte de jeunesse et de reviviscence, l'immortelle candeur irritée devant les tourments de ce monde, l'immortelle allégresse du désir... (_Le Gaulois_, 2 juillet 1902). =De M. Marcel Proust= sur les _Eblouissements_: ... J'aurais aimé m'attarder aux beautés de pure technique aussi bien qu'aux autres, vous signaler au passage... tant de notations d'une justesse délicieuse: Dans les taillis serrés où la pie en sifflant Roule sous les sapins comme un fruit noir et blanc. ... Près des flots de la Drance Où la truite glacée et fluide s'élance, Hirondelle d'argent aux ailerons mouillés... Métaphores qui se composent et nous rendent le mensonge de notre première impression, quand nous promenant dans un bois ou suivant les bords d'une rivière nous avons pensé d'abord en entendant rouler quelque chose que c'était quelque fruit et non un oiseau, ou quand surpris par la vive fusée au-dessus des eaux d'un brusque essor, nous avons cru au vol d'un oiseau avant d'avoir entendu la truite retomber dans la rivière. Mais ces charmantes et toutes vives comparaisons qui substituent à la constatation de ce qui est la résurrection de ce que nous avons senti... disparaissent elles-mêmes à côté d'images vraiment sublimes, toutes créées, dignes des plus belles d'Hugo. Il faudrait avoir lu toute la pièce sur la splendeur, l'ivresse, l'élan de ces matinées d'été où on renverse la tête afin de suivre des yeux un oiseau lancé jusqu'au ciel, pour éprouver tout le vertige, sentir tout le mystère de ces deux derniers vers: Tandis que détaché d'une invisible fronde Un doux oiseau jaillit jusqu'au sommet du monde Connaissez-vous une image plus splendide et plus parfaite que celle-ci: (il s'agit de ces admirables Eaux de Damas qui s'élancent et montent dans le fût des fontaines, puis retombent, font passer partout les linges mouillés de leur fraîcheur et l'odeur du melon et des poires crassanes avec un parfum de rosier). ..... Comme une jeune esclave Qui monte, qui descend, qui parfume et qui lave! Là encore pour comprendre toute la noblesse, toute la pureté, tout l'_inventé_ de cette image si soudaine et si achevée, qui naît immédiate et complète, il faut relire la pièce, l'une des plus _poussées_ en expression, des plus entièrement senties aussi de ce volume, peinte du commencement jusqu'à la fin, en face, en présence d'une sensation pourtant si fugace qu'on sent que l'artiste a dû être obligé de la recréer mille fois en lui pour prolonger les instants de la pose et pouvoir achever sa toile d'après nature,--une des plus étonnantes réussites, le chef d'oeuvre peut-être de l'_impressionnisme_ littéraire. (_Le Figaro_, 15 juin 1907.) =De M. Emile Faguet=, à propos de la _Nouvelle Espérance_: Cette femme aura bien du talent. Elle est dans le train qui y mène. Et sa station n'est pas très loin. (_La Revue latine_). =De M. Emile Ripert=: On ne sait si c'est artifice ou naïveté, sa façon d'assembler les mots. On est étonné, on ne comprend pas trop. Pourtant on voit, on sent, on entend... Dans une de ses dernières poésies elle parle ainsi: Au cercle étroit d'un bassin rond et gris, L'eau s'endormait, petite eau qui se rouille. «Petite eau qui se rouille...» Si vous comprenez, moi pas. Seulement je _vois_ l'eau stagnante, un peu rouge, je sens l'odeur de l'eau morte, et tout le calme inerte, l'ennui qui use et qui ronge... Les images aussi sont nouvelles: Madame de Noailles se dit «lasse comme un jardin sur lequel il a plu», et ce simple vers assimile si parfaitement certaines journées d'accablement, de calme désespoir après la crise violente des pleurs à l'aspect du feuillage lourd, des fleurs froissées, des terres humides, qu'on admire ce génie instinctif qui, du premier coup et sans tâtonnements, aboutit aux effets que chercherait en vain l'art le plus profond... (_La Revue Hebdomadaire_). =De M. Auguste Dorchain=: On ne peut s'y méprendre; il y a ici plus que de talent, plus que de l'art, plus que la réalisation patiente et achevée d'un beau rêve: il y a la ferveur, il y a l'enthousiasme, il y a l'oubli total de soi-même, ou plutôt, ce qui est la même chose, le don absolu de tout son être, âme et corps, comme aux plus saintes minutes d'un grand amour,--il y a le génie. (_Les Annales politiques et littéraires_). =De M. Lucien Corpechot=: Nul écrivain ne nous a jamais renseignés avec autant d'abondance et de sincérité sur les mouvements secrets de la sensibilité féminine. Il entre dans le génie de Madame de Noailles une franchise qui lui donne le courage d'exprimer tout ce qu'elle sent. Elle ne s'abuse point sur elle-même quand elle écrit: J'ai vu ce que j'ai vu et ce que j'ai senti D'un coeur pour qui le vrai ne fut point trop hardi. La _Nouvelle Espérance_, contenait de véritables révélations. Le _Visage émerveillé_ nous livre toute une vie intérieure. (_Le Soleil_, 28 juin 1904). =De M. Pierre Hepp=: Le don prépondérant de Madame de Noailles, c'est une haute vertu de suggestion. Son secret, c'est qu'à la rencontre de tout objet senti se porte instantanément un représentant verbal, avant qu'intervienne la moindre opération abstraite. Il en résulte une unité d'éclosion, une adaptation de terminologie qui déjoue les reproches des professeurs de syntaxe. (_La Grande Revue_). BIBLIOGRAPHIE L'OEUVRE _Le Coeur innombrable_, poésies, Paris, Calmann-Lévy, 1901, in-12.--L'_Ombre des Jours_, poésies, Paris, Calmann-Lévy, 1902, in-12.--_La Nouvelle Espérance_, roman, Paris, Calmann-Lévy, 1903, in-12.--_Le Visage émerveillé_, roman, Paris, Calmann-Lévy, 1904, in-12.--_La Domination_, roman, Paris, Calmann-Lévy, 1905, in-12.--_Les Eblouissements_, poésies, Paris, Calmann-Lévy, 1907. A CONSULTER. _Léon Daudet_, à propos de l'_Ombre des Jours_, Le Gaulois, 2 juillet 1902.--_Emile Faguet_, La Revue latine, juillet 1903.--_Lucien Corpechot_, Le Soleil, 28 juin 1904.--_Pierre Hepp_, La Grande Revue, juin 1907.--_Emile Ripert_, la Revue Hebdomadaire, 13 juillet 1907.--_Auguste Dorchain_, les Annales politiques et littéraires, mai 1906.--_Maurice Barrès_, Le Figaro, 9 juillet 1904.--_Marcel Proust_, sur les _Eblouissements_, Le Figaro, 15 juin 1907.--_Léon Blum_, l'_OEuvre poétique de Madame de Noailles_, Revue de Paris, 15 janvier 1908. TABLE TEXTE Pages. BIOGRAPHIE DE LA COMTESSE DE NOAILLES, PAR RENÉ GILLOUIN 5 OPINIONS: De M. Maurice Barrès 61 De M. Léon Blum 63 De M. Léon Daudet 65 De M. Marcel Proust 66 De M. Emile Faguet 68 De M. Emile Ripert 68 De M. Auguste Dorchain 69 De M. Lucien Corpechot 69 De M. Pierre Hepp 70 BIBLIOGRAPHIE 71 ILLUSTRATIONS: PORTRAIT DE LA COMTESSE DE NOAILLES, en frontispice. AUTOGRAPHE DE LA COMTESSE DE NOAILLES 59 PRIVAS.--IMPRIMERIE LUCIEN VOLLE. End of Project Gutenberg's La Comtesse Mathieu de Noailles, by René Gillouin *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA COMTESSE MATHIEU DE NOAILLES *** Updated editions will replace the previous one—the old editions will be renamed. Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright law means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™ concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you charge for an eBook, except by following the terms of the trademark license, including paying royalties for use of the Project Gutenberg trademark. If you do not charge anything for copies of this eBook, complying with the trademark license is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creation of derivative works, reports, performances and research. Project Gutenberg eBooks may be modified and printed and given away—you may do practically ANYTHING in the United States with eBooks not protected by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the trademark license, especially commercial redistribution. START: FULL LICENSE THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK To protect the Project Gutenberg™ mission of promoting the free distribution of electronic works, by using or distributing this work (or any other work associated in any way with the phrase “Project Gutenberg”), you agree to comply with all the terms of the Full Project Gutenberg™ License available with this file or online at www.gutenberg.org/license. Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg™ electronic works 1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg™ electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to and accept all the terms of this license and intellectual property (trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy all copies of Project Gutenberg™ electronic works in your possession. 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