The Project Gutenberg EBook of Connaissance de la Déesse, by Lucien Fabre

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Title: Connaissance de la Déesse

Author: Lucien Fabre

Contributor: Paul Valéry

Release Date: November 20, 2018 [EBook #58317]

Language: French

Character set encoding: UTF-8

*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CONNAISSANCE DE LA DÉESSE ***




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LUCIEN FABRE

CONNAISSANCE

DE

LA DÉESSE

Avant-propos

de

PAUL VALÉRY

PARIS

SOCIÉTÉ LITTÉRAIRE DE FRANCE

10, RUE DE L'ODÉON, 10

1920





AVANT-PROPOS


Un doute a disparu de l'esprit depuis quelque quarante années. Une
démonstration définitive a rejeté parmi les rêves l'antique ambition
de la quadrature du cercle. Heureux les géomètres, qui résolvent de
temps à autre, telle nébuleuse de leur système; mais les poètes le sont
moins: ils ne sont pas encore assurés de l'impossibilité de _quarrer_
toute pensée dans une forme poétique.

Comme les opérations qui conduisent le désir à se construire une figure
de langage, harmonieuse et inoubliable, sont très secrètes et très
composées, il est permis encore,—et il le sera toujours,—de
douter si la spéculation, l'histoire, la science, la politique, la
morale, l'apologétique (et, en général, toutes les sujettes de la
prose), ne peuvent prendre pour apparence, l'apparence musicale et
personnelle d'un poème. Ce ne serait qu'une affaire de talent: nulle
interdiction absolue. L'anecdote et sa moralité, la description et la
généralisation, l'enseignement, la controverse,—je ne vois pas de
matière intellectuelle qui n'ait été au cours des âges, contrainte au
rythme, et soumise par l'art à d'étranges,—à de divines exigences.


Ni l'objet propre de la poésie, ni les méthodes pour le joindre n'étant
élucidés, ceux qui les connaissent s'en taisant, ceux qui les ignorent
en dissertant, toute netteté sur ces questions demeure individuelle, la
plus grande contrariété dans les opinions est permise, et il y a, pour
chacune d'elles, d'illustres exemples, et des expériences difficiles à
contester.

À la faveur de cette incertitude, la production de poèmes appliqués
aux sujets les plus divers s'est poursuivie jusqu'à nous; même, les
plus grandes œuvres versifiées, les plus admirables, peut-être, qui
nous aient été transmises, appartiennent à l'ordre didactique ou
historique. Le _de Natura Rerum_, les _Géorgiques_, l'_Enéide_, la
_Divine Comédie_, la _Légende des Siècles..._ empruntent une partie de
leur substance et de leur intérêt à des notions que la prose la plus
indifférente aurait pu recevoir. On peut les traduire sans les rendre
tout insignifiants. Il était donc à pressentir qu'un temps viendrait où
les vastes systèmes de cette espèce céderaient à la différenciation.
Puisqu'on peut les lire de plusieurs façons indépendantes entre
elles, ou les disjoindre en moments distincts de notre attention,
cette pluralité de lectures devait conduire quelque jour à une sorte
de division du travail. (C'est ainsi que la considération d'un corps
quelconque a exigé dans la suite des temps la diversité des sciences.)

On voit enfin, vers le milieu du XIXe siècle, se prononcer dans notre
littérature, une volonté remarquable d'isoler définitivement la Poésie,
de toute autre essence qu'elle même. Une telle préparation de la poésie
à l'état pur avait été prédite et recommandée avec la plus grande
précision par Edgar Poë. Il n'est donc pas étonnant de voir commencer
dans Baudelaire cet essai d'une perfection qui ne se préoccupe plus que
d'elle-même.

Au même Baudelaire appartient une autre initiative. Le premier parmi
nos poètes, il subit, il invoque, il interroge la Musique. Par Berlioz
et par Wagner, la musique romantique avait recherché les effets de
la littérature. Elle les a supérieurement obtenus; ce qui est aisé
à concevoir, car la violence, sinon la frénésie, l'exagération de
profondeur, de détresse, d'éclat ou de pureté qui étaient dans le goût
de ce temps-là, ne se traduisent guère dans le langage sans entraîner
avec elles bien des niaiseries et des ridicules insolubles dans la
durée; ces éléments de ruine sont moins sensibles chez les musiciens
que chez les poètes. C'est, peut-être, que la musique emporte avec
elle une sorte de vie qu'elle nous impose par le physique, tandis que
les monuments de la parole nous demandent, au contraire, de la leur
prêter...


Quoi qu'il en soit, une époque vint pour la poésie, où elle se
sentit pâlir et défaillir devant les énergies et les ressources de
l'orchestre. Le plus riche, le plus retentissant poème de Hugo est
très loin de communiquer à son auditeur ces illusions extrêmes, ces
frissons, ces transports; et dans l'ordre quasi-intellectuel, ces
feintes lucidités, ces types de pensée, ces images d'une étrange
mathématique réalisée, que libère, dessine ou fulmine la symphonie;
et qu'elle exténue jusqu'au silence, ou qu'elle anéantit d'un seul
coup, laissant après elle dans l'âme l'extraordinaire impression de
la toute-puissance et du mensonge... Jamais, peut-être, la confiance
que les poètes placent dans leur génie particulier, les promesses
d'éternité qu'ils ont reçues dès la jeunesse du monde et du langage,
leur possession immémoriale de la lyre, et ce premier rang qu'ils se
flattent d'occuper dans la hiérarchie des serviteurs de l'univers,
n'ont paru si précisément menacés. Ils sortaient accablés de
concerts. Accablés.—éblouis: comme si, dans le septième ciel
transportés par une cruelle faveur, on ne les eut ravis jusqu'à cette
altitude que pour qu'ils connussent une lumineuse contemplation de
possibilités interdites et de merveilles inimitables. Plus aigües et
plus incontestables sentaient-ils ces délices impérieuses, plus la
souffrance de leur orgueil était présente et désespérée.


L'orgueil les conseilla. Il est chez les hommes de l'esprit, une
nécessité vitale.

À chacun selon sa nature, il souffla donc l'âme de la
lutte,—étrange lutte intellectuelle; tous les moyens de l'art des
vers, tous les artifices de rhétorique et de prosodie connus furent
rappelés; maintes nouveautés sommées de se produire à la conscience
surexcitée.

Ce qui fut baptisé: le _Symbolisme_ se résume très simplement dans
l'intention commune à plusieurs familles de poètes (d'ailleurs ennemies
entre elles), de «reprendre à la Musique, leur bien». Le secret de
ce mouvement n'est pas autre. L'obscurité, les étrangetés qui lui
furent tant reprochées; l'apparence de relations trop intimes avec les
littératures anglaise, slave ou germanique; les désordres syntaxiques,
les rythmes irréguliers, les curiosités du vocabulaire, les figures
continuelles—tout se déduit facilement sitôt que le principe
est reconnu. C'est en vain que les observateurs de ces expériences,
et que ceux mêmes qui les pratiquaient, s'en prenaient à ce pauvre
mot de _symbole._ Il ne contient que ce que l'on veut: si quelqu'un
lui attribue sa propre espérance, il l'y retrouve!—Mais nous
étions nourris de musique, et nos têtes littéraires ne rêvaient que
de tirer du langage presque les mêmes effets que les causes purement
sonores produisaient sur nos êtres nerveux. Les uns, Wagner; les autres
chérissaient Schumann. Je pourrais écrire qu'ils les haïssaient. À la
température de l'intérêt passionné, ces deux états sont indiscernables.

Un exposé des tentatives de cette époque demanderait un travail
systématique. Rarement plus de ferveur, plus de hardiesse, plus de
recherches théoriques, plus de savoir, plus de pieuse attention,
plus de disputes ont été, en si peu d'années, consacrés au problème
de la beauté pure. L'on peut dire qu'il fut abordé de toutes parts.
Le langage est chose complexe: sa multiple nature permettait aux
chercheurs la diversité des essais. Certains, qui conservaient les
formes traditionnelles du vers français, s'étudiaient à éliminer les
descriptions, les sentences, les moralités, les précisions arbitraires;
ils purgeaient leur poésie de presque tous ces éléments intellectuels
que la musique ne peut exprimer. D'autres donnaient à tous les objets
des significations infinies qui supposaient une métaphysique cachée.
Ils usaient d'un délicieux matériel ambigu. Ils peuplaient leurs parcs
enchantés et leurs sylves évanescentes d'une faune tout idéale. Chaque
chose était allusion; rien ne se bornait à être; tout pensait, dans
ces royaumes ornés de miroirs; ou, du moins, tout semblait penser...
Ailleurs, quelques magiciens plus volontaires et plus raisonneurs,
s'attaquaient a l'antique prosodie. Il y en avait pour qui l'audition
colorée et l'art combinatoire des allitérations paraissaient ne
plus avoir de secrets; ils transposaient délibérément les timbres
de l'orchestre dans leurs vers: ils ne s'abusaient pas toujours.
D'autres retrouvaient savamment la naïveté et les grâces spontanées
de l'ancienne poésie populaire. La philologie, la phonétique étaient
citées aux débats éternels de ces rigoureux amants de la Muse.

Ce fut un temps de théories, de curiosités, de gloses et d'explications
passionnées. Une jeunesse assez sévère repoussait le dogme scientifique
qui commençait de n'être plus à la mode, et elle n'adoptait pas le
dogme religieux qui n'y était pas encore; elle croyait trouver dans le
culte profond et minutieux de l'ensemble des arts une discipline, et
peut-être une vérité, sans équivoque. Il s'en est fallu de très peu
qu'une espèce de religion fut établie... Mais les œuvres mêmes de ce
temps-là ne trahissent pas positivement ces préoccupations. Tout au
contraire, il faut observer avec soin ce qu'elles interdisent, et ce
qui cessa de paraître dans les poèmes, pendant cette période dont je
parle. Il semble que la pensée abstraite, jadis admise dans le vers
même, étant devenue presque impossible à combiner avec les émotions
immédiates que l'on souhaitait de provoquer à chaque instant; exilée
d'une poésie qui se voulait réduire à son essence propre; effarouchée
par les effets multipliés de surprise et de musique que le goût moderne
exigeait, se soit transportée dans la phase de préparation et dans
la théorie du poème. La philosophie, et même la morale, tendirent a
fuir les œuvres pour se placer dans les réflexions qui les précèdent.
C'était là un très véritable _progrès._ La philosophie, si l'on en
déduit les choses vagues et les choses réfutées, se ramène maintenant à
cinq on six problèmes, précis en apparence, indéterminés dans le fond,
niables à volonté, toujours réductibles à des querelles linguistiques,
et dont la solution dépend de la manière de les _écrire._ Mais
l'intérêt de ces curieux travaux n'est pas si amoindri qu'on pourrait
le penser: il réside dans cette fragilité et dans ces querelles mêmes,
c'est-à-dire dans la délicatesse de l'appareil logique et psychologique
de plus en plus subtil qu elles demandent qu'on emploie; il ne réside
plus dans les conclusions. Ce n'est donc plus faire de la philosophie
que d'émettre des considérations même admirables sur la nature et sur
son auteur, sur la vie, sur la mort, sur la durée, sur la justice...
Notre philosophie est définie par son appareil, et non par son objet.
Elle ne peut se séparer de ses difficultés propres, qui constituent
sa _forme_: et elle ne prendrait Ia _forme_ du vers sans perdre son
être, ou sans compromettre le vers. Parler aujourd'hui de poésie
philosophique (fût-ce en invoquant Alfred de Vigny, Leconte de Lisle,
et quelques autres), c'est naïvement confondre des conditions et des
applications de l'esprit incompatibles entre elles. N'est-ce pas
oublier que le but de celui qui spécule est de fixer ou de créer une
notion,—c'est-à-dire un _pouvoir_ et un _instrument de pouvoir_,
cependant que le poète moderne essaye de produire en nous un _état_, et
de porter cet état exceptionnel au point d'une jouissance parfaite?...


Tel, à un quart de siècle de distance, et séparé de ce jour par un
abîme d'événements, m'apparaît dans l'ensemble le grand dessein
des symbolistes. Je ne sais ce que l'avenir retiendra de leurs
multiformes efforts, lui qui n'est pas un juge nécessairement lucide
et équitable. Pareilles tentatives ne vont point sans audaces,
sans risques, sans cruautés exagérées, sans enfantillages... La
tradition, l'intelligibilité, l'équilibre psychique, qui sont les
victimes ordinaires des mouvements de l'esprit vers son objet, ont
quelquefois souffert de notre dévotion à la plus pure beauté. Nous
fûmes ténébreux quelquefois: et quelquefois puérils. Notre langage ne
fut pas toujours aussi digne de louanges et de durée que notre ambition
le souhaitait; et nos innombrables thèses peuplent mélancoliquement
les doux enfers de notre souvenir... Passe encore pour les œuvres,
passe pour les opinions et les préférences techniques. Mais notre
idée elle-même, notre souverain bien, ne sont-ils plus maintenant
que de pâles éléments de l'oubli? Faut-il périr à ce point? comment
périr, ô camarades?—Qu'est-ce donc qui a si secrètement altéré
nos certitudes, atténué notre vérité, dispersé nos courages? A-t-on
fait cette découverte que la lumière puisse vieillir? Et comment se
peut-il (c'est ici le mystère), que ceux qui vinrent après nous, et qui
s'en iront tout de même, rendus vains et désabusés par un changement
tout semblable, aient eu d'autres désirs que les nôtres, et d'autres
dieux? Il nous apparaissait si clairement qu'il n'y avait pas de
défaut dans notre idéal! N était-il pas déduit de toute l'expérience
des littératures antérieures? N'était-ce pas la fleur suprême et
merveilleusement retardée, de toute la profondeur de la culture?

Deux explications de cette espèce de ruine se proposent. On peut
penser, d'abord, que nous étions les simples victimes d'une illusion
spirituelle. Elle dissipée, il ne nous resterait plus que la mémoire
d'actes absurdes et d'une passion inexplicable... Mais un désir ne peut
pas être illusoire. Rien n'est plus spécifiquement réel qu'un désir, en
tant que désir: pareil au Dieu de saint Anselme, son idée, sa réalité
sont indissolubles. Il faut donc chercher autre chose, et trouver pour
notre ruine un argument plus ingénieux. Il faut supposer, au contraire,
que notre voie était bien l'unique; que nous touchions par notre
désir à l'essence même de notre art, et que nous avions véritablement
déchiffré la signification d'ensemble des labeurs de nos ancêtres,
relevé ce qui paraît dans leurs œuvres de plus délicieux, composé
notre chemin de ces vestiges, suivi à l'infini cette piste précieuse,
favorisée de palmes et de puits d'eau douce; à l'horizon, toujours, la
poésie pure... Là, le péril; là, précisément notre perte: et là même,
le but.

Car c'est une limite du monde qu'une vérité de cette espèce: il
n'est pas permis de s'y établir. Rien de si pur ne peut coexister
avec les conditions de la vie. Nous traversons seulement l'idée de
la perfection, comme la main impunément tranche la flamme; mais la
flamme est inhabitable, et les demeures de la plus haute sérénité
sont nécessairement désertes. Je veux dire que notre tendance vers
l'extrême rigueur de l'art,—vers une conclusion des prémisses
que nous proposaient les réussites antérieures,—vers une beauté
toujours plus consciente de sa genèse, toujours plus indépendante
de tous _sujets_, et des attraits sentimentaux vulgaires comme de
grossiers effets de l'éloquence,—tout ce zèle trop éclairé,
peut-être conduisait-il à quelque état presque inhumain. C'est là un
fait général: la métaphysique, la morale, et même les sciences, l'ont
éprouvé.

La poésie absolue ne peut procéder que par merveilles exceptionnelles.
Les œuvres qu'elle compose entièrement constituent dans les trésors
impondérables d'une littérature ce qui s'y remarque de plus rare et
de plus improbable. Mais, comme le vide parfait, et de même que le
plus bas degré de la température, qui ne peuvent pas être atteints,
ne se laissent même approcher qu'au prix d'une progression épuisante
d'efforts, ainsi la pureté dernière de notre art demande à ceux qui le
conçoivent, de si longues et si rudes contraintes qu'elles absorbent
toute la joie naturelle d'être poète, pour ne laisser enfin que
l'orgueil de n'être jamais satisfait. Cette sévérité est insupportable
à la plupart des jeunes hommes doués de l'instinct poétique. Nos
successeurs n'ont pas envié notre tourment; ils n'ont pas adopté nos
délicatesses: ils ont pris quelquefois pour des libertés ce que nous
avions essayé comme difficultés nouvelles; et parfois ils ont déchiré
ce que nous n'entendions que disséquer. Ils ont rouvert aussi sur les
accidents de l'être les yeux que nous avions fermés pour nous faire
plus semblables à sa substance... Tout ceci était à prévoir. Mais la
suite, non plus, n'était pas impossible à conjecturer. Ne devait-on
pas essayer quelque jour de lier notre passé antérieur et ce passé
qui vint après lui, en empruntant de l'un et de l'autre ceux de leurs
enseignements qui sont compatibles? Je vois ça et là ce travail naturel
se faire dans quelques esprits. La vie ne procède pas autrement; et ce
même procès qui s'observe dans la suite des êtres, et dans lequel la
continuité et l'atavisme se combinent, la vie littéraire le reproduit
dans ses enchaînements...


Voilà ce que je disais à M. Fabre, un jour qu'il était venu me parler
de ses recherches et de ses vers. Je ne sais quel esprit d'imprudence
et d'erreur avait inspiré à son âme sage et claire le désir d'en
interroger une autre qui ne l'est pas trop. Nous cherchions à nous
expliquer sur la poésie, et quoique ce genre de conversation passe
et repasse très aisément par l'infini, nous arrivions à ne pas
nous perdre. C'est que nos pensées différentes, chacune se mouvant
et se transformant dans son infranchissable domaine parvenaient
à se conserver une remarquable correspondance. Un vocabulaire
commun,—le plus précis qui existe,—nous permettait à
chaque instant de ne pas nous mésentendre. L'algèbre et la géométrie,
sur le modèle desquelles je m'assure que l'avenir saura construire
un langage pour l'intellect, nous permettaient de temps à autre,
d'échanger des signaux précis. Je trouvai dans mon visiteur un de ces
esprits pour lesquels le mien se sent un faible. J'aime ces amants de
la Poésie qui vénèrent trop lucidement la déesse pour lui dédier la
mollesse de leur pensée et le relâchement de leur raison. Ils savent
bien qu'elle n'exige pas le _sacrifizio dell' Intelletto._ Minerve ni
Pallas, Apollon chargé de lumière, n'approuvent pas ces abominables
mutilations que certains de leurs dévots égarés infligent à l'organisme
de la pensée; ils les repoussent avec horreur, porteurs d'une logique
toute sanglante que l'on vient de s'arracher, et que l'on veut consumer
sur leurs autels. Les véritables divinités n'ont pas de goût pour les
victimes incomplètes. Sans doute demandent-elles des hosties; c'est
l'exigence commune à toutes les puissances suprêmes, car il faut bien
qu elles vivent; mais elles les veulent tout entières.

M. Lucien Fabre le sait bien. Ce n'est pas en vain qu'il s'est donné
une culture singulièrement dense et complète. L'art de l'ingénieur,
auquel il consacre non la meilleure, mais peut-être la plus grande
part de son temps, demande déjà de longues études et conduit celui
qui s'y distingue à une complexe activité: Il faut manœuvrer l'homme,
exercer la matière, trouver à des problèmes imprévus où la technique,
l'économie, les lois civiles et les lois naturelles introduisent des
exigences contradictoires, les solutions satisfaisantes. Ce genre de
raisonnement sur des systèmes complexes ne se prête guère à prendre
forme générale. Il n'y a pas de formules pour des cas si particuliers,
pas d'équations entre des données si hétérogènes; rien ne se fait à
coup sûr, et les tâtonnements eux-mêmes ne sont ici que des temps
perdus si un sens très subtil ne les oriente. Aux yeux d'un observateur
qui sache négliger les apparences, cette activité, ces hésitations
réfléchies, cette attente dans la contrainte, ces trouvailles se
comparent assez bien aux moments intérieurs d'un poète. Mais il y a
peu d'ingénieurs, je le crains, qui se doutent d'être aussi proches
que je le suggère des inventeurs de figures et des ajusteurs de
paroles... Il n'y en a pas beaucoup plus qui aient pratiqué, comme l'a
fait M. Fabre, de profondes percées dans la métaphysique de l'être. Il
a fréquenté les philosophies. La théologie elle-même ne lui est pas
étrangère. Il n'a pas cru que le monde intellectuel fut aussi jeune
et aussi restreint que le vulgaire actuel l'imagine. Peut-être son
esprit positif a-t-il simplement estimé la petitesse d'une probabilité?
Comment croire, sans être étrangement crédule, que les meilleurs
cerveaux pendant une dizaine de siècles, se soient épuisés, sans aucun
fruit, en spéculations vaines et sévères? Je pense quelquefois (mais
honteusement, et dans le secret de mon cœur), qu'un avenir plus ou
moins éloigné regardera les immenses travaux qui se sont faits de nos
jours sur le _continu_, le _transfini_, et quelques autres concepts
cantoriens, avec cet air de pitié que nous offrons aux bibliothèques
scolastiques... Mais la théologie a pour matière certains textes: M.
Fabre n'a pas reculé devant l'hébreu!...

Cette culture générale, mais ces habitudes de rigueur; ce sens
pratique et décisif, mais ces connaissances glorieusement inutiles,
témoignent ensemble d'une volonté qui les compose et les ordonne. Il
arrive qu'elle les ordonne à la poésie. Le cas est très remarquable:
il faut s'attendre à voir un esprit de cette préparation et de cette
netteté reprendre selon sa nature les problèmes éternels dont j 'ai
dit quelques mots, il y a quelques pages. S'il se réduisait à une
intelligence purement technique, on le verrait sans doute innover
brutalement, et porter dans un art antique, une énergie aux inventions
naïves. Les exemples ne sont pas introuvables: le papier souffre tout;
le désir d'étonner est le plus naturel, le plus facile à concevoir
des désirs; il permet au moindre lecteur de déchiffrer sans effort
bien des œuvres. Mais à un degré un peu plus élevé de conscience et
de connaissance, on voit bien que le langage n'est pas si aisément
perfectible; que la prosodie n'est pas sans avoir été sollicitée de
bien des façons au cours des siècles; on comprend que toute l'attention
et tout le travail que nous pouvons dépenser à contredire les résultats
de tant d'expériences acquises doivent nécessairement nous manquer sur
d'autres points. Il faut payer d'un prix inconnu le plaisir de ne pas
utiliser le connu. Un architecte peut dédaigner la statique, ou essayer
de se faire infidèle aux formules de la résistance des matériaux. C'est
là se moquer des probabilités; la sanction, cent mille fois contre
une, ne se fera pas attendre. La sanction, en littérature, est moins
effrayante; elle est aussi beaucoup moins prompte; mais le temps,
toutefois, se charge assez vite de répondre par l'oubli d'une œuvre, à
l'oubli des règles les plus simples de la psychologie appliquée. Nous
sommes donc intéressés à calculer nos hardiesses et nos prudences aussi
correctement que nous le pouvons.

M. Fabre, bon calculateur, n'a pas ignoré le poète Lucien Fabre. Ce
dernier s'étant proposé de faire ce qu'il y a de plus difficile et
de plus enviable dans notre art,—je veux dire un système de
poèmes formant drame spirituel, et drame achevé qui se joue entre les
puissances mêmes de notre être,—les précisions et les exigences
du premier trouvaient un emploi naturel dans cette construction. Le
lecteur jugera cet effort curieusement audacieux de donner à des
entités directement mises en œuvre, la vie et le mouvement le plus
passionné. Eros, le très bel et le très violent Eros, mais un Eros
secrètement asservi à quelque raison qui en déchaîne, comme elle
sait les contraindre, les fureurs, est le véritable coryphée de ces
poèmes. Je ne dis pas que cette raison, parfois, ne transparaisse un
peu trop nettement dans le langage. J'ai cru devoir contester à M.
Fabre quelques mots dont il a usé, et qui me semblent difficilement
absorbés par la langue poétique. C'est un reproche assez instable que
je lui faisais là, cette langue change comme l'autre; et les termes
géométriques qui provoquaient çà et là mes résistances, peut-être se
fondront à la longue, comme tant d'autres mots techniques l'ont fait,
dans le métal abstrait et homogène du langage des dieux.

Mais tout jugement que l'on veut porter sur une œuvre doit faire état
avant toute chose, des difficultés que son auteur s'est données. On
peut dire que le relevé de ces gènes volontaires, quand on arrive à le
reconstituer, révèle sur le champ le degré intellectuel du poète, la
qualité de son orgueil, la délicatesse et le despotisme de sa nature.
M. Fabre s'est assigné de nobles et rigoureuses conditions; il a voulu
que ses émotions pour intenses qu'elles apparussent dans ses vers,
soient étroitement coordonnées entre elles, et soumises à l'invisible
domination de la connaissance. Peut-être, par endroits, cette reine
ténébreuse et voyante souffre-t-elle quelques sursauts et quelques
diminutions de son empire,—car, ainsi que l'auteur le dit
magnifiquement:

    L'ardente chair ronge sans cesse
    Les durs serments qu'elle a jurés.


Mais quel poète pourrait s'en plaindre?


                                       PAUL VALÉRY






                             PAVLO VALÉRY
                          POETAE DILECTISSIMO
                             HAEC CARMINA
                               DICANTVR



CONNAISSANCE DE LA VOLUPTÉ


    _LA DÉESSE._


    Le souvenir de l'innocence
    Enfuie aux grottes de l'été
    S'exhale dans le pur silence,
    Comme un remords. Cœur exalté,

    L'indécision te balance;
    Sache évoquer sans défaillance
    L'amer parfum des voluptés:
    Tu mourrais de l'avoir quitté!...

    Les oraisons des Crépuscules,
    Orgies! vous font des lendemains
    Désespérés! Ce triste humain

    Au sein d'un trouble rêve ondule
    Et joint aux baisers qu'il module
    L'horreur sacrée de mon chemin.

    Moi je vis, pourpre Lys!... Calices
    Qui désaltérez mes caprices
    Et vous, Douleurs, soyez propices
    À m'embellir; mon front impur

    Chargé d'effrayantes délices
    Se penche sous leur poids obscur.
    Mais attentive aux chants futurs,
    Je pressens des heures complices...

    Les voici: le vent puéril,
    Embaumé du parfum des îles,
    Qui se joue dans l'air volatil.

    Apporte à mon âme subtile
    L'écho d'une chanson futile
    Dont j'ai peine à suivre le fil.

    Mais je sais des chansons pareilles:
    Elles ont flatté mon oreille
    Qui frémit de leur timbre pur
    Et tend sa conque transparente
    Aux cris des voluptés errantes
    Mes sœurs! naufragées dans l'azur.
    Vois: leurs images incertaines,
    Flottant sur cette mer lointaine
    Qui baise leurs pieds de corail,
    Forment un vaporeux sérail...

    De ces visions, amollies,
    Vos âmes m'implorent, mortels;
    Les jeux cernés, les joues pâlies,
    Nus, vous brûlez sur mes autels,

    Un encens mélangé de fiel.
    Ha! les voluptés abolies
    Ne sont pas tant ensevelies
    Que des souvenirs trop cruels

    Après d'absinthe et doux de miel,
    N'aillent au profond de leur ciel
    Les implorer... Voluptés saintes,

    Vénus de leurs sables mouvants,
    Voici que des voeux émouvants
    Montent à nous comme des plaintes..

    L'excès tremblant des douleurs feintes,
    Pluie fragile, sur le jardin
    De pleurs et de roses éteintes,
    Mêlant les sons avec les teintes,

    Jonche le marbre des gradins.
    La peur d'éviter mes atteintes
    Et les stupres de mon eden
    Dévorant, vous ronge de crainte:

    Ah! mortels, cessez de gémir:
    Aux mirages du souvenir,
    Craignez de voir épanouie

    La fleur secrète évanouie
    Où vont se fondre les langueurs
    Qui s'accumulent dans ce cœur!






    _LA CONCUBINE._


    Serai-je qu'une concubine?
    Mortel Amour que je devine,
    Fonds d'une brûlure divine
    Les glaces d'un cœur renaissant.

    Déjà tes rayons frissonnants.
    D'une caresse si câline
    Dorent mon ventre obéissant;
    Aux golfes d'ombre, pâlissant

    D'effleurer mon sein qui se livre
    Ta lumière tremble et s'enivre,
    Ah! mortels, mortels caressants,

    Quelle divinité vous presse?
    Une langoureuse paresse
    Et si tendre! alourdit mes sens...

    Hélas! suis-je si peu vaillante
    Qu'un bref espoir de pâmoison
    Livre à l'extase défaillante
    Ces sens altérés du poison?
    Ah! mon courage me délaisse,
    Aiguisé d'anciens désirs,
    Vais-je à l'appel de mon plaisir
    Céder...
              La hâte de mourir
    M'affole...
                Ah!...
                       L'attrait de l'ivresse...
    Je cède...




    _LA VIERGE._



              Un excès qui m'oppresse
    Espère l'unique caresse
    Qui le délivrera. Des mots,
    Un essaim bourdonnant d'abeilles.
    Inouïs, blessent mon oreille.
    Ah! que d'apparences vermeilles
    Me submergent comme d'un flot.
    Je suis éperdue de ma joie!
    Et mon cœur gonflé de soupirs
    Succombant au faix qui le ploie,
    S'emplit du besoin de périr.

    Délice aigu, je souffre encore...
    En moi un dieu au poing sonore
    Heurte aux portes de sa prison;
    Il bouleverse ma raison.
    Qu'il s'évade! que son message
    Par quelque clandestin passage
    S'épanche enfin comme un parfum!
    Ma fibre secrète irritée,
    Par cet inconnu exaltée,
    Acre des souvenirs défunts,
    Toute ma vie!... s'est arrêtée...
    Serre mes tendons et mes dents,
    Ô l'indicible que j'implore.
    Vois, je souffre, j'attends...
                                  J'attends!...
    Ha!...
            Ha!...
                   Un gouffre me dévore
    Soudain! Dans mon cœur palpitant
    Quel poignard!...



    _L'ÉPOUSE._



                  Défaillante aurore,
    Langueur ravie qui viens d'éclore
    Le Iong de moi, suavité
    Limpide comme un soir d été,
    Ta vague mollement arrive,
    Une ondulation déclive,
    M'envahit, rivale langueur,
    Je vois dévaler ma vigueur
    Sous mes veux clos, fondus de songes.

    Un inépuisable mensonge
    Sa sollicitude en éveil,
    Endort ma tremblante tendresse

    Et la douceur de sa caresse
    Flotte, indécise, en mon sommeil.




    _À Jean Variot_


    _LA VESTALE._



    Parfums mystérieux d ombelles,
    Les appels d'un lointain été
    Me font rêver aux voluptés
    Des jeunes gens dans les javelles,

    Des enfants qui glanent le blé.
    Par des voix immatérielles
    Insinuant au cœur troublé
    Les désirs d'une vie réelle

    Une magie qu'on ne sait plus,
    À mon anxieuse faiblesse
    Fait revivre les jours perdus

    Enfouis aux âges révolus,
    Ô Vesta, puissante déesse,
    Quels destins me sont dévolus?

    Je songe a ces dernières rondes
    Ou les prêtres d'Antinoüs
    Jouant avec mes tresses blondes
    Me dirent de leur voix profonde

    Les rares faveurs de Vénus.
    Mais je voilais ma gorge ronde
    Aux gais compagnons demi-nus
    De ma jeunesse vagabonde...

    Depuis, distraitement complice
    Des ardeurs de la Pythonisse,
    À leurs noms soudain reconnus,

    D'une question insidieuse
    J'évoque leur bouche rieuse:
    Je sais ce qu'ils sont devenus.

    Leur lèvre jointe à de plus folles,
    Le pin sacré vêtu de fer
    Les a vus, au bord de la mer,
    Se livrer au Plaisir frivole.

    Plus tard, gravi notre acropole,
    Ils ont, à mon sourire amer
    Offert la colombe et l'obole:
    J'ai scellé le lien de leur chair.

    Ils m'ont fait bénir leurs compagnes,
    Ils m'envoient du fond des campagnes
    De beaux enfants chargés de thym:

    Hélas! la joie d'être féconde.
    Moi qui voudrais porter un monde,
    M'est refusée par le Destin!

    Tout m'est un piège clandestin.
    Le parvis qui luit sous la flamme
    Est gravé des épithalames:
    Tant de lois, refrénant mes pleurs,
    Au brasier j'ai tendu la torche
    Des couples couronnés de fleurs:
    Et quand ils ont passé le porche
    Les couples dansants et ravis.
    À leur foyer portant la flamme,
    Je foule aux pieds l'épithalame
    Et m'écroule sur le parvis!

    Quand je rêve sur la terrasse,
    Plus que des murs et de l'espace.
    De mes serments et de ma race,
    Prisonnière de ma blancheur:

    Quand je vois le jeune faucheur
    Me faire du sentier qu'il trace.
    Un signe amical et rieur;
    Quand le soir mouillé de fraîcheur

    Suscite parmi les colombes,
    Entre les autels et les tombes,
    L'Amour interdit a mon cœur,

    Je sens dans mon âme de neige.
    Lever le désir sacrilège
    De connaître un autre Bonheur!

    Pardonne ces troubles ardeurs...
    Dis-moi d'où viennent ces impures,
    Feu subtil dont je suis l'augure!
    J'ai perdu les joies du sommeil
    Pour te nourrir, Feu que j'adore!
    Ô toi qui fais lever l'Aurore.
    Toi qui enfantes le Soleil,
    Dissipe pour moi le mystère
    Et les désirs persécuteurs
    Qui profanent ton sanctuaire:
    Toi qui sondes le fond des cœurs.
    Dis-moi quelle étrange fureur
    Me fait adorer leur morsure,
    Et pourquoi de cette blessure
    Il ruisselle un espoir vermeil!...

    L'ardente chair ronge sans cesse
    Les durs serments qu'elle a juré,
    Vesta, ton visage sacré
    Sera-t-il sourd à ma détresse?

    Ha! de la nuit enchanteresse,
    Soufflent les parfums exécrés:
    Ils osent tenter leur caresse
    Sur ce cœur qui t'est consacré!

    Viens! viens au secours de mon âme!
    J'offre de l'encens à ta flamme
    Rigide comme la vertu.

    Mais elle tremble sur sa tige:
    Si le Feu cède à ce vertige,
    Ô Mère, pardonneras-tu?

    Ton rude silence m'affole;
    Des victimes que je t'immole
    Et de ton feu jamais éteint
    J'ai favorisé mes paroles,

    Pourtant, livrée à mon Destin.
    Parmi ce peuple de symboles,
    Depuis le soir jusqu'au matin,
    Dans les ténèbres des coupoles

    Où ce feu jette sa lueur,
    Transie et tremblante de peur,
    J'ai besoin d'un soutien, Aïeule.

    Privée du secours précieux,
    Si désolée d'être si seule,
    Dois-je implorer les autres dieux?...

    J'attends en vain que tu t'animes
    Vesta, viens en aide à ma foi!
    Pour que tu descendes des cimes.
    J'ai dit des prières sublimes,

    Baisse les veux sur mon émoi:
    Un dieu noir surgi des abîmes
    Bouleverse mes sens intimes,
    Sa frénésie s'agite en moi,

    Il me tourmente sur ma couche,
    Son baiser déchire ma bouche,
    Il attise mes seins ardents,

    Et sous son étreinte farouche
    Hérissée au doigt qui me touche
    Mon cri expire entre mes dents!

    Hâte ta clémence, ô Divine!
    Ton secours ne m'est pas venu:
    Sous d'impalpables mains félines,
    Effleurant déjà ma poitrine

    Je sens un péril inconnu,
    Hâte ta clémence, ô Divine...
    Ces caresses que je devine
    Font se pâmer mon ventre nu,

    Je défaille... Ha! quel est cet être,
    Quel invisible me pénètre?
    Mes veines charrient des glaçons:

    Pourtant je brûle... Ah! je suis lasse...
    Une Pâleur ronge ma face...
    Ô Vénus, est-ce la rançon?...






CONNAISSANCE DU DÉSIR


_To you kindly._



    CONNAISSANCE DU DÉSIR



    La fluidité de mes limbes
    Se colore aux rayons d'un nimbe,
    Et la teinte des fleurs du lin
    Décerne au fantôme félin
    De ce désir qui veut éclore
    La séduction d'une aurore
    Attentive aux portes du ciel.
    Il se condense comme un miel.
    Enfouie au velours de l'arbre,
    La vasque blanche de ce marbre,
    Vaporeux vaisseau marginal,
    Reflète son corps virginal:
    De toute mon âme hagarde,

    De tous mes yeux, je le regarde;
    Mon cœur palpite sous ses pas;
    À peine de tendres lilas
    Ont-ils dévoilé sa figure
    Et je saigne d'une blessure...
    L'émerveillement du péril
    Que ce visage puéril
    Distille de l'ove ambiguë
    Convie mon âme à la ciguë;
    Je crains un appel de ses yeux.

    Mais l'inconnu prestigieux
    Ne m'a pas tendu le calice;
    Tel qu'une déesse propice,
    Il sort du nuage léger.
    Comme il grandit, cet étranger!
    Pour quelle pressante aventure
    A-t-il revêtu son armure?
    Sur sa tête, d'un geste fier,
    Il verrouille un casque de fer.

    Désir, n'es-tu qu'une chimère?...

    Sa magnificence éphémère
    Ne trompe pas mon œil subtil:
    Mais hélas! cela suffit-il?
    Les promesses qu'il me murmure
    Ont la chaleur d'une morsure
    Et vont au delà des linceuls,
    En moi qui me sentais si seul,
    Par la vertu de leurs antiennes
    Susciter des magiciennes
    Que, seul, pouvait apprivoiser
    L'espoir de ténébreux baisers...

    Filles de mes sens, chambrières,
    Quelles noueuses lisières
    A-t-il fallu pour me lier?
    Humble animal familier,
    Gisant comme femme en gésine,
    Vous m'accablez de la famine,
    Et j'ai confondu par vos soins
    Vos penchants avec mes besoins.

    Dans notre domaine sensible,
    Issu par des voies invisibles.
    D'une accolade irrésistible,
    Tu nous affames de plaisir,

    Tu promets des peines terribles
    Ou des joies qu'on ne peut saisir
    Et tu nous presses de choisir:
    Tu nous dévastes, ô Désir!

    Mais pourquoi, soudain téméraire.
    Tant j'ai le besoin de rêver,
    Sans te demander de lever

    L'impénétrable visière,
    Suis-je prêt à courir la terre
    Par les plus dangereux sentiers!

    Est-il murmure à mon oreille
    Plus doux que ceux de notre accord?
    Tandis que je t'écoute encor
    Tu me dévoiles des merveilles:

    L'indécis Avenir sommeille.
    Son éther illuminé d'or,
    Flottant dans la sphère vermeille,
    Offre l'amas de ses trésors

    Au chœur des troubles Rêveries:
    Chacune y prend ses pierreries
    Du diamant noir au saphir;

    Dans leur miroir pur de vestige
    Le Futur tremble sur sa tige;
    Il sait nos Destins, ô Désir!

    L'incertain m'est une geôle,
    Désir anxieux de mon sort,
    Ravis à ses horizons d'or
    Ce dormeur aimé des symboles.

    Au sortilège de l'essor,
    Le songe clos d'un vœu frivole
    Banni de mes limbes, s'envole
    Et tu le suis, conquistador!

    Mais soucieux de ma requête,
    Commençant par moi ta conquête,
    Ton regard est si radieux

    Qu'il illumine d'une flamme
    Le doux abandon de mon âme
    À ta bravoure, ô jeune dieu!

    Le beau périple où tu m'entraînes,
    Sinueux comme une toison,
    Mène une chaîne qui m'enchaîne
    Aux victimes de ton poison;

    Nous reverrons leurs horizons,
    Nous boirons aux mêmes fontaines,
    Dans cette éternité lointaine
    D'où tu fis surgir les Saisons...

    Sinon toi, quel divin mystère
    Du néant aspira la Terre,
    Anima l'homme et le roseau?

    Et ta forme fut la première
    Où se révéla la lumière,
    Quand l'Esprit flottait sur les eaux.

    Jeune roi chargé de puissance,
    Tendresse de l'insouciance,
    Source vive de tout émoi,
    Tes langueurs désarment les Lois.

    La misérable expérience
    Ne saurait pas vivre sans loi
    Qui fais fleurir une espérance
    Et nous séduis, ô jeune roi!

    Du Plaisir la trouble harmonie
    Et la savoureuse agonie
    Forment ton objet ambigu;

    Ah! nous éprouvons qu'il espère
    D'être atteint... rit! et s'exaspère
    Du poignard rêvé plus aigu!

    Ô condottière impitoyable,
    J'adore l'instant redoutable
    Où tu t'élances pour bondir:
    Ah! comme il frémit ce Plaisir
    Il va, se hâtant, rectiligne,
    Et toi, tu infléchis ta ligne,
    Ton caprice oblique se tend;
    Le courbe remous du sillage
    Aspire à joindre son rivage,
    Nos efforts se font plus ardents;
    Sous cette étreinte indéfinie,

    Mon âme s'extasie ravie,
    Tu veux qu'il exhale sa vie
    Et tu m'entraînes haletant,
    Dans une course infatigable
    Jusqu'à l'hallali délectable...

    Tu m'as promis son foie sanglant.

    À quels ardents pèlerinages
    As-tu soumis notre courage!
    Nous domptons nos frémissements,
    Nous pénétrons aveuglément
    Au puits où tu nous fais descendre...

    Ha!...

    Nous n'y trouvons qu'une cendre

    Dont le goût soulève le cœur...

    Tu nous as promis le Bonheur!

    Tu n as servi que l'indigence
    À notre espoir déconcerté.
    Du Luxe et de la Pauvreté,
    Ô fils, selon l'Antiquité,

    Tu as berné notre innocence,
    Ton père ne t'a rien laissé,
    Que le besoin de l'abondance.
    Nous t'avons suivi en silence,

    Nous l'aurions fait jusqu'à la mort:
    Tu es si beau, tu es si fort!
    Déçus des longues patiences,

    Vois comme nous sommes lassés:
    Témoigne-nous de l'indulgence...
    Fais-nous oublier ce passé!

    Hélas! ta rancœur solitaire
    Blesse même l'amour naissant;
    Tu souilles une haleine amère,
    Et si, parfois, plus caressant,

    Tu veux embellir nos chimères,
    Offrant divers à chaque amant
    Les traits d'un visage troublant,
    Tu changes l'amour en tourment...

    Ainsi la pauvre âme varie
    Dans les mortelles rêveries
    Que tu lui suscites, Désir;

    Belles Amours, Pensées profondes,
    Ah! que d'ardentes vagabondes
    S'épuisèrent à te saisir!...

    Pourquoi Désir, Désir trompeur,
    Pourquoi de ces vives couleurs
    Revêtir l'infâme pâleur
    Où dort la glace des mirages?

    Pourquoi susciter le courage?
    Pourquoi Désir, Désir trompeur,
    Tuer la bienfaisante peur
    Qui, par un battement de cœur,

    Créant d'haletantes images,
    Signale le danger happeur?
    Libérés de ton esclavage,

    Crois-tu Désir, Désir trompeur,
    Que le dégoût de la torpeur
    Nous résignerait à ta rage?

    Tu nous reprends et tu nous laisses!
    Tu sembles trouver une ivresse,
    Loin d'atténuer les discords,
    À faire, entre l'âme et le corps.

    Une antinomie de caresses;
    Dans les plus apaisants décors,
    Tu te repais de nos détresses,
    Tu nous reprends et tu nous laisses!

    Tu joins avec malignité
    L'instinct passager du mobile
    À la soif de pérennité,

    L'âme rebelle au corps docile,
    Et ris des éternels serments
    Toi qui nais éternellement!

    Qui vaincra ton charme morbide?
    Si mon âme comme un bolide,
    S'échappait dans l'éther fusant,
    Si, glissant soudain dans l espace,
    Elle ne laissait comme trace
    Qu'un souvenir d'éclair luisant,
    Ha! le plus ardent des délires
    Et le plus dévorant des cris
    Nourri de larmes et de rires
    Et de toi désormais dépris,
    Quelle envolée dans nos cieux gris!

    Comme une chose vagabonde
    Frôler les terres et les mondes,
    Se projeter vers I infini;
    Être un volontaire banni,
    Un fou violeur d'azur vierge,
    Sauter les rives et les berges,
    Ignorer limites et freins,
    Bondir dans des sphères sans fins,
    Troubler des rondes inconnues
    Et les Pléiades toutes nues
    Et les Soleils jamais lassés!

    Moi!... glacé contre l'air glacé,
    Faire jaillir des étincelles
    De cet éther en mouvement,
    Sous mes baisers! comme un amant...
    Et, nous frottant au firmament,
    Nous éparpiller en parcelles...

    Ah! que deviendrais-tu, Désir?

    Certain de pouvoir t'assouvir,
    Ton pouvoir ne serait qu'un leurre
    Puisque tu mourrais en naissant;
    Et moi, je saurais, connaissant
    Le bonheur que tu me procures,
    Régler à mon gré l'aventure,
    Et, pour accroître mon plaisir,
    Dans cette ivresse que j'assume,
    Mettre une goutte d'amertume
    Comme d'un secret élixir.

    Ah! que deviendrais-tu, Désir?

    Hélas! tu saurais me saisir...
    Que peut te faire mon vertige,
    Ma chasse aux désirs renaissants?
    Si je ne suis plus qu'un passant
    Dont il ne reste pas vestige,
    Empoisonnant mes souvenirs,
    Tu m'inspireras le désir
    D'interrompre ma parabole,
    De voir ces mondes que je frôle
    Sans espoir d'y jamais venir...

    Hélas! je ne peux pas choisir!
    Pour t'échapper, ô notre Maître
    Puisque, parmi tous ces désirs,
    Il n'en est pas qui puisse naître

    Il ne me reste qu'à mourir...




CONNAISSANCE DE L'EXALTATION


_À Adrienne Monnier._



    CONNAISSANCE DE L'EXALTATION



    Pour retrouver tes origines,
    Et pour élucider tes fins,
    Tu as tout consulté en vain:
    Socrate, Pythagore et Pline,

    Mais les témoignages humains
    Depuis les métopes d'Egine,
    Jusqu'aux caissons de la Sixtine
    N'ont pas révélé leur dessein.

    À ta réflexion chagrine,
    Les vieux temples sur les collines
    N'ont offert que des ballerines

    Dansant au rythme des syrinx
    Et la sagesse alexandrine
    Evoque en souriant le sphinx!

    Or un soir vide et sans pensée,
    Toi-même à toi-même ravi,
    Lasse de dispute insensée
    Et des chemins longtemps suivis,

    Ton âme captive et blessée,
    Nostalgique des paradis,
    Rêvait d'un merveilleux Persée...
    Mais les demi-dieux de jadis

    Sont retournés à la matière;
    D'eux, n'espère plus la lumière,
    Les flots lourds des spleens triomphants

    Te noient de muettes cohortes,
    Leurs nénuphars sur tes eaux mortes
    Dorment un sommeil étouffant.

    Ô proie des passions extrêmes,
    Par quel sublime enchaînement
    De l'effort et du tremblement,
    Te recherchas-tu en toi-même?

    Dans cette retraite suprême,
    Tu connus le recueillement.
    Tu méditas si longuement
    Du soir ardent au matin blême,

    Que tu pressentis le soleil:
    Longeant les étangs du sommeil
    Tu fis surgir des gouffres glauques

    Le double obscur qui t'est pareil:
    Vous eûtes d émouvants colloques!
    Mais tu redoutes le Réveil.

    Déjà, au fond de ta pensée,
    Ton image ressuscitée,
    Pâlissante, te dit adieu:
    C'est qu'elle m'infuse sa vie,
    Je suis autour de toi, ravie,
    Et tu te retrouveras mieux
    En moi, puisque tu m'as fait naître:
    Je suis l'essence de ton être
    Qui se condense sous tes yeux.

    Soufflant la poudre de tes ailes
    Par quoi s'assure ton contact
    Avec les choses éternelles
    Que ne peut atteindre ton tact,
    Tu vas connaître la lumière,
    Comme Adam de la nuit première,
    Être réveillé par un Dieu!

    Voue aux ténèbres de la fable
    Les vieux regrets agonisants;
    Voici des amis adorables,
    De beaux désirs frais et luisants:

    L'un d eux t'offrira les présents
    Qui rendent les dieux favorables,
    Écoute son vol impalpable;
    Délicieux et bienfaisant,

    De tes caprices qu'il devine
    Ourdissant la trame divine,
    Il fomente un enchantement

    Afin que ton âme revienne...
    Déjà elle tend ses antennes
    Et s'éveille en s'émerveillant!

    Et moi qui dois être ton guide,
    Je tourne autour de ta maison;
    Dégageons le logis sordide
    Interdit à ma pâmoison

    Et fécondons le sol aride;
    C'est une demeure putride,
    C'est l'asile de la raison;
    Balayons ses exhalaisons,

    Oublions ses calmes démences:
    Un vent brûlant dans le silence
    Souffle l'haleine du divin;

    Frissonnante comme un devin,
    Ton âme a soif de violence....
    La solliciterai-je en vain?

    Cette minute est éternelle,
    Essuie ces pleurs diamantins:
    Voici que dans le cœur contraint.
    La volonté battant de l'aile

    Rallume les foyers éteints
    Où venaient se rejoindre en elle
    La Providence et le Destin;
    Cette minute est éternelle,

    Sous l'étreinte des passions,
    Ton âme s'accroît en courage
    Cultive l'Exaltation

    Car je vais t'amener au fond
    Des ineffables Paysages
    Où notre essence se confond.

    Voici qu'en nappe progressive
    Je te pénètre en t'émouvant,
    Je suis un fluide mouvant,
    Je te détache de tes rives,

    Tu vas avec ravissement,
    Indifférent au grondement
    Des ondes qui se font plus vives
    Et dont la densité croissant

    Au creux de ton âme attentive
    Jetant, des vagues successives
    Le troupeau toujours plus pressant,

    Vers des pays éblouissants
    Veut t'entraîner à la dérive,
    T'entraîner en te soulevant!

    Mystérieuse jouissance!
    Mes ardentes réflexions
    Aux nouvelles tentations
    Joignant de vieilles souvenances

    Accroissent de leur résonance
    L'ouragan des émotions...
    Mais parfois surgit le Silence
    D'où jaillit l'inspiration.

    C'est le signe de Perséphone
    Sur l'Exaltation aphone,
    Bondis, car c'est l'instant divin;

    D'amours et de douleurs mêlée
    Vois: de ma torche échevelée,
    Tu peux éclairer ton Destin!

    Profite de cette minute
    Puisque j'illumine le noir,
    Ma flamme comme un ostensoir
    Éperdument t'éclaire; scrute,

    Sache regarder, sache voir:
    Sous les vapeurs et les volutes
    Qui veulent ternir le miroir,
    Sous les apparences hirsutes,

    Les vagues destins ont frémi...
    Vois ce que ton cœur inutile
    Glacé du silence ennemi,

    Offre aux baisers de ces reptiles;
    Vois... ce qu'un jour tu reverras,
    Lorsque ton cœur s'arrêtera!

    De notre aventure posthume
    Des ondes sur le miroir plan
    Qui s'éclaire de leur écume
    T'offrent le visage navrant:

    Exalte-toi dans l'amertume.
    Fais une torche du bitume:
    Usé du spleen qui vous consume
    Vois, ton fantôme déchirant

    Se meurt de tes propres discordes;
    Cet unisson où je t'accorde
    Ne saurait-il durer qu'un jour?

    Tremblant d'une agonie si proche.
    Il murmure un frêle reproche,
    Et s'évanouit sans retour...




CONNAISSANCE DE L'ART


_À Léon-Paul Fargue._



    CONNAISSANCE DE L'ART



    Je suis l'Arabesque sublime
    Qu'admis au contact de l'intime,
    Les plus grands parmi les humains,
    En des périodes de transe,
    Ont façonné de leur substance
    Comme un ouvrage de leurs mains.

    Mille destinées merveilleuses
    Près de ma ligne prometteuse
    Tourbillonnent comme un essaim

    Consolant les humains fugaces
    Qui les poursuivent dans l'espace
    Et les emportent dans leur sein.

    Tantôt la destinée commence,
    Le peuple, éperdu d'innocence,
    Marche, les veux levés au ciel,
    Tantôt la destinée s'achève
    Et le peuple épuisé de rêve
    Se console auprès du réel.

    Ainsi l'art qui est espérance,
    Soucieux de cette cadence,
    Va du réel à l'idéal,
    Ce flux et ce reflux tragiques
    Font l'alternative harmonique
    Qui joint le mortel au vital.

    Je t'attendais, ô Solitaire...
    En échange de mon mystère,
    Chargé des débris de ton cœur.
    Tu viens m'offrir toute la terre,
    Tes amours avec leurs misères
    El tes joies avec leurs douleurs,

    Tu palpites de mon haleine.
    Ma courbe t'attire et t'entraîne.
    Tu es l'éternel délaissé,
    Tu voudrais prolonger mes rives
    Et sur ma ligne fugitive
    Lier l'avenir au passé.

    Eh! bien, écoute ta hantise,
    Car elle seule réalise
    Ce qu'un calcul ne peut oser;

    L'amour des volutes graciles
    Incite aux méthodes subtiles
    Mais il ne fait qu'analyser.

    Si le sourire des Charites
    Te manque, si ta main hésite,
    Abandonne-nous en plein vol;
    Rien ne m'attire vers mon terme,
    Qu'importe qu'un cycle se ferme
    Quand on plane au-dessus du sol!

    Plus belle que toutes les Belles
    Entre mes rives parallèles,
    Torrent de vie canalisé,
    Vois la passionnante frise
    Qu'en songe chacun réalise
    Mais que nul n'a réalisé!

    De mes rives horizontales
    L'une est une vie qui s'exhale
    Et tend au repos éternel,
    L'autre est la femme qui s'étale,
    Qui veut la caresse brutale
    Afin d'engendrer le réel.

    Je vais de l'une à l'autre couche,
    Et si mon allure te touche,
    C'est que tu sens confusément
    Que c'est l'image de ton être,
    Que je ne meurs que pour renaître
    Comme l'homme, éternellement.

    Le cycle expire et recommence
    Au point d'adorable tangence
    Où ses rives l'ont embrassé:

    Comme Antée la courbe maligne
    Puise, au contact des rectilignes,
    L'élan nouveau du nuance.

    Cette résille d'intégrales
    Fait fi des promesses verbales,
    Seul le geste enfante l'essor.
    Mais l'harmonie la plus savante
    Roule une courbe enveloppante
    De l'apogée jusqu'au point mort.

    Je fais mon arme du silence
    Où tout s'exprime et se balance
    Mieux que par les meilleurs discours:
    Tour à tour, ardente ou languide.
    Je forme les pleins et les vides
    Et le volume et son contour.

    Le difficile est le passage...
    Vois-tu par quel divin message,
    Quel lien gracile et subtil,
    La foule d'idées et d'images
    Se fait entendre sans langage,
    D'un bout à l'autre de mon fil?

    Entre les groupes qui la tentent,
    Vois: mon arabesque oscillante
    Satisfaisant à ton plaisir.
    Crée des attirances nouvelles:
    Des formes immatérielles
    Peuplent les vides de désirs.

    Je recherche la vie tremblante,
    Elle me fuit comme Atalante
    Traçant un dangereux sentier:

    Si je dévie de la spirale,
    Je m'égare dans un dédale,
    J'entends sonner un rire altier.

    Cette proie je te la destine,
    C'est la nourriture divine,
    Mélange de terre et de ciel,
    Ma recherche te passionne!
    Ton esprit serpente et tâtonne:
    «Est-ce idéal, est-ce réel?»

    Ta méditation épuise
    Le suc de ces transes exquises;
    Tandis que le recueillement
    Te fait goûter toute ma grâce,
    L'instant voluptueux s'efface
    Et te dévore tendrement.

    Ah! donne-toi, beau Solitaire,
    Vois: j'ai la douceur d'une mère
    Et la tendresse des amants;
    Mon trait dessinera tes veines,
    Si tu dis tes joies et tes peines,
    Si tu les traces de ton sang...

    Vois: tu as prolongé ma ligne...
    Tu fus vraiment marqué du signe!
    Ton cœur a longuement erré:
    J'ai pris le meilleur de toi-même,
    Je te rejette, vide et blème....

    Que t'importe, tu as créé!....



FIN


    TABLE

    Avant-propos de Paul Valéry
    Connaissance de la volupté
    _La déesse_
    _La concubine_
    _La vierge_
    _L'épouse_
    _La vestale_
    Connaissance du désir
    Connaissance de l'exaltation
    Connaissance de l'art










End of Project Gutenberg's Connaissance de la Déesse, by Lucien Fabre

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