Title: Le sabbat des sorciers
Author: Bourneville
E. Teinturier
Release date: September 4, 2015 [eBook #49878]
Language: French
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BIBLIOTHÈQUE DIABOLIQUE
LE SABBAT
DES
SORCIERS
PAR
BOURNEVILLE et E. TEINTURIER
PARIS
Aux bureaux du Progrès | A. Delahaye et Lecrosnier |
MÉDICAL | ÉDITEURS |
6, rue des Écoles, 6. | Place de l'École-de-Médecine |
1882
BIBLIOTHÈQUE DIABOLIQUE
LE SABBAT DES SORCIERS
IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE
500 exemplaires numérotés à la presse:
300 | papier | blanc vélin, Nos | 1 | à | 300. |
150 | — | parchemin, | 301 | à | 450. |
50 | — | du Japon, | 451 | à | 500. |
No 140
BIBLIOTHÈQUE DIABOLIQUE
LE SABBAT
DES
SORCIERS
PAR
BOURNEVILLE et E. TEINTURIER
PARIS
Aux bureaux du Progrès | A. Delahaye et Lecrosnier |
MÉDICAL | ÉDITEURS |
6, rue des Écoles, 6. | Place de l'École-de-Médecine |
1882
LE SABBAT
Les Sorcieres se rendent au Sabbat de differentes manieres. Les vnes se mettent vn baston blanc entre les iambes, & puis prononcent certains mots, & dehors sont portees par l'aër iusques en l'assemblee des Sorciers. Ou bien elles y vont sus vn gros mouton noir qui les porte si viste en l'aër qu'elles ne se peuuent recongnoistre. Thieunne Paget r'apportoit que le Diable s'apparut à elle la premiere fois en plein mydy en forme d'vn grand home noir, & que comme elle se feut baillee à luy, il l'embrassa & l'esleua en l'aër, & la transporta en la 8 maison du pré de Longchamois, où il la congneut charnellement, & puis la r'apporta on lieu mesme où il l'auoit prinse. Antide Colas disoit que le soir que Satan s'apparut à elle en forme d'vn home de grande stature, ayant sa barbe & ses habillemens noirs, il la transporta au Sabbat, & qu'aux aultres 9 fois il la venoit prendre sus son lict, & l'emportoit comme vn vent froid, l'empoignant par la teste.
Les aultres y vont, tantost sus vn bouc (Fig. 1), un taureau ou un chien (Fig. 2), tantost sus vn cheual volant, & tantost sus vn balay, & sortent le plus souuent par la cheminée, aulcuns cheuauchent vn roseau, vne fourche, vne quenoille: les vns se frottent auparavant de certaine gresse composée de chouses très abhorrentes & deguoustantes, desquelles la plus ordinaire est gresse d'enfants felonement meurtris; les aultres ne se frottent de rien. Les vns y vont nuds comme sont la plus part pour se gresser, les aultres vestus; les vns la nuict, les aultres le iour, mais ordinairement la nuict.
Il s'en trouve encore qui vont au Sabbat sans beste, ny baston. Mais il faut croire aussi que le baston ny la beste ne prosficte non plus aux Sorciers que la gresse, ains que c'est le Dœmon qui est comme vn vent lequel les porte, ne plus ne moins que l'on veoid un tourbillon desraciner les arbres les plus haults, et les transporter deux et trois lieues loing de leur place.
Les Sorciers neantmoins vont quelques fois de pied au Sabbat, ce qui leurs aduient principalement lors que le lieu, où ilz font leur assemblée, n'est pas gueres esloingné de leur habitation. «Il y en a qui portent quelque pælle, ou aultre vaisseau de cuyure, ou deargent pour mieux solemniser la feste[1].»
Satan conuocque les Sorciers de nuict, affin qu'ils ne soyent descouuerts, car pour mesme raison ilz dansent en leurs assemblées doz contre doz, & mesme ilz se masquent maintenant pour la pluspart. Toutesfois ces assemblees Diabolicques se font tellement de nuict, que lors que le coq a chanté, tout vient à disparoistre.
Remigius afferme, au dire de Sorcieres iudiciairement conuaincües, le temps le plus idoine & le plus opportun, non seulement à leurs assemblées nocturnes, ains à telz aultres ieux du Diable, comme phantosmes, apparitions, spectres & bruyts 10 horrificques, être durant l'heure præcedent la my nuict. L'heure suyvante n'est autant fauorable; mais les Sorcieres n'ont dict pour quoy. I'adiouterai qu'il n'est poinct en la nuict aultre heure en laquelle s'apparoissent les ombres & reuenants plus souuent à ceulx qui les redoubtent & en ont paour.
Et pour ce qui est du chant du coq, une Sorciere nommée Latoma, a reuelé que rien ne pouuoit leurs estre plus fascheux, voyre funeste que de ouyr le coq chanter ce pendent qu'elles se apprestent. Iehan Poumet & sa femme Desirée, tous deux sorciers, ont dict par dauant le Tribunal que souventes fois les Diables, approuchant l'heure de soy retirer du Sabbat, crioient: Hôla, descampez vitement vous aultres; ià commencent les coqs à chanter. Par quoy se doibt sans doubte entendre qu'il ne leurs est licite continuer leurs œuures passé ce moment. Mais on ne sçait pour quoy ils abhorrent tant & refuyent la voix du coq.
«I'ay estimé aultrefois, dit Boguet[2], que le Sabbat se tenoit seulement la nuict du Ieudy: mais depuys que i'ay leu que quelques vns de la mesme secte ont confessé qu'ilz s'assembloyent, les vns la nuict d'entre le Lundy & le Mardy, les aultres la nuict d'entre le Vendredy & le Samedy, les aultres la nuict qui præcedoit le Ieudy, ou le Dimanche, de là i'ay conclu qu'il n'y auoit point de iour præfix pour le Sabbat, & que les Sorciers y vont lors qu'ilz y sont mandez par Satan.»
A ces assemblées, dit Guaccius[3], ont coustume d'aller les Sorciers dans le silence de la nuict, quand regnent les puissances des tenebres; quelques fois pourtant ilz se reunissent à mydy, à quoy se rapporte l'Escripture: à Dæmone meridiano. En oultre, ilz ont d'habitude des iours præfix, diuers suivant les diuers pays. En Italie ilz ont esleu la nuict du Ieudy, vers le mylieu, selon Sebastien Michel. En Lorraine les Sorcieres 11 s'assemblent en la nuict du Mercredy & en celle du Samedy au Dimanche, selon Remigius. Aultres disent que c'est la nuict du Mardy.
Les vns ont remarqué que le lieu du Sabbat est tousiours notable & signalé par le moyen de quelques arbres (ainsi soubs un grand noyer), ou croix; mais le lieu des assemblées varie. Icy, les Sorcieres se reunissent en vn pré qui est sus vn grand chemin; là, proche de l'eau, en vn lieu qui est du tout sans chemin. Ailleurs, les Sorciers s'assembloyent soubs un village, qui est vn lieu assez descouuert, &c., d'où il se veoid qu'il ne se faut pas beaucoup arrester au lieu des Sabbats & assemblées des Sorciers, lesquelz aussi n'ont pas beaucoup de poines de s'y retrouuer, veu que Satan les y conduict & porte.
L'eaue est requise au Sabbat, d'autant que pour faire la gresle les Sorciers battent ordinairement l'eaue auec vne baguette, mesmement qu'à faute d'eaue ils vrinent dans vn trou qu'ilz font en terre & puis battent leur vrine.
Les Dæmons ne font aulcune sorte de plaisir aux Sorciers & Magiciens, que ce ne soit en vertu du pact, ou conuention qu'ilz ont faict auecques eux. Cestuy pact se faict en deux façons, à sçavoir expresse ou tacite. Le pact est dict tacite, selon Grillandus, non obstante profession expresse du nouice, quand iceluy, par craincte de veoir le Diable & de parler à luy, est repçu en la confrairie par un Sorcier profez, vicaire du Dæmon. Le pact exprès est quand le Diable apparoist en forme corporelle par dauant tesmoings & repçoit hommage & fidélité. Lors n'est tousiours le Diable veü, mais il est ouï parlant & promettant honneurs & richesses au nouice. Cestuy renonce son Createur de viue voix ou remet une schédule es mains du Diable. A tous les pacts faicts avec le Dæmon sont unze poincts communs, comme suyt:
Premierement les Sorciers abiurent le baptesme & leur foy 12 christine & se retirent de l'obeissance de Dieu, repudient le patronage de la bien heureuse Vierge Marie que par desrision impie ilz appellent la rousse. Ensuite renient tous les Sacrements de l'Ecclise & foulent aux pieds la Croix (Fig. 3) & les imaiges de la bien heureuse Vierge Marie & d'aultres saincts. Icelles toutes fois ne conculquent en la præsence du Diable, ains en aultre lieu, promettant seulement de le faire dès que le porront. Ensuyte s'obligent par serment solemnel es mains du Prince à luy être perpetuellement fidelles & soubmis, obeissant à tous ses mandemens. Ensuyte, touchant les Escriptures, à sçavoir un grand liure ayant pages noires & obscures, prestent serment de vasselaige æternel. Iurent en oultre qu'ilz ne retourneront iamais en la foy du Christ ny ne garderont les diuins commandemens, ains ceulx qu'il plaira au Prince leurs decreter; que tousiours viendront sans retard aux ieulx des assemblées nocturnes quand seront de ce requis, y feront ce que feront les aultres sorciers & sorcieres, assistant à leurs sacrifices & communiant à leurs prieres & adorations; qu'ilz observeront leurs vœux au mieulx qu'ilz porront & s'efforceront d'amener aultrui en la mesme creance. En eschange promet le Prince des Dæmons, au nouice sorcier, d'vn visaige soubriant, vne perpetuelle felicité & des ioies 13 immenses, toutes les voluptez qu'il desyrera en ce monde & en l'aultre des iouissances plus grandes que imaginer ne se peut.
Deuxiemement Satan contrainlt le Sorcier de se rebaptiser on nom du Diable (Fig. 4) & de prendre un aultre nom, renonçant le premier sien; ainsi feut Cuno de Roure rebaptisé Barbe de chieure. Ce qu'il faict comme est vraysemblable, affin que le Sorcier de là prenne opinion que son premier Baptesme est du tout effacé & ne luy peut plus seruir en rien.
Tiercement le confirme en cette opinion luy grauant de ses ongles le front pour d'illec tollir le Chresme & signe baptismal. (Fig. 5.)
Quartement luy faict renoncer ses parrains & marraines tant du Baptème que de la Confirmation, luy en assignant de nouveaulx.
Quintement donnent au Diable quelque part & morcel de leurs vestemens, pour ce que le Diable s'estudie à s'emparer d'une part de toutes choses; des biens spirituels, la foy & le Baptesme; des corporels, le sang; des naturels, les enfants, & des terrestres, les vestemens. (Fig. 6.)
Sixiemement, ils prestent serment au Dæmon en vn cercle graué en terre; peut estre bien par ce que il veut leurs faire 14 accroire qu'il est le seigneur du Ciel & de la Terre, veu que le cercle est le symbole de la Divinité & la Terre le scabeau de Dieu. (Fig. 7.)
Septiemement, demandent au Dæmon estre rayez du liure 15 de vie & inscripts on livre de mort. (Fig. 8.) Ainsi estoient les noms des Sorciers d'Avignon inscripts en un liure très noir.
Huitiemement promettent des sacrifices, aulcuns iurant 16 d'occir magicquement par chacun mois, voyre par chaque quinzaine un petit enfant en luy sugçant le sang. (Fig. 9).
Neufuiemement se rendent tributaires à leurs Dæmons patrons de quelque impost une fois l'an, en rachapt des molestations dont sont greués par le dict pact, & n'est le tribut valable s'il n'est de couleur noire.
Dixiemement sont en variable partie du corps, es espaules soubs les paulpieres, soubs les leures, soubs les aisselles, au fondement pour les hommes, es mamelles ou es parties honteuses pour les femmes, marqués d'un signe auquel devient la peau insensible. La forme de ce signe n'est tousiours la mesme; tantost c'est patte de lieuvre, tantost de crapaux, au d'aragne, de chatton ou de lire. Et ne sont tous ainsi marquez, ains seulement ceulx que le Diable cuyde inconstants.
Unziemement promettent ne iamais adorer l'Eucharistie, iniurier la Vierge & les Saincts, briser & conspuer les sainctes reliques tant que pourront, ne se seruir d'eau benoiste ny de cierges consacrez, ne iamais faire confession entiere de tous leurs pechez; en fin garder silence sempiternel sus leur commerce auec le Diable.
Il y en a d'aultres qui tiennent que les Sorcieres vont le plus souuent au Sabbat en ame seulement, ce que l'on verifie par plusieurs exemples de quelques Sorcieres, lesquelles estans demourees comme mortes en leurs maisons par l'espace de deux ou trois heures, ont enfin confessé que pour lors elles estoient en esprit au Sabbat, rapportant particuliairement tout ce qui s'estoit faict & passé on mesme lieu: George Gandillon la nuict d'un Ieudy Sainct demoura dans son lict comme mort par l'espace de trois heures, & puis retourna à soy en sursaut; il a du depuis esté bruslé en ce lieu auecques son pere & une sienne sœur[4].
Il y a quelque temps qu'vn certain du village d'Vnau au ressort d'Orgelet amena sa femme en ce lieu, & l'accusoit d'estre Sorciere, disant entre aultres choses qu'à certaine nuict d'vn Ieudy, comme ilz estoient couchez ensemble, il se donna garde que sa femme ne bougeoit, ny souffloit en façon quelconque, sus quoy il commença à l'espoinçonner sans neantmoins qu'il la peust iamais faire esueigler, & à ceste occasion, il tomba en vne paour, de maniere qu'il se voulut leuer pour appeller ses voisins: mais quelque effort qu'il feist, il ne luy feut pas possible de sortir du lict, & luy sembloit qu'il estoit entrappé par les iambes, mesme qu'il ne pouait pas encor crier: cela dura bien deux ou trois heures, & iusques a ce que le coq chanta: car lors la femme s'esueigla en sursaut, & sur ce que le mary luy demanda qu'elle auoit, elle respondit qu'elle estoit si lasse du trauail qu'elle auoit eu le iour præcedent, qu'estant pressee du sommeil, elle n'auoit rien senty de ce que son mary luy auoit faict: alors le mary eut opinion qu'elle venoit du Sabbat, pour ce mesme que desia auparauant il soubçonnoit quelque peu, à raison qu'il estoit mort du bestail a quelques siens voisins qu'elle auoit menacez præcedemment.
Et certes il y a grande apparence que cette femme auoit esté en esprit au Sabbat, par ce premierement que l'ecstase dont nous auons parlé luy aduint au Ieudy, qui est la nuict ordinaire du Sabbat.
18 D'aduentaige comme le coq chanta elle s'esueigla en sursaut, scelon que nous auons dict: or le Sabbat qui se faict nuictamment dure iusques à tant que le coq chante, mais depuis qu'il a chanté tout vient à disparoistre.
Troisiemement l'excuse qu'elle print monstre bien qu'il y auoit de la malice de son costé: Car quel homme a-t-on iamais veu si endormy d'vn trauail & labeur præcedent que l'on n'ait peu facillement esueigler? George Gandillon s'excusoit de la mesme façon, lors que l'on luy demanda pour quoy il ne s'estoit poinct esueiglé, encore que l'on l'eust poulsé rudement plusieurs fois.
En quatriesme lieu il se recongnoist qu'il y auoit du sortilege, en ce que le mary se sentoit entrappé par les iambes, & qu'il ne pouoit crier.
Finallement les Escheuins d'Vnau, qui assistoient le mary, aueroyent que ceste femme estoit descenduë de parens que l'ô suspectoit desia de Sorcellerie. Voyla comme l'on peut dire que les Sorciers vont au Sabbat en ame & esprit.
D'aultres fois y vont reallement & corporellement, laissant en leur place quelque simulachre ou effigie à leur ressemblance, par quoy soit leur mary desceu, s'il vient à s'esueigler. Le Dæmon a bien souuent aussi coustume, ayant prins un corps, de soy substituer on lict de la Sorciere partie au Sabbat; & par ainsi a commerce charnel auec le paouure mary. Ou bien elles vsent d'vn aultre artifice, endormant iceluy d'un sommeil magicque. Bertrande Tonstrix a confessé l'auoir faict souuentes fois & auoir bien souuent endormy son mary en lui frottant l'aureille de sa main dextre oingte premierement de l'onguent dont elle mesme se gressoit pour aller au Sabbat. Eller, femme du doyen d'Ottingen, aduoua qu'elle supposoit en sa place un aureiller d'enfant, aprés auoir prononcé le nom de son dæmon; d'autres duppaient leur mary auecques des balays. Marie, femme du raccommodeur de Metzer Esch, se seruoit d'vne botte de fouarre qui disparoissoit si tost qu'elle reuenoit à la maison[5].
Interrogez en iustice, des Sorciers ont dict estre vrayment aux assemblées nocturnes grande multitude de gens des deux sexes; Iehanne de Banno, Nicole Ganat de Mayner en Lorraine, ont asceüré auoir veu au Sabbat, toutes & quantes fois elles y estoient, si grande mesnie de Sorciers que plus ne les estonnoit la misere des homes, à qui sont par tant d'ennemis tant d'embusches dressées; ains s'esbahissoient moult que ne feussent plus grandes les calamitez humaines. Catherine Ruffa a dict auoir veu cinq cents Sorciers, à tout le moins, la premiere nuict qu'elle feut au Sabbat. Pourtant atteste Barbelline Raiel de Blainville es eaux que les femmes s'y treuuent en nombre maieur.
La raison pour quoy il y a au Sabbat plus de femmes que d'homes est que en icelles est plus grande superstitiosité, dont les causes sont: la prime, que les femmes sont par nature plus facillement meues à recepvoir des reuelations: faisant de ces reuelations bon vsaige sont grandement bonnes; mauluois deviennent suppellativement meschantes. La seconde que les femmes sont credules à merueille: le Diable s'estudiant principalement à surprendre la creance les hante & assaille de meilleur gré. La tierce que les femmes sont naturellement loquaces & bauardes, ne sçavent garder un secret & racontent aux aultres femmes tout ce qu'elles sçavent. Oultre sont cholericques & ne pouant par deffault de forces se venger, ont recours aux malefices, faisant au prochain par art diabolicque le mal que faire ne peuuent par force ouuerte. La quarte et vltime, que les femmes, comme dit Terentius, sont en leurs idées aussi muables qu'enfans; par quoy la femme meschante abiure plus facilement sa foy, que par auant auoit en degré excessif. Et ce est en sorcellerie raison fondamentale pour ne s'estonner si les femmes suyuent le Diable plus que les homes. Ne faut celer pourtant que Satan se efforce d'attirer à soy autant les homes que les femmes[6].
20 De ce qui se faict au Sabbat, & mesme de l'Offertoire des chandelles, du Baiser, des Danses, de l'Accouplement du Dæmon auec les Sorciers, des Festins, du Conte que rendent les Sorciers à Satan, du battement d'eau pour la gresle, de la Messe que l'on y célebre, de l'eau benoiste que l'on faict, & comme Satan se consomme en feu & reduict en cendre.
«Le Sabbat est comme vne foire de marchands meslez, furieux et transportez, qui arriuent de toutes parts. Vne rencontre & meslange de cent mille subiects soubdains & transitoires, nouueaulx à la verité, mais d'vne nouueauté effroyable qui offence l'œil, & soubsleue le cuœur. Parmy ces mesmes subiects, il s'en voit de reels, & d'aultres prestigieux & illusoires: aulcuns plaisans (mais fort peu) côm sont les clochettes & instrumens melodieux qu'on y entend de toutes sortes, qui ne chatouillent que l'aureille, & ne touchent rien au cœur: consistant plus en bruyt qui estourdit & estonne, qu'en harmonie qui plaise & qui resiouisse. Les autres desplaisans, pleins de difformité & d'horreur, ne tendant qu'à dissolution, priuation, ruine & destruction. Où les personnes s'y abbrutissent & transforment en bestes perdant la parole tant qu'elles sont 21 ainsi. Et les bestes au contraire y parlent, & semblent auoir plus de raison que les personnes chascun estant tiré hors son naturel.» (de Lancre, loc. cit., p. 119.)
Les Sorciers estans assemblez en leur Synagogue, adorent en premier lieu Satan, qui apparoist là tantost en forme d'vn grand home noir ou rouge, gehenné, tourmenté & flamboyant comme vn feu qui sort d'vne fournaise ardente, et tantost en forme d'vn bouc barbu, pour ce que le bouc est vne beste puante, salace et lasciue[7], & pour luy faire un plus grand hommaige, ilz luy offrent des chandelles, qui rendent vne flambe de couleur bleuë, & puys le baisent aux parties honteuses darrière[8] (Fig. 10): quelques-vns le baisent sus l'espaule: à d'aultres fois encor, il tient vne imaige noire qu'il 22 faict baiser aux Sorciers. Vray est que adorant Satan ilz ne se tiennent tousiours en mesme posture; tantost le suppliant à deux genoilz; tantost se renuersant sus le dos; tantost iectant les iambes en hault, ne baissant la teste sus la poictrine, ains la releuant de façon que le menton soit tourné vers le Ciel. (Fig. 11.) Aultres fois ilz s'approchent du Dæmon le dos tourné, & aduancent lentement vers lui à l'instar des escreuisses & les mains ioinctes par darriere; lui parlant, ilz fixent leurs œilz en terre; brief, ilz font tout au rebours de la coustume ordinaire.
Puys ilz dansent tantost auant, tantost apres leur repas, & font leurs danses en rond doz contre doz: les boiteulx y vont plus dispostement que les aultres. Or, ilz dansent ainsi doz contre doz affin de n'estre pas congneuz: mais pour le iour d'huy ilz ont vne aultre inuention au mesme effect, qui est de se masquer. (Fig. 12.)
«Il y a encore des Demons, écrit Boguet, qui assistent à ces danses en forme de boucs, ou de moutons, scelon qu'il a esté verifié par les prenommez, & plusieurs aultres; & mesme par Anthoine Tornier, ayant recougneu que lors qu'elle danoit vn mouton noir la tenoit appenduë par la main auec se 23 pieds, qui estoient comme elle disoit, bien haireux, c'est-à-dire rudes et reuesches.»
Les haulx boys ne manquent pas à ces esbats: Car il y en a qui sont commis à faire le debuoir de menestrier & ne sont tousiours sorciers profez. La mere de Jehan de Hembach le mena un jour au Sabbat pour ce que encore qu'à poine adolescent il iouoït moult bellement du violon. Là pour estre mieulx ou y le feit monter en vn arbre voisin & lui commanda de iouer. (Fig. 13.) Luy cependent regardoit les Sorciers dansans & s'estonnoit de leurs gestes (car tout est au Sabbat ridicule & à contre sens), ne se peut tenir de crier: «Bon Dieu, d'où viennent tous ces gens affolez & desordonnez.» Et tout soubdain cheut en terre, les Sorciers disparoissant, où feut le lendemain trouué seul le bras desmis & se lamentant bien fort. Satan y iouë mesme de la flutte le plus souuent, & à d'aultres fois les Sorciers se contentent de chanter à la voix: mais ilz disent leurs chansons pesle mesle, & auec vne confusion telle qu'ils ne s'entendent pas les vns les aultres. «Les Sorciers de Longny disoient en dansant: Har, har, Diable, Diable, saulte icy, saulte là, iouë icy, iouë là; et les 24 autres disoient: Sabbath, Sabbath, c'est-à-dire la feste & iour de repos, en haussant les mains & ballays en hault, pour testifier & donner vn certain tesmoignage d'alaigresse, & que de bon cœur ilz seruent & adorent le Diable[9].» Quelques fois, mais rarement, ilz dansent deux à deux, & par fois l'vn çà & l'autre là, & tousiours en confusion: estans telles danses semblables à celles des fees vrays Diables incorporez qui regnoient il n'y a pas longtemps. Les filles et femmes tiennent chascune leurs demons par la main, lesquelz leurs apprennent des traicts & gestes si lascifs & indecens, qu'ilz feroyent horreur à la plus efrontée femme du monde. Auec des chansons d'vne composition si brutale, & en termes & mots si licencieux & lubricques, que les yeux se troublent, les oreilles s'estourdissent, & l'entendement s'enchante, de voir tant de choses monstrueuses qui s'y rencontrent à la fois. Et sont tousiours ces danses & tripudiations suiuies de fatigues & lassitudes moult griefues. Barbelline, desia nommée, & aultres Sorcieres ont aduoué estre retournées à la maison si harassées que souuentes fois il leurs falloit rester au lict par deux iours entiers. Mais ce qui est chose bien horrible & tres iniuste, il n'est licite à nully de soy excuser & si quelqu'vn alleguant son aage, sa fatigue ou sa santé, refuse de danser ou s'ensuyct, 25 aussitost il est frappé à coups de piedz & à coups de poings & n'est aultrement traicté que n'est le cuir assoupli par le martel.
Les danses finies, les Sorciers viennent à s'accoupler: le fils n'espargne pas la mere, ny le frere la sœur, ny le pere la fille: les incestes y sont communs: car aussi les Perses auoient opinion que pour estre bon Sorcier & Magicien, il falloit naistre de la mere & du fils. (Fig. 14.)
«Françoise Secretain aduouait que le Diable l'auoit congneuë charnellement quatre ou cinq fois, tantost en forme de chien, tantost en forme de chat & tantost en forme de poulle, & que sa semence estoit fort froide.» (Boguet, loc. cit., p. 8.)
«Marguerite Bremont[10], femme de Noel Laueret, a dict que lundy dernier, apres iour failly, elle feut auec Marion sa mere à vne assemblée, près le moulin Franquis de Longny en vn pré, & auoit sadicte mere vn ramô (Fig. 15) entre ses iambes disant: Ie ne mettray poinct les mots, & soubdain elles feurent transportées toutes deux audict lieu, où elles trouuerent Iean Robert, Ieanne Guillemin, Marie, femme de Simon d'Agneau, & Guillemette, femme d'vn nommé le Gras, qui auoient chascun vn ramon. Se trouuerent aussi en ce lieu six Diables, qui estoient en forme humaine[11], mais fort hideux à veoir, &c. Apres la danse finie, les Diables se coucherent auecques elles, et eurent leur compaignie: & l'vn d'eux, qui l'auoit menée danser, la print, & la baisa par deux fois, & habita auecques elle l'espace de plus de demie heure: mais delaissa aller la semence bien fort froide. Ieanne Guillemin se rapporte aussi au dire de celle-cy, & dict qu'ilz furent bien demie heure ensemble, et qu'il lascha de la semence bien fort froide.»
«Pour l'accouplement, Ieannette d'Abadie, aagee de seize ans, depose qu'elle a veu tout le monde se mesler incestueusement 26 & contre tout ordre de nature, ... s'accusant elle mesme d'auoir esté depucellée par Satan & congneuë vne infinité de fois par un sien parent & aultres qui l'en daignoient semondre: 27 qu'elle suyoit l'accouplement du Diable, à cause qu'ayant son membre faict en escailles il faict souffrir vne extresme douleur; oultre que sa semence est extresmement froide, si bien qu'elle n'engroisse iamais ni celle des aultres hommes au 28 Sabbat, bien qu'elle soit naturelle ...» (de Lancre, loc. cit., p. 152.)
«Ie laisse à penser, dit Boguet, si l'on n'y exerce pas toutes les aultres especes de lubricité du monde: mais ce qui est encore plus estrange, c'est que Satan se met là en Incube pour les femmes (Fig. 16), et en Succube pour les hommes.»
Les Sorciers apres s'estre veautrez parmy les plaisirs immondes de la chair bancquetent & se festoyent. Il y a differentes tables, trois ou quatre, où chascun se seoid selon sa dignité ou richesse; tantost chascun à costé de son dæmon, tantost en face, les Diables estant tous d'un costé & les Sorciers de l'aultre. La benediction ne faict deffault à ces repas, mais condigne à l'assemblée, estant de parolles blasphesmatrices par lesquelles ilz confessent Beelzebub pour leur Createur, Dateur & Seruateur. Pareille est l'action de grâces qu'ilz disent au leuer des tables. Leurs bancquets sont composez de plusieurs sortes de viandes suppeditées par Satan ou apportées par chascun, scelon les lieux & qualitez des personnes: par deça la table est couuerte de beurre, de fromaige, & de chair. (Fig. 17.)
L'on y boit aussi tantost de l'eau & tantost du vin. Le vin semble à de l'ancre ou du sang guasté & n'est versé qu'en 29 vaisseaux fort ignobles. Mais il n'y a iamais de sel: ce qui se faict pour ce que le sel est vn symbole de l'immortalité, que le Diable a extresmement en haine.
Il y en a qui ont escript que de mesme l'on ne s'y seruoit point de pain; mais certaines Sorcieres ont rapporté le contraire & dict qu'elles auoient mangé au Sabbat du pain, de la chair, & du fromaige.
Cependent tous les Sorciers accordent qu'il n'y a poinct de guoust aux viandes qu'ilz mangent au Sabbat, & que la chair n'est aultre chair que de cheual. Tous ceulx que le Diable a faict asseoir à sa table confessent que les mets y sont si très deguoustants, soit à la veue, soit à l'odorat qu'ilz donneroient nausées à l'estomac d'vn pauure famélique aboyant de male faim. Barbelline desià nommée & Sybille Morel disent qu'on sert au Sabbat des mets de toute sorte, mais tant vils, tant sordides & mal apprestez qu'ilz valent à poine estre mangez. Nicolas Morel feut, pour leur guoust mauluois, aspre & amer obligé de les vomir aussitost par grand desplaisir. Ce que voyant le Dæmon entra en viue indignation & le faillit battre.
Dominique Isabelle adiouste qu'on seruoit aussi de la chair humaine; ce que Belleforest dict estre en vsaige frequent dans les malefices des Scythes.
Ilz adioustent quasi tous, que lorsqu'ilz sortent de table, ilz sont aussi affamez que quand ilz y entrent. «Antide Colas, d'après Bocquet (loc. cit., p. 111), rapportoit que les viandes estoient froides: Clauda disoit que ce qu'on mangeoit au Sabbat n'estoit que vent: Christofle disoit aussi à ce propuos qu'il lui sembloit qu'elle ne mangeoit rien: d'où il se veoid que le Diable est tousiours trompeur puis qu'il repaist les siens de vent au lieu de viandes solides, comme s'ilz estoient des chameleons.»
Le bancquet paracheué l'on rend conte à Satan de ce que l'on a faict dés la derniere assemblée, et ceulx là sont les mieulx venus qui ont faict mourir le plus de personnes & de bestes, qui ont baillé le plus de maladies, qui ont guasté le plus de fruicts, brief qui ont commis le plus de meschancetez & abhominations: les aultres qui se sont comportez vn peu plus humainement sont sifflez & mocquez de tous: on les fait mettre à l'escart, & sont encore le plus souuent battus, & mal traictez de leur maistre: & de là est venu commun prete 30 qui court entr'eulx: Fay du pis que tu pourras, & le Diable ne sçaura que te demander.
Car entre les Dæmons & les Sorciers, il est faict pact que tousiours doibvent avoir accompli nouveaulx meffaicts par auant que de venir au Sabbat. Et pour que ilz n'ayent excuse d'ignorance leur meschant maistre leurs tient eschole & donne leçons de malefices. Il leurs apprend à destruire les troupeaux; ce qu'ilz font soit en repandant du poison, soit en enuoyant les diables on corps des animaulx. Aussi à perdre les moissons & les fruicts de la terre & a rendre les champs steriles en inuocquant le Diable. D'iceluy ilz recoipvent une pouldre bien fine & la repandant en font naistre des sauterelles, des limaz, des papillons, charançons & aultres bestioles nocisues & infestes aux champs & aux iardins. De mesme font apparoistre multitude de ratz qui se mussant aussitost en terre deuorent germes & racines. Tantost font sortir des loups d'un arbre creux & les enuoient on bercail que ilz veulent dont ces loups ne sortent sans auoir faict grand carnaige. Vraysemblablement sont ces loups des dæmons soubs apparence d'animaulx.
Les Sorcieres ont confessé qu'elles faisoient la gresle au Sabbat, ou à leur volunté, affin de guaster les fruicts de la terre: 31 elles battoient, selon qu'elles disoient, à cest effect l'eaue auec vne baguette, & puis iectoient en l'aër, ou bien dedans l'eau certaine poudre qu'elles auoient eu de Satan, & par ce moyen il s'efleuoit vne nuée laquelle se convertissoit par apres en gresle (Fig. 18), & tomboit la part ou il plaisoit aux Sorcieres: quand l'eau faict deffault, elles se seruent de leur vrine, ainsi que l'auons dict. D'aultres fois, impetrent par certaines parolles on mylieu des champs l'ayde de Lucifer prince des dæmons, pour qu'il enuoye vn des siens frapper de malefices qui elles veulent; puys luy immolent en vn carrefour vn poulet noir & le iectent en l'aër. Le Dæmon s'empare du poulet & obeit excitant aussitost une tempeste & faisant tomber gresle & tonnoire, non tousiours aux lieux designez, mais scelon la volunté & permission de Dieu.
Affin de faire perir les hommes de male mort, les Sorciers ont coustume d'exhumer des cadaures & notamment de ceulx qui ont esté suppliciez & pendus on gibet. De ces cadaures ilz tirent la substance & matiere de leurs sortileges, comme aussi des instrumens du bourrel, des cordes, des pieux, des fers, etc., lesquelz sont douez d'une certaine force & puissance magicque pour les incantations. (Fig. 19.)
Les Sorciers peuuent aussi ardre et consumer les maisons, 32 comme il aduint en vne ville de Suede en l'an de grâce 1433. (Fig. 20.)
Les Sorciers peuuent encore endormir aultruy par le moyen de certaines potions, chants & rites diabolicques (Fig. 21), affin de profficter de leur sommeil pour instiller en eulx un poison mortel, enleuer ou tuer leurs enfants ou les desrober & les souiller charnellement, voyre par adultere. (Fig. 22.)
Quelques foys ilz vsent, pour prouocquer le sommeil de certains cierges, ou des piedz & des mains des morts oingts premierement d'une huile donnée par le diable; ou bien de chandelles fixées à chaque doigt ou de torches enchantées & d'une certaine gresse à eux congnuë. Et le sommeil dure autant que bruslent ces lumieres infernales.
Souvent aussi les Sorciers rendent par parolles & signes cabbalisticques l'homme froid, maleficié & impotent à l'acte coniugal en sept manieres. La premiere en rendant un espoulx odieulx à l'aultre par calomnie, soubçon, maladie ou mauluoise odeur. La seconde en empeschant le rapprochement des corps, les detenant dans des lieux esloingnez ou interposant quelque chose entre eulx. La tierce par l'inhibition du passage des esprits animaulx es membres genitaulx. La quarte par desseicher & tollir la licqueur prolificque. La quinte en rendant le membre 33 de l'homme mol & flasque toutes fois que veut accomplir l'acte de mariage. La sexte, par l'application d'ingrediens naturellement refrigerans. Enfin en procurant le resserrement & coarctation extresme des parties de la femme ou en 34 faisant le membre de l'homme retraict, abscons & comme du tout perdu. Ce n'est à dire toutes fois que le membre viril soit en verité enleué du corps, mais par leurs prestiges le cachent de telle façon qu'on ne le sçaurait plus veoir ny mesme toucher. Et sont les Sorciers tellement coustumiers de ce genre de malefice que par certains pays on n'ose mie celebrer les espousailles en plein iour.
Il faut sçauoir encore qu'il est aux Sorcieres en loy perpetuelle quand elles ont entre elles resolu de nuyre à aultruy & que la volunté de Dieu ne l'a permis, de faire retomber le mal que elles auaient pourpensé sus une que designe le sort. Car le Dæmon ne peut souffrir que ses conseils & aduis tombent en nullité & les force de subir ce qu'elles auaient tenté & proiecté contre les aultres. Ainsi feut de Catherine Preuost qui ne peut faire perir par le poison la fille unicque de vn sien voisin, nommé Michel Lecoq, pour ce que sa mere par oraisons & lustrations quotidianes la prœseruait de toute incantation; le Dæmon l'accusant asprement & lui reprochant de le frustrer de sa proye, elle empoisonna sa propre fille Odille encore au berceau.
C'est après ce conte rendu des Sorciers que Satan se bande auec ses supposts contre le Ciel, & qu'il conspire la ruine du 35 genre humain: il faict renoncer de nouueau à ces miserables Dieu, Chresme & Baptesme: il leur faict rafraischir le serment solemnel, qu'ils ont faict de ne iamais parler de Dieu, de la Vierge Marie, ny des saincts & sainctes, si ce n'est par mocquerie & desrision: il leurs faict quitter leur part de Paradis: il leurs faict promettre qu'ilz le tiendront au contraire à iamais pour leur seul maistre, & qu'ilz luy seront tousiours fidelles: il les exhorte par apres de faire le plus de mal qu'ilz pourront, de nuire à leurs voisins, de les rendre malades, de faire mourir leur bestail, de se venger de leurs ennemis, vsant de ces notions: Vengez vous ou vous mourrez; il leurs faict de plus promettre de perdre & guaster les fruicts de la terre, & leurs baille de la poudre & de la gresse propre à cela, du moins il leurs faict ainsi croire. (Fig. 23.)
Il leurs faict encore bien solemnellement iurer qu'ilz ne s'accuseront point les vns les aultres, & qu'ilz ne rapporteront aulcune chose de ce qui se sera passé entre eulx.
Les Sorciers en sixiesme lieu font la gresse. «Quelques Sorciers après auoir sacrifié au Diable et s'estant oincts sont tournez en loups courant d'une legereté incroyable (Fig. 24), & souvent rechangez en loups sont couplez aux louues avec 36 tel plaisir qu'ils ont accoustumé auec les femmes[12]». Les aultres sont transformez en chatz[13].
Quelques fois encore l'on dict la Messe au Sabbat: mais, adioute Boguet, ie ne puis escrire sans horreur la façon auec laquelle on la celebre, pour ce que celuy qui est commis à faire l'office est reuestu d'une chappe noire sans croix, & apres auoir mis de l'eau dans le chalice, il tourne le doz à l'autel, & puis efleue vn rond de raue teinte en noir au lieu de 37 l'hostie & lors tous les Sorciers crient à haulte voix: Maistre ayde nous.
A ceste ceremonie, dict Llorente, succede une aultre qui est imitation diabolicque & desrisoire de la messe. Tout subitement s'apparoissent six ou sept diables de moindre ranc & sont par eulx dressé l'autel & apportez les chalice, patene, missel, buirettes & aultres tous obiets desquels besoing est. Ilz disposent & arrangent le dais ou chapelle es quelz se voient figures & imaiges demoniacques semblables à celles que Satan a prinse pour la ceremonie. Ces diables l'aydent comme diacres a soy vestir de la mitre, de la chasuble & aultres ornemens: & sont iceulx tous noirs comme aussi ceulx de l'autel. Le diable commence la messe, laquelle il desiste vn temps de continuer pour prescher les assistans. (Fig. 25.) Il les exhorte à ne iamais retourner au Christ, leur promettant paradis bien meilleur que n'est celuy des christians. Il les asceüre que ilz le gaigneront d'autant mieulx que auront mis plus de soing à faire choses defendues aux christians.
Puis receoit l'offerte trosnant sur un siege noir; à sa dextre est lors seante la principale sorciere qui est appellée Royne des sorcieres, tenant en main vne paix en laquelle est engrauée la figure du Demon; à son costé senestre se tient le premier des 38 sorciers qui est le Roy portant vn bassin. Les principaux assistans & aultres prosez font hommaige de leur offrande, petite ou grande, suyuant leurs moyens & intention: les femmes à l'ordinaire præsentent des gasteaux de froment. Ensuite vn chascun ayant baisé la paix, on adore le Dæmon à genoilz luy baisant encore vne foys le fondement dont sort exhalaison & odeur punaise. Ce pendent par vn des diables seruants lui est tenue la queue leuée. Par apres la messe est continuée; le Diable alors consacre une chose ronde semblant semelle de soulier, marquée de son imaige; ce faisant prononce les parolles de la consecration du pain. Ensuite consacre le chalice auquel est contenue licqueur deguoustante. Satan ayant lors communié distribue aux sorciers la communion soubs les deux especes. Bien est ce que il donne à manger chose noire, aspre, fort difficile à mascher & aualler; aussi est la licqueur noire, amere & grandement escœurante.
Le Diable aussi pour faire l'eau benoiste pisse dans vn trou à terre & par apres les assistans sont arrosez de son vrine auec vn asperges noir par celluy qui faict l'office.
Finablement Satan prenant la figure d'vn bouc se consomme en feu & se reduict en cendre, laquelle les Sorcieres recueillent & cachent, pour s'en seruir à l'execution de leurs desseins pernicieux et abhominables.
N. B.—La planche ci-jointe, empruntée à l'Histoire des imaginations extravagantes de Monsieur Ousle, représente l'ensemble des scènes du Sabbat.
Achevé d'imprimer
POUR LA LIBRAIRIE DU PROGRÈS MÉDICAL
Le 30 avril 1882
PAR CHARLES HÉRISSEY
Imprimeur à Évreux.
[1] Bodin.—De la Démonomanie des Sorciers, &c., p. 82.
[2] Boguet, loc. cit., p. 100.
[3] Loc. cit., p. 81.
[4] Boguet (H.).—Discours execrable des Sorciers, etc. Rouen, 1606.
[5] Compendium Maleficarum, etc., per Fratrem Francisc. Mariam Guaccium, 1616, p. 69.
[6] Guaccius, loc. cit., p. 74.
[7] Les catholiques, en ceci, ont copié les Grecs, qui représentaient les Démons «en figures de Satyres paillards, moytié boucs & moytié hommes».
[8] «Mais quel mespris, quel deshonneur, quelle villanie plus detestable peut on imaginer, que celle que souffrent les Sorciers estans contrains d'adorer Satan en guise de Bouc puant, et le baiser en la partie qu'on n'ose escrire, ny dire honnestement?» (Bodin, loc. cit., p. 134).
«Tum candelis piceis oblatis, vel vmbilico infantuli: ad signum homagij eum in podicem osculantur.» (Compendium Maleficarum, &c., p. 71.)
[9] Bodin, loc. cit., p. 88.
[10] Bodin, loc. cit., p. 104.
[11] «Il (Cardan) dit aussi que les esprits malings sont puants, & le lieu puant là où ils frequentent, & croy que de la vient que les anciens ont appellé les Sorciers fœtentes, & les Gascons fetillères, pour la puanteur d'icelles, qui vient comme ie croy de la copulation des Diables, lesquels peut estre prennent les corps des pendus, ou autres semblables pour les actions charnelles & corporelles: comme aussi Vier a remarqué que les personnes demoniaques sont fort puantes.» (Bodin, loc. cit., p. 133.)
Ce passage montre que, depuis longtemps, on a remarqué deux phénomènes cliniques souvent signalés par nous, à savoir l'haleine forte des hystériques et l'odeur qu'elles exhalent dans leurs états de mal hystéro-épileptique.
[12] Bodin, loc. cit., p. 96.
[13] «De nostre temps vn nommé Charc.. du bailliage de Gez, fut assailly nuictamment en vn bois par vne multitude de chats; mais comme il eust faict le signe de la croix, tout disparut. Et de plus fraische memoire vn homme de cheual passant sous le chasteau de Ioux, apperceut plusieurs chats sur vn arbre, il s'auance, & delasche vne escoppette, qu'il portoit, & faict tomber de dessus l'arbre au moyen de son coup vn demicin, auquel pendoyent plusieurs clefs, il prend le demicin & les clefs, & les emporte au village: estant descendu au logis il demande à disner, la maitresse ne se trouve point, non plus que les clefs de la caue. Il monstre le demicin, & les clefs qu'il portait: l'hoste recogneut que c'estoit le demicin & les clefs de sa femme, laquelle arrive sur ces entrefaictes estant blessée à l'hanche droitte: le mary la prenant par rigueur, elle confesse qu'elle venoit du Sabbat, et qu'elle y auoit perdu son demicin et ses clefs, après auoir receu vn coup descopette en l'vne des hanches.» (Boguet, loc. cit., p. 269.)