Title: L'Illustration, No. 0068, 15 Juin 1844
Author: Various
Release date: September 30, 2014 [eBook #47009]
Most recently updated: October 24, 2024
Language: French
Credits: Produced by Rénald Lévesque
L'ILLUSTRATION,
JOURNAL UNIVERSEL,
Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr. Prix de chaque N°. 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75. |
N° 68. Vol. III. |
Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr. Ab. pour l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40 |
Courrier de Paris. Fête donnée par S. M. Louis-Philippe aux Exposants, dans la Salle de spectacle de Versailles.--Embellissement de Paris. Nouveaux percements de voies publiques. Trois Gravures.--Histoire de la Semaine. Portrait du duc d'Angoulème d'après sir Thomas Lawrence.--Répondez-moi. Romance. Paroles de M. Godefroy; musique de M. Charles Puisot.--Les Chemins de fer. L'État, les Compagnies.--Algérie. Investiture d'un khalifah; Embarquement de troupes, d'après un dessin original de M. Letuaire.--Un voyage au long cours à travers la France et la Navarre. Récit philosophique, sentimental et pittoresque, par Albert Aubert. Chap. I et 11. Sept Gravures, par Bertall.--Exposition des Produits de l'Industrie. (Septième article). Tissus et Poterie. Métier à broder, par mademoiselle Chanson; Vue générale de la galerie des tissus pendant la visite du roi; Portière en tapisserie, exécutée à Aubusson. Poteries de grès de Voisinlieu: Trois vases et flacon de la fabrique de M. Talmoure.--Bulletin bibliographique.--Musée Lambourg. Une Gravure.--Levassor dans ses dix rôles du Troubadour omnibus. Une Gravure.--Correspondance.--Rébus.
Fête donnée par S. M. Louis-Philippe aux exposants dans
la salle de spectacle de Versailles le 8 juin 1844.
C'est Versailles qui a occupé, cette semaine, le haut du pavé dans le pays des nouvelles; Paris n'a eu que le second rôle: mais Paris et Versailles se touchent de si près, que l'un peut bien être pris pour l'autre, et que ce qui arrive à l'autre d'éclatant, profite à l'un: c'est l'affaire d'un wagon, et pas davantage.
Cette grande aventure dont Versailles s'est glorifié cette semaine, ne devinez-vous pas ce qu'elle est et ce qu'elle veut dire? Avez-vous si courte mémoire, et faut-il vous dire de regarder les choses qui sont sous votre nez et vous crèvent les yeux?
Eh bien! oui, j'entends; ne faites pas tant de bruit pour si peu de chose, et ne prenez pas ces airs grondeurs: c'est du spectacle offert par le roi aux représentants de l'industrie que vous voulez parler.--Précisément.--Parlez-en donc, je ne demande pas mieux.--Écoutez, je commence.
D'abord, je dois très-humblement m'accuser d'une erreur. Je pourrais bien dire, comme tant de coupables, «ce n'est pas ma faute!» ou comme les écoliers pris en flagrant délit, m'écrier: «Mais, monsieur, je vous assure que c'est chose qui en est cause!» Dieu merci! je suis plus brave que cela, et j'endosse hardiment mes peccadilles. Je reconnais donc, et j'en dis tout haut mon mea culpa, avoir très-faussement, mais non pas méchamment annoncé que le roi avait arrêté avant la représentation le spectacle ainsi qu'il suit: Lucrèce et la Ciguë. Entre nous, je tenais l'affiche de l'Odéon lui-même. Mais qu'importe que ce soit l'Odéon, que ce soit moi, que ce soit un autre? la vérité pure est que ni la la Ciguë, de M. Émile Augier, ni la Lucrèce, de M. Ponsard, n'ont eu l'honneur d'être conviées à la fête de Versailles. On les a laissées très-paisiblement au faubourg Saint-Germain, sur le théâtre où elles sont nées, et si elles vont jamais à la cour, ce sera une autre fois.
L'Opéra a damné le pion à l'Odéon; qu'on me passe cette expression peu poétique, mais que les joueurs d'échecs ne désavoueront pas. Le samedi 8 juin, M. Habeneck, chef d'orchestre de l'Académie royale de musique, est parti pour Versailles par la rive droite, conduisant, par le même convoi, l'ouverture, le deuxième et le troisième actes d'OEdipe à Colone, le quatrième acte de la Favorite, le deuxième et le troisième actes de la Muette; item MM. Levassor, Massot, Duprez, mademoiselle Dobrée et madame Stoltz pour le chant, et pour l'entrechat, MM. Coralli, Mabile et Petitpa, mesdemoiselles Robert, Adèle Dumilâtre, Sophie Dumilâtre et Maria. Ajoutez la polka, sans laquelle il n'y a pas du bonnes fêtes, pas plus à la cour qu'à la ville. La polka est de tous les rangs, de toutes les conditions et de tous les âges; on la danse de six mois à quatre-vingts ans, et du palais à la mansarde. Jamais on n'a vu, de mémoire de danse, une telle fureur, une telle fièvre, une telle épidémie.
A cinq heures, le salon d'Hercule, qui conduit à la salle de spectacle, était envahi par la foule des invités industriels; il y en avait plus de quinze cents, sans compter les conviés politiques, diplomatiques et de la familiarité. A sept heures, les portes du théâtre se sont ouvertes, et, chacun a pris place sur les banquettes et dans les loges indistinctement; on n'avait réservé que la loge royale et celle du corps diplomatique. Je ne vous nommerai pas les personnages qui figuraient dans cette réunion; il y en avait de tous les visages et de tous les costumes, depuis les plus jolis jusqu'aux plus laids, depuis les plus chamarrés et les plus brodés jusqu'aux plus simples et aux plus modestes; depuis la botte vernie, jusqu'aux souliers avariés. Un journal s'est fort indigné du négligé plus que sans façon d'un brave industriel, qui figurait dans cette assemblée; il avait un habit malpropre, dit-il, et les mains comme son habit. Un autre journal, qui ne tient pas à l'habit, a répondu que peu importait l'enveloppe, et que l'intérieur était le principal; «combien de consciences, a-t-il ajouté, cachées sous ces broderies d'or, qui auraient paru au grand jour moins nettes encore que ces mains et que cet habit qui vous ont si fort scandalisés.»--Telles sont les douceurs que se sont dites, à l'occasion de cette fête, le parti des mains propres et des consciences sales, et le parti des mains sales et des consciences propres.
A sept heures et demie, le roi a paru dans sa loge accompagné de toute la famille royale, excepté le duc d'Aumale, qui guerroie en Afrique. M. le comte de Syracuse, frère du roi de Naples, M. le prince Alexandre de Wurtemberg gendre du roi Louis-Philippe, complétaient le groupe royal et princier.
Je n'ai pas besoin de vous dire que M. Habeneck a conduit l'orchestre admirablement; que MM. Duprez, Levasseur, Massot ont chante admirablement; que mademoiselle Dobrée et madame Stoltz n'ont pas chanté moins admirablement; et que rien n'a été plus admirable que les entrechats, et les bonds, et les pirouettes, et les ronds de jambe, et les jetés-battus, et les grands et petits écarts de M. Coralli et de mademoiselle Maria, de M. Mabile et de mademoiselle Adèle Dumilâtre, de mademoiselle Sophie Dumilâtre et de M. Petitpa; n'oublions pas mademoiselle Robert, digne aussi d'admiration. Comment, en effet, dans une fête royale tout ne se ferait-il pas admirablement, et ne semblerait-il pas admirable? Quant à la polka, elle a été aux nues; il est vrai que mademoiselle Maria la danse à ravir. Peu s'en est fallu que les quinze cents spectateurs, et le corps diplomatique lui-même, dans leur enthousiasme, n'aient renouvelé la scène des juges du Procès du Fandango, et ne se soient mis à polker de toutes leurs forces.
Le roi a plusieurs fois exprimé sa satisfaction par des bravos; et tout le monde d'applaudir.
La salle, magnifique en elle-même, était d'ailleurs magnifiquement illuminée; le cristal des lustres y réfléchissait les feux de mille bougies.
Dans les entr'actes, des plateaux de rafraîchissements, portés par la livrée royale, ont circulé abondamment. Les quinze cents bouches et les trois mille mains qui composaient l'assemblée se sont précipités sur ces plateaux rafraîchissants, et en ont absorbé, la superficie liquide avec un empressement, une avidité, une reconnaissance que justifiaient, au plus haut degré, la température africaine qui avait converti cette salle de spectacle en une véritable étuve ou salle de bain russe.
Tout le monde cependant s'en est allé content, en s'épongeant le front avec son mouchoir. Si, par hasard,--ce qui est impossible,--quelques caractères maussades, quelques esprits mal faits, comme il s'en trouve partout, même dans les plus belles fêtes, s'étaient, déclarés peu satisfaits, ils n'auraient pas eu la consolation de pouvoir redemander leur argent. Voilà l'inconvénient des spectacles gratis.
Puisque nous sommes dans les comédiens, les chanteurs et les danseuses, n'en serions pas; aussi bien, c'est une espèce qui n'est pas sans agrément; et pourvu que vous vous teniez assez loin des danseurs pour qu'ils ne vous éborgnent pas d'un coup du pied; pourvu que vous soyez vis-à-vis des danseuses dans une altitude et à une distance qui les empêchent de vous enlever, à la pointe de l'orteil, votre cœur ou votre bourse, quelque fois l'un et l'autre en même temps; pourvu que vous n'ayez affaire qu'à des cantatrices et à des chanteurs au gosier mélodieux, et que vos oreilles ne risquent d'être ni déchirées ni mises en sang, on peut dire qu'il y a moyen d'avoir de l'agrément avec ces messieurs et avec ces dames.
Pour ne parler que de l'entrechat, en voici un charmant qui nous revient après une longue absence. Que dis-je, un entrechat? C'est une fine bayadère, une sylphide délicieuse, au pied leste, au doux sourire, aux attitudes harmonieuses et poétiques.--Est-ce de Taglioni que vous parlez?--Non, mais de quelqu'un qui lui ressemble et qui pourrait bien lui succéder, de Lucile Gralm.
Lucile Gralm est de retour à Paris depuis huit jours; elle arrive de Londres chargée de banck-notes et de couronnes, en veux-tu? en voici. Lucile Gralm donnera-t-elle quelques coups d'aile à l'Opéra? on ne dit ni oui ni non. M. Léon Pillet est incertain; cependant que faire? Dans quinze jours Marie Taglioni se retirera dans son triomphe et ira visiter le lac de Côme pour y choisir et y asseoir son nid. D'autre part, mademoiselle Carlotta Grisi est, dit-on, dans une situation qui conseille aux sylphides de se tenir paisiblement à domicile, en attendant qu'il leur soit permis de redevenir légères. Que fera cependant le ballet pantomime? Qui nous rendra la Willi et la Péri, et toutes ces filles de l'air? Je ne vois que Lucile Gralm, qui tombe des nuages tout exprès pour parer à ce déficit, Lucile Gralm qui n'a besoin que d'un bond pour remonter d'où elle est descendue!
Cependant quel bruit de vivat et de bravos nous arrive de Vienne, quel parfum de fleurs triomphales? C'est, à madame Pauline Viardot que ces bravos s'adressent; c'est madame Pauline Viardot qui récolte ces couronnes; le succès qui l'avait caressée fidèlement pendant son séjour à Saint-Pétersbourg, l'a suivie jusqu'à Vienne. La naïve Gazza, la tendre Lucia, ont ému ces bons Viennois jusqu'aux larmes; et notez bien que les Viennois s'y connaissent, et que ce n'est pas une petite marque d'honneur que d'obtenir leur approbation et de leur plaire.
Cependant nos lions et nos lionnes quittent Paris et commencent à se livrer furieusement à la villégiature; quant aux tigresses, il n'y en a plus. On va partir, on part, ou on est parti. Bade a ses attraits ordinaires; Spa s'est embelli et a doublé ses charmes; on va donc à Spa; Spa excite la curiosité; Spa attire par ses bois, par ses fêtes, par ses solitudes; c'est un mélange charmant de bruit et de silence; aussi entend on dire de tous côtés; «Où allez-vous cette année?--A Spa!--Et vous?--A Spa!--Et vous, là-bas?--A Spa!» En route donc et partons pour Spa, tous tant que nous sommes à qui le ciel accorde du temps, de l'argent et du loisir!
Un conscrit vient de renouveler l'histoire d'Achille à Scyros; il avait l'air si candide et si féminin, que le président du conseil de révision lui dit: «Mais, monsieur, vous êtes une demoiselle!--Pardon, monsieur, je suis un véritable conscrit, et je demande un briquet, ou la mort.»
Le président ne voulait pas se laisser convaincre; mais enfin il fut convaincu. Une autre fois, je vous dirai comment.
Le ciel a fait des siennes cette semaine, et s'est mis dans des rages de pluie terrible; un orage, une averse à Paris, est un des spectacles les plus récréatifs qu'on puisse imaginer; il faut voir toute cette population effrayée s'abritant sous les portes cochères et passant les ruisseaux à la nage. Si l'aventure arrive un dimanche, la comédie est complète: la terreur et le désordre que jette la pluie dans les mortels endimanchés ne sauraient se décrire. Or, le Paris du dimanche a été trempé jusqu'aux os l'autre jour, et crotté jusqu'à l'échine, par une inondation subite. C'était un désastre risible de chapeaux, de robes, de pantalons blancs, de jabots inouïs, et de cravates mirobolantes. Le lendemain matin, ce Paris là se brossait et se séchait encore.--Qui riait dans un coin? les tailleurs, les cordonniers et les modistes. Les orages profitent toujours à quelqu'un, et la preuve, c'est qu'il y a beaucoup d'honnêtes gens qui passent leur temps à amonceler et à grossir les nuages.
Un soldat en garnison à Paris s'est brûlé la cervelle dans la chambre de sa caserne; ce n'est pas le premier exemple de désespoir que nous ayons eu à signaler cette année dans l'armée; hier, c'était un soldat; l'autre jour, un sergent et un capitaine. A quelle cause attribuer ces résolutions fatales? Il n'y a pas d'exemple, sous l'empire, qu'un homme de guerre, officier ou simple soldat, ait attenté à sa vie. Il est vrai que la victoire ne leur laissait pas le temps de s'ennuyer, et que souvent une balle ennemie se chargeait de les guérir de la maladie du suicide.
Madame Dorval a définitivement rompu avec l'Odéon; elle fait un nouveau pacte d'amitié avec le théâtre Saint-Martin, son berceau en quelque sorte, et le témoin de sa réputation naissante et de ses plus beaux succès de sanglots et de larmes. Madame Dorval et la Porte-Saint-Martin sont liés l'un à l'autre pour dix-huit mois, à partir du mois de septembre. La célèbre actrice débutera par un drame nouveau, qu'on dit d'une grande hardiesse et d'une grande originalité.
(V. t. III, p. 43, 141.)
Dans un de nos précédents articles, nous avions signalé la nécessité de procurer un nouveau débouché à la circulation aux abords de l'embarcadère des chemins de fer de Rouen, Versailles et Saint Germain. L'affluence des voyageurs et des voitures encombre chaque jour d'une manière réellement dangereuse l'unique voie destinée à leur passage.
Nos prévisions se sont réalisées, et, l'on a senti qu'on ne pouvait larder plus longtemps à donner de nouvelles issues au mouvement de la population qui se porte vers ce point avec tant d'activité. Les abords du débarcadère, centre principal de ce mouvement, ont nécessairement attiré la première attention, et l'on a cherché à les rendre plus faciles, soit en ouvrant de nouvelles voies publiques dans cette direction, soit en élargissant celles qui seules y conduisent aujourd'hui.
Plusieurs projets ont été étudiés dans ce but. Celui qui satisfaisait le plus grandement les exigences de la circulation, avait été conçu dans une réunion des propriétaires du quartier. Il établissait d'abord une vaste place en face du débarcadère Saint-Lazare, dans les terrains vagues qui servent aujourd'hui de chantiers; puis du cette place rayonnaient des rues dans toutes les directions, pour rejoindre, d'abord la rue Sainte-Croix, au-dessus du collège Bourbon, et communiquer à la Chaussée-d'Antin par la rue Joubert; ensuite la rue Neuve-des-Mathurins, pour déboucher les rues Greffuthe et Godot, et parvenir au boulevard; enfin la rue Saint-Nicolas, pour communiquer avec la rue de l'Arcade.
A. Débarcadère Saint-Lazare.--B. Place
projetée.--1, 2, 3, 4. Rues projetées.
--c. Rue Sainte-Croix.--d. Rue de
l'Arcade.--e. Rue Neuve-Saint-Nicolas.
--f. rue de la Ferme.--g. Rue Godot--
h. Rue Neuve-des-Mathurins.--I. Rue
Greffuthe.--j. Rue Tronchet.
Ce projet, bien combiné sous le rapport de la circulation, présentait, il est vrai, d'assez grandes difficultés d'exécution, par le nombre de rues à ouvrir, l'importance des immeubles à exproprier, et les sacrifices pécuniaires à faire. Un travail beaucoup plus restreint fut donc proposé à l'administration municipale, et accepté presque aussitôt. Il consistait simplement dans le percement d'une rue de quinze mètres à travers les chantiers en face de l'embarcadère, et en prolongement de la rue de la Ferme, avec une espèce d'impasse qui eût donné dès à présent une seconde porte, au collège Bourbon, mais qui, pour l'avenir, menaçait l'existence de cet édifice: car, placée dans l'axe de la rue Joubert, cette espèce d'impasse en serait devenue nécessairement plus tard la continuation, à travers les bâtiments démolis du collège.
A. Débarcadère Saint-Lazare.--B. Rue
nouvelle de 15 mètres.--C. Impasse.
Entrée du collège Bourbon.--d. Collège
Bourbon.--e. Rue Saint-Nicolas.--f.
Rue de la Ferme.
Ce projet, bien que voté par le conseil municipal et sanctionné par une ordonnance royale, a soulevé une réprobation presque unanime. Évidemment une seule rue de quinze mètres était insuffisante pour les immenses besoins créés sur ce point par la réunion de trois chemins de fer, et à peine la décision fut-elle rendue, qu'on reconnut la nécessité de la modifier. Des propositions furent faites par une compagnie de propriétaires pour l'exécution d'un troisième plan; celui-ci abandonnait les rues rayonnantes d'abord projetées, mais conservait l'exécution d'une place, qui, coupée par des terre-pleins pour les piétons, eût donné à l'affluence des voyageurs et de la population tout l'espace nécessaire.
Ces propositions n'ont pas été adoptées complètement, et l'administration semble avoir pris un mezzo termine entre ce projet et celui qu'elle avait primitivement adopté. La place ne sera point exécutée, mais la grande rue du débarcadère sera portée à vingt mètres de largeur. Les rues Saint-Lazare et Saint-Nicolas seront immédiatement élargies, et le collège Bourbon prendra façade sur la nouvelle voie publique.
Il faut avouer que ce projet ne semble pas répondre encore aux besoins de la circulation. Une rue, même de vingt mètres, ne semble pas en rapport avec le développement que doit prendre chaque jour l'activité concentrée sur ce point. Cependant, quel qu'il soit, il devient urgent, et doit être promptement exécuté. On dit que des difficultés qui existent entre la ville de Paris et l'Université, pour l'échange des terrains dépendants du collège, en retardent seules l'exécution. Nous souhaitons qu'elles soient promptement terminées, dans l'intérêt des nombreux voyageurs que le débarcadère jette chaque jour sur la chaussée dangereuse et encombrée de la rue Saint-Lazare.
A. Débarcadère.--B. Rue de 20 mètres.
--e. Rue Saint Nicolas. --f. Rue de
la Ferme.
Mais ce n'est point seulement sur ce point que l'attention devrait se porter. Un seul débouché ne suffit pas à la circulation que les chemins de fer appellent dans le quartier Saint-Lazare et au carrefour de l'Arcade. Il serait bien temps que l'administration songeât à favoriser les efforts privés qui tendent à régulariser, à rendre plus viables et plus salubres les débris de l'ancienne Pologne. Déjà, il est vrai, elle s'est occupée de redresser une partie de la rue du Rocher, qui, suivant les sinuosités tortueuses de l'ancien chemin des Étrangers, aboutit si péniblement à la barrière Monceaux, que sa situation appelle à soulager la barrière Clichy, déjà tellement encombrée. Mais cette amélioration partielle n'aura qu'un bien faible résultat tant que les autres parties de la voie publique resteront dans cet état d'invalidité. Ne serait-ce pas le cas d'achever la rue Malesherbes, qu'un seul mur empêche de communiquer, par la place de La Borde, à la rue de la Pépinière? On obtiendrait ainsi une large voie de communication qui suppléerait à l'insuffisance et à l'irrégularité de la rue du Rocher. Puisque l'administration laisse construire partout sur l'emplacement de ce beau boulevard Malesherbes, dont deux décrets successifs avaient ordonné l'ouverture, il faudrait au moins qu'elle tâchât de conserver la seule partie qui n'est pas encore obstruée, et qui devient d'une véritable importance dans les prévisions d'un avenir peu éloigné.
Les événements se pressent cette semaine sous le burin, ou, pour être plus exact, sous la plume d'oie de l'historien. Ne voulant en omettre aucun et donner à tous l'espace qu'ils réclament, nous avons dû compter sur notre confrère le Courrier de Paris, pour peindre aux yeux de nos lecteurs les splendeurs plus ou moins réussies de la fête de Versailles, et sur les informations à la fois particulières et officielles d'un autre de nos collaborateurs pour rendre compte des scènes dont l'Afrique du nord vient d'être le théâtre.
Mais si nous sommes dispensé de suivre nos députés à la fête où ils ont été convies, nous devons rendre compte des travaux que, fatigués et haletants, ils poursuivent au Palais-Bourbon. Jamais session n'avait été plus longue, jamais, même au mois d'avril des années précédentes, plus de projets importants n'avaient figuré à l'ordre du jour ou n'y avait-il encore attendu leur inscription. Voilà six mois que nos législateurs siègent, et tout leur fait craindre que la fin de juillet ne les trouve encore à l'œuvre. Susie regardait comme devant être lourds et pesants les enfants conçus dans la canicule; législateur et contribuables ont tout à redouter de séances prolongées jusqu'à cette époque; à la façon dont les projets de chemins de fer viennent se mettre à la queue l'un de l'autre, nous avons lieu de craindre qu'il n'en soit des derniers votes de la Chambre comme des enfants de Susie. D'ordinaire, quand le rapport de la commission du budget était déposé, on s'empressait de fixer le jour de cette discussion finale, et tout au plus accordait-on place à une ou deux lois courtes et urgentes entre les deux budgets. Il n'en sera pas ainsi cette année: il n'est pas un députe qui consente à retourner dans son arrondissement sans y porter un bout de chemin de fer et l'ouverture d'un crédit quelconque. Lyon aura le sien; Bordeaux ne sera pas moins bien partagé; Lille et Calais n'attendront pas plus longtemps; Strasbourg sera parmi les élus; Nantes sera pourvu; Brest verra mettre un terme à ses inquiétudes; Vierzon enfin à lui seul aura trois chemins; si vous voyez quelque lieu oublié dans cette longue liste, dépêchez-vous de le signaler pendant que nos députés sont en verve, et ils ajouteront une, deux ou trois lignes nouvelles, s'il le faut, au partage d'un crédit total, insignifiant pour tant d'entreprises menées de front et qui les fera arriver à terme Dieu sait quand. Appliqué à une ou deux grandes lignes seulement il eût immédiatement doté le pays de quelques grande voie utile au transit ou à la défense nationale; il eût relié nos ports de l'Océan à ceux de la Méditerranée; mais malheureusement on tient d'avantage à relier la majorité au ministère et les électeurs aux élus dont on désire de voir plus tard renouveler le mandat. C'est une faute, et ce qui l'aggrave, c'est que c'est une définitive; il est impardonnable de retomber en 1844 dans les errements de 1842; à cette dernière époque il y avait du moins pour expliquer, nous ne disons pas justifier, une démarche semblable, une dissolution et une réélection prochaines, mais en vérité prendre les précautions d'aussi loin et à la seconde session d'une législature, c'est se tenir sur le qui vive! en plein jour. Quoi qu'il en soit, on doit craindre que la raison ne prévale pas, car il y a trop d'intérêts, et d'intérêts égoïstes qui tiennent à ce que les choses se passent autrement. On donnera donc pour commencer un million au chemin de fer qui en demanderait cent. Ce mode de procéder ressemble assez à celui du père de famille qui à la naissance d'un enfant, va déposer mille francs à une compagnie d'assurance sur la vie pour constituer au nouveau-né une dot quand il sera grand. Le père de famille fait sagement; mais l'État ne devrait pas traiter le pays en enfant.--Cent quatre-vingts députés environ ont signé une déclaration portant qu'ils ne sont intéressés directement ni indirectement, comme actionnaires, commanditaires ou administrateurs nommés ou désignés, dans aucune des lignes proposées en ce moment au vote des Chambres. C'est fort bien; mais l'intérêt d'argent n'est malheureusement pas le seul qui déteigne sur la boule qu'on est appelé à mettre dans l'urne, et l'intérêt de réélection et le besoin de complaire à tout prix à ses commettants agissent souvent sur tel homme qui saurait se tenir en garde toute préoccupation pécuniaire. Tout compte fait, nous préférerions donc à la déclaration que l'on signe, un engagement de demeurer sourd à toute influence locale et de ne voter que deux grandes lignes en concentrant sur elles toutes les ressources.
C'est le parti que la Chambre vient de prendre pour des travaux à opérer dans nos ports marchands. Elle a voulu que le Havre, Marseille et Bordeaux fussent immédiatement mis en état de satisfaite aux besoins de notre marine commerciale et elle a rejeté les crédits demandés pour les ports de Bauc et de Martignes, qui plus tard auront leur tour,--Le port du Havre ne sera pas seulement agrandi, il sera encore fortifié. Un crédit a été voté pour que son état de défense, aujourd'hui si pitoyable, soit amélioré.
Après un délai calculé et quand la certitude a été bien acquise que l'ordre du jour de la chambre des députés ne pourrait plus admettre d'inscription nouvelle, M. le ministre de l'instruction publique s'est senti le courage de porter au Palais-Bourbon le projet sur l'enseignement secondaire adopté ou plutôt bouleversé au Luxembourg. M. Villemain, comptant ses meurtrissures, a trouvé que le nombre en était bien honnête pour une session. C'est donc, nous le répétons, uniquement pour la forme que le ministre a fait cette présentation. Mais force lui a été de rédiger un nouvel exposé des motifs, et, dans cette préface, l'œuvre de la chambre des pairs, qui la suit, se trouve, pour qui sait lire, dénoncée à la chambre des représentants du pays; nous disons pour qui sait lire, car le courage de M. Villemain ne fait jamais éclat; son énergie doute d'elle-même, et elle a bien raison. C'est une position toute nouvelle, que celle d'un ministre venant présenter une loi et faisant comprendre qu'il la désapprouve.--Pendant que le grand maître de l'Université vient déposer sur le bureau de la Chambre ses timides doléances, son plus fougueux adversaire parcourt quelques-uns de nos départements, et reçoit, dans les palais épiscopaux, des ovations pour la campagne qu'il a faite et pour les victoires qu'il a remportées tout en feignant de demeurer victime. A Lyon, on félicite M. de Montalembert «d'avoir eu le courage de professer hautement la foi catholique, au milieu des représentants d'une nation dont la majorité est catholique.» Ce n'est pas obligeant pour la chambre des pairs, qui, en vérité, n'a rien fait pour être excommuniée.--On voit, en même temps, le clergé inférieur, dont M. Persil avait fait remarquer le calme au milieu de l'émotion passionnée que montraient plusieurs prélats, être subitement mis en mouvement dans tous les diocèses dont les évêques ont protesté contre le projet de loi sur l'enseignement secondaire, et signer des adresses pour féliciter leurs supérieurs de leur opposition. La dépendance où se trouvent les curés, le pouvoir qu'a le chef d'un diocèse de briser l'ecclésiastique qui ne prend pas l'expression de son désir pour un ordre, ôtent, on le sent, beaucoup de leur signification à ces démonstrations nouvelles. On a fait observer, avec raison, que les prélats qui n'ont pas protesté pourraient, à l'aide d'injonctions semblables, obtenir de leurs subordonnés des félicitations tout aussi unanimes pour leur abstention. Qu'est-ce que cela prouverait? Précisément tout aussi peu que prouvent aujourd'hui les adresses contraires.
La chambre des pairs vient de voter le projet de loi sur le recrutement de l'armée, précédemment adopté par la chambre des députés. On ne s'attendait nullement à voir cette assemblée exiger la constitution d'une réserve sérieuse, telle que la proposait, en d'autres temps, M. le maréchal Soult; sur ce point, l'opinion publique n'aura pas été trompée dans ses conjectures; mais le ministère paraissait s'attendre au rejet de tous les amendements et de ce côté, il a éprouvé un mécompte qui le forcera à rapporter de nouveau ce projet au Palais-Bourbon. On a adopté un amendement qui consiste à exempter du service militaire celui dont le frère est sous les drapeaux comme remplaçant. Cette disposition, qui n'a pas été insérée dans le projet, était écrite dans la loi de 1832.
L'attaque du Maroc contre nos troupes devrait au moins nous valoir d'être dispensés d'entendre d'interminables dissertations sur la question de savoir si nous aurons la guerre avec l'empire. «Nous l'avons de fait,» comme dit le général Lamorandière dans son bulletin, et la guerre de fait aussi la plus incontestable comme aussi la plus meurtrière que nous connaissions. Le gouvernement, du reste, ne paraît pas partager les doutes, les destructions, les incertitudes de nos discuteurs politiques; le Moniteur a aussitôt publié une note pour annoncer que le roi venait de décider que M. le prince de Joinville porterait son pavillon de contre-amiral sur l'un des vaisseaux de l'escadre d'expédition, et se rendrait avec son vaisseau, accompagné d'une frégate à vapeur, de deux bâtiments à vapeur de moindre force et de plusieurs bâtiments légers, en croisière sur les côtes de l'État de Maroc.
La guerre étant déclarée, nous ne rappellerons ce que nous disions précédemment sur l'extension des opérations militaires dans tous les sens, que pour demander que l'action se concentre sur les points où la lutte est engagée, et pour qu'on n'aille pas chercher la guerre à l'est comme on se trouve l'avoir à l'ouest.
Les nouvelles de Montevidéo se sont succédé à peu de jours de distance. Un Français nommé François Subescasse, qui, à aucune époque, n'avait pris les armes, a été saisi de force, dans les environs du Montevidéo, par les soldats du général Oribe et entraîné au camp. «Là on a voulu l'enrôler dans les troupes argentines, dit le National montevidéen. Arrivé au quartier-général, il s'est trouvé en présence de M. Pichon, auprès duquel il s'est empressé de solliciter aide et protection. Pour toute réponse, le consul lui a tourné le dos.» Jeté en prison, le sieur Subescasse a trouvé moyen de s'échapper, et il est revenu à Montevidéo faire et signer au secrétariat du général Paez, une déclaration où ont été consignés ces faits et plusieurs autres, notamment la présence dans les rangs de l'armée d'Oribe, de Français liés avec M. Pichon, qui les laisse porter la cocarde tricolore et ne songe pas le moins du monde à les dénationaliser.--M. le contre-amiral Lainé, qui arrive dans ces parages pour remplacer M. Massieu de Clerval, a adressé aux Français formant la légion étrangère une proclamation qu'on pourrait croire rédigée dans les bureaux du ministère de la marine, car elle réfléchit tous les sentiments que M. de Mackau a récemment exprimés à la Chambre, et renferme une sommation de déposer les armes. Il y a été répondu par une résolution prise dans la journée du 13 mars, ratifiée dans celle du 19 et communiquée le 26 à l'amiral; «résolution disent nos compatriotes signataires, publique, solennelle, unanime et spontanée.» Cette résolution, comme on le pense bien, est un refus formel de déposer les armes pour se livrer eux et livrer les Montevidéens que nous avons ameutés, et qui les ont accueillis et traités en frères, à toutes les fureurs d'Oribe et de Rosas.--Il paraît que des succès assez importants ont été obtenus, en diverses rencontres, par les troupes de Montevidéo. Les succès seraient même assez marqués pour avoir donné à MM. de Mandeville et de Lunde la confiance d'adresser une note nouvelle à Rosas pour obtenir la levée du blocus et la libre navigation des rivières.
Haïti est aujourd'hui entièrement soulevé contre le gouverneur, le général Hérard Rivière. On répète souvent qu'il n'y a là-dessous aucune rivalité de castes; cependant nous voyons des généraux noirs s'emparer partout des commandements. Au cap haïtien, la présidence est déférée au général Guerrier par une proclamation signée des membres du conseil d'État. Le général Pierrot est invité à se concerter avec lui; le général Lazarre lui est adjoint. Le général Pierrot, se rendant à l'invitation, est entré le 1 mai au Cap, à la tête de 2,000 hommes. Le ministre de la guerre et des affaires étrangères, Hérard-Dumesle, a été arrêté et est gardé à vue. On a signifié sa déchéance de la dignité de gouverneur au général Hérard-Rivière, qui ne compte plus, par suite des défections, que 1,000 hommes à son camp d'Azua. Le général noir Acana a marché sur les Cayes, qui jusque-là étaient demeurés en dehors du mouvement, s'est emparé de la ville le 5 mai et y a commis les excès les plus cruels et les plus révoltants. Huit cents habitants, pour s'y soustraire, se sont réfugiés sur des navires qui les ont conduits à la Jamaïque et dans les îles voisines. Au milieu de tous ces malheurs notre marine marchande sait faire preuve de sentiments humains et généreux.
Mais, après avoir passé en revue tous les événements extérieurs dans lesquels la France ou les Français ont eu un rôle, nous arrivons au séjour, nous devrions dire au passage de l'empereur de Russie à Londres. Les feuilles anglaises, qui ont tenu un journal très exact des faits et gestes du czar, nous ont dit qu'il avait pour principe de ne jamais consacrer plus d'un quart d'heure aux visites particulières qu'il faisait. Il paraît qu'une semaine franche est aussi tout ce qu'il accorde aux États qu'il veut le mieux traiter. Il est bien constant que la réception et la visite ont été plus politiques que cordiales, l'empereur Nicolas lutte avec trop d'énergie et de succès contre l'influence anglaise dans l'Inde et ailleurs, pour qu'un peu de rancune ne vienne pas se joindre, à Londres, à l'estime que, du reste, on ne peut refuser aux souverains qui savent prendre les intérêts de leurs peuples. Mais ces sentiments combinés font aux visités de demeurer froids, et au visiteur de se montrer digne; chacun s'est maintenu dans l'esprit de son rôle. Aux banquets, aux réceptions royales, dont les invitations portaient «pour voir l'empereur de Russie et le roi de Saxe,» ont succédé les courses de chevaux et les revues. Aux banquets, les feuilles anglaises ont remarqué que Nicolas mange très-vite; aux réception, qu'il était plein d'attentions pour la reine Victoria; aux courses, qu'il parlait merveilleusement cheval; et aux revues, qu'il y montait infiniment mieux que le duc de Wellington et que M. Peel. On nous dit bien tout ce qui s'est fait, mais nous aurions plus d'intérêt à savoir tout ce qui s'est dit. Après la revue, où la reine est demeurée dans sa voiture dételée, de peur d'un accident, que sa situation de grossesse avancée eût rendu plus déplorable, l'empereur Nicolas, qui avait pu sourire intérieurement, si nous en croyons l'Examiner, d'une scène de colère burlesque du prince Albert contre les artilleurs et de la tenue peu maritale des dragons, s'est approché de la reine et lui a dit: «Madame, vos troupes très-belles, les miennes le sont moins; mais telles qu'elles sont, elles seront toujours et en toutes circonstances à votre disposition.» Il est bien évident que la reine n'en a rien cru, et que l'empereur n'en pensait pas un mot; mais il y a tout à parier que, dans les conversations particulières avec M. Peel, Nicolas aura été moins complimenteur, sinon plus sincère, et que suivant la croyance des bonnes femmes, les oreilles de la France ont dû plus d'une fois lui remuer.--Enfin, avoir donné lieu à la police d'arrêter un Polonais distingué qui s'était permis, chez un tailleur, quelques plaisanteries à l'endroit d'une culotte destinée l'autocrate; après avoir, par contre, envoyé 500 livres sterling (12,500 francs) à la souscription du bal des réfugiés de Pologne, que l'on n'avait pas voulu ajourner, et sans doute pour montrer qu'il n'éprouvait nul dépit de ce refus d'ajournement; après avoir fondé un prix de course de 1,000 livres sterling (25,000 francs); après avoir laissé 220,000 francs pour les distribués aux domestiques du palais de Buckingham, et avoir acheté pour un million approchant de bagues, d'épingles, de colliers et de toute cette bijouterie courante dont l'empereur gratifie les danseuses, les chanteurs et les auteurs de pièces, Nicolas, qui rend, par ces frugalités, bien lourd et bien rude pour soutenir le rôle de souverain visiteur à Londres, est parti dimanche soir pour Sandwich. Lundi, à quatre heures de l'après midi, il arrivait à La Haye, auprès de sa sœur, la reine des Pays-Bas à laquelle il avait promis de consacrer quarante-huit heures.
La Porte, après avoir longtemps menacé, s'est décidée à agir contre les Albanais. La Gazette d'Augsbourg nous apporte le premier bulletin de cette lutte dans la lettre suivante, de Constantinople, 22 mai: Les 13 et 17 courant, les troupes turques ont remporté deux victoires signalées sur les Albanais. Krischowa a été prise d'assaut après une vigoureuse résistance de la part des révoltés, qui ont eu cent hommes tués et autant de blessés. Il paraît que les troupes turques ont éprouvé une perte plus considérable. Les Turcs ont laissé à Krischowa une forte garnison, et se sont retirés dans leur camp. Omer-Pacha, après avoir battu les Arnautes près d'Uskup, s'est emparé de cette ville. Plus de trois cents Albanais sont restés sur le champ de bataille. Ils ont eu six cents blessés. Parmi les prisonniers se trouvait un des chefs qui a été blessé; on l'a immédiatement fusillé. Toutefois, le foyer de la révolte n'est point à Uskup, mais à Kaliandereh. Les Arnautes y sont en grand nombre. Le pacha n'ose pas les attaquer, car la position est trop avantageuse pour eux. On envoie de nouvelles troupes dans les provinces. La Porte Ottomane a adressé aux ambassadeurs des puissances européennes des bulletins de ces victoires.
Portrait du duc d'Angoulème, d'après sir Thomas
Lawrence.
Le président du ministère grec, M. Maurocordato, vient de donner sa démission. Tous ses collègues étaient, au départ du dernier paquebot, à la veille de suivre cet exemple. On écrit que le général Colettis sera chargé de composer le nouveau ministère.
Un autre vous dira l'inondation qui est venue affliger le palais mal assujetti de l'exposition. Nous pourrions aussi faire passer sous les yeux de nos lecteurs les scènes déchirantes dont un ouragan furieux a, le 22 février, rendu l'île Bourbon le théâtre. Mais la mort réclame les dernières lignes dont nous puissions disposer, et les ruines doivent lui céder le pas.
Madame la baronne Pasquier, née de Saint-Roman, a terminé à quatre-vingt-deux ans une carrière qu'avaient marquée de nombreuses bonnes œuvres.--Madame Augustin Thierry a été enlevée à l'historien célèbre dont son dévouement et son admiration l'avaient fait la compagne, et qui cherchait à lui faire oublier par ses soins, par son culte, les infirmités que cette séparation va rendre encore plus cruelles.--Enfin un neveu de notre illustre naturaliste, M. Cuvier, ingénieur distingué du corps des ponts et chaussées, a mis fin à des jours dont le découragement s'était emparé.
La terre d'exil a reçu de son côté les restes de S. A. R. monseigneur le duc d'Angoulème. Ce prince est mort le 5 de ce mois à Goritz, où repose déjà le roi son père. Il était né à Versailles, en 1775, et avait reçu dans l'émigration la main de la fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, à qui était réservée une douleur nouvelle, celle de survivre au prince son époux.
Répondez-moi quand de ma flamme
Je vous peindrai la vive ardeur
Répondez-moi car de mon âme
Un mot peut faire le bonheur
Répondez-moi. Si j'ose dire
Que je vous ai donné ma foi
Pour faire cesser mon martyre
Répondez-moi
Répondez-moi.
2e Couplet
Répondez-moi l'inquiétude
Augmente encore ma douleur
Répondez-moi l'incertitude
Est plus affreuse qu'un malheur,
Répondez-moi car votre bouche
D'un mot peut calmer mon effroi
Par mon amour si je vous touche
Répondez-moi
Répondez-moi.
3e couplet
Répondez-moi sans me rien dire
Si vous craignez un tendre aveu
Répondez-moi par un sourire
L'amour se contente de peu
Répondez-moi bonheur suprême
Que vous ne chérirez que moi.
Si vous m'aimez autant que j'aime
Répondez-moi
Répondez-moi.
La chambre des députés vient d'entamer la discussion des projets de loi relatifs à l'établissement des grandes lignes qui doivent unir Paris à Bordeaux, à Lyon, à Strasbourg, à la frontière du Nord, au centre de la France, etc. Dans ce moment décisif, où tout ce que le pays renferme de bons citoyens doit désirer que les mesures arrêtées par le pouvoir législatif soient prises exclusivement dans des vues d'intérêt général, nous croyons utile de donner un résumé rapide des diverses considérations qui se rattachent au sujet.
On sait d'abord en quels termes la question est posée aujourd'hui. La loi du 11 juin 1842 a décidé que l'on exécuterait, sur les fonds du trésor, les terrassements et les travaux d'art des grandes lignes de chemins de fer; que l'État, les départements et les communes intéressées paieraient les indemnités de terrain; que l'exploitation de ces chemins serait confiée à des compagnies; enfin, que l'exécution même pourrait être concédée moyennant des subventions du trésor.
La première et la plus difficile partie des travaux entrepris en vertu de la loi du 11 juin 1842 est actuellement terminée, ou dans un degré notable d'avancement, sur les chemins de fer de Paris en Belgique, d'Orléans à Tours, d'Orléans à Vierzon, etc. L'État n'a pas failli à la tâche qui lui était imposée. Il l'a accomplie dignement, avec promptitude, avec économie. Les ouvrages sont exécutés partout avec ce caractère de solidité qui est loin de nuire à l'aspect général, et que nécessite une sage prévoyance; les dépenses effectives ne dépassent presque nulle part les estimations des projets, et, sur certains points, elles seul restées au-dessous. Le reproche d'incapacité, que l'on a si souvent et si bruyamment adressé à l'État, est dune jugé; ceux-là même que des intérêts privés, que des passions, ou que l'erreur d'un instant avaient entraînés, n'osent plus répéter les allégations erronées, et souvent odieuses, dont certaine partie de la presse et la tribune retentissaient naguère. Des hommes honorables sont venus proclamer qu'ils s'étaient trempés, prenant soin de montrer par cette démarche, si digne d'éloges, qu'ils avaient été de bonne foi dans l'erreur, et qu'ils se rendaient aussitôt qu'ils reconnaissaient la vérité.
D'un autre côté, les profits considérables que réalisent les compagnies exploitantes des chemins de Rouen et d'Orléans ont ranimé plus que jamais l'ardeur, si longtemps éteinte, des spéculateurs. Des compagnies nombreuses se sont formées, et viennent réclamer, au nom de la loi de 1842, une concession à long terme (de quarante ans environ), soit des lignes déjà construites par l'État, soit des chemins à établir prochainement, à charge par elles d'achever les travaux en posant la superstructure, et de se munir du matériel nécessaire à l'exploitation. Ces compagnies sont désignées par l'épithète de financières.
Les compagnies fermières qui se sont formées en concurrence avec celles-ci ont des prétentions plus modérées. Elles laissent à l'État le soin d'achever complètement les chemins de fer; et, moyennant la fourniture du matériel, son entretien et celui de la voie, dépenses qu'elles prennent à leur charge, elles demandent une concession dont la durée maximum serait de douze ans.
Il existe enfin un troisième système qui compte, dans les Chambres et dans la presse de toutes les nuances d'opinions, de nombreux partisans, parmi lesquels nous nous rangeons. Nous voulons parler de l'achèvement complet et de l'exploitation par l'État.
Examinons successivement les arguments présentés à l'appui de ces trois systèmes différents.
D'abord, en ce qui concerne les compagnies financières, nous trouvons, dans une brochure qui n'a pas trois mois d'existence, mais qui est cependant déjà célèbre, le manifeste le plus hardi, le plus belliqueux que l'on ait publié en leur faveur, c'est là que les partisans de l'aristocratie d'argent ont réuni tous leurs arguments les plus décisifs, arguments que nous résumons sous forme aphoristique, dans leur expression la plus simple, sans rien y ôter de leur force non plus que de leur naïveté.
1º Les travaux publics bien entendus sont profitables à tout le monde, sans rien coûter à personne.
2º L'État ne doit faire de travaux d'utilité publique que ceux qui ne peuvent absolument rien lui rapporter, «et que l'industrie privée a refusé d'exécuter, même au prix des plus grands encouragements.» (Sic.)
3º L'État ne doit pas regretter la privation de bénéfice qui résulterait pour lui de l'abandon des lignes de chemins de fer les plus productives; car, autrement, il devrait aussi se réserver le monopole de la fabrication des fers, des draps, des soieries, des vêtements, etc.
4° Il faut se réjouir «de tout ce qui tend à augmenter cette fortune de chacun, qui est la fortune de tous, au point de vue de l'économie publique.»
5º Les chemins de fer exploités par l'État ne rendront pas les mêmes produits qu'entre les mains des compagnies, par beaucoup de raisons, et entre autres «parce qu'il sera plus mal placé que personne pour choisir un personnel d'élite auquel le feu sacré, l'intérêt privé (sic) manquerait toujours».
Le premier de ces arguments est d'une parfaite évidence pour tout le monde, et nous pouvons nous dispenser de nous y arrêter, parce qu'il ne prouve rien en faveur des compagnies.
Le second, le troisième et le quatrième ne sont pus moins clairs, mais reposent sur des bases plus contestables. Nous ne comprenons pas bien pourquoi l'État s'interdirait de profiter de toutes les sources propres à accroître directement ses revenus, et se réserverait, avec un soin scrupuleux, toutes les mauvaises affaires, celles dont personne ne voudrait à aucun prix. Ce serait trop bien justifier la qualification d'incapacité dont on l'a si souvent gratifié. Il réclame la propriété exclusive et l'exploitation des chemins de fer comme une branche d'industrie nouvelle, trop importante pour qu'on l'abandonne à tous les abus d'une exploitation faite dans l'intérêt exclusif d'une compagnie, trop fructueux pour qu'on ne doive pas en faire profiter le trésor public; il la réclame comme il a réclamé et conservé le monopole de la fabrication des tabacs et celui du transport des lettres. Les maîtres de forges, les fabricants de draps et de soieries, les tailleurs, les marchandes de modes, etc., peuvent se rassurer; de longtemps, au moins, ils n'ont à craindre que l'État les exproprie pour façonner tout seul et sans concurrence les produits de leur indutrie. Aussi ne paraissent-ils pas s'émouvoir beaucoup du cri d'alarme qui leur a été jeté.
Oui, sans doute, il faut se réjouir de tout ce qui tend à augmenter la fortune de tous. Mais nous sommes moins sensible, nous l'avouerons, à l'accroissement, de la fortune de chacun de ceux qui ont été assez favorisés pour placer à coup sûr, dans certaines entreprises de chemins de fer, des sommes dont la valeur est aujourd'hui doublée. Les capitaux consacrés à l'exécution des lignes de Paris à Orléans et à Rouen n'auraient rien perdu, que nous sachions, à être placés par l'État; et s'il n'en était pas résulte d'augmentation pour la fortune du chacun dont parle l'avocat des banquiers, cependant chacun, dans le sens grammatical du mot, aurait pu se réjouir de voir l'État percevoir des profits dans une entreprise utile à tous.
Quant au cinquième et dernier argument, il nous suffira de l'avoir reproduit textuellement. Grâce aux sentiments généreux que l'on n'est point encore parvenu à étouffer dans la masse de la population française, de pareilles doctrines ne sont pas dangereuses. Bien loin de là, il importe au triomphe des vrais principes que les partisans les plus honorables d'une mauvaise cause prennent eux-même le soin de dévoiler, dans leur repoussante nudité, les conséquences de leurs erreurs.
L'intérêt privé, voilà donc le feu sacré! L'amour du bien public, la haine de l'injustice, l'enthousiasme de la gloire et de la liberté, l'abnégation de soi-même, le dévouement à l'amitié, à la famille, à la patrie, vains mots que tout cela!--Au fond de cette phraséologie de convention, il n'y a qu'un fait, l'intérêt privé.--Prenons donc en pitié les hommes généreux de tous les temps et de tous les pays qui se sont sacrifiés à ces folles idées; l'immortalité que leur décerne la voix du peuple n'est que le résultat de l'ignorance et de la barbarie des masses. Encore quelques progrès dans la voie où nous marchons, et les plus nobles caractères de notre grande révolution ne seront plus que des types ridicules. Et vous, hommes de bien qui, placés sur un théâtre moins en évidence, avez consacré à votre pays les fruits de vos veilles et de vos travaux! Brémontier, lorsque tu préservais, dans les landes de Gascogne, une contrée entière envahie par les sables! Fresnel, quand tu t'épuisais dans ces recherches dont les résultats merveilleux, appliqués aujourd'hui à l'éclairage de nos côtes, sauvent tous les ans la vie à des milliers de navigateurs! Vicat, toi qui le premier as trouvé des moyens toujours certains, toujours faciles, de donner à nos édifices, à nos habitations, à nos constructions de tout genre, la salubrité et la solidité, qui n'étaient auparavant que l'effet du hasard et des circonstances locales; lorsque tu divulguais les résultats de tes ingénieuses analyses, épargnant ainsi à ton pays plusieurs millions chaque armée, et donnant à tous les travaux publics qui s'y exécutent des chances de durée que n'avaient pas les ouvrages si vantés des Romains! Brémontier, Fresnel, Vicat, Sganzin, Prony, Navier, Coriolus, et vous tous, ingénieurs illustres, dont le nom n'est prononcé qu'avec respect, même dans les pays étrangers, le feu sacré vous manquait! Il manque aussi à vos dignes émules, il manque à vos jeunes successeurs. Non, sans doute, l'intérêt privé n'était pas votre mobile, et n'est pas encore le leur. «L'État.» au service duquel ils ont consacré leur vie, «sera plus mal placé que personne pour choisir,» parmi de tels hommes, «un personnel d'élite.» Du reste, malgré l'appui que les compagnies financières ont trouvé au sein même des Chambres, leur cause est désormais jugée. Parmi les publications qui ont le plus contribué à éclairer le public sur la valeur des prétentions de ces compagnies, nous signalerons deux brochures de M. Bonnardet de Lyon. Sagement pensées, écrites avec élégance, ces brochures se recommandent par un sentiment profond de moralité, qui prête aux arguments de l'auteur une force que n'ont pas ceux de ses adversaires. Spirituel autant que judicieux, M. Bonnardet a déversé sur le manifeste publié par le défenseur officieux des compagnies financières, un ineffable ridicule. Nous espérons mettre bientôt nos lecteurs à même d'en juger. Les compagnies financières, après avoir réclamé naguère la garantie d'intérêt avec concession de quatre-vingt-dix-neuf ans, préfèrent aujourd'hui ce qu'elles appellent plaisamment le système de garantie réciproque. Voici en quoi consiste ce système:
«L'État serait chargé des travaux d'art évalués à 200,000 f. par kilomètre; il paierait, en outre, avec les communes et les départements, toutes les indemnités de terrain. Les compagnies fourniraient les rails, évalués à 100,000 fr., et le matériel à 50,000 fr. La concession serait pour les bonne» lignes de 46 ans et 324 jours. L'État garantirait à la compagnie, pendant ce temps et à tout événement, 4 p. 100 de son capital. Il serait admis postérieurement à la compagnie, à un prélèvement de 4 p. 100, aussi de son capital, mais sans garantie. Le surplus des produits appartiendrait en totalité à la compagnie.»
Nous avouerons volontiers maintenant que nous accepterions comme un immense bienfait les offres de compagnies fermières, plutôt que de passer sous les fourches caudines des compagnies financières. Il est clair, en effet, qu'en aliénant, pour une dizaine d'années seulement, l'exploitation des chemins de fer, l'État ne peut s'exposer à manquer les bénéfices considérables que lui enlèverait une concession d'une quarantaine d'années. Mais ce système, quoique incontestablement supérieur au premier, n'est pas encore sans inconvénient: il entraverait, en général, l'action régulatrice de l'État, qui ne pourrait, à son gré, modifier les conditions du bail, conformément aux progrès de l'art, ni les tarifs suivant les besoins des populations. Si la condition du rachat du matériel et de la voie, à dire d'expert, lors de l'expiration du bail, si l'intérêt même de la compagnie fermière offrent des garanties suffisantes d'un bon entretien, la courte durée des baux ne permettrait pas d'espérer que des perfectionnements majeurs, même d'une utilité incontestable, fussent admis par les exploitants, dès qu'il faudrait, pour cela, une dépense un peu considérable. Aussi ne considérons-nous le fermage à court terme que comme une mesure transitoire, admissible sur quelques lignes moyennant certaines conditions qui, sans compromettre les intérêts des exploitants, laisseraient à l'État des moyens d'action suffisants. Comme mesure définitive, nous pensons que l'achèvement complet et que l'exploitation par l'État doivent être préférés, et que ce principe doit être inscrit dans tous les baux à courts termes qui pourraient être concédés.
Il n'y a que deux cas où, suivant nous, l'État puisse consentir à se dessaisir, pour un laps de temps de trente à quarante années au plus, de la propriété ou de l'exploitation d'un chemin de fer: 1º une ligne projetée, tout en ayant un caractère prononcé d'utilité publique, ne peut être classée au rang de celles qu'il est nécessaire d'ouvrir, et qu'une compagnie ayant obtenu, dans les localités intéressées, soit les capitaux nécessaires, soit la garantie d'un minimum d'intérêt, offre d'exécuter complètement à ses risques et périls, il y aura lieu de prendre ses propositions en grande considération et de les accepter, à moins de motifs graves; 2º une compagnie financière se présente pour appliquer à ses risques et périls, sur une ligne longue, mais dont les produits sont douteux, un système de locomotion ou de construction nouveau, qui, s'il ne trompe pas les espérances qu'on en a conçues, donnera une économie notable dans les frais de construction et d'exploitation. Tel est le cas d'une soumission qui vient d'être faite pour l'emploi simultané, sur la ligne de Strasbourg, du système atmosphérique et des convois articulés de M. Arnoux. Il est évident qu'à moins de repousser tout progrès, on peut accueillir une soumission de ce genre, à moins, toutefois, que le gouvernement ne se charge lui-même de l'expérience, ce qu'il devrait faire pour tout système nouveau dont les avantages lui seraient complètement démontrés.
Mais, à part les deux cas que nous venons de signaler, à part la durée d'un bail provisoire et à court terme, les raisons les plus puissantes et les plus décisives se réunissent en faveur de l'exploitation comme de l'exécution par l'État.
L'État, les départements et les communes, par l'exécution de la loi de 1842, vont se trouver grevés d'une dépense d'environ 600 millions. Les chances défavorables, lesquelles ne se rencontrent que dans la confection des travaux, n'existent que pour le trésor; et lorsque plus des trois cinquièmes de la dépense totale auraient été prélevés sur les contribuables, on viendrait dire aux capitalistes: «Vous n'avez pas pu exécuter les chemins de fer; permettez-nous de vous offrir ceux que nous venons de confectionner plus qu'à moitié; vous n'avez plus, pour en récolter les produits, qu'à les achever, moyennant une dépense notablement moindre que la nôtre.»
Cet appel serait certainement entendu pour toutes les lignes fructueuses; mais, pour les lignes peu productives, elles resteraient à la charge de l'État, qui ne pourvoirait à leur exploitation qu'au moyen de sacrifices sans compensation. L'État se trouverait donc dans la triste nécessité de déshériter une portion notable du territoire de ces voies de communication perfectionnées ou bien d'écraser les contribuables au profit de quelques compagnies privilégiées.
On a parlé des charges qui pèsent sur nos fiances et des difficultés d'un emprunt. On s'est réjoui de trouver les capitaux nécessaires à l'achèvement de quelques lignes productives, parce que, dit-on, l'État, en acceptant ces capitaux, se trouvera garanti des chances défavorables qu'il trouverait pour la réalisation de l'emprunt en cas de guerre.--Mais a-t-on oublié la distinction essentielle à faire entre les dépenses productives et celles qui ne le sont pas? ne sait-on pas que nul n'a un crédit plus solide, mieux établi, plus justement mérité que l'État? n'est-ce pas à lui que se sont adressées, que s'adressent encore tous les jours les entreprises malheureuses? n'est-ce pas lui qui a soutenu de ses fonds ou de son crédit les chemins de fer de la Grande-Combe, de Versailles (rive gauche), de Bale à Strasbourg, d'Orléans, de Rouen, du Havre, d'Adrezieux à Roanne? Si les actions du chemin de fer à peine commencé entre Avignon et Marseille sont cotées aujourd'hui à plus de 70 pour cent au-dessus du prix d'émission, est-ce à la puissance de l'industrie privée ou aux 30 millions donnés gratuitement par l'État qu'il faut l'attribuer? et si quelque crise extérieure venait à rendre plus onéreuses les condition» d'emprunt, pense-t-on que l'industrie ne sentirait pas elle-même le contre-coup de cette crise? ose-t-on prétendre qu'elle seule resterait ferme et inébranlable dans l'exécution de ses engagements, tandis que le crédit public éprouverait de rudes atteintes?--L'histoire édifiante de la compagnie du chemin de fer d'Orléans, telle que M. Bartholomy a oublié de nous la dire, mais que M. Bonnardet n'a pas manqué de nous rappeler, celle de feu la compagnie des Plateaux, et bien d'autres encore sont là pour nous prouver ce que nous devons attendre des capitalistes quand le moindre danger menace leurs écus.
Concluons donc hardiment qu'il n'y a pas une difficulté possible pour l'État qui ne se présente aussitôt en s'aggravant pour les compagnies.
Quant à l'avantage prétendu d'attirer en France les capitaux étrangers, voici comment on peut l'évaluer.
Une somme de cent militons est nécessaire à une compagnie financière pour l'exploitation d'une bonne ligne; elle s'adresse aux capitalistes anglais, qui souscrivent pour cinquante millions. Les actions portant intérêt à 5 pour 100 sont émises à la Bourse de Paris avec prudence et habileté, tenues dès l'origine un peu au-dessus du cours. Tout d'abord elles montent; les actionnaires arrivent, regardent, s'échauffent, se précipitent de peur d'en manquer; et bientôt, grâce à l'affluence des demandes, les actions sont à 30 pour cent au-dessus du prix d'émission. L'Anglais se défait prudemment et sans bruit de toutes celles qu'il a, et remporte chez lui 25 millions de bénéfice net, perdus pour la France en cette affaire, prêt d'ailleurs, quand on voudra à passer à une autre.
Nous ne parlons pas de l'inconvénient de laisser dans les mains d'une compagnie, d'un étranger peut-être, l'exploitation ou même le choix de lignes trop importantes pour que l'État dût s'en dessaisir, aussi bien que le choix et la direction d'un personnel immense; du débordement effréné que prendrait l'agiotage sous l'influence de l'émission des actions de vingt compagnies différentes; des souffrances qui peuvent résulter pour le commerce et l'industrie de l'abandon où ils seraient pendant un long espace de temps, à la merci de tarifs fixés d'avance, et que l'État, au contraire, aurait été libre de modérer, de régler dans l'intérêt de tous.
L'expérience si chèrement acquise par les marchés qu'imposèrent les compagnies des canaux en 1822 et 1823 ne peut être perdue. Elle prouve que la stipulation du rachat serait toujours illusoire, puisqu'elle ne pourrait s'opérer qu'à des conditions trop onéreuses pour que l'État put les accepter.
Que cette expérience nous serve donc; que tous les hommes honnêtes, que tous ceux qui veulent le bien public du fond du cœur réunissent leurs efforts; qu'ils s'entendent, au besoin, pour manifester, par les voies légales, une opinion au triomphe de laquelle la France devra un développement incalculable de prospérité, de richesse et de puissance.
LE TELL ET LE SAHARA ALGÉRIENS.--POSTES AVANCÉS SUR LA LIMITE DES DEUX RÉGIONS.--INVESTITURE DES CHEFS KABYLES.--HOSTILITÉS SUR LA FRONTIÈRE DU MAROC.--EMBARQUEMENT DES TROUPES A TOULON ET A PORT-VENDRES.
La chambre des députés a consacré ses séances des 5 et 6 juin à la discussion du projet de loi tendant à ouvrir au ministre de la guerre, en 1844, un crédit extraordinaire pour subvenir à l'entretien en Algérie des 15,000 hommes qui s'y trouvent en excédant de l'effectif déterminé par le budget. Deux graves questions avaient été soulevées par le rapport de la commission chargée de l'examen de ce projet: d'une part, celle du maintien d'une caisse coloniale distincte du trésor de l'État; de l'autre, celle de la conservation des postes permanents de Zebdou, Saïda, Tiaret, Teniet-el-Had et Boghar, dans la partie occidentale de nos possessions. Sur la première, la Chambre a ajourné sa décision jusqu'à la discussion du budget. Elle s'est prononcée sur la seconde à une forte majorité, contrairement à l'avis de sa commission, qui avait propose de renfermer la ligne de notre occupation permanente dans une limite plus centrale, sur les cinq points de Tlemcen, Mascara, Orléansville, Milianah et Médeah. La loi a été adoptée par 190 boules blanches contre 55 boules noires.
Ce vote, appelé peut-être à exercer une heureuse influence sur les destinées de notre conquête, est dû en partie à deux solides et remarquables discours de MM. de Corcelles et Gustave de Beaumont, non moins qu'aux savantes investigations d'un membre de la commission scientifique de l'Algérie. M. le capitaine du génie Carette vient en effet de publier et de distribuer aux Chambres l'extrait d'un ouvrage manuscrit qu'il a remis au ministère de la guerre, et qui a pour titre: Recherches sur la géographie et le commerce de l'Algérie méridionale. Dans cet écrit plein d'observations et de faits, M. Carette a le premier porté la lumière la plus vive sur une contrée avant lui inexplorée, en même temps qu'il a résolu le problème de la limite naturelle de l'Algérie un sud, problème si intéressant pour l'extension comme pour la consolidation de notre empire africain. Grâces à une enquête poursuivie par lui sans relâche, pendant un séjour de trois années tant dans la province de Constantine que dans la régence de Tunis, il est parvenu à nous initier aux mystères du Sahara algérien, au delà duquel n'apparaît plus qu'un désert incommensurable. Les deux cartes qui accompagnent son important travail ne laissent plus à cet égard la moindre incertitude, surtout quand on n'ignore pas qu'elles oui été composées avec plus de six mille itinéraires dressés sur les témoignages consciencieusement contrôlés des habitants mêmes du pays. Nous savons enfin aujourd'hui, par la démonstration géographique de M. Carette, jusqu'où notre conquête peut s'étendre, et quelles limites il lui est désormais interdit de franchir.
L'ancienne régence d'Alger est partagée en deux zones: le Tell, l'ancien Tellus romain, le pays des céréales (dix mille lieues cariées environ), comprenant la région fertilisée par de nombreux cours d'eau, à peu près quatre militons d'habitants, et deux cent cinquante lieues de côtes sur une profondeur de quarante lieues. Au sud du Tell, le Sahara algérien ou région des palmiers, que nous appelions le désert avant de le connaître, et qui comprend dix-sept mille lieues carrées, avec quatre-vingt mille habitants.
Le Tell se décompose lui-même en deux parties que les indigènes désignent par les noms de Sahel et de Shakh. Sahel signifie littéralement bord, rivage. C'est en effet cette partie montagneuse du littoral qui borde la Méditerranée. Shakh est le pluriel du mot sehkha; c'est le nom donné aux plaines de sel, et les indigènes l'appliquent par extension à toute la zone plate, composée en partie de bassins fermés qui règnent entre les montagnes du Sahel et la chaîne de séparation du Tell et du Sahara.
Le Tell, ou l'Algérie septentrionale, produit les céréales et la laine brute. Le Sahara, ou l'Algérie méridionale, produit des fruits et des étoffes de laine. Le Tell conserve, pendant l'été, de l'eau et des pâturages; les landes du Sahara ne se couvrent d'eau et de pâturages que pendant l'hiver. Il résulte de ces diverses propriétés que chaque année le Sahara est obligé de venir demander au Tell de l'herbe pour ses troupeaux, du pain et du travail pour ses habitants.
Toutes les tribus du Sahara obéissent à cette loi impérieuse de leur existence. C'est vers la fin du printemps que commence le mouvement général de migration, et, comme ce mouvement est aussi régulier dans ses détails que dans son ensemble, l'Algérie présente tous les ans, à la même époque, un curieux spectacle. Toutes les populations du Sahara s'acheminent lentement vers le Nord, emmenant avec elles toute la cité nomade, les femmes, les chiens, les chameaux, les troupeaux et les tentes, tandis que les habitants du Tell s'acheminent, mais individuellement, vers le Sud, n'emportant que des marchandises, et laissant la famille aux champs paternels. Les tribus du Sahara passent l'été dans le Tell, où règne, pendant ce temps, une grande activité commerciale. La fin de l'été donne le signal du départ, signal accueilli avec joie, parce qu'il annonce le retour au pays natal. On charge les chameaux, on ploie les tentes, les cités ambulantes se mettent en marche vers le Sud, à petites journées, comme elles sont venues, et arrivent dans le Sahara à l'époque de la maturité des dattes, c'est-à-dire vers le milieu d'octobre.
Les lieux qui servent de théâtre à ces congrès périodiques de tous les producteurs algériens sont des points d'une importance incontestable, véritables centres de domination, dont le cercle d'activité, embrassant le Tell et le Sahara, s'étend de la Méditerranée au désert. Les marchés où s'arrête cette marée annuelle sont, en quelque sorte, les ports du Sahara; ils reçoivent tous les arrivages des îles ou des oasis du désert algérien. C'est là que les intérêts du Sud viennent se rattacher aux intérêts du Nord; c'est là que, de tout temps, des droits étaient perçus: le teksa (droit d'entrée du Tell), le meks (droit de marché), la lezma (impôt, droit de répartition sur la tribu); c'est de là enfin, connue le dit M. Carette, que l'Algérie méridionale peut être conduite à longues guides.
Chacun de nos postes avancés, dans la province de l'Ouest (Oran), est aujourd'hui à portée de l'un de ces marchés, qui réunissent annuellement les deux régions. Boghar commande lu marché des Ouled-Mokhtar; Temet-el-Had, le marché des Ouled-Aïad; Tisrey, le marché des Loha; Saïda, le marché des Djafras; Sebdou, celui d'El-Gor. En s'y établissant d'une manière permanente et définitive, on est le maître de l'Algérie entière, au Nord comme au Sud. L'expérience n'a-t-elle pas d'ailleurs prouvé déjà l'utilité de l'occupation de ces postes-frontières pour asseoir notre domination? N'est-ce pas de Hoghar, de Teniet-el-Had, de Tiaret, de Saïda, où Abd-el-Kader lui-même s'était d'abord établi, que sont parties les expéditions qui ont pu renverser la fortune de cet ennemi aussi persévérant qu'habile, atteindre le haut Chélif, détruire quelques mois plus tard ses derniers réguliers avec son principal khalifah, le chasser du Tell dans le Sahara algérien, et du Sahara dans le Maroc, lui ravir ses moyens d'impôt, de recrutement, d'autorité, assurer de la sorte, derrière notre armée, une sécurité et des facilités coloniales que l'on jugeait impossibles il y a trois ans?
Importants sous le rapport politique et commercial, ces postes avancés ne le sont pas moins sous le rapport militaire, comme point d'appui et de ravitaillement pour nos colonnes expéditionnaires. Celles-ci n'ont pas cessé, pendant les mois d'avril et de mai, de sillonner, dans tous les sens, l'Algérie; et, au 1er mai, les troupes composant l'effectif de l'armée étaient toutes en campagne.
La plus importante des expéditions a été celle qu'a dirigée le gouverneur général en personne dans les montagnes kabyles de l'est d'Alger, pour soumettre ou détruire les tribus de l'ancien kaïdat turc de Sabaou, placées encore sous l'autorité de Ben-Salem, le khalifah d'Abd-el-Kader. A la suite de deux engagements sérieux, les 12 et 17 mai, les rassemblements des Kabyles ont été dispersés.
Après le combat du 17 mai, les Flissah ont fait leur soumission; tous les chefs, conduits par le petit-fils du plus célébré de leurs anciens cheikhs, Ben-Zamoun, vinrent à notre camp, situé sur l'un des points les plus élevés de leurs montagnes. Ils crurent devoir s'excuser d'avoir combattu, et ils le firent en ces termes: «Nous ne pouvions nous dispenser de combattre pour défendre nos foyers; nos femmes n'auraient plus voulu nous regarder, ni préparer nos aliments. Nous avions d'ailleurs promis à Ben-Salem de mourir avec lui, s'il voulait mourir avec nous. S'il eût tenu sa parole, nous nous serions fait tuer jusqu'au dernier; mais il a fui au commencement de l'attaque; nous ne lui devons plus rien.
Il ne reparaîtra plus dans nos montagnes, et nous serons aussi fidèles à la parole que nous vous donnons qu'à celle que nous lui avions donnée.»--Le gouverneur général leur répondit qu'il les estimait davantage pour avoir bien combattu; que les braves guerriers étaient toujours loyaux, et qu'il comptait sur la fidélité au serment qu'ils allaient prêter au roi des français.--Les Kabyles ont, il est vrai, parmi les Arabes la réputation d'être religieux observateurs de leur parole.
Tous les points de la soumission étant réglés, on a procédé, le 21 mai, à l'investiture des chefs principaux et secondaires. La musique jouait, le canon annonçait aux fiers montagnards que le petit-fils de Ben-Zamoun, Sid-Ali-ben-Hussein, acceptait la loi de la France, et avait revêtu le burnous du commandement. Il a été nommé agha des Flissah, tribu composée de dix-neuf fractions, présentant entre elles au combat 8 ou 10,000 hommes armés. On leur a adjoint la confédération des Guechtoula, et plusieurs autres petites tribus habitant au bord de la plaine.
Sous le gouvernement des Turcs, les aghas, avant d'entrer en fonctions, recevaient un breve et, selon l'importance de leur commandement, un burnous ou une gandourah (espèce de chemisette en tissu de laine mélangée de soie, à laquelle sa finesse donne l'aspect de la mousseline, et dont on couvre la tête du fonctionnaire, en le proclamant lors de son investiture); ils recevaient, en outre, un cachet gravé aux frais du beylik et destiné à tenir lieu de signature au bas des ordres émanés d'eux. Ils payaient eux-mêmes au trésor une somme en argent, à titre de droit d'investiture, ainsi que des gratifications à certains fonctionnaires, comme le droit de burnous (hak el burnous), le droit de brevet (hak el thedir). Par compensation, les aghas percevaient des tribus placées sous leurs ordres un droit de joyeux avènement (ferah), au moment même de leur nomination, puis, quand ils passaient dans les tribus, et tout le temps que durait l'exercice de leurs fonctions, des redevances en nature (dhifah), cadeaux d'hospitalité déterminées par l'usage et consistant en grains, volailles, bestiaux, beurre, bois et charbon. Les chefs subordonnés à leur autorité étaient directement nommés par eux, et leur payaient, à leur tour, un droit d'investiture.
Aujourd'hui les principaux aghas sont nommés par ordonnance royale. Au moment de leur investiture, ils prêtent entre les mains soit du gouverneur général, soit des généraux commandant les provinces et délégués par lui, un serment dont la formule est traduite en arabe, et qui est ainsi conçu: «Je jure sur le livre saint (le Koran) placé sous ma main de servir fidèlement le roi des Français et d'obéir exactement aux commandements du général commandant la province, ou à ceux qui me seront de sa part transmis par les généraux sous ses ordres. Je jure d'employer, en toute circonstance, mon autorité d'agha pour le plus grand bien des affaires, et comme il convient à un homme de bien.» Ensuite les aghas reçoivent un burnous d'investiture, avec un brevet en français et en arabe, signé par le ministre de la guerre. Il est dressé de leur prestation de serment un procès-verbal, au pied duquel le général appose sa signature et l'agha son cachet. Les aghas touchent un traitement fixe qui varie, suivant leur importance, depuis 12,000 jusqu'à 4,000 fr.; il leur est accordé aussi une part d'un dixième dans les prises faites sur l'ennemi, et ils sont dispensés de tout droit d'investiture.
Les trois aghaliks ainsi organisés et définitivement constitués par ordonnance royale du 11 juin forment l'un des plus beaux et des plus riches territoires de l'Algérie; il paraît être l'un des plus peuplés, s'il est vrai qu'on y compte 40.000 hommes armés.
Les soumissions du kaïdat de Sebaou et des Flissah, complétées par celle de Ben-Omar, frère de Ben-Salem, ont permis à M. le maréchal Bugeaud, immédiatement après la cérémonie du 25, d'aller s'embarquer à Dellis, escorté par tous les chefs qui avaient reçu l'investiture. De retour à Alger le 27, il en est reparti le 31 pour se rendre à Oran, avec quelques bataillons et une section d'artillerie de montagne. De graves événements ont motivé ce départ précipité, en même temps qu'une concentration de forces imposantes sur la frontière du Maroc.
D'après les dernières nouvelles apportées à Paris par le courrier d'Afrique du 6 mai, les dispositions hostiles du Maroc se seraient déjà manifestées par une agression armée. Muley-Abd-el-Rahman, vaincu par les sollicitations de l'ex-émir et du consul d'Angleterre, se serait enfin décidé à donner officiellement à Abd-el-Kader l'investiture de khalifat, avec le commandement de la province du Riff, la plus orientale de celles qui reconnaissait l'autorité de l'empereur. Cette province s'étend depuis Thaza, à l'ouest, jusqu'à l'Oued-Momdah à l'est. Elle comprend un groupe berbère assez considérable, situé sur le littoral, qui compte de vingt à trente mille fantassins, et, au sud, des Arabes nomades dont la cavalerie s'élève à dix molle hommes. Muley-Abd-el-Rahman aurait, dit-on, déjà envoyé sur la frontière un corps de huit mille hommes, et donné ordre à son fils aîné, gouverneur de la province dont Fès est la capitale, d'organiser au plus tôt un second corps de dix mille hommes, dont il doit prendre le commandement pour soutenir et appuyer l'émir. Le prétexte de cette levée de boucliers serait la violation du territoire marocain par l'établissement du poste frontière de Lalla-Maghma, vis-à-vis d'Oudjda, poste qui est certainement installé sur le territoire algérien, à deux lieues en dedans de ses limites. Un bruit circule d'ailleurs dans le Maroc. C'est que l'ex-consul anglais aurait promis à Muley-Abd-el-Rahman l'appui politique de la nation dont il est le représentant, et même son intervention dans le cas où la flotte française viendrait à opérer un débarquement ou à bombarder les villes de la côte.
Par une dépêche datée du camp de Lalla-Maghma, le 30 mai, dix heures du soir, M. le lieutenant général du Lamoricière rend compte au ministre que son camp a été attaqué le jour même à l'improviste par plusieurs milliers de cavaliers marocains, qui ont été complètement, mis en déroute et repoussés vers Oudjda. Voici, d'après le récit de deux prisonnier échappés au sabre de nos chasseurs, le cause de cette brusque attaque: Un personnage allié à la famille impériale et nommé Sidi-el-Mamoun-ben-Chérif, est arrivé le matin même à Oudjda avec un contingent de 500 Berbères envoyés de Fès par le fils de Muley-Abd-el-Rahman. Sidi-el-Mamoun, emporté par un ardent fanatisme, et stimulé par les partisans d'Abd-el-Kader, a déclaré qu'il voulait au moins voir de près le camp des chrétiens, et s'est mis en marche, malgré la résistance et les observations du gouverneur d'Oudjda, El-Djenaoui, qui, tout objectant les ordres du l'empereur, n'osait opposer un refus absolu à un prince de la famille impériale. L'indiscipline des Berbères, le fanatisme de la cavalerie nègre se sont exaltés de plus en plus en présence des troupes françaises, et le combat s'est engagé.
Quoi qu'il en soit de ce récit, la guerre existe de fait. M. le maréchal Bugeaud avait certainement envisagé la situation comme très-grave, puisqu'il s'est rendu lui-même en toute hâte sur les lieux, et qu'il a fait diriger de nouvelles troupes sur Tlemcen. Les troupes de la subdivision de Mascara, commandées par le maréchal de camp Tempoute, et la colonne partie récemment de la province de Litteri sous le commandement du colonel Eynard, sont à la frontière en mesure de faire leur jonction avec celles aux ordres du maréchal de camp Hedeau et du lieutenant général de Lamorière, auxquels le général Bourjolly et le colonel Cavaignac ont également envoyé des renforts. Outre les troupes transportées d'Alger à Oran par les bateaux à vapeur l'Acheron, le Cuvier et le Labrador, deux bataillons du 36e régiment de ligne ont reçu l'ordre de s'embarquer ce mois-ci à Toulon pour Alger, et deux bataillons du 14e à Port-Vendres pour Oran. Enfin, M. le prince de Joinville va porter son pavillon du contre-amiral sur l'un des vaisseaux de l'escadre de Toulon, d'où il doit appareiller le dimanche 16 juin, pour se rendre avec ce vaisseau, accompagné d'une frégate à vapeur, de deux bâtiments à vapeur de moindre force et de plusieurs bâtiments légers en croisière sur les côtes de l'État de Maroc.
Le croquis que nous publions d'un embarquement de soldats a été dessiné à Toulon, où ont été également recueillis les détails suivants:
Lorsqu'un passage doit s'effectuer sur un bateau à vapeur, on embarque les troupes à Castigneau, où se trouve amarré le bateau près de la plage, à dix minutes de la ville. Là, un sous-intendant militaire, assisté d'un commissaire du marine, d'un officier du bord et d'un adjudant du la place, procède à l'appel. Passagers et soldats sont logés sur le pont. S'il y a des couchettes pour les passagers de première classe ou autres, les officiers en ont ordinairement une, pourvu qu'ils ne soient pas trop nombreux. Dans le cas contraire, on fait des emplacements avec de la toile. Bien des passagers préfèrent, à cause de cela, prendre passage sur les gabarres ou tout autre bâtiment ponté. Les armes et bagages des régiments sont placés dans des caisses et embarquées à l'avance. Le soldat n'a sur lui que son havresac, un sac de campement et une couverture en laine roulée au-dessus de son sac de régiment, ou quelquefois en sautoir, comme les officiers portent leur manteau. Les officiers supérieurs sont, admis à la table du commandant du navire; les autres officiers, depuis le grade de capitaine, à celle de l'état-major. Les soldats ont la ration de bord. Ils se munissent ordinairement d'un verre en fer-blanc, appelé quart, mesure de ce qu'on leur distribue de vin, ainsi que d'une cuiller pour manger la soupe, précautions que le mal de mer rend la plupart du temps inutiles.
Investiture d'un Khahfah, un Scheik recevant un burnous.
Embarquement du troupes, d'après un dessin original de M.
Letuaire de Toulon.
Où l'on fera connaissance avec les principaux personnages de notre Odyssée.
«J'ai besoin d'un héros! s'écrie Byron au premier vers de Don Juan, I want a hero!» Dieu merci, nous n'éprouvons point un pareil besoin, en commençant le récit de ce merveilleux et véridique voyage; nous ne voulons point un héros, ou plutôt nous ne voulons prendre pour héros qu'un être aussi peu héroïque que possible.--Et tel était le jeune Oscar.
Oscar.
Il avait une apparence toute unie, la figure de son âge, les manières de sa condition, qui était honnête; et si sa mère n'eût point été, au temps de l'empire, une lectrice passionnée des poèmes d'Ossiau, le barde de Morven, il est à présumer que notre personnage aurait répondu à un nom mieux d'accord avec son caractère que n'était celui d'Oscar, le fils de Fingal!
Pour de l'esprit, il se félicitait de n'en pas avoir, attendu le mauvais usage qu'en font d'ordinaire ceux qui en ont; ce qui ne l'empêchait point,--comme on le verra dans la suite du voyage,--de dire parfois de très-bons mots avec une admirable tranquillité de voix et de regard, en sorte que sa plaisanterie charmait bien des gens par l'air sérieux et candide qu'elle avait.
Quoiqu'il fût d'ailleurs d'une humeur posée, il ne trouvait rien de plus sot que les jeunes gens graves, «l'espoir du siècle,» qui se sont fait une loi de ne jamais rire, et il partageait tout à fait l'opinion du vieux Nestor de Pylos, qui a juré que la plaisanterie est risible.
--Il n'était point poète lyrique.
--Il ne faisait partie d'aucune congrégation néochrétienne.
L'abbé Ponceau parut un
matin sur le seuil de la
chambre de son élève, un
petit paquet enveloppé
dans son mouchoir.
--Il ne chantait point la romance, et, s'il jouait agréablement de la flûte, il n'en jouait guère que pour lui.
--Il ne s'exerçait point à la parole dans les conférences politiques de tribuns impubères... «Pourquoi avez-vous désarmé notre flotte? demande un bachelier de l'extrême gauche.--L'Europe nous avait fait des concessions!» répond une jeune borne, de la classe de 1844.
--Il ne parlait jamais à son cheval qu'en pur français, sans alliage britannique.
--Il détestait le tapage, si cher aux jeunes Français de toute condition.
--Il ne parlait jamais littérature.
--Il était abonné à l'Illustration, dont il a jusqu'ici deviné tous les rébus.--Ce qui ne l'empêchait point d'avoir, dans l'esprit, une pointe de scepticisme.
L'abbé Ponceau.
Quant à sa position sociale, il n'avait ni père, ni mère, ni cousins, ni oncles, ni frères. C'était l'homme le plus orphelin qu'on put imaginer: mais, comme il n'avait jamais connu la joie de la famille, il ne s'en souciait guère, et il n'aurait pas donné un écu pour avoir un parent.--Notez qu'avec de l'argent on peut se procurer des cousins de tout prix.--Il prétendait même, à cause de sa propension naturelle à voir les choses par leur bon côté, que la nature l'avait traité en enfant gâté, puisqu'elle lui avait épargné la douleur de perdre ses ascendants; et souvent il disait qu'on a bien assez affaire de mourir soi-même, sans prendre un intérêt de surcroît dans la mort des autres. Ce n'est pas, cependant, qu'il n'eût un très-bon cœur, mais il croyait que la tendresse n'est point au prix du chagrin, redoutait en tout le trouble de la vie, détestait les occasions de douleur, et se plaignait d'avoir des dents parce qu'il devait les perdre.
Joignez à cela qu'il aimait à suivre le fil de ses idées quand il songeait, comme le fil de l'eau, quand il était sur la rivière,--la pente de son rêve, quand il rêvait, comme la pente de la route, quand il se promenait. Où vous le voyiez, c'était toujours là qu'il allait; et quand vous le preniez amicalement par le bras, en lui faisant faire volte-face, votre chemin se trouvait encore être le sien... jusqu'à l'heure du dîner pourtant, car il ne voulait point, d'une minute, faire attendre son cher abbé, qui certainement ne se serait pas, sans lui, mis à table.
Lorsque son maître s'ingéniait
à trouver les rébus de
l'Illustration Van s'élançait
sur la table.
Le cher abbé était l'homme du monde qu'il aimait le mieux, peut-être parce qu'il n'y avait point au monde d'homme plus aimable.
Le jour où l'éducation du jeune Oscar fut accomplie et que son précepteur n'eut plus rien à lui apprendre, le vieil abbé parut, au matin, sur le seuil de la chambre de son élève; il avait un petit paquet enveloppé dans un mouchoir de couleur et passé par le nœud dans la poignée de son parapluie, qui reposait sur son épaule droite.
«Mon cher Oscar, disait-il d'une voix très émue; maintenant, je ne suis plus bon à rien qu'à manger votre pain, et je m'en vais retourner dans mon village, vivre de ma petite rente...»
Le jeune Oscar connut pour la première fois de sa vie, et pour la dernière, nous l'espérons, le sentiment de la colère; mais c'était une colère effroyable, et Oscar jurait, par tous les dieux et tous les diables, que M. l'abbé ne s'en irait point; dût-il être obligé de l'enfermer, à perpétuité, dans sa jolie chambre, qui avait vue sur le jardin.
Les divers types des voyageurs.
Si bien que le bon abbé finit par pleurer de tout son cœur, et convenir qu'il était de la dernière impossibilité qu'il s'en allât:
1° Parce qu'il y avait quinze ans qu'il était dans la maison;
2° Parce qu'il avait tenu lieu de père et de mère à son élève;
3º Parce qu'il continuait encore à lui servir de l'un et de l'autre.
Et il fut arrangé que l'ancien précepteur toucherait, comme par le passé, ses modestes honoraires, à titre d'avances sur le gain considérable qu'il devait retirer un jour de son grand ouvrage de géographie ancienne et moderne,--commencé depuis vingt ans au moins.
Car l'abbé Ponceau était un géographe insigne, un géographe à faire pâlir Strabon chez les Romains, el Malte-Brun chez nous. Il est vrai qu'il savait à peine le nom de deux ou trois départements, et ne connaissait pas d'autre chef-lieu que Paris, mais il possédait pertinemment les anciennes lieutenances et prévôtés, les anciens bailliages et gouvernements seigneuriaux, et il vous eût appris qu'autrefois, dans le Roussillon, les hommes étaient vêtus à la française et les femmes à l'espagnole.
Oscar déposa sa flûte sur sa
table, ouvrit son secrétaire,
en tira un médaillon, et
resta deux bonnes minutes à
le contempler sans mot dire.
Fort instruit au demeurant, mais à la mode de M. Shandy, le père de Tristram, «qui lisait toutes sortes de livres, comme tous ceux qui aiment les livres;» ce qui donnait à sa conversation une apparence bigarrée, sous laquelle pourtant se cachait une sagesse peu commune, et cette finesse discrète des bonnes gens.
L'homme qu'il admirait le plus au monde, c'était l'Anglais sir William Jones, qui, à l'âge de trente-cinq ans, résolut de ne plus apprendre de rudiments d'aucune espèce, mais de se perfectionner d'abord dans les douze langues qu'il savait le mieux:--il en parlait déjà vingt-huit!
L'abbé Ponceau avait soixante ans bien sonnés (grâce à la chasteté inaltérable de sa vie, il n'en paraissait que cinquante), l'œil doux, les joues grasses et vermeilles, la jambe pote, les mains blanches, le ventre épanoui, toutes ses dents, dont il faisait un usage modeste, des lunettes ordinaires en hiver, et vertes en été, à cause du soleil.--Tel était à peu près le digne homme. Joignez encore qu'il portait la culotte courte, par respect pour les anciens usages, et une longue, redingote noire boutonnée sous le menton.--Au moral, il était très-amoureux de la propreté, ridiculement susceptible à l'endroit de son linge, et se mouchait toujours du côté de l'ourlet. Après cela, un vrai Michel Perrin pour la bonté du cœur et celle de l'esprit.
Un jour qu'il passait dans une
rue détournée, pleine d'ombre
et de silence, Oscar entendit
tout à coup une jolie voix qui
chantait.
Et ne dirons-nous point quelques mots ici du petit Van, l'ami de toute la maison, le favori du vieil abbé, et le confident intime d'Oscar? Le petit Van était Hollandais, et de là lui venait son nom, et certainement il mériterait, d'occuper, à lui seul, tout un chapitre dans l'histoire des chiens célèbres; car j'oubliais de vous dire que c'était un petit chien non, gros comme le poing, et tout perdu dans les touffes luisantes de ses longues soies.--Ce n'est point à dire pourtant que le petit Van eût aucun de ces talents de société qui élèvent un chien au-dessus de bien des bipèdes; non, il ne savait point danser le menuet, ni battre du tambour: ni jouer aux cartes, ni même apporter la pantoufle, mais il était incomparable pour aimer son maître: c'était là son unique talent, et vous avouerez qu'en somme celui-là en vaut bien d'autres. Quand le jeune Oscar jouait de la flûte, le petit Van, gravement assis sur son derrière, regardait avec des yeux sérieux le cher musicien, et il faisait entendre à l'unisson je ne sais quel gloussement qui marquait sa joie. Et lorsque son maître s'ingéniait à trouver le nouveau rébus de l'Illustration, Van s'élançait sur la table verte, flairait mystérieusement la maudite charade, et prenait un air pensif.--Une fois le mot trouvé, le petit Van se réjouissait de tout son corps, et aboyait avec allégresse.--Bien certainement ce petit chien-là sera du voyage, et toutes nos sympathies lui sont acquises des à présent.
Maintenant les personnages sont connus suffisamment pour que nous n'ayons point peur de nous mettre en route avec eux. Mais pourquoi se mettaient-ils en route?
POUR QUELLE AFFAIRE D'IMPORTANCE NOS VOYAGEURS SE METTAIENT EN ROUTE.
Sterne divise le cercle entier des voyageurs comme il suit: voyageurs oisifs, voyageurs curieux, voyageurs menteurs, voyageurs orgueilleux, voyageurs vains, voyageurs sombres; viennent ensuite les voyageurs contraints, les voyageurs criminels, les voyageurs innocents et infortunés, les simples voyageurs, et, enfin, s'il vous plaît, le voyageur sentimental.
Mais le satirique Anglais a évidemment oublié, dans cette classification, une des espèces les plus curieuses de la race en question, je veux dire le voyageur conjugal.
Voici votre cousin qui fait sa malle avec un soin inaccoutumé, y renfermant moelleusement son plus bel habit noir, sa plus riche cravate de soie, en garnissant tous les vides avec des flacons d'odeurs, des savons parfumés et des gants paille. Manifestement, vous avez devant les yeux un voyageur conjugal.--Tenez! une teinte solennelle se répand sur la figure de votre cousin, un regard patriarcal vient ennoblir ses yeux, et, montant en voiture, le voyageur vous serre gravement la main, comme il convient de faire dans les grandes occasions.--Parti garçon, il reviendra mari, et peut-être père!
Or, le jeune Oscar était à la veille d'entreprendre un semblable voyage, et déjà son visage se serait modifié selon la formule conjugale, s'il n'avait point eu, comme nous l'avons dit, un petit grain de distraction d'esprit, qui le préservait de devenir jamais monomane. Non qu'il fût de ces distraits de comédie, qui se mouchent par erreur dans la robe blanche de leur fiancée, ou qui s'oublient au point de s'asseoir sur une vieille dame; mais enfin il aimait à penser à autre chose. Grave défaut aux yeux de ces terribles logiciens, que l'on nomme les gens sérieux, et chez qui les idées marchent au pas et en rang d'oignons.
Cependant Oscar ne pouvait se dérober tout entier à cette impression conjugale, qui absorbe si bien le commun des hommes; et, un jour, lundis qu'il jouait sur sa flûte un air de valse, qu'il aimait, l'idée du mariage se réveilla si vive dans son cerveau, qu'il cessa brusquement sa musique entre deux notes charmantes.--Ce qui fit grogner le petit van, qui savait que l'air ne finissait point là.
Oscar déposa sa flûte sur la table, ouvrit son secrétaire, en tira un médaillon, et resta deux bonnes minutes au moins à le contempler sans mot dire. Le petit Van, grimpé sur la table, regardait de tous ses yeux le médaillon que tenait son maître, et, s'imaginant sans doute que c'était là encore un rébus, il attendait patiemment que le mot en fût trouvé.--Mais ce médaillon renfermait une énigme que le sphynx lui-même serait fort en peine de deviner,--un portrait de femme.
«Hélas! mon pauvre Van!» dit enfin Oscar avec un gros soupir; et, ce disant, il prenait amicalement le petit chien par ses deux longues oreilles soyeuses... «Hélas! quand on est marié, c'est pour longtemps!»
Puis il reprit sa flûte, et recommença plusieurs fois de suite l'air de valse qu'il avait si soudainement interrompu.
Oscar avait naturellement l'humeur froide; toutes les descriptions d'amour qu'il avait lues dans les romans, ou que lui avaient faites ses amis, lui semblaient entachées d'une irrémédiable puérilité; et, comme lui-même, il avait au contraire une idée très-grave il très-sérieuse des fonctions du cœur, il avait toujours fui, par raison et par goût, le libertinage que recherchent d'ordinaire les hommes de son âge. Mais il s'aperçut bientôt que cette grande continence de cœur, qu'il s'imposait volontairement, lui causait parfois des accès de tendresse opposés à la nature même de son caractère et qui lui paraissaient plus puérils encore que tout ce qu'il avait vu chez les autres et dans les livres.--Aussi ne s'en vantait-il guère.
En jour, par exemple, un jour d'été que toutes les fenêtres de Paris étaient ouvertes, les airs tranquilles et doux, et le pavé désert à cause de la grande chaleur, Oscar passait au petit pas dans une rue détournée, pleine d'ombre et de silence, et, comme il goûtait une impression de fraîcheur très-aimable, il entendit, tout à coup une jolie voix qui chantait, sans que l'on pût voir, derrière les rideaux rouges de la fenêtre, le visage de la chanteuse. La jolie voix résonnait si doucement dans l'atmosphère d'été, si purement dans cet air limpide, si fraîchement dans cette fraîcheur de l'ombre, que le jeune Oscar s'arrêta tout enchanté, son cœur se remplissant d'une indicible tendresse, et ses veux se mouillant sans qu'il sût pourquoi.
C'était précisément cet air de valse qu'il venait de jouer sur sa flûte plusieurs fois de suite,--et il y prenait sans doute un plaisir trop vif, car lorsqu'il eut fini sa musique il regarda de nouveau le médaillon; et, secouant la tête, il dit encore à son petit chien: «Mon pauvre Van, nous allons donc nous marier!»
Ce disant, il se rappelait, à cause de cette pointe de scepticisme qu'il avait dans l'esprit, le fameux dialogue de madame et de M. Shandy sur le mariage: «Votre frère Tobie épouse mistriss Wadman... le pauvre homme, il n'aura donc plus la liberté de se coucher en travers de son lit!»
Notez que le petit Van était accoutumé de venir se coucher sur le pied du lit du son maître, et Oscar pensait avec ennui au dérangement que son mariage allait causer dans les habitudes dormitives de la bonne petite bête; car, enfin, un chien est sujet à aboyer...
Quoi qu'il en soit, la résolution conjugale se maintint jusqu'à l'heure du dîner; et, en se mettant à table, aussitôt que le cher abbé eut achevé le benedicite mental qui ouvrait tous ses repas:
«Mon ami, demanda Oscar, combien de lieues à peu près compte-t-on de Paris à Marseille?
Albert Aubert.
(La suite à un prochain numéro.)
(7e article.--Voir t. III, p. 49, 133, 164, 180, 211 et 228.)
Au moment où nous écrivons ces lignes, un orage vient de fondre sur Paris. Le tonnerre a grondé et la grêle s'est précipitée à grains serrés sur les paisibles promeneurs du dimanche, sur les curieux avides de voir l'industrie dans ses magnifiques développements. La pluie n'a pas respecté ce palais de bois et de carton élevé, en quelques mois, pour les besoins du moment, et en a montré tous les vices de construction aux dépens des produits exposés et des visiteurs, qui, entrés à pied sec, ont eu besoin de manœuvres nautiques pour regagner l'asphalte des contre-allées.
Cette digression nous a un peu écarté de notre compte rendu; mais nous ne la regarderons pas comme inutile, si elle amène quelque amélioration dans le sort des visiteurs, sinon cette année, au moins aux expositions qui se succéderont.
La galerie des tissus, dont nous donnons aujourd'hui une vue à nos lecteurs, est une des plus intéressantes de l'exposition, et, cependant, une des plus abandonnées: on y passe, on ne s'y arrête pas; et, quand on a jeté un coup d'œil distrait sur ces cases si bien fournies, et un regard émerveillé sur les robes brodées en ailes de mouche, en parde ou en papier, on se dirige vite vers des produits qui parlent davantage aux yeux et à l'imagination. C'est qu'en effet, pour s'arrêter avec intérêt devant cette réunion si riche et si admirable d'étoffes de toutes couleurs, de tissus de formes si variées, pour reconnaître et analyser le progrès incessant de cette branche capitale de l'industrie française, il faut, ou avoir vécu dans les fabriques et connaître par soi-même le mérite de la difficulté vaincue, savoir où en était la fabrication des étoffes il y a un demi-siècle, et apprécier son mouvement admirable et de tous les jours, ou bien se rendre compte, comme tous ceux qui s'occupent des questions économiques, de la proportion dans laquelle cette fabrication alimente le commerce extérieur, et, au point de vue de la politique intérieure, du nombre immense de bras qu'elle emploie dans presque toutes les parties de la France. Voilà pourquoi le roi et les ministres s'arrêtent avec tant de complaisance dans cette vaste galerie, pourquoi ils prodiguent aux fabricants les encouragements, et consacrent plusieurs séances à l'examen de leurs produits.
La fabrication des étoffes s'était péniblement traînée de chute en chute, et n'était pour ainsi dire soutenue que par le besoin indispensable qu'on en a, jusqu'au jour où l'on appliqua les machines, soit à la confection des matières premières ou des fils, soit à la confection des tissus, soit enfin à leur impression. Faire une revue des tissus serait donc donner l'histoire des diverses machines qui sont maintenant en usage dans toutes les fabriques. Mais ce sujet nous entraînerait trop loin et hors de notre cadre; nous nous bornerons à en indiquer quelques unes dans le courant de notre compte rendu, préférant donner un aperçu de la production des matières premières.
Les matières premières dont sont composées toutes les étoffes sont la laine, le lin, le chanvre, le coton et la soie.
Il y a trente ans, la France était encore tributaire de l'Espagne et de l'Angleterre, pour la plus grande partie de ses lainages. Les troupeaux français ne produisaient que de la laine courte; et l'agriculteur, malgré tous ses soins ne pouvait arriver à naturaliser en France les magnifiques troupeaux mérinos qui avaient fait, dans un autre temps, la fortune des éleveurs espagnols, et qui, plus récemment, étaient devenus pour l'Angleterre une des branches de commerce les plus étendues. Mais sous la restauration la production de la laine et la fabrication des étoffes dont elle est la base, prirent une grande extension. La France, qui jusque-là était pauvre en laine lisse ou propre au peigne, et ne fournissait que de la laine courte ou cardée, commença à produire, à force de soins et de talents, des laines peignée. Dès 1819, Ternaux exposait un tissu mérinos de belle qualité, composé d'une chaîne en laine peignée et d'une trame en laine cardée. Mais cette laine était chère, et la fabrication de l'étoffe se faisait à la main; double inconvénient pour le prix d'une part, et d'autre part, parce que l'étoffe ainsi fabriquée était sujette à se barrer à la teinture. Mais ce second inconvénient a disparu depuis que les trames sont filées à la mécanique. L'alliance de la trame et de la chaîne permit de varier, pour ainsi dire, à l'infini la matière des étoffes. Ainsi, avec une trame en laine lisse et une chaîne en coton, on obtint l'étoffe appelée poil de chèvre: avec une trame en laine lisse et une chaîne en soie, la popeline; avec une trame en laine cardée et une chaîne en coton, la circassienne, etc.
Les principaux centres de fabrication des draps sont Elbeuf, Sedan, Louviers, Reims, Abbeville et le Midi; et quels progrès n'aurions-nous pas encore à signaler dans cette fabrication, depuis que la science et la mécanique ont prêté leur appui à l'industrie? Ainsi la tondeuse de John Collier fait toute une révolution dans la préparation, dans le fini, si nous pouvons nous exprimer ainsi, dans l'aspect des draps. L'apprêt à la vapeur leur donne un aspect plus agréable, dispose les fibres laineuses dans un ordre plus régulier. D'un autre côté, la chimie arrive avec son arsenal de produits propres à la coloration des étoffes. Un de nos premiers savants, M. Chevreuil, fait servir à la fabrication générale les étoffes suivies qu'il a faites aux Gobelins. MM. Merle et Malartie font des essais pour substituer la teinture au bleu de Prusse à l'indigo, et affranchir ainsi la France d'un tribut considérable.
Mais, le croirait-on? ce qui met des bornes au progrès dans cette fabrication, c'est que tous ou presque tous nous nous servons de nos tailleurs comme intermédiaires entre les fabricants et nous. Nous n'avons ni la finesse, ni la solidité, ni le bon teint que nous payons? Les tailleurs ne tiennent pas à avoir des draps superfins, parce que le prix des habillements est tel, qu'ils ne peuvent plus l'élever.
Louviers et Elbeuf se sont de tout temps disputé la suprématie qui, depuis déjà longues années, penche du côte de cette dernière ville. Sa position au bord de la Seine, sa proximité de Rouen, sont des avantages que Louviers voulait contre-balancer au moyen de ce fameux embranchement de chemin de fer qui a déjà amené quatre fois à la porte de la chambre des députés le représentant de ses intérêts.
Quant à Sedan, il a dignement soutenu sa vieille réputation. Ses draps nous et de hautes couleurs, ses satins, ses cachemires sont, comme toujours, ce qu'on a fait de meilleur en ce genre. La liste des exposants de Sedan, à la tête desquels se trouve le ministre actuel du commerce, est nombreuse, quelques-uns, et entre autres M. E. de Montagnac, ne se sont pas bornés à la sévère couleur noire: ce dernier a exposé un assortiment complet de nouveautés pour pantalons, dont le tissu nous a paru réunir régularité, finesse, élasticité et solidité. C'est un heureux début pour un nouvel exposant.
Après les draps, une des branches les plus importantes de l'industrie des laines est la fabrication des tapis. Ici nous retrouvons l'homme qui, depuis longtemps, est à la tête de cette industrie, M. Sallandrouze, dont les magnifiques produits ne le cèdent pas cette année, pour la vivacité des couleurs et la grâce des dessus, à ce qu'ils étaient aux expositions précédentes. Entre ses mains et entre celles des Chenavard et des Couder, le métier est devenu un art, et le bon marche auquel ils sont arrivés, par une distribution intelligente du travail, rend les tapis accessibles à toutes les fortunes; et l'on sait que c'est là, dans nos idées, le criterium du progrès d'une industrie. Nous aimons à constater que, sous ce point de vue, l'usage des tapis jaspés, moquettes, veloutées, tend à se généraliser, et que les dessins, même pour les qualités inférieures, sont de bon goût, et le mélange des couleurs intelligent. En général, rien de heurté dans les lignes, rien de criant pour l'œil, telles sont les qualités remarquables des tapis que nous avons vus à l'exposition, exception faite de la bonté de la matière première. Nous donnons le dessin d'un de ceux dont nous avons le plus admiré la composition et la nuance habile des couleurs. Il sort de la manufacture d'Aubusson. C'est une portière style Pompadour dont le dessin est dû à un habile artiste, M. Jullien.
Les cases les plus brillantes de l'exposition sont, sans contredit, celles des exposants de châles de toute nature, et nous avons reconnu que les châles communs y faisaient tout autant d'effet que les châles les plus riches et les plus soignés. C'est une industrie qui ne date que d'hier, et qui cependant a pris son rang parmi les plus importantes et les plus suivies. C'est qu'elle répond à un besoin de luxe et de confort qui, des classes opulentes, a atteint d'abord la bourgeoisie aisée pour descendre jusqu'aux fortunes les plus médiocres. Un châle est une des premières nécessités de la vie; et les fabricants ont dû arriver à confectionner les plus merveilleux tissus à des prix qui étonneraient l'Indien passant dans sa cabane la moitié de sa vie à faire de ses mains un véritable cachemire. De 1819 à 1827, un homme dont on retrouve le nom partout où il est question de tissus, Ternaux, arriva à produire, à filer et à tisser le duvet de cachemire, ce produit délicat extrait des toisons des chèvres du Thibet. Et encore on a commencé par le travail à la main, pour y substituer à la longue le travail mécanique. On imita la méthode indienne ou le procédé de l'espoutinage. Dans ce procédé, la main de l'homme fait tout, confectionne le tissu, passe les nuance et varie le couleurs. «C'est, dit un publiciste, la perfection de l'ignorance en mécanique, la merveille de l'enfance de l'art.» Ce procédé grossier présente cependant un avantage que n'ont encore pu atteindre les machines, c'est que le châle dont chaque fil est assujetti isolement ne peut se débrocher. La méthode actuelle est le tance. Les fils formant les dessus du tissu sont fixés d'abord par un nœud, et ensuite découpés. Le tissu est moins solide, mais un châle qui, venu de l'Inde, vaudrait trois à quatre mille francs, se fait en France pour quatre cents francs au plus.
Si nous n'avons pas imité les Indiens dans leur manière de travailler, le goût, la mode ont forcé nos fabricants à se servir de leurs dessins uniformes et un peu monotones. Le genre indien a d'ailleurs donné naissance à des produits de qualité meilleure, et qui ont contribué, par leur bon marché, à répandre ce goût dans les classes les moins aisées. Ainsi, M. Ajax, à Lyon a confectionné des châles ressemblant aux indiens, avec des déchets de soie mêlés à de la laine ou du coton. A Nîmes on fait des châles bourre de soie, les lacaux, les thibets, etc.
Une réaction s'est cependant opérée, dans ces derniers temps, dans les formes de dessins. On se rappelle le magnifique châle ispahar dessiné par M. Couder, qui a figuré à l'exposition de 1834. Cet habile artiste a découvert, par un travail de patience et en décomposant les dessins indiens, que si les contours en étaient constamment anguleux, sans présenter aucune forme arrondie, cela tenait à l'imperfection et à la grossièreté de leur mode de travail. En partant de cette découverte, il a donné de véritables dessins indiens, mais à contours doux et non heurtés, tels que nos moyens de fabrication perfectionnée nous permettent de les obtenir, et nous a sortis enfin de ces éternelles palmes croisées dans tous les axes.
Le fabrication des châles est concentrée à Paris, à Lyon et à Nîmes. Paris marche en première ligne, grâce au goût de ses artistes et de la clientèle qu'il approvisionne. Parmi ceux qui tiennent cette année une place honorable à l'exposition, nous citerons MM. de Boas, qui fabriquent à la fois deux châles jumeaux, l'un blanc et rouge, l'autre rouge et blanc. D'après ce que nous avons dit de la méthode du tance qui finit par découpure, on concevra la possibilité de cette innovation économique. M. Frédéric Hébert garde le rang élevé où il s'était placé dans les expositions précédentes. MM Gaussin, qui ont demandé leurs dessins à M. Couder; M. Forestier, qui s'est adressé à M. Luittet, ont aussi des châles remarquables. MM. Houcey Julien et Marcel, coordonnateurs de la maison Hellennasse, ont exposé un châle en cachemire pur, complètement blanc, broché sans envers en fleurs naturelles, avec tiges, feuilles et même une portion du sol. C'est une des belles pièces de l'exposition. Et, toutes ces merveilles sont dues au métier Jacquart, qui, si longtemps dédaigné, est maintenant employé partout, auquel chacun cherche à apporter chaque jour des perfectionnements, et qui, il faut bien le dire, se prête admirablement à toutes les fantaisies de la mode et des artistes, avec les améliorations qu'il a subies depuis qu'il est sorti du cerveau de son immortel inventeur.
La fabrication des tissus de lin et de chanvre est arrivée à un degré de perfectionnement quant à la qualité, qui ne laisse plus de marge au progrès qu'au point de vue du bon marché. Dans ces branches d'industrie, la mécanique aussi est venue apporter ses immenses ressources. Le métier à filer le lin a fait une révolution complète depuis quelques années. Ce métier est dû à un Français, M. de Girard, homme de génie qui n'a cependant pas a se louer de sa patrie. Napoléon, qui procédait sommairement en tout, et à qui on ne reprochera jamais de n'avoir pas su encourager l'industrie nationale, Napoléon avait promis un million à l'inventeur d'un métier à filer le lin, M. de Girard se mit à l'œuvre et parvint à résoudre le problème; mai» Napoléon était sur son rocher, et la restauration ne tint pas les promesses faites. M. de Girard dut alors aller demander à l'Autriche le pain que lui refusait son pays. Le métier nous est revenu plus tard, mais sous une étiquette anglaise.
Le coton donne aujourd'hui des produits qui n'ont rien à envier pour la perfection à la production anglaise. On évalue à 100 millions la valeur du coton brut filé en France, et à pareille somme la valeur que lui donne la main-d'œuvre, et sur cette somme, on en compte le tiers ou environ 30 millions pour les ouvriers. Le progrès est manifeste dans les calicots, percales, jacomas, mousselines et damasses. Les fabriques de Saint-Quentin, de Mulhouse, d'Alençon et de Tarare se font remarquer par leurs bazins, leurs tricots et leurs organdis. C'est sur les cotonnades que s'exercent en grand l'industrie des impressions. Rouen se distingue par ses impressions sur les étoffes communes, et Mulhouse sur les étoffes plus riches.
Pour l'impression, tous les progrès sont dus à une machine inventée en 1821, par M. Perrot, et à laquelle l'inventeur donna le nom de perrotine, nom que la reconnaissance publique lui a conservé. Avant cette invention, les couleurs se mettaient à la main, et étaient par conséquent longues et coûteuses à appliquer. M. Perrot a fait faire avec une précision mathématique par une machine les impressions les plus délicates, avec économie de temps et d'argent, il sans nécessiter de plus grandes dépenses de dessin que dans le système ordinaire. Les organes de la perrotine sont admirables de simplicité, et leurs mouvements intelligents; on peut, avec cette machine, poser sur l'étoffe depuis une jusqu'il six couleurs à la fois, sans que l'une empiète sur l'autre, et en conservant la délicatesse des nuances et la pureté des lignes et des contours. La planche sur laquelle on imprime est plate, comme dans le système ordinaire. L'impression au moyen de cylindre eût peut-être offert plus d'avantages, mais la gravure sur un rouleau est beaucoup plus chère.
Quelques chiffres fournis par la société industrielle de Mulhouse vont prouver le progrès que l'introduction de cette machine dans la fabrication a amené en peu de temps; et pourtant, à Mulhouse, elle a été longtemps rejetée, comme convenant peu au genre de dessins d'impression: en 1839, il n'y avait encore que quatre un cinq de ces machines; en 1843, il en était tout autrement, et les résultats en étaient extraordinaires.
En 1827, il y avait à Mulhouse 16 fabriques d'indienne occupant 6860 ouvriers, et produisant annuellement 96,480,350 mètres d'étoffes imprimées.
Métier à tapisserie, par mademoiselle Chanson.
En 1843, 11 fabriques occupaient 5,996 ouvriers, et produisaient 44,520 pièces d'étoffe d'une longueur ensemble de 275,670,000 mètres, ou environ trois fois plus qu'en 1827.
En 1827, un ouvrier produisait annuelle ment 1,391 mètres d'étoffes imprimées.
En 1843 il en fournit 4,597 mètres.
La maison Schlumberger et Kœchlin, de Mulhouse, est une de celles qui se font le plus remarquer par la beauté de ses tissus et de ses impressions, et en particulier par ses étoffes pour meubles et tentures.
Nous voici arrivé à l'une des branches de l'industrie française sur laquelle nous voudrions nous étendre longuement, car elle intéresse principalement et presque exclusivement la seconde ville du royaume, celle dont le reste de la France entend quelquefois les cris de détresse mêlés aux horreurs de la guerre civile: nous voulons parler de la fabrication des étoffes de soie et des rubans. Notre commerce extérieur est en grande partie alimenté par les produits des fabriques de Lyon et de Saint-Étienne. Dans les cinq années qui ont précédé 1839, le chiffre des exportations est de 80 millions pour les soieries et de 30 millions pour les rubans, en tout 110 millions, non compris la valeur des tissus mélangés de soie, de la bonneterie, passementerie, soies à coudre, et un grand nombre d'articles de mode. Depuis, ce commerce a éprouvé des fluctuations qui ont été bien fatales à l'industrie lyonnaise; la valeur moyenne de son commerce d'exportation a été, dans les cinq dernières années, de 158 millions, et celle de tout le commerce français de 480 millions: c'est donc un sur un peu plus de trois et demi. Dans le prix des soieries, la matière première entre pour les deux tiers, le reste représente les bénéfices et la main-d'œuvre. Qu'on juge, d'après cela, des désastres que peut amener la diminution de l'exportation: ainsi, de 1841 à 1842, il y eut une différence de 5 millions au détriment de la fabrique lyonnaise; c'est donc le tiers, ou 16 millions, qui a fait défaut pour la plus grande partie aux malheureux ouvriers en soie.
Nous ne nous arrêterons pas à signaler les noms de tous ceux qui nous ont paru mériter, par la beauté de leurs produits, les encouragements du gouvernement et les applaudissements de la foule. Les exposants de rubans se font surtout remarquer par le goût et la richesse de leurs nuances. Nous citerons seulement la maison Faure frère, de Saint-Étienne, qui, en 1839, obtint la médaille d'or, et qui expose des rubans façonnés au moyen d'un battant-brocheur de l'invention de M. Boivin, habile mécanicien de Saint-Étienne. Ce battant-brocheur permet de faire cinq à six rubans sur le même métier au lieu d'un seul. C'est là un progrès qui tend indubitablement à faire baisser les prix et à pourvoir à une fabrication considérable.
Nous voudrions pouvoir envoyer nos lecteurs dans la galerie des tissus; mais aujourd'hui plus que jamais, cela leur est interdit; des cordes en écartent les curieux; c'est là que l'orage a fait ses dégâts; les riches étoffes aux couleurs éclatantes, les fines soieries, les lingeries précieuses, ont plus ou moins souffert de la légèreté des constructions, combinée avec la violence de la grêle.
Après avoir passé en revue les hauts produits du lainage, qu'on nous permette d'offrir à nos lectrices un métier à tapisserie, invention nouvelle d'une demoiselle qui, frappée des mouvements du métier ordinaire, qu'on devait monter et démonter et faire mouvoir dans tous les sens, à l'aide de lourdes vis, disgracieusement placée» dans de jolies mains, a imaginé un mécanisme aussi ingénieux que simple qui permet de monter et démonter, tendre et détendre avec facilité l'étoffe dans tous les sens. Par un autre procédé, ce métier présente un support pour le modèle et un cadre à quadrillé pour reproduire et nuancer un dessin donné. Cet appareil est dû à mademoiselle Chanson.
Le Roi, la Reine et la Famille royale visitant la galerie
des tissus.
Portière en tapisserie, exécutée à Aubusson.
Les produits que nous avons à examiner dans ces diverses branches d'industrie, témoignent d'un immense progrès sous le rapport de l'exécution. Peut-on en dire autant du bon marché? car c'est là toute la question, puisque, abstraction faite de certains vases en belle et bonne terre, ornés de peintures d'un dessin et d'un coloris admirable, qui ne s'adressent qu'aux grandes fortunes, la consommation de la porcelaine, de la faïence et de la poterie est une des premières nécessité de l'économie domestique. Nos fabricants ont d'ailleurs sur tous les marchés d'infatigables concurrents. Partout la porcelaine anglaise a pénétré à des prix tellement réduits, grâce au bon marché des matières premières, que les produits français ne peuvent lutter avec avantage qu'au moyen de grands perfectionnements de fabrication. Pourtant nous devons le dire, il y a dix ans déjà, quelques fabricants déclaraient, les uns qu'ils n'avaient plus besoin de la prohibition contre les porcelaines anglaises, les autres que le droit à l'entrée pouvait être réduit à la moitié, au tiers et même au quart. Ces déclarations, en témoignant du progrès de notre industrie, nous prouvent en même temps que les prix de consommation courante ont baissé. C'est en effet ce qui a eu lieu, et l'on trouve aujourd'hui dans le commerce des services de porcelaine au prix où se vendait jadis la faïence, et des pièces de faïence cotées au prix de l'ancienne poterie.
M. Brongniart, dans son excellent travail sur la poterie, distingue sept sortes de poteries: les terres cuites, la poterie commune, la faïence commune, la faïence fine, la poterie de grès, la porcelaine dure, la porcelaine tendre. Nous ne nous occuperons pas de la première classe, qui comprend les briques, tuiles, carreaux, etc.
Les deux principes constituants de toutes les poteries sont la silice et l'alumine. Les argiles pures et les kaolins sont particulièrement composés de ces deux terres, et offrent par conséquent les matériaux les plus habituels pour la fabrication des poteries fines et des porcelaines. Les argiles figulines ou de potier, et les marnes argileuses, qui sont composées d'argile et de craie, sont d'un usage général et économique pour les faïences et les poteries communes.
La poterie commune avec vernis jaune, vert ou brun, est composée d'argiles plastiques brunes qu'on trouve à Arcueil, Gentilly et Vaugirard, et de sable siliceux contenant un peu de marne ferrugineuse. On y ajoute de plus une matière telle que le sable ou la craie, pour dégraisser la pâte. Quand ces poteries sont cuites, on procède au vernissage. Le vernis est la partie importante, mais malheureusement aussi la plus dangereuse de ces poteries, le plomb y entre en grande quantité (sur 100 parties il y en a 64 d'oxyde de plomb). Ce vernis est facilement fusible, s'écaille au feu, et peut se mêler aux aliments quand on les a soumis à un trop grand feu dans ce genre de poterie.
La faïence commune se divise en faïence blanche et faïence brune; la première ne supporte pas le feu, et la seconde le supporte très-bien; cela tient à ce que dans la seconde la marne blanche est en plus petite proportion que dans la première. Les pâtes de ces deux faïences sont composées d'argile plastique, de marne argileuse verdâtre, de marne, calcaire blanche, et de sable marneux. Elles sont préparées sur le tour à potier d'abord pour l'ébauchage avec les mains, puis, quand elles sont déjà un peu desséchées, pour le tournassage avec des instruments en fer. On les cuit pendant trente-six heures, puis on y met l'émail après l'application duquel une seconde cuisson est nécessaire, aussi longue que la première.
Cet émail est opaque, et dissimule par conséquent les défauts de la pâte.
Quant à la faïence fine, elle est essentiellement composée d'argile plastique lavée et de silex broyé fin. L'enduit est un vernis cristallin, fondu préalablement en verre et composé de silice unie à du quartz, de soude et de plomb à l'état de minium ou d'oxyde. On distingue dans la faïence fine le cailloutage en terre anglaise, et la terre de pipe.
La poterie de grès se distingue également en poterie commune et poterie fine. Sa principale propriété consiste en ce que son grain est très-serré et que, avec ou sans vernis, elle est imperméable à l'eau et se conduit bien sur le feu. C'est la transition entre la faïence et la porcelaine.
Ce qui distingue la porcelaine de la faïence, c'est la translucidité de sa pâte qui tient à la présence dans le feldspath (élément essentiel de la porcelaine) d'un alcali. La porcelaine dure contient moins de cet alcali que la porcelaine tendre, et est moins transparente. Les deux éléments principaux de la pâte des porcelaines sont le kaolin et le feldspath. La France a, pour la fabrication de la porcelaine dure, un avantage fondamental, celui de la matière première. Son kaolin de Saint-Yrieix, près Limoges, est plus pur qu'aucun autre kaolin connu. Nous ne pouvons nous arrêter à décrire ici les procédés ingénieux de la fabrication et les manipulations sans nombre dont chaque morceau de pâte est l'objet. Nous dirons seulement qu'une des parties importantes de l'art du porcelainier est la décoration en couleur de ses produits; c'est là que surtout a éclaté le progrès, sans parler du fini du dessin, qui est plus correct et plus artistique en France que partout ailleurs, même pour les porcelaines communes, même pour les faïences qui s'adressent à la consommation des classes peu riches.
Après ce rapide coup d'œil jeté sur l'art dont nous avons à examiner les produits, il nous reste à entretenir nos lecteurs des œuvres qui nous ont le plus frappé à l'exposition, tant au point de vue de l'art qu'au point de vue de la consommation.
Nous avons remarqué, comme décorations originales et de bon goût, la case de M. Gille jeune, qui est arrivé à donner ses porcelaines ornées et décorées à des prix qui les mettent à la portée d'un grand nombre de fortunes. Ses cheminées ne nous ont pas paru coûter plus cher que les cheminées de luxe en marbre. Il a des panneaux complets d'appartement en belle porcelaine, qui sont d'un effet excessivement riche.
Parmi les exposants de faïence usuelle, on retrouve encore les directeurs des fabriques de Montereau, de Creil, de Vierzon, qui arrivent à avoir d'excellents objets qu'ils peuvent donnera des prix réduits.
Poteries de grés de Voisinlieu.
Près d'eux se cache modestement une case dont les produits sont cependant destinés à faire une révolution dans l'économie domestique; ce sont les produits galvano-céramiques, ou, en langage à la portée de tous, poterie (porcelaine ou faïence) revêtue, au moyen d'un courant galvanique, d'une enveloppe en métal. Si cette découverte tient tout ce qu'elle promet, adieu la poterie commune et son vernis plombifère! Cette nouvelle poterie joint à la propriété d'aller au feu celle de ne pouvoir s'écailler et d'être d'une grande propreté. Le prix seul nous en a paru trop élevé: on ne comprendra jamais, en effet, qu'un vase soumis à du courant galvanique et revêtu d'une couche de cuivre d'une épaisseur microscopique, et d'un prix pour ainsi dire nul, vaille, après cette opération, six francs, quand il était coté trois francs auparavant. Nous engageons vivement MM. Nonalthier et Boquet à se persuader que c'est dans le bon marché qu'ils trouveront leur débit et que, s'ils veulent rendre un véritable service à l'humanité, c'est en baissant leurs prix de manière à lutter partout avec la poterie commune.
Nous retrouvons dans les grès cérames la fabrique de Sarreguemines et celle de Montereau. M. Johnston de Bordeaux a exposé des grès demi-porcelaine et des porcelaines tendres d'une bonne exécution.
Depuis la dernière exposition, une nouvelle fabrique s'est montée près de Beauvais, sous la direction d'un de nos peintres les plus renommés, et a immédiatement pris rang parmi celles qui sont en possession de fournir des objets de fantaisie et d'utilité tout à la fois. Le talent bien connu du directeur, et la bonne qualité des produits, ont rapidement répandu les grès de Voisinlieu, qui, d'ailleurs, par leurs formes originales et leurs couleurs, sortaient la décoration de nos appartements de ces éternels vases à fleurs en porcelaine blanche avec filets dorés. M. Ziegler établit sa fabrique, en 1839, au milieu des terres du Beauvaisis, si renommées pour leurs qualités argileuses. Depuis cette époque, les fabriques environnantes de la Chapecelle-aux-Pots, Savignies et autres lieux, ont pris plus de développements et ont amélioré leur fabrication. Nous donnons quelques unes des formes capricieuses adoptées par l'imagination de l'artiste; nous nous plaisons à reconnaître, d'ailleurs, qu'en général ces formes sont gracieuses et heureusement combinées avec la destination du vase.
Vase en porcelaine de la fabrique de M. Talmoure,
avec
garniture en bronze doré par M. Lerolle.
Vase en porcelaine, style Louis XV,
de la fabrique de M. Talmoure,
procédés de M. Discry.
Flacon en porcelaine, imitation
chinoise, de la fabrique de M.
Talmoure, procédés de M. Discry.
Les fonds de couleur sur porcelaine, dite au grand feu, sont une des parties les plus délicates de l'art du porcelainier. On entend par là les couleurs brillantes qui, cuites et identifiées avec la couverte ou vernis de la porcelaine, sont susceptibles d'être dorées aussi brillamment et aussi solidement que la porcelaine elle-même. Jusqu'en 1835, on n'avait que deux belles couleurs de fonds au grand feu, le bleu de cobalt et le vert de chrome; maintenant on en a plus de dix, grâce aux nouveaux procédés de M. Halot et de M. Discry. Ils sont arrivés à placer leurs couleurs sur la pièce avant qu'elle soit cuite; ils la recouvrent de l'émail feldspathique, et ils unissent ainsi, par un seul feu, la porcelaine et la couleur avec le vernis. Ce procédé est à la fois économique et donne des fonds très-glacés, très-solides et très-égaux. Un autre procédé consiste dans l'application d'un corps gras sur les places dites réserves, destinées à recevoir soit une autre couleur, soit des peintures diverses.
Au jugement du jury de 1839, M. Discry excelle dans la composition des fonds, la pose des couleurs par immersion et la formation des réserves. Cette année, l'exposition de M. Talmoure prouve que la fabrication n'a pas dépéri entre ses mains. Nous donnons à nos lecteurs un vase, style Louis XV, qui est d'une belle exécution, un flacon, imitation de boccaro chinois. Mais la pièce capitale est un grand vase de porcelaine, monté en bronze doré, exécuté par M. Lerolle. Et, à propos de ces derniers fabricants, qui avaient été si honorablement remarqués à l'exposition de 1831, nous demanderons comment il se fait qu'ils ne paraissent cette année que sous le patronage d'un fabricant de porcelaines, et nous regrettons qu'ils n'aient pas cru devoir affronter par eux-mêmes et pour leur propre compte le jugement du public et du jury.
Hegel et la Philosophie allemande, ou Exposé et Examen critique des principaux systèmes de la Philosophie allemande depuis Kant, et spécialement de celui de Hegel; par A. Ott, docteur en droit, 1 vol. in-8.--Paris, 1844. Joubert, 7 fr.
Si nous en croyons M. Ott, la philosophie allemande ne tend à prendre en France une autorité de plus en plus grande que parce qu'elle y est très-imparfaitement connue. Que l'enveloppe mystérieuse qui la dérobe encore aux regards de la plus grande partie de ses concitoyens soit levée, le prestige dont elle est environnée tombera bien vite, et chacun appréciera à leur juste valeur ces idées que tant de personnes prônent sans les avoir suffisamment étudiées. Aussi l'ouvrage qu'il vient de publier a-t-il pour but d'en donner une notion plus véritable, et de mettre le public français à même de les juger en pleine connaissance de cause.
«Notre intention, dit-il, n'est donc pas de propager parmi nous la philosophie allemande, mais seulement de la faire connaître. Nous ne voulons nullement ravaler les travaux scientifiques de l'Allemagne, ni méconnaître la puissance de ses penseurs; mais autre chose est d'admirer la hardiesse d'un système, l'effort intellectuel qui l'a engendré, l'enchaînement rigoureux dont il se compose; autre chose est d'en accepter le point de départ, la méthode et les résultats. La philosophie allemande n'est pas un fait isolé dans l'histoire moderne; elle est l'expression de l'esprit même du peuple allemand, de ses croyances religieuses, de ses tendances morales. Ces tendances ne sont pas celles de la France. La France est une nation catholique; chez elle prédominent les sentiments d'unité, les idées sociales. Dans les croyances françaises, l'individu est subordonné à la société; le mot n'est qu'un point de la circonférence; la raison de chacun doit se soumettre à la raison de tous. L'Allemagne, au contraire, est la patrie du protestantisme, de l'esprit de division et de séparation; chez elle le moi s'est fait centre, la raison individuelle ne reconnaît aucune autorité supérieure, le point de vue individuel domine le point de vue social. A ces deux tendances répondent deux philosophies, mais deux philosophies opposées, contradictoires que jamais on ne parviendra à concilier. Or, c'est à l'avenir de décider quelle tendance prévaudra de la tendance française on de la tendance allemande. Ce sera l'une ou l'autre, mais certainement pas toutes les deux. Pour nous, qui croyons notre pairie dans la bonne voie, nous lui souhaitons d'y persister et de rester fidèle à sa tradition, dont l'abandon serait une renonciation au principe même de sa nationalité.»
M. Ott nous a fait connaître lui-même le but et reprit de son ouvrage; disons maintenant quelle méthode il a suivie pour initier ses lecteurs à la philosophie allemande. Selon lui, il ne devait pas écrire une histoire de cette philosophie, et analyser avec le même soin tous les systèmes qui ont paru depuis Kant. La plupart de ces systèmes, après avoir brillé un moment, ont disparu, et n'offrent plus aujourd'hui qu'un intérêt purement historique. Les maîtres de la philosophie allemande, ceux qui l'ont conduite au point où elle se trouve, sont en petit nombre: c'est Kant, Fichte, Schelling et Hegel. «Or, dit encore M. Ott, la valeur personnelle de ces hommes était mise de côté, leurs doctrines n'ont plus, à l'époque actuelle, une importance égalé. De Kant et de Fichte, il n'est resté que les principes généraux, les données qui ont servi à leurs successeurs. Schelling a soumis son système à une refonte complète. Hegel est le seul qui soit debout aujourd'hui; il est le seul aussi dont l'école manifeste encore de la vie et de l'activité, et dont les idées exercent une influence directe sur le mouvement actuel de la philosophie. C'est donc le système de Hegel qui forme le sujet principal de notre travail.» L'ouvrage de M. Ott se divise en trois parties, précédées d'une introduction, et suivies d'une conclusion.
Dans l'introduction, M. Ott expose d'abord la partie substantielle des doctrines de Kant, de Fichte et de Schelling, ce qui est, est resté dans la philosophie allemande; puis il examine l'ensemble des principes de Hegel de manière à donner en même temps une idée générale du système, et à préparer le lecteur à l'analyse proprement dite des ouvrages de l'auteur.
Cette analyse forme les trois parties du livre, qui ont pour titres; La Logique, la Philosophie de la Nature et la Philosophie de l'Esprit. M. Ott suit ainsi l'ordre et les divisions adoptées par Hegel dans son Encyclopédie.
La conclusion est intitulée: État présent de la Philosophie en Allemagne. Après avoir affirmé que le système de Hegel, qu'il vient d'analyser, a clos la série des doctrines philosophiques engendrées par le protestantisme allemand, M. Ott se demande quel est le fruit de cette science tant vantée, quel est le résultat on a abouti ce développement qui a trouvé de si nombreux admirateurs. Dans son opinion, et sa conclusion n'a d'autre but que de prouver qu'il a raison de penser ainsi, «Ce résultat est la confusion universelle. Toutes les théories, toutes les doctrines, tous les systèmes qui, depuis Kant, se sont élevés en Allemagne, se sont mêlés et amalgamés dans une logomachie sans nom. Les idées ont perdu leur valeur, les mots ont perdu leur sens; on se parle sans s'entendre, et c'est en vain que chacun espère faire taire les autres en criant plus fort qu'eux. Toutes choses sont remises en question; partout est la discussion et la controverse, et des brochures innombrables alimentent sans cesse cette ardeur de disputer qui s'est emparée de tous. De ce choc des opinions contradictoires, il résulté que nulle conviction générale ne peut se fonder, et qu'il ne reste en partage au public que le doute et l'incertitude. Telle est, dit M. Ott en terminant, la situation que la philosophie protestante a faite de l'Allemagne savante. Il suffira de la connaître et d'en apprécier les causes, pour repousser les idées qui l'ont produite, idées étrangères, dont l'importation dans notre patrie procurerait aussi peu de profit que d'honneur.»
Histoire des Peuples du Nord, par Henry Wheaton, membre correspondant de l'Institut de France, ministre des États-Unis d'Amérique près la cour de Prusse; traduit de l'Anglais par Paul Guillot, avocat à la cour royale de Paris. 1 vol. in-8, LXI et 583 p., augmenté de cartes, inscriptions et alphabet runiques.--Paris, 1844. Marc-Aurel et Hachette. 11 fr.
La littérature du Nord n'a pas été sans participer au mouvement que le dix-neuvième siècle a imprimé aux études historiques. De grands et importants travaux ont été entrepris, et se continuent chaque jour pour nous révéler les annales d'une contrée dont les habitants occupent, par leurs conquêtes et leurs expéditions aventureuses, une si grande place dans l'histoire du moyeu âge. Il nous suffira, dès à présent, de citer les remarquables travaux de Gejer, de Rask, de Rafu, de Müller, de Finn-Magnussen, et d'autres encore dont la science et le zèle infatigable ont tant contribué à faire connaître à l'Europe les faits et gestes des nations Scandinaves.
Jusqu'ici, cependant, nous devons dire que la France était restée un peu en dehors du mouvement général. Les ouvrages publiés sur le Nord se bornaient, à très-peu d'exceptions près, à des écrits de touristes qu'on pouvait considérer comme d'agréables impressions de voyage, mais auxquels on ne pouvait accorder la confiance que doit commander toute œuvre scientifique. C'est dire assez que nous ne devons point ranger dans cette catégorie l'Histoire des Peuples du Nord que vient de publier M. Wheaton. Ancien ministre des États-Unis à Copenhague, nul n'était mieux placé que lui pour puiser aux sources officielles, et s'éclairer par ce contact des savants, qui, les premiers, avaient mis en lumière les titres jusqu'alors égarés on enfouis dans l'histoire Scandinave.
L'ouvrage de M. Wheaton comprend l'histoire des Danois et des Normands, depuis les temps les plus reculés jusqu'à la conquête de l'Angleterre par Guillaume de Normandie, et du royaume des Deux-Siciles par le fils des Tancrède de Hauteville.
Tout ce qui intéresse la vie des peuples du Nord pendant cette longue période de temps se trouve consigné dans le livre de M, Wheaton, et nous devons avouer que ce n'était pas une tâche toujours facile de mettre un peu d'ordre et de clarté dans le récit d'événements où tant de peuples, les Danois, les Norvégiens, les Islandais, les Suédois, les Anglo-Saxons, etc., sont toujours en contact, de faire la part de l'histoire et celle des traditions mythologiques qui ont régné en Scandinavie après même l'introduction du christianisme. L'auteur a porté beaucoup de méthode dans cette partie du son œuvre; l'étude approfondie qu'il a faite des matériaux indigènes lui a permis d'aborder plusieurs points de critique historique, et parfois de les décider.
L'histoire des races du Nord a pour les hommes sérieux un intérêt d'autant plus vif, qu'elles se trouvent mêlées à tous les grands événements de cette époque, en contact avec tous les empires. Tantôt vainqueurs, tantôt vaincus dans leurs guerres avec la France et l'Angleterre, jusqu'au moment où Rollo se fut fait donner le duché de Normandie, et où Guillaume le Bâtard se rendit maître de l'Angleterre; conquérants dans le royaume des Deux-Siciles, gardes du corps à Constantinople, pirates ou aventuriers sur toutes les mers, on trouve partout des traces de leur passage. Doit-on s'étonner après cela que les Scandinaves, en rapports continuels pendant plusieurs siècles avec les peuples de l'Europe centrale et méridionale, leur aient communiqué une partie de leurs mœurs, de leurs usages, de leurs lois, quelquefois même aient influé sur leur idiome. L'Angleterre, notamment, conserve même aujourd'hui les traces de sa fusion avec la race normande.
Ce qui augmente encore l'intérêt de ce livre, c'est qu'aux travaux de M. Wheaton sont venus s'ajouter les travaux personnels du traducteur, M. Paul Guillot, qui déjà, il y a quelques années, a fait connaître au public français l'ouvrage remarquable de John Allen sur la Prérogative royale en Angleterre. Une introduction qui donne l'exposé de la mythologie Scandinave; des tableaux chronologiques, un alphabet runique, des fragments de poésie oh des plus beaux chants des Skaldes, fragments précieux pour l'histoire, en ce qu'ils constituaient souvent les seules chroniques de l'époque; la célèbre inscription runique trouvée en Amérique sur un rocher près de Rhode-Island, et qui semblerait assigner une date certaine à la découverte du Nouveau-Monde par les Européens, complètent cet ouvrage, qui devient ainsi comme un répertoire historique où peuvent puiser avec confiance tous ceux qui veulent s'instruire dans l'histoire, encore aujourd'hui trop peu connue parmi nous, des peuples de l'ancienne Scandinavie.
L.
Histoire universelle; par César Cantu; traduite par Eugène Arnoux, ancien député, et Piersilvestro Leopardi. Tome deuxième.--Paris, 1844. Firmin Didot. 1 vol. in-8. 6 francs.
Le second volume de l'Histoire universelle de César Cantu, que vient de mettre en vente la librairie Firmin Didot, est encore mieux rempli que le premier. Il comprend la Perse, la Grèce et l'Italie ancienne. M. Cantu analyse l'histoire de la Perse depuis les temps obscurs jusqu'à la mort de Darius. Puis il consacre deux chapitres à la religion des mages et à la constitution morale et publique des Perses. L'histoire de la Grèce occupe à elle seule les trois quarts du volume. Sparte et Lycurgue, Messine, Athènes et Solon, Pisistrate, les petits États, les colonies, la guerre médique, la suprématie d'Athènes, la guerre du Péloponnèse, la grandeur et la décadence d'Athènes, la suprématie de Sparte, Socrate, la retraite des dix mille, Agesilas, la Béotie et Épaminondas, les Macédoniens et Alexandre, la littérature, la philosophie, les beaux-arts et les sciences; tels sont les nombreux sujets traités ou restitués en dix-huit chapitres. Quant à l'Italie, M. Cantu ne nous en fait connaître encore que les premiers habitants, la grande Grèce, les îles et le Latium. Le second volume se termine avec la fin de l'histoire poétique de Rome. Le tome troisième paraîtra prochainement.
L'Algérie en 1844; par A. Desjobert.--Paris, 1844. Guillaumin.
M. Desjobert est infatigable: à la Question d'Alger en 1837, à l'Algérie en 1838, succède aujourd'hui l' Algérie en 1844. A en croire ses trois brochures, l'Afrique est un legs funeste que la restauration a fait à la révolution de Juillet. L'opinion publique est trompée par les particuliers et par le gouvernement. Lui montrer ses erreurs, telle est la tâche que s'impose M. Desjobert. Pour prouver à la France qu'elle est victime d'une folie, il examine la question de l'occupation d'Alger sous un certain nombre de points de vue: l'occupation, la colonisation en général, la colonisation militaire, la colonisation mixte, la colonisation civile, le commerce et la navigation, l'armée, les finances, etc., et de Cet examen, il conclut que la France ne peut pas raisonnablement sacrifier chaque année 100 millions à ce qu'il appelle l'affaire d'Afrique. Lors même qu'elle ne contiendrait pas une fonte de faits curieux, cette brochure serait recherchée et lue à cause de son excentricité; mais nous espérons qu'elle ne convaincra personne, et que le public continuera à ne pas admettre l'opinion du célèbre député de la Seine-Inférieure.
Leçons élémentaires de Botanique, fondées sur l'analyse de 50 plantes vulgaires; par M. Em. Lemaout, docteur-médecin. Chez Fortin, Masson et comp.
La botanique est la science des végétaux; mais connaître les végétaux sous tous leurs points de vue est une entreprise difficile même pour les hommes qui s'y livrent exclusivement. Il faut donc opter entre la physiologie végétale, qui s'occupe de la structure, des organes et des fonctions des plantes, et la botanique descriptive, qui énumère, classe et décrit toutes les plantes répandues à la surface du globe.
Toutefois ces deux sciences ne sont pas complètement indépendantes. Le physiologiste, témoin d'un phénomène curieux que présente une plante, veut en savoir le nom, et à son tour celui qui se bornerait à connaître les plantes par leur nom et serait tout à fait étranger à leur physiologie, serait un collecteur et non pas un botaniste. Cette nécessité de connaître deux branches de la botanique a toujours arrêté les gens du monde L'un ne s'inquiète nullement du nom et de la classification des végétaux, mais il voudrait savoir comment ils germent, vivent, respirent et se propagent; il ouvre un traite de physiologie végétale, et se limite immédiatement contre des noms latins par lesquels l'auteur désigne les plantes dont il décrit les phénomènes physiologiques. Un autre, et c'est le cas le plus habituel, se contenterait de savoir le nom des plantes qui l'entourent, il voudrait faire un herbier qui réunirait les plantes qu'il cueille dans ses promenades; mais dès les premières lignes il voit surgir une foule du noms inconnus servant à désigner les organes divers au moyen desquels on est arrivé à classer et distinguer les plantes. Il résulte de là que la plupart des personnes qui avaient entrepris cette étude se lassent de tourner dans un cercle vicieux, se découragent, se dégoûtent et déclarent n'avoir trouvé que des mots là où ils cherchaient des faits et des idées. Cette accusation est injuste. Des objets nouveaux génèrent des mots nouveaux, et l'on ne peut désigner les plantes ni leurs organes avec les mots employés dans l'usage habituel de la vie. Mais, il faut en convenir, les auteurs de traités élémentaires ne se sont peut-être pas mis assez à la place de l'homme du inonde qui ouvre pour la première fois un livre de botanique. Ils n'ont pas fait une part suffisante, à son inexpérience, et lui ont supposé une persévérance qu'un désir ardent de connaître peut seul inspirer.
Avant d'écrire son livre, M. Lemaout avait depuis longtemps enseigné la botanique, il avait été témoin des difficultés que ses élèves rencontraient à chaque pas, et s'était efforcé de les leur aplanir. Fort de son expérience, il a publié un livre réellement élémentaire. Il ne rebute pas le commençant en lui parlant de plantes inconnues, car il en a choisi cinquante qui sont tellement communes dans les jardins ou dans les champs, qu'elle ont un nom vulgaire et sont connues universellement. Ces cinquante plantes figurées dans son ouvrage forment la base du son enseignement, et sans aller en chercher d'autres. Il donne à son élève des notions sur les organes, la physiologie et la classification très suffisantes pour que celui-ci puisse ensuite pousser plus loin l'étude de la botanique, s'il en a le loisir et l'envie. Mais dût-il s'arrêter au milieu du livre, le lecteur aura des notions assez complètes sur plusieurs points de la botanique, et au bout de vingt pages, il saura si cette science est du son goût. Le livre de M. Lemaout est donc réellement un ouvrage élémentaire; c'est celui que l'on conseillera à quiconque veut entreprendre sans maître l'étude du la botanique. Il est en outre composé de manière à exciter l'attention et la curiosité du lecteur; et n'est point un traité dogmatique de la science, c'est un cours instructif où le professeur cherche toujours à instruire en amusant. Toutefois, la science qu'il enseigne est une science solide et de bon aloi, et les anecdotes dont il entremêle ses leçons ne sont point de ces historiettes puériles qui rabaissent la science aux yeux de l'homme d'intelligence, et n'ajoutent rien à son charme pour celui qui est en état de la comprendre.
Types de chaque famille et des principaux genres de Plantes croissant spontanément en France: par F. Plée.--Chez Baillière, 17, rue de l'École-de-Médecine.
Il n'est personne qui, au moins une fois en sa vie, n'ait été tente d'apprendre la botanique; mais sur tant d'appelés combien peu d'élus! Dès les premiers pas on est rebuté par une foule de mots nouveaux d'origine grecque ou latine. Sans guide, sans direction, on s'épuise en efforts superflus pour arriver au nom d'une plante. On commence par chercher celui d'une espèce avant de savoir à quelle famille elle appartient. L'ouvrage de M. Plée a pour but de faire connaître par des descriptions simples et claires et des figures admirablement dessinées et coloriées, les types de chaque famille. Quiconque aura revu sur la nature ces différents types reconnaîtra bientôt à quelle famille appartient la plante qu' il désire connaître. La famille une fois déterminée, il arrivera à connaître les genres et enfin les espèces. Alors il saisira les analogies et les affinités qui unissent entre eux les divers groupes naturels, et comprendra que l'étude de la botanique ait séduit tant d'esprits distingués. Six livraisons de l'ouvrage de M. Plée ont déjà paru; elles offrent l'analyse de la renoncule bulbeuse, de l'hellébore d'hiver, du jasmin, du lilas, de la saponaire officinale et du troène commun.--Deux livraisons paraîtront chaque mois.
C. M.
Discussion de la loi sur l'instruction secondaire, à la chambre des pairs. 2 fort vol. in-12, de 1450 pages. Prix, 7 fr. Aux bureaux du Moniteur, rue des Poitevins, 6, et chez L. Hachette, rue Pierre-Sarrazin, 12.
La discussion du projet de loi sur l'instruction secondaire a reçu, à la chambre des pairs, un développement inusité, et soulevé des questions qui ont vivement préoccupé l'opinion publique. L'importance des problèmes spéciaux relatifs à renseignement et à l'organisation de la liberté qui lui est due aurait suffi pour donner un grand attrait au débat; mais la controverse s'est prodigieusement agrandie lorsqu'on a vu une lutte ardente s'établir entre les lois nées de l'esprit de notre époque et les prétentions à tout ce qui constituait jadis les privilèges des corporations religieuses, lorsqu'on a vu le concordat, l'université, la philosophie, attaqués à outrance au nom et dans l'intérêt des jésuites. Ce combat entre l'ultramontanisme el les saines idées libérales, est un spectacle si curieux qu'il a fait bon d'en recueillir tous les détails. C'est ce que font les deux volumes que nous annonçons; ils reproduisent intégralement tout ce qui a été dit et délibéré à la chambre des pairs, depuis l'exposé des motifs jusqu'au vote du projet Ainsi resserrées, les vastes colonnes du Moniteur forment un ouvrage qu'étudieront avec fruit les publicistes, les magistrats, les membres de l'instruction publique, des deux Chambres et du clergé.
G.
M. Lambourg est né à Saumur dans les dernières années du siècle dernier. Depuis de longues années il vivait ignoré dans sa ville natale, exclusivement occupé de la culture d'un art qu'il a poussé jusqu'à ses limites les plus reculées. Enfin, il y a quelques semaines, il est venu pour la première fois à Paris, apportant avec lui les chefs-d'œuvre auxquels il avait consacré quarante années de sa vie. Chaque jour une foule nombreuse court admirer, dans les beaux salons du boulevard des Italiens, au-dessus du café Cardinal, le musée qui porte sou nom.
Malheureusement pour eux, tous les abonnés de l'Illustration ne peuvent pas jouir comme nous de ce curieux spectacle. Nous nous empressons donc de le leur montrer; mais, si exact qu'il soit, notre dessin ne leur en donnera qu'une idée imparfaite.
En effet cette ménagerie et ce jardin, ce lion et ce tigre, dont les peaux feraient envie aux plus difficiles amateurs de fourrures précieuses; ces fleurs aux couleurs si fraîches, aux formes si gracieuses, sont en verre. Vous pouvez toucher la crinière du roi des animaux; elle est aussi douce que la soie la plus fine. Le tigre seul a coûté huit années de travail. Me demanderez-vous comment M. Lambourg, a pu créer, avec une pareille matière, toutes ces étonnantes merveilles? Le procédé est bien simple; assis à une petite table devant une lampe dans la flamme de laquelle passe un courant d'air, M. Lambourg tient dans ses deux mains les deux extrémités d'un tube de verre blanc ou coloré. Il en chauffe une partie jusqu'à ce qu'elle devienne presque liquide, et avec ce verre prêt à entrer en fusion, il fait tout ce que lui demande le curieux étonné qui l'admire. Une levrette, des tourterelles, un papillon s'échappent comme par enchantement de ses doigts, et semblent tout prêts à courir, à s'envoler ou à voltiger, tant ils sont habilement imités; car M. Lambourg n'est pas seulement un ouvrier habile et exercé, c'est un artiste distingué, qui a longtemps étudié la nature animale, ainsi que la nature végétale, et qui obtient avec ses tubes de verre des résultats dont nos meilleurs sculpteurs auraient le droit d'être fiers.
Vous connaissez bien M. Levassor, acteur du Palais-Royal? M. Levassor est un véritable sorcier à triple et à quadruple face, mais jamais il n'avait poussé jusqu'à la dizaine ce talent de métamorphose; eh bien! allez voir M. Levassor, dans le Troubadour omnibus, dont nous avons déjà eu l'honneur de vous parler l'autre jour, et vous jouirez de cette aptitude phénoménale à changer de visage aussi facilement qu'on ôte sa cravate, sa chemise, son chapeau et son habit. Cependant, comme l'Illustration est la complaisance même, voici qu'elle vous offre les dix têtes de M. Levassor, pour vous épargner les frais d'un parterre ou d'un orchestre.--Que de gens voudraient avoir ce joli talent de société, afin de pouvoir cumuler impunément! que d'employés émargeraient dix fois, grâce à cet art de multiplier son visage! et que de grands hommes se feraient donner dix fois la croix d'honneur!
A mademoiselle Marie X.--Non, mademoiselle, l'Illustration ne peut pas donner le portrait des célibataires que marie la maison Foy; si jolie que vous soyez, nous ne vous ferons jamais une semblable annonce.
A M. T., maire de Bussière-lès-Belmont.--Nous vous remercions de vos éloges, et nous tâcherons de satisfaire tous vos désirs.
A madame B.--Tous vos vœux seront bientôt comblés.
A M. Ch. d'Ely.--Nous avons reçu vos communications; mais elles ne peuvent pas nous servir. Tom Thumb viendra bientôt à Paris, et nous donnerons son portrait. Quant au chemin de fer de Folkstone et au rocher de Shakespeare, l'Illustration en a déjà parlé.
A M. B., de Nantes, et à M. Ch. A. N., de Rambouillet.--Ce qui plaît à M. B. déplaît à M. A. N. Ce qui plaît à M. A. N.. déplaît à M. B. Comment faire? Nous continuerons.
A M. Jules Der...--Comment pouvez-vous nous proposer un pareil sujet? L'Illustration est un journal dont la mère permet la lecture à sa fille. Ne l'oubliez plus, monsieur!
A M. César Pantineau, de Bennes.--Apprenez à écrire le français, avant de nous donner des leçons.
A M. E., doct.-médecin à Saint-Robert (Isère).--Les articles dont vous réclamez l'insertion sur les établissements d'aliénés paraîtront dans le mois de juillet prochain.
A madame Pauline Dum., à Gray.--Quand vous vous présenterez en personne dans notre bureau de rédaction, rue Richelieu, 60, nous vous répondrons de vive voix. Il y a des choses qui ne s'écrivent pas.
Quand le chat n'y est pas, les souris dansent sur la table.